Les fonds des Archives nationales
Des archives publiques de la surveillance et de la répression aux archives privées du communisme
p. 177-190
Texte intégral
1Les Archives nationales, aujourd’hui déployées sur trois sites en Île-de-France (dans le Marais, à Pierrefitte-sur-Seine et à Fontainebleau), conservent les archives publiques issues de l’activité de l’État à travers ses organes centraux, ses départements ministériels, les opérateurs qui en dépendent, et des archives privées issues principalement de familles et d’associations. Les archives intéressant l’histoire du communisme sont conservées majoritairement à Pierrefitte-sur-Seine, centre ouvert en 2013. Quelques fonds complémentaires se trouvent à Fontainebleau, mais ces archives ont vocation à rejoindre le site de Pierrefitte d’ici 2021, dans le cadre de la restructuration et de la fermeture à terme de cette implantation.
2Ce propos s’attache à présenter quelques fonds emblématiques en évoquant également les conditions d’accès à ces archives afin de permettre aux futurs chercheurs d’identifier des sources pour leurs travaux tout en anticipant d’éventuelles démarches administratives.
3Le projet Paprik@2F (Portail archives politiques recherches indexation Komintern et fonds français) mené de 2013 à 2016 en partenariat avec l’université de Bourgogne dans le cadre d’un financement de l’Agence nationale pour la recherche et inscrit dans le premier Projet scientifique culturel et éducatif des Archives nationales a permis de traiter de façon détaillée un corpus d’archives publiques de la surveillance et de la répression représentatif des richesses des Archives nationales. Ainsi ce sont deux fonds qui ont fait l’objet de nouveaux instruments de recherche et d’une numérisation sélective qui a porté au total sur 5500 documents de propagande communiste datant des années 1930 à 1944 désormais accessibles en ligne : les archives de la direction de la Sûreté générale et celles de la section spéciale de la cour d’appel de Paris1.
Les archives de la direction de la Sûreté générale du ministère de l’Intérieur (IIIe République et Seconde Guerre mondiale)
4Le fonds de la direction de la Sûreté générale durant l’entre-deux-guerres (sous-série F/7 et archives restituées par la Russie), que nous qualifierons d’archives de surveillance à l’égard des Français et des étrangers présents sur le sol français, constitue la première source incontournable. Ces dossiers recouvrent les archives de police administrative (surveillance de la presse, des associations par exemple) mais aussi le fichier central de police judiciaire. La direction de la Sûreté avait pour mission de veiller au maintien de l’ordre et à la sécurité intérieure du pays. Plusieurs services de cette direction intervenaient dans la surveillance de la population. Deux services sont dits « actifs » parce que disposant de relais sur l’ensemble du territoire via leurs agents répartis dans les principales villes du pays ainsi que dans les villes stratégiques (villes frontières et villes fortement industrialisées) : le contrôle général des services de police administrative (ancêtre de la direction des renseignements généraux) et le contrôle général des services de recherches judiciaires. Sous la IIIe République, la police politique est du ressort du contrôle général des services de police administrative. Celui-ci joue un rôle majeur dans l’information du gouvernement, en premier lieu du ministre de l’Intérieur, quant au suivi quotidien de la situation politique, économique et sociale du pays. Les dossiers du service se composent essentiellement de rapports et de notes de renseignements qui remontent du terrain transmis soit par les préfets soit directement par les commissaires de police (commissaires spéciaux, commissaires centraux, commissaires municipaux) en poste dans les départements. Le contrôle général des services de police administrative centralise ces informations et permet au ministre de l’Intérieur de prendre les mesures qui s’imposent. Le contrôle général des services de recherches judiciaires (ancêtre de la direction de la Police judiciaire) intervient dans l’application des mesures répressives. Dans les départements, l’action du contrôle général des services de recherches judiciaires est menée par les commissaires de police mobile répartis en 15 puis 19 brigades régionales.
5Les différents bureaux de la direction de la Sûreté sont identifiés par comparaison avec ces deux contrôles généraux comme des services « sédentaires ». Ainsi le 2e bureau, devenu 4e bureau après la réforme de 1934 de la direction de la Sûreté, chargé du contrôle de la presse et de la librairie, surveille la presse étrangère : les préfets et les commissaires spéciaux repèrent localement la diffusion des écrits entrés en France illégalement ou au contenu suspect ; ils transmettent les exemplaires interceptés au bureau du contrôle de la presse qui les soumet, pour traduction et avis, au service d’information et de presse du ministère des Affaires étrangères. La décision d’interdiction et de circulation revient au ministre de l’Intérieur par la publication d’un arrêté diffusé à tous les préfets2.
6Les dossiers produits par la direction de la Sûreté recouvrent deux types d’ensembles documentaires : d’une part un volumineux fichier alphabétique constitué par la centralisation à partir de 1935 de plusieurs fichiers provenant des différents services de la direction de la Sûreté (comme le montrent les modèles de fiches utilisés avant l’uniformisation voulue par la réforme du Fichier central en 1934). On peut lire sur les fiches des motifs de fichage aussi variés que : cartes d’identité d’étrangers, passeports, surveillance politique (communistes, anarchistes…), police des jeux, police judiciaire, stupéfiants, mœurs, interdiction de séjour, impôts, contre-espionnage, inscription au carnet B des départements, naturalisation, expulsion, extradition… D’autre part des dossiers, en grande majorité nominatifs ou individuels, et en minorité thématiques. Le sort de ces archives entre 1940 et le milieu des années 1990 a fait l’objet de travaux historiographiques majeurs pour comprendre la constitution du fonds tel qu’il est conservé aujourd’hui et les éléments qu’il recèle3. En juin 1940, les autorités allemandes se saisissent de ces dossiers, en investissant les bureaux de la rue des Saussaies : elles s’emparent des 2,5 millions de fiches cartonnées et de 600 000 dossiers du fichier central de la Sûreté sans oublier les dossiers sur lesquels les agents de la Sûreté travaillaient alors (tandis que d’autres dossiers demeurent en possession du ministère de l’Intérieur qui les versera après la Seconde guerre mondiale aux Archives nationales). Ces archives spoliées tombent ensuite, en 1945, aux mains des Soviétiques qui les emportent en URSS, où elles sont exploitées. Elles ne sont restituées à la France qu’entre 1994 et 2001 et représentent 2,5 kilomètres linéaires d’archives de ce que l’on appela dès lors « le fonds de Moscou4 ».
7Les archives de la Sûreté sont donc aujourd’hui conservées à la fois dans la sous-série « F/7 police générale » du cadre de classement des Archives nationales et dans des versements en cote continue au sein des archives rapatriées de Russie. Elles sont constituées d’environ 10 % de dossiers thématiques, et pour le reste de dossiers individuels. Regroupées physiquement depuis 2013, elles sont désormais envisagées par les archivistes dans leur complétude, ce qu’Émilie Charrier, responsable de ce fonds au département de la justice et de l’intérieur des Archives nationales, appelle « recoudre intellectuellement deux parties de fonds séparées par l’Histoire5 ». Pour la première fois depuis 1940, sont en effet réunies en un même lieu, à Pierrefitte-sur-Seine, les archives de la direction de la Sûreté restées en France (environ 1 000 cartons cotés dans la sous-série F/7 et qui avant 2013 étaient conservés sur le site parisien des Archives nationales) et les archives restituées par la Russie conservées jusqu’en 2013 sur le site bellifontain des Archives nationales, qui a succédé au Centre des archives contemporaines en 2007. La consultation de ces deux ensembles permet d’affiner la connaissance archivistique de ce corpus. Ainsi les dossiers de la sous-série F/7 ont-ils été davantage remaniés voire reclassés que ceux restés à Moscou. Ce phénomène se remarque plus spécifiquement dans les dossiers de police judiciaire conservés en F/7 qui à l’origine étaient organisés selon un ordre numérique et qui ont été entièrement reclassés par ordre thématique. En revanche les dossiers conservés dans les archives rapatriées n’ont pas fait l’objet de ce reclassement6. Les seuls instruments de recherche à disposition des lecteurs jusqu’en 2016 reflétaient la division historique du fonds, et présentaient un certain nombre de défauts qui rendent la recherche complexe :
- les inventaires de la sous-série F/7 réalisés par les archivistes français ne sont pas toujours très détaillés ;
- les inventaires russes proposent des analyses au dossier mais ne sont pas toujours exhaustifs, ils peuvent présenter par ailleurs des approximations de vocabulaire dues aux circonstances intellectuelles et politiques dans lesquelles la description en a été réalisée en Union soviétique mais aussi au fait que les informations ayant servi de base à ces descriptions ont été traduites une première fois du français au russe lors du traitement des dossiers par les Soviétiques, puis une seconde fois du russe au français lors de la restitution des fonds.
8Le travail de reprise de toutes ces descriptions et surtout les travaux de reclassement des archives restituées par la Russie ont commencé aux Archives nationales avec l’ouverture du site de Pierrefitte-sur-Seine qui a coïncidé avec le démarrage du projet Paprik@2F en 2013. Les registres russes listant les dossiers individuels conservés dans le fichier central sont depuis 2014 accessibles en ligne mais imposent une gymnastique de consultation assez fastidieuse car plusieurs dizaines de pages numérisées sont rattachées à un même niveau de description7. Un outil d’orientation thématique dans le fonds de la direction de la Sûreté est également disponible en ligne8. Un instrument de recherche innovant a été réalisé dans le cadre du projet Paprik@2F et publié dans la salle des inventaires virtuelle des Archives nationales et sur le portail Pandor de l’université de Bourgogne (fig. 1) : pour la première fois, un répertoire méthodique décrit simultanément les dossiers concernant la surveillance du Parti communiste (dans ses structures, ses militants, ses organes de presse et organismes affiliés) par la direction de la Sûreté sous la IIIe République, qu’ils soient conservés dans la sous-série F/7 ou dans les archives restituées par la Russie. Cet outil d’accès est capital pour toute étude du communisme en France dans la première partie du xxe siècle. Il comprend en outre la version numérisée des supports de propagande communiste (affiches, tracts et papillons) saisis par le ministère de l’Intérieur et conservés dans ces dossiers (fig. 2)9.
9Le chercheur travaillant sur l’histoire du communisme devra par ailleurs se reporter aux dossiers visant les personnalités les plus en vue qui étaient, en 1940, conservés à l’écart du fichier central, dans un lieu plus sûr, un « coffre », et qui de ce fait ne sont pas tombés aux mains des Allemands. Ces dossiers sont entrés aux Archives nationales en 1981 et sont depuis connus sous l’appellation « fonds Panthéon » (F/7/15924 à 16028)10. On peut y trouver trouve entre autres « des célèbres révolutionnaires (Léon Trotski, Clara Zetkin, etc.), des dirigeants communistes français (Henri Barbusse, Marcel Cachin, Gaston Cornavin, Ambroise Croizat, André Marty, Gaston Monmousseau, Jacques Sadoul, Pierre Sémard, Paul Vaillant-Couturier, etc.) ou encore des diplomates et dirigeants soviétiques (Dimitri Navachine, Anatoli Lounatcharski, Gueorgui Tchitcherine, Maxime Litvinov, etc.)11 ».
10Le « fichier de police administrative » complète dans le temps le fichier central. Ce fichier comprend près de 150 000 dossiers individuels ouverts entre mars 1941 et 1949 soit plus d’1,6 kilomètre linéaire, pour lesquels nous ne disposons malheureusement pas d’instruments de recherche donnant la liste précise de tous les dossiers nominatifs conservés (les documents datent de 1940 à 1958 environ)12. On y trouve principalement des demandes de visa (d’entrée, de sortie et de retour ou de sortie définitive) présentées par des ressortissants français ou étrangers ; des mesures d’internement, de transfert ou de libération de camp d’internement (juifs, communistes, travailleurs étrangers) ; des demandes de naturalisation ou de révision des acquisitions de la nationalité française (avis du ministère de l’Intérieur) ; des mesures d’interdiction de séjour et d’expulsion prises à l’encontre de ressortissants français ou étrangers ; des demandes de recherche dans l’intérêt des familles ou des bulletins de recherche de personnes signalées ; des signalements d’étrangers ayant franchi clandestinement la ligne de démarcation ; des demandes de laissez-passer à destination de la zone libre. L’histoire de ce fichier est mal connue. Il correspond vraisemblablement à un fichier de police administrative constitué à Vichy par le secrétariat général à la Police à partir du début 1941, pour pallier l’absence du fichier central de la Sûreté demeuré à Paris et saisi par les autorités allemandes. Transféré à Paris à la Libération, ce fichier a continué à être alimenté pendant quelques années.

Fig. 1. – Page d’accueil du portail Paprik@2F sur le portail Pandor de l’université de Bourgogne.

Fig. 2. – Supports de propagande communiste saisis par la direction de la Sûreté nationale, numérisés et accessibles en ligne dans l’instrument de recherche Surveillance du Parti communiste. © Archives nationales.
11Les archives de la direction de la Sûreté de la première moitié du xxe siècle, qu’il s’agisse du fichier central ou du fichier de police administrative, ainsi que les dossiers du « fonds Panthéon » sont librement communicables au regard du Code du patrimoine.
Les archives judiciaires de la Seconde Guerre mondiale
12Le second fonds d’archives classé et mis en lumière par le projet Paprik@2F est celui de la section spéciale de la cour d’appel de Paris chargée à partir d’août 1941 de réprimer les infractions au décret-loi du 26 septembre 1939 (sous-série Z/4, 21 mètres linéaires). Cette juridiction d’exception fut instaurée par le gouvernement de Vichy le 23 août 1941 sous la pression allemande, au terme d’une première séquence de démonstration de force du Parti communiste clandestin à l’été 1941 tant sous la forme de manifestations que d’actes de résistance armée dirigés contre les forces d’occupation13. La loi du 14 août 1941, antidatée, porte création de ces sections spéciales auprès des tribunaux militaires ou maritimes en zone sud, et auprès des cours d’appel en zone nord, les juridictions militaires y ayant été supprimées de fait par l’Occupation allemande. La section spéciale de la cour d’appel de Paris fut la première à être installée, le 26 août 1941, et à tenir audience dès le 27 août 1941 au matin. Reprenant des dossiers en appel qui provenaient des tribunaux d’instance de son ressort, elle prononça lors de sa première audience trois condamnations à mort : contre Abraham Trzebrucki, André Bréchet, et Émile Bastard. Ils seront tous les trois guillotinés le jeudi 28 août 1941. D’après les chiffres établis à la Libération par la commission d’épuration de la magistrature, 1513 inculpés furent jugés par la section spéciale qui prononça 3 peines de mort, 11 peines de travaux forcés à perpétuité (dont 3 par contumace), 183 peines de travaux forcés à temps (dont 1 par contumace), 1040 peines de prison sans sursis (dont 22 par contumace), 213 relaxes, et acquitta 63 mineurs comme ayant agi sans discernement14. Les premières pistes de recherche révélées par le classement de l’intégralité du fonds, 650 dossiers de procédures et plus de 3000 dossiers de scellés, concernent la mise en lumière du travail des militants du parti communiste clandestin et de la production du matériel de propagande. En effet, outre l’étude du fonctionnement de cette juridiction d’exception de l’État français, ou encore l’exploitation biographique des éléments d’enquête conservés dans les dossiers de procédure, l’analyse de ces dossiers de procédures permet de dessiner l’organisation du Parti communiste clandestin, et sa filiation avec la période légale antérieure à septembre 1939. L’instrument de recherche intégral offre « un premier niveau d’informations pour comprendre l’organisation du Parti communiste clandestin : parcours des militants avant guerre, constitution de groupes et mini-réseaux hérités des liens tissés avant la dissolution du Parti ou noués dans la clandestinité, structuration et fonctionnement de ces groupes dans la clandestinité, activité des cellules géographiques, activité des cellules par secteur professionnel, vie quotidienne du militant clandestin et résistant15… » Les documents placés sous scellés, préservés de la destruction et des déclassements par la méticulosité apportée dans leur constitution par les organes de police et dans leur transmission et leur conservation au greffe de la cour d’appel, permettent d’élargir les recherches. On ne peut manquer d’être frappé par l’importance du matériel de propagande produit par le Parti communiste dans sa période clandestine et conservé dans ces scellés, en termes de diversité des titres représentés et de quantité. Plus de 2800 pièces uniques qui peuvent être considérées comme des « éphémères » ont été recensées dans le fonds : journaux et tracts (brouillons et versions diffusées) clandestins manuscrits, ronéotypés, dactylographiés, imprimés ; stencils ; brochures clandestines imprimées, ronéotypées, dactylographiées ; affiches clandestines manuscrites, ronéotypées (brouillons et versions diffusées). Un grand nombre de périodiques modestes (bulletins édités par certaines sections ou comités), et les documents manuscrits, ou les versions préparatoires de tracts et journaux, n’ont pas été identifiés dans d’autres fonds patrimoniaux (fig. 3). Le dépouillement de toutes les informations consignées par les policiers lors de la constitution des scellés, ainsi que la comparaison du contenu de chaque dépôt en termes de « titres » permettra de « mesurer concrètement les moyens et l’ampleur de l’organisation de conception, fabrication, duplication et diffusion de ces supports mise en place par le Parti communiste clandestin16 ».
13Ces archives de la répression sont complétées par celles du ministère de la justice : les dossiers produits par la direction des affaires criminelles et des grâces depuis le xixe siècle à partir de la correspondance entretenue par les procureurs généraux avec le cabinet du garde des Sceaux et cette direction, classés dans la sous-série BB/18, comprennent ainsi pendant la période de la Seconde Guerre mondiale des comptes rendus affaire par affaire et des éléments essentiels sur l’ingérence allemande dans les dossiers17. Les versements issus du cabinet du garde des Sceaux ou du secrétaire général à la justice pour la période du régime de Vichy comptent également des articles consacrés aux sections spéciales18. Les dossiers de Joseph Barthélémy, Georges Dayras et de Maurice Gabolde devant la Haute Cour de Justice sont aussi à signaler car ils contiennent des pièces originales ou des copies de documents majeurs dans l’histoire de la justice sous le gouvernement de Vichy, et plus particulièrement des ensembles de pièces relatives aux sections spéciales19. Enfin les archives des autorités d’occupation en France (sous-série AJ40, archives du Militärbefehlshaber in Frankreich) renferment des dossiers relatifs à la propagande communiste ou à la répression du communisme20.
14L’arrêté du 24 décembre 2015 portant ouverture d’archives relatives à la Seconde Guerre mondiale a permis l’ouverture anticipée de ces archives de juridiction et du ministère de la justice par une dérogation générale au délai de 75 ans fixé par le Code du patrimoine, concernant directement les fonds de la répression judiciaire mais aussi de l’épuration.

Fig. 3. – Stencil du journal clandestin Le métallo. Archives nationales, fonds de la section spéciale de la cour d’appel de Paris, Z/4/144, dossier 526, scellé 10. © Archives nationales/pôle images.
Les sources publiques après 1945
15Les archives de police judiciaire rendues librement communicables par ce même texte constituent une source encore à explorer pour l’histoire du communisme dans les années 1940 voire 1950. Plusieurs sous-séries des dossiers dits « des 15 000 », en référence à la numérotation par catégories de faits adoptée par la direction centrale de la police judiciaire à partir de 1940, comprennent des dossiers signalant des faits commis par des militants du Parti communiste clandestin ou attribués à des communistes, qu’il s’agisse de meurtres et assassinats (série 15205) ou d’attentats par explosifs (série 15207) ou enfin d’atteintes à la sûreté de l’État (série 15208). Des instruments de recherche détaillés sont en cours de rédaction pour révéler la richesse de ces séries a priori très peu exploitées par la recherche21. Cet arrêté d’ouverture porte également sur les dossiers de la direction de la surveillance du territoire du ministère de l’Intérieur (DST), dont une partie importante est entrée aux Archives nationales dans le courant de l’année 2016 à la faveur de cette dérogation générale. Certains de ces dossiers concernent des membres du Parti communiste surveillés dans les années 1940 et 1950. Un instrument de recherche unique donne depuis le printemps 2017 accès aux 17500 dossiers répartis dans quatorze versements22.
16Outre les dossiers de la DST, les fonds de la surveillance trouvent leur prolongement pour l’après-guerre et en particulier pour la période de la guerre froide dans les archives de la direction centrale des renseignements généraux conservées en cotation continue23. Ces archives sont constituées de milliers de dossiers individuels ou de dossiers concernant des associations, mouvements, partis, etc. Il est à noter que les versements conservés aux Archives nationales sont loin d’être exhaustifs : il reste encore à la direction générale de la sécurité intérieure un volume important de dossiers de la DST datant de la Seconde Guerre mondiale ou postérieurs. Les versements des renseignements généraux courent jusqu’au tout début des années 2000 pour certaines sections24. Les dossiers postérieurs sont à rechercher par l’intermédiaire de la mission des Archives nationales au ministère de l’Intérieur. Ces archives produites par l’administration centrale du ministère doivent par ailleurs être croisées avec les versements effectués par les directions régionales des renseignements généraux auprès des archives départementales et aux archives de la préfecture de police de Paris dans le cas de la capitale.
17Les délais de communicabilité fixés par le Code du patrimoine portent sur ces dossiers, plus particulièrement le délai de 50 ans à dater du document le plus récent pour protéger la vie privée des personnes ou la sécurité publique, et le délai de 75 ans applicable à des enquêtes de police judiciaire ou des affaires portées devant les juridictions. Dans ce cas il faut en passer par une demande de dérogation pour obtenir l’accès total ou partiel à ces dossiers, accès qui est autorisé par le ministère producteur des fonds ou son héritier. Il faut avoir à l’esprit, pour la période postérieure à la Seconde Guerre mondiale, le cadre imposé également par la réglementation concernant la protection du secret de la défense nationale (Instruction générale interministérielle n° 1300 dans sa version de novembre 2011)25 ; ainsi les dossiers de la guerre froide comptent-ils de nombreux documents classifiés « Secret-défense » par les services antérieurs à la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ou par la DST qui doivent faire l’objet d’une procédure de déclassification avant toute consultation.
18Enfin la mise en ligne des instruments de recherche et des documents d’archives numérisés doit respecter le cadre institué par la loi de juillet 1978 relative à l’informatique et aux liberté ou loi CNIL. Ainsi des inventaires citant le nom de chaque personne ayant fait l’objet d’un dossier de surveillance ou d’une procédure judiciaire, ou des documents faisant état de condamnations ne peuvent pour l’instant pas être mis en ligne sans autorisation spécifique.
19Citons également pour mémoire les fonds des chefs de l’État et papiers présidentiels, depuis les archives du chef de l’État français cotée 2AG, jusqu’aux archives de la présidence de Nicolas Sarkozy cotées AG/5 (6), et des services du Premier ministre qui peuvent éclairer la thématique. À ce titre, ce sont sans doute les fonds Charles de Gaulle (3AG et AG/5 (1)), Georges Pompidou (AG/5 (2)), Valery Giscard d’Estaing (AG/5 (3)) et François Mitterrand (AG/5 (4) et dont les premiers instruments de recherche sont disponibles en ligne) qui sont les plus riches. Les fonds présidentiels les plus récents (archives de François Mitterrand, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy) sont encadrés par des protocoles de versement qui régissent l’accès à ces archives, sur autorisation d’un mandataire ou du signataire dudit protocole.
Archives privées du communisme
20Les Archives nationales conservent plusieurs fonds d’archives d’origine privée reflétant l’activité de personnes physiques ou morales engagées dans le communisme. Une trentaine de fonds privés présentés dans le plan d’orientation général disponible sur le site internet des Archives nationales répond à la recherche par mot-clé « communiste » ou « communisme ». Il peut s’agir d’archives d’associations ou de syndicats (Groupement de l’industrie métallurgique de la région parisienne, 39AS, Union nationale des étudiants de France, UNEF, 46AS). Parmi les archives personnelles, se détache le fonds Maurice Thorez et Jeannette Vermeersch, 626 AP26. Ce fonds entré par donation des héritiers en 2002 représente 449 cartons (un peu plus de 63 mètres linéaires) organisés suivant le plan de classement donné par Maurice Thorez lui-même à ses archives. Il reflète toute l’envergure de l’activité du couple Thorez-Vermeersch, au sein du Parti communiste, comme élus ou dans l’exercice de mandats ministériels. Les archives d’Henri Rol-Tanguy (672 AP, 115 articles) ont été confiées aux Archives nationales par son épouse en 2006. Elles recouvrent son parcours d’apprenti puis d’ouvrier métallurgiste avant 1936, son engagement au service de la République espagnole, la Résistance, et sa vie après 1945 dans l’armée de métier comme ses fonctions au sein du Parti communiste et dans le monde associatif. Ces archives sont caractérisées par le mélange de « documents originaux, contemporains des événements, et des documents postérieurs, tels que des articles de presse, des dossiers documentaires, des notes de lecture et des observations manuscrites27 ». Citons encore le fonds Charles Fiterman (706AP, versements 20070366 et 20120080, 7 mètres linéaires), entré par don entre 2005 et 2012. Ses archives couvrent la période 1963-1994, et traitent plus spécifiquement des instances décisionnelles du Parti communiste, de la section économique et de la section propagande et communication du comité central, des relations internationales, du suivi des élections et des relations avec les partis de gauche.
21Les archives privées peuvent être soumises à autorisation de consultation et de reproduction ; ce régime est défini fonds par fonds, dans le contrat qui a encadré l’entrée du fonds aux Archives nationales.
22Afin de s’orienter dans ces fonds, le chercheur pourra consulter avec profit plusieurs outils disponibles sur le site internet des Archives nationales dans la salle des inventaires virtuelle inaugurée en 2013 et depuis profondément remaniée et enrichie. La rubrique « parcourir les fonds » présente les séries du cadre de classement et les fonds privés ; les fiches d’aide à la recherche dans la rubrique du même nom offrent des explications répondant à des recherches type précises ; les notices du référentiel des producteurs doivent à terme permettre un accès plus facile à tous les instruments de recherche décrivant les dossiers d’une même direction conservés dans des versements distincts ; enfin les instruments de recherche à proprement parler exposent de façon plus ou moins détaillée l’analyse du contenu de chaque boîte et rappellent les conditions d’accès attachées à ces documents. Ces outils permettront de compléter ce bref aperçu des sources conservées par les Archives nationales concernant un champ de l’histoire politique et sociale remarquablement documenté par les archives de la surveillance et de la répression d’une part, et les fonds privés d’autre part.
Notes de bas de page
1 Pour une présentation globale du projet : [https://anrpaprika.hypotheses.org/].
2 Challéat-Fonck Violaine et Charrier Émilie, « Circulation des exemplaires originaux de tracts, affiches et papillons de propagande communiste dans les fonds de l’Intérieur (direction de la Sûreté) et de la Justice (Sections spéciales et Direction des affaires criminelles et des grâces) entre 1920 et 1944 », communication au colloque Un parti global. Le Parti communiste français dans une perspective transnationale (1917-1991), Maison des sciences de l’homme de Dijon, 25-27 mai 2016, actes à paraître aux Éditions universitaires de Dijon.
3 Le Clech-Charton Sylvie, « Sortir de la guerre froide : le fonds de Moscou aux Archives nationales », in Patricia Gillet (dir.), Sortir de la guerre, Paris, édition électronique du Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS), 2013, p. 97-109 ; Cœuré Sophie, La mémoire spoliée. Les archives des Français, butin de guerre nazi puis soviétique, de 1940 à nos jours, Paris, Payot, 2006, 270 p. (réédité dans la Petite bibliothèque Payot, 2013, 384 p.) ; Leblay-Kinoshita Anne, « Le fonds de Moscou : voyage et constitution d’un fonds d’archives au travers de l’Europe et des siècles », in La philosophie et l’archive, cycle de conférences organisé par le Collège international de philosophie, Paris, 21-23 avril 2016, Paris, L’Harmattan, 2017 ; Charrier Émilie, « Les archives de la direction de la Sûreté : l’après Moscou », in Les archives rapatriées de Russie, traitement, exploitation, valorisation, colloque organisé par le Service historique de la défense, Vincennes, 8 novembre 2016, actes à paraître aux Presses universitaires de Rennes en 2019.
4 Sur cette dénomination, se reporter à la synthèse la plus récente au sujet des archives de la direction de la Sûreté proposée par Charrier Émilie, « Les archives de la direction de la Sûreté : l’après Moscou », op. cit.
5 Ibid.
6 Ibid.
7 Voir la fiche d’aide à la recherche disponible en ligne sur le site des Archives nationales intitulée « Le fonds de Moscou : recherche d’un dossier nominatif » et la consultation de l’instrument de recherche FRAN_IR_050044 Fichier central de la Sûreté nationale : dossiers individuels (fin xixe siècle – 1940) [https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_050044], consulté le 5 septembre 2017 ; Archives nationales, Archives de la direction de la Sûreté restituées par la Russie, Fichier central de la Sûreté, Répertoire alphabétique des dossiers conservés dans les versements 19940432 à 19940492, première édition électronique, 2014, 84 p.
8 Archives nationales, Archives de la direction de la Sûreté restituées par la Russie, Sommaire thématique détaillé des versements 19940493 à 19940504 et 20010216, première édition électronique, 2014, 94 p.
9 Archives nationales, Répertoire méthodique Surveillance du Parti communiste français par la direction de la Sûreté nationale du ministère de l’Intérieur sous la IIIe République, 2016 ; [https://www. siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_050130], consulté le 5 septembre 2017.
10 Archives nationales, Répertoire numérique détaillé Dossiers du coffre dit « Fonds Panthéon », [https:// www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_001318], consulté le 3 septembre 2017.
11 Charrier Émilie, « Les Archives nationales facilitent l’accès à plus de 600 000 dossiers individuels de surveillance de la Sûreté nationale de l’entre-deux-guerres », [http://anrpaprika.hypotheses. org/3221], consulté le 3 septembre 2017.
12 Archives nationales, versements 19790587, 19790645, 19790718, 19790746, 19800016, 19800051, 19800091, 19800131, 19800281, 19800271, 19800342, 19800384, 19800448 et 19800501. Répertoire méthodique Intérieur ; Direction générale de Sûreté nationale ; Fichier de police administrative (1940-1949), [https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/ FRAN_IR_054192], consulté le 3 septembre 2017.
13 Sansico Virginie, La justice déshonorée, 1940-1944, Paris, Tallandier, 2015, 623 p.
14 Challéat-Fonck Violaine, introduction au répertoire numérique détaillé Section spéciale de la cour d’appel de Paris (1941-1944), publié en 2016, [https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/ siv/IR/FRAN_IR_054916], consulté le 3 septembre 2017.
15 Challéat-Fonck Violaine et Bouvier Christophe, « La répression du communisme par le gouvernement de Vichy à travers le fonds de la section spéciale de la cour d’appel de Paris (1941-1944) », séminaire Archives et histoire du communisme : l’anticommunisme, figures, idées, pratiques de l’ANR Paprik@2F.
16 Ibid.
17 Notamment BB/18/3558 et 3559 Sections spéciales ; BB/18/7005 à 7072 : Dossiers 2 BL 1 à 4918 Presse, délits d’opinion, activités subversives (communistes, résistants), 1939-1945 ; BB/18/7074 à 7078 : Dossiers 4 BL 1 à 37 Dissolution du Parti communiste, 1939-1941 ; BB/18/7051 à 7059 Sections spéciales créées par la loi du 14 août 1941, classement par cour d’appel (BB/18/7055 et 7056 pour la cour d’appel de Paris).
18 En particulier BB/30/1718 à 1720 Juridictions spéciales : Cour suprême de justice, sections spéciales, Tribunal d’État.
19 Cotés respectivement 3W/54, 3W/144 et 3W/178-179.
20 Archives nationales, La France et la Belgique sous l’occupation allemande 1940-1944. Les fonds allemands conservés au Centre historique des Archives nationales, Paris, Centre historique des Archives nationales, 2002.
21 Archives nationales, versements 19870802, 19880042 et 19880206.
22 Archives nationales, Intérieur ; Direction générale de la Sûreté nationale ; Direction de la Surveillance du territoire, répertoire numérique des versements 19990306, 20020081, 20030297, 20050136, 20060011, 20070101, 20070232, 20070615, 20080271, 20090153 ; [https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_054663], consulté le 3 septembre 2017.
23 Archives nationales, versement 20030515 comprenant 1700 dossiers environ.
24 Archives nationales, versement 20070237 concernant les membres de l’extrême-gauche (1967- 1995) ; versements concernant les personnalités du monde politique, économique et culturel (1940-2000) : 19800280, 19810440, 19820605, 19850085, 19980056, 19980221, 20000021, 20000388, 20010525, 20030327, 20030515, 20050137, 20060012, 20070380, 20080537, 20100166, 20100171, 20120156, et 20120238 ; versements 19860510 et 19980419 concernant des journalistes et organes de presse (1944-1984).
25 Arrêté du 30 novembre 2011 portant approbation de l’instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale : [https://www.legifrance.gouv.fr/ affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000024892134&categorieLien=id], consulté le 1er septembre 2017.
26 Archives nationales, Fonds Maurice Thorez et Jeannette Vermeersch (XXe siècle), répertoire numérique détaillé, [https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_003552], consulté le 3 septembre 2017.
27 Archives nationales, Fonds Henri Rol-Tanguy (1908-2002), répertoire numérique détaillé, [https:// www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_027979], consulté le 3 septembre 2017.
Auteur
-
Violaine Challéat-Fonck
Conservatrice en chef du patrimoine au département de la Justice et de l’Intérieur (Archives nationales).
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008