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    Plan détaillé Texte intégral La guerre comme nouvel horizon Le ravitaillement, une autre mobilisation prioritaire La belligérance des communautés villageoises Notes de bas de page Auteur

    Les fronts intérieurs européens

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    La mobilisation au village

    Le cas des communautés villageoises de l’Allier et du Puy-de-Dôme en guerre

    Aline Fryszman

    p. 211-230

    Texte intégral La guerre comme nouvel horizon La résolution du départ et la séparation L’étreinte de l’anxiété L’information officielle transmise au village Le village des rumeurs Le ravitaillement, une autre mobilisation prioritaire La préfecture acteur clef de l’intervention de l’État Les femmes au travail et à la peine Des solutions d’entraide villageoise et des aides extérieures ponctuelles Tensions et dissensions au village La belligérance des communautés villageoises Les représentations du conflit Une reconfiguration permanente de la belligérance des communautés villageoises La sortie de guerre au village : sacrifices et deuils Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1« Matériellement, nos vies et nos biens sont en sécurité grâce à vous tous, et ici personne ne se plaint. Tout le monde travaille beaucoup, presque tout se fait, on en est même étonné, tant de bras manquent pourtant1. » Une habitante du département de l’Allier décrit ainsi, après huit mois de guerre, le quotidien d’un village anxieux et au travail. Cette mobilisation des fronts intérieurs tend à trouver un intérêt renouvelé dans l’étude de la Première Guerre mondiale, mais le monde rural en reste encore le parent pauvre, malgré des recherches suggestives2.

    2En août 1914, la guerre entre brusquement dans le quotidien des Français, y compris dans une région rurale comme l’Auvergne pourtant si éloignée du front occidental. Elle projette des hommes loin de leur cadre de vie villageois et bouleverse toutes les activités. Elle crée un univers anxiogène qui relève des deux obligations faites aux villages. D’une part, comme le reste de la nation3, fournir des combattants, un engagement à la source de l’anxiété et de l’attente continuelle de nouvelles qui n’ont pas quitté les familles jusqu’à la fin du conflit. D’autre part, alimenter armée et populations civiles, une tâche qui redouble l’anxiété d’une responsabilité économique, patriotique et familiale, puisqu’il s’agit de répondre aux réquisitions agricoles mais aussi de faire vivre la ferme ou le commerce sans les hommes. Ce cadre donne lieu à une intervention nouvelle de l’État, dès août 19144.

    3Les départements de l’Allier et du Puy-de-Dôme sont très tôt républicains, dès 1848, et ont élu en 1914 des députés radicaux et socialistes, l’Allier étant plus « rouge ». La région reste profondément marquée par la vie rurale au village. La petite ville industrielle est proche. Les mineurs ou les ouvriers de Montluçon et de Commentry sont souvent aussi ouvriers agricoles comme d’autres de la firme Michelin à Clermont-Ferrand. Pour l’ensemble de l’Auvergne, deux tiers des conscrits de la classe 1911 étaient issus d’un monde rural déjà touché par la déprise démographique qui sera accentuée par les pertes dues au conflit5.

    4Ce monde des villages subit l’ordalie de la guerre. Pour l’étudier, les correspondances de guerre de familles du monde rural, notamment de cultivateurs6, peuvent être particulièrement sollicitées, en portant le regard sur le village et non sur l’expérience du front habituellement favorisée. La famille Melin offre une riche correspondance croisée. Albert est instituteur à Montluçon, sa femme Noémie s’est installée, dès le début de la guerre, chez son père cultivateur au village de Thizon. Autre milieu, celui d’un couple de cultivateurs du Puy-de-Dôme : Laurent Petoton, un catholique pratiquant, est un cultivateur soucieux de modernisation agricole. Il correspond avec sa femme qui s’occupe de leur ferme au village d’Artonne. Cette étude a aussi privilégié les papiers de Benoît Dumont, déposés au nouvel Historial du Paysan-soldat de Fleuriel7. Ce cultivateur de la classe 1904, à l’orthographe très hésitante, écrit environ tous les trois jours à sa femme au village de Liernolles, dans la Sologne bourbonnaise. Tous les deux appartiennent à un milieu très modeste, la veuve fut considérée comme indigente au décès de son époux8. Enfin, le témoignage précieux d’Émile Guillaumin est accessible grâce à l’édition récente de sa correspondance par Nadine-Josette Chaline. Authentique cultivateur et écrivain reconnu depuis la parution en 1904 de La vie d’un simple, il est âgé de 41 ans en août 1914 quand il quitte son village d’Ygrande dans le bocage bourbonnais. Les archives préfectorales et municipales renseignent également sur l’organisation de l’effort de guerre et la manière dont les autorités ont perçu le moral des populations. On dispose aussi du bulletin de la société d’agriculture de l’Allier, aux mains des gros propriétaires terriens. Pour le Puy-de-Dôme, ce sont les notes prises par les instituteurs qui peuvent enfin compléter l’éclairage sur l’opinion de leur commune.

    5Dès lors, il s’agit ici de mesurer les phénomènes de mobilisation au village en réfléchissant aux rapports complexes entre mobilisation sociale, cultures de guerre9 et belligérance d’une population rurale10. Trois pistes ont été retenues, la manière dont les villages se sont adaptés à l’épreuve de la guerre, leur mobilisation pour assurer la production agricole et l’évolution de leur belligérance.

    La guerre comme nouvel horizon

    La résolution du départ et la séparation

    6À Ygrande, chez Guillaumin, deux gendarmes à cheval apportent, le 1er août, l’ordre de mobilisation au maire qui ordonne aussitôt de faire retentir le tocsin, précipitant au bourg la population venue aux nouvelles. L’entrée en guerre s’est réalisée le plus souvent avec calme et résolution. Comme ailleurs, apprécier les réactions à l’échelle du département est relativement aisé grâce aux rapports des préfets et à la presse11, sans qu’il soit toujours facile d’isoler la situation du monde rural. Le préfet synthétise une attitude globale, mais connaît par les sous-préfectures et les postes de gendarmerie, celle des populations villageoises. Dans l’Allier, il note que « la population conserve toujours le plus grand calme et reste animée du plus net esprit patriotique12 ». Dans le Puy-de-Dôme, le préfet relève « un sang-froid admirable[, ] le calme est absolu13 ». Les notes des instituteurs, au contact direct des villages, confirment l’impression générale. D’après celui de Saint-Bonnet-le-bourg, dans le Livradois, « la population calme, et pleine de confiance, accueille la nouvelle de la guerre sans récrimination. Les hommes mobilisables s’interpellent amicalement14 ». Dans la région de Pontgibaud, « la mobilisation s’est effectuée dans le plus grand calme. L’esprit des mobilisés et celui de la population ont été vraiment admirables15 ». L’institutrice du village de Verrières relève l’optimisme des mobilisés : « Ils pensent que la guerre ne sera pas de longue durée. On entend des cris : “Vive la guerre — À Berlin !” […] Les familles des mobilisés se lamentent et maudissent Guillaume16. » Le calme a prévalu et la résolution patriotique n’a que rarement donné lieu à ce genre de manifestations d’enthousiasme.

    7Le départ des mobilisés bouleverse les structures familiales et villageoises. Ce sont les hommes de la ferme, les élus, les instituteurs, les employés de mairie, les artisans et commerçants, ou bien encore les curés qui cessent leurs activités. Dans le Bourbonnais, plus de quatre-vingts paroisses se séparent ainsi de leur desservant17. Au départ des hommes s’ajoute la réquisition des chevaux et des mulets qui vont manquer aux travaux agricoles. Ils doivent être conduits à la ville de garnison, avec longe et ferrure en bon état ! La mobilisation et les difficultés matérielles viennent nourrir l’anxiété qui saisit dès le premier jour le village.

    L’étreinte de l’anxiété

    8Elle transpire dans les correspondances et ne disparaîtra pas avant le 11 novembre 1918 constituant alors une délivrance18. Dans sa première lettre (fig. 1a et b), Benoît Dumont redoute l’angoisse de sa jeune épouse de vingt ans : « Ne te fais pas de mauvais sang nous somme pas trop mal il fait assez beau […] je suis toujours avec les pays que je suis partie19. » Il quitte sa petite patrie20, pour rejoindre Gap. Ce n’est pas son premier voyage puisqu’il a effectué son service militaire à Béziers dix ans auparavant21. Il prend soin fréquemment d’indiquer à sa femme, et notamment dans les premiers mois, le nom de ses copains du « pays » avec qui il partage cette expérience inconnue. Une indication qui la rassure.

    Figure 1a et b. – Première lettre (et son enveloppe) de Benoît Dumont à sa femme Claudine, 8 août 1914.

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    Source : Historial du paysan-soldat de Fleuriel (Allier).

    9Ainsi sa lettre du 10 septembre 1914 : « Je tai parler de Longeot mes il y en a encore deux autres du pays […] en sort toujour ensemble et aussitôt qu’un sest quelque chose en se le raconte est en se fait toujour pas de bil tous ensemble. » Le « pays » relève ainsi d’une géographie vécue, presque infra-cantonale. Ses camarades22 de Jaligny, Luneau ou Neuilly-en-Donjon habitent dans un périmètre d’une vingtaine de kilomètres autour de son village de Liernolles. Sa femme est d’ailleurs originaire du Donjon, à dix kilomètres. Citer d’autres soldats c’est aussi lui indiquer des familles, sources d’informations possibles. Les correspondances privées sont ainsi partagées au sein de cercles familial, amical et de voisinage. On lit facilement tel extrait d’une lettre quand il est question du village.

    L’information officielle transmise au village

    10Les temps troubles sont propices à la rumeur23 qui se diffuse auprès de populations en plein désarroi et facilement crédules, au grand dam de l’autorité préfectorale et du gouvernement, soucieux du maintien du moral. À Moulins, dès le 3 août, le préfet réclame au ministère de pouvoir publier quotidiennement des nouvelles : « La seule inquiétude qui se manifeste est l’absence absolue de nouvelles officielles ; de ce fait les rumeurs les plus diverses finissent par s’accréditer. L’on incrimine l’administration de retenir les télégrammes, de crainte d’affoler la population24. » Cette demande locale, sans doute démultipliée à l’échelle du pays, fait réagir le ministère. Le soir même, à Moulins, le préfet fait afficher et distribuer à la presse un premier télégramme de nouvelles accueillies « avec joie par le public car elles ont permis de couper court à toutes les rumeurs propagées, et de dissiper le cauchemar occasionné par l’absence de communications officielles25 ». La mesure est prescrite le lendemain à toutes les communes. Le préfet de l’Allier redouble cette médiatisation au village, par voie d’affiche placardée dans la nuit et par avis publié « à son de caisse à la première heure aux populations qui l’ont accueilli partout au cri “vive la France”26 ». L’annonce « a produit une excellente impression sur la population de tout le département27 ». Désormais le Bulletin des communes est placardé à la mairie (fig. 2).

    11Dans cet exemplaire publié pour le département du Puy-de-Dôme, un encart a été ajouté pour combattre des rumeurs locales. Dès lors, malgré le caractère laconique des communiqués, la mairie est, au village, le lieu névralgique de l’échange d’informations, comme le sont en ville la préfecture ou la sous-préfecture et les salles des dépêches. Dans les premiers jours, des nouvelles optimistes provoquent l’enthousiasme et alimentent l’espoir d’une victoire rapide. Dans l’Allier par exemple, « la population a appris avec beaucoup d’enthousiasme la nouvelle d’entrée des Français en Alsace et l’occupation de Mulhouse28 », le lendemain de la prise de la ville. Elle est à nouveau aux mains des Allemands le 10 août mais cette mauvaise nouvelle n’est pas annoncée. Parfois, l’information inquiète plus qu’elle ne rassure, pointe le préfet : « La phrase suivante : “La grande bataille et engagée du Donon à Maubeuge. C’est d’elle que dépend le sort de la France et de l’Alsace avec elle” a vivement impressionné le public qui, aussitôt, s’est mis à en commenter, avec véhémence, le sens29. »

    Le village des rumeurs

    12Les dépêches officielles n’ont évidemment pas fait cesser rumeurs et fausses nouvelles. « Pendant quatre ans et plus, partout, dans tous les pays, au front comme à l’arrière, on les vit naître et pulluler ; elles troublaient les esprits, tantôt surexcitant et tantôt abattant les courages » relevait, en 1921, l’historien Marc Bloch qui soulignait en particulier combien la censure des journaux avait provoqué « un renouveau prodigieux de la tradition orale, mère antique des légendes et des mythes30 ». Un phénomène amplifié à l’échelle du village où les nouvelles parviennent sinon plus tardivement, du moins par des sources détournées. Elles arrivent de la ville qui accueille par convois entiers ses premiers blessés, plus de mille reçus en deux jours à Vichy31. Dans un moment où personne n’a de nouvelles des siens et des événements, les blessés portent la réalité d’une guerre massivement meurtrière.

    Figure 2. – Bulletin des communes, 27 août 1914.

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    Source : AD Allier, 1 M 718, police – état d’esprit des populations. Le préfet de l’Allier a demandé à son homologue du Puy-de-Dôme de lui envoyer un exemplaire de sa publication départementale, à titre de modèle.

    13Les soldats véhiculent aussi des fausses nouvelles. Ainsi Benoît Dumont écrit-il depuis les Basses Alpes à sa femme : « Je te dirait qu’on reçoie de bonne nouvel les français avance toujours en prusse32. » Elle fait part des bruits qui circulent au village : « Il en à que disent que vous allais tout être rentré le jour de noël mes personne le sait, pour moi je le croit guère33. » Noémie Meulin croise les informations à sa disposition cherchant à se rendre compte de la réalité des combats et des conditions de vie de son époux : « Peut-être as-tu fait connaissance avec ces fameuses tranchées. Je lis maintenant fiévreusement les communiqués officiels pour savoir s’il ne s’est rien passé de ton côté. Je respire mieux quand je vois que ce sont des duels d’artillerie ou que c’est calme34. » Quelques mois plus tard, elle précise encore : « Je cueille dans les journaux, dans les conversations ce que je peux, mais pour avoir une conclusion, c’est impossible et il est probable qu’à l’heure actuelle, personne ne sait quand, ni comment nous sortirons de là35. »

    14Le village vit au rythme de la réception des courriers. « Ce sont tes lettres qui règlent pour moi la durée du temps, indique Noémie Melin à Albert, quand je n’en ai pas les journées me paraissent interminables et quand j’en ai je voudrais être à demain pour savoir encore36. » Malgré ce climat, il faut assurer le travail.

    Le ravitaillement, une autre mobilisation prioritaire

    La préfecture acteur clef de l’intervention de l’État

    15Dès le départ, le ministère a encouragé la prise d’initiative des préfets. Dès le 6 août 1914, la première préoccupation de celui de l’Allier est le ravitaillement. Il prend des mesures pour favoriser les récoltes et le battage des grains, crée un office de placement pour des « ouvriers urbains inoccupés37 ». Une commission agricole préfectorale a été instaurée pour rechercher de la main-d’œuvre et assurer le ravitaillement de la population38. Les élus, députés et sénateurs, participent à ses travaux et la situation semble plutôt favorable dans l’Allier. Mais le préfet reste très soucieux, craignant les mauvais temps :

    « [Ils] vont contrarier l’enlèvement des récoltes et retarder les battages. […] Dans toutes les communes, tout le monde s’y employait avec la plus louable activité et je ne désespère pas, malgré les conditions climatiques défavorables, de mener à bien cet important travail qui avait été si bien et si patriotiquement commencé par tous39. »

    16Il s’inquiète aussi des opérations de réquisitions réalisées par l’autorité militaire. Une nouvelle a eu lieu dans les cantons de Moulins et de Vichy40. Ses modalités ont été vivement critiquées par les élus qui ont saisi le préfet. Et le préfet, en « interprète des doléances des cultivateurs […] pleinement justifiées », de conter le périple de ces 3000 cultivateurs, partis à pied dans la nuit41 de leurs communes parfois distantes de vingt kilomètres de Moulins, « accompagnés de leurs familles, avec leurs chevaux, carrioles, charrettes et voitures de toutes formes et de toutes catégories. Sur ces 3000 voitures et chevaux, 50 seulement devaient être réquisitionnés ! » Au total, deux jours de travail perdus et des frais engagés. Le préfet suggéra de s’appuyer désormais sur les maires. Ainsi, il apparaît comme celui qui facilite la production agricole, comme le relais entre les villageois et les autorités civiles et militaires.

    17Désorganisées par la mobilisation, les municipalités suppléent au mieux l’État. On l’a vu, elles relayent les communiqués officiels. Elles gèrent aussi les allocations délivrées aux familles sans ressources comme Claudine Dumont : « J’aie été touché ma paye hier soir à la mairie j’ai touché 35 F les autres aussi, sa fait bin pas beaucoup mes sa fait plaisir, je pourrais t’envoyer des étrennes pour l’an, j’aimerais bin mieux te les donné au lieu de les envoyait, en croyait de toute touché mes il en manque beaucoup en et dans les 15 qui touche il a que moi des femmes quand pas d’enfants42. » Par la loi du 5 août 1914, une allocation journalière est versée aux familles pauvres dont le « soutien de famille » est mobilisé, à raison d’un franc et 25 centimes par jour43. La jeune femme a donc perçu en novembre une première allocation correspondant à un versement mensuel là où elle espérait sans doute une somme couvrant les quatre mois écoulés. On sent chez elle une gêne à n’être que la seule épouse sans enfant à toucher une aide. C’est aussi au maire que l’on s’adresse en l’absence prolongée de nouvelles, ce que fait Claudine Dumont quand elle ne reçoit plus de lettres de son mari en octobre 191544.

    Les femmes au travail et à la peine

    18Dans son message du 2 août 1914 adressé aux femmes, le président du Conseil les a conviées à un engagement patriotique sur le front intérieur45. Elles cherchent donc à soulager la peine des soldats. D’abord en écrivant autant que possible, quotidiennement bien souvent, ensuite en préparant des colis, un autre lien affectif. Les correspondances familiales sont emplies de propositions d’envoi de toutes sortes. « De quoi peuvent-ils bien manquer ? », s’interroge-t-on au village. En septembre 1914, les premiers colis privilégient souvent des denrées alimentaires. « Je suis bien contente quand tu me demande quelque chose que je peux t’envoyer », précise Claudine Dumont en proposant passe-montagne, cache-nez, bas ou allumettes. Parfois le soldat est prescripteur, tel Laurent Petoton qui demande régulièrement des denrées ou des effets personnels46.

    19Les femmes ont dû aussi prendre des décisions pour la bonne marche de la ferme, des tâches réservées en général au chef de famille. Émile Guillaumin constate combien il lui est difficile de guider de loin sa femme : « Pour les foins : que veux-tu, je ne peux pas juger d’ici. Pépère et Charles seront bien à même d’apprécier d’ici quelque temps s’il est possible de vendre sans crainte qu’il fasse faute. Et alors, s’il en faut encore pour la réquisition, tu pourrais en profiter peut-être47. » Les paysannes assurent toujours les tâches féminines traditionnelles de la ferme (l’entretien du foyer, le soin de la basse-cour…) mais elles assument désormais le travail de la terre (labour, hersage et ensemencement, moissons, rentrée des foins)48. Une surcharge de travail qui inquiète Benoît Dumont49 en apprenant que sa femme, après s’être alitée le dimanche, s’est remise au travail, « en a labouré ce matin de deux charrues et tout les jours à présent que sa fait beau50 ». Son mari ne s’inquiète que plus tard des travaux agricoles, à la fin du mois de septembre 1914 quand il quitte les Basses-Alpes pour rejoindre le front et qu’il perd espoir d’une simple campagne militaire et d’un retour rapide. Il fait alors le compte des bras disponibles : un jeune passe « la visite » et donc va bientôt partir, l’autre est pour l’instant trop âgé : « Heureusement que antoine a plus de 35 ans autrement vous resterait pas nombreu mes enfin sil fait beau vous pourrait avoir un peu des semence de faite51. » En novembre, il s’inquiète de savoir comment sa femme va pouvoir assurer seule un travail d’homme : tuer le cochon le mois prochain. Il faut parer au plus pressé, quitte à négliger certains travaux, tel est le conseil de Laurent Petoton à propos des foins : « Je crois qu’avec le monde qu’il reste que il y en a qui ne se rentreront pas de bonne heure si les vignes peuvent venir sans sulfater et sans travailler ça leurs servira mais faites que ce que vous pourrez l’année prochaine on se rattrapera52. »

    20Dans l’Allier, 40 000 à 45 000 agriculteurs ont été mobilisés en 191453. Dès septembre, la Société d’agriculture se demande comment assurer la continuité des travaux agricoles d’autant que la crise de la main-d’œuvre agricole est ancienne. Dans ce département, les métayers54 souffraient déjà, avant-guerre, du départ des enfants vers la ville, et les domestiques manquaient également. En juin 1915, Émile Guillaumin écrit à sa femme : « Je comprends que les femmes demeurées seules veuillent tout abandonner à la Saint-Martin, elles auraient dû même le faire plus tôt55. » À l’automne 1915, quand il fallut redoubler d’efforts pour semer les céréales d’hiver – une pratique importante dans le Bourbonnais – le découragement et la fatigue saisirent certaines. Selon la société d’agriculture, 20 % des exploitations rurales étaient désertées par les métayers et les fermiers dans des cantons56.

    Des solutions d’entraide villageoise et des aides extérieures ponctuelles

    21Dès le 8 août 1914, le ministre de l’Agriculture, Fernand David, avait préconisé le travail de tous, « les enfants et les jeunes de moins de 20 ans, les femmes et les jeunes filles, les hommes exemptés ou réformés et ceux dont l’âge dépasse 48 ans57 ». Le recours renforcé au travail des enfants aggrave l’absentéisme scolaire58. Selon une institutrice de la région de Pontgibaud, les plus grands ont été employés aux travaux des champs, les tout petits, depuis l’âge de quatre ans, gardaient les vaches et les moutons59. Des initiatives d’entraide sont venues des communautés villageoises. À Neschers (Puy-de-Dôme), la municipalité engage les habitants à se soutenir mutuellement pour terminer les travaux agricoles, « les Dames de la Commune » se proposant de garder les enfants de celles qui devront moissonner. À Lapeyrouse dans les Combrailles, le chef de gare met à disposition ses employés pour aider les agriculteurs. Ces solutions de fortune ne peuvent enrayer le manque de bras, mais elles ont contribué sans doute à soutenir l’effort collectif. Les travaux se sont réalisés à peu près normalement en 1914. Plus tard, à l’été 1915, on a fait appel aux militaires restés dans la région60, mais les effectifs octroyés sont bien inférieurs au besoin : 240 soldats pour 3500 demandés par les communes de l’Allier. Une soixantaine d’équipes supplémentaires de quinze hommes viennent ensuite en renfort, soit 900 soldats environ61. Ensuite des prisonniers de guerre ont été employés, malgré une forte méfiance des populations rurales à leur égard62. Mais cette main-d’œuvre s’est révélée efficace, ce qui a levé les réticences. Toutefois, là encore, les contingents ont été faibles (420 prisonniers de guerre employés dans l’Allier, en juin 1915). Des blessés et des mutilés convalescents des centres de physiothérapie de Vichy et Yzeure sont aussi sollicités (480 hommes à l’été 1916, employés en moyenne vingt jours)63. Enfin, la même année, l’aide est venue de la main-d’œuvre agricole étrangère. Dans le Puy-de-Dôme, avec l’aide du syndicat départemental agricole, 200 ouvriers espagnols sont recrutés en mars-avril 1915 mais ces saisonniers ne restent pas et vont chercher ailleurs une meilleure place64. Enfin, dès qu’il est en permission65, le soldat-paysan travaille à la ferme. Il peut aussi bénéficier de rares permissions agricoles. Ainsi, Émile Guillaumin parti le 11 août 1914, obtient sa première permission en mars 1915, puis une semaine en août. Six mois plus tard, il revient du 5 au 16 mars 1916, et obtient deux permissions en juillet et en novembre66. Elles seront trois en 1917 et deux en 191867. En novembre 1917, il peut cumuler une permission de détente et une agricole, soit 23 jours mis à profit pour terminer les semailles. Au total, toutes ces solutions n’ont constitué que des palliatifs insuffisants et les ruraux ont souvent mal ressenti les demi-mesures obtenues, ou les annonces non suivies d’effets, tout ceci contribuant à un découragement, alors que dans le même temps, les industries travaillaient à plein rendement68.

    Tensions et dissensions au village

    22À l’échelle du village, l’union sacrée a fait long feu, les tensions politiques et sociales n’ont pas disparu. Dans l’Allier par exemple, le préfet est alerté par une institutrice de l’école publique de Neuvy qui subit des dénonciations anonymes qu’elle attribue au « parti clérical », une « fille de sacristain » lui reproche d’avoir demandé au préfet le renvoi au front du mari, un réformé temporaire, et la suppression de son allocation69. La guerre alimente une querelle vieille de dix ans par de nouveaux sujets de discorde comme l’embusquage70. Ailleurs, une institutrice de l’école libre de Saint-Géraud-de-Vaux dit subir « une machination de méchants […] en raison de [sa] profession71 ». Dénonciations et lettres anonymes semblent avoir été monnaie courante, même si les archives préfectorales en gardent des traces limitées. Les maires ont filtré ce type d’informations, éliminant à la source des plaintes sans objet. D’ailleurs, la plupart du temps, une enquête diligentée par la préfecture auprès de la gendarmerie ou du maire du village clôt l’affaire : on a exagéré des propos ou bien inventé une histoire72. Mais l’extrême nervosité révélée oblitère l’image d’un village dans l’union sacrée et la solidarité. Noémie Melin s’insurge contre ceux « qui mènent la vie joyeuse. […] Aller s’amuser quand les autres se font tuer pour vous protéger, il n’y a rien qui me fasse mal au cœur comme ça73 ». Un même sentiment semble avoir étreint Marie Guillaumin à la vue de la « petite animation de Bourbon [L’Archambault], les toilettes et le casino » et des « oisives qui se plaignent de la vie chère74 ».

    23Les tensions ont aussi des ressorts économiques. B. Dumont met en garde sa femme : « Tu me parle des vaches mes il faut pas vous lesser rouler par Michel car celle que vous aver vendue pour la réquisition elle et bien vendue et lui les voudrez presque pour rien mes si ca continue y veu pas bien en acheter enfin tacher donc de faire pour le mieu75. » Les répercussions de la guerre sur l’économie rurale sont mal connues76. Celle-ci connaît un afflux monétaire inaccoutumé grâce aux allocations, aux soldes militaires et à l’argent des réquisitions. Dans l’Allier, le prix du quintal de blé et celui du kilogramme de viande de bœuf ont triplé durant le conflit, il est multiplié par six pour le veau et le porc, mais l’inflation est générale et le revenu agricole n’a pas cru dans les mêmes proportions. Les paysans ont au moins réduit leur endettement et ont connu ici une « aisance mais non une richesse77 ».

    24Les clivages sociaux passés sont redessinés. Les relations se tendent entre les Melin et leur fermier. Ce dernier, dont le fils est mobilisé et manque à la ferme, demande un dégrèvement sur son fermage qu’il ne peut payer. Noémie Melin veut bien y consentir « en considération de la tristesse de l’heure présente » mais elle reste dubitative sur ses arguments économiques78 : « Les autres propriétaires n’ont pas fait de réduction et je constate que une fois pour une chose, une fois pour l’autre Poulet réclame toujours79. » Devenue rare, la main-d’œuvre est chère. E. Guillaumin s’en inquiète : « J’ai entendu dire déjà que les domestiques dans les loues demandaient 2000 francs pour l’année. Je pressens qu’à ce taux il ne doit pas se traiter bien de marchés80. »

    25Les tensions surviennent entre les villes et les campagnes. Sur les marchés des premières, l’exaspération éclate face à l’inflation des prix. En novembre 1915, des clientes du marché Saint-Pierre à Clermont-Ferrand, exaspérées par la hausse du prix du lait, de la farine ou des œufs, prennent à parti des fermières et leurs clientes81. Un ressentiment grandit de la ville à l’égard de campagnes82.

    La belligérance des communautés villageoises

    Les représentations du conflit

    26Les villages se sont approprié les schémas nationaux de représentation d’une guerre juste, menée en réponse à une agression allemande. Ils sont relayés par les élites du village ou celles de la région, et par la presse. À Ygrande, Marie Guillaumin va écouter une conférence de Puechmaille dont le thème semble avoir été, en octobre 1918, l’emprunt de guerre83. Les élites traditionnelles encadrent les œuvres de guerre. Dans les régions bourbonnaises de grande propriété foncière et de métayage, les châtelains gardent une forte emprise en s’appuyant sur l’Église et l’école libre. À Liernolles, Claudine Benoît rapporte que « la comtesse a acheté des gilets de laine », semble-t-il pour les prochains appelés84. La presse locale, amplement diffusée dans les campagnes, est un deuxième relais, cherchant à maintenir le moral et pratiquant le bourrage de crâne, minimisant les échecs ou informant avec retard85. Elle modère ensuite son zèle et dès 1916, « la lassitude, le découragement aidant, la presse finit par se faire l’écho des revendications de la population, en réclamant la vérité86 ». Cet encadrement est loin d’être rigide car la population a d’autres sources d’informations, les rumeurs – on l’a vu –, les soldats permissionnaires et bien sûr les correspondances, malgré la censure87. Les difficultés quotidiennes (afflux de réfugiés, puis de blessés, restrictions alimentaires) témoignent aussi de la réalité de la guerre.

    27Toutefois, la masse de la population villageoise ne semble pas avoir été très sensible à la question des buts de guerre88. Les mentions sont rares dans les correspondances. Laurent Petoton l’évoque dans une lettre très moralisante envoyée à ses enfants, leur demandant d’être sage « pendant que [leur] papa est à la guerre pour défendre [leur] bien être et [leur] liberté89 ». Reprenant le schéma du dernier conflit, Benoît Dumont est parti faire « la guerre à la prusse90 ». Guillaumin remplit son devoir tout en ayant la haine de la guerre91.

    Une reconfiguration permanente de la belligérance des communautés villageoises

    28On déplore de souffrir de la guerre mais celle-ci est vue comme une fatalité. « Le paysan traditionnaliste, par essence, supporte patiemment les événements, pourvu que ses intérêts matériels n’en souffrent pas trop92 », pense le sous-préfet de Montluçon. Au fond, le rapport à la guerre varie selon son impact sur la communauté villageoise, non sur une réflexion sur les objectifs du conflit. La résignation à faire son devoir a prévalu à l’été 1914. Elle se maintient malgré tout, à l’image de celle de l’instituteur Albert Melin : « J’avais accepté avec résignation mon triste sort, mais maintenant, plus je réfléchis, plus je songe au temps que peut durer notre séparation, plus je sens le découragement m’envahir. » Mais il est au fond, fataliste : « Je me ferai à ma nouvelle vie93. » La guerre s’installant dans la durée, Noémie Melin ne remet pas en cause le bien-fondé du conflit et maudit les Allemands « pour tout le mal qu’ils ont fait et font encore94 ». Un certain découragement a prévalu quand il a fallu reprendre une seconde fois les travaux sans les hommes, et en particulier les tâches de l’automne 1915. Mais, en février 1916, le préfet de l’Allier constate des « prix [agricoles] que cette région n’avait jamais connu. Les 2300000 francs, versés mensuellement par le Service des Allocations, ne font qu’accroître ce bien-être économique ; ils contribuent pour la plus large part à entretenir la confiance dans le calme ». En juin 1917, les campagnes connaissent la dépression du moral attesté dans l’ensemble du pays95. Le sous-préfet de Montluçon constate des « campagnes très énervées par la longue durée de la guerre et les racontars des permissionnaires96 ». Celui de Lapalisse y voit une marque de « l’ignorance plutôt qu’un manque de confiance ; d’une interprétation inexacte des buts et des conditions de la guerre plutôt que d’un mécontentement réel ; de la lassitude plutôt que du découragement » et ce, chez « les milieux les moins éclairés97 ». Un état d’esprit de « femmes et vieillards » exténués, d’après le préfet :

    « Que les foins puissent rentrer, que les battages soient assurés, que les denrées atteignent les prix attendus ; et que les labours d’automne soient favorisés par un recrutement meilleur et plus intensif de la main d’œuvre, et le malaise sera atténué dans une large mesure à la campagne98. »

    29En 1918, les campagnes sont désemparées à l’annonce des offensives ennemies mais l’espoir revient timidement en juillet, malgré des restrictions alimentaires plus fortes99. Mais les difficultés économiques plus graves qui touchent alors aussi les campagnes semblent mieux acceptées. Ce n’est qu’en octobre que la fin de la guerre paraît acquise avec la victoire.

    La sortie de guerre au village : sacrifices et deuils

    30Les campagnes ont connu la joie de la délivrance du 11 novembre victorieux, à l’annonce de l’armistice. Les cloches d’allégresse, sonnées à la volée, closent le temps des combats annoncé par le tocsin lugubre d’août 1914100. Mais les communautés villageoises sont profondément endeuillées ce qui provoque des tensions, comme à Tortebesse, une petite commune montagnarde où le maire s’est plaint de la désobéissance de jeunes gens, le soir du 11 novembre, refusant d’obtempérer à ses ordres de faire cesser, au bout de vingt minutes, « cette sonnerie joyeuse qui ravivait la douleur des nombreuses familles endeuillées par la guerre101 ». Dans le foisonnement commémoratif qui ritualise la sortie de guerre, la tristesse l’emporte. Dans le département du Puy-de-Dôme, 1125 fêtes et commémorations ont été organisées entre novembre 1918 et 1924 : fêtes de la victoire, du retour des combattants, réinhumations, cérémonies de la Toussaint, inaugurations de monuments aux morts. Autant de gestes qui relèvent de l’économie morale de la reconnaissance102. Si l’on exclut les grandes fêtes des villes de garnison et de préfectures, ces événements sont le plus souvent des fêtes de village. Les « fêtes des poilus » mettent en scène un retour collectif des combattants et apparaissent comme des rites de réintégration des combattants au village. Dans les discours, on se souvient, certes, des souffrances du monde rural pour ravitailler la nation mais c’est un héroïsme secondaire. On retient avant tout le poids du deuil qui pèse sur le village, les sacrifices consentis sont ceux des soldats, héros martyrs d’un conflit sanglant que le monument aux morts va désormais rappeler à tous103.

    *

    31Les villages ont donc vécu un double sacrifice, celui des soldats-paysans au front, celui des habitants restés au pays, rongés par l’angoisse et exténués de travail, parfois solidaires, ailleurs épiant les allocations des uns ou les sursis des autres. Le rôle du préfet et du maire est sans conteste à réévaluer104. Ils se sont beaucoup investis dans le sillage de l’intervention de l’État pour soutenir le travail agricole et le moral du monde rural. Avec des résultats parfois ténus, mais au fond, le ravitaillement n’a pas connu de crises majeures, hormis des pénuries sans conséquence grave. La belligérance villageoise semble assez semblable à celles des villes105, même appropriation des ressorts culturels d’une représentation de la guerre juste, un encadrement semblable par les élites et une variation de l’acceptation du conflit. Les questions matérielles ont joué un rôle essentiel : versement d’allocations, instauration des permissions, aides ponctuelles aux travaux agricoles, prix agricoles hauts. La spécificité villageoise réside dans un mécontentement latent plus prononcé, dans des communautés se jugeant plus défavorisées que les ouvriers retirés du front et percevant de bons salaires (ou jugés comme tels) tandis que le paysan souffre et meurt au front, et que le village s’éreinte à travailler coûte que coûte la terre pour nourrir la nation en guerre. D’où un désabusement, jamais suffisant pour remettre en question l’acceptation du conflit, mais porteur de ressentiment dans l’après-guerre.

    Notes de bas de page

    1 Archives départementales (AD) de l’Allier, 117 J (fonds Melin), lettre de Noémie à Albert Melin, 2 avril 1915.

    2 Benjamin Ziemann, « Paysans », dans Jay Winter (dir.), La Première Guerre mondiale, vol. 2 : États, Paris, Fayard, 2014, p. 423-448. Voir l’état bibliographique de la question (p. 838-842) dressé dans une approche comparée des sociétés villageoises des différents belligérants. Soulignons parmi les études qui renouvellent la question celles de Benjamin Ziemann, War Experiences in Rural Germany 1914-1923, Oxford, Berg, 2007, et Front und Heimat : ländliche Kriegserfahrungen im Südlichen Bayern, 1914-1923, Essen, Klartext, 1997.

    3 Sur la mobilisation des États et des sociétés dans une guerre de plus en plus « totalisatrice », John Horne (dir.), State, Society, and Mobilization in Europe during the First World War, Cambridge, Cambridge University Press, 1997. Sur une histoire des mobilisations sociales et dans une perspective d’histoire comparée, Pierre Purseigle, Mobilisation, sacrifice et citoyenneté. Angleterre-France, 1900-1918, Paris, Les Belles Lettres, 2013.

    4 Fabienne Bock, « L’exubérance de l’État en France de 1914 à 1918 », Vingtième Siècle, numéro 3, 1984. Sur la manière dont les diverses fonctions de l’État s’élargissent durant le conflit, voir J. Winter (dir.), La Première Guerre mondiale…, op. cit. Par ailleurs, le CRID 14-18 a organisé un colloque sur « Les mises en guerre de l’État » qui a eu lieu à Paris, Laon et Craonne du 30 octobre au 1er novembre 2014.

    5 Gilles Férier, « Les conséquences démographiques de la Grande Guerre en Auvergne », Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 145, janvier 1987, p. 81-94. Sur l’ancienneté de la déprise démographique, commencée vers le milieu du xixe siècle, Laurent Wirth, Un équilibre perdu. Évolution démographique, économique et sociale du monde paysan dans le Cantal au xixe siècle, Clermont-Ferrand, Publications de l’Institut d’histoire du Massif central, 1996, et Pierre Cornu, La forteresse vide. Une histoire des hautes terres du Massif central entre déprise humaine et emprise symbolique (xixe-xxe siècles), thèse sous la direction de Gilbert Garrier et Jean-Luc Mayaud, université Lumière-Lyon 2, 2000.

    6 Depuis 2014, la « Grande Collecte » a rassemblé aux archives départementales de nouvelles sources, pour le Puy-de-Dôme, des documents concernant 177 soldats, parfois quelques lettres ou papiers militaires, un portrait, ou bien une correspondance plus soutenue.

    7 L’ouverture de cette structure intercommunale, signe de l’intérêt renouvelé du monde rural pour l’histoire de la Grande Guerre, a suscité le dépôt d’archives de familles de cultivateurs. Je remercie la communauté de communes de Saint-Pourçain et son personnel, particulièrement Angélique Voyer, qui m’a grandement facilité la consultation de la correspondance des époux Dumont. Un colloque s’est tenu à Fleuriel en septembre 2014 sur le monde rural et la Grande Guerre. À noter la communication de Jean-Pierre Chaline sur la vie de l’arrière dans le Bourbonnais, celle d’Olivier Forcade étudiant « le premier mois de guerre des campagnes françaises ». Les actes du colloque sont à paraître.

    8 Il meurt au combat le 8 octobre 1915. La ferme dispose de quelques vaches et cochons et d’une basse-cour. Il est difficile d’évaluer les terres, sans doute quelques hectares plantés en céréales et en fourrages. Claudine Dumont vend de temps un temps une vache, quelques dindes.

    9 La notion est employée au sens des représentations du conflit, des pratiques et des expériences de guerre qui traduisent les manières plurielles dont les individus et les sociétés ont tenté de la comprendre. Sur la genèse du concept de culture de guerre, son évolution, les controverses qu’il a provoquées et leur dépassement, je renvoie à la présentation de Nicolas Beaupré, Les Grandes Guerres, 1914-1945, Paris, Belin, 2012, p. 1048-1050.

    10 P. Purseigle désigne par « belligérance » l’état d’esprit et l’ensemble des attitudes d’une population face à la poursuite de la guerre, en reconfiguration permanente selon les besoins de la guerre industrielle, et qui constituent la matrice des comportements collectifs et individuels composant la mobilisation en temps de guerre. P. Purseigle (dir.), Warfare and Belligerence. Perspectives in First World War Studies, Boston/Leyde, E. J. Brill, 2005, p. 18-19.

    11 Sur l’entrée en guerre, voir l’étude pionnière et décisive de Jean-Jacques Becker, 1914, comment les Français sont entrés dans la guerre, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1977.

    12 AD Allier, 1 M 476, conflit européen, rapports du préfet au ministre de l’Intérieur, 3 août 1914.

    13 Archives nationales (AN), F7 12938, rapport du préfet Elisée Becq, 2 août 1914.

    14 Archives départementales (AD) du Puy-de-Dôme, R 01342, carnets de note rédigés par les instituteurs de Gerzat, Verrières, Chambois, Thiers (Bellevue) et Saint-Bonnet-le-Bourg concernant les événements militaires et la vie de leur commune pendant la première année de la guerre.

    15 Id., notes de l’institutrice du Grand Chambois.

    16 Id., notes de Madame Matraud.

    17 Nadine-Josette Chaline, « Le Bourbonnais dans la Grande Guerre », Bulletin de la société d’émulation du Bourbonnais, 1996, p. 490-499.

    18 Sur la rupture que constitue le 11 novembre 1918, Aline Fryszman, La victoire triste ? Espérances, déceptions et commémorations de la victoire dans le département du Puy-de-Dôme en sortie de guerre (1918-1924), thèse sous la direction de Stéphane Audoin-Rouzeau, EHESS-Paris, 2009.

    19 Historial du paysan-soldat de Fleuriel (HPSF désormais), correspondance de B. Dumont, 8 août 1914. L’orthographe d’origine est conservée, comme dans toutes les citations qui suivent. Les archives possèdent une quinzaine de photographies des camarades de B. Dumont.

    20 Sur cette notion : Jean-François Chanet, L’école républicaine et les petites patries, Paris, Aubier, 1996 ; Anne-Marie Thiesse, La création des identités nationales. Europe, xixe-xxe siècle, Paris, Seuil, 1999. Parmi plusieurs journées d’étude récentes organisées à l’occasion du Centenaire et privilégiant l’approche régionale, un colloque a mis l’accent sur l’identité régionale et les liens entre « petites patries » et « grande patrie » : Michaël Bourlet, Yann Lagadec et Erwan Le Gall (dir.), Petites patries dans la Grande Guerre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013. Sur la pertinence du fait régional dans l’étude du premier conflit mondial voir l’article introductif de N. Beaupré, « La Grande Guerre littéraire au prisme des régions », dans N. Beaupré, Vincent Flauraud et A. Fryszman (dir.), Siècles, Littératures, identités régionales et Grande Guerre, n° 39-40, 2014.

    21 HPSF, op. cit., fascicule de mobilisation de B. Dumont. En 1914, il est tambour au 297e régiment d’infanterie.

    22 L’identité locale est un des ressorts de la camaraderie élective distinguée de la camaraderie militaire par Alexandre Lafon, La camaraderie au front, 1914-1918, Paris, Armand Colin/ministère de la Défense, 2014, p. 360-377. L’auteur retient que les soldats gardent leurs habitus civils, relevant ainsi l’importance de solidarités héritées de réseaux de sociabilités traditionnelles. Mais soulignons aussi que le repère identitaire du « pays » rapproche des hommes qui, à l’exemple de ce soldat, ne se connaissent pas forcément auparavant. Pour A. Lafon, cette relation au « pays » semble moins marquée chez les combattants possédant un niveau scolaire et culturel supérieur. On peut émettre l’hypothèse que la différenciation est peut-être à faire davantage entre des ruraux et des urbains.

    23 Christophe Prochasson et Anne Rasmussen (dir.), Vrai et faux dans la Grande Guerre, Paris, La Découverte, 2004. Ils soulignent combien l’état de guerre peut être analysé comme « un régime d’incertitude » (p. 9) prompt à la rumeur.

    24 AD Allier, 1 M 476, premier rapport du 3 août 1914.

    25 Id., deuxième rapport du 3 août 1914.

    26 Id., télégramme du préfet au ministre de l’Intérieur, 3 août 1914, 11 h 20.

    27 Id., rapport du 6 août 1914.

    28 Id., rapport du 9 août 1914.

    29 Id., rapport du 27 août 1914.

    30 Marc Bloch, « Réflexions sur les fausses nouvelles », dans L’histoire, la guerre, la Résistance, édition établie par Annette Becker et Étienne Bloch, Paris, Quarto Gallimard, 2006, p. 300 et p. 313.

    31 AD Allier, 1 M 476, rapport du 19 août 1914.

    32 HPSF, op. cit., lettre du 10 août 1914.

    33 Id., lettre de Claudine Dumont du 26 novembre 1914.

    34 AD Allier, 117 J, lettre de Noémie Melin, 30 décembre 1914.

    35 Id., 20 mars 1915.

    36 Id., 12 mars 1915. Sur la place prépondérante de l’échange épistolaire dans la vie du couple séparé, Clémentine Vidal-Naquet, Le couple dans la Grande Guerre. Le tragique et l’ordinaire du lien conjugal, Paris, Les Belle Lettres, 2014, et Correspondances conjugales, 1914-1918. Dans l’intimité de la Grande Guerre, Paris, Robert Laffont, 2014.

    37 AD Allier, 117 J, rapport du 8 août 1914.

    38 Id., rapports des 8 et 12 août 1914.

    39 Id., rapport du 18 août 1914.

    40 Id., rapport du 27 août 1914.

    41 C’est du reste ce que prescrit la loi du 3 juillet 1877 relative aux réquisitions militaires qui charge le maire de la répartition des prestations exigées par l’autorité militaire (titre IV, article 20)

    42 HPSF, op. cit., lettre de Claudine à Benoît Dumont, 26 novembre 1914.

    43 Journal officiel de la République française, Bulletin des lois, n° 135, 6 août 1914, p. 2269.

    44 Il est décédé le 8 octobre 1915.

    45 « Il faut sauvegarder votre subsistance, l’approvisionnement des populations urbaines et surtout l’approvisionnement de ceux qui défendent la frontière, avec l’indépendance du pays, la civilisation et le droit. Debout, donc, femmes françaises, jeunes enfants, filles et fils de la patrie ! Remplacez sur le champ du travail ceux qui sont sur le champ de bataille. Préparez-vous à leur montrer, demain, la terre cultivée, les récoltes rentrées, les champs ensemencés ! Il n’y a pas, dans ces heures graves, de labeur infime. Tout est grand qui sert le pays. Debout ! à l’action ! à l’œuvre ! Il y aura demain de la gloire pour tout le monde. »

    46 AD Puy-de-Dôme, 151 J 572, lettre de Laurent Petoton à sa femme, Marthe, 20 juin 1915. Il réclame de l’alcool de menthe pour couper l’eau, du linge de corps, des chemises usagées – dans la tranchée, il jette les siennes faute de pouvoir les laver – et « un petit colis de temps en temps pour manger ».

    47 Nadine-Josette Chaline, Émile Guillaumin, paysan-écrivain bourbonnais, soldat de la Grande Guerre, Paris, PUPS, 2014. Lettre d’Émile à Marie Guillaumin, 18 janvier 1915, p. 88. Il nomme son père, Gilbert Guillaumin, et leur ouvrier agricole employé pour les gros travaux.

    48 La guerre a bouleversé la distinction entre travail productif et services, entre travail des femmes rémunéré et non rémunéré. La prise en charge complète de la ferme remet en cause la division sexuelle traditionnelle du travail rural. Laura Lee Downs, « Le travail », dans J. Winter (dir.), La Première Guerre mondiale, vol. 3 : Sociétés, Paris, Fayard, 2014, p. 95-117.

    49 HPSF, op. cit., lettre de Benoît à Claudine Dumont, 3 septembre 1914.

    50 Id., lettre de Claudine à Benoît Dumont, 29 août 1914.

    51 Id., lettre de Benoît à Claudine Dumont, 30 septembre 1914.

    52 AD Puy-de-Dôme, 151 J 572, lettre du 21 juin 1915.

    53 Bulletin de la Société d’agriculture de l’Allier, octobre 1916, p. 179.

    54 Le métayage est très répandu, notamment sur la grande propriété foncière : 44 % des exploitations comptent plus de 100 ha en 1914. La petite propriété est aussi surreprésentée. Anne-Marie Michelon, L’opinion publique pendant la Première Guerre mondiale dans l’Allier, mémoire de maîtrise sous la direction de Jean-Jacques Becker, 1980, p. 9.

    55 N.-J. Chaline, Émile Guillaumin, paysan-écrivain bourbonnais…, op. cit., lettre d’Émile Guillaumin à sa femme, 23 juin 1915, p. 154. À la Saint-Martin, les baux sont renouvelés.

    56 Bulletin de la Société d’agriculture de l’Allier, novembre 1915.

    57 « Circulaire adressée aux préfets », Le Moniteur du Puy-de-Dôme, 11 août 1914.

    58 Pierre Albertini, L’école en France xixe-xxe siècles : de la maternelle à l’université, Paris, Hachette, 1992. La fréquentation scolaire dans les écoles rurales ne devient régulière qu’après 1932, avec l’institution des allocations familiales (p. 63).

    59 AD Puy-de-Dôme, R 0 1342, note de l’institutrice du Grand-Chambois (Puy-de-Dôme).

    60 Les premières mesures sont prises à l’automne 1914 et au printemps 1915 pour favoriser l’emploi des territoriaux aux travaux de semailles, en leur accordant une permission d’une durée maximum de quinze jours (circulaires du 24 octobre 1914 et du 2 février 1915). Deux autres circulaires (14 juin et 20 juillet 1915) organisent le régime des permissions agricoles pour les travaux de battage, accordées aux soldats en service dans la zone de l’intérieur ou dans les dépôts de la zone des armées. À ces permissions individuelles s’ajoute la constitution d’équipes de travailleurs. Les circulaires des 22 décembre 1915 et 10 mai 1915 permettent la création d’« équipes volantes » mises à disposition pour une journée ou une demi-journée, à l’initiative des généraux commandant les régions militaires. C’est cette main-d’œuvre qui est ici sollicitée. Par la suite, le ministère de la guerre procéda autrement en mettant à disposition les hommes des classes 1888 et 1889 comme main-d’œuvre agricole pouvant bénéficier d’un détachement (circulaire du 12 janvier 1917). La mesure fut étendue aux soldats du service auxiliaire des classes 1895 et antérieures, aux pères de cinq enfants ou veufs pères de quatre enfants appartenant à l’armée territoriale et exerçant des professions artisanales agricoles (bourrelier, forgeron…) (circulaire du 6 mai 1917), puis aux classes 1890 et 1891 (circulaire du 27 juillet 1917), et enfin à la classe 1896 (circulaire du 18 novembre 1917). Des détachements temporaires de dix jours à un mois furent possibles en remplacement de permissions agricoles (circulaire du 4 décembre 1917). En mai 1918 furent créées des « équipes de travailleurs ambulants » formées par des hommes de la classe 1892 au service armé et de la classe 1919 affectés au service auxiliaire.

    61 A.-M. Michelon, L’opinion publique…, op. cit., p. 40-41.

    62 Ibid., p. 42-43. E. Guillaumin fait mention de cette méfiance à Ygrande qui a fini par accepter les « prisonniers boches ». N.-J. Chaline, Émile Guillaumin, paysan-écrivain bourbonnais…, op. cit., lettre du 25 août 1916, p. 247.

    63 A.-M. Michelon, L’opinion publique…, op. cit., p. 45.

    64 Gilberte Lang, L’opinion publique dans le Puy-de-Dôme pendant la Première Guerre mondiale, mémoire de maîtrise sous la direction de Jean-Jacques Becker, université Clermont II, 1979.

    65 Sur le système des permissions, les activités des permissionnaires, ces « commis-voyageurs du front à l’arrière » : Emmanuelle Cronier, Permissionnaires dans la Grande Guerre, Paris, Belin, 2013. Dès l’été 1914, des congés ont été autorisés pour les travaux de moisson entre août et octobre 1914. Début 1915, de nouveaux congés sont octroyés pour le battage ou les semailles, puis à nouveau, au printemps 1915. Ces « congés » relèvent de l’exception, contrairement aux « permissions » dont l’attribution est générale (p. 13-16). Ces dernières sont d’abord accordées exceptionnellement, puis elles sont progressivement généralisées entre l’été 1915 et l’année 1916.

    66 Ibid., p. 23. Entre le 1er juillet 1915 et le 30 novembre 1916, un soldat a bénéficié en moyenne de deux permissions.

    67 N.-J. Chaline, Émile Guillaumin, paysan-écrivain bourbonnais…, op. cit., p. 43.

    68 Au début du conflit, le ministère de la Guerre avait autorisé dans l’urgence le retour d’un certain nombre d’ouvriers afin de relancer des ateliers à l’arrêt depuis la mobilisation. Puis la loi Dalbiez du 17 août 1915 a recherché à une affectation plus rationnelle de la main-d’œuvre, ramenant au combat des ouvriers jugés inutiles, mais permettant de conserver ou de renvoyer à l’arrière comme « affectés spéciaux » dans les usines d’armement, les mobilisés, considérés comme « ouvriers spécialisés ». La loi Mourier du 10 août 1917, luttant conte l’embusquage, a ensuite prévu le retour au front des plus jeunes et leur remplacement par des pères de familles nombreuses. Au total, 497000 ouvriers ont été mobilisés au cours du conflit. Xavier Vigna, Histoire des ouvriers en France au xxe siècle, Paris, Perrin, 2012, p. 24. Gerd Hardach, « La mobilisation industrielle en 1914-1918 : production, planification et idéologie », dans Patrick Fridenson (dir.), 1914-1918. L’Autre front, Paris, Les Éditions ouvrières, 1977, p. 81-109. Pour une présentation comparée de la mobilisation des ouvriers dans l’ensemble des belligérants, Antoine Prost, « Les ouvriers », dans J. Winter (dir.), La Première Guerre mondiale…, op. cit., p. 367-398.

    69 AD Allier, 1 M 718, police – état d’esprit des populations, 1915-1917, lettre du 18 juillet 1915.
    La commune de Neuvy appartient à la circonscription de Moulins-Ouest qui a élu depuis 1910 le député socialiste Pierre Brizon. Tout commence par une fausse lettre l’envoyant à Moulins au chevet de son mari soldat, censé être très gravement malade.

    70 Sur ces questions, voir Charles Ridel, Les embusqués, Paris, Armand Colin, 2007.

    71 AD Allier, 1 M 718, procès-verbal de la gendarmerie de Neuilly-le-Réal, 8 octobre 1914.

    72 Ibid. Voir par exemple une affaire à Marcenat en septembre 1914 (lettre de dénonciation d’un facteur pour propos alarmants sur la situation militaire, courrier du maire).

    73 AD Allier, 117J, lettre de Noémie à Albert Melin, 12 mars 1915.

    74 N.-J. Chaline, Émile Guillaumin, paysan-écrivain bourbonnais…, op. cit., lettre du 5 septembre 1918.

    75 HPSF, op. cit., lettre de Benoît à Claudine Dumont, 12 mars 1915.

    76 N. Beaupré, Les Grandes Guerres…, op. cit. (p. 278-288), relève que l’agriculture a moins souffert que d’autres secteurs, mais la situation est toutefois fort contrastée. À titre de comparaison, la synthèse ancienne et toujours utile de Michel Augé-Laribé, L’agriculture pendant la guerre, Paris, Fondation Carnegie/PUF, 1925.

    77 Marguerite Delaruelle, Les campagnes bourbonnaises entre les deux guerres mondiales (1919-1939), thèse sous la direction d’Albert Silbert, université de Clermont-Ferrand, 1977, p. 10.

    78 Leur fermier, J. Poulet, se plaint de la chute des prix des nourrains, ces jeunes porcs engraissés qui constituent sa principale ressource.

    79 AD Allier, 117J, lettre de Noémie à Albert Melin, 30 décembre 1914.

    80 N.-J. Chaline, Émile Guillaumin, paysan-écrivain bourbonnais…, op. cit., lettre du 8 juin 1916, p. 234.

    81 Le Moniteur du Puy-de-Dôme, 15 novembre 1915.

    82 Ce sentiment provoque des incidents sur les marchés à propos du coût des denrées alimentaires.
    Yves Pourcher, Les jours de guerre. La vie des Français au jour le jour (1914-1918), Paris, Plon, 1994, p. 155. Il relève des exemples quotidiens en Lozère, dans le Finistère et en Indre-et-Loire. Après guerre, les citadins rendent les paysans responsables de la vie chère et fustige l’enrichissement paysan : Édouard Lynch, Moissons rouges. Les socialistes français et la société paysanne durant l’entre-deux-guerres (1918-1940), Presses universitaires du Septentrion, 2002, p. 48-52.

    83 N.-J. Chaline, Émile Guillaumin, paysan-écrivain bourbonnais…, op. cit., lettre du 31 octobre 1918, p. 382. Alexandre-Félix Puechmaille était inspecteur primaire à Lapalisse. Mobilisé en 1914 au 98e territorial d’infanterie, il fut blessé en 1915 et quitta le front. Socialiste indépendant, il devint député de l’Allier en 1924.

    84 HPSF, op. cit., lettre de Claudine à Benoît Dumont, 26 novembre 1914.

    85 A.-M. Michelon, L’opinion publique…, op. cit., p. 145.

    86 Anne-Marie Dupin, « Le bourrage de crâne » dans la presse du Puy-de-Dôme pendant la Première Guerre mondiale (1914-1916), mémoire de maîtrise d’histoire, sous la direction de Jean-Jacques Becker et de Stéphane Audoin-Rouzeau, université Clermont-Ferrand II, 1986, p. 169.

    87 Par exemple, Guillaumin envoie des indications à sa femme sur ces lieux d’affectation.
    N.-J. Chaline relève que l’interdiction de parler de la guerre dans les lettres est ainsi souvent oubliée (N.-J. Chaline, Émile Guillaumin, paysan-écrivain bourbonnais…, op. cit., p. 42). Guillaumin souligne d’ailleurs les limites de la censure : « Tout vérifier n’est pas possible. Il faudrait la moitié de l’armée pour contrôler l’autre » (N.-J. Chaline, Émile Guillaumin, paysan-écrivain bourbonnais…, op. cit., lettre du 3 octobre 1916).

    88 Georges-Henri Soutou, L’or et le sang. Les buts de guerre économiques de la première guerre mondiale, Paris, Fayard, 1989. Sur les illusions d’une nouvelle géopolitique favorable à la France, du même auteur, La grande illusion : quand la France perdait la paix, 1914-1920, Paris, Tallandier, 2015.

    89 AD Puy-de-Dôme, 151 J 572, lettre du 5 juillet 1915.

    90 HPSF, op. cit., lettre du 5 septembre 1914.

    91 N.-J. Chaline, Émile Guillaumin, paysan-écrivain bourbonnais…, op. cit., lettre du 27 juin 1915. Il s’appuie sur les propos d’un Allemand cité par Romain Rolland.

    92 AD Allier, 1M718, rapport du 21 février 1916.

    93 AD Allier, 117J, lettre d’Albert à Noémie Melin, 14 août 1914.

    94 Id., lettre de Noémie à Albert Melin, 3 février 1915.

    95 La lassitude touche l’arrière dès l’hiver 1916-1917. Puis au printemps et à l’automne 1917, le moral de la population connaît deux nouveaux affaissements. N. Beaupré, Les Grandes Guerres, op. cit., p. 173-176.

    96 AD Allier, 1M718, rapport du 15 juin 1917.

    97 Id., rapport du 16 juin 1917.

    98 Id., rapport du préfet au ministre, 17 juin 1917.

    99 « Je vois que vous en êtes aussi au très mauvais pain », note E. Guillaumin le 5 août 1918.

    100 A. Fryszman, « Exultation festive et tristesse le 11 novembre 1918 : les paradoxes de la victoire dans le département du Puy-de-Dôme », Siècles, revue du CHEC, n° 39-40, 2014.

    101 AD Puy-de-Dôme, M06437, lettre du maire au préfet, 12 novembre 1918. Ibid., sur l’analyse de cet incident qui met en jeu le « pouvoir de sonner » du maire aux prises avec un charivari juvénile.

    102 Pour le Puy-de-Dôme, ces fêtes ont été étudiées en détail. A. Fryszman, La victoire triste ?…, op. cit., thèse, 2009.

    103 Ibid., p. 442-446. Dans le département du Puy-de-Dôme, les monuments aux morts lient intimement sacrifice, deuil et patriotisme dans le souvenir de la guerre et de la victoire de 1918. Sur le sujet, les travaux pionniers sont dus à Antoine Prost, « Les monuments aux morts », dans Pierre Nora, Les lieux de mémoire, t. I : La République, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1984, p. 195-225. Des synthèses ont prolongé cette approche : Philippe Rivé, Monuments de mémoire : les monuments aux morts de la Première Guerre mondiale, Paris, Mission permanente aux commémorations et à l’information historique, 1991 ; Annette Becker, Les monuments aux morts, mémoire de la Grande Guerre, Paris, Errance, 1988. Les enquêtes locales se sont depuis multipliées. Voir notamment N.-J. Chaline, Les gardiens de la mémoire. Les monuments aux morts de la Grande Guerre dans l’Allier, Yzeure, Amis du patrimoine religieux du Bourbonnais, 2008, ou Dominique Dussol, Laurent Jalabert, Josette Poncet et Jean-François Vergez, La mémoire de la Première Guerre mondiale dans les Pyrénées-Atlantiques, Pau, Éditions Cairn, 2014. Pour une approche internationale : Bruce Scates et Rebecca Wheatley, « Les monuments aux morts », dans J. Winter (dir.), La Première Guerre mondiale, vol. 3, p. 563-598.

    104 Isabelle Chave et Philippe Nivet, « Préfets et municipalités en août 1914 : l’organisation civile de la guerre », dans Août 1914. Tous en guerre !, catalogue de l’exposition des Archives nationales, Paris, 2014.

    105 Un mécanisme semblable est mis en valeur à Béziers et à Northampton par P. Purseigle, Mobilisation…, op. cit.

    Auteur

    • Aline Fryszman
      Docteure en histoire, professeure en CPGE, lycée Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand.
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    1 Archives départementales (AD) de l’Allier, 117 J (fonds Melin), lettre de Noémie à Albert Melin, 2 avril 1915.

    2 Benjamin Ziemann, « Paysans », dans Jay Winter (dir.), La Première Guerre mondiale, vol. 2 : États, Paris, Fayard, 2014, p. 423-448. Voir l’état bibliographique de la question (p. 838-842) dressé dans une approche comparée des sociétés villageoises des différents belligérants. Soulignons parmi les études qui renouvellent la question celles de Benjamin Ziemann, War Experiences in Rural Germany 1914-1923, Oxford, Berg, 2007, et Front und Heimat : ländliche Kriegserfahrungen im Südlichen Bayern, 1914-1923, Essen, Klartext, 1997.

    3 Sur la mobilisation des États et des sociétés dans une guerre de plus en plus « totalisatrice », John Horne (dir.), State, Society, and Mobilization in Europe during the First World War, Cambridge, Cambridge University Press, 1997. Sur une histoire des mobilisations sociales et dans une perspective d’histoire comparée, Pierre Purseigle, Mobilisation, sacrifice et citoyenneté. Angleterre-France, 1900-1918, Paris, Les Belles Lettres, 2013.

    4 Fabienne Bock, « L’exubérance de l’État en France de 1914 à 1918 », Vingtième Siècle, numéro 3, 1984. Sur la manière dont les diverses fonctions de l’État s’élargissent durant le conflit, voir J. Winter (dir.), La Première Guerre mondiale…, op. cit. Par ailleurs, le CRID 14-18 a organisé un colloque sur « Les mises en guerre de l’État » qui a eu lieu à Paris, Laon et Craonne du 30 octobre au 1er novembre 2014.

    5 Gilles Férier, « Les conséquences démographiques de la Grande Guerre en Auvergne », Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 145, janvier 1987, p. 81-94. Sur l’ancienneté de la déprise démographique, commencée vers le milieu du xixe siècle, Laurent Wirth, Un équilibre perdu. Évolution démographique, économique et sociale du monde paysan dans le Cantal au xixe siècle, Clermont-Ferrand, Publications de l’Institut d’histoire du Massif central, 1996, et Pierre Cornu, La forteresse vide. Une histoire des hautes terres du Massif central entre déprise humaine et emprise symbolique (xixe-xxe siècles), thèse sous la direction de Gilbert Garrier et Jean-Luc Mayaud, université Lumière-Lyon 2, 2000.

    6 Depuis 2014, la « Grande Collecte » a rassemblé aux archives départementales de nouvelles sources, pour le Puy-de-Dôme, des documents concernant 177 soldats, parfois quelques lettres ou papiers militaires, un portrait, ou bien une correspondance plus soutenue.

    7 L’ouverture de cette structure intercommunale, signe de l’intérêt renouvelé du monde rural pour l’histoire de la Grande Guerre, a suscité le dépôt d’archives de familles de cultivateurs. Je remercie la communauté de communes de Saint-Pourçain et son personnel, particulièrement Angélique Voyer, qui m’a grandement facilité la consultation de la correspondance des époux Dumont. Un colloque s’est tenu à Fleuriel en septembre 2014 sur le monde rural et la Grande Guerre. À noter la communication de Jean-Pierre Chaline sur la vie de l’arrière dans le Bourbonnais, celle d’Olivier Forcade étudiant « le premier mois de guerre des campagnes françaises ». Les actes du colloque sont à paraître.

    8 Il meurt au combat le 8 octobre 1915. La ferme dispose de quelques vaches et cochons et d’une basse-cour. Il est difficile d’évaluer les terres, sans doute quelques hectares plantés en céréales et en fourrages. Claudine Dumont vend de temps un temps une vache, quelques dindes.

    9 La notion est employée au sens des représentations du conflit, des pratiques et des expériences de guerre qui traduisent les manières plurielles dont les individus et les sociétés ont tenté de la comprendre. Sur la genèse du concept de culture de guerre, son évolution, les controverses qu’il a provoquées et leur dépassement, je renvoie à la présentation de Nicolas Beaupré, Les Grandes Guerres, 1914-1945, Paris, Belin, 2012, p. 1048-1050.

    10 P. Purseigle désigne par « belligérance » l’état d’esprit et l’ensemble des attitudes d’une population face à la poursuite de la guerre, en reconfiguration permanente selon les besoins de la guerre industrielle, et qui constituent la matrice des comportements collectifs et individuels composant la mobilisation en temps de guerre. P. Purseigle (dir.), Warfare and Belligerence. Perspectives in First World War Studies, Boston/Leyde, E. J. Brill, 2005, p. 18-19.

    11 Sur l’entrée en guerre, voir l’étude pionnière et décisive de Jean-Jacques Becker, 1914, comment les Français sont entrés dans la guerre, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1977.

    12 AD Allier, 1 M 476, conflit européen, rapports du préfet au ministre de l’Intérieur, 3 août 1914.

    13 Archives nationales (AN), F7 12938, rapport du préfet Elisée Becq, 2 août 1914.

    14 Archives départementales (AD) du Puy-de-Dôme, R 01342, carnets de note rédigés par les instituteurs de Gerzat, Verrières, Chambois, Thiers (Bellevue) et Saint-Bonnet-le-Bourg concernant les événements militaires et la vie de leur commune pendant la première année de la guerre.

    15 Id., notes de l’institutrice du Grand Chambois.

    16 Id., notes de Madame Matraud.

    17 Nadine-Josette Chaline, « Le Bourbonnais dans la Grande Guerre », Bulletin de la société d’émulation du Bourbonnais, 1996, p. 490-499.

    18 Sur la rupture que constitue le 11 novembre 1918, Aline Fryszman, La victoire triste ? Espérances, déceptions et commémorations de la victoire dans le département du Puy-de-Dôme en sortie de guerre (1918-1924), thèse sous la direction de Stéphane Audoin-Rouzeau, EHESS-Paris, 2009.

    19 Historial du paysan-soldat de Fleuriel (HPSF désormais), correspondance de B. Dumont, 8 août 1914. L’orthographe d’origine est conservée, comme dans toutes les citations qui suivent. Les archives possèdent une quinzaine de photographies des camarades de B. Dumont.

    20 Sur cette notion : Jean-François Chanet, L’école républicaine et les petites patries, Paris, Aubier, 1996 ; Anne-Marie Thiesse, La création des identités nationales. Europe, xixe-xxe siècle, Paris, Seuil, 1999. Parmi plusieurs journées d’étude récentes organisées à l’occasion du Centenaire et privilégiant l’approche régionale, un colloque a mis l’accent sur l’identité régionale et les liens entre « petites patries » et « grande patrie » : Michaël Bourlet, Yann Lagadec et Erwan Le Gall (dir.), Petites patries dans la Grande Guerre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013. Sur la pertinence du fait régional dans l’étude du premier conflit mondial voir l’article introductif de N. Beaupré, « La Grande Guerre littéraire au prisme des régions », dans N. Beaupré, Vincent Flauraud et A. Fryszman (dir.), Siècles, Littératures, identités régionales et Grande Guerre, n° 39-40, 2014.

    21 HPSF, op. cit., fascicule de mobilisation de B. Dumont. En 1914, il est tambour au 297e régiment d’infanterie.

    22 L’identité locale est un des ressorts de la camaraderie élective distinguée de la camaraderie militaire par Alexandre Lafon, La camaraderie au front, 1914-1918, Paris, Armand Colin/ministère de la Défense, 2014, p. 360-377. L’auteur retient que les soldats gardent leurs habitus civils, relevant ainsi l’importance de solidarités héritées de réseaux de sociabilités traditionnelles. Mais soulignons aussi que le repère identitaire du « pays » rapproche des hommes qui, à l’exemple de ce soldat, ne se connaissent pas forcément auparavant. Pour A. Lafon, cette relation au « pays » semble moins marquée chez les combattants possédant un niveau scolaire et culturel supérieur. On peut émettre l’hypothèse que la différenciation est peut-être à faire davantage entre des ruraux et des urbains.

    23 Christophe Prochasson et Anne Rasmussen (dir.), Vrai et faux dans la Grande Guerre, Paris, La Découverte, 2004. Ils soulignent combien l’état de guerre peut être analysé comme « un régime d’incertitude » (p. 9) prompt à la rumeur.

    24 AD Allier, 1 M 476, premier rapport du 3 août 1914.

    25 Id., deuxième rapport du 3 août 1914.

    26 Id., télégramme du préfet au ministre de l’Intérieur, 3 août 1914, 11 h 20.

    27 Id., rapport du 6 août 1914.

    28 Id., rapport du 9 août 1914.

    29 Id., rapport du 27 août 1914.

    30 Marc Bloch, « Réflexions sur les fausses nouvelles », dans L’histoire, la guerre, la Résistance, édition établie par Annette Becker et Étienne Bloch, Paris, Quarto Gallimard, 2006, p. 300 et p. 313.

    31 AD Allier, 1 M 476, rapport du 19 août 1914.

    32 HPSF, op. cit., lettre du 10 août 1914.

    33 Id., lettre de Claudine Dumont du 26 novembre 1914.

    34 AD Allier, 117 J, lettre de Noémie Melin, 30 décembre 1914.

    35 Id., 20 mars 1915.

    36 Id., 12 mars 1915. Sur la place prépondérante de l’échange épistolaire dans la vie du couple séparé, Clémentine Vidal-Naquet, Le couple dans la Grande Guerre. Le tragique et l’ordinaire du lien conjugal, Paris, Les Belle Lettres, 2014, et Correspondances conjugales, 1914-1918. Dans l’intimité de la Grande Guerre, Paris, Robert Laffont, 2014.

    37 AD Allier, 117 J, rapport du 8 août 1914.

    38 Id., rapports des 8 et 12 août 1914.

    39 Id., rapport du 18 août 1914.

    40 Id., rapport du 27 août 1914.

    41 C’est du reste ce que prescrit la loi du 3 juillet 1877 relative aux réquisitions militaires qui charge le maire de la répartition des prestations exigées par l’autorité militaire (titre IV, article 20)

    42 HPSF, op. cit., lettre de Claudine à Benoît Dumont, 26 novembre 1914.

    43 Journal officiel de la République française, Bulletin des lois, n° 135, 6 août 1914, p. 2269.

    44 Il est décédé le 8 octobre 1915.

    45 « Il faut sauvegarder votre subsistance, l’approvisionnement des populations urbaines et surtout l’approvisionnement de ceux qui défendent la frontière, avec l’indépendance du pays, la civilisation et le droit. Debout, donc, femmes françaises, jeunes enfants, filles et fils de la patrie ! Remplacez sur le champ du travail ceux qui sont sur le champ de bataille. Préparez-vous à leur montrer, demain, la terre cultivée, les récoltes rentrées, les champs ensemencés ! Il n’y a pas, dans ces heures graves, de labeur infime. Tout est grand qui sert le pays. Debout ! à l’action ! à l’œuvre ! Il y aura demain de la gloire pour tout le monde. »

    46 AD Puy-de-Dôme, 151 J 572, lettre de Laurent Petoton à sa femme, Marthe, 20 juin 1915. Il réclame de l’alcool de menthe pour couper l’eau, du linge de corps, des chemises usagées – dans la tranchée, il jette les siennes faute de pouvoir les laver – et « un petit colis de temps en temps pour manger ».

    47 Nadine-Josette Chaline, Émile Guillaumin, paysan-écrivain bourbonnais, soldat de la Grande Guerre, Paris, PUPS, 2014. Lettre d’Émile à Marie Guillaumin, 18 janvier 1915, p. 88. Il nomme son père, Gilbert Guillaumin, et leur ouvrier agricole employé pour les gros travaux.

    48 La guerre a bouleversé la distinction entre travail productif et services, entre travail des femmes rémunéré et non rémunéré. La prise en charge complète de la ferme remet en cause la division sexuelle traditionnelle du travail rural. Laura Lee Downs, « Le travail », dans J. Winter (dir.), La Première Guerre mondiale, vol. 3 : Sociétés, Paris, Fayard, 2014, p. 95-117.

    49 HPSF, op. cit., lettre de Benoît à Claudine Dumont, 3 septembre 1914.

    50 Id., lettre de Claudine à Benoît Dumont, 29 août 1914.

    51 Id., lettre de Benoît à Claudine Dumont, 30 septembre 1914.

    52 AD Puy-de-Dôme, 151 J 572, lettre du 21 juin 1915.

    53 Bulletin de la Société d’agriculture de l’Allier, octobre 1916, p. 179.

    54 Le métayage est très répandu, notamment sur la grande propriété foncière : 44 % des exploitations comptent plus de 100 ha en 1914. La petite propriété est aussi surreprésentée. Anne-Marie Michelon, L’opinion publique pendant la Première Guerre mondiale dans l’Allier, mémoire de maîtrise sous la direction de Jean-Jacques Becker, 1980, p. 9.

    55 N.-J. Chaline, Émile Guillaumin, paysan-écrivain bourbonnais…, op. cit., lettre d’Émile Guillaumin à sa femme, 23 juin 1915, p. 154. À la Saint-Martin, les baux sont renouvelés.

    56 Bulletin de la Société d’agriculture de l’Allier, novembre 1915.

    57 « Circulaire adressée aux préfets », Le Moniteur du Puy-de-Dôme, 11 août 1914.

    58 Pierre Albertini, L’école en France xixe-xxe siècles : de la maternelle à l’université, Paris, Hachette, 1992. La fréquentation scolaire dans les écoles rurales ne devient régulière qu’après 1932, avec l’institution des allocations familiales (p. 63).

    59 AD Puy-de-Dôme, R 0 1342, note de l’institutrice du Grand-Chambois (Puy-de-Dôme).

    60 Les premières mesures sont prises à l’automne 1914 et au printemps 1915 pour favoriser l’emploi des territoriaux aux travaux de semailles, en leur accordant une permission d’une durée maximum de quinze jours (circulaires du 24 octobre 1914 et du 2 février 1915). Deux autres circulaires (14 juin et 20 juillet 1915) organisent le régime des permissions agricoles pour les travaux de battage, accordées aux soldats en service dans la zone de l’intérieur ou dans les dépôts de la zone des armées. À ces permissions individuelles s’ajoute la constitution d’équipes de travailleurs. Les circulaires des 22 décembre 1915 et 10 mai 1915 permettent la création d’« équipes volantes » mises à disposition pour une journée ou une demi-journée, à l’initiative des généraux commandant les régions militaires. C’est cette main-d’œuvre qui est ici sollicitée. Par la suite, le ministère de la guerre procéda autrement en mettant à disposition les hommes des classes 1888 et 1889 comme main-d’œuvre agricole pouvant bénéficier d’un détachement (circulaire du 12 janvier 1917). La mesure fut étendue aux soldats du service auxiliaire des classes 1895 et antérieures, aux pères de cinq enfants ou veufs pères de quatre enfants appartenant à l’armée territoriale et exerçant des professions artisanales agricoles (bourrelier, forgeron…) (circulaire du 6 mai 1917), puis aux classes 1890 et 1891 (circulaire du 27 juillet 1917), et enfin à la classe 1896 (circulaire du 18 novembre 1917). Des détachements temporaires de dix jours à un mois furent possibles en remplacement de permissions agricoles (circulaire du 4 décembre 1917). En mai 1918 furent créées des « équipes de travailleurs ambulants » formées par des hommes de la classe 1892 au service armé et de la classe 1919 affectés au service auxiliaire.

    61 A.-M. Michelon, L’opinion publique…, op. cit., p. 40-41.

    62 Ibid., p. 42-43. E. Guillaumin fait mention de cette méfiance à Ygrande qui a fini par accepter les « prisonniers boches ». N.-J. Chaline, Émile Guillaumin, paysan-écrivain bourbonnais…, op. cit., lettre du 25 août 1916, p. 247.

    63 A.-M. Michelon, L’opinion publique…, op. cit., p. 45.

    64 Gilberte Lang, L’opinion publique dans le Puy-de-Dôme pendant la Première Guerre mondiale, mémoire de maîtrise sous la direction de Jean-Jacques Becker, université Clermont II, 1979.

    65 Sur le système des permissions, les activités des permissionnaires, ces « commis-voyageurs du front à l’arrière » : Emmanuelle Cronier, Permissionnaires dans la Grande Guerre, Paris, Belin, 2013. Dès l’été 1914, des congés ont été autorisés pour les travaux de moisson entre août et octobre 1914. Début 1915, de nouveaux congés sont octroyés pour le battage ou les semailles, puis à nouveau, au printemps 1915. Ces « congés » relèvent de l’exception, contrairement aux « permissions » dont l’attribution est générale (p. 13-16). Ces dernières sont d’abord accordées exceptionnellement, puis elles sont progressivement généralisées entre l’été 1915 et l’année 1916.

    66 Ibid., p. 23. Entre le 1er juillet 1915 et le 30 novembre 1916, un soldat a bénéficié en moyenne de deux permissions.

    67 N.-J. Chaline, Émile Guillaumin, paysan-écrivain bourbonnais…, op. cit., p. 43.

    68 Au début du conflit, le ministère de la Guerre avait autorisé dans l’urgence le retour d’un certain nombre d’ouvriers afin de relancer des ateliers à l’arrêt depuis la mobilisation. Puis la loi Dalbiez du 17 août 1915 a recherché à une affectation plus rationnelle de la main-d’œuvre, ramenant au combat des ouvriers jugés inutiles, mais permettant de conserver ou de renvoyer à l’arrière comme « affectés spéciaux » dans les usines d’armement, les mobilisés, considérés comme « ouvriers spécialisés ». La loi Mourier du 10 août 1917, luttant conte l’embusquage, a ensuite prévu le retour au front des plus jeunes et leur remplacement par des pères de familles nombreuses. Au total, 497000 ouvriers ont été mobilisés au cours du conflit. Xavier Vigna, Histoire des ouvriers en France au xxe siècle, Paris, Perrin, 2012, p. 24. Gerd Hardach, « La mobilisation industrielle en 1914-1918 : production, planification et idéologie », dans Patrick Fridenson (dir.), 1914-1918. L’Autre front, Paris, Les Éditions ouvrières, 1977, p. 81-109. Pour une présentation comparée de la mobilisation des ouvriers dans l’ensemble des belligérants, Antoine Prost, « Les ouvriers », dans J. Winter (dir.), La Première Guerre mondiale…, op. cit., p. 367-398.

    69 AD Allier, 1 M 718, police – état d’esprit des populations, 1915-1917, lettre du 18 juillet 1915.
    La commune de Neuvy appartient à la circonscription de Moulins-Ouest qui a élu depuis 1910 le député socialiste Pierre Brizon. Tout commence par une fausse lettre l’envoyant à Moulins au chevet de son mari soldat, censé être très gravement malade.

    70 Sur ces questions, voir Charles Ridel, Les embusqués, Paris, Armand Colin, 2007.

    71 AD Allier, 1 M 718, procès-verbal de la gendarmerie de Neuilly-le-Réal, 8 octobre 1914.

    72 Ibid. Voir par exemple une affaire à Marcenat en septembre 1914 (lettre de dénonciation d’un facteur pour propos alarmants sur la situation militaire, courrier du maire).

    73 AD Allier, 117J, lettre de Noémie à Albert Melin, 12 mars 1915.

    74 N.-J. Chaline, Émile Guillaumin, paysan-écrivain bourbonnais…, op. cit., lettre du 5 septembre 1918.

    75 HPSF, op. cit., lettre de Benoît à Claudine Dumont, 12 mars 1915.

    76 N. Beaupré, Les Grandes Guerres…, op. cit. (p. 278-288), relève que l’agriculture a moins souffert que d’autres secteurs, mais la situation est toutefois fort contrastée. À titre de comparaison, la synthèse ancienne et toujours utile de Michel Augé-Laribé, L’agriculture pendant la guerre, Paris, Fondation Carnegie/PUF, 1925.

    77 Marguerite Delaruelle, Les campagnes bourbonnaises entre les deux guerres mondiales (1919-1939), thèse sous la direction d’Albert Silbert, université de Clermont-Ferrand, 1977, p. 10.

    78 Leur fermier, J. Poulet, se plaint de la chute des prix des nourrains, ces jeunes porcs engraissés qui constituent sa principale ressource.

    79 AD Allier, 117J, lettre de Noémie à Albert Melin, 30 décembre 1914.

    80 N.-J. Chaline, Émile Guillaumin, paysan-écrivain bourbonnais…, op. cit., lettre du 8 juin 1916, p. 234.

    81 Le Moniteur du Puy-de-Dôme, 15 novembre 1915.

    82 Ce sentiment provoque des incidents sur les marchés à propos du coût des denrées alimentaires.
    Yves Pourcher, Les jours de guerre. La vie des Français au jour le jour (1914-1918), Paris, Plon, 1994, p. 155. Il relève des exemples quotidiens en Lozère, dans le Finistère et en Indre-et-Loire. Après guerre, les citadins rendent les paysans responsables de la vie chère et fustige l’enrichissement paysan : Édouard Lynch, Moissons rouges. Les socialistes français et la société paysanne durant l’entre-deux-guerres (1918-1940), Presses universitaires du Septentrion, 2002, p. 48-52.

    83 N.-J. Chaline, Émile Guillaumin, paysan-écrivain bourbonnais…, op. cit., lettre du 31 octobre 1918, p. 382. Alexandre-Félix Puechmaille était inspecteur primaire à Lapalisse. Mobilisé en 1914 au 98e territorial d’infanterie, il fut blessé en 1915 et quitta le front. Socialiste indépendant, il devint député de l’Allier en 1924.

    84 HPSF, op. cit., lettre de Claudine à Benoît Dumont, 26 novembre 1914.

    85 A.-M. Michelon, L’opinion publique…, op. cit., p. 145.

    86 Anne-Marie Dupin, « Le bourrage de crâne » dans la presse du Puy-de-Dôme pendant la Première Guerre mondiale (1914-1916), mémoire de maîtrise d’histoire, sous la direction de Jean-Jacques Becker et de Stéphane Audoin-Rouzeau, université Clermont-Ferrand II, 1986, p. 169.

    87 Par exemple, Guillaumin envoie des indications à sa femme sur ces lieux d’affectation.
    N.-J. Chaline relève que l’interdiction de parler de la guerre dans les lettres est ainsi souvent oubliée (N.-J. Chaline, Émile Guillaumin, paysan-écrivain bourbonnais…, op. cit., p. 42). Guillaumin souligne d’ailleurs les limites de la censure : « Tout vérifier n’est pas possible. Il faudrait la moitié de l’armée pour contrôler l’autre » (N.-J. Chaline, Émile Guillaumin, paysan-écrivain bourbonnais…, op. cit., lettre du 3 octobre 1916).

    88 Georges-Henri Soutou, L’or et le sang. Les buts de guerre économiques de la première guerre mondiale, Paris, Fayard, 1989. Sur les illusions d’une nouvelle géopolitique favorable à la France, du même auteur, La grande illusion : quand la France perdait la paix, 1914-1920, Paris, Tallandier, 2015.

    89 AD Puy-de-Dôme, 151 J 572, lettre du 5 juillet 1915.

    90 HPSF, op. cit., lettre du 5 septembre 1914.

    91 N.-J. Chaline, Émile Guillaumin, paysan-écrivain bourbonnais…, op. cit., lettre du 27 juin 1915. Il s’appuie sur les propos d’un Allemand cité par Romain Rolland.

    92 AD Allier, 1M718, rapport du 21 février 1916.

    93 AD Allier, 117J, lettre d’Albert à Noémie Melin, 14 août 1914.

    94 Id., lettre de Noémie à Albert Melin, 3 février 1915.

    95 La lassitude touche l’arrière dès l’hiver 1916-1917. Puis au printemps et à l’automne 1917, le moral de la population connaît deux nouveaux affaissements. N. Beaupré, Les Grandes Guerres, op. cit., p. 173-176.

    96 AD Allier, 1M718, rapport du 15 juin 1917.

    97 Id., rapport du 16 juin 1917.

    98 Id., rapport du préfet au ministre, 17 juin 1917.

    99 « Je vois que vous en êtes aussi au très mauvais pain », note E. Guillaumin le 5 août 1918.

    100 A. Fryszman, « Exultation festive et tristesse le 11 novembre 1918 : les paradoxes de la victoire dans le département du Puy-de-Dôme », Siècles, revue du CHEC, n° 39-40, 2014.

    101 AD Puy-de-Dôme, M06437, lettre du maire au préfet, 12 novembre 1918. Ibid., sur l’analyse de cet incident qui met en jeu le « pouvoir de sonner » du maire aux prises avec un charivari juvénile.

    102 Pour le Puy-de-Dôme, ces fêtes ont été étudiées en détail. A. Fryszman, La victoire triste ?…, op. cit., thèse, 2009.

    103 Ibid., p. 442-446. Dans le département du Puy-de-Dôme, les monuments aux morts lient intimement sacrifice, deuil et patriotisme dans le souvenir de la guerre et de la victoire de 1918. Sur le sujet, les travaux pionniers sont dus à Antoine Prost, « Les monuments aux morts », dans Pierre Nora, Les lieux de mémoire, t. I : La République, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1984, p. 195-225. Des synthèses ont prolongé cette approche : Philippe Rivé, Monuments de mémoire : les monuments aux morts de la Première Guerre mondiale, Paris, Mission permanente aux commémorations et à l’information historique, 1991 ; Annette Becker, Les monuments aux morts, mémoire de la Grande Guerre, Paris, Errance, 1988. Les enquêtes locales se sont depuis multipliées. Voir notamment N.-J. Chaline, Les gardiens de la mémoire. Les monuments aux morts de la Grande Guerre dans l’Allier, Yzeure, Amis du patrimoine religieux du Bourbonnais, 2008, ou Dominique Dussol, Laurent Jalabert, Josette Poncet et Jean-François Vergez, La mémoire de la Première Guerre mondiale dans les Pyrénées-Atlantiques, Pau, Éditions Cairn, 2014. Pour une approche internationale : Bruce Scates et Rebecca Wheatley, « Les monuments aux morts », dans J. Winter (dir.), La Première Guerre mondiale, vol. 3, p. 563-598.

    104 Isabelle Chave et Philippe Nivet, « Préfets et municipalités en août 1914 : l’organisation civile de la guerre », dans Août 1914. Tous en guerre !, catalogue de l’exposition des Archives nationales, Paris, 2014.

    105 Un mécanisme semblable est mis en valeur à Béziers et à Northampton par P. Purseigle, Mobilisation…, op. cit.

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