1Le corps de ville se recrute dans une fraction restreinte de la société nantaise car les règles de désignation réservent cette responsabilité à une oligarchie. Cette domination incontestable d’une élite sociale et culturelle sur la conduite des affaires urbaines ne saurait être automatiquement confondue avec le monopole politique de quelques puissants lignages considérant les charges du bureau de ville comme des fonctions patrimoniales. La supériorité d’une classe dirigeante ne signifie pas forcément le contrôle du pouvoir par une étroite minorité de familles cherchant à se constituer un domaine réservé. Il est tout à fait possible d’imaginer une classe politique en perpétuelle recomposition interne, avec un nombre important de familles nouvelles venant combler les vides laissés par les départs nombreux de familles honorées par une ou deux distinctions municipales.

2Beaucoup d’ouvrages parlent trop facilement de « caste municipale » en se référant à quelques lignages présentés comme exemplaires, sans se risquer à prendre la mesure globale de la mobilité familiale dans les corps de ville, se réfugiant derrière l’excuse de l’ampleur du travail à effectuer. C’est cette enquête statistique complète qui a été menée pour l’ensemble des familles de la municipalité d’Ancien Régime, afin de juger les mécanismes de reproduction de l’oligarchie politique nantaise. Au terme de cette démarche qui dégage d’abord les conditions institutionnelles et sociales du renouvellement, qui mesure ensuite l’importance relative des météores et des dynasties et qui s’achève sur une recherche des contours d’un noyau central, facteur de continuité, il sera possible de choisir entre les deux hypothèses.

Météores et dynasties

Les bases institutionnelles du renouvellement

Le mandat de maire

3L’annalité est de droit depuis l’édit de création de 1559 jusqu’aux lettres patentes du 26 mars 1721 qui portent le service à deux ans. Cette règle, commune à bien d’autres villes du royaume, tire son origine d’une double volonté : ne pas surcharger pour ne pas décourager certains notables peu pressés d’accepter de lourdes responsabilités administratives, mais surtout accélérer la rotation des familles pour permettre au plus grand nombre de bénéficier des honneurs municipaux. Dans la pratique, la possibilité de prolonger un maire sortant a permis d’allonger ce passage très rapide à la tête de l’administration locale1. Cette évolution est naturellement liée au renforcement progressif de la monarchie administrative.

4Dans les premières décennies municipales, l’annalité est de règle, rares sont les exceptions : quatre renouvellements pour 1565-1585. À partir de 1586, les habitudes sont bousculées. Jusqu’en 1598, on ne relève aucun mandat annuel, le marchand Jean Laubier étant même prolongé deux fois (1592-1594). Nul doute que les tensions politiques de la Ligue aient favorisé cette orientation par suite des efforts des groupes de pression pour assurer leur contrôle sur la cité. L’expérience a survécu à cette phase de crise politique, le corps électoral nantais et le gouvernement royal s’accordant pour transformer en habitude une continuation sur une année supplémentaire, sans que cela ne devienne une règle absolue comme le montre la non reconduction du sénéchal Louis III Charette en 1676 et du marchand Louis Mesnard en 1683.

5Des expériences à trois mandats sont même apparues dans le dernier tiers du xvii^e siècle. Une première anticipation en 1641-1644 s’explique simplement par une absence de nomination liée à la mort de Louis XIII. En 1670, l’affaire est nettement plus obscure. Jacques Charette de Montbert, a été élu en 1668 et 1669. Le 30 avril 1670, le grand bureau, en rupture avec la tradition, décide de le maintenir sur la liste des éligibles, lui permettant ainsi de solliciter de nouveau la confiance des piqueurs. Cette innovation ayant provoqué quelque émotion dans la cité, le marquis de Molac, gouverneur du comté, refuse de se rendre à l’assemblée du premier mai, bloquant ainsi le mécanisme de sélection. Le roi ayant cautionné l’initiative nantaise, le scrutin se tient le onze mai suivant. Charette, porté en tête par les électeurs, obtient également une troisième fois la confiance royale 2.

6Deux remarques s’imposent. Le dépassement des règles traditionnelles est à l’initiative de l’élite nantaise. Est ce à dire que cette dernière commence à prendre conscience de la mauvaise productivité de maires météores ? La justification avancée est étonnante, sinon incompréhensible. Le bureau a cru nécessaire d’appuyer sa décision sur la nouvelle réglementation de la noblesse municipale. Si Charette est maintenu sur la liste, c’est en théorie pour lui permettre de bénéficier de l’arrêt du conseil de 1667 qui exige trois ans d’exercice pour donner la noblesse à un maire, ce qui est complètement superflu pour quelqu’un dont la noblesse du XIV^e siècle a été reconnue par une sentence du présidial en septembre 1584. Il semble plutôt que cette histoire d’anoblissement n’est que le prétexte habilement invoqué pour ne pas provoquer trop de remous susceptibles d’aboutir au rejet d’une réforme désirée par une fraction de l’élite nantaise soucieuse de plus d’efficacité dans le suivi des affaires urbaines.

7L’attitude du corps politique dans les années suivantes confirme cette interprétation. L’ouverture à trois mandats semble avalisée sans devenir pour autant automatique. Ainsi, de 1668 à 1692, on compte cinq maires à trois mandats, quatre doublets et une annalité. C’est le gouvernement royal qui freine l’évolution. En 1681, il refuse une troisième mission à Jacques Frémon, conseiller au présidial. En 1683, il bloque aussi le doublement du marchand Louis Mesnard. En 1685, il empêche le triplement de l’alloué Claude Bidé3. Personne ne semble insister dans cette affaire, les Nantais ne gardant pas rancune au nouveau maire en le proposant volontiers en 1686 et 1687 pour un triplement que le roi accorde sans sourciller, montrant le peu de cas qu’il entend faire de ses critères d’un jour. La création d’un office de maire est un multiplicateur exceptionnel de l’évolution amorcée. Julien Proust conserve la direction du bureau de ville pendant presque 22 ans (22 septembre 1693 26 mai 1715), cette longue présence n’étant elle même interrompue que par son décès en charge.

8La municipalité, en rachetant l’office de maire à la fin de 1715, a retrouvé ses privilèges électoraux dès le premier mai 1716. Le procureur du roi au présidial André II Boussineau, prolongé artificiellement en 1717 à la suite de la suppression momentanée des élections, est quand même plébiscité par le corps politique en 1718. Le gouvernement accepte sans difficulté le troisième mandat et surprend même tout le monde en ne nommant personne en 1719, ce qui crée la première expérience à quatre ans de l’histoire municipale nantaise4. Les électeurs, n’osant imaginer par tradition autre chose que le triplement, avaient abandonné Boussineau dans leurs propositions de 1719. Ce sont donc les difficultés de définition de l’assemblée électorale qui, par ricochet, ont permis accidentellement de franchir une étape supplémentaire. En 1720, s’ouvre vraiment le xviii^e siècle municipal nantais en gestation depuis plusieurs années. Le subdélégué Gérard Mellier, nommé à la tête de l’échevinage sur la recommandation de l’intendance, conforte son succès en obtenant la création du mandat de deux ans en 1721 5.

9Au total, le gouvernement a légèrement freiné la tendance du corps électoral à maintenir en place les maires de Nantes sans que l’on puisse parler d’une hostilité de principe à cette orientation. L’impression d’un léger désaccord vient plutôt d’une dysharmonie chronologique dans les initiatives6. Cette réserve monarchique ne manque pas de piquant quand on sait que les justifications théoriques donnés par les intendants pour contrôler étroitement les grandes opérations d’urbanisme de la ville ont reposé essentiellement sur la critique de la rotation trop rapide des notables dans la municipalité nantaise.

Le mandat d’échevin

10Les lettres patentes de François II de 1559 ont donné un mandat de trois ans aux échevins, sans aucune possibilité de renouvellement. Contrairement à d’autres municipalités où la promotion à l’échevinage est préparée par l’accès à une sorte de conseil élargi servant d’espace probatoire pour l’aspirant, la structure extrêmement simplifiée de la mairie de Nantes ne permet pas d’allonger le service antérieurement à la nomination. Seule la tradition de consultation des sortis de charge, pour associer l’ensemble du corps de ville à la résolution des problèmes difficiles, maintient les échevins volontaires dans l’orbite du bureau servant. Ces assemblées très épisodiques, limitées de plus en plus au fonctionnement statutaire de l’institution, ne sauraient être confondues avec le véritable organe de direction que constitue le bureau servant. Les seules variables qui ont modulé les temps de présence active correspondent donc aux décès ou aux démissions qui laissent des mandats inachevés, à quelques difficultés politiques, et aux possibilités de progression à l’intérieur de l’institution en glissant des postes d’employés municipaux vers les responsabilités d’échevins.

11De 1567 à 1598, la communauté de Nantes jouissant du privilège de désigner directement ses édiles sans contrôle royal final, l’habitude est de remplacer le défunt aussitôt que possible, avec un scrutin extraordinaire, en milieu d’année, sans attendre forcément les élections statutaires du mois de décembre. La réforme d’Henri IV, qui institue la tutelle royale en 1598, remodèle la pratique en fixant des règles qui demeurent jusqu’en 1789. Il n’est plus possible d’organiser des élections complémentaires en cours de mandat et seules sont admises celles du premier mai. Ensuite, les notables qui sont désignés pour remplacer un défunt ou un démissionnaire se contentent de siéger pendant le temps qui reste à couvrir7. Le maintien en fonction est parfois modifié pour s’adapter à des difficultés administratives. En 1598, à l’heure de la revanche, lorsque Henri IV réorganise complètement le même bureau servant, la mise en route du renouvellement partiel, avec remplacement de deux échevins chaque année, oblige exceptionnellement à l’annalité pour les premier et second promus et au service de deux ans pour les troisième et quatrième. Un arrêt du conseil du 7 décembre 1637 ayant destitué les maire et échevins coupables de laxisme dans le traitement de deux émotions populaires anti-portugaises, Louis XIII a promu en bloc les six échevins proposés aux « piques » du premier mai 1637 en recourant au même système8. En 1643, à la suite du décès de Louis XIII, et en 1699, 1717, 1719, face à des contestations électorales, le pouvoir royal a préféré maintenir les sortants pour une année supplémentaire9.

Le mandat de procureur du roi-syndic

12Comme le maire, le syndic a reçu initialement un mandat annuel, mais il a été vite maintenu en poste sur de plus longues périodes, comme l’étaient les procureurs des bourgeois avant 1565. Les exemples du dernier tiers du xvi^e siècle prouvent qu’il n’y a pas de règle établie pour limiter son temps de service10. Après la mise sous tutelle de 1598, le mandat du syndic est porté à 3 ans avec possibilité de renouvellement. Les assemblées électorales et le pouvoir royal sont souvent tombés d’accord pour continuer plusieurs fois le même procureur11.

13En juillet 1690, le gouvernement a transformé le poste en office en suggérant la réunion au corps de ville moyennant finance, ce qui aurait permis de conserver les principes électifs12. Par insuffisance financière, la municipalité fut contrainte d’abandonner l’office aux enchères publiques qui ont profité à l’avocat René Dachon qui a exercé jusqu’à son décès, le 7 septembre 1706. Des querelles de succession ont retardé l’installation de Julien Bodart qui n’a pu entrer au bureau que le 13 juin 1709 pour décéder le 26 avril 1710. Sa sœur s’est alors entendue avec François Moricaud, parent de Dachon, permettant l’installation de ce dernier le 21 mars 171313

14La suppression générale des offices par l’édit de juillet 1717 a restauré la procédure élective. Moricaud, très apprécié, a été plébiscité par le corps politique nantais, mais le régent a préféré nommer un autre candidat peu soutenu, Nicolas Bouhier. La seconde vente des offices d’août 1722 a transféré la fonction à un nouvel acquéreur, Jean Cottineau, qui a commencé son travail le 28 avril 172314. La municipalité de Mellier ayant annulé par rachat global toute la création, les élections retrouvées sont cependant favorables à son maintien15. En 1731, les électeurs ont préféré appeler un nouveau titulaire, François Richard16. La troisième vente d’offices de novembre 1733 a permis à un nouveau venu, Jean Baptiste Retau, de s’installer pour longtemps au syndicat municipal où il est remplacé par un nouvel officier, Jean Baptiste Giraud, qui prête serment le 28 mars 1752 et travaille jusqu’à son décès en 1760. L’édit de février 1755 ayant poussé les municipalités au rachat de tous les offices créés en 1733, le bureau nantais a saisi l’occasion offerte par cette disparition pour négocier le remboursement du capital avec la veuve, replaçant ainsi cette charge dans un statut électif traditionnel à partir de 176217.

15Sous l’Ancien Régime, les temps de service ont ainsi eu tendance à s’allonger, avec comme moyenne 4 ans 2 mois pour le dernier tiers du xvi^e siècle, contre 5 ans 10 mois au xvii^e siècle et surtout 8 ans au xviii^e siècle, très marqué par la transformation en offices18. Naturellement les moyennes masquent des irrégularités assez fortes, qui ne remettent pas en cause la tendance générale. Plus on avance vers le xviii^e siècle, plus les mandats réduits sont de nature accidentelle, résultant de problèmes indépendants de la volonté générale nantaise ou des ambitions des titulaires en poste (décès ou refus royaux de prolongation). Les critiques répétées des intendants contre l’inefficacité des bureaux de ville trop rapidement renouvelés ont fini par persuader le corps politique du bien fondé d’une très ancienne évolution19.

Le poids des familles dans l’élite municipale

16La manière la plus simple et la plus rapide de procéder à l’analyse de la rotation des notables dans la municipalité consiste à considérer que les homonymes correspondent à des branches plus ou moins éloignées d’un même tronc. Avec les registres paroissiaux, spécialement ceux du xvi^e siècle qu’on aimerait plus bavards, il est souvent impossible de prouver des liens de parenté proche et effective entre deux notables municipaux car la répétition des mêmes prénoms choisis dans un registre restreint complique nettement la situation et les preuves manquent rapidement si le rattachement à la souche centrale remonte trop loin vers le xv^e siècle. On est donc réduit devant les déficiences des sources à risquer le postulat d’une parenté hypothétique sur la seule base de l’ancienneté du patronyme à Nantes.

17Peut-on se satisfaire d’une telle proposition de recherche ? L’examen attentif de certaines familles ne laisse jamais apparaître un quelconque rapprochement, ne serait ce que dans l’échange des parrains et des marraines. Dans ce cas, l’hypothèse d’une même origine lointaine fait vraiment figure de pari risqué cachant plutôt un manque de connaissance des véritables racines. Une attitude hypercritique ne risque-t-elle pas non plus de séparer abusivement des notables issus de branches se rejoignant à un niveau demeuré inconnu ? L’état de la documentation et l’ambiguïté de certains actes alignant les mêmes noms et prénoms ont constitué parfois un obstacle insurmontable pour sortir de ce dilemme. De minutieuses recherches ont permis de recenser 21 patronymes inscrits sur les listes municipales correspondant en réalité à des familles bien distinctes20.

Engagements isolés et traditions familiales

18Ce tableau des types de présence familiale dans la vie municipale, page ci-contre, n’a retenu que les charges électives de maire, échevin et syndic. Pour obtenir la mesure de l’engagement exact de ces lignages, ont été ensuite ajoutées leurs responsabilités éventuelles de greffier, miseur et contrôleur. Cela n’introduit que douze personnes supplémentaires21

19Le fait familial domine donc la distribution du pouvoir local à Nantes puisque 304 notables sur les 571 associés à l’administration urbaine, soit 53,22 %, appartiennent au type de présence familiale, alors que 267 autres notables sont seuls à illustrer une famille qui n’a donc qu’un contact éphémère avec la direction des affaires de la cité. Il faut observer toutefois que la supériorité de la participation familiale reste assez timide et il serait mal venu de parler d’hégémonie d’un petit groupe fermé lorsqu’un nombre aussi grand d’élus gonfle la catégorie des individuels.

20Onze familles ayant placé quatre de leurs membres ou plus dans la municipalité font vraiment figure de dynasties supérieures et méritent sans conteste cette appellation (10 % des édiles). Vingt cinq familles supplémentaires qui ont été honorées par trois nominations municipales apparaissent comme des dynasties inférieures qui illustrent cependant encore sans problème l’attachement familial aux responsabilités urbaines. Peut-on encore parler de dynasties lorsque le fils succède au père, le neveu à l’oncle ou lorsque deux frères ou deux cousins cohabitent de près ou de loin dans l’institution ? C’est pourtant sous cette forme que le fait familial s’exprime le plus dans la distribution des responsabilités puisque 86 familles sont représentés par 172 individus tandis que 36 dynasties d’au moins trois membres ne totalisent que 132 élus. Nul ne songe à rabaisser exagérément

Responsabilités municipales, familles et individus, 1565-1789

21la réalité dynastique dans l’ordre municipal nantais puisque cet ensemble supérieur contrôle quand même 23 % des élus dans sa définition la plus large. Il s’agit seulement de bien savoir de quoi on parle et de ne pas imaginer une poignée de familles ayant colonisé l’administration urbaine en y plaçant des parents par dizaine.

22Une première approche un peu simpliste de la concentration du pouvoir urbain peut être obtenue avec le calcul du chiffre moyen d’élus par famille, ce dernier indiquant grossièrement une tendance à l’ouverture ou à la fermeture du groupe dirigeant. Une tendance à la réduction du nombre des individus et des familles intégrés dans le corps de ville caractérise la période 1565-1789, avec une contraction légèrement plus rapide du nombre

Les dynasties municipales nantaises sous l’Ancien Régime

23des présences familiales : 1,2 pour 1565-1598, 1,3 pour 1598-1699, 1,35 pour 1700-1789. Nantes se place légèrement au dessous de Lille (1,49 pour 1668-1789) et très en dessous de Valenciennes (1,71 pour 1677-1789), ce qui incite à souligner le poids relatif des météores dans la vie municipale nantaise22. La comparaison entre les trois phases semble cependant indiquer une tendance à l’accroissement du pouvoir des familles et à une légère érosion de l’importance des édiles isolés. Ceci reste tellement léger qu’il serait exagéré de conclure à un impérialisme des familles municipales. De plus, cela ne veut pas dire que ce sont les lignages anciennement implantés qui manifestent une réaction aristocratique, mais simplement que la présence des familles, même nouvelles, progresse au détriment des notables isolés. Le phénomène constaté peut en effet s’expliquer aussi bien par un renforcement des anciens lignages que par l’émergence de nouvelles familles dans l’élite socioculturelle.

Importance relative des réseaux de parenté

24Les premières conclusions sur la faible importance du phénomène dynastique ne sauraient suffire pour caractériser la vie municipale nantaise puisqu’elles ne reposent que sur l’étude de la parenté de sang, sans inclure l’élargissement apporté par les alliances. Aussi est-il indispensable de les soumettre à vérification en observant les mutations d’ampleur de ces dynasties une fois intégrés les autres édiles rattachés par mariage à la famille centrale. Cette approche globale exigeant un énorme travail de documentation, nous ne pouvons proposer pour le moment que des indications à partir des alliances entre les familles de maires. Si l’existence d’un lignage principal auquel viennent se rattacher les autres familles secondaires reste une condition indispensable pour parler encore de dynastie, les grossissements observés ne remettent pourtant pas en cause le premier diagnostic.

25Deux lignages particulièrement importants augmentent ainsi leur influence. La dynastie des huit Charette passe à dix avec l’adjonction de Julien Laurens, époux d’Yvonne Charette, maire en 1601-1603, et de Jacques Raoul, époux d’une autre Yvonne Charette, maire en 1621-1623. Il est impossible d’y inclure les alliances avec les de Cornulier ou les Ménardeau dans la mesure où l’intégration municipale des représentants de ces lignages a largement précédé la conclusion des mariages avec les Charette. La dynastie des quatre maires Harouys passe à six avec l’addition de Pierre Bernard, époux de Françoise de Harouys, maire en 1615-1617, et de son fils René Bernard, maire en 1633-1634. Les hésitations sont grandes pour André Morin, maire en 1617-1619, mais il s’est avéré impossible d’établir la moindre de preuve de parenté entre ce notable et le maître des comptes Georges Morin, époux en secondes noces d’Anne Harouys, sœur du maire de 1589 et 1598.

26Certaines successions à la direction du bureau de ville laissent supposer de fortes solidarités familiales qui peuvent peut être passer pour des dynasties secondaires d’un autre type. Le maître des comptes François Boux, le sénéchal Jean Charette et l’alloué et lieutenant général Claude Bidé, qui se succèdent de 1648 à 1654, sont tous trois mariés à des demoiselles Ménardeau, famille composée de deux branches dont une a donné René Ménardeau, alloué, maire de 1627 à 1629. Des liens de parenté plus ou moins proches peuvent rendre compte partiellement de certaines filiations. L’alloué Claude II Bidé, qui succède en 1683 au marchand Louis Mesnard du Pavillon, peut se souvenir que la première épouse de son père était une Mesnard de la Noë, d’une branche parente. Ce Louis Mesnard se remarie d’ailleurs en 1684 avec Marguerite Bidé de La Cormerais, d’une branche parente. Le juge criminel au présidial Paul Cassard, maire en 1688-1690, qui a épousé une Mesnard de la Noë, laisse la place à son beaufrère Pierre Noblet, avocat général aux Comptes.

27Ces exemples où des familles alliées semblent se passer le relais illustrent plus des réseaux de parenté que de véritables dynasties car les liens familiaux, qui semblent parfois très lointains et fort indirects, ne privilégient pas un lignage permettant de donner une identité forte à un ensemble ainsi constitué. L’observation fine des alliances entre les familles de maires a permis de faire émerger deux réseaux de parenté, en sus des deux dynasties Charette et Harouys, qui ont pu jouer un rôle dans le contrôle de la présidence du bureau de ville.

Réseau d’alliances et poste de maire, 1566-1662

28En partant des alliances matrimoniales et des choix de parrains et de marraines dans les familles de maire, nous avons tenté de reconstituer les réseaux d’influence des Charette et des Harouys centrés sur deux véritables dynasties en les opposant aux autres réseaux à la structuration beaucoup plus éclatée. Le classement chronologique des maires cherche à montrer sur quelle phase du xvii^e siècle chaque ensemble a connu son influence maximale.

Réseau d’alliances et poste de maire, 1565-1652

Les grands réseaux de notables et le poste de maire à Nantes au xvii^e siècle

29Trois réseaux de notables semblent ainsi avoir eu la possibilité de peser avec une certaine efficacité sur la désignation du maire de Nantes au xvii^e siècle. Cette emprise concerne 29 nominations sur 48, les installations par office et commission devant être soustraites. L’hypothèse d’une caste étroite de familles toutes apparentées formant ainsi une seule et même grande famille n’est donc pas vérifiée dans la vie politique nantaise puisque plusieurs ensembles se concurrencent pour finalement se partager six postes sur dix, en étant obligés de laisser la distribution des quatre autres obéir à d’autres considérations. Si la répartition des élus montre une longue influence de ces grands réseaux, elle souligne également l’effritement de leur puissance de contrôle à partir du dernier tiers du xvii^e siècle. Ceci est en correspondance directe avec l’évolution sociologique déjà dégagée qui a montré une méfiance grandissante des anciennes familles de l’élite nantaise qui prennent progressivement leurs distances avec une institution dont le prestige a faibli. Il ne faut pas non plus tirer des conclusions excessives de cette analyse de réseaux de parenté ou d’amitié car si le tableau valorise à juste titre la prédominance des Charette, il accentue sans doute exagérément l’effacement des Harouys dont l’influence se prolonge dans la seconde moitié du siècle par l’intermédiaire de Guillaume de Harouys, le célèbre trésorier des États de Bretagne, le point de convergence de tous les réseaux financiers de la province.

Rotation des familles dans la municipalité

30Une première mesure de cette rotation peut prendre appui sur les grandes phases chronologiques dégagées dans cette étude23. Dans chaque période considérée, on appelle « familles nouvelles » celles dont la première responsabilité n’est pas antérieure au cadre chronologique retenu. Le rapport du nombre de familles sans antécédents sur le total des familles appelées détermine le coefficient de renouvellement sur une longue période.

Renouvellement calculé sur une définition large des familles nouvelles

31Tableau 58.

32La tendance générale est particulièrement nette. Dans les quatre phases déterminées, le coefficient ne cesse de progresser, brutalement de la première à la seconde, lentement ensuite. L’histoire sociale de la municipalité de Nantes apparaît donc comme le contraire d’une fermeture. Dans l’ensemble homogène 1598-1789, le coefficient toujours au dessus de 0,5 prouve une supériorité structurelle des familles nouvelles sur les anciennes et sa progression de 0,57 à 0,79 suggère une accélération régulière de la noria des notables qui alimente l’administration locale. Il apparaît de plus en plus facile pour une famille bourgeoise désirant affermir son prestige par l’exercice de responsabilités publiques de satisfaire son ambition.

33La dénivellation entre la première et la seconde période peut surprendre : comment est-on passé de 0,23, coefficient très faible, à 0,57 ? Plusieurs raisons se mêlent pour expliquer cette spécificité des débuts de l’histoire municipale. Elles relèvent à la fois des défauts de la méthode de classement des familles et du contexte politique. Sont classées anciennes les familles dont l’un des membres a participé au conseil des bourgeois. Comme ce collectif pouvait admettre plusieurs dizaines de participants, il est naturel que cette étiquette soit distribuée de manière beaucoup plus large qu’après l’institution d’un véritable bureau servant qui se limite à douze personnes jusqu’en 1584 pour ensuite se resserrer à huit24. D’autre part, cette première phase s’avère nettement plus courte que les autres, avec à peine plus de trente années contre cinquante ou soixante dix ans pour les autres. Les familles nouvelles se multipliant plutôt à la fin des périodes analysées, cette brièveté pénalise le derniers tiers du xvi^e siècle et abaisse donc abusivement son coefficient. Enfin, n’oublions pas les luttes politiques très intenses qui ont entouré la naissance de la municipalité25. Pour vaincre l’hostilité générale des pouvoirs en place, il a fallu la ténacité et l’engagement d’un groupe de pression centré sur l’élite commerçante qui avait largement infiltré le conseil des bourgeois dans la première moitié du siècle. Cette volonté d’imposer la nouvelle structure conjuguée à l’attentisme ou au boycott des gens de justice bloqués par l’hostilité du présidial, de la Sénéchaussée et de la prévôté, a tout naturellement favorisé le maintien des familles qui avaient désiré et obtenu les lettres patentes de 1559.

34Il faut accorder une attention particulière au renouvellement des maires. Si on excepte la première période marquée par une volonté explicite d’élargir le champ social du recrutement pour mieux faire accepter la nouvelle institution par une judicature hostile, les coefficients des trois autres périodes demeurent toujours inférieurs au niveau moyen. Ceci est spécialement vrai du long xvii^e siècle (1598-1719) marqué par un degré de renouvellement nettement faible, signe d’une certaine fermeture sociale autour de ce poste de prestige. Dans les deux premiers tiers du xvii^e siècle, les deux tiers des familles sélectionnées étaient déjà dans le conseil des bourgeois. Cette impression de chasse gardée autour de la fonction de maire est encore renforcée en totalisant les successions de père à fils ou entre frères si fréquentes à cette époque. Le nombre non négligeable d’échevins qui deviennent maires quelques années plus tard après leur première sortie de charge contribue également au même phénomène. Entre 1669 et 1719, le degré d’ancienneté des familles a tout de même tendance à diminuer, même si l’évolution n’est pas spectaculaire. C’est seulement avec un xviii^e siècle, qui commence avec Gérard Mellier, que le temps de renouvellement se rapproche nettement du niveau moyen, ce qui signale une plus grande redistribution familiale, obtenue lorsque la fonction a été placée sous l’étroite surveillance de l’intendance et que la continuation des mandats sur des périodes plus longues a réduit le nombre d’élus. La centralisation politique a sans doute contracté l’autonomie de gestion de la municipalité, mais a permis une meilleure rotation du personnel. La distribution du poste échappe de plus en plus aux familles anciennes à partir du dernier tiers du xvii^e siècle.

35Les différences entre les recrutements des maires et échevins s’inscrivent comme une donnée permanente de l’histoire politique de la ville, le taux des familles nouvelles étant toujours inférieur à la moyenne générale pour la charge de maire et toujours supérieur pour les responsabilités d’échevins, même si les écarts se réduisent avec le temps.

36Dans le nord du royaume, les pourcentages de familles nouvelles sont de 61,34 % pour Lille (1668-1789) et de 61,73 % pour Valenciennes (1673-1789)26. Pour être parlante, la comparaison avec Nantes doit être établie sur une base identique, ce qui oblige à regrouper les deux dernières phases étudiées (1669-1789). Avec un taux de familles nouvelles de 84,31 %, la recomposition de l’élite dirigeante nantaise apparaît encore plus rapide que celle des villes du Nord qui demeure pourtant assez importante. Ce décalage impressionnant s’explique par l’opposition de deux phases historiques dans la composition de l’élite municipale nantaise. La césure retenue correspond au retrait massif des officiers de justice qui laisse la place à d’autres familles nouvelles d’avocats ou de procureurs, mais surtout à un profond renouvellement de l’élite négociante de la ville dans laquelle les familles dominantes depuis le xvi^e siècle cèdent progressivement la place à des familles à l’ascension récente ou à des notables immigrés de toutes les villes de France, mais spécialement du Val de Loire, de la Bretagne et du Sud-Ouest. Les besoins humains d’une économie portuaire en marche vers son siècle d’or, conjuguée aux traditions de cosmopolitisme établies depuis au moins le second xv^e siècle, n’est sans doute pas étrangère à une telle définition de l’élite. La bourgeoisie nantaise adopte rapidement les nouveaux venus sous réserve d’enrichissement rapide et de communion spirituelle à la même religion. Selon la coutume de Bretagne, le droit de bourgeoisie est simplement lié à une résidence urbaine d’au moins un an et un jour. Toutes les tentatives des marchands d’interdire le commerce de commission aux étrangers et aux naturalisés qui n’auraient pas dix ans de résidence ont toujours été repoussées par la monarchie ou même par une municipalité dominée par la judicature dans la première moitié du xvii^e siècle27.

37Dans une seconde mesure de la vitesse de rotation, il est apparu nécessaire de partir d’une définition plus sévère en réservant le qualificatif « nouveau » aux seuls notables dont la famille entre pour la première fois dans les structures municipales. Cette règle simple doit être cependant tempérée par quelques exceptions. Que dire d’un maire qui accède à la fonction supérieure quelques années ou quelques décennies après une expérience d’échevin ou de syndic ? Comment qualifier les syndics venus eux aussi de l’échevinage ? Ces hommes ne sont pas neufs puisqu’ils ont déjà une expérience administrative, mais, l’étude s’inscrivant dans une dimension familiale, on peut estimer que les lignages n’ont pas perdu leur caractère récent sur une période souvent limitée. Dans le tableau proposé, la seconde charge occupée a conservé le caractère de nouveauté. Un problème identique concerne les frères ou les cousins qui accèdent presque en même temps à l’administration urbaine. À partir de quels intervalles gardent-ils la même identité ou au contraire font-ils basculer la famille dans le groupe des lignages anciens habitués aux responsabilités ? Les mandats obtenus dans une fourchette de dix ans ont paru mériter le même classement que le premier d’entre eux, la famille glissant ensuite dans l’ancienneté.

Familles anciennes et nouvelles dans une définition étroite, 1570-1789

38Dans le profil obtenu, l’histoire municipale du renouvellement des familles se divise en deux grandes périodes. La première, qui court de 1565 à 1669, ce qui la fait correspondre exactement aux deux premières phases étudiées précédemment, est marquée par la prédominance des familles anciennes sur les institutions. Sur les onze séquences, neuf sont en faveur des lignages déjà honorés de participations antérieures, avec des écarts nettement dessinés sauf pour deux décennies plus équilibrées. Par contre, la seconde période, qui mène de 1670 à la fin de l’Ancien Régime, les deux dernières phases de nos tableaux précédents, est placée sous le signe d’une suprématie des familles nouvelles qui triomphent dans neuf des douze séquences analysées, une dixième étant équilibrée. Cette opposition de longue durée qui suggère une rotation politique plus grande au sein de l’élite sociale nantaise à partir du dernier tiers du xvii^e siècle confirme heureusement la première impression dégagée à partir des premiers critères retenus. Elle est en parfaite cohérence avec les mutations sociologiques de l’échevinage dégagées dans cette étude.

39Dans ce schéma général se glissent quelques décennies originales ou même aberrantes par rapport à l’évolution sur le long terme. La première séquence qui suggère la confiscation totale de l’appareil par les anciens doit être mise à part pour des raisons politiques et méthodologiques déjà commentées. Le rééquilibrage s’effectue d’ailleurs assez rapidement avec les compromis passés entre le commerce et la judicature entre 1575 et 1581. Remarquons l’influence de la Ligue qui s’exprime en terme de réaction de défense des familles anciennes plutôt marchandes à la reconquête d’une influence érodée. Cette situation paraît conforme à l’interprétation classique des luttes politiques depuis le milieu du xvi^e siècle, le milieu commerçant étant aussi celui qui s’est le plus largement engagé dans la rébellion du duc de Mercœur, ce qui a favorisé le retour des familles déjà engagées dans les conflits d’autorité de la période 1555-1575.

40La flambée de familles nouvelles qui accèdent aux responsabilités de 1610 à 1619 est sans doute liée à l’agitation politique qui caractérise la décennie. La politique de réconciliation voulue par Henri IV s’était traduite par le maintien de familles déjà en place à la fin du xvi^e siècle. La participation du duc de Vendôme aux prises d’armes des Grands a renforcé la méfiance du pouvoir royal à l’égard de tous les anciens ligueurs, même repentis, ce qui a favorisé l’émergence de familles nouvelles. L’arrivée en force du clan Charette, qui s’introduit alors dans la municipalité, s’est accompagnée de la montée en puissance de tous ses alliés et protégés. De toute façon, le caractère exceptionnel de cette poussée est bien marquée par la décrue régulière qui couvre les trois décennies suivantes en ramenant la proportion au niveau de la fin du xvi^e siècle, ce qui rend encore plus inattendue le renversement qui caractérise la séquence 1650-1659. Cette inversion pourrait être le premier signe avant coureur du grand retournement de tendance qui débute en 1670. Ce dernier est certainement lié aux modifications profondes qui affectent la composition sociologique de l’échevinage au milieu du siècle avec la renaissance politique de l’élite marchande et le remplacement progressif des officiers des Comptes et du présidial par des avocats, mais surtout des procureurs.

41Dans la seconde phase de l’histoire du renouvellement où dominent les familles nouvelles, la seule séquence vraiment aberrante est celle de 1740-1749. Il serait bien imprudent d’y chercher un climat politique spécial car elle est surtout perturbée par la politique royale des créations d’offices municipaux qui a abouti à la suspension des élections de 1742 à 1748 et donc annulé les chances de promotion dans ces années. La contraction de la base de calcul rend très risqué tout essai d’interprétation politico-sociale, l’autorité royale prolongeant artificiellement des mandats débutés en 1739-1741, le ministère n’ayant même pas cherché à délivrer des commissions qui auraient pu servir de tremplin à des personnalités nouvelles. Mieux vaut rester sur l’image cohérente laissée par les autres décennies.

Caste ou oligarchie perméable ?

42De nombreux auteurs ont souvent insisté sur l’étroitesse des milieux dirigeants des grandes villes de l’Ancien Régime en mettant en avant le petit nombre de familles concernées, l’importance des liens de parenté et le caractère dynastique de la transmission du pouvoir28. Trop souvent, malheureusement, ces jugements ne reposent que sur les citations de quelques cas considérés trop vite comme exemplaires et ne s’assurent pas d’une analyse statistique complète de l’ensemble du personnel concerné. Le terme de « caste », qui évoque un monopole étroit de l’autorité au profit d’une très faible minorité privilégiée, avec franchissement très difficile de la frontière sociopolitique très surveillée par cette élite supérieure, n’est guère soumis à une analyse quantitative globale préalable.

43Des estimations ont été néanmoins proposées pour certaines grandes villes situées de part et d’autre de la frontière nord du Royaume. En observant l’évolution du nombre des familles, Ph. Guignet constate que c’est le premier quart du xvii^e siècle qui a vu le plus grand nombre de familles associées aux responsabilités, sauf pour Valenciennes où l’ouverture est maximale entre 1525 et 1575. Après cet apogée d’un système qui appelle beaucoup de familles, les courbes ne cessent de baisser dans un ensemble presque parfait jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, Tournai connaissant la plus grande pente et donc la plus forte sclérose29. Pour confronter les réalités nantaises à ces conclusions, nous avons repris la méthode de travail utilisée en classant les familles concernées par le bureau municipal en tranches de vingt cinq ans correspondant environ à une génération.

Nombre de familles par tranches de 25 ans, xvii^exviii^e siècles

44Tableau 59.

45La ventilation des familles oppose les xvii^e et xviii^e siècles. Une érosion certaine dans le dernier siècle ne se révèle pourtant pas progressive puisque l’estimation des quinze dernières années montre un très léger redressement qui pousse plutôt à parler de stabilité séculaire. Le profil nantais est donc radicalement différent de ceux des villes du Nord qui connaissent une réduction impressionnante et continue de 1600 à 1789, Tournai passant ainsi de plus de cent familles à vingt. Il est donc difficile de reporter telle quelle sur Nantes la conclusion à l’oligarchisation croissante qui caractérise les autres grandes cités, d’autant plus que l’écart numérique qui oppose les deux siècles s’explique principalement par des modifications institutionnelles ou par une évolution de la perception du travail administratif. Si le nombre de familles est moindre au xviii^e siècle, c’est parce que les maires et les syndics restent de plus en plus longtemps en charge à cause des créations d’offices, mais aussi des renouvellements plus fréquents de mandats qui ont d’ailleurs été portés à deux ans pour le maire en 1721. La contraction du nombre de familles vient donc d’une adaptation de l’institution aux réalités politiques et non pas d’un expansionnisme des dynasties municipales. Si une tendance très modérée à l’accaparement du pouvoir par certaines familles peut-être décelée, elle caractérise d’abord le xvi^e siècle.

46Dans les villes les plus importantes de la frontière Nord, la part relative des anciennes familles diminue au fur et à mesure que s’écoule le xviii^e siècle. Cette usure du temps frappe surtout les familles du xvii^e siècle et, curieusement, épargne plus, de manière relative, quelques anciens lignages qui résistent mieux. Ainsi, dans les quinze années qui précèdent la Révolution, plus des trois quarts des familles ne sont apparues qu’au xviii^e siècle30. Cette évolution à long terme caractérise également Nantes puisque les familles suivies simplement dans le temps des grandes phases analysées atteignent les taux de 57 % pour 1598-1668, 68 % pour 1669-1719, et 71 % pour 1720-1789. Dans la dernière tranche 1775-1789, trente familles ont été intégrées au bureau servant : dix huit ont connu ainsi leur première distinction, quatre avaient déjà obtenu un poste depuis 1750, trois depuis 1700, et cinq seulement étaient associées à la municipalité antérieurement au xviii^e siècle, dont deux depuis 1650 et trois depuis le xvi^e siècle. Les réalités des cités du Nord se retrouvent donc dans la Basse-Loire avec encore plus de force car la proportion des familles du xviii^e siècle dépasse ici les quatre cinquièmes.

47Cette rapidité du renouvellement de l’oligarchie municipale nantaise est encore illustrée par d’autres comparaisons. En prenant pour chaque siècle les familles apparues depuis moins de deux générations dans les institutions municipales, l’importance relative des familles récentes prend une vigueur toute particulière à Nantes.

Importance relative des familles associées depuis moins de deux générations

48La recomposition permanente de la classe dirigeante nantaise apparaît nettement plus intense que dans les cités nordiques, spécialement au xviii^e siècle, où la noria qui alimente le milieu échevinal a accéléré sa rotation. Ceci doit être particulièrement souligné puisque trois villes sur les cinq qui servent de base comparative ont connu une évolution inverse, Lille et Cambrai ayant seules suivi le chemin de Nantes31. L’écart qui sépare les deux siècles à Nantes ne correspond d’ailleurs sans doute pas à une évolution sociologique aussi forte car la part des familles anciennes du xvii^e siècle est gonflée par l’existence du conseil des bourgeois avant 1565. Ses facilités de participation expliquent le nombre plus important de familles introduites depuis deux générations ou plus, surtout au début du xvii^e siècle.

Les principales familles municipales d’Ancien Régime

49Toutes les analyses précédentes ont nettement distingué des types de participation très différents suivant les familles, toutes ne manifestant pas le même intérêt pour les responsabilités municipales. Au dessus d’une majorité de météores, quelle minorité de lignages peut faire figure de noyau central, facteur de continuité, responsable de la définition des grandes orientations du corps de ville ? Pour dessiner avec assez de finesse le portrait de ce groupe directeur, nous avons essayé de varier les angles d’approche et de confronter les résultats d’analyses complémentaires.

L’inscription d’un intérêt familial dans la durée

Degré d’importance des engagements à long terme

50Une première approche consiste à calculer pour chaque tranche de vingt-cinq ans par siècle combien de familles entrées dans cette période pour une fonction de maire, d’échevin ou de syndic sont encore honorées par une ou d’autres nominations dans des phases ultérieures. Cette méthode, qui ne peut donner que des résultats approximatifs car cette séparation du temps en quart de siècle déforme le classement des familles, est néanmoins très utile pour mesurer des écarts et suggérer une tendance. Ainsi, à Nantes, une évolution non linéaire oppose la première et la seconde moitié du xvii^e siècle qui diffèrent elles-mêmes de l’essentiel du siècle suivant. De 1600 à 1650, presque un tiers des familles citées prolongent leur engagement au delà de la tranche considérée, tandis que de 1650 à 1700, il n’en reste pas un quart. Le premier quart du xviii^e siècle rompt cette érosion du nombre des familles attentives à l’administration de la ville en restaurant les proportions du premier xvii^e siècle. Cette réaction, qui est largement le fait de familles nouvelles qui s’affirment depuis peu dans l’élite sociale, ne s’inscrit pas dans la longue durée puisque la période 1725-1775 marque un effacement régulier et encore plus affirmé du nombre de familles anciennes porteuses d’une tradition de service municipal. La mise en parallèle des taux avec ceux des villes flamandes souligne une fois de plus l’importance de la rotation des familles dans les institutions nantaises.

Importance relative des familles dont l’intérêt dépasse un quart de siècle

51À Lille, Valenciennes…, les familles qui ne manifestent qu’un intérêt épisodique pour le bureau de ville ne deviennent majoritaires qu’à partir de 1675 et d’ailleurs ne l’emportent que de peu (52 %)32. À Nantes, le phénomène est beaucoup plus massif et parfaitement affirmé dès le xvii^e siècle. Les villes ont en commun un renforcement progressif des taux d’évaporation rapide, sur des niveaux quantitatifs assez différents. Il existe même une rupture commune de la tendance générale qui se situe au xviii^e siècle et qui marque donc comme une hésitation, ce retour à un profil ancien du début du xvii^e siècle ne correspondant pourtant pas à la même période. Ce décrochage éphémère dans la courbe générale n’annonce pas une mutation profonde des attitudes des élites vis à vis de la municipalité car il est suivi par une reprise vigoureuse qui signale plutôt le triomphe des évolutions en cours depuis le début du xvii^e siècle. Gardons donc en mémoire que de 1598 à 1789 une large majorité des familles (des deux tiers aux quatre cinquièmes) ne furent que de passage dans le corps de ville de Nantes.

52Pour saisir vraiment bien de quelle manière les familles ont été associées à l’histoire municipale nantaise, il est apparu nécessaire de retenir comme critère complémentaire les écarts chronologiques qui séparent les premières et dernières nominations qui les concernent. Les promotions au temps du conseil des bourgeois comme celles postérieures à 1789 n’ont été acceptées que pour des notables dont le rattachement généalogique à la famille souche des xvii^e et xviii^e siècles a pu être sérieusement établi. Tous les cas d’homonymie non confirmés par les analyses de reconstitution des familles ont été écartés de cette présentation. Ils caractérisent surtout le xvi^e siècle où la recherche documentaire se révèle beaucoup plus délicate.

53Il ne s’agit pas d’établir un palmarès de longévité car les durées comprises entre la première nomination et la dernière sortie de charge ont une signification beaucoup trop ambiguë. Ph. Guignet, qui a retenu ce type de mesure pour une estimation du renouvellement des corps de ville de Lille et Valenciennes, justifie sa démarche par la nécessité d’estimer la qualité des réseaux de relations qui maintiennent les familles dans le cadre étroit de l’élite politique. La longue durée serait ainsi une preuve du maintien de la productivité des liens de solidarité qui restent une base indispensable pour briguer avec des chances de succès une fonction municipale33. Pourtant, dans l’intervalle, le retrait momentané du champ municipal peut relever d’explications assez contradictoires. Dans la logique de l’interprétation qui s’appuie sur la qualité de l’intégration dans l’élite socioculturelle, il peut s’agir effectivement d’un certain effritement des positions sur quelques générations avant qu’un héritier ne redresse la situation. Mais cette éclipse peut aussi bien correspondre à une stabilisation ou même à une amélioration du réseau de relations. Dans le premier cas, l’effacement est plutôt lié à une insuffisance de prestige et n’est pas volontaire ; dans le second, il s’agit plutôt d’un réflexe de fierté envers une institution jugée insuffisamment honorable. Le renoncement est alors prémédité. Quelque soit le type de situation, cet éloignement plus ou moins long des institutions locales ne saurait servir à juger positivement de l’influence municipale des familles concernées.

54Il serait pourtant injuste de compter comme absente de la vie politique une famille qui aurait vu par exemple plusieurs de ses membres sélectionnés par le corps politique nantais mais oubliés par le pouvoir royal. Doiton également ignorer les notables inscrits sur les listes d’éligibilité, qui ont ainsi satisfait aux exigences de l’examen de passage de la cooptation oligarchique, mais qui n’ont jamais été bien placés aux élections ? Toutes ces réserves expliquent pourquoi ce n’est pas tant le nombre d’années qui séparent les fonctions extrêmes que la manière dont se disposent les élus d’une même famille sur cette période qui demeure le plus suggestif. Plutôt que de rechercher un palmarès des longévités, parlons surtout de types de présence dans un temps municipal.

55En dehors des Michel (194 ans pour cinq échevins), les longévités supérieures sont grossièrement séculaires, dans une fourchette qui s’ouvre de 90 à 120 ans. Si les Bruneau (123 ans), les Marion (114 ans) et les Bizeul (105 ans) ne sont associés que pour deux échevins, la plupart des lignées sont illustrées pour trois notables ou plus34. Viennent ainsi dans l’ordre décroissant des écarts les Dachon, Libault, Chiron, Bidé, Dureau, Gauvain, Valleton, Poullain, Langlois, Lory. Quatre familles à deux notables seulement, les Moricaud, Ollivier, Ertaud et de La Ville, complètent ce groupe à son niveau plancher. Derrière ce premier lot de familles qui s’étalent largement dans le temps municipal vient un second ensemble qui s’inscrit dans la fourchette 50/80 ans. Ce sont 27 familles, douze à trois membres et plus et quinze à deux élus, qui se répartissent en pyramide sur les trois décades avec respectivement six, neuf et douze exemples superposés. Les distensions qui résultent de deux promotions très éloignées deviennent ici l’explication primordiale.

56En ne prenant que ces deux ensembles les plus dispersés sur une longue durée, voici 45 familles qui ont sans doute conservé une indéniable puissance pour se maintenir dans l’élite dirigeante, mais qui ont surtout gardé un intérêt pour une institution boudée par la haute robe à partir de 1660-1670, comme par certains négociants dans la seconde moitié du xviii^e siècle. Si une courte majorité de 24 familles se caractérise par la ventilation d’un nombre assez important d’édiles, il faut observer qu’il reste une très forte minorité de 21 familles qui ne sont illustrées que par deux membres, très distants l’un de l’autre.

57Ces données peuvent être confrontées à celles obtenues par Ph. Guignet à propos de Lille et de Valenciennes grâce à la construction d’une courbe du mouvement des familles autour de l’échevinage35. En portant en abscisse les temps de présence dans l’espace social municipal et en ordonnées les pourcentages de familles concernées pour ces durées, on obtient un tracé qui visualise quelles proportions de familles demeurent plus ou moins longtemps dans la mouvance du corps de ville.

Taux des familles longuement intéressées par la municipalité sous l’Ancien Régime (%)

58Pour Nantes, la faiblesse initiale très marquée traduit avec force le passage météorique des individualités. Plus des deux tiers des familles (68,7%) demeurent moins de dix ans dans l’orbite de la municipalité. Dans le tiers restant, le noyau des 45 familles défini précédemment avec un minimum de cinquante années de proximité correspond à 11,5 % de l’ensemble. Jusqu’à 40 ans la courbe nantaise s’inscrit toujours nettement au dessous de celles des villes nordiques, ce qui traduit une élimination plus rapide. À Valenciennes, 20 % des familles sont associées pendant plus de quarante ans. À Lille, 37 % dépassent les vingt années alors qu’à Nantes cet ensemble est inférieur à 30 %. Les taux d’éviction précoce nantais sont particulièrement révélés par la vigueur de la pente initiale qui creuse un écart très impressionnant avec les tracés des deux autres villes. A contrario, les plus longues durées s’observent plus facilement à Nantes dont la courbe dépasse d’abord celle de Lille à partir de 80 ans et plus difficilement celle de Valenciennes à partir de 95 ans, ce qui signale un poids relatif plus important des lignages anciens dans la vie municipale du xviii^e siècle, ceci sans perdre de vue que cette catégorie ne représente qu’une infime portion de l’ensemble des familles municipales. L’originalité nantaise se manifeste donc surtout aux deux extrémités du graphique, ce qui confirme le contraste entre une faible minorité qui gravite très longtemps dans l’orbite du pouvoir local et une très large majorité caractérisée par une traversée éclair. C’est spécialement ce dernier trait qui constitue la spécificité de la vie politique nantaise.

59La limitation de l’histoire des familles à la période 15651789 n’est pas sans poser quelques problèmes. Il est évident que bien des familles dont les membres ont travaillé dans les bureaux servants après 1565 étaient déjà très actives au sein du conseil des bourgeois fondé en 142036. Certaines lignées n’ont pas vu non plus dans la chute de l’Ancien Régime l’obligation de se retirer de la scène politique nantaise et quelques exemples de continuation ou de résurgence ont été observés jusqu’à la Restauration. La prise en compte de ces débordements de la chronologie classique modifie naturellement le calcul de la présence dans l’espace social municipal.

60Parmi les corrections de l’amont, la plus intéressante concerne la célèbre famille Poullain qui égale ainsi le clan Charette avec huit administrateurs, mais aussi, dans une moindre mesure, la lignée des Bernard qui a bénéficié d’au moins quatre promotions, sinon cinq, et celle des Morin qui atteignent le siècle en trois générations de responsables37. Ces trois grandes dynasties ont en commun l’itinéraire classique qui mène de la roture marchande à la noblesse de robe. D’autres exemples correspondent plutôt à des familles qui ont connu leur heure de gloire et de puissance sociale à la fin du xv^e siècle ou au début du xvi^e siècle, et qui ont profité d’un sursaut tardif, très décalé dans le temps, le plus souvent au début du xvii^e siècle. À ce type appartiennent les Blanchet, Laurens, Pillays et Spadine38

61Les corrections de l’aval les plus spectaculaires intéressent de puissants lignages nobles (Monti, Cornulier, La Tullaye) qui ont été attirés par le poste de maire du dernier tiers du xvi^e siècle au milieu du xvii^e siècle, avant de s’écarter nettement de l’administration urbaine. Leur retour tardif et surprenant ne peut se comprendre que dans le climat de revanche politique de la Restauration. Le cas Blanchard est beaucoup plus original puisqu’il est lié à l’apparition très éphémère d’un ancien conseiller au parlement gagné à l’idée de réconciliation nationale lancée par Bonaparte, premier consul39. La famille Marion échelonne un marchand échevin au début du règne de Louis XIV, un avocat au parlement échevin sous Louis XV, et deux propriétaires fonciers au début du Xix^e siècle, le premier siégeant sous l’Empire et le second passant sans difficulté de la période Charles X à celle de Louis Philippe40. Les De La Ville ont également quatre des leurs sur les listes municipales, avec un pionnier à la fin du xvii^e siècle et trois plus groupés à la fin de l’Ancien Régime, pendant la monarchie constitutionnelle et l’Empire41. Les Chiron dépassent légèrement cent ans de longévité grâce au déclenchement de la Révolution, le dernier échevin (1776-1779) étant revenu sur la scène politique en 1789 pour siéger au conseil municipal jusqu’à l’arrivée de Carrier en octobre 179342. Sur les 27 exemples relevés, une quinzaine sont en liaison avec les premières années de la Révolution, mais une dizaine également avec l’Empire et la Restauration. Trois familles seulement se maintiennent au delà de la Révolution de 1830.

Temps de présence au bureau de ville

62Dans la mise en valeur d’un noyau dur de familles détenant l’essentiel de l’autorité dans la politique municipale, il est indispensable d’étudier le temps de travail effectif réalisé par les élus d’une même famille dans les divers postes où ils ont été appelés. Cette addition des mandats soulève quelques problèmes qui doivent être maîtrisés. La première précaution consiste à vérifier que le notable a bien accompli le temps normal de son mandat, c’est-à-dire qu’il n’a pas démissionné, qu’il n’est pas mort en charge, qu’il n’a pas été renvoyé ou qu’il n’a pas été victime de la politique officière. Les élus qui ont exercé personnellement des responsabilités avant 1565 ou après 1789 ont mérité la prise en considération de la totalité de leur temps de service, même si cela oblige à regrouper des années de présence dans des institutions différentes. Il est aussi permis d’hésiter sur la reconnaissance des services effectués comme miseur, contrôleur ou greffier, non seulement parce que cela revient à mêler des notables élus par le corps politique et des employés nommés par le corps de ville, mais surtout parce que cela risque de conduire à des déformations statistiques préjudiciables puisque ces serviteurs municipaux restent de plus en plus longtemps en poste. La déformation ne saurait cependant être importante puisque le problème ne concerne en fait que douze individus sur un total de 571 et que la majorité d’entre eux se rapporte au xvi^e siècle, c’est-à-dire à une période de plus forte proximité entre les fonctions salariées et les responsabilités électives. Pour laisser le lecteur libre d’apprécier les nuances, les deux estimations ont été présentées, la plus étroite dans le tableau A, la plus laxiste dans le tableau B.

63Certains échevins ou maires du xvi^e siècle demeurent pourtant victimes d’une insuffisance documentaire. Beaucoup parmi les premiers élus de 1565-1575 s’étaient longuement investis dans le travail du conseil des bourgeois. Comment prendre en compte leur engagement ? Seule une analyse précise des présences et des absences dans le seul registre conservé (1555-1562) permettrait de dégager le bureau informel qui a dirigé la ville à cette époque. À partir de là, une correction pourrait réévaluer les chiffres des temps de présence de certains élus des premiers temps43

Temps de travail dans le bureau de ville

Tableau 62.

64La répartition des familles selon le temps de travail effectif conduit à distinguer trois grands ensembles dans l’ordre municipal. Le groupe le plus nombreux, la véritable piétaille du corps de ville, est formé des familles qui n’apparaissent que pour de très faibles durées effectuées par un seul individu. C’est l’origine des trois premiers niveaux, mais c’est aussi l’explication principale des niveaux quatre et cinq. Cette fréquentation superficielle est ainsi le fait de 262 familles ou 258 familles selon les tableaux. La durée de six ans correspond à une nouvelle distribution avec des familles formées d’au moins deux représentants. Le passage de la durée de onze à douze ans se caractérise par une brutale contraction du nombre des exemples qui invite donc à reconnaître ici une nouvelle frontière sociopolitique qui isole 22 ou 26 familles. Entre ce sommet pointu et une base très élargie s’intercale un ensemble intermédiaire de 105 familles dans les deux types d’analyse.

65Ce bilan établit nettement l’opposition entre une majorité de familles qui correspond au deux tiers de l’ensemble en ne totalisant toutefois qu’à peine 40 % du temps de travail et une minorité de lignages qui a assumé les 60 % qui restent. Les plus performants, qui ne représentent que 6 % des familles, ont cependant assuré entre un cinquième et un quart du service municipal. Cette évaluation du noyau central peut paraître trop sévère avec une barre placée trop haut. Un parallèle avec la hiérarchie des familles selon le nombre de postes occupés souligne l’importance du seuil de neuf ans, car c’est le temps le plus fréquemment cité pour les familles de trois élus qui sont souvent des échevins. Cette nouvelle définition valorise 13 à 15 % des familles qui ont effectué plus du tiers du travail réel de l’administration municipale.

Répartition des familles par durées de présence (Nantes et villes du Nord)

66Ph. Guignet peut retenir le seuil de quarante années de présence active pour définir « l’authentique noyau oligarchique », ce qui dégage huit lignages à Cambrai et cinq à Tournai, qui sont les cités les mieux pourvues44. Cette définition est inapplicable à Nantes où aucun lignage ne dépasse trente années. Cette divergence ne révèle pas uniquement des choix familiaux, mais aussi de bases institutionnelles différentes. Un échevin nantais n’a d’autre perspective que de devenir maire ou syndic, ce qui lui offre peu de chances de maintien, tandis qu’à Lille, par exemple, les notables se perpétuent dans le Magistrat grâce à ses nombreuses fonctions, ce qui leur assure une permanence beaucoup plus longue dans l’institution municipale.

Vers une définition d’un noyau dur

67Entourée par un grand nombre de météores, une minorité de lignages s’est installée avec plus de constance au sein du corps de ville, ce qui lui a nécessairement donné une plus grande influence dans la détermination des orientations fondamentales de la politique urbaine. Pour saisir cet état-major qui domine une nombreuse piétaille sans poids véritable, il est souhaitable de varier les angles de vue. La méthode retenue consiste à établir des classements des familles selon leur performance dans telle ou telle manière d’exercer une prépondérance. Les éléments communs aux sommets des hiérarchies ainsi constituées forment le groupe supérieur des lignages les plus puissants de l’histoire municipale nantaise de l’Ancien Régime.

Classement selon les fonctions exercées

68Ce premier classement ne repose pas seulement sur le nombre des notables municipaux par familles selon le principe déjà retenu dans une partie antérieure de ce chapitre, mais sur le nombre de postes tenus par les élus de chaque famille. Un échevin, choisi ensuite syndic et désigné plus tard comme maire, apporte ainsi trois citations. Les responsabilités d’employés municipaux du greffe, de la miserie ou du contrôle ont été comptabilisées par souci d’exhaustivité, mais elles ne concernent pas les familles qui se positionnent en tête de cette sélection. L’intégration des postes de procureur, miseur et contrôleur du conseil des bourgeois est indispensable car c’est le seul moyen de reconstituer la permanence des familles dirigeantes déjà en place avant 156545. Bien sûr, ceci n’est qu’un palliatif qui mesure certainement mal le poids effectif des familles pour les raisons structurelles déjà expliquées. N’oublions donc pas que la singularité institutionnelle des deux premiers tiers du xvi^e siècle empêche cette démarche statistique d’être totalement satisfaisante, ce qui pèse évidemment sur la fiabilité des conclusions. Les responsabilités postérieures à la municipalité d’Ancien Régime n’ont pas été inclues parce que les changements institutionnels ont paru trop importants pour être intégrés dans une quantification globale.

69Un classement purement quantitatif ne retenant que le nombre des fonctions exercées ne saurait suffire à rendre compte d’une sociabilité politique dans un univers mental où le souci de l’échelle des dignités tenait une si grande place. Cette première hiérarchie égalise abusivement les responsabilités, mettant sur le même pied le poste de maire et celui de contrôleur. Il est donc nécessaire de corriger ce nivellement en intégrant mieux la hiérarchie des honneurs reconnu dans l’ordre municipal qui classait de haut en bas les fonctions de maire, d’échevin, de syndic, de greffier, toute anoblissantes en théorie jusqu’en 1667, ce qui, pour la dernière charge, compensait l’infériorité des responsabilités par rapport à celles de miseur ou de contrôleur. Pour prendre en compte tous ces critères de hiérarchisation, chaque poste de maire, ou de procureur des bourgeois avant 1565, a été affecté du coefficient quatre, chaque charge d’échevin du coefficient deux et chaque poste de syndic ou de miseur du coefficient un. Le total ainsi obtenu permet de classer les familles par ordre d’importance selon le degré d’autorité politique et de prestige social attaché aux responsabilités exercées.

Hiérarchie des familles selon le prestige honorifique des charges

70Deux grandes familles, qui se détachent nettement dans notre classement, semblent avoir eu les moyens de cette hégémonie. Le premier rang des Charette n’est pas pour surprendre étant donné la présence de sept maires et d’un échevin. Leur suprématie aurait pu être encore plus forte si la monarchie n’avait pas refusé l’élévation de Louis IV Charette au poste de maire en 1716, la famille versant alors dans l’opposition politique nobiliaire bretonne. Leurs seuls véritables concurrents semblent être les Poullain qui manifestent un vif intérêt pour la vie municipale du milieu du xvi^e au second tiers du xvii^e siècle. Leur importance numérique autour de trois grandes branches leur a assuré un réseau d’influence considérable.

71Cinq familles, nettement distancées par les deux premières, se placent dans l’ensemble supérieur en situation d’imposer ses vues sur l’administration municipale. La présence des Harouys au troisième rang est logique étant donnée la réputation du lignage qui a fini par se hisser au niveau supérieur de l’administration du royaume. Cette influence nantaise, qui s’enracine dans la possession des grands offices du présidial et des Comptes, mais surtout dans le rôle de chef de file du parti du loyalisme monarchique depuis 1589, le rapproche en réalité des deux précédents. La famille Gellée, la plus caractéristique d’un xviii^e siècle plus avare en dynasties, doit son succès à ses relations privilégiées avec l’intendance de Bretagne et aux perturbations électorales apportées par les offices. Avec les Darquistade qui présentent un profil comparable, elle se distingue de toutes les autres dynasties de cette catégorie supérieure de la classe dirigeante. Les Bidé illustrent très bien un lignage aux nombreuses branches qui réussit une belle ascension au xvii^e siècle grâce aux offices royaux, ce qui mène les plus brillants jusqu’au Conseil du roi. La branche des maires, qui a toujours soutenu les Charette dans les rivalités au sein du présidial, a sans doute bénéficié de leur protection politique. Les Libault se hissent à cette place en additionnant surtout deux influences de négociants séparées par un siècle de distance. Les Gauvain, dynastie marchande vraiment centrée sur le xvii^e siècle, sont les seuls à se placer parmi les seize lignages les plus influents sans responsabilité de maire, en additionnant seulement sept fonctions d’échevin.

72En observant sur quelles périodes sont plutôt centrées ces 32 puissants lignages, on remarque une inversion de répartition entre les deux catégories. La très nette majorité des familles du niveau supérieur a surtout exercé ses responsabilités sur le xvii^e siècle puisque quatre seulement se limitent au xvi^e siècle et deux autres au xviii^e siècle. C’est l’inverse dans le niveau médian qui ne regroupe que sept lignages du xvii^e siècle contre cinq du xvi^e siècle et quatre du xviii^e siècle. Au total, le xvii^e siècle rassemble donc la moitié des lignages municipaux majeurs alors que le xviii^e siècle se contente de six exemples. Notons d’ailleurs que sur une durée plus courte, le xvi^e siècle est beaucoup mieux fourni avec neuf exemples. Cette ventilation des lignages les plus influents confirme une fois de plus la tendance générale à l’accélération du renouvellement des familles déjà observée à plusieurs reprises. Même le noyau dur de la classe dirigeante nantaise n’échappe pas à la loi générale. Cette conclusion mérite d’être mise en valeur car on aurait pu penser que cette vitesse grandissante de recomposition était essentiellement due à l’augmentation du nombre des isolés, sans que cela ne touche le groupe des plus puissantes familles.

Densité de présence dans la vie municipale

73Dans une ultime approche du phénomène de concentration du pouvoir, il est apparu intéressant de regrouper deux variables étudiées. Le rapport entre le nombre d’années de présence au bureau de ville et la longévité municipale de la famille marque l’intensité de l’engagement familial sur une période assez resserrée ou au contraire le côté assez épisodique et dilué de passages météoriques largement espacés. L’impact d’une famille plaçant trois ou quatre de ses membres sur un demi-siècle n’est pas le même que celui d’une famille représentée par trois édiles sur deux siècles.

74Pour le calcul des densités de présence, il reste à choisir entre les deux tableaux de longévité proposés dans cette étude. Prendre la définition la plus exhaustive oblige à retenir dans le calcul des temps de service les mandats tenus hors de la période 1565-1789. Cela revient à additionner des données disparates correspondant à des statuts très différents nés des changements institutionnels apportés par la Révolution française. Il semble donc plus sûr de se limiter à la période 1565-1789, même si cela doit pénaliser quelques familles.

Répartition des familles par densité de présence

75À partir de quel niveau déclarer une présence forte ou faible ? Un coefficient de 0,50 qui reconnaît une année de travail pour deux années de gravitation autour de la municipalité consacre naturellement des situations d’excellence46. Sans être laxiste, il est possible de descendre jusqu’au coefficient 0,20 pour dessiner l’ensemble oligarchique qui a exercé la plus forte pression sur la vie municipale. Par définition, il est impossible de retenir les individualités car il s’agit seulement d’appréhender les formes de présence des familles et non pas de dégager les fortes personnalités isolées comme Gérard Mellier qui ont néanmoins exercé une très forte influence sur la vie politique nantaise.

76La fraction des meilleurs résultats regroupe quatorze exemples avec un coefficient supérieur ou égal à 0,50. Louis Le Beau, receveur des décimes et Thomas Le Beau, procureur fiscal des régaires, se succèdent quasiment à l’échevinage. Une mention spéciale doit être décernée aux Michel de La Garnison car leur coefficient très élevé résulte de la plus forte durée de travail effectif accompli dans le cadre municipal, ce qui souligne avec force l’engagement de cette famille dans l’administration urbaine dans la deuxième moitié du xvi^e siècle. La présence des Rolland est une conséquence directe de la création des offices d’assesseurs à la fin du xvii^e siècle. Six autres exemples correspondent à des doublés d’échevins (Le Garec, Grandamy, Perrault, Lieutaud, Portier) ou même à des triplés avec trois Berthault dans un écart de 16 ans. Restent les Fachu qui obtiennent un bon coefficient parce que le second a servi comme miseur pendant une très longue période (1623-1635) avant d’être obligé de fuir pour cause de faillite commerciale personnelle. Dans le même type se classent les Nidelet avec une expérience mixte de miseur échevin pour René et une très longue séquence de miserie pour son fil Antoine (1636-1655). Les Darquistade atteignent le niveau supérieur grâce aux multiples expériences de René qui a d’abord débuté comme un échevin ordinaire, mais qui a ensuite additionné une commission royale, un mandant électif et une prolongation autoritaire de service par décision royale, le tout dans le cadre des perturbations apportées par les créations d’offices municipaux.

77Autour de cet ensemble de présences lourdes s’inscrit une deuxième couronne de seize familles, avec comme limite externe le coefficient 0,33. Cette position encore forte correspond aussi bien à de familles impliquées durablement dans les bureaux servants comme les Gellée, les Touraine, les Giraud du Plessis, les Coupperie, les Drouet, qu’à d’autres familles qui associent les brièvetés de l’engagement réel et de la fréquentation de l’espace social municipal. La troisième couronne, qui s’arrête au coefficient 0,20, englobe 28 familles supplémentaires, dont certains lignages célèbres et distingués par les approches précédentes comme les Charette, les Poullain, les Gauvain, les Mesnard, les Despinoze, les Périssel… qui sont rabaissés dans ce classement par suite de leur continuité dynastique qui étale leurs membres sur des périodes étirées en longueur.

Fusion des deux classements

78L’adjonction des densités de présence à la position occupée par les familles dans la hiérarchie de l’influence et du prestige quant à la répartition des postes assure sans doute la meilleure synthèse qu’on puisse imaginer pour l’établissement d’un palmarès des lignages municipaux nantais d’Ancien Régime.

79Le classement par postes permet de retenir soixante familles qui se répartissent en trois catégories. Un niveau supérieur, composé de seize puissants lignages qui forme assurément la meilleure base de direction de la vie politique urbaine, rassemble en réalité des familles aux performances inégales, dominées par les Charette et les Poullain qui se détachent ostensiblement. Un niveau médian où tous les exemples sont cotés à égalité regroupe seize autres lignages qui ont encore largement associé leur réputation à l’histoire municipale nantaise. La base de cette oligarchie associe 35 familles dont les distributions différentes de responsabilités assurent pourtant un niveau de prestige équivalent.

Principaux lignages avec forte densité de présence

80Si le coefficient 0,20 a pu être retenu comme base théorique de définition d’une densité de présence importante, la comparaison des deux approches montre qu’il ne parvient pas à caractériser tous les lignages municipaux influents et qu’il est souvent nécessaire de descendre à 0,15 ou même à 0,10 pour ne pas déformer outrageusement la description de l’ensemble supérieur qui a le mieux contrôlé la gestion des affaires urbaines aux Temps Modernes. En conservant le taux de 0,20, il ne reste que 7 familles sur 16 dans le groupe supérieur, 6 sur 16 dans le médian et 11 sur 28 familles d’au moins deux membres dans le groupe inférieur, soit un total de 24 sur 60, ce qui est exagérément sélectif. L’adoption du coefficient 0,15 permet d’en retenir 39 ; le choix de 0,10 élargit jusqu’à 54. Ces considérations statistiques ont pour principal mérite de souligner combien la présence des lignages dans la vie municipale demeure une réalité intermittente qui ne permet guère d’établir un contrôle direct et continu sur la direction des affaires urbaines. Les alliances matrimoniales et les réseaux de clientélisme apparaissent ainsi d’autant plus indispensables à tout lignage ambitieux désireux d’exercer une réelle influence de longue durée.

Conclusion

81Les enquêtes menées ont montré qu’il n’a pas existé de fermeture croissante dans la composition de la classe politique nantaise sous l’Ancien Régime, la faible réduction du nombre de familles calculée par tranches d’un quart de siècle s’expliquant surtout par la tendance à l’allongement des mandats électifs et par les perturbations apportées par la politique officière de la monarchie.

82Le fait familial domine de peu la distribution du pouvoir local à Nantes, puisque 53 % des notables recensés correspondent à un style de présence qualifié de familial pour l’opposer au passage isolé d’une seule personne dans les charges du bureau de ville. Cette continuité parentale s’exprime surtout par la présence de deux membres d’une même famille. Est-ce suffisant pour parler de dynasties ? Le seuil de trois élus, qui paraît être un minimum pour l’utilisation de cette terminologie, distingue alors une élite de 36 familles qui ont donné 23 % du personnel. Sans chercher à rabaisser la réalité dynastique dans la vie municipale nantaise, il faut sans doute éviter de lui accorder une place démesurée.

83La rapidité du renouvellement interne de l’oligarchie dirigeante et la progression chronologique de l’intensité de ce trait structurel ont été mis en valeur de plusieurs façons. Les familles apparues simplement dans le cadre des grandes phases analysées atteignent des taux qui passent de 57 à 79 % du xvii^e au xviii^e siècle. Avec une définition plus stricte du caractère de nouveauté, réservé aux premières citations familiales dans un délai de dix ans, l’influence des familles anciennes apparaît prépondérante de 1565 à 1669 pour s’effacer ensuite devant celle des familles nouvelles plus nombreuses. Ce poids grandissant des familles nouvelles a été confirmé par deux approches reposant sur des définitions variées du degré de nouveauté ou d’ancienneté. Une observation plus fine, valable surtout pour un long xvii^e siècle (1598-1720), sépare quand même les maires qui connaissent des taux inférieurs et les échevins qui alimentent un mouvement de rotation plus vif. Cette tradition de la perméabilité de l’oligarchie qui accueille aisément les familles en ascension sociale, même celles qui n’ont pas de vieilles racines nantaises, se conjugue avec l’éloignement assez rapide d’une majorité de lignées qui ne s’attardent pas longtemps aux affaires municipales pour expliquer l’importance de la redéfinition permanente de la classe municipale. Ce dernier fait a été surtout souligné dans les divers rapprochements opérés avec les grandes villes situées de part et d’autre de la frontière nord du royaume qui ont montré l’originalité de Nantes, liée partiellement à des différences institutionnelles de base. Toutes les comparaisons ont prouvé que la noria sociale y tournait plus vite.

84La coexistence d’une intégration facile pour les nouveaux riches ou les notables immigrés et de l’évaporation précoce de beaucoup de familles n’empêchent pas l’existence d’un noyau central stable dominé par des dynasties qui se sont attachées avec une certaine constance à la vie municipale. La composition interne de cet ensemble de familles situé au cœur de la politique locale a été précisée grâce à des approches complémentaires mettant en jeu des critères diversifiés. Les familles sélectionnées sont celles qui ont le mieux contrôlé l’institution grâce à leur présence, mais aussi à toutes les solidarités qui les lient à d’autres au sein de constellations familiales soutenues par de nombreux intermariages.

85Sept familles ont plus spécialement lié leur nom et leur prestige à la gestion des affaires urbaines sous l’Ancien Régime. La plupart correspondent à des lignages prolifiques composés de nombreuses branches. Trois sur sept ont enraciné leur ascension sociale et politique dans le grand commerce nantais en s’y maintenant sur plusieurs générations. Ce sont les Poullain, Libault et Gauvain. Cinq sur sept (Charette, Harouys, Bidé, Poullain et Gellée) se sont orientées vers les cours de justice royale comme le parlement et la chambre des comptes de Bretagne, le présidial, la Sénéchaussée ou l’amirauté de Nantes. Six familles sur sept sont plutôt centrées sur le xvii^e siècle, même si trois d’entre elles sont déjà partie prenante de la vie municipale dans la seconde moitié du xvi^e siècle et si une autre effectue son retour au milieu du xviii^e siècle. Seuls les Gellée, liés à l’essor de l’intendance, sont uniquement centrés sur ce dernier. Presque tous les lignages supérieurs ont cumulé des charges de maire et d’échevin, sauf les Gauvain, uniquement orientés vers la marchandise, qui n’ont additionné que des responsabilités d’échevin.

86En ne retenant que la puissance directe des lignages, deux d’entre eux caractérisent particulièrement la vie municipale nantaise. Les Charette, qui méritent ainsi leur célébrité, ont certainement exercé la plus forte influence politique sur la ville au xvii^e siècle. Le maintien de la stratégie de loyalisme absolu comme garantie suprême de la préservation des privilèges leur est ainsi largement imputable. La progression du contrôle de l’intendance, l’animosité qui a opposé le subdélégué Mellier et le dernier sénéchal et le glissement du lignage vers l’opposition politique au parlement ou aux États de Bretagne l’ont empêché de prolonger cette hégémonie au xviii^e siècle.

87Les Poullain, qui illustrent l’ascension classique qui mène du commerce et de la finance vers les offices de justice royale avant de parvenir à la vie rentière ou aux carrières militaires, avec en parallèle un transfert dans le second ordre, s’imposent comme le second lignage le mieux intégré à la vie municipale, avec des membres au service de la ville pendant plus d’un siècle (1547-1662).

88Ce n’est pourtant pas cette association étroite et prolongée d’une quinzaine des lignages les plus présents sur un ensemble de 389 familles qui peut passer pour une caste de familles anciennes cherchant à se réserver l’espace municipal. Même si certains lignages sont capables d’aligner sept maires, cinq échevins ou onze postes tenus par huit membres, ces exemples ne restent que des exceptions qui frappent l’imagination sans traduire une réalité statistique. Le renouvellement rapide de l’oligarchie dirigeante reste la caractéristique essentielle de l’Ancien Régime municipal.