1Comme dans toutes les municipalités urbaines de la France d’Ancien Régime, les règles de désignation des responsables comportaient une certaine dose de cooptation en faveur de l’élite sociale et culturelle de la cité. À Nantes, ce filtrage des candidatures avait pris d’autant plus d’importance dans la classe dirigeante que le respect des traditions politiques conservait à une assemblée électorale socialement composite le privilège de déterminer quelle sélection de notables la ville allait proposer à la nomination royale. L’élévation de personnalités méritantes était ainsi d’abord liée dans l’esprit des notables à cette présélection opérée par les membres de l’ordre municipal. Pour espérer une inscription sur les listes d’éligibilité, il fallait avoir de solides protections au sein du grand bureau. Il s’agit donc de vérifier, à partir d’exemples concrets, quels sont les aspects les plus fréquents de cet échange de services et de protections entretenus entre les familles et quels sont les meilleurs appuis qui assuraient l’intronisation dans le cercle des familles associées à la direction de la cité.

Le poids de la parenté

Le degré d’influence de la famille directe

Des exemples de promotion de maires

2Pierre Poullain de La Vincendière, qui a d’abord exercé un mandat d’échevin de 1622 à 1625 avant d’être intégré sur la liste d’éligibles pour le poste de maire, réussit à percer aux élections de 1639 et à obtenir immédiatement la consécration royale1. Il faut dire qu’il appartient à un très grand lignage nantais qui a fait sa fortune dans le commerce au xvi^e siècle, activité poursuivie par certaines branches au xvii^e siècle pendant que d’autres se sont glissées dans les offices de justice ou de finance. Les Poullain ont plus que tout autre marqué par leur présence la vie municipale nantaise de 1540 à 16602. Parmi les plus anciens : Julien Poullain, miseur au conseil des bourgeois de 1546 à 1554 et son fils Robert, échevin de 1568 à 1570 avant d’être maire en 1576 ; Guillaume Poullain, échevin de 1568 à 1570, et son fils Pierre, échevin de 1597 à 1598, mais suspendu par Henri IV ; Étienne, échevin de 1589 à 1591. La cooptation par l’ancien bureau est donc énormément facilitée par cette tradition de présence à l’échevinage.

3Pour son premier succès, comme échevin en 1622, Pierre Poullain a sans doute bénéficié du souvenir laissé par son père, l’exclu de 1598, mais surtout par son grand-père Guillaume, l’un des plus célèbres négociants de la Fosse pendant toute la deuxième moitié du xvi^e siècle. Son mariage vers 1620 avec Anne Barillier lui apporte l’aide de son beau-père Antoine Barillier, échevin de 1598 à 1601, qui garde le droit de siéger dans l’ancien bureau jusqu’à son décès entre 1630-1633. Pour expliquer sa promotion jusqu’au poste de maire, mettons encore en scène son cousin négociant Jean Poullain du Housseau, échevin de 1633 à 1636, qui peut plaider pour lui dans le grand bureau et surtout son autre cousin Michel Poullain de Gesvres, trésorier des États de Bretagne, dont la clientèle financière était très vaste, même si ce dernier décède en septembre 1637, car la fonction est reprise par son fils Bernardin de 1637 à 1650. La puissance du lignage lui-même est ici infiniment supérieure à la fonction d’avocat du roi au présidial car, en 1639, il s’impose contre le président du présidial.

4Son fils Jean Poullain de La Vincendière, lui-aussi avocat du roi au présidial, a parcouru le même itinéraire. D’abord échevin de 1649 à 1652, il se hisse dans la triade dès 1654, bénéficiant à l’évidence de cette première élévation. Cité de nouveau en 1658, il doit attendre 1660 pour attirer l’attention de Mazarin3. Fils de maire, bénéficiaire d’une longue tradition familiale, son nom lui-même était une sorte de clé pour lui ouvrir les portes du succès. La cooptation s’est faite naturellement, son père, toujours membre du grand bureau jusqu’à son décès en 1672, étant le mieux placé pour l’imposer. Son mariage vers 16461647 avec Anne Jannin lui a aussi donné l’appui d’un beau-frère marchand de draps, Gilles Desloges, échevin de 1641 à 1654, mais ce supplément paraît bien pâle par rapport à la puissance même de sa propre famille.

5Claude I Bidé, sieur de Ranzay, alloué et lieutenant général au présidial, présenté sans succès à Louis XIII en 1642 et 1643, puis après une interruption, à la régente Anne d’Autriche en 1647 et 1648, a dû attendre une troisième tentative en 1652 pour être finalement retenu4. Pour entrer sur la liste des éligibles, il avait son office qui le rapprochait du sénéchal Jean Charette, maire en 16501652, ce qui a certainement pesé sur sa désignation. Il avait surtout d’excellents relais familiaux à Nantes avec un cousin dans l’ancien bureau en la personne d’Étienne Bidé de La Prévosté, conseiller au présidial, échevin de 1635 à 1637, et décédé seulement en 1658, mais surtout à Paris avec son parent Guillaume Bidé de La Bidière, sénéchal de Vannes avant de devenir conseiller au parlement de Paris et d’accéder au Conseil du roi comme maître des requêtes dès 1641. Son influence est certaine car les liens de parenté sont bien entretenus entre ces notables comme le prouvent les registres paroissiaux nantais. Françoise Chalu, épouse du maître des requêtes, est marraine pour une fille d’Étienne Bidé en 1641 et pour un fils de Claude Bidé en 16535.

6Claude II Bidé, sieur de La Botinière, fils du précédent et comme lui alloué et lieutenant général, donc proche de Louis Charette de La Gascherie, sénéchal, triomphe à Nantes de 1679 à 1682, mais sans succès auprès de Louis XIV, avant de connaître la consécration en 16836. Les appuis familiaux directs, sans être inopérants, paraissent avoir eu moins d’efficacité. La protection parisienne citée pour son père n’a pu jouer pour lui avec la même intensité car Joseph Bidé de La Grandville, nommé maître des requêtes au conseil en 1662, intendant du Limousin en 1672, conseiller au grand conseil, puis président à mortier au parlement de Bretagne, est décédé à Vannes en 1679. Son fils Charles Bidé de La Grandville qui accède au parlement de Bretagne en 1683, disparaît prématurément l’année même de sa promotion. Sa mère, Lucrèce Ménardeau, le rapproche cependant encore plus des Charette.

Des exemples de promotion d’échevins

7Le marchand et draps de soie Jean Merceron, sieur de La Ramée, est appelé à l’échevinage de 1650 à 1653. Le prestige ancien de la famille qui remontait à son oncle Jacques Merceron, marchand, miseur municipal de 1597 à 1600 et échevin de 1609 à 1612, était déjà un préalable favorable. L’ensemble familial connaît d’ailleurs une progression sensible sur cette deuxième génération. C’est d’abord son frère aîné Pierre Merceron, sieur de La Béhinière, qui est coopté par le grand bureau car il est présenté beaucoup plus vite au roi, à partir de 1639, sans connaître, malheureusement pour lui, le succès final. Notre notable suit de près son aîné puisqu’il est aussi présenté au roi, sans succès en 1649, avec bonheur en 1650. Remarquons au passage l’absence de règles restrictives dans la vie politique nantaise pour empêcher deux parents proches d’être candidats en même temps. En 1649 et en 1650, les deux frères Merceron sont ainsi les deux postulants proposés par le corps des marchands pour l’accès à l’échevinage dans le cadre du scrutin La Meilleraye. Les deux épouses successives de l’échevin ne l’ont guère aidé dans sa progression7. Par contre, les alliances avec les Langlois ont certainement été bénéfiques : sa mère Jeanne Langlois et le mariage de son frère avec une autre Jeanne Langlois en 1640 l’ont rapproché de l’échevin Pierre Langlois, mais ce dernier est décédé en 1644.

8L’ensemble familial est certainement porteur puisque Jean Merceron de La Ramée entre directement à l’échevinage sans étape préalable par le consulat dans lequel il ne siège que postérieurement comme consul de 1661 à 1662 et comme juge-consul de 1664 à 1665, ordre assez exceptionnel dans les enquêtes effectuées. Son succès municipal est contemporain de l’élection de son cousin Jean Merceron, sieur de La Poitevinière, comme second consul en 1646 et premier consul en 1650. L’élan donné aboutit à une véritable synergie puisque ses beaux-frères Jean Ballue et Jacques Langlois triomphent eux aussi en 1666, le premier comme échevin, le second comme syndic, avant que lui-même, passé sur la liste des éligibles pour le poste de maire, échoue de peu en 1668 auprès de Louis XIV après son succès électoral nantais. Il avait pourtant joué un rôle décisif en 1664-1665 dans l’installation de la délégation nantaise de la compagnie des Indes Orientales.

9Avec Jean Lory, échevin en 1659 après une expérience de consul en 1653-1653 et avant de prendre le poste de juge-consul en 1664-1665 et la charge de directeur de la compagnie des Indes Orientales de 1668 à 1680, nous touchons une très puissante famille de marchands de draps du xvii^e siècle qui s’épanouit parfaitement dans le grand commerce transatlantique au siècle suivant8. Proportionnellement à leur poids économique et à leur prestige social, les Lory n’ont pas obtenu la place qu’ils pouvaient légitimement espérer dans les institutions municipales car beaucoup d’entre eux, après avoir naturellement reçu le soutien de l’électorat nantais, ont été bloqués par les décisions royales. On aurait pu obtenir une grande dynastie municipale si l’arbitrage royal en avait décidé autrement !

10Le négociant Louis Montaudoin, échevin de 1716 à 1718, est le moins connu des quatre frères qui dominent le commerce nantais dans les premières décennies du xviii^e siècle. Dans l’estimation du maire Gérard Mellier en 1725, René est inscrit pour 600 000 livres environ, première fortune négociante nantaise, Jacques vient ensuite au cinquième rang pour 300 000 livres, Thomas, le plus jeune, avec 200 000 livres, au quinzième rang9. La famille Montaudoin apparaît ainsi comme le plus puissant groupe commercial des années 1710-1730, leurs principaux rivaux, les Michel, étant assez nettement distancés10. Louis Montaudoin semble le parent pauvre de cette brillante famille, celui qui a moins bien réussi que les autres, ce qui ne l’a pas empêché de devenir capitaine de milice bourgeoise et d’entrer facilement à l’échevinage à la suite de son frère aîné René qui a siégé au bureau servant de 1709 à 1712 et qui a mis toute son influence et sa puissance sociale au service d’une redéfinition oligarchique de la vie politique nantaise. A contrario, Thomas Montaudoin, beaucoup plus riche que Louis, s’est vu refuser huit fois la faveur royale entre 1716 et 1727 avant de l’obtenir enfin en 1730, ce qui donne une bonne idée du caractère toujours aléatoire d’une promotion à l’échevinage puisque de nombreux facteurs complexes et parfois contradictoires entrent en jeu en même temps. Quant à Jacques Montaudoin, si on le voit au consulat de commerce en 17211722, puis juge en 17341735, ou à la tête de la Contractation en 1728, il ne semble pas s’être intéressé à l’échevinage d’après les listes d’éligibilité retrouvées.

Le soutien des familles alliées

Des exemples dans la désignation de maires

11Jacques Raoul de La Guibourgère, fils d’un des principaux dirigeants de la Ligue nantaise, a dû son élévation à son mariage avec Yvonne Charette, fille du maire de 1609 à 1611. Son père Guillaume Raoul, procureur syndic des États de la Ligue, nommé président de la chambre des comptes, principal négociateur pour Mercœur en 1594-1596 avec la veuve d’Henri III, sœur du gouverneur rebelle, ainsi qu’avec Du Plessis Mornay pour le parti huguenot, a été lui-même candidat malheureux à la mairie en 160911. Son mariage célébré en 1618 avec Yvonne Charette, la fille du premier maire de ce grand lignage, lui apporte conjointement la possibilité d’acquérir la charge de sénéchal en succédant à Alexandre Charette, maire en 1619 et mort en charge en 1620, et de se présenter avec succès aux élections de 1621 en bénéficiant de la consécration royale. Le support de la fonction et la caution des Charette ont levé tous les obstacles.

12Mathurin Boux, sieur du Teil, maître aux Comptes, est inscrit pour la première fois dans la triade présentée en 1646 et a besoin de deux autres renouvellements pour triompher en 164812. Sa famille propre n’a pas de longue tradition municipale, si ce n’est une expérience d’échevin pour son père François Boux de 1602 à 1605. Les alliances anciennes apportent plus avec deux tantes, l’une mariée à Julien Bidé, échevin de 1579 à 1581, l’autre à Pierre Fournier, receveur du domaine royal et receveur des fouages de l’évêché de Nantes, échevin de 1581 à 1584. D’autre part, sa mère Françoise Drouet se trouve être la petite fille du premier maire de 1565 et la belle-sœur de Michel Loriot, échevin de 1598 à 1601 et maire de 1607 à 1609. Néanmoins, toutes ces personnes ont disparu au moment où ce notable entre en compétition. Sa sœur a épousé un conseiller au présidial, Gilles Bonamy, échevin de 1619 à 1622. Son mariage avec Françoise Ménardeau en 1633 lui apporte certainement l’appui le plus décisif. Cousine éloignée du maire de 16271629, ce dernier n’a peut-être pas le temps de jouer un rôle essentiel puisqu’il décède en mars 1642, mais n’oublions pas que derrière les Ménardeau se tient le clan Charette. Cet exemple montre bien que si les appuis familiaux restent insuffisants, des relais plus complexes peuvent entrer en jeu et assurer le succès à un notable dont les références municipales directes ont sans doute trop vieilli.

13La désignation en 1688 de Paul Cassard du Broussais, conseiller au présidial, après son premier tour malheureux en 1687, est à mettre en rapport avec les influences des familles Mesnard et Bidé déjà analysées. Son mariage en juin 1672 avec Françoise Mesnard en a fait le beau-frère du célèbre La Noë Mesnard, directeur du séminaire de Nantes depuis 1686. Cela le rapproche donc en parenté de Louis Mesnard du Pavillon, maire de 1682 à 1683 et de Claude II Bidé, maire de 1683 à 1685. Le choix de l’avocat général à la chambre des comptes Pierre Noblet comme maire en 1690 illustre un phénomène de réaction en chaîne puisqu’il succède immédiatement à son beau-frère Cassard.

Des exemples dans la désignation d’échevins

14Le marchand Laurent Madeleneau, échevin de 1599 à 1602 après avoir été élu consul du commerce de 1595 à 1596, appartient au parti ligueur. Il choisit par exemple le capitaine des gardes de Mercœur comme parrain pour son fils en 1597. Il bénéficie surtout d’excellentes alliances avec des familles largement intégrées à la vie municipale. Son épouse Guillemette Bretaigne, fille du premier miseur de la municipalité naissante (1565-1567) qui est mort en charge comme échevin en 1569, nous mène aussi par sa sœur à Sébastien Dugué, marchand, échevin ligueur promu de 1590 à 1592, inscrit sur la liste d’éligibles au poste de maire et présenté en 1608. Ce dernier a donc été à même de plaider en sa faveur au sein du grand bureau. Le mariage de son fils Jean avec Jeanne Pillays en novembre 1597 lui a apporté en sus la caution d’une très puissante famille marchande présente dans les affaires urbaines du début du xvi^e siècle au milieu du xvii^e siècle13.

15La nomination de Guillaume Bernard, contrôleur général des finances de Bretagne, échevin de 1606 à 1609, sans racines nantaises apparentes, est cependant très facile à comprendre14. Il doit tout à son beau-père Gabriel Hus, trésorier des États de Bretagne, un des principaux appuis d’Henri IV pendant la guerre civile, un financier à la fidélité précieuse dont les services ont été récompensés par le roi qui l’a imposé comme maire à une assemblée électorale récalcitrante en 1599. Gabriel Hus, disparu seulement en 1609, était donc à même de travailler le grand bureau en faveur de son gendre.

16Le marchand Jean Burot, nommé échevin en 1658 et décédé dans ses fonctions en 1660, était le fils d’un marchand cité dans la liste de la Contractation de 1601. Son mariage avec Anne Touraine vers 1624 s’est révélé très productif pour le couronnement politique de sa carrière commerciale15. Marchand très combatif, il mène la lutte en 1630 contre la concurrence de la colonie portugaise. Déjà distingué dans son milieu par ses deux responsabilités au consulat en 1637-1638 et 1651-1652, il finit par entrer dans le bureau servant. L’analyse de ses choix de parrains et marraines révèle de solides relations avec les Langlois (par sa mère) et les Touraine, qui eux-mêmes mènent aux de Bourgues. Il a pu ainsi bénéficier de la protection de Jacques de Bourgues, maire de 1646 à 1648, décédé seulement en 1661, et du syndic Étienne Touraine, son beau-frère, échevin remplaçant pendant deux ans de 1642 à 1644 avant d’être nommé syndic de 1648 à 1654, qui disparaît seulement en 1680.

17L’élévation sociale, qui pousse en avant toute une génération, caractérise assez bien les Jouanneaulx. Louis, le premier distingué, a été consul en 1701-1702, avant de devenir échevin en 1705, et son frère Étienne connaît le consulat en 1707-1708, en même temps qu’il est appelé comme échevin de 1707 à 1710. Ces promotions, qui couronnent certainement l’enrichissement d’une famille de marchands de draps, doivent aussi beaucoup aux alliances matrimoniales de la famille16. Louis Jouanneaulx a épousé en 1691 Françoise Michel, la sœur de Pierre, échevin en 1701 et de Jean, échevin en 1710. Nul doute que la protection de cette puissante famille n’ait contribué au succès de ces deux frères, le souvenir de la solidarité corporative des marchands de draps venant s’ajouter aux liens familiaux, même si les Michel sont passés au niveau supérieur du négoce dans cette génération.

La puissance d’un lignage : la double protection

18L’observation du rayonnement des familles les plus puissantes a déjà montré qu’elles pouvaient compter aussi bien sur la parenté de sang que sur celle créée par les alliances matrimoniales. Si les exemples précédents ont illustré une prédominance d’un système de protection, ceux qui suivent soulignent plutôt un équilibre.

Trois grandes dynasties municipales face au poste de maire

19René Charette de La Bretonnière, sénéchal de Nantes de 1600 à 1610, proposé au roi au moins depuis 1607, a été finalement désigné en 160917. Sa promotion, qui s’explique déjà par la fonction occupée et le prestige d’une grande famille officière de la seconde moitié du xvi^e siècle, prend surtout l’aspect d’une récompense accordée par le roi Henri IV à une famille ayant choisi de lui conserver sa loyauté alors que la plus grande partie des notables basculaient dans la Ligue. Cette désignation se rapporte donc aussi à un autre type que nous verrons postérieurement.

20En 1610, René Charette cède son office de sénéchal à son cousin Louis I Charette de La Colinière, présenté à la régente dès 1611, mais qui doit attendre 1613 pour être retenu. Nul doute que dans son cas la présence de son cousin dans l’ancien bureau en 1611 ait eu une influence décisive. Son premier mariage en 1603 avec la fille d’Antoine Girault, contrôleur de la prévôté de Nantes, ne lui apporte pas d’aide immédiate, pas plus que son second en 1605, avec Jeanne Ernault de La Desnerie, fille d’un conseiller au présidial d’Angers et maire de cette dernière ville, même si ces alliances ont renforcé l’image familiale dans l’élite nantaise18. Sa succession dans l’office de sénéchal derrière son cousin René a sans doute pesé beaucoup plus, comme semble l’indiquer la passation de pouvoirs de 1619 avec son frère Alexandre Charette de Peslan, qui laisse la charge de prévôt, qu’il tenait à la suite de son oncle Raoul Charette de L’Étang depuis au moins 1607, pour s’installer dans celle de sénéchal et, de cette position, se faire remarquer par Louis XIII pour la direction de la municipalité19. Si les relais familiaux ont joué un rôle considérable, l’exercice de l’office reste décisif, car il avait déjà été présenté comme prévôt en 1616 sans connaître la faveur royale.

21Vers 1631, René II Charette de La Bretonnière, le fils du maire de 1609-1611, s’est installé à son tour dans les fonctions de sénéchal de Nantes qui étaient assurées depuis 1621 par son beau-frère Jacques Raoul, maire de la ville de 1621 à 1623. On mesure mieux encore le tremplin politique offert par cet office lorsqu’on voit René Charette s’introduire dans la triade des possibles dès 1634. Louis XIII accorde de nouveau sa protection à cette célèbre famille en 1636. Son mariage avec Charlotte de Cornulier (27-11-1635), fille de Claude, maire de 1605 à 1607, et petite-fille de Pierre III, maire de 1569 à 1570, lui apporte le soutien d’une très puissante famille, mais qui a dédaigné la vie politique nantaise pour le parlement de Bretagne à cette génération. Toutefois, son beau-père, n’étant décédé qu’en 1645, pouvait toujours entrer au grand bureau municipal pour y pousser un parent ou plaider quelque cause.

22Sa destitution par le roi en décembre 1637 n’eut pas de conséquences funestes pour la dynastie Charette puisque le quatrième maire prit ses fonctions de 1650 à 1652. Jean Charette de La Gascherie, le fils du maire de 1613-1615, et donc le neveu de celui de 1619-1620, un cousin du malheureux sanctionné évoqué ci-dessus, avait repris la charge de sénéchal des mains de ce dernier en 1644. Poussé en avant par le lignage dès 1646 et 1649, il obtint gain de cause en 165020. Son mariage avec Madeleine Ménardeau, la nièce du maire de 1627-1629, lui a sans doute valu quelques appuis supplémentaires, mais cependant secondaires, cet oncle par alliance étant décédé en 1642.

23Dans la logique d’un partage équilibré de l’office de sénéchal entre les branches de La Bretonnière et de La Gascherie, il a cédé normalement cette charge à son cousin Jacques Charette de Montbert en 1659. Ce dernier apparaît dans la triade des sélectionnés dès 1664 et y demeure sans interruption jusqu’à ce que Louis XIV l’élève au poste de maire en 166821. Cette continuité dans les succès électoraux montre assez le prestige dont disposait le lignage et la puissance de rassemblement d’une clientèle sans doute fort diversifiée. Il jouissait également d’une excellente réputation auprès du Conseil du roi puisqu’il fut confirmé dans un troisième mandat en 1670 malgré certains murmures désapprobateurs venus de quelques notables irrités d’une rupture avec les traditions nantaises et qu’il obtint la responsabilité de premier président de la chambre des comptes après son administration municipale en 167322.

24Son cousin Louis III Charette de La Gascherie, sénéchal cette même année, s’est trouvé propulsé au premier rang dès 1674 et choisi par le Roi en 1675. Curieusement, Louis XIV ne lui accorde pas la faveur du maintien pour un second mandat en 1676 alors que la coutume plaidait pour et que l’évolution des esprits poussait à l’allongement de la permanence des maires en charge23. Peut-être a-t-il payé l’irritation royale occasionnée par une députation des États de Bretagne pour laquelle il avait été désigné, ambassade qui avait pour mission de plaider la cause du parlement exilé à Vannes après les violences de la révolte « du papier timbré » à Nantes, Rennes et en Basse-Bretagne ?

25Pour clore l’histoire des sept maires Charette, rappelons en quelques mots la déception du huitième candidat qui ne put réussir à se faire nommer maire de la ville et qui a donc vécu la rupture involontaire entre ce puissant lignage et le corps de ville considéré depuis longtemps comme naturellement placé dans sa sphère d’influence. Fils du maire précédent, Louis IV Charette de La Gascherie, sénéchal de Nantes depuis 1711 et également président du présidial, crut sans doute logiquement en son succès aux élections de 1716, après la longue interruption de la mairie par office de 1693 à 1715. Il allait être victime de la lutte d’influence entre le négoce triomphant et les officiers de justice et plus sûrement encore de l’expansionnisme de l’intendance de Rennes24.

26Lorsque les électeurs placent Charles de Harouys en tête de la triade que la ville doit désormais proposer au roi en 1598, ce sont surtout des raisons politiques qui justifient ce choix. Néanmoins l’influence de la famille n’est pas absente. Rappelons d’abord que ce président du présidial a déjà été élu deux fois maire de Nantes en décembre 1587 et 1588 et que seul l’engagement du duc de Mercœur dans la Ligue l’a empêché de terminer son second mandat, puisqu’il connut les prisons de Nantes d’avril 1589 à 1591. Ces marques de confiance de l’électorat nantais étaient sûrement liées à sa personnalité, à sa fonction, mais aussi à l’image laissé par son père Guillaume Harouys, maire en 1572, qui, par esprit de modération, avait su éviter l’effusion de sang à l’occasion des menaces de la Saint-Barthélémy. Même si son père était décédé en 1588, son image positive a certainement joué dans la désignation25.

27Après sa mort en novembre 1612, son fils aîné Louis de Harouys, sieur de La Rivière, a repris la charge de président du présidial. Grâce à la double référence à cette responsabilité administrative et aux souvenirs laissés par son père, il est facilement coopté et proposé à la Régente dès 1617 et 1618, mais sans succès. Celui-ci vient quand même en 162326. Outre les arguments nantais, Louis de Harouys a pu bénéficier de l’appui de sa belle famille angevine. Marié en 1613 avec Simone Bautru, il s’est trouvé aspiré dans l’ascension exceptionnelle de cette famille, spécialement celle de son beau-frère Guillaume II, ami de Gaston d’Orléans, proche de la reine-mère jusqu’à la suivre dans la « guerre de la mère et du fils » de 1620, intégré dans la clientèle de Richelieu. Bénéficiant de la réconciliation de Louis XIII et de Marie de Médicis et de la restauration progressive de la position du cardinal de 1622 à 1624, il a pu donner un avis décisif27.

28Son frère Jean de Harouys, sieur de Lépinay, d’abord procureur général des États de Bretagne de 1614 à 1619, avant de reprendre l’office de président du présidial en 1620, est présenté au Roi en même temps que son frère en 1624 et désigné par Louis XIII en 1625 non sans quelques hésitations à cause de l’impression de monopole familial ainsi créée28. Cette succession immédiate de deux frères à la direction de la municipalité illustre très bien l’impact politique du prestige d’un grand lignage capable de pousser ses membres avec succès, même si les conditions sont délicates. En 1624, le corps politique ne rechigne pas à proposer en même temps deux frères pour la première place dans le corps de ville.

29Pierre Bernard de La Turmelière, fils d’un important marchand du second xvi^e siècle, juge consul en 1567-68, échevin de 1574 à 1576 avec le titre de sous-maire pendant les deux dernières années, petit-fils d’un miseur au service du conseil des bourgeois de 1540 à 1543, avait choisi la carrière juridique et obtenu un office de président à la chambre des comptes après avoir exercé la charge de procureur général dans la même cour. Dès 1612, il est donné comme maire possible par les électeurs, ce qui implique une cooptation antérieure. Sa mère Isabelle Poullain, fille du miseur de 1546-1554, sœur du maire de 1576, lui offre le secours du puissant lignage déjà évoqué. Mais son second mariage, vers 1609, semble encore plus décisif. En épousant Françoise de Harouys, la fille du maire suspendu en 1589 et vengé en 1598, il dispose du plus beau laisser-passer qui soit pour se faire inscrire sur la liste des éligibles. Il lui faut attendre quatre ans pour obtenir la faveur de la régente en 1615, délai lié à l’affirmation de la famille Charette29. Son fils René Bernard de La Turmelière, alloué et lieutenant général de Nantes, donc très proche par sa fonction du clan Charette, a bénéficié lui aussi de la protection des Harouys grâce à sa mère. Avec ce double parrainage, sa promotion est fulgurante. Installé depuis peu dans son office, il triomphe pour la première fois aux élections, à 22 ans seulement, en 163330.

Des exemples de familles échevinales bien introduites

30Louis Fresneau, marchand important, avait toutes les chances de son côté lorsqu’il s’est intéressé aux honneurs municipaux. Il était d’abord fils d’échevin, son père René, en charge de 1685 à 1688, n’étant décédé qu’en 1703, ayant toute possibilité de le pousser sur la liste d’aptitude. Il était ensuite l’époux de Renée Handriex, fille de marchand, dont un oncle avait été échevin de 1681 à 1684, ce qui le mettait également en cousinage avec le négociant Jean Michel, échevin de 1710 à 171331. Cet environnement familial très porteur explique sans doute pourquoi ce marchand a pu accéder directement à l’échevinage de 1705 à 1708 sans étape préalable au consulat dans lequel il n’entre que postérieurement, d’abord comme consul de 1709 à 1710 et ensuite comme juge-consul de 1719 à 1720.

31Michel Mabille possède le même profil municipal, mais vient d’un autre milieu professionnel32. Désigné d’abord comme praticien en 1688, il est ensuite connu comme procureur au présidial. Son père Julien Mabille, avocat et procureur, échevin de 1687 à 1688, est décédé en 1701, ce qui laisse un écart d’une dizaine d’années entre sa disparition et la promotion de son fils en 1712. Ce dernier a épousé en 1695 Renée Guilbauld, une fille de procureur, également échevin de 1682 à 1685. Manifestement, Mabille a profité de la solidarité du corps des procureurs qui est le seul vraiment en compétition avec les marchands pour les postes d’échevins dans le dernier tiers du siècle.

Le jeu des influences extérieures

Les réseaux d’amitié ou de clientèle

Le soutien des édiles choisis en parrainage pour ses enfants

32Le conseiller au présidial François Bourgogne, devenu ensuite sénéchal des régaires, échevin de Nantes de 1612 à 1615, parvient difficilement à se faire nommer maire en 1637, après des succès électoraux restés stériles en 1619, 1625, 1631, 1633, 163633. Cette constance de l’assemblée électorale, qui finit par triompher de l’inattention royale, montre bien qu’il a pu disposer d’appuis locaux assez solides, même si les relais nationaux ont été plus défaillants. Dans ses choix de parrains et marraines, relevons en 1612 Jacques Raoul, maire 1621-1623, en 1614 André Morin, maire 1617-1619, et en 1618, Lucrèce Ménardeau, parente du maire de 1627-1629. Les solidarités créées au long d’une belle carrière officière n’ont certainement pas été inutiles.

33Le conseiller au présidial Jean Fournier, d’abord échevin en 1650-1653, présente la particularité d’avoir été nommé maire de 1654 à 1656, avec un an seulement d’interruption entre les deux mandats. Premier de sa famille avec une responsabilité municipale, marié avec Anne Loquet dont la famille ne donne un échevin qu’en 1681, il n’a pas grand secours à attendre des parents proches. Son réseau de relations extérieures lui a donc été indispensable pour s’imposer. Parmi les parrains et marraines, relevons les noms d’Yves de Monti, maire de 1644 à 1646, et celui d’Olivier Chevalier, conseiller au présidial comme lui et échevin de 1652 à 1655, donc très bien placé pour plaider sa cause pour l’inscription sur la liste d’éligibilité des maires34. Les insuffisances familiales soulignent d’autant l’importance de la solidarité officière.

34Le marchand Jean Gourdet est d’abord passé par le consulat (1638-1639) avant d’accéder à l’échevinage (1648-1651). Sa parenté directe et celle de son épouse Catherine Litoust ne fournissent pas de personnalités déjà implantées dans l’échevinage aptes à faciliter l’agrégation à l’institution35. Il dispose par contre d’un magnifique réseau de relations personnelles qui l’ont porté sans difficultés sur la liste des éligibles. Parmi les plus efficaces : Mathurin François, sieur de Beausoleil, échevin de 1630 à 1633 et présenté pour maire en 1648 et 1651, Jean Poullain du Housseau, échevin de 1633 à 1636, Julien Gauvain de La Jousselinière, échevin de 1640 à 1644, François Lorido du Mesnil, échevin de 1642 à 1645, et maire de Nantes de 1666 à 1668.

35La parenté de l’avocat Pierre Guignard, promu en 1659, n’apparaît pas plus porteuse, mais ce dernier dispose d’un excellent réseau d’influence avec de riches relations personnelles36. On retrouve ainsi François Boux, échevin dès 1602 ; Gilles Bonamy, échevin en 1619 ; Jean Ragault, échevin en 1636 ; et surtout les Bidé, avec Jacques, sieur de La Rairie, et le plus précieux pour notre propos, Claude I Bidé, alloué de Nantes, maire de la ville de 1652 à 1654 et membre du grand bureau en 1659.

36Gilles Geffray, échevin de 1704 à 1707, simple avocat au présidial, n’avait pas encore de solides assises familiales lorsqu’il a connu le succès aux élections et obtenu la nomination royale. Originaire de Puceul, une petite paroisse rurale du Nord du comté nantais, il s’était marié à Joué-sur-Erdre, une paroisse de la même région, avec Gabrielle Mazureau, d’une famille qui n’avait rien à lui offrir pour une distinction politique à Nantes. Dans son cas, on peut parler de solidarité corporative puisque, en parcourant la liste des notables qu’il a choisi pour être parrains de ses enfants, on retrouve Aubin Gendron, avocat et procureur, échevin de 1693 à 1696, Charles Nicollon, procureur, échevin de 1694 à 1697, René Fouchard, avocat et syndic de 1684 à 1691, Claude le Breton, avocat et échevin de 1707 à 171037. À partir de cet exemple, on voit donc comment un notable, qui n’a aucune racine dans la bourgeoisie nantaise, parvient à s’intégrer à cette élite dirigeante sur le seul fait de sa qualification professionnelle fondée sur un doctorat en droit, de la pratique d’avocat et de la solidarité de ses confrères.

37Ces réseaux d’amitié recouvrent très souvent une solidarité de type corporatiste puisque les parents qui cherchent des parrains et des marraines en dehors de leur famille se tournent la plupart du temps vers leur milieu professionnel, prolongeant ainsi le réflexe endogamique classique de la négociation des alliances matrimoniales.

La protection d’un grand personnage ou d’une grande famille

38La procédure institutionnelle de désignation imposait aux candidats toute une stratégie de recommandations auprès du gouverneur de la ville et comté qui restait le conseiller décisif du gouvernement royal. L’exemple déjà cité du marquis de Molac justifiant sa première sélection en 1666 montre parfaitement comment le représentant du roi établissait son choix sur les conseils des représentants des plus puissantes familles de la noblesse de robe nantaise, comme les Harouys, les Charette, les Cornulier, les Blanchard…, qui pouvaient également faire connaître leurs préférences en amont dans le grand bureau du 30 avril.

39Rappelons pour mention comment les Harouys ont pu bénéficier de la grande influence de Guillaume Bautru, membre influent de la clientèle de Richelieu, comment les Bidé ont été protégé par la branche de La Bidière et de La Granville, bien installée au conseil d’État avec des maîtres des requêtes. Claude II Bidé, maire de Nantes de 1683 à 1685, après plusieurs sélections locales non couronnées de succès de 1679 à 1682, a pu également bénéficier des recommandations du marquis de Pontchartrain, premier président au parlement de Bretagne, parrain de son fils Louis en 1684, mais aussi de celles de l’évêque de Nantes Gilles de La Baume Le Blanc qui a célébré son mariage en 167938.

40Le procureur du roi au présidial Guillaume Blanchard de La Chapelle apparaît pour la première fois parmi les trois meilleurs suffragés en 1625. Sa cooptation sur la liste est donc antérieure. Il occupe son office depuis 1612, date où il a succédé à son cousin Jehan Blanchard de Lessongère, maire de 1611 à 1613, passé alors à la chambre des comptes comme procureur général. Ce dernier personnage laisse son tribunal en 1619 pour prendre en charge la gestion des affaires du duc de Vendôme, gouverneur de Bretagne39. Réconcilié avec Louis XIII à la suite de Marie de Médicis, et très présent dans la lutte contre les protestants qui devient la priorité politique à partir de 1621, Vendôme, tuteur de la municipalité, paraît naturellement bien placé pour pousser à Nantes les parents du surintendant de sa Maison.

41Le général des finances de Bretagne Jacques Huteau des Burons, devenu président aux Comptes en 1644, promu maire en 1659, avait épousé en novembre 1635 la fille de Guillaume Thévin, conseiller au parlement de Bretagne. Parmi tous les notables choisis comme parrain ou marraine, remarquons la présence du maître des requêtes Nicolas Fouquet en 164540. La promotion politique de ce dernier à la surintendance générale des finances en 1653, après deux intendances et un passage au parlement de Paris comme procureur général, en récompense de sa fidélité à Mazarin et Anne d’Autriche pendant la Fronde, était un atout majeur pour le candidat à la mairie.

42L’avocat Martin Le Brun, élu en décembre 1596, a pourtant été autorisé à terminer son mandat en avril 1598. Premier du patronyme à l’échevinage, les protections municipales sont plutôt venues des alliances matrimoniales de la famille, mais il est difficile de définir le degré de parenté de sa première épouse Ymaine Davy, fille d’un notable du quartier des ponts et des îles, avec d’autres Davy honorés d’une responsabilité identique41. Sa belle-sœur lui a surtout offert le soutien de Pierre Biré, sieur de La Doucinière, panégyriste du duc et de la duchesse de Mercœur, installé par eux comme avocat du roi au présidial dès le début de 159042.

43La promotion du notaire Jacques Bernard en 1656 reste mystérieuse, surtout après enquête. On voit mal comment ce procureur de la seigneurie d’Orvault, fils d’un greffier de la même cour, avec un réseau de relations spécialement terne, a pu être agrégé par le grand bureau, connaître le succès aux élections et être distingué par le pouvoir central43. Peut-être faut-il penser à la protection de la puissante famille noble Du Pé qui tient la seigneurie !

44Le procureur au présidial François Priou ne dispose guère de relais en 1658. Sa parenté est politiquement pauvre44. Outre la solidarité du corps des procureurs qui grignote lentement la place occupée par les officiers de justice qui se désintéressent progressivement de l’échevinage, la mention comme marraine en 1651 de Madeleine Ménardeau, épouse de Jean Charette, sénéchal de Nantes, maire de la ville de 1650 à 1652 et décédé seulement en 1660, reste la seule ouverture possible.

La conjoncture politique nationale

La normalisation après l’échec de la Ligue

45Après le final des guerres de religion qui a vu la ville de Nantes soumise à un gouverneur de Bretagne soutenant activement le parti de la Ligue et refusant de reconnaître la légitimité des Bourbons, le règne d’Henri IV après 1598 ne pouvait être que celui de la normalisation politique. Deux objectifs contradictoires devaient pourtant être conciliés. Assurer la fin de la guerre civile en favorisant la réconciliation des adversaires tous réunis autour du trône et récompenser en bon maître les fidèles serviteurs qui n’avaient pas hésité à prendre de grands risques pendant les troubles pour défendre le loyalisme monarchique dans une ville demeurant passionnément catholique. Le sénéchal Julien Charette et le président du présidial Charles de Harouys45, figures emblématiques du parti royal, mais aussi l’alloué Julien Laurent, le maître des comptes Yves Le Lou et le général des finances Claude de Cornulier46, ont tiré profit de leur appartenance au camp vainqueur.

46Les notables très engagés dans la Ligue ne sont cependant exclus ni de la sélection du grand bureau municipal, ni du classement opéré par le corps politique comme le montre la nomination du maire Michel II Loriot en 1607. Éduqué dans une famille marchande ultra-catholique, la mairie de son père en 1577 étant déjà très marquée par cet esprit, il n’a pas hésité à s’engager fortement derrière Mercœur. Responsable supérieur de la milice bourgeoise en 1589, on peut le considérer comme le chef de la police politique nantaise dans ces années de tension. Son frère Jean a repris la charge de trésorier des États provinciaux ligueurs. Il a été désigné comme membre de la députation chargée d’aller au devant d’Henri IV en février 1598 pour négocier la fin de la rébellion et son frère avait été choisi pour porter les clés lors des cérémonies d’entrée à Nantes qui furent refusées par le roi vainqueur47. En avril, Michel Loriot est éliminé de son commandement de la milice, mais est tout de même retenu comme échevin. Modération du personnage ou désir d’apaisement d’Henri IV ? En 1607, le corps politique l’a proposé en complément du sénéchal René Charette, l’illustration même de la fidélité politique d’une famille. En le préférant, Henri IV a sans doute souhaité marquer qu’une page d’histoire était tournée et que ses anciens adversaires repentis et décidés dorénavant à lui conserver leur fidélité pouvaient légitimement aspirer aux plus hautes fonctions de l’administration urbaine.

47Ce respect nantais des anciens ligueurs et cette volonté royale de réconciliation se sont illustrées beaucoup plus vite dans l’échevinage. Le maître de la Monnaie Antoine Barillier, échevin de 1598 à 1601, s’est d’abord fait connaître en prenant à ferme les impôts de l’évêché de Nantes en 159048. Totalement lié au milieu ligueur, il paraît avoir été intime avec Biré déjà cité et avec René Fleuriot, conseille secrétaire de Mercœur et son trésorier général de l’extraordinaire des guerres. Pierre Monnier, échevin de 1604 à 1607, qui a commencé comme marchand banquier avant d’obtenir l’office de greffier de la chambre des comptes, puis celui d’auditeur dans la même cour grâce aux perturbations de la Ligue, était très lié à de solides partisans de Mercœur, spécialement au maître des Comptes Bernard de Monti, lui-même échevin de 1573 à 1575, ou même aux gentilshommes de l’entourage immédiat du gouverneur49. Son épouse Jeanne Lemoyne venait d’une puissante famille marchande dont un miseur en 1568, juge au consulat en 1570-1571 et 1580-81 et un capitaine de milice bourgeoise décédé dans sa fonction en 1597.

48L’auditeur Pierre Davy, échevin de 1605 à 1608, a pris femme dans une famille qui a donné un échevin en 1565 dans la première municipalité élue50. Mais cette date est trop lointaine pour expliquer à elle seule une cooptation. Les relations suivies avec de grands responsables ligueurs comme le procureur syndic des États de Bretagne, Guillaume Raoul, qui obtient par la suite une charge de président de la chambre des comptes, ou la protection de la famille Loriot lui ont certainement été beaucoup plus profitables, d’autant plus que son frère, François Davy, a travaillé comme contrôleur du domaine royal et des réparations pour les fortifications au service de Mercœur. Le marchand Michel Coupperie, nommé échevin en 1606 et décédé en charge en 1607, n’a vraiment pu profiter que de ses relations extérieures. Son père et homonyme, disparu en 1587, n’a pas pu l’aider51. Sa mère Marguerite Brétineau ne venait pas d’une famille déjà en phase avec l’administration locale. Son environnement social fait apparaître une nette prédilection pour des notables passionnément ligueurs, avec surtout Jean Laubier, maire en 1592-1594, et Guillaume Raoul, le syndic des États provinciaux déjà cité.

La première régence et le gouvernement de Vendôme

49Les difficultés politiques liées à l’agitation des Grands et l’implantation locale du duc de Vendôme, titulaire du gouvernement de la Bretagne, ont conduit l’élite municipale à ne retenir comme éligibles au poste de maire que des notables au loyalisme assuré. Les Charette donnent ainsi trois maires en dix ans : le sénéchal René Charette de La Bretonnière, de 1609 à 1611, le sénéchal Louis Charette de La Gascherie, de 1613 à 1615 et le sénéchal Alexandre Charette de La Noë, frère cadet du précédent de 1619 à son décès en charge en décembre 1620. On peut leur adjoindre le sénéchal Jacques Raoul, gendre du premier Charette, maire de 1621 à 1623. Les Harouys sont présents de 1623 à 1627 avec Louis, président aux Comptes, et son frère Jean, président du présidial, mais aussi le président aux Comptes Pierre Bernard de La Turmelière, leur beau-frère. André Morin, lieutenant civil et criminel au présidial, en poste de 1617 à 1619, était en parenté étroite avec les Ruiz et surtout les Barrin qui avaient ramené Rennes dans le parti loyaliste après la prise de pouvoir des ligueurs en mars 1589.

50La promotion de Jean Blanchard de Lessongère semble devoir beaucoup à des protections venues du Conseil du roi. Procureur du roi au présidial, il est désigné par la régente en 1611 contre le sénéchal Louis Charette de La Colinière et le lieutenant général au présidial André Morin du Bois. Les liens familiaux ne sont guère porteurs. Héritier d’une famille d’ancienne noblesse qui a survécu au xvi^e siècle grâce aux offices de notaires ruraux, il est entouré de parents notaires, avocats, chanoines ou même marchands drapiers et capitaines de milice sur Sainte-Croix. Le milieu familial paraît nettement ligueur et son premier mariage en janvier 1597 avec la fille de Pierre Rioteau, greffier des régaires, secrétaire de Mercœur, échevin de 1591 à 1593, le situe bien de ce côté. Reçu avocat au parlement de la Ligue en 1596, il a néanmoins pu acquérir l’office de procureur du roi au présidial en 1602. Son deuxième mariage en 1601 avec Madeleine Fruyneau, d’une famille de procureurs peu connue, n’a pas pu lui apporter un soutien efficace. Le remariage de sa mère, Jeanne Cosnier, avec l’avocat Mathurin Guiho, sieur de Tregouët, syndic municipal de 1607 à 1613, est déjà un élément plus favorable52.

51L’élément décisif semble pourtant correspondre à sa nomination en commission comme procureur du roi pour la recherche et la liquidation des droits casuels en Bretagne en 1605. Les lettres patentes lui accordent un droit d’un sol par livre sur tous les revenus seigneuriaux ou casuels et les amendes qu’il fera rentrer dans les coffres royaux. En 1608-1609, il est envoyé en députation vers Henri IV pour défendre les privilèges de Nantes en matière de devoir sur les boissons. En 1609, il conduit la délégation du Tiers pour les États de Bretagne. Ce sont tous les contacts et les services rendus qui sont évoqués par Louis XIII pour justifier l’attribution du brevet de conseiller d’État qui lui est attribué en 1614. Ils expliquent en large partie la promotion de 161153.

52Cette pression du politique, qui vient ainsi se mêler aux protections familiales directes ou indirectes dans les mécanismes de cooptation, aboutit à pousser en avant des candidats dont les familles ont donc choisi le parti royaliste pendant la guerre civile. Il est assez intéressant de constater que cette pression ne va pas au-delà de René Ménardeau, maire de 1627 à 1629. Sans doute les années qui s’écoulent et qui enfoncent dans un passé de plus en plus lointain les souvenirs des clivages de la Ligue expliquent-elles logiquement la dissolution progressive de cette caractéristique. Toutefois la conjoncture politique rend aussi largement compte de cette évolution. La fin des années vingt correspond à la levée de l’hypothèque Vendôme et à la liquidation de la menace militaire protestante, avec toutes les conséquences sur la vie politique nantaise déjà évoquées.

L’influence des relances mercantilistes

53Le loyalisme de l’élite dirigeante ayant été clairement établi dans les trois premières décennies du siècle, le fait politique disparaît à peu près complètement des procédures de cooptation jusqu’en 1715. Demeurent seulement les influences ponctuelles de la politique économique de la monarchie.

54C’est en 1638 que le marchand Jacques de Bourgues, échevin en 1621-1624, apparaît parmi les trois sélectionnés proposés à la désignation royale. Cette présence d’un marchand parmi cette triade n’avait existé auparavant qu’entre 1607 et 1609. Présenté de nouveau en 1641 et de 1644 à 1646, il est reconnu de 1646 à 1648. Ce n’est sans doute pas par hasard si le premier maire marchand du xvii^e siècle triomphe au moment même où le maréchal de La Meilleraye lance à Nantes la compagnie de la Bourse commune en invitant la haute bourgeoisie et la noblesse à investir dans ce commerce avec l’océan indien, spécialement Madagascar.

55Cette même conjoncture a sans doute profité au marchand Gratien Libault qui est proposé au roi pour la première fois en 1668, renouvelé en 1669, 1670 et 1671, date où il est désigné comme maire. Issu d’une famille sans expérience municipale, son père René ayant réussi à se faire porter sur la liste des éligibles à l’échevinage et s’étant trouvé parmi les trois meilleurs suffragés en 1642, mais sans confirmation royale, il a d’abord connu le succès comme échevin en 1655-1658. Cette promotion a récompensé le plus important créateur de la droiture antillaise à Nantes54. Elle doit être replacée dans un mouvement général qui pousse les directeurs nantais de la compagnie des Indes orientales à l’échevinage entre 1667 et 1670, Étienne Bureau étant même imposé comme septième échevin en surnombre en 166955.

Les difficultés politiques après la mort de Louis XIV

56La progression du contrôle de l’intendance et l’apparition d’une contestation politique en Bretagne après 1715 conjuguent leurs effets pour la renaissance de cette forme de pression sous la Régence56.

57En 1716, le sénéchal et président du présidial Louis IV Charette de La Gascherie, qui ambitionnait de devenir le huitième maire de la dynastie, a pris une courte tête d’avance avec 205 piques sur le riche et célèbre négociant Joachim Descazaux, certainement le meilleur porte-parole du commerce nantais en très brillante expansion à cette époque57. L’ancien député au conseil du commerce de 1701 à 1702, célèbre pour la rédaction d’un mémoire exprimant largement les principes du libéralisme économique à une date où le colbertisme était naturellement la règle, anobli par Louis XIV en 1702 pour ses mérites commerciaux et les services navals rendus pendant les guerres, a totalisé 180 piques. Le sénéchal incarnait donc la tradition, celle des vieilles familles de l’élite nantaise, celle de la domination des officiers de justice et précisément des officiers du présidial sur la fonction de maire. Le plus célèbre des négociants nantais illustrait parfaitement ce renouveau de l’élite marchande après la redéfinition des routes commerciales qui avait permis de casser la domination asphyxiante des Hollandais à partir des années 1670-1680, avant d’apporter la consécration à partir des années 1715-1720. Ce redressement avait été l’œuvre d’anciennes familles nantaises, mais aussi de nouveaux commerçants entreprenants venus des autres provinces du royaume, spécialement du littoral basque, et dont les Descazaux étaient les plus éminents représentants. Le troisième candidat retenu, André II Boussineau, procureur du roi au présidial, n’avait guère obtenu de succès, avec seulement 37 piques. C’est pourtant lui qui fut désigné par le régent.

58Cette élévation surprenante relève d’une autre logique que du jeu des alliances matrimoniales qui s’équilibrent58, car elle reflète surtout la pression croissante de l’intendance sur la vie municipale nantaise. L’administration royale, qui avait établi dans la première décennie du siècle l’encadrement juridique de la communauté, ne souhaitait guère se retrouver avec un notable soucieux d’autonomie, difficile à manœuvrer. Dans la perspective expansionniste qui était sienne, le procureur faisait mieux l’affaire. Il avait déjà servi sous les ordres de l’intendant comme subdélégué provisoire en 1704-1705 et Béchameil de Nointel avait été satisfait de ses services59.

59Charles Fouré, sieur de La Guyonnière, avocat du roi au présidial, échevin de 1714 à 1718, est présenté vainement au régent pour le poste de maire en 1718 et 1720. Sa parenté proche avec Jean Fouré de La Paillerie, avocat au parlement, en fait un cousin de Jean de La Noë-Mesnard, directeur du séminaire de Nantes de 1686 à 1716, auréolé d’un prestige et d’une influence morale considérable dans l’élite nantaise de la fin du xvii^e siècle et du début du xviii^e siècle, mais aussi de François Fouré, doyen du chapitre cathédral, docteur en théologie et syndic de cette faculté à Nantes, chef de l’opposition janséniste après la publication de la Bulle Unigenitus en 171360. Ce dernier est passé de la contestation voilée à l’opposition publique avec la mort de Louis XIV, l’arrivée du régent et la renaissance politique des parlements. De 1716 à 1717, il s’active énormément pour assurer le succès de l’appel au concile général lancé par les évêques jansénistes, ce qui lui vaut une lettre de cachet qui l’exile à Vendôme en avril 171761. Même si aucun document ne lie précisément cette élection avec la crise religieuse à Nantes, il apparaît utile de rappeler cette toile de fond, étant donné le prestige et la popularité des prêtres jansénistes, regroupés autour de la communauté Saint-Clément, dans l’élite sociale urbaine formée pour l’essentiel dans le collège Saint-Clément tenu par les Oratoriens.

Importance relative des différents soutiens

60Pour établir une base statistique suffisante pour garantir nos conclusions, il nous a semblé possible de réduire l’échantillon des échevins à condition de retenir toutes les familles des maires. Pour ce faire, nous avons décidé de retenir arbitrairement les derniers exemples de la troisième séquence chronologique, c’est à dire les douze échevins qui ont servi entre 1700 et 1720. Partant de cette donnée numérique, nous avons choisi les douze premiers de la première séquence et les douze médians de la seconde phase, ce qui forme une base de 36 exemples pour l’analyse de la cooptation.

Importance relative des moyens de cooptation, 1598-1720

61Tous les critères étudiés ont été repris avec une distinction pour la famille directe entre les notables qui ont bénéficié de parents présents dans le grand bureau et ceux qui n’ont disposé que du renom de leur lignage. Dans les réseaux de protection, la notation corporative a été retenue pour ceux qui ont fortement recherché cet appui dans les choix des parrains et marraines, sans que n’apparaissent dans ces derniers des membres de la municipalité. Il a semblé aussi important d’indiquer si le candidat était en ascension sociale rapide, ou pour lui-même par rapport à son père ou à l’intérieur d’une même génération qui réalise un saut global dans l’échelle sociale. Pour les gens de justice, nous avons tenu compte des changements d’états en les rapportant à la hiérarchie des dignités habituellement admise au xvii^e siècle ; pour les marchands, le commentaire en l’absence des chiffres de fortune étant très délicat, nous avons retenu les distinctions préalables comme le consulat de commerce ou la direction de la Contractation.

62Il est évident que nous sommes sans illusion sur le caractère relatif des conclusions proposées, bien des protections ou des relations personnelles permettant de mieux comprendre telle promotion ayant pu échapper à nos investigations. Nous avons pourtant la faiblesse de croire que le faisceau d’interprétations présenté, riche de toutes les observations relevées dans l’analyse pointilliste de nombreux exemples familiaux, donne une image suggestive de la cooptation à la municipalité de Nantes.

63La hiérarchisation des facteurs qui interviennent dans la cooptation des maires ne creuse pas trop d’écarts entre les différents appuis bénéfiques qui ont favorisé les heureux candidats et laisse plutôt l’impression d’un relatif équilibre entre des forces variées. Deux caractéristiques semblent quand même prépondérantes. L’agrégation à l’état d’éligibilité au poste de maire paraît d’autant plus aisée que la puissance de la famille directe est bien établie et que celle-ci connaît dans cette période une mobilité sociale ascendante importante. Globalement les deux facteurs l’emportent de peu sur les alliances matrimoniales, de manière plus nette sur les relations extra-familiales.

64Pour essayer de mesurer une éventuelle évolution des pratiques de cooptation, nous avons séparé l’ensemble des 48 notables en deux groupes égaux, ce qui place la césure en 1644. La variation des chiffres est très éclairante car les déséquilibres constatés sont les signes concrets d’une évolution de la vie politique nantaise. Observons d’abord que les interventions directes des parents de sang restent bien réparties, ce qui manifeste donc une permanence de ce facteur primordial. Par contre s’opposent un premier xvii^e siècle marqué par la puissance politique des lignages de renommée ancienne, représentés par des notables disposant des plus hauts offices du présidial ou des Comptes, et bénéficiaires d’excellents réseaux de sociabilité qui sont autant de relais précieux, et un second xvii^e siècle où les lignages anciennement liés à la vie municipale et aux honneurs pèsent moins, ce qui a laissé plus de place à de nouvelles familles en progression rapide, où les notables cooptés doivent beaucoup à la convergence de protections résultant de mariage bien choisis.

65Pour les familles échevinales, la relative faiblesse des chiffres des deux premières colonnes qui mesurent les protections venues de la parenté directe souligne d’autant l’influence souvent déterminante des appuis de la parenté par alliance ou des amis des réseaux de relations dans lesquels le candidat a réussi à s’insérer. Si le début du siècle semble être marqué par une plus forte efficacité des intermariages, le milieu voit plutôt la montée des relais extérieurs, ce que ne confirme plus le début du xviii^e siècle qui enregistre une réévaluation du rôle de la famille de sang. On ne saurait donc insister abusivement sur la prépondérance d’une interprétation à partir de résultats aussi changeants obtenus sur un échantillon restreint. Remarquons cependant que ces conclusions correspondent assez bien à l’évolution sociologique de l’échevinage, c’est à dire au retrait volontaire des officiers de justice au milieu du siècle qui le fragilise socialement avant la reconstitution d’une solide élite marchande conquérante dans son dernier tiers.

66Il est aisé de constater à la lecture de ce tableau comparatif qu’il n’existe pas la même hiérarchie dans la répartition des soutiens ayant bénéficié aux maires et aux échevins. Pour les premiers, l’ancienneté du prestige du lignage précède de peu les solidarités nées des intermariages et de manière plus nette les protections venues de relations personnelles du postulant. Pour les seconds, c’est le couronnement d’une forte ascension sociale qui devance les relais offerts par un réseau de relations sociales de qualité et les promotions gagnées à la suite d’interventions des familles alliées. Toutefois, certaines valeurs relatives n’ayant que des écarts limités montrent un certain parallélisme dans le recrutement des deux niveaux du bureau servant.

67Il convient donc de s’attacher plus spécialement aux écarts nettement marqués qui signalent les véritables comportements originaux liés à chaque style de fonction. Les différences les plus prononcées se lisent spécialement dans les colonnes deux et cinq et plus modérément dans la première. Cela nous invite à insister sur la différence majeure qui sépare la cooptation des maires et celle des échevins : la première sélectionne des familles plus anciennement établies, au prestige mieux assuré, qui trouvent en elles-mêmes la majeure partie des forces qui assurent leur succès et qui sont solidement positionnés dans les offices supérieurs de la justice royale nantaise ; la seconde comprend un plus grand nombre de famille à l’ascension sociale récente, qui manquent encore de consistance et ne peuvent prétendre au succès politique qu’en additionnant les protections venues de leurs alliances avec leurs forces propres encore trop jeunes.

Conclusion

68Avant d’être départagés par les électeurs nantais pour une première sélection, les notables qui ambitionnaient un poste de maire ou d’échevin devaient d’abord parvenir à se faire inscrire sur les listes d’éligibilité. Le renouvellement de ces dernières était entre les mains du bureau servant et des anciens magistrats qui assuraient la cooptation jugée indispensable pour obtenir l’élévation de sujets méritants à la direction des affaires urbaines. Chaque présent à cette séance annuelle du 30 avril proposait ses candidats et la décision résultait d’un vote à la majorité relative qui provenait de la synthèse d’influences assez diversifiées.

69Le prestige de la famille propre, qu’il soit ancien ou plus récent, se révélait d’autant plus si cette dernière pouvait se parer d’une tradition de service dans la municipalité. Les alliances matrimoniales du candidat, mais aussi de sa parenté, apportaient également des protections complémentaires très bénéfiques. Certains ont pu compenser des faiblesses dans ces deux bases traditionnelles par l’efficacité d’un réseau personnel de relations sociales qui s’exprime surtout dans le choix des parrains et marraines des enfants. Au delà de ces échanges de services entre individus et familles, n’oublions pas l’impact d’une belle réussite personnelle, la montée en puissance de toute une génération familiale, la solidarité corporative d’un état particulièrement attaché l’échevinage, l’intervention d’un puissant lignage, ou d’une constellation de familles alliées, et pour certains la protection de puissants personnages capables d’obtenir une décision aussi bien dans la séance nantaise qu’au niveau du gouvernement royal.

70Pour la cooptation sur la liste de maire, il est difficile de hiérarchiser ces différentes explications tant les influences paraissent équilibrées. Il semble pourtant que l’intégration soit d’autant plus aisée que la puissance de la parenté directe est bien établie et que la mobilité sociale ascendante est bien affirmée. Ces deux facteurs semblent l’emporter de peu sur les avantages des alliances matrimoniales et de manière plus nette sur l’impact des autres relations sociales. Pour parler d’évolution dans le siècle, il convient d’opposer la première moitié plus marquée par l’importance des lignages de renommée ancienne, disposant des plus hautes charges de la chambre des comptes ou du présidial avec d’excellents réseaux de sociabilité et la seconde moitié où des familles en ascension rapide et au prestige moins affirmé ont plus besoin des interventions de la parenté par alliance. Ces différenciations ne sauraient être exagérées et apparaissent plutôt comme des nuances.

71Pour la cooptation sur la liste échevinale, une conclusion globale reste incertaine puisque la première phase avantage les familles alliées par mariage, la seconde les relais extérieurs et la dernière l’impact de la famille directe, Par dessus ces variations qui prouvent la complémentarité des influences possibles, s’impose plus sûrement l’image d’une adaptation de la cooptation au principe supérieur de rotation rapide des notables dans la municipalité. Tout est pensé pour que le plus grand nombre possible de familles de l’élite urbaine soient associées aux honneurs municipaux. La cooptation ne saurait donc être perçue comme une arme utilisée par de vieilles familles implantées depuis longtemps et cherchant à se constituer en caste dirigeante. La cooptation n’exclut pas le renouvellement rapide des familles dans la classe dirigeante.