1Les trois grandes phases de l’évolution sociale pourraient bien correspondre à des étapes plus ou moins favorables pour le commerce nantais, spécialement pour les marchands du crû qui seuls peuvent prétendre aux responsabilités politiques. La désignation d’un corps de ville demeure pourtant avant tout une démarche de nature politique. Elle n’a donc pas pu échapper aux influences de la progression irrégulière de l’absolutisme monarchique qui finit par s’imposer après avoir triomphé de deux graves crises de croissance. La sous représentation des marchands ou des gens de justice peut aussi traduire soit un refus ou une réticence de participation, ce qui met d’abord en cause la mentalité de cette fraction de l’élite, c’est à dire sa perception de l’institution comme source de notabilité. Il convient donc d’établir si la recomposition de l’échevinage correspond plus à une redéfinition des structures de base du commerce nantais ou à une adaptation de l’oligarchie aux nouvelles conditions politiques commandées par la logique absolutiste.

Une interprétation économique

Un siècle de redéfinition du commerce nantais

La crise des bases traditionnelles

2Le commerce du sel a constitué aux xv^e et xvi^e siècles la base la plus solide de l’essor portuaire car la ville a bénéficié de la proximité des marais salants de Guérande et de Bourgneuf qui encadrent l’estuaire de la Loire, axe privilégié pour la remontée et la distribution du sel à l’intérieur du Royaume. J. Tanguy place l’apogée de ce commerce autour de 15701580 et conclut à un déclin sévère pendant le siècle qui suit, le tonnage transporté passant de 20 000 muids à environ 7 000 vers 16701. Au début du xviii^e siècle, la remontée du sel à Nantes assure surtout la survie des marchands du Croisic à Bourgneuf2.

3Le trafic des vins, principale spéculation du port de Nantes à partir de 1570-1580, a conservé cette prééminence jusqu’au milieu du xvii^e siècle. La Bretagne, formidable marché de consommation, assure un débouché immédiat et ancien, complété par la progression de la demande des pays du Nord et de la Baltique. Les grands marchands s’intéressent bien sûr aux vins « nantais » et « d’amont », mais ils sont noyés dans la foule des tous petits, simples maîtres de barques, sans moyens financiers, condamnés aux opérations au coup par coup, se contentant de méthodes commerciales rudimentaires3. La crise frappe durement cette base essentielle pendant le règne de Louis XIV. En 1698, l’intendant ne constate qu’un faible trafic d’environ 8 000 tonneaux. Les guerres ont déshabitué la clientèle nordique, spécialement anglaise, des vins de Touraine et d’Anjou au profit des vins portugais et andalous4. Cette contraction n’est pas conjoncturelle puisque les séries statistiques du siècle suivant confirment un effacement irréversible.

4Le commerce de l’eau de vie a-t-il pu compenser le manque à gagner ? La distillation existait dès l’époque médiévale en Pays nantais qui était en concurrence avec l’Anjou et l’Orléanais. Tous les auteurs s’accordent sur une expansion au xvii^e siècle, suite à une forte demande des pays du Nord et des nouveaux débouchés, canadien pour le trafic des fourrures et africain pour la traite négrière, sans proposer de repères chiffrés. Dès 1646,Jean Éon indique la reconversion vers la distillation de l’alcool en l’imputant aux demandes hollandaises. Une lettre de Colbert (13 juin 1670) assure qu’en six semaines ces derniers ont enlevé toute la production du comté5. La compagnie du Sénégal créée en 1673, réorganisée en 1681, s’approvisionne régulièrement6. Le marché des Îles d’Amérique reste encore très difficile car les planteurs tiennent à écouler leur « sirop ». En février 1693, les marchands d’eaux de vie font agir la municipalité pour empêcher les raffineurs de sucre de canne de développer une production concurrente à partir de leur sirop7.

5La laine vient de Castille depuis le Moyen Âge, mais les importations ont tendance à fléchir, passant d’une moyenne à 5 à 6 000 balles au xv^e siècle à 2/3 000 balles au début du xvii^e siècle. La concurrence du port de Rouen s’avère difficile à contrer8. Ce niveau a pu être toutefois maintenu jusqu’au milieu du xviii^e siècle. Le port exporte un peu de draps de laine venant de Bretagne, du Poitou et surtout de Normandie et les marchands de Morlaix importent aussi des draps anglais qu’ils envoient ensuite sur Nantes. Les produits de luxe comme les draps de soie, qui sont expédiés de Lyon ou de Tours, forment un marché lucratif, mais étroit. L’ensemble de ce trafic est entre les mains des plus riches marchands qui forment avec les marchands de mer les catégories qui parviennent à l’échevinage.

6Le relevé des origines des toiles de lin ou de chanvre expédiées par le grand marchand André Ruiz vers le marché ibérique illustre l’importance de cette industrie rurale dans le Maine, l’Anjou et la Bretagne9. Les échanges avec l’Espagne sont favorisés par les privilèges échangés depuis le xv^e siècle, la laine de Castille comme les toiles de l’Ouest étant dégrevées de taxes. La première moitié du xvii^e siècle marque cependant un essoufflement de ces exportations car la concurrence des autres ports français est très vive : Saint-Malo égale Nantes qui est dépassé par Rouen en plein essor. La fin du siècle a vu les difficultés s’aggraver dangereusement. L’enchaînement des guerres a abouti à la perte des marchés anglais et hollandais10.Dès 1698, Béchameil de Nointel déplore l’insuffisance de l’industrie toilière bretonne qui ne se défend pas suffisamment devant la montée de la concurrence, malgré les nouvelles perspectives offertes par la traite négrière et le développement des Îles d’Amérique.

Le développement de nouveaux trafics porteurs

7Nantes n’a pas cessé d’améliorer son rôle de marché céréalier pendant l’Ancien Régime. Les crises frumentaires gonflent rapidement le volume des transactions. Rappelons le marché énorme passé entre la municipalité et le blatier Claude Sauvaget en 1630 pour la fourniture de 20 000 setiers de blé (deux tiers seigle, un tiers froment), ce qui représentait une somme de 360 000 livres au prix du marché. L’adjudicataire n’ayant d’ailleurs pas pu faire face à l’énormité de la commande, la transaction s’est terminée par un procès en 163111. Si les blés de Pologne sont de plus en plus recherchés (première mention en 1576, seconde en 1621, troisième en 1631, livraison massive en 1644), la Bretagne semble pourtant conserver longtemps son ancienne prépondérance puisqu’elle assure encore les trois quart de l’approvisionnement dans les deux premiers tiers du xvii^e siècle12. Les provinces intérieures du royaume qui sont ravitaillées par les marchands des villes ligériennes et la péninsule ibérique constituent les zones habituelles de redistribution.

8Avec le xvii^e siècle, s’affirme le commerce du poisson, activité essentielle tant pour sa contribution à l’essor quantitatif du port que pour l’éveil des marchands les plus entreprenants qui trouvèrent ici l’occasion de s’aguerrir sur des spéculations lointaines. Les grands marchands nantais se sont de plus en plus imposés dans le trafic morutier qui connaît ici son apogée au xvii^e siècle en plaçant le port au troisième rang en France à égalité avec Bordeaux, derrière La Rochelle, mais surtout Saint-Malo. Dépendant longtemps des centres d’armements de la Basse-Loire et du Croisic, ce dernier port fournissant les trois quarts des prises au milieu du xvi^e siècle, les premiers marchands arment directement pour Terre-Neuve après 1560. Au début du xvii^e siècle, l’aire d’influence nantaise s’étend de la Seine à la frontière espagnole. Vers 1630, les liens avec des ports comme Saint Gilles ou les Sables d’Olonne se sont renforcés. À la fin du siècle, une trentaine de bateaux de 70 à 300 tonneaux se tiennent sur les bancs de Terre-Neuve. Ils assurent leurs retours à Nantes, mais aussi à La Rochelle, et même en Espagne et au Portugal13. Toutefois, les guerres maritimes gênent terriblement cette activité. La course anglaise et hollandaise se déchaîne : René Montaudouin perd quatre navires en 1696, le négociant Sauvage en laisse cinq. On comprend pourquoi les Nantais s’intéressent particulièrement au ravitaillement la petite garnison de Plaisance qui limite la pression anglaise et pour laquelle ils obtiennent quatre des sept contrats passés avec l’État de 1691 à 169714. Les « entreprises de Plaisance » ont constitué une étape majeure du développement du commerce nantais dans la mesure où elles ont permis l’apparition de sociétés d’armement avec une concentration de capitaux à un niveau encore jamais atteint et l’établissement de liens étroits avec les bureaux de Versailles qui vont se révéler très productifs pour l’avenir.

9Quelques marchands entreprenants se sont également risqués dans la pêche à la baleine. Vers 1600, c’est une spécialité des Basques. En 1609, Julien Dureau, marchand important dont la famille entre à l’échevinage au xvii^e siècle, arme deux navires de Saint Jean de Luz de fort tonnage pour partir au large du Brésil avec retour prévu à Castro Urdiales, près de Bilbao. Un seul navire peut rentrer, l’autre étant vendu au Brésil15. Ce demi-succès a manifestement déçu les Nantais qui n’insistent guère. Cet armement demeure toujours une possibilité, comme l’indiquent des exemples de 1664 et 1688, une vingtaine de navire en moyenne étant intéressés à ce trafic à Nantes au xvii^e siècle16. La montée de plusieurs marchands basques à Nantes entre 1650-1660 a pu ranimer un état d’esprit favorable à ces entreprises lointaines.

10Le transfert des émigrés des provinces de l’Ouest et les importations de tabac suscitent les premières liaisons avec les Antilles qui se multiplient à partir de 1639, date où un contrat cite la famille Libault associée à trois autres marchands bourgeois pour l’acquisition de tabac et d’un peu de sucre sur un navire de Dieppe en provenance de Saint Christophe, pour la somme très importante de 8 063 livres17. Parmi ces entrepreneurs audacieux se trouve Gratien Libault, nommé échevin de 1655 à 1658, puis maire de 1671 à 1673, mais aussi Mathurin Bruneau, échevin de 1637 à 1640 et Guillaume Moreau, échevin installé en 1640 et mort en charge en août 1642. La multiplication des contrats d’engagements pour la Martinique et la Guadeloupe à partir de 1646 avec retour en tabac et sucre et la participation des marchands Pierre Despinoze et François Suhard à la compagnie de mise en valeur des îles de Grenade, Grenadins et Saint Vincent en 1645 montrent l’intérêt croissant d’un milieu marchand diversifié pour ce nouvel horizon18. L’évolution des importations de tabac est difficile à évaluer. L’intendant n’en parle pas en 1698, ce qui pourrait traduire un caractère secondaire. Le trafic sucrier devient ainsi rapidement le principal support de la renaissance portuaire. Les importations chiffrées à 82 300 livres en 1631, ce qui représente un triplement depuis 1557, grimpent à 6 350 000 livres en 1698 et à 15 340 600 livres en 171419

11Cette envolée du trafic commercial s’est doublée de la mise en place d’une puissante industrie du raffinage dans le dernier tiers du xvii^e siècle. Une première raffinerie est installée à Nantes en 165320. Sous la pression de Colbert, on passe à cinq en 1671, huit en 1685, douze en 1688 et jusqu’à quinze en 170021. Dans ces sociétés se retrouvent toutes les familles les plus célèbres du commerce nantais qui écrivent là une des pages les plus glorieuses de l’histoire économique nantaise. La guerre de Succession d’Espagne a terriblement gêné cette nouvelle activité manufacturière puisqu’en 1715 on ne compte plus que trois ou six établissements selon les sources.

12La traite négrière s’est particulièrement développée à Nantes jusqu’à en faire le premier centre français et un des plus importants au monde. Cette spéculation ne caractérise cependant guère la période étudiée. De 1702 à 1706, la compagnie du Sénégal équipe dix navires, relayée ensuite par le secteur privé, spécialement par René Montaudoin qui arme deux négriers en 1706. Le véritable démarrage ne s’effectue pourtant pas avant 1718 et le circuit triangulaire ne devient vraiment important que dans la décennie 173022^.

13Le développement du commerce des tissus de coton ou des indiennes, toiles peintes selon le modèle des artisans de l’Inde, est lié à l’essor de la traite négrière et aux changements de goût dans la clientèle européenne. Les ventes de cargaisons confisquées par la course malouine et le choix de Nantes comme centre des ventes de la compagnie des Indes à partir de 1695 ont contribué au succès de ces nouveaux tissus23. La première manufacture cotonnière nantaise, formée par l’association de grands marchands, ne date que de 1719. Les actionnaires sortent des plus riches familles, très liées à l’échevinage24

La compétitivité de l’élite marchande de niveau échevinal

14Sur le petit cabotage régional et l’axe ligérien, comme sur le grand cabotage ibéro-baltique et sur les routes transatlantiques, les grands marchands nantais avaient partout une concurrence à surmonter. Selon les directions, ils le firent avec plus ou moins de bonheur.

La concurrence étrangère

15Pendant longtemps, les Castillans immigrés à Nantes au xvi^e siècle se sont appropriés les échanges avec Lisbonne. L’apparition d’une colonie portugaise est liée à la dégradation de la situation des « nouveaux chrétiens » au Portugal à partir de 1580, ce qui a provoqué des troubles dès 1603, date où le pouvoir royal a néanmoins refusé une demande d’expulsion sollicitée par la municipalité. Un flux migratoire perdure jusque vers 1650, tout en étant contrebalancé par des départs vers d’autres villes comme Rouen ou même Hambourg25. Contrairement aux riches Hispano Nantais qui se limitent volontiers au commerce de gros avec la mère patrie, les Portugais se lancent dans toutes les directions, la plupart du temps comme commissionnaires. Même si les îles de la Sonde passent sous la domination commerciale des Hollandais vers 16101620, le maintien des comptoirs sur la côte occidentale du Deccan leur permet de prolonger leur rôle d’importateur jusque vers 1640. L’ouverture de la route antillaise s’inscrit logiquement dans leurs perspectives : Joao Rodriguez Moira a ainsi conclu au moins 24 contrats d’engagement devant notaire de 1641 à 164726

16Les marchands bourgeois nantais mélangent les accusations économiques, religieuses et nationalistes pour les dénoncer comme de mauvais sujets. En 1623, la Contractation Nantes Bilbao leur interdit de charger sur les navires de l’association. Les amendes atteignent immédiatement des niveaux très élevés : en 1635, Antonio Sampayo, en contact avec un marchand du Poitou, est condamné à payer 78 livres parce qu’il n’était pas naturalisé et aurait dû passer par un intermédiaire nantais27. Les deux explosions de xénophobie de novembre 1636 et janvier 1637 montrent qu’ils étaient considérés comme des gêneurs empêchant les vrais Nantais de faire prospérer leurs entreprises28. Lorsque André Vaz Nugnez sollicite sa naturalisation en 1630, plusieurs marchands bourgeois se liguent pour bloquer sa demande29. En 1645, les marchands bourgeois se plaignent encore dans un mémoire adressé au Conseil du roi de l’exclusivisme des Portugais qui empêche les étrangers d’aller commercer directement dans leurs colonies30. Dans la seconde moitié du siècle, une lente assimilation par intermariage avec des familles nantaises ou même des autres villes marchandes de Loire aboutit à une disparition de tensions aussi graves. Pierre Loppes accède même à l’échevinage en profitant de la création des offices d’assesseur en 169331

17Une présence irlandaise est attestée à Nantes tout au long du xvii^e siècle, mais la colonie étrangère ne devient importante qu’après l’échec du rétablissement des Stuart à partir de l’Irlande32. Les progrès de l’économie de plantation aux Antilles, entraînant une demande de produits alimentaires européens, assurent un débouché idéal aux salaisons irlandaises. Pendant longtemps, la colonie reste assez repliée sur elle même, malgré des intermariages pionniers dans certaines familles. L’ouverture ne s’effectue guère avant 1740. Cette endogamie, qui assure une force supplémentaire à la colonie irlandaise qui monopolise le trafic avec l’île d’origine, gêne la croissance des maisons commerciales proprement nantaises. N’exagérons pas cependant le poids réel des Irlandais puisque ces derniers n’interviennent pas dans la droiture et le circuit triangulaire avant les années 1730-1740.

18Certaines familles sont certainement très riches. Gérard Mellier classe Thomas Mac Nemara au quatrième rang du négoce nantais en 1725, avec une fortune de 350 000 livres et crédite également les héritiers de Daniel Mac Nemara d’une fortune de 250 000 livres, ce qui porte le clan au troisième rang des groupes familiaux derrière les Montaudoin et les Michel. La famille O’Shiell est pointée à 150 000 livres33. Une partie des exilés, en choisissant la naturalisation, finit cependant par renforcer le potentiel offensif nantais. Dès 1710, les capités d’origine irlandaise, au nombre de treize, dépassent ceux des autres nations (six hollandais, sept espagnols, deux portugais)34. Les dots des filles de négociants contribuent à renforcer les positions de marchands liés à l’échevinage35. L’intégration progressive d’une partie de l’élite marchande irlandaise ne se traduit cependant pas par une participation à la vie municipale nantaise.

19La concurrence hollandaise s’avère la plus redoutable puisqu’elle concerne tous les grands produits du commerce nantais. En 1631, le marché de la mer du Nord et de la Baltique a déjà dépassé en importance le traditionnel débouché ibérique dans le secteur international. La suprématie étrangère est admise par J. Éon dans son livre « Le commerce honorable », paru en 1647, qui constate que le trafic des Indes est interdit aux Nantais et que les pays septentrionaux sont difficilement accessibles36. L’analyse des origines de cette situation défaillante insiste sur quatre grandes explications : l’inégale accumulation du capital, la supériorité technique commerciale néerlandaise, mais aussi l’insuffisante protection de l’État français et la malhonnêteté des marchands hollandais37. Pour l’auteur nantais, c’est ce qui explique que dans le port de Nantes du milieu du xvii^e siècle, lorsqu’on observe les navires de fort tonnage, « pour dix ou douze des nostres, on y compte jusques à cinquante ou soixante de ceux des étrangers ».

20Par l’intensité des ressentiments accumulés, un mémoire de 1645 reste un exemple révélateur de l’amertume des marchands bourgeois qui citent les propos accablants des Hollandais pour mieux les dénoncer : « ... Ils en font des risées parmi eux, disant que les grecs n’entendent pas le négoce parlant de nous autres français, ce nom de grec servant parmi eux pour un déguisement de langage qui nous fait passer pour ignorants peu versés dans les affaires et gens qui se laissent tondre aisément38… » Ce qui choque le plus les Nantais, c’est l’inégalité de traitement entre eux-mêmes dans les ports néerlandais et leurs concurrents à Nantes : d’un côté un protectionnisme vigilant, de l’autre un laxisme démobilisant. Ils sont consternés par les hésitations de la monarchie qui ne semble pas vouloir lutter vraiment39. Des lettres patentes réservant le commerce de commission aux véritables bourgeois de Nantes, c’est-à-dire aux naturalisés ayant au moins dix ans de résidence, ont été accordées par Henri IV en 1598, confirmées par Louis XIII en 1629 et de nouveau par Louis XIV en 1643, mais n’ont jamais été respectées parce que la politique monarchique est contradictoire40

21Lorsqu’en 1645 un groupe de marchands nantais engage un procès contre un marchand irlandais et des commissionnaires hollandais, ces derniers mobilisent la colonie qui en appelle au Conseil du roi en invoquant un arrêt de 1632 qui les dispense du droit d’aubaine, ce qui à leurs yeux les assimile aux régnicoles, un arrêt de 1635 qui leur concède le droit de commercer librement avec tous les marchands du royaume, une ordonnance de 1640 qui rappelle la liberté octroyée aux sujets des Provinces Unies avec bénéfice des privilèges de bourgeoisie des villes et enfin un arrêt du conseil de 1644 qui permet aux Hollandais de Nantes de commercer directement avec les marchands des villes de Tours et d’Orléans. Tous ces avantages sont d’ailleurs confirmés par l’arrêt du conseil du 9 août 164641

22Les grands marchands nantais laissent alors éclater leur colère et leur exaspération. En avril 1647, l’ambassadeur des Provinces Unies est intervenu au conseil pour dénoncer des brutalités commises sur ceux de sa nation dans la ville de Nantes. Guillaume Michel, sieur de Chambriant, échevin de 1629-1632 et proposé comme maire en 1641, Julien Gauvain, sieur des Ripotières, échevin en 1640-1644, Mathurin François, sieur de Beausoleil, échevin en 1630-1633, proposé comme maire en 1648 et 1651, sont plus spécialement impliqués dans l’affaire. Chambriant aurait été le premier à frapper le sieur Bodol, natif de Hollande42. En 1656, dans un conflit sur la jauge des barriques, la municipalité est désavouée par le parlement de Bretagne qui rappelle les privilèges accordés par la monarchie43. La politique du pouvoir royal n’est modifiée qu’en 1659 lorsque Fouquet crée la taxe de 50 sols par tonneau de jauge levée sur toutes les marchandises d’origine étrangère, donnant ainsi le coup d’envoi d’une réaction protectionniste accentuée par Colbert avec ses célèbres tarifs de 1664 et 1667.

23Les marchands bourgeois, déçus du peu d’intérêt manifesté par le gouvernement royal pour leurs revendications, s’étaient parfois résignés à collaborer avec l’adversaire, même sur la nouvelle route antillaise. Colbert, en interdisant la livraison de sucre brut aux étrangers, remit en cause de fructueux échanges et, la fraude persistant, dut menacer la ville en 1672 de la suppression des passeports pour les îles. La guerre de Hollande a perturbé le courant d’échange sans ruiner la colonie hollandaise, six ans de conflits n’étant de pas de force à liquider trois quarts de siècle de puissance. Le traité de Nimègue ramenant même la protection douanière au tarif de 1664, les affaires ont repris de plus belle. Sur les huit raffineries connues en 1685, quatre ont bénéficié d’investissements hollandais44

24Si les actes notariés indiquent la présence d’au moins 80 marchands entre 1616 et 1644, avec bien sûr un nombre important de séjours épisodiques, une analyse de la communauté protestante nantaise a pu permettre d’identifier 49 familles hollandaises sur 56 familles étrangères établies à Nantes entre 1670 et 168545. Les notables qui ont obtenu la naturalisation, comme Gérard Pieters, en résidence depuis trente ans, Albert Van Heulen et Mathieu Hooft en 1673, Pierre Hollaert en 1674 et Jacob de Bie en 1679, n’ont pas pu s’intégrer dans l’élite dirigeante nantaise à cause de leur fidélité au calvinisme.

25L’effritement de la colonie hollandaise débute à partir de 1686 lorsque s’additionnent la répression religieuse et les grandes guerres de la fin du règne de Louis XIV. Après la fermeture du temple de Sucé et les dragonnades de décembre 1685, la plupart des marchands étrangers ont préféré quitter Nantes, après avoir vendu toutes leurs affaires. Bien des naturalisés les ont imités, même si le transfert de leurs capitaux a demandé beaucoup plus de précautions. Un mémoire du Commerce nantais de juillet 1688 laisse transparaître la déception de certains marchands locaux qui avaient crû mieux tirer parti de ce démantèlement46. Après la paix d’Utrecht, les Hollandais cherchent à garder des contacts privilégiés avec Nantes pour profiter de l’essor du trafic transatlantique en essayant de maintenir leur avantage dans la liaison avec les marchés de l’Europe du nord, mais cela n’aboutit pas à la reconstitution d’une puissante colonie dominatrice comme au xvii^e siècle. Une page d’histoire a été tournée.

Le renouvellement de l’élite marchande nantaise après 1650

26Les marchands les plus solides des petits centres du comté, comme les Merceron de Clisson47, montent à Nantes qui établit un contrôle de plus en plus étroit sur les petits ports de l’estuaire48. Toute cette activité passe progressivement sous direction nantaise. Les capitaines du Pouliguen et de Pornic troquent le sel contre le vin. Mathurin Joubert, originaire de Bourgneuf, accède à l’échevinage de Nantes en 171149. Les marchands du Croisic du xvi^e siècle avaient une autre dimension, spécialement dans la pêche à la morue. Pionniers de ces expéditions lointaines, ils ont dominé l’approvisionnement du marché nantais au xvi^e siècle. Ensuite, si beaucoup de mariniers s’accrochent au transport du sel en déclin, les plus grands marchands armateurs souffrent de l’expansion hégémonique des Nantais dans la pêche lointaine. Les meilleurs, comme les Guilloré, viennent s’installer à Nantes, ce qui accélère l’intégration du port et de ses chantiers navals pour gros porteurs de 200 à 300 tx dans le complexe nantais50. La même vague de domination s’étend vers le littoral poitevin où les ports de Saint Gilles et des Sables d’Olonne, très orientés dans les expéditions à Terre Neuve, se retrouvent de plus en plus attachés aux entreprises nantaises. Par manque de bases statistiques, il est difficile de préciser la chronologie exacte de la formation de ce complexe nantais. L. Roblin, dans l’analyse la plus récente, a tendance à lier son achèvement à la forte croissance du dernier tiers du xvii^e siècle. Pour lui, l’importance du commerce nantais pour la période 1660-1670 doit être révisée à la baisse car le rôle des bourgades de l’estuaire et des petits ports de la côte a été sous estimé51

27Dans la seconde moitié du xvii^e siècle, l’attraction de la place commerciale nantaise a connu un épanouissement certain qui correspond à l’élargissement de ses horizons maritimes. Parmi les familles marchandes importantes non originaires au travail entre 1680 et 1730, les plus nombreuses sont venues du Val de Loire et son prolongement parisien52. Les documents notariés des années 16301650 mettent en relief les liens avec Angers et Saumur, mais surtout Orléans53. Ce sont principalement des maîtres de barques qui sont au service des marchands nantais. Des marchands bourgeois de ces villes ligériennes ont fini par se déplacer vers la plus grande ville, ainsi Jacques Villette, marchand de Tours en 164154. Les Frémon et Mesnard, deux familles de marchands de draps et soie de la même origine, ont finalement donné deux maires à Nantes entre 1679 et 1683. Pour les familles en place de 1680 à 1730, la hiérarchie des provenances reste la même, avec une supériorité encore plus nette pour Orléans. Mathurin Danguy est proposé comme échevin en 1700 et 1705, Claude Thiercelin est nommé en 1712. Les associations financières autour du commerce du sucre et surtout de son raffinage ont pris une importance considérable. Cette orientation n’est pourtant pas exclusive. Jacques Mahot, marchand angevin, se fixe à Nantes comme marchand droguiste vers 1677, avant d’acheter un office de conseiller du roi à l’amirauté à la création du tribunal en 1692. Son fils Isaac, marchand droguiste, est promu échevin en 1714. Les marchands Jean Baptiste Grou et Mathurin Bellabre, d’origine parisienne, entrent à l’échevinage en 1706 et 1714, le conseiller à l’amirauté Charles Gellée en 1720.

28Le sud-ouest constitue le second foyer d’immigration avec quelques immigrés de Bordeaux et des villes de la Garonne qui ne parviennent cependant pas à percer et surtout un flux important de Basques, principalement originaires de Bayonne, parmi lesquels se trouvent quelques uns des négociants les plus entreprenants des années 1670-1720. Pierre Descazaux, le père du député au conseil du Commerce, est élu échevin en 1674. Pierre du Cassia, échevin en 1673, est proposé cinq fois comme maire de 1682 à 1686 sans que le roi ne le distingue. René Darquistade et son frère Joachim entrent à l’échevinage en 1718 et 1721. Le premier sera maire de Nantes en 1735-1736 et de 1740 à 1747.

29La Bretagne contribue finalement peu à la revitalisation de l’élite négociante nantaise. Les ports, comme Redon qui distribue par la Vilaine bien des produits ayant transité par Nantes ou comme Port Navallo qui concentre en 1631 la moitié des bateaux du golfe ayant fréquenté Nantes, ou encore Rhuis qui dispose en 1664 de cinq gros navires disparus vers 1690, sont surtout animés par des capitaines de barque qui travaillent sous la direction du haut commerce nantais. Les marchands malouins, fort de leur supériorité sur l’ensemble du siècle, ne sont guère intéressés par la place ligérienne55. Un nouveau regard, lié au basculement du rapport de forces, n’apparaît qu’après 1720.

Mesures de la puissance des marchands armateurs nantais du xvii^e siècle

30Pour une meilleure appréciation du dynamisme des négociants nantais, il est nécessaire de mesurer leur capacité à entreprendre malgré les difficultés statistiques d’une telle approche. L’évolution de l’armement maritime fournit la seule base quantitative possible.

Origines des navires entrés dans le port de Nantes

31La dénomination Basse Loire est en réalité plus large que l’armement nantais proprement dit car elle recouvre aussi les navires équipés dans les petits ports de l’estuaire et du littoral maritime proche. La baisse de son poids relatif indique sans doute des difficultés importantes. Tous les observateurs nantais du milieu du xvii^e siècle partagent d’ailleurs une vue pessimiste de la situation. Un mémoire des marchands bourgeois de 1645 oppose un âge d’or révolu où le port pouvait s’enorgueillir de 150 vaisseaux du crû et la décennie 1640 où il n’en subsiste plus que dix ou douze, le port étant rempli de « Hollandais, Anglais, Écossais, Irlandais, Portugais »56, jugement confirmé par Jean Éon en 164757. En 1661, la situation ne s’est pas redressée car un second mémoire de marchands bourgeois reprend le chiffre de douze navires et celui des 150 vaisseaux du paradis perdu58. Même si ce dernier repère apparaît quelque peu mythique, même si les plaignants ne comptent que les gros porteurs, la situation est réellement catastrophique.

32Les actes notariés permettent une approche plus précise de la situation. En 1664, il y a plus de quarante navires dans les ports du comté nantais capables de travailler dans la droiture antillaise, la pêche à la morue et le grand cabotage européen. Parmi ceux ci, 32 ont été armés à Nantes, 23 pour la morue, trois pour les îles, cinq pour l’Europe, spécialement l’Espagne, trois restant indéterminés. Cette flotte est en déclin car elle est ancienne : la moitié a plus de dix ans d’âge et douze seulement ont été construits il y a moins de cinq ans. La situation de Gratien Libault, échevin de 1655 à 1658 et futur maire de 1671 à 1673, est caractéristique. Après avoir appartenu aux pionniers de la route antillaise dès 1639, il ne lui reste plus qu’un vaisseau de 250 tx, le David, sur les 22 qu’il a possédés depuis 25 ans, les autres ayant été capturés ou s’étant perdus en mer59.

33Par contre les années 16701700 portent la marque d’un redressement spectaculaire de l’armement nantais qui bénéficie totalement des profits des expéditions de la pêche lointaine, des voyages en droiture à la Martinique et du raffinage sucrier. Pour les navires de fort tonnage, la progression est impressionnante.

Nombre de navires supérieur à 100 tx (grands ports français)

34En quatre décennies, la flotte de haute mer a plus que décuplé, taux de croissance inégalé dans aucun autre port français. L’ensemble de la flotte nantaise bénéficie du même dynamisme comme le montre les résultats de 1704.

Puissance de l’armement nantais en 1704

35Dans les toutes premières décennies du xviii^e siècle, Nantes, qui a dépassé le niveau quantitatif de Saint-Malo par le nombre et le tonnage de ses navires, s’est hissé au rang de premier port d’armement de France, place qui lui sera ravie par Bordeaux vers 1720-1730.

36Il est ainsi séduisant de calquer les mutations sociologiques de l’échevinage sur l’évolution de la conjoncture commerciale : la crise des structures médiévales s’additionnant à la concurrence étrangère pour expliquer l’effacement marchand des quatre premières décennies, l’ouverture de la route antillaise à partir de 1640 se traduisant par le rééquilibrage du milieu du siècle et le grand essor du trafic transatlantique et du raffinage sucrier à partir de 1670 facilitant la conquête marchande de l’échevinage.

Sociologie échevinale et conjoncture commerciale nantaise au xvii^e siècle

37Tout ne cadre pourtant pas aussi bien. Ce type d’interprétation ne permet guère de comprendre pourquoi l’amélioration de la présence marchande au bureau de ville correspond à la phase la plus critique de la restructuration commerciale où la concurrence étrangère a paru la plus insupportable. D’autre part, les responsabilités municipales ne concernant qu’une élite marchande, celle-ci ne cesse pas d’exister, même dans une conjoncture défavorable. Sans rejeter systématiquement l’économie comme facteur explicatif, la concordance globale étant trop nette pour n’avoir eu aucune influence, il est néanmoins nécessaire de la replacer dans une analyse politique générale.

Interprétations politiques

38Il est impossible d’expliquer la suprématie des gens de justice dans la période 1598 1660 par une lame de fond qui serait née dans la deuxième moitié du xvi^e siècle. Tout au plus, peut on observer une amorce de reconquête officière, brisée d’ailleurs par l’embrasement politique de la Ligue. Les six premières années sont marquées par la colonisation marchande de la municipalité, absolue en ne comptant que les échevins, écrasante en y incluant les maires. Déjà les cinq années suivantes indiquent une rectification de tendance, le rapport marchandise justice passant à 12 contre 5 avec les échevins et à 12 contre 10 avec le mélange maires échevins. Si l’entrisme des hommes de droit se confirme dans l’échevinage dans la troisième période avec une égalité à 14, le rapport de force global n’est pas modifié pour autant par suite d’une meilleure représentation des marchands au poste de maire. Le rapport s’établit à 22 contre19. La grande crise politique, qui voit la ville de Nantes opter pour la Ligue contre l’avènement d’Henri IV, se traduit par une réaction qui contrecarre la courte ascension de la robe et restaure un équilibre plus ancien. Les marchands s’imposent mieux dans l’échevinage avec un rapport de 11 à 6 et même dans le bureau servant dans son entier avec un rapport de 16 à 11.

39L’hégémonie officière de la première moitié du xvii^e siècle n’a donc guère été préparée par l’évolution du recrutement dans le dernier tiers du xvi^e siècle. Même si une évolution se dessine, la rupture est trop brutale en 1598 pour insister sur une continuité. Tout invite au contraire à souligner l’impact politique exceptionnellement fort du traumatisme de la Ligue dans la formation de la culture politique classique nantaise du xvii^e siècle.

Le spectre de la Ligue et la domination officière

La stratégie de loyalisme monarchique par l’oligarchie

40En 1598, le duc de Mercœur a dû céder le gouvernement de la Bretagne à César, duc de Vendôme, fils naturel d’Henri IV, mais aussi gendre du vaincu de la guerre civile. Cet enfant, âgé de 4 ans à la signature du contrat de mariage le 5 avril 1598, a donc fêté ses vingt ans en 1614, au moment où a éclaté le conflit entre la reine mère régente et les Grands insatisfaits de la faiblesse de leur rôle politique. De 1614 à 1626, sa présence à la tête de la province entretient l’agitation politique dans l’Ouest, spécialement autour de Nantes, à proche portée de sa baronnie d’Ancenis. Compromis dans le complot des princes contre Richelieu, arrêté à Blois le 13 juin 1626, il est destitué définitivement de son gouvernement avec l’approbation des États de Bretagne réunis à Nantes60. L’oligarchie nantaise, traumatisée par l’échec politique de la Ligue, consciente d’avoir frôlé l’irréparable en mettant en péril les privilèges urbains, souhaite manifestement exorciser le passé. Pour ce faire, les responsables multiplient les témoignages de fidélité, à l’image d’ailleurs de toutes les cités bretonnes qui conservent en mémoire tous les désagréments apportées par le passage de troupes de 1589 à 1598. Dès les États d’août 1614, qui réclament des sanctions contre les fauteurs de troubles, y compris leur révocation et le démantèlement de leurs châteaux, il est clair que le gendre de Mercœur ne réussira pas à retrouver dans la province les appuis qui avaient permis la rébellion.

41Cette orientation est en effet directement liée au poids du souvenir de la Ligue dans la psychologie collective de la cité, spécialement dans la culture politique de la classe dirigeante. L’interprétation dominante se développe à partir d’une image repoussoir, celle de la voie sans issue empruntée à la suite du duc de Mercœur. Le diagnostic sévère porté sur une période, qui a failli ruiner les privilèges urbains accumulés aux XIV^e et xv^e siècles dans une politique d’entente avec les ducs, donne au souvenir de 1589 une coloration négative et en fait un cauchemar que personne ne souhaite revivre. Toute la vie politique nantaise est guidée par cette répulsion. L’attachement profond au catholicisme n’est pas en cause car les anciens ligueurs sont souvent les plus ardents soutiens de la renaissance catholique qui se manifeste dans les premières décennies du siècle. Toutefois, la défense de la religion ne peut plus justifier la critique de l’autorité royale.

42Au début du xvii^e siècle, Nantes se comporte comme une ville qui a conscience d’avoir fauté et qui, pour se faire pardonner du juge suprême, est prête au prosélytisme des derniers ralliés. Mercœur peut plaire en laissant son entourage évoquer une hypothétique autonomie, Vendôme est anachronique avec ses chimériques prises d’armes de 1614 à 1620. Nantes a tourné la page. Elle espère entretenir son ensemble de franchises en associant sa fortune au développement de l’absolutisme. Cette résolution de ne plus se laisser détacher de la protection du roi se traduit par la promotion du groupe des officiers royaux, spécialement ceux des cours de justice, car ceux ci sont perçus non seulement comme les hommes du roi étant donné leur statut, mais surtout comme les garants de cette stratégie d’union avec la monarchie étant donné l’attitude de la plupart en 1589. Ayant incarné avec éclat la résistance antiligueuse, ils en retirent les bénéfices dans les premières décennies du xvii^e siècle. Inversement, l’image administrative du monde marchand est durablement dépréciée par le trop grand soutien apporté à un gouverneur rebelle incapable de définir des perspectives d’avenir. L’agitation de Vendôme, en contribuant à entretenir le spectre de la Ligue, a durablement ancré cette analyse dans le corps politique nantais du xvii^e siècle.

La mauvaise image d’une élite marchande trop liée à la Ligue

43La nomination du riche marchand Michel I Loriot (échevin de 1565 à 1567 et juge consul en 1573-1574), au poste de maire en 1577 illustre la première forme de radicalisation en rupture avec la modération antérieure61. Mécontent de l’édit de Beaulieu (6 mai 1576) qui assurait le rétablissement des églises réformées de l’Ouest, il a patronné le lancement d’une préfiguration de la Ligue le 12 janvier 1577. Avec l’évêque Philippe du Bec et le lieutenant du gouverneur La Hunaudaye, il appelle les trois ordres nantais à s’associer « contre les hérétiques, au nom de la Sainte Trinité, de la crucifixion du précieux corps de Jésus-Christ, et jurer sur les Saints Evangiles et sur leurs lois et biens et honneur de garder inviolablement les choses accordées par eux »62. Le 23 janvier 1577, le Chapitre cathédral et l’Université s’associent à cette démarche. Nantes apparaît donc comme l’une des premières villes à poser les principes de la Ligue avant la naissance officielle de l’organisation à Péronne en février 1577. Après l’édit de Poitiers de septembre 1577 qui mettait fin à la sixième guerre, la municipalité a repoussé le texte royal pourtant plus sévère pour les calvinistes que celui de l’année précédente.

44Sur les huit mandats de maire entre 1589 et le début de 1598, cinq mettent en scène des marchands et trois des officiers de justice. Sur 23 mandats d’échevins, onze marchands, cinq officiers de justice, quatre avocats ou procureurs, un officier de finance et deux bourgeois rentier. Ces chiffres indiquent une prépondérance marchande plus nette d’ailleurs pour le poste de maire que pour les charges d’échevins. C’est un coup d’arrêt donné à l’investissement de la municipalité par les gens de justice depuis 1575. Mais on ne saurait parler de revanche éclatante. Les marchands n’ont pas le monopole de la défense du catholicisme et ne constituent pas la seule base sociale de la révolte du duc de Mercœur. À partir des seize mandats marchands, on ne trouve que treize individus par suite du maintien en place de deux maires. Parmi ces élus, cinq membres de l’association commerciale qui organise les échanges entre la Basse Loire et la Castille sont cités dans les quinze plus importants, deux autres y ayant seulement des membres de leur famille. Étienne Poullain (1588-1591) et Pierre Poullain (1597-1598) viennent du plus important groupe familial marchand de Nantes à la fin du xvi^e siècle. Huit échevins sont aussi passés par le tribunal de commerce. Les deux commerçants les moins illustres ont quand même obtenu la responsabilité de la fabrique de Saint-Nicolas. Toutes ces distinctions montrent que l’aire de recrutement ne s’élargit guère à l’occasion des crises politiques qui ébranlent la société.

45Avec l’échevinage, la milice bourgeoise constitue l’autre grande force de contrôle de la ville. La nomination de capitaines fidèles était un impératif pour le duc de Mercœur. En janvier 1590, la municipalité rappelle le rôle de surveillance assigné aux officiers dans leurs quartiers pour étouffer dans l’œuf toute intrigue royaliste. En automne 1591, la milice participe au siège et à la reprise du château de Blain, avec 2 000 soldats du contingent espagnol63. La direction de la troupe, qui revient ordinairement au maire de Nantes depuis l’achat de l’office de connétable par la municipalité en 1578, est confiée à un major, innovation justifiée par l’instabilité politique de ces temps de crise. Le syndrome rennais plane sur la ville de Nantes. Le commandement supérieur est confié à Michel II Loriot, sieur du Fief, alloué des régaires en 1589, sénéchal de ce tribunal en 1594, fils du maire de 1577.

46Sur les quatorze compagnies de milice, les marchands en tiennent neuf pendant la Ligue. Dans les quartiers les plus peuplés, les grands marchands se sont imposés. On retrouve les deux maires négociants, Laubier et Dubot. Charles Bellœil, toujours cité dans les documents qui concernent le trafic avec l’Espagne, est inscrit au dixième rang de la Contractation en 160164 Dans les faubourgs, les notables sont rares. Henri IV est même obligé de conserver les capitaines de la Ligue en 1598. L’épuration royaliste de 1598 révèle a contrario l’importance de l’influence marchande pendant la crise puisque le nombre de capitaines marchands se contracte à sept. Deux quartiers pourtant très commerciaux se sont vus imposer des officiers de la chambre des comptes considérés comme beaucoup plus sûrs.

47Le 21 juin 1590, le corps politique de Saint-Nicolas, paroisse la plus commerçante, est convoqué pour répondre à une demande du bureau servant qui a décidé la levée de 5 200 écus sur la ville qui, joints à 1 900 écus fournis par les paroisses du comté, doivent financer l’organisation d’une compagnie de soldats (50 arquebusiers à cheval et 50 cuirassiers), pour protéger les récoltes menacées par les raids des « coureurs » de Clisson et de Blain. La ville prend à sa charge les frais d’entretien, la troupe devant opérer jusqu’aux prochaines vendanges65. Sur les 26 noms cités, seize renvoient à des familles importantes capables d’accéder au plus haut niveau des responsabilités. La domination du clan Poullain est manifeste, la séance étant même présidée par le patriarche Guillaume, grand marchand très respecté, toujours consulté après un demi-siècle d’influence. Il est secondé par son neveu Robert, maire de la ville en 1576, l’année de la naissance de l’esprit ligueur après le scandale de l’édit de Beaulieu dans les rangs les plus catholiques, député de la province aux États Généraux de Blois en 1576 et 1588. Cette famille aux nombreuses branches constitue certainement le plus puissant groupe commercial de Nantes à la fin du siècle66. Son engagement derrière le duc de Mercœur a été important et décisif. Après le choc de 1589, Étienne Poullain est promu à l’échevinage. François Poullain a reçu le commandement de la milice du faubourg de Biesse-Vertais. Pierre Poullain, consul du commerce vers 1590, présent à cette commission fiscale, est devenu échevin en 1597 à un moment où la duchesse de Mercœur sélectionnait les fidèles les plus sûrs pour contrer les progrès du défaitisme et l’option du ralliement à Henri IV.

48Cette orientation ligueuse est renforcée par la présence d’autres marchands nettement engagés. Ferando de Marques est élu consul des marchands en août 1588 au moment où la poussée des partisans de la Sainte Union se révèle extrêmement vive. Julien Michel est porté à l’échevinage de 1592 à 1594, Bonaventure Dérédie de 1595 à 1597. Jacques Merceron prend la miserie en 1597. Parmi les quatorze notables cités en tête du procès verbal, huit apparaissent nettement favorables à la révolte du gouverneur contre le roi huguenot déclaré illégitime.

49Tous les grands marchands ne se sont pas rangés systématiquement dans le camp ligueur proespagnol et certains n’ont pas tardé à rallier le parti des « Politiques ». André Ruiz le jeune, fils du célèbre marchand financier qui domine le commerce nantais jusqu’en 158067, est plutôt suspect de sentiments royalistes au moment de la rupture de 1589. Arrêté par les troupes de Mercœur sur la route de Rouen en avril 1589, son beau frère Barrin, chef du parti royaliste de Rennes, ayant mis en échec la tentative de contrôle des ligueurs sur cette ville, sa sœur Françoise, veuve de l’ancien président des Comptes Jehan Morin, maire de Nantes en 1571, doit solliciter la médiation de Madame de Martigues, belle mère du gouverneur, pour obtenir sa libération. Jacques de Marques, grand marchand d’origine espagnole, maire de Nantes en 1585, à un moment où la Ligue reprend un deuxième souffle68, est maintenu comme capitaine de milice en 1598, ce qui laisse supposer un ralliement précoce à Henri IV.

50La plupart des grands marchands ont vu dans la Ligue une profonde concordance entre les exigences du salut chrétien, la lutte d’intérêt contre des concurrents nationaux comme les Rochelais et la protection d’une fructueuse alliance commerciale avec les négociants espagnols, entretenue depuis les traités ducaux du xv^e siècle, vivifiée grâce à la présence d’une importante colonie espagnole à Nantes et à l’échange de privilèges et d’exonérations avec le port de Bilbao. Après 1598, le corps politique nantais a associé milieu marchand et politique aventuriste ou même réactionnaire puisque basée sur l’option d’une position bretonne médiane dans un royaume de France et une Europe catholique dominée par l’Espagne, cela contre la logique des progrès de l’état monarchique centralisé et du sentiment national. L’échec de la Ligue a détruit l’image positive de l’aristocratie marchande où se trouvait un bon nombre de familles castillanes francisées en voie d’intégration. Le souvenir de la guerre civile et d’une incapacité du gouverneur rebelle à dégager des perspectives a pesé sur la vie politique locale au détriment des marchands.

La Ligue et la promotion des gens de justice

51Comme tous les catholiques attachés à leur foi, les officiers de justice et de finances se sont trouvés devant un grave problème de conscience au début de 1589. Devaient-ils suivre leurs convictions religieuses et contester la légitimité d’un roi huguenot ou s’appuyer d’abord sur la légalité politique de l’arrivée d’Henri de Navarre au trône de France ? Les principaux responsables des cours de justice de Nantes ont tous choisi de continuer à servir Henri IV et ont réussi à entraîner derrière eux la plupart des membres de leur compagnie. Les engagements les plus marquants ont naturellement valu ensuite à ces familles une influence politique durable sur l’ensemble du xvii^e siècle.

52Par tradition familiale, Charles de Harouys, président du présidial, incarne à merveille la ligne politique modérée à Nantes. Son père, Guillaume Harouys, a su éviter, par un sage attentisme, le flot de sang de la Saint-Barthélémy, en tant que maire de la ville en 1572. Comme sénéchal et président du présidial, tout en ne conservant que ce second office en novembre 1586, et comme maire depuis janvier 1588, il essaie de lier le mieux possible l’attachement au catholicisme et la fidélité au roi légitime. Le 7 avril 1589, placé en tête de la liste des suspects arrêtés sur l’ordre de la duchesse de Mercœur, il est emprisonné au château d’où il n’est libéré en 1591 que contre une rançon de 3 000 écus et le paiement des frais d’emprisonnement à raison de 3 écus et demi par jour. Il s’est ensuite retiré à Angers auprès du présidial resté fidèle à Henri IV. Toutes ces vicissitudes furent atténuées par les bienfaits du roi qui le nomma conseiller d’État en mars 1590, condamna la ville au remboursement des dommages subis en octobre 1590 et lui versa symboliquement 804 écus en décembre 159469^. Politiquement, Charles de Harouys put savourer sa revanche puisqu’aux élections de fin avril 1598, après la reddition de Mercœur, il obtint la confiance des habitants et du roi qui l’installa de nouveau pour un troisième mandat (mai 1598 juin 1599).

53Julien Charette, prévôt de Nantes depuis décembre 1568, abandonne cet office pour reprendre le poste de sénéchal laissé par Charles de Harouys en novembre 1586. Fidèle serviteur du roi, il garde sa confiance à Henri III après l’épilogue dramatique des États de Blois et accepte l’accession au trône d’Henri de Navarre suivant les lois fondamentales du royaume. Ayant évité l’arrestation, il a dû se réfugier à Rennes, terre d’asile de tous les royalistes en fuite. Le parlement de la Ligue installé à Nantes l’a condamné à mort par son arrêt du 26 mars 1590 qui ordonnait son exécution en effigie sur la place du Bouffay. Julien Charette a répliqué par un décret d’emprisonnement contre le corps de ville de Nantes accusé d’avoir lâchement trahi et abandonné le maire Harouys et rallié un gouverneur félon, démis officiellement de ses fonctions. Par réaction, son successeur à Nantes, Antoine de Brénezay, a publié un nouvel arrêt dénonçant les crimes de son prédécesseur accusé « d’avoir indignement apostasié et fait banqueroute à Dieu et la Saincte Église catholique et romaine pour se joindre et allier les hérétiques contre la Saincte Union des catholiques ».70

54Ses domaines de Couëron furent ravagés par François de Talhouet, gouverneur de Redon pour Mercœur, avant son ralliement à Henri IV en juin 1595. Pour compenser ces désagréments, il fut élevé au rang de chevalier de l’Ordre du roi. Il a essayé de tenir, même symboliquement, les séances de la Sénéchaussée et du présidial, par exemple à Redon en 159771. Il a participé activement à la résistance royaliste en Bretagne et siégé aux États provinciaux à Rennes. En décembre 1595, il est mandaté par l’assemblée avec deux autres députés pour rendre compte au roi des débats plutôt houleux autour des malversations financières sur les crédits de la province et du vote de 600 000 écus pour fouages et droits d’entrées72.

55Raoul Charette a vécu dans le sillage de son illustre frère le sénéchal. Introduit en premier à la chambre des comptes en 1581 avec un office de maître, il a repris l’office de prévôt laissé par son frère Julien en novembre 1586. Dans la crise de 1589, il préfère l’exil au compromis avec Mercœur. Il est également condamné à mort par le parlement Ligueur en mars 1590. Moins en vue que son frère dans le parti royaliste, il retrouve néanmoins son office de prévôt en 1598, fonction qu’il exerce jusqu’en 1610 où il cède la place à son neveu Alexandre Charette.

56Obéissant à l’ordre d’Henri III, Jean Avril, premier président, transfère à Rennes la chambre des comptes dès la condamnation du gouverneur rebelle par le pouvoir royal en place (1418 avril 1589). Il avait déjà été nommé commissaire du roi pour les délicats États Généraux de 1588 où Henri III espérait se dégager de l’emprise étouffante des Guise et reconquérir une plus grande liberté d’action. Malgré sa bonne volonté, la majeure partie des villes bretonnes ayant basculé dans la Ligue, la cour des Comptes n’eut presque rien à faire. Henri IV utilisa plutôt cet officier fidèle dans les négociations menées avec le parti adverse73

57François Myron général des finances en Bretagne, maire de Nantes en 1578 et 1579, victime lui aussi de la rafle du 7 avril 1589, se range naturellement dans le parti royaliste où ses compétences le poussent vers la trésorerie des armées auprès du maréchal d’Aumont, commandant en chef depuis 1592. C’est à ce titre qu’il se trouve mêlé aux problèmes financiers de 1595. Myron fut promu en décembre 1595 au conseil de direction de la ville de Rennes74. Claude de Cornulier, également général des finances, nouvellement promu en mars 1588 à la suite du décès de son père, ancien maire de Nantes en 1569 et 1570, est immédiatement appelé par Henri III comme commissaire du Roi aux États Généraux de Blois en octobre 1588. Cette promotion se place d’ailleurs dans la plus grande continuité familiale puisque son père avait été désigné pour cette mission de confiance aux États de Bretagne de 1582 à 158575. Il est demeuré dix mois en prison en 1589 avant d’être expulsé vers Rennes contre rançon. Arrivé pour les premiers États provinciaux légalistes à la fin de 1590, il y retrouve naturellement la place de confiance de commissaire royal. Henri IV saura récompenser cette fidélité en le portant à la tête de la mairie de 1605 à 1607, après que les électeurs l’aient proposé pour cette responsabilité.

58Gabriel Hus, trésorier des États de Bretagne depuis 1578, a été lui aussi emmené au château de Nantes en avril 158976. Il n’y fait cependant qu’un passage éclair si l’on en croît l’acte de baptême de sa fille Louise le 18 février 1590, ce qui place sa libération en mai ou juin. Ne pouvant demeurer dans une ville à l’opinion enflammée par les moines ligueurs, il part lui aussi à Rennes pour poursuivre son travail de trésorier des États. Présent à l’assemblée de décembre 1590 qui n’offre que 64 500 écus sur les 100 000 demandés, les villes de Rennes, Vitré, Brest, Ploërmel et Malestroit demeurant les seules fidèles, Gabriel Hus est chargé de porter le procès-verbal à Henri IV afin de justifier la réduction et de solliciter la venue des troupes anglaises pour contrer les espagnols de Mercœur. Pendant l’été 1591, il négocie les conventions qui régissent l’intervention anglaise, texte ratifié par les États de 1591 qui votent la somme considérable de 400 000 écus avec le rappel du contrôle exclusif de leur trésorier. En 1595, Gabriel Hus, mis en cause à propos de malversations, a su conserver la confiance du parlement77. Malgré tout le soin pris par le roi pour le recommander comme candidat officiel auprès des électeurs en 1599, il n’est pas retenu parmi les trois meilleurs. Henri IV passe outre les privilèges politiques de la cité et l’installe sans élection à la mairie le 14 juin 1599. Son maintien pour un second mandat est obtenu sans difficulté en 160078

59À Nantes, comme dans beaucoup d’autres villes, les corps d’officiers royaux se sont majoritairement rangés derrière Henri IV en vertu du respect de la légitimité politique79. Leur mentalité les prédisposait à soutenir le renforcement de l’État monarchique simplement par souci carriériste ou de façon plus noble par adhésion à la notion d’« imperium » largement développée par les légistes depuis le XIV^e siècle. Dans un premier temps, la vénalité des offices, loin de saper la base de l’autorité royale, l’a au contraire renforcée, les serviteurs du roi identifiant leur intérêt personnel au développement du pouvoir du prince, ce dernier ayant besoin d’une administration judiciaire ou financière serrant de plus près les sujets des provinces80. Les tendances centrifuges féodalisantes du duc de Mercœur ou de son entourage ne pouvaient qu’indisposer ces agents de l’autorité monarchique. Beaucoup, pour dépasser un sentiment de traîtrise à leur foi catholique, donnèrent priorité à la raison d’État tout en espérant et en sollicitant publiquement la conversion rapide du nouveau roi. L’évolution des événements ne put que les satisfaire.

Les conditions politiques de la reconquête marchande

Les conséquences de la Fronde

60Le cardinal Mazarin et le jeune Louis XIV, ayant eu à souffrir des revendications et de l’agitation politique des Grands et des parlements dressés contre les principes de la centralisation administrative et l’alourdissement de la charge fiscale héritée de la logique gouvernementale de Richelieu, en tirèrent quelques leçons plutôt favorables à un recentrage sur de nouvelles bases sociales. Pour la constitution des échevinages, cette réticence envers le monde des officiers coupables de rébellion ne pouvaient que profiter à une réévaluation de l’image de marque des marchands81. Dans cette perspective, la Fronde apparaît comme le pendant de la Ligue, la grande crise politique qui rectifie un rapport de force entre les deux milieux rivaux de la notabilité dans les villes de province. La ville de Nantes s’étant tenu prudemment à l’écart de toute agitation politique, ce ne sont pas les événements régionaux, ni les attitudes locales qui sont explicatives, mais bien plutôt l’émergence d’un nouveau climat général lié aux retombées des affrontements nationaux beaucoup plus spectaculaires.

61La conjoncture politique nantaise suggère cependant une alternance de deux réactions. Si la période qui précède la Fronde se lit comme une phase d’intense promotion du monde commercial, la période des troubles connaît un effondrement surprenant. Au moment même où le gouvernement connaît les pires difficultés avec la contestation parlementaire, ce qui aurait pu rejaillir négativement sur l’ensemble des gens de justice, il abandonne en fait sa politique pro-négociante des années 1640. Ce retournement de situation ne peut s’expliquer que partiellement par les effets structurels de la réforme du gouverneur en 1643. Si Mazarin ou La Meilleraye l’avaient désiré, ils auraient pu continuer à privilégier les marchands. On peut donc penser que c’est parce qu’ils avaient à réduire la poussée de l’opposition robine parisienne qu’ils ont fait très attention à entretenir la fidélité des villes loyalistes en associant bien les gens de justice aux honneurs édilitaires, en oubliant momentanément la classe marchande qui ne retrouve cet appui qu’en 1654.

62La période 1654-1668 manifeste de manière éclatante le décalage déjà signalé entre le corps politique nantais qui ne se décide pas encore à faire réellement confiance aux marchands pour la direction des affaires urbaines et les autorités de tutelle déjà parvenues à un schéma d’équilibre entre les deux grands milieux pourvoyeurs de la municipalité. Il existe d’ailleurs le même décalage dans la représentation interne de la judicature, même si les divergences demeurent moins prononcées. L’électorat soutient nettement plus les officiers de justice, spécialement le présidial, ou les avocats. Il n’est donc pas exagéré de conclure que les lendemains de la Fronde ont vu à Nantes le pouvoir royal sanctionner les cours de justice et les avocats, au profit des procureurs et des marchands. Les retombées politiques de la crise institutionnelle prolongées par la renaissance de la politique mercantiliste ont contribué à réorienter la composition sociologique de l’échevinage.

La vie politique nantaise autour de la Fronde

Influence de la politique mercantiliste de la monarchie

63Les Nantais ont longtemps regardé avec méfiance les initiatives de Richelieu dans sa politique maritime et coloniale82. L’ouverture de la route antillaise à partir de 1639 entraîne un nouvel état d’esprit plus propice à une collaboration avec les représentants de la monarchie. Les décisions municipales d’intégrer le consulat parmi les corps privilégiés dans les cérémonies publiques et de construire une bourse de commerce en 164183, la constitution en 1643-1644 de « la société de la Bourse commune » qui a réussi à regrouper plusieurs marchands nantais, sur l’incitation conjointe du maréchal de La Meilleraye, lieutenant général du comté, du maire, le président aux Comptes Juchault du Blottereau, et d’un échevinage marchand84, la publication en 1646 de l’ouvrage de Jean Éon, « Le commerce honorable », d’inspiration nettement mercantiliste85, marquent les grandes étapes de cette volonté de réaction. La publication de ce cri d’alarme et la réédition d’un extrait en 1659 assurent ainsi le trait d’union entre les premières initiatives de Richelieu et la politique systématique de Colbert à partir de 1664 1667.

64Il semble donc qu’on puisse mettre en parallèle le caractère transitoire de la période 1640-1668, où l’on constate les premières évolutions sociologiques à l’avantage des marchands bourgeois, et le premier mercantilisme colonial des cardinaux ministres. Lorsque le gouvernement central pousse au développement de l’expansion maritime et que certains marchands prennent des risques pour inventer une nouvelle base de croissance commerciale, la synergie ainsi enclenchée engendre forcément des conséquences politiques. Lorsque celui qui guide le choix du secrétaire d’État pour les nominations au bureau de ville est en même temps le directeur d’une compagnie de commerce, la réévaluation municipale des marchands semble logique. Rappelons que le gouvernement royal précède largement le corps électoral dans ce remodelage des mentalités.

65L’évolution ne s’est pas départie d’un rythme heurté, avec des avancées suivies de reculs, des choix en contradiction avec le nouveau climat. En février 1642, Louis XIII refuse de choisir parmi les trois notables qui lui sont recommandés par le corps électoral en justifiant cet autoritarisme par le fait « que la police ladite ville a esté trop négligé depuis quelque temps ». Ce sont les marchands qui font surtout les frais du mécontentement royal car les électeurs avaient soutenu les candidatures du président du présidial Coupperie des Jonchères et des marchands Bourgues de La Jaunaye et Michel de Chambriant. Peut être était ce une façon de sanctionner un milieu jugé responsable du déclenchement des émeutes anti-portugaises de 1636-1637 ?

66L’interprétation de la réforme de La Meilleraye témoigne aussi de la difficulté de l’analyse. La volonté de systématiser institutionnellement la représentation marchande dans la sélection envoyée au roi semble correspondre à la nouvelle vision positive du monde commercial. Toutefois, le rapport deux tiers un tiers n’est-il pas finalement sclérosant à long terme ? Si cette béquille peut être la bienvenue pour un milieu blessé vers 1640, n’est ce pas une gêne à plus long terme pour un corps renaissant ? Et même en ne retenant que les dix années d’expérience (1644-1653), force est bien de constater que la monarchie n’utilise pas à fond les possibilités structurelles de promotion du monde marchand offertes par la réforme.

67Si la compagnie des Indes Orientales a suscité quelque intérêt à Nantes, c’est dans la mesure où elle permettait une expansion spéculative dans un secteur très marginal de l’horizon commercial. Une souscription de 138 000 livres marque la modestie de l’effort financier consenti par l’élite nantaise, beaucoup de notables n’acceptant pas de risquer plus de 1 000 livres dans l’affaire. Il fallut que dix actionnaires se regroupent pour constituer un capital de 10 000 livres en janvier 1665 pour obtenir une chambre de direction à Nantes et un délégué à Paris86. Le bureau nantais fut constitué avec des représentants de familles marchandes très connues et très liées à la municipalité. Ces marchands ont même trouvé dans leur bienveillance envers la compagnie le coup de pouce nécessaire pour une rapide intégration à l’échevinage87. Dès 1668, de nombreux notables préfèrent abandonner le tiers du capital versé en 1665 plutôt que de continuer à investir88. Ils ne répondent pas non plus à l’appel de fonds lancé en 1684 pour assurer un nouveau démarrage de la compagnie et laissent le port de Rouen s’imposer dans le trafic de l’Océan Indien. De 1675 à 1692, on ne trouve aucun document de vente dans les archives nantaises. La guerre de la Ligue d’Augsbourg, rendant la Manche extrêmement dangereuse, a ressuscité Port-Louis comme terminal et réintroduit Nantes dans le système de vente. Si de 1700 à 1710, Nantes semble désertée, une véritable renaissance s’affirme de 1710 à 1714. Le subdélégué Gérard Mellier chargé de réorganiser une nouvelle compagnie des Indes Orientales, en fusionnant l’ancienne avec une éphémère compagnie d’Occident créée par Law en 1717, choisit de centrer ses ventes à Nantes dont il devient le maire en 1720. Cette localisation profite à la ville jusqu’en 1733, date où les ventes sont déplacées à Lorient89

68La naissance de la compagnie des Indes occidentales qui voulait organiser le commerce vers l’Amérique fut plutôt perçue comme une concurrence déplaisante dans le secteur d’avenir du port ligérien et son effondrement en 1674 ne fut guère pleuré, même si les sociétés issues de son démembrement ont pu contribuer à animer l’activité portuaire. Fondée en juin 1669, avec un privilège de vingt ans pour le contrôle du commerce des pays allant de la Hollande à la Moscovie, la compagnie du Nord ne parvint pas à s’élancer, vaincue par la résistance commerciale et militaire de la Hollande et la mauvaise volonté des négociants de Bordeaux et de Nantes hostiles au monopole. Ces derniers n’hésitèrent pas à s’allier frauduleusement avec les Hollandais pour bénéficier des profits assurés par la puissance de leur infrastructure commerciale. Les Nantais n’ont donc guère apprécié les compagnies à monopole organisées par Colbert pour relancer l’activité commerciale comme le montre en 1701 le diagnostic de Descazaux du Hallay, député de Nantes au conseil du Commerce.

69Si la représentation marchande se révèle conquérante dans l’échevinage entre 1670 et 1720, on ne saurait l’expliquer dans une interprétation trop mécanique par l’adhésion des milieux marchands au mercantilisme officiel, ni comme une récompense obtenu pour un actif soutien au programme ministériel. La volonté colbertiste de redresser l’industrie et le commerce du royaume, dans une lutte contre une suprématie hollandaise évidente jusque vers 1660, a correspondu à l’impérieuse nécessité d’une reconquête nantaise qui a su lucidement opter pour la défensive sur les vieilles routes du cabotage européen difficiles à reprendre, afin de concentrer toute son énergie dans l’exploitation des nouvelles routes transatlantiques. Dans les relations entre le monde commercial et le pouvoir royal, il s’agit donc plus d’un rapprochement d’intérêt que d’une communion d’idées sur les moyens les plus efficaces, mais cette convergence relative suffit à favoriser la représentation politique marchande dans une municipalité d’une ville commerçante du royaume.

Les retombées de la suppression du privilège d’anoblissement échevinal

70À partir de 1670, la faiblesse de la robe correspond aussi à un divorce accepté. Si les juges royaux sont absents de l’échevinage, c’est parce qu’ils négligent volontairement de s’inscrire pour concourir. Cette distanciation avec une institution qu’ils ont dominée sans partage dans le premier tiers du siècle n’est que la traduction du mépris dans lequel ils tiennent dorénavant les postes d’échevins. La principale explication possible de cette nouvelle psychologie collective de l’élite robine semble venir de la redéfinition des privilèges d’anoblissement fixés par la monarchie dans l’édit de mars 1667.

71Dans le cadre de la Réformation de la noblesse décidée par Colbert, l’arrêt du conseil du 25 juin 1669 a livré la nouvelle réglementation pour le cas nantais. Le bureau servant, qui essayait d’échapper à la loi générale depuis mars 1667, n’a pu éviter la dégradation si redoutée malgré ses députations en cour et au parlement de Bretagne90. Le 25 juillet 1669, la chambre de réformation a transmis au bureau le nouveau texte de référence qui supprimait les privilèges des échevins, du syndic et du greffier, en ne maintenant celui du maire que sous la condition d’un mandat de trois ans.

72Dans l’élite des gens de justice, ces restrictions brutales ont jeté le discrédit sur une institution qui apparaissait jusque là comme un marchepied vers la noblesse, même s’il était nécessaire de conforter le changement de statut par d’autres attitudes sociales (mariages, achats de terre, genre de vie noble, obtention de lettres de partage noble délivrées par le monarque, car les privilèges angevins n’avaient pas prévu cette clause). Pour des notables bourgeois engagés dans le processus par achat de charges à la chambre des comptes, l’échevinage nantais devenait non seulement inutile, mais surtout déconseillé dans une bonne stratégie d’ascension sociale. Pour des notables qui étaient parvenus à se hisser dans la phase de transition, il pouvait apparaître malhabile, et même carrément nocif, du point de vue du prestige social de côtoyer des bourgeois roturiers dans une compagnie qui condamnait dorénavant ces derniers à la stagnation dans leur statut inférieur. Les charges du présidial n’anoblissaient pas, mais le mimétisme sociologique d’un corps très attaché à son prestige et quelque peu envieux de la supériorité honorifique de la cour souveraine provinciale, a pu pousser au suivisme dans la désertion de l’échevinage. Cette interprétation paraît d’autant plus fondée que l’appréciation des robins diverge très nettement sur le poste de maire qui conserve tout son attrait. Les officiers du présidial et secondairement de la cour des Comptes occupent nettement le terrain et résistent très bien à la poussée marchande, la direction de la municipalité restant toujours convoitée par des représentants de la bonne noblesse jusqu’en 1720.

73Dans les dernières décennies du règne de Louis XIV, les charges municipales sont devenues le trésor de guerre de la monarchie qui a cru pouvoir manipuler le privilège d’anoblissement des échevins pour compléter sa ponction sur les notables nantais. Toutes ces retouches répétées de la législation n’ont pu que confirmer la haute robe nantaise dans sa méfiance vis-à-vis d’une institution dépréciée dans sa fonction sociale. Le comble a été atteint dans les années 1690 où des familles d’ancienne noblesse, maintenues sans difficultés en 166870, se sont retrouvées inscrites par les commis des traitants sur les rôles des familles municipales devant payer les taxes de confirmation91. Même si elles ont pu facilement se faire rayer de ces listes après leurs plaintes au Conseil du roi, on imagine aisément le déplaisir d’une telle situation pour des notables très attachés à leur position honorifique. De tels dérapages du fisc royal n’ont pu que conforter le réflexe de méfiance vis-à-vis de fonctions publiques susceptibles de ternir la réputation des lignages.

74Une telle mentalité s’oppose à l’attitude des plus riches négociants de l’époque qui, même lorsqu’ils recherchent l’anoblissement par d’autres moyens comme l’achat d’un office de secrétaire du roi par exemple, n’en dédaignent pas pour autant l’intérêt économique du contrôle des institutions municipales. Les débuts très lents d’un rééquilibrage, par suite du retour des officiers du présidial, ne peuvent s’expliquer que par une prise en compte de ce dernier aspect par une fraction de la haute robe roturière, une fois que cette dernière a fait son deuil du privilège d’anoblissement échevinal définitivement disparu.

Conclusion

75L’évolution du commerce nantais de 1600 à 1720 ne peut pas rendre compte entièrement des mutations sociologiques observées dans la composition de l’échevinage, même si certains rééquilibrages municipaux correspondent partiellement à une redistribution des cartes économiques au fil du siècle. Il est pourtant tentant d’associer la sous-représentation politique des marchands bourgeois de la première moitié du siècle à la grande crise structurelle qui affecte la place commerciale qui souffre doublement de la détérioration de trafics de base du xvi^e siècle et de la montée des concurrences des colonies étrangères. Il est aussi séduisant de rapprocher la reconquête de l’échevinage et l’essor du grand commerce transatlantique, d’abord celui de la pêche à la morue vers Terre-Neuve, puis surtout celui des produits coloniaux tirés des îles d’Amérique, ce qui donne un visage très attractif à la ville comme le prouve l’immigration puissante qui amène à Nantes des marchands entreprenants à partir de 1650-1660, ce qui renouvelle l’élite locale.

76Cette interprétation économique des mutations sociales de l’échevinage explique certainement en partie les variations des taux de représentation politique de l’élite marchande, mais il est aisé de constater que tout ne concorde pas très bien. Une meilleure pénétration marchande dans l’échevinage se constate dès la seconde phase 1640-1670, assurant l’équilibre avec les gens de justice. C’est pourtant dans cette période que les marchands nantais semblent avoir connu les pires difficultés. Leur faiblesse municipale est principalement inscrite dans les premières décennies du xvii^e siècle, à une époque où les grands trafics de base ne sont pas encore trop essoufflés et où la concurrence étrangère ne connaît pas sa plus forte intensité. Si l’essor remarquable des années 1670-1690 correspond bien au triomphe politique de l’élite marchande, les résultats inégaux de la longue période de guerre (1690-1715) ne montrent pas de recul municipal au profit des gens de justice, mais au contraire une consolidation de l’hégémonie.

77La poussée de la haute robe des Comptes et du présidial entre 1598 et 1640, qui se vérifie dans beaucoup d’autres villes comme Amiens, Angers ou même Lyon au tout début du siècle, n’apparaît guère comme la suite d’une réaction de longue durée qui aurait débuté, comme dans les autres cités, depuis le milieu du siècle précédent. Au contraire, la rupture plutôt brutale avec le dernier tiers du xvi^e siècle, où le milieu marchand assure presque deux échevins sur trois, accentue le caractère antinomique des deux périodes de l’histoire municipale. Les principales raisons de cette originalité nantaise sont à rechercher dans les conséquences de la transformation du traditionnel conseil des bourgeois en corps de ville avec bureau servant étroit et compétences municipales élargies au milieu du xvi^e siècle. L’opposition des cours de justice à cette modification institutionnelle explique largement leur tardive introduction dans l’échevinage, contrecarrée d’ailleurs par l’explosion de la crise de la Ligue, et donc au total la faiblesse numérique des gens de justice jusqu’en 1598.

78L’échec politique de la rébellion de la cité derrière le duc de Mercœur a marqué profondément le climat politique de la première moitié du xvii^e siècle. Ce dérapage, qui s’est payé par la perte de privilèges politiques et qui aurait pu coûter beaucoup plus cher comme à Amiens, est apparu a posteriori pour la classe dirigeante nantaise comme le type d’erreur qu’il ne fallait plus commettre. À partir de l’expérience négative d’une trop longue révolte contre la monarchie, les notables ont défini une nouvelle ligne politique qui a été maintenue pendant tout le siècle. Pour l’élite sociale, le loyalisme le plus ferme envers la monarchie est devenu le meilleur garant de la préservation des franchises urbaines. Comme le parti ligueur a surtout recruté ses partisans et ses appuis dans le milieu marchand et comme les chefs des grandes cours de justice ont réussi à garder la majorité de leur compagnie dans la fidélité à Henri IV en prenant la tête du parti de la résistance à la rébellion ligueuse, le souvenir d’une aventure sans issue a longtemps défavorisé un milieu marchand jugé responsable d’une grave erreur d’orientation et au contraire sublimé la fonction officière. La prolongation d’un tel état d’esprit s’est nourri du comportement politique du duc de Vendôme qui, jusqu’en 1626, a pu entretenir l’hypothèse d’une rechute historique.

79L’ascension des marchands est à mettre en rapport avec le développement d’une politique monarchique de développement commercial et colonial dans le cadre d’une analyse mercantiliste de l’avenir du royaume. Ce nouveau regard porté par les responsables de administration royale sur les animateurs du commerce national a été renforcé par la plus grande méfiance avec laquelle le roi et son conseil ont traité les officiers après la grande révolte de la Fronde, même si à Nantes le loyalisme des gens de justice et de finances a été sans faille.

80La progression marchande vient aussi du désintérêt grandissant de la haute robe nantaise pour les responsabilités municipales, ce qui a favorisé accessoirement les procureurs qui remplissent les vides ainsi formés. On peut parler d’une victoire par forfait des concurrents traditionnels. Cet abandon de responsabilités autrefois recherchées ne peut que traduire une grave chute de prestige de l’institution auprès de la fraction supérieure de l’élite urbaine. L’échevinage n’attire plus et devient même un lieu à éviter lorsque la monarchie décide d’anéantir son privilège traditionnel d’anoblissement. Non seulement la responsabilité n’assure plus la progression dans la société d’ordres, mais elle entraîne de plus en plus de désagréments administratifs pour ceux qui sont engagés sur les autres voies d’anoblissement. Les redéfinitions successives du statut, avec promesse de confirmation de noblesse moyennant finances, ont achevé de ternir l’image de la municipalité auprès de la haute robe nantaise, ce qui a largement favorisé l’entrisme de familles marchandes largement renouvelées par une immigration française à partir de 1650.