1La promotion d’un notable au bureau municipal récompense sans doute moins les mérites personnels d’un individu que la notoriété d’une famille. À une époque et dans des milieux où les mariages se négocient dans la perspective d’amélioration des situations matérielles et de l’honorabilité de ces ensembles familiaux, le succès électoral et administratif d’un individu concerne également sa belle-famille. L’étude de la vie politique dans une grande ville provinciale comme Nantes ne peut se comprendre en dehors de cette base formée par ces constellations familiales qui s’échangent protections et recommandations dans les réseaux de parenté. C’est pour ne pas manquer un environnement indispensable à la compréhension du fait politique urbain d’Ancien Régime que ce chapitre restitue les choix professionnels des différents niveaux de parenté qui enserrent l’élu municipal. Deux générations ont été distinguées, sans remonter plus avant, car c’est la chaîne parentale effective au moment de la nomination qui nous intéresse. Dans cette perspective, l’analyse des situations des frères et des beaux-frères apparaît même plus importante que celle des pères, beaux-pères ou oncles.

Situations sociales de la parenté des maires

L’environnement familial direct

Les situations paternelles

2Les listes des origines sociales et professionnelles des maires de Nantes et de celles de leurs pères ne sont pas interchangeables. D’une génération à l’autre, des choix de carrière différents ont modifié l’orientation professionnelle de certaines familles.

3Il est d’abord évident que le poste de maire n’est pas pour la fraction de l’élite qui se contente de vivre de la rente propriétaire. Même si au niveau paternel on compte quand même trois notables non engagés dans une activité professionnelle précise, au niveau des maires, il n’en reste plus qu’un. Julien Proust, sieur du Port-Lavigne, maire par office de 1693 à 1715, contourne ainsi une règle implicite de la vie politique nantaise qui associe étroitement la direction de l’administration municipale à une expérience professionnelle effective1. Son père, héritier de deux générations d’officiers de finances, n’est jamais cité comme en activité professionnelle, mais étant décédé à trente ans, n’a peut-être pas eu le temps de choisir entre les offices supérieurs2.

4Pour les deux autres exemples, il s’agit de l’alloué Julien Laurens (1601-1603) dont le père Jehan semble n’avoir tenu aucun office et du président aux Comptes René de Pontual (1657-1659) dont le père Jehan n’est jamais caractérisé autrement que par sa dignité noble d’écuyer et par ses seigneuries de Pontual et de Villerevault. Dans le cas des Laurens, l’analyse des parrains et des marraines choisis par le rentier montre une très forte intégration dans le milieu des officiers de justice de Nantes au milieu du xvi^e siècle, son frère Guillaume ayant été avocat, puis procureur du roi à Nantes en 1539 et conseiller aux Grands-Jours en 15443.

Comparaison des origines professionnelles des maires et de leurs pères

5La meilleure représentation des origines marchandes observées dans la génération antérieure est un phénomène classique qui ne surprend pas. Dix ou onze pères marchands, l’hésitation venant d’André I Boussineau qui est à la fois commerçant de haut niveau et receveur général des décimes en Bretagne, pour quatre fils fidèles au commerce contre six ou sept ayant sauté le pas vers les offices, la proportion paraît ordinaire. Parmi les quatre marchands ayant accédé au poste de maire, François Lorido (1666-1668) a commencé à diversifier ses activités comme juge-garde de la Monnaie de Nantes. Pour les transfuges de la marchandise vers la judicature, le présidial (quatre exemples) l’emporte sur les Comptes et les régaires avec respectivement deux et un exemples. Le choix d’offices situés plutôt en niveau moyen dans les deux cours explique la préférence accordée au présidial qui représente un effort financier plus raisonnable. Parmi les fils de marchand, deux ont opté pour une charge de conseiller juge, un pour celle de procureur du roi, un pour celle d’avocat du roi, un autre pour un office d’auditeur et un dernier pour celui de président aux Comptes.

6Les officiers de finances n’ont guère partie liée avec le poste de maire. Une seule véritable dynastie de financiers avec les Hus parvient à cette fonction au tout début du xvii^e siècle (Gabriel Hus, 1599-1601). Jehan Hus l’aîné a collecté les fouages de l’évêché de Tréguier vers 1530 avant de s’intéresser à la chambre des comptes où il est installé dans un office de maître en 1533. Son frère cadet Jehan Hus le jeune, père de Gabriel, a fait la même chose dans l’évêché de Nantes dans les années 1530-1540 avant de lui succéder comme maître aux Comptes en 1543. Cette intégration dans la cour souveraine ne l’empêche pas de continuer à manier les deniers comme trésorier de la communauté des marchands de la rivière de Loire jusqu’à son décès. Le 9 avril 1557, sa veuve, Gabrielle Baugé, présente son dernier compte au conseil des bourgeois. Gabriel Hus a débuté dans les mêmes recettes avec celle des décimes de Vannes ou celle des fouages de l’évêché de Saint-Malo, mais, au lieu de bifurquer vers la chambre des comptes, a préféré s’installer au plus haut niveau de la finance provinciale en obtenant la gestion de la trésorerie des États de Bretagne de 1578 à 16094.

7Pour les deux autres exemples, la finance n’est qu’une étape intermédiaire avant l’intégration dans les offices de justice. Julien Bidé, sieur de Ranzay, contrôleur général des finances en Bretagne, père de l’alloué Claude I Bidé, maire de 1652 à 1654, est d’ailleurs un exemple isolé dans le puissant groupe familial qui est plutôt tourné vers le présidial et le choix de son fils correspond à la direction générale suivie par sa parenté5. François Noblet, sieur de Lespau, receveur général du taillon en Bretagne et receveur des décimes, père du maire Pierre Noblet, avocat général à la chambre des comptes, illustre l’étape classique qui s’intercale souvent dans le cheminement qui mène en trois générations de la marchandise à l’office de judicature6.

8Nantes ayant perdu le parlement au profit de Rennes en 1561, les notables nantais qui accèdent à la cour souveraine vont résider à Rennes et deviennent donc inéligibles ou ne se sentent plus concernés par l’administration de leur cité natale. La coupure est donc totale entre parlement et promotion au poste de maire. Seules deux mentions dans la génération paternelle atténuent cette séparation. Guillaume Harouys a fait carrière comme greffier en chef au parlement. Son fils Charles de Harouys, qui reprend d’abord la même fonction en 1571, cumule ensuite en 1573 les offices de conseiller au parlement et de sénéchal de Nantes mais abandonne le premier en 1580 pour celui de président du présidial de Nantes, laissant même la charge de sénéchal en 15867. Plusieurs Charette ont partagé cette même stratégie dans la première moitié du xvii^e siècle8.

9Le second exemple est différent. Le maire André Dubot (1634 à 1636) est conseiller juge au présidial et son père, Roland Dubot, conseiller au parlement. Il est ici difficile de parler de progression, contrairement aux Harouys. Tout s’explique avec la reconstitution de la famille9. Le frère aîné du maire, Pierre Dubot, assure la continuité à la cour de Rennes et sa propre fille Anne, en épousant le vicomte Louis de La Bourdonnaye, a fondu quelques décennies plus tard la branche aînée dans une des plus grandes dynasties parlementaires bretonnes. Le frère cadet a dû se contenter d’une charge au présidial.

10Tous les exemples classés dans la catégorie « autres cours de Justice » illustrent une élévation classique des familles qui sortent de petites charges inférieures à celles du présidial de Nantes. On trouve ainsi des offices des grandes seigneuries aristocratiques avec Pierre Blanchard, sieur de La Chapelle, lieutenant de Blain, et son fils Guillaume Blanchard, alloué des régaires avant de passer procureur du roi au présidial, maire en 1631-163310; et aussi Claude Fournier, sieur de La Garenne, greffier des ville et baronnie d’Ancenis, et son fils Jean Fournier, conseiller au présidial, maire de 1654 à 165611. Antoine Le Roulx, sieur de La Ville, avocat au parlement et son fils Joseph Le Roulx, avocat du roi au présidial, maire alternatif par commission en 1708, illustrent une autre association12.

11Il existe même une progression exceptionnelle. Jehan Blanchard est un notaire royal de Nantes qui sort d’un lignage d’ancienne noblesse de Fay-de-Bretagne, paroisse située à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de la ville. Son fils Jehan, sieur de Lessongère, débute dans les offices comme procureur du roi au présidial en 1602. C’est à ce titre qu’il se fait élire maire de Nantes en 1611-1613. Au milieu de son mandat, il a troqué son office contre celui de procureur général à la chambre des comptes où il exerce de 1612 à 1619. Nommé ensuite intendant des armées du duc de Vendôme, gouverneur de Bretagne, puis surintendant général de sa Maison, il a su rester depuis le départ un fidèle serviteur de la monarchie. Il couronne sa carrière avec le poste de premier président à la chambre des comptes où il exerce de 1634 à 1641 avant de le céder à son fils, tout en conservant le privilège de siéger sans gages, mais avec voix délibérative. Il était titulaire d’un brevet de conseiller d’État depuis 161413.

12Si le fait de retrouver le présidial et la chambre des comptes comme les deux ensembles les plus fréquentés par la génération paternelle ne surprend guère, le relatif équilibre entre les cours, dans un rapport de force différent de celui de la génération des maires, était moins attendu. Pour trente maires issus du présidial, dix pères membres de la même cour, huit de la chambre des comptes, deux du parlement, quatre autres robins, un officier de finance, quatre marchands et un bourgeois rentier. Pour les douze maires issus des Comptes, six pères de la même cour, deux du présidial, un officier de finance, deux marchands et un bourgeois rentier. Le présidial s’entretient lui-même pour une part importante, mais qui ne représente que le tiers des origines paternelles, tandis que la chambre des comptes, qui obéit au même principe prioritaire, l’observe dans une proportion plus grande correspondant à la moitié.

13Dans les itinéraires familiaux, les six origines étrangères à la cour des Comptes signalent une réelle promotion en honorabilité et en puissance sociale. Qu’en est-il des six autres exemples où une deuxième génération prolonge le choix des parents ? Rappelons naturellement que c’est la règle impérative pour toute riche famille roturière cherchant à acquérir une noblesse complète et héréditaire, chaque représentant de chaque génération devant servir vingt ans ou décéder en charge. Après enquête, s’opposent quatre exemples de maintien dans le même office par droit d’hérédité et deux exemples seulement de promotion interne avec un père auditeur et un fils président (Juchault)14 ou un père maître et son fils président (Huteau)15.

14Pour le présidial, les douze dernières origines correspondent pour la presque totalité à des progressions familiales, le cas de la famille parlementaire Dubot de Launay pouvant être considéré comme une exception. Dans les dix exemples de fidélité à la cour, relevons huit cas de reconduction dans le même office et seulement deux promotions qui correspondent à la famille Charette avec le sénéchal René I Charette de La Bretonnière-maire 1609-1611, qui a pour père un alloué et lieutenant général, et la famille Chevalier où le président du présidial Charles César Chevalier, maire de 1676 à 1679, a pour père un conseiller au présidial16.

15Restent les huit exemples de passage des Comptes au présidial ! Six correspondent à une élévation dans l’échelle officière contre deux qui traduisent un léger recul. Les Morin et les Bernard enchaînent une charge de premier président ou de président aux Comptes avec l’office de lieutenant général au présidial.

Situations des frères, sœurs et beaux-frères

16Sur les 44 maires concernés par l’observation, neuf n’ont que des frères, treize que des sœurs et vingt deux sont entourés des deux côtés. Le total des personnes citées s’élève à 118 dont 54 frères et 64 sœurs ou beaux-frères avec les exemples de remariage. Il existe des différences assez nettes entre les deux ensembles, ce qui mérite quelque attention. L’orientation la mieux partagée dans les rubriques importantes est certainement celle de propriétaire rentier qui caractérise 17 exemples pour les garçons et 16 exemples pour les filles, ce qui la place nettement en tête des catégories précises relevées pour les premiers et à égalité pour cette même place avec la chambre des comptes pour les secondes. On retrouve ainsi une confirmation d’une situation déjà vérifiable chez les oncles et tantes du côté paternel, à savoir la réévaluation numérique de cette fraction de l’élite sociale vivant de propriétés et de rentes, à un niveau correspondant beaucoup mieux à son poids économique et social dans la réalité. Si l’attribution de responsabilités politiques locales n’est donc pas envisageable directement pour cette catégorie non professionnalisée, celle-ci ne se trouve pas pour autant éloignée et exclue de la sphère municipale et des organes décisionnels, car elle peut y joindre aisément un parent capable de représenter ses intérêts.

17Contrastant avec cette orientation partagée assez harmonieusement, la plus grande surprise naît du décalage des poids relatifs des officiers de justice avec une situation massivement prioritaire chez les sœurs et leurs époux (39 exemples sur 64) et une position nettement moins affirmée chez les frères (16 exemples sur 54). Cette recherche assez systématique d’alliances matrimoniales avec des officiers royaux des cours de justice aboutit également à une différenciation interne quant à l’importance relative de chaque cour. La chambre des comptes de Bretagne, installée à Nantes, arrive en tête des deux côtés, mais elle est très nettement plus recherchée par les beaux-frères que par les frères. Cette remarque est encore plus vraie pour le parlement de Bretagne et s’applique aussi aux offices présidiaux. Ces conclusions traduisent ou une forte demande d’ascension sociale ou une affirmation de notoriété publique si la famille est déjà très puissante. Le poste de maire de Nantes renforçant le prestige d’une famille du côté masculin, il semble y avoir une volonté de concrétiser la même ambition dans les mariages des sœurs, en établissant ainsi une association qui profite à tous. Faut-il admettre également que, pour des familles en ascension vers la notabilité, il est plus aisé de négocier de bon mariages que d’acheter des charges qui sont jalousement conservées par certaines lignées ?

18La chronologie révèle aussi une distribution très inégale de ces aspirations. Pour la chambre des comptes, cinq exemples sur six se placent avant 1654 en ce qui concerne les frères et quatorze sur dix-sept avant 1648 pour les beaux-frères, avec même dix exemples avant 1631. Cette demande sociale correspond à la première moitié du xvii^e siècle, ce qui nous ramène aux conclusions déjà proposées avec les analyses sociales et professionnelles des maires eux-mêmes. La répartition des liens avec le parlement confirme encore plus nettement l’originalité du premier quart du siècle car sur les treize exemples recensés, dont onze beaux-frères pour seulement deux frères, onze s’inscrivent avant 1623, le douzième étant décalé en 1634-1636. La plupart de ces familles qui montrent ainsi une évidente fascination pour les cours souveraines provinciales étaient déjà très puissantes dans la deuxième moitié du xvi^e siècle.

19Cette proximité de l’oligarchie municipale et des cours souveraines peut aboutir à deux interprétations différentes : ou elle reflète un très fort prestige social de l’institution municipale qui fait que les plus puissantes familles

Situations sociales des frères et des sœurs (BF) des maires

20du premier tiers du xvii^e siècle, les plus aptes aux alliances parlementaires, ne dédaignent pas de déléguer un des leurs à la direction de l’échevinage, ou elle résulte du fait que les cours souveraines, qui disposent du privilège de noblesse graduelle, accueillent suffisamment largement l’élite roturière pour établir une proximité de fait entre des institutions se partageant le privilège d’intégration dans la noblesse. Les deux explications, d’ailleurs complémentaires, montrent en même temps combien cette proximité sociologique entre les responsabilités de maire de Nantes, les offices du parlement et les offices supérieurs de la chambre des comptes reste une donnée fragile. Qu’une réaction de fermeture s’empare des cours souveraines ou que l’évolution du système monarchique se traduise par un certain abaissement de la municipalité et voici un fossé qui peut aller grandissant par suite d’un nouveau comportement des familles résultant d’un nouveau positionnement de chaque institution dans l’échelle des dignités admise par l’élite des notables.

21Le décrochage de la chambre des comptes s’effectue plus tardivement que celui du parlement puisqu’il faut attendre le milieu du siècle. Il est aussi moins radical puisqu’on compte encore trois mentions au delà de 1654. Cette nuance est sans doute à rapporter à la différence de localisation géographique des deux cours, le déplacement à Rennes étant un obstacle majeur. D’autre part, la concentration de cinq exemples sur la période 1642-1654 est pour partie la conséquence de décisions de l’administration monarchique, que cela vienne du Conseil du roi qui impose Juchault pour une reprise en main de la police municipale en 1642 ou de la réforme électorale du gouverneur qui renforce les chances de succès des officiers de la Chambre de 1644 à 1653. Il faut voir en effet que ce sont surtout des maires eux-mêmes officiers aux Comptes, qui, dans cette période, maintiennent avec leurs parents un lien de proximité entre les deux institutions.

22Parmi les orientations professionnelles représentées par un chiffre encore significatif reste la carrière commerciale. Les frères maintiennent mieux une tradition familiale que les sœurs pour qui on essaie de trouver des alliances dans la robe. Il s’agit de conservation d’une orientation familiale car les mécanismes de mobilité sociale mènent de la marchandise vers les offices et très rarement l’inverse. Les exemples livrés par l’enquête confirment tout à fait cette donnée classique de la société urbaine d’Ancien Régime. Du côté des frères, deux maires concernés ne sont pas eux-mêmes marchands. Il s’agit de Jacques Frémon, conseiller au présidial, mais son père était marchand de draps et soie sur la paroisse Sainte-Croix17, et de Michel Loriot, sénéchal des régaires, dont le père, de même prénom, marchand très important du milieu du xvi^e siècle, a joué un rôle essentiel dans la naissance de la municipalité avant d’être nommé échevin de 1565 à 1567 et ensuite maire de Nantes en 157718. Du côté des sœurs, un seul exemple avec le conseiller au présidial Mathurin Giraud, maire de 1664 à 1666, mais dont le père Roland Giraud avait été marchand de draps et soie à Saint-Saturnin avant d’être distingué comme échevin de 1619 à 162219. Sur les huit exemples de maires ayant des liens de parenté directs dans la marchandise, trois seulement illustrent ainsi l’étape de réorientation familiale qui voit certains membres se tourner vers les offices pendant que d’autres perpétuent l’activité traditionnelle.

23Les trois exemples d’officiers de finance concernent seulement deux familles. Pierre Le Lou, frère d’Yves Le Lou, maître aux Comptes, maire de 1603 à 1605, est désigné comme receveur général des finances de Bretagne. Rappelons que leur père Michel Le Lou, dernier marchand actif d’une très importante famille commerçante de la première moitié du xvi^e siècle, avait tenu la recette des fouages de l’évêché de Tréguier vers 1566 avant d’acquérir une charge de maître aux Comptes et d’être élu échevin en 1571 et enfin maire de la ville en 157320. Simon Giraud, receveur général du taillon et sa sœur Renée, qui a épousé un contrôleur général des finances de Bretagne (lié au maire Mathurin Giraud, 1664-1666, conseiller au présidial), sont les enfants de Roland Giraud, marchand de draps et soie déjà cité. Ainsi se reconstitue le cheminement classique qui mène de la marchandise à la finance.

24Le lien très fort qui attache la fonction aux grands offices de robe nantais repousse par effet contraire les familles donnant la priorité aux carrières militaires. Ce désintérêt est spécialement vrai pour les filles qui n’offrent aucun exemple de mariage avec un officier militaire et ce ne sont pas les trois exemples relevés qui permettent d’opposer une conduite différente du côté masculin. Les trois capitaines de régiment, qui sont liés à deux conseillers au présidial (Frémon et Cassard)21 et à un alloué et lieutenant général (Bidé fils)22, n’apparaissent que dans le dernier quart du xvii^e siècle, c’est-à-dire dans une période de moindre prestige de la municipalité dans la fraction supérieure de l’élite urbaine. Il est remarquable que la première moitié du siècle, où le parlement et la chambre des comptes sont beaucoup mieux associés, ne livre aucun exemple de cette vocation militaire.

25Les frères ou les sœurs ayant suivi la voie religieuse ne sont pas très nombreux et on peut même s’étonner du caractère très marginal de l’engagement féminin qui n’est illustré que par la carmélite Louise Boux, sœur du maire Mathurin Boux, maître aux Comptes (1648-1650)23. Ce désintérêt résulte sans doute de la volonté d’ascension sociale qui a plus sûrement conduit à rechercher de bonnes alliances matrimoniales plutôt que des vocations religieuses. Les sept exemples masculins confortent mieux l’exemple classique de la pénétration des chapitres par les enfants des notables urbains. Toutefois, la chronologie qui place les exemples plutôt dans le premier tiers du siècle suggère une évolution qui ressemble fort à celle décrite pour les cours souveraines. Une seule famille, les Cornulier, puissante dynastie parlementaire, donne un évêque24. Les autres exemples se rapportent uniquement aux chapitres nantais et sont plus caractérisés par l’obtention d’une dignité capitulaire (quatre exemples) que par une nomination à la tête d’une paroisse urbaine (deux exemples).

L’environnement familial par alliance

Les situations des beaux-pères

26Sur les 50 maires de notre xvii^e siècle, quatre seulement sont restés célibataires : André Morin, lieutenant civil et criminel au présidial, maire de 1617 à 161925, René Bernard, alloué et lieutenant général de Nantes, maire de 1633 à 163426, André Dubot, conseiller au présidial, maire de 1634 à 163627, et Jean Regnier, auditeur aux Comptes, maire de 1673 à 167528. Parmi les exemples restants, il nous a été impossible d’obtenir des renseignements précis sur Catherine Hennier, l’épouse du trésorier des États Gabriel Hus, maire de 1599 à 1601. La base de notre enquête porte donc sur les épouses de 45 maires, ce qui fait 55 exemples, quelques notables s’étant remariés après le décès de leur conjointe.

27L’originalité de la ventilation des situations sociales à ce niveau de l’enquête tient à deux caractères : le relatif équilibre entre plusieurs états, mais surtout la réévaluation des origines marchandes. C’est en effet une notable différence avec toutes les conclusions dégagées à partir des analyses concernant la parenté directe des maires29. Cette supériorité numérique, qui n’apparaît qu’en séparant bien les différents corps, disparaît évidemment avec le regroupement de l’ensemble des officiers de justice, ce qui mène à un total de 26 sur 55 (presque la moitié) et à 32 en ajoutant les professions auxiliaires des tribunaux.

Origines professionnelles des pères des épouses des maires

28Quels sont les maires qui ont cherché leurs épouses dans l’aristocratie marchande nantaise ? On y trouve sans surprise les quatre marchands (de Bourgues, Lorido, Libault, Mesnard), mais aussi cinq officiers du présidial avec par ordre chronologique, Bidé père, Fournier, Bidé fils, De Lisle, Cassard, et trois officiers de la chambre des comptes : le président Juchault qui n’était que conseiller au présidial à son mariage en 1617, le maître René de La Tullaye, d’une famille noble du début du XIV^e siècle, pour son second mariage, et le maître Yves de Monti, d’une famille de noblesse florentine venue s’installer à Nantes au temps de Catherine de Médicis. La chronologie est également précieuse : sur les douze personnes concernées, trois seulement se situent avant 1646, c’est-à-dire dans le groupe des 25 premiers maires, et neuf dans le second. Cette répartition qui repousse cette attitude matrimoniale sur le deuxième xvii^e siècle conforte les analyses précédentes sur la redéfinition sociologique du vivier qui alimente le poste de maire.

29Le présidial s’inscrit après la marchandise dans les alliances préférées. Sept maires sont concernés. Cette recherche de nouveaux liens de parenté résulte d’une très forte endogamie corporative puisque sur les sept maires concernés six appartenaient déjà à la cour de Nantes et qu’il a existé une étroite symbiose entre la circulation des offices dans les familles et les inter-mariages. L’importance du lignage Charette et son attachement à l’office de sénéchal renforce de façon saisissante l’impression de bloc étroit et très fermé. La plupart des exemples concernent la première moitié du xvii^e siècle, c’est-à-dire le moment où le présidial a exercé le plus fort monopole sur l’ensemble de l’échevinage et spécialement sur le poste de maire.

30En ce qui concerne la chambre des comptes qui égale la cour de Nantes dans l’ensemble des offices de justice, le jeu des alliances matrimoniales met en scène huit maires. L’endogamie corporative existe aussi, mais se manifeste avec moins de vigueur. Sur huit maires, trois seulement se sont glissés dans la même compagnie et quatre viennent de celle du présidial, ce qui associe de façon très naturelle les deux cours les plus importantes de la ville. Majoritairement, les notables cherchent des unions à égalité de niveau dans les offices, mais ce n’est pas systématique. Les deux seules véritables exceptions (maire avocat général et beau-père garde des livres30 ou maire président du présidial et beau-père auditeur31) montrent que dans cette orientation le souci de la réputation doit être extrêmement fort. Enfin la répartition chronologique des alliances montre un excellent équilibre entre les deux moitiés du siècle, ce qui distingue encore cette rubrique des deux autres étudiées précédemment. Cette association par alliance empêche ainsi la rupture totale entre la cour souveraine et le corps de ville sous le règne de Louis XIV, même si cela traduit surtout des choix familiaux originaux opposés à l’état d’esprit dominant dans la compagnie.

31Les six alliances matrimoniales de maires avec des filles de conseillers au parlement viennent plus des officiers des Comptes que des autres cours nantaises. Cette volonté de rapprochement de familles de l’élite sociale installée dans les deux cours souveraines de la province ne saurait surprendre. Trois exemples dans le premier tiers du xvii^e siècle32, deux exemples au milieu33 et un dernier au début du dernier quart34 établissant un équilibre relatif avec quand même un léger décalage vers le haut.

32Sur neuf exemples retenus, les beaux-pères officiers de justice se placent plutôt dans la première moitié du siècle, tandis que ceux qui n’ont exercé que les fonctions d’avocat ou de procureur sont très nettement repoussés en fin de siècle. Cette avancée des professions juridiques auxiliaires autour du poste de maire par l’intermédiaire des mariages est à mettre en correspondance avec l’évolution constatée à propos du recrutement des échevins suite au repli du présidial. La convergence d’évolution est tout à fait remarquable. Les sept alliances avec des beaux-pères propriétaires rentiers sont venus finalement d’horizons assez variés qui regroupent le présidial, les Comptes, la prévôté, la marchandise. L’importance du premier résulte d’une tendance des Charette à se satisfaire de ce genre d’union. La répartition dans le temps (5/3) fait apparaître un léger avantage à la première moitié du siècle.

33Pour les 55 exemples, en comparant la situation des beaux-pères et des gendres, il est possible de mesurer les écarts en dignité et prestige de fonction pour mieux situer la position des maires dans la mobilité sociale. Cette approche donne 23 exemples sur un niveau d’égalité, 20 exemples montrant une supériorité de la situation des maires sur leurs beaux-pères et deux exemples seulement une infériorité. Cette répartition prouve donc combien les maires sont recrutés dans des familles qui ont le vent en poupe ou qui sont bien accrochées au plus haut niveau de la notabilité nantaise. Treize exemples sur les vingt situations de supériorité des maires tendent à prouver une plus grande mobilité sociale autour du poste de maire dans la deuxième moitié du siècle. Le premier xvii^e siècle est favorable aux alliances avec des filles d’officiers de justice, ceci étant spécialement visible pour le présidial, sans doute à cause du poids social et politique considérable des Charette, et moins prononcé pour les Comptes et encore moins pour le parlement. La deuxième moitié du siècle a vu une réévaluation des familles marchandes en renaissance et une promotion plus inattendue des professions juridiques secondaires qui rappellent le mouvement de fond détecté à propos de l’échevinage. Les propriétaires rentiers sont restés une valeur sûre dans toute la période, avec un léger avantage quand même pour le premier xvii^e siècle.

Situations des frères, sœurs et beaux-frères des épouses des maires

34Si on enlève les trois célibataires et les deux notables pour lesquels nous manquons de renseignements, la base de l’enquête s’établit à 45 exemples. Après regroupement de tous les actes relevés dans les registres paroissiaux, nous n’avons aucune trace de parenté pour six épouses. Il est bien sûr délicat d’affirmer qu’il s’agit de filles uniques, la peur d’avoir laissé échapper un renseignement empêchant de conclure définitivement, mais le maximum de précautions assure la fiabilité des données. Cette situation concerne Yves Le Lou, Alexandre Charette, Jean Charette de La Gascherie, Louis Macé de La Roche, Joseph le Roulx de La Ville, André Boussineau de La Patissière.

35Dans les 39 exemples qui demeurent disponibles pour l’analyse, 15 concernent des frères et sœurs, 15 des frères et 9 des sœurs. Ces situations mettent en scène 92 personnes, 52 frères et 40 sœurs. Pour ces dernières, a été naturellement retenu l’état de leur époux, sauf pour celles qui sont entrées dans les ordres religieux.

36L’originalité du bilan ainsi proposé est de nettement dégager la situation de propriétaire rentier qui s’inscrit sans véritable concurrence à la première place de la hiérarchie catégorielle. Le parfait équilibre entre les frères et les beaux-frères donne encore plus de force à cette orientation très prisée dans les familles de notables. Nul ne saurait s’étonner du contraire, le fait de vivre de ses rentes, sans s’adonner à une activité professionnelle même intellectuelle ou gestionnaire, apparaissant comme le plus sûr moyen de s’opposer aux métiers manuels totalement méprisés par l’élite sociale qui se pressait autour du poste de maire de Nantes.

Situations sociales des frères et sœurs des épouses des maires

37Remarquons également la bonne tenue des grandes compagnies de justice avec une prime pour la chambre des comptes qui bénéficie du double privilège de sa définition comme cour souveraine anoblissante et de sa localisation à Nantes. Les cours nantaises sont davantage le domaine des frères, question sans doute de sédentarité et d’attachement à la cité avec le problème des propriétés immobilières, tandis que les sœurs ont été nettement plus orientées vers le parlement de Rennes, la mobilité géographique féminine apparaissant comme une des composantes naturelles du mariage. Le choix des offices de justice n’est cependant pas majoritaire, même en lui ajoutant les autres professions juridiques liées aux tribunaux. Cette relative faiblesse s’explique par l’épanouissement de catégories inconnues dans les origines paternelles, par définition même comme le clergé, ou par manque d’intérêt comme l’armée.

38L’importance du chiffre concernant le clergé, l’égale répartition entre hommes et femmes, les responsabilités importantes exercées par certains : tout confirme que l’état religieux restait bien une des composantes de la stratégie d’établissement de ces familles alliées à la mairie. Par contre, l’armée ne fait guère recette, spécialement dans les décisions concernant le mariage des filles. Il existe donc une coupure assez nette entre les familles tournées vers les carrières militaires et celles qui gravitent autour du poste de maire.

39Les catégories sous-représentées par comparaison avec les situations des pères des conjoints des maires correspondent surtout aux officiers des petites cours judiciaires et aux professions de procureur et d’avocat, mais aussi à l’activité commerciale. Dans le premier cas, cela s’explique par l’ascension sociale des familles. Si plusieurs indices nous ont déjà révélé que les familles de maire étaient plutôt aspirées vers le haut de l’échelle sociale, cette réalité montre qu’il en est de même pour les familles de leurs épouses où la deuxième génération occupe des situations plus brillantes que la première. Ce mouvement social explique également le très grand contraste entre pères et fils ou gendres au niveau de l’origine marchande. Rappelons qu’elle arrive au premier rang de l’analyse catégorielle dans le tableau concernant les pères des conjointes tandis qu’ici elle rétrograde dans les origines secondaires. L’égal partage entre filles et garçons confirme encore mieux la netteté de la tendance.

Situations sociales dans la parenté des maires (%), 1598-1720

40L’environnement familial des maires est caractérisé par la domination des officiers de justice dans tous les niveaux de parenté, avec une supériorité de la chambre des comptes sur le présidial, presque rejoint par le parlement pour les frères et sœurs et les alliances, mais aussi par une réévaluation du commerce au niveau des pères et beaux-pères et de la situation rentière pour les parents de la même génération. Toutes ces données confirment une réalité prévisible : le poste de maire de Nantes ne peut échapper aux familles déjà puissantes ou en forte ascension sociale.

Situations sociales de la parenté des échevins

L’environnement familial direct

Les situations paternelles

41De 1598 à 1639, l’échantillon donne 18 marchands, 3 officiers du présidial, un procureur du roi et un contrôleur de la prévôté, un procureur du roi des Eaux et Forêts, 4 auxiliaires de justice, 4 sieurs et 5 professions inconnues. Les chiffres correspondent à l’échantillon précédemment défini et justifié en introduction. À la génération précédente, les origines marchandes sont réévaluées puisqu’elles forment à peu près la moitié de l’échantillon. Ce rééquilibrage se fait surtout au détriment de la compagnie des Comptes qui disparaît et de celle du présidial et des cours inférieures de justice dont les représentations sont nettement resserrées. Les officiers de finances étant presque éliminés, et les auxiliaires de justice ne gagnant qu’un seul point, c’est donc bien le milieu marchand qui redéfinit sa position dans un meilleur rapport avec son importance numérique dans l’élite sociale nantaise35.

Les évolutions professionnelles chez les échevins : du père au fils, 1598-1639

42Dans une perspective de mobilité sociale et professionnelle, l’échantillon se partage par moitié entre une partie qui est caractérisée par le maintien dans le même milieu et une autre qui regroupe des individus en réorientation par rapport au milieu d’origine. Dans la catégorie de la stabilité, se trouvent bien sûr un grand nombre de marchands fils de marchands, mais aussi des membres de la judicature36. Peut-on parler de stabilité dans le cas de François Garreau, procureur fiscal au tribunal des régaires, échevin en 1630, puisque son père avait travaillé comme conseiller au présidial37 ? Si mouvement il y a, il s’agit plutôt d’un recul.

43De 1640 à 1668, l’amélioration du taux de présence de la marchandise déjà constatée pour le premier tiers du siècle s’affirme avec encore plus d’éclat puisque la proportion s’établit à 14 marchands pour 22 exemples disponibles, deux personnalités ne pouvant être situées avec des preuves solides. Il s’agit des pères d’André I Boussineau, marchand et receveur des décimes, originaire du Saumurois, et de Mathurin Babouard, marchand drapier, extrêmement lié dans les registres paroissiaux aux Frémon, eux aussi marchands drapiers, venus de Tours à Nantes au début du xvii^e siècle38 Les deux tiers sont presque atteints, ce qui ne laisse pas grand chose aux gradués en droit qui se répartissent en deux ensembles, les officiers de justice dominant encore, mais de façon nettement plus réduite, les avocats, procureurs et notaires. L’affaiblissement du lien entre l’échevinage et le couple dominateur formé par le présidial et la chambre des comptes, constaté au niveau des échevins est amplifié par les situations paternelles. À noter l’apparition au niveau des pères des offices seigneuriaux qui témoignent de l’intérêt que représente la municipalité de la grande ville pour des familles bourgeoises rurales ambitieuses.

Les évolutions professionnelles chez les échevins : du père au fils, 1640-1668

44De 1669 à 1720, les origines paternelles confirment bien quelques réalités sociologiques déjà observées. Le repli des officiers des Comptes et du présidial apparaît nettement. Cette désertion, définitive pour la première compagnie et momentanée pour la seconde, pose naturellement le problème de la dégradation de l’image de la municipalité au sein de l’élite nantaise.

45Les cinq pères non identifiés sont ceux de Pierre Du Cassia, marchand, échevin en 1673, Pierre Descazaux, marchand, échevin en 1674, Aubin Gendron, procureur et avocat, échevin en 1693, Jean Urien, procureur, échevin en 1698, Gilles Geffray, avocat, échevin en 170439. Ces lacunes tendent donc à défavoriser le poids des professions juridiques, mais la déformation statistique ne peut-être que très légère. Les représentations marchandes sont identiques tant au niveau des pères que celui des fils échevins, ce qui n’était pas le cas auparavant où la génération antérieure était nettement plus présente dans cette activité. C’est une confirmation de la saisie de l’institution municipale par le milieu marchand car les responsabilités sont de plus en plus exercées par des dynasties marchandes encore vivantes et non par des transfuges qui abandonnent les traditions familiales. Cette égalité à 25 exemples peut-être légèrement contestée à partir du cas de Jacques Mahot qui a fait toute sa carrière comme marchand droguiste avant d’acquérir à la fin de sa vie un office de conseiller du roi à l’amirauté (1692)40.

Les évolutions professionnelles chez les échevins : du père au fils, 1669-1720

46La surprise provient du recensement de quelques représentants des arts et métiers. Avec les deux maîtres chirurgiens, nous sommes dans l’art, à la frontière inférieure de la bourgeoisie urbaine. Philippe Guillaume de Cazalys, fils de chirurgien, a été reçu avocat au parlement et c’est à ce titre qu’il a d’abord été accepté comme syndic de la municipalité en 1658 après un échec à l’échevinage en 1657. Il n’a connu le succès qu’en 1675 seulement, après neuf ans de travail à la tête des services municipaux41. René Merlet, docteur en médecine et professeur d’Université, lui aussi fils de chirurgien, est appelé à l’échevinage de 1675 à 167842. Avec un exemple de maître peintre vitrier, nous entrons dans le monde des métiers qui participent régulièrement aux élections municipales et qui s’approchent ici d’une façon très forte d’une responsabilité dont ils sont exclus par définition. Le cas est cependant spécial. Alexis I Rolland, marchand et fils d’artisan n’est pas devenu échevin en 1694 en suivant le processus classique de désignation, mais parce qu’il s’est porté acquéreur d’un office d’assesseur, ce qui lui donne le privilège d’être inscrit automatiquement comme échevin pour le mandat qui suit son acquisition43^.

47En rapprochant cette situation de celle de Jean Loppes, autre assesseur par office, échevin installé en 1693, on voit mieux comment ces offices ont pu constituer comme une brèche dans une forteresse bien tenue par des familles établies. Jean Loppes, marchand issu d’un famille portugaise venue s’installer à Nantes au début du siècle, marié encore dans son milieu d’origine avec Jeanne Dies Henricques, trouve ainsi l’occasion de mieux s’intégrer dans l’élite nantaise44. Ces deux marchands auraient-ils pu bénéficier des parrainages nécessaires pour l’inscription sur la liste des éligibles ? Leur préférence pour l’office montre leurs doutes. La mévente des offices d’échevins et la volonté de les rattacher à la municipalité pour conserver le traditionnel processus de désignation a correspondu à une réaction de défense de l’oligarchie municipale qui ne souhaitait pas perdre le contrôle de son renouvellement et qui a vu avec inquiétude les effets de ces premières acquisitions.

48La dernière nouveauté de cette troisième période est liée aux origines géographiques de certains pères d’échevins encore en activité dans le milieu rural, dans le comté nantais. Ceci concerne surtout des familles de procureurs et de notaires. Le père du notaire Pierre de La Lande, échevin en 1689, pourrait bien être un notaire de Mesquer, mais cela n’est pas vraiment prouvé45. Maître Aubin Gendron, procureur au présidial et avocat au parlement, échevin en 1693, est né sur la paroisse de Bouvron46. Les ancêtres des procureurs Jean Urien, échevin en 1698, sortent de Saint-Étienne de Montluc et ceux de l’avocat Gilles Geffray, échevin en 1704, de la paroisse de Puceul47. Toutes ces origines nous emmènent vers des notaires de campagne ou des officiers de seigneuries. Cette tendance rapproche le recrutement de l’échevinage de la fin du siècle de celui des procureurs-syndics de la même période qui sortent du même milieu professionnel et pour lequel se vérifie les mêmes liens entre fonctions municipales et bourgeoisie rurale des offices seigneuriaux.

Les origines sociales et professionnelles des frères et beaux-frères

49Pour la première période (1598-1639), les résultats de l’enquête généalogique montrent un relatif équilibre entre deux grands groupes dominants, avec une légère supériorité de l’ensemble des gens de justice sur un autre ensemble formé par les marchands. Sur 67 citations, 25 pour les gens de justice, 23 pour les marchands, 4 pour les financiers, 10 pour les rentiers, 5 pour le clergé. Cette distribution doit être soulignée car elle ne correspond pas à celle dégagée des études sur les échevins eux-mêmes où l’avantage de la judicature était nettement plus affirmé. L’entourage formé par les frères et les sœurs avec leurs époux rapproche donc le milieu commerçant de l’échevinage.

50La composition interne de l’ensemble formé par les gens de justice ressemble beaucoup plus à celle des échevins qu’à celle de leurs pères ou de leurs oncles. Les cours de justice supérieures, comme la chambre des comptes et le présidial, sont très bien représentées. Cette différence entre les deux générations prouve bien que les échevins appartiennent à des familles en ascension sociale qui trouvent dans l’échevinage un élan supplémentaire. Dans les résultats obtenus pour les officiers de justice, ce sont surtout les alliances des sœurs qui apportent le plus d’exemples. Les quatre exemples d’officiers de finances qui apparaissent du côté des garçons sont à mettre en relation avec la bonne représentation marchande et la mobilité sociale, car il existe souvent une progression logique de la marchandise à la finance.

51En dehors des deux grands ensembles qui s’équilibrent donc à peu près, le troisième pôle correspond à la bourgeoisie rentière avec naturellement des possesseurs de sieuries et des filles de famille bourgeoise non mariées ayant reçu quelques biens de leurs parents pour assurer leur existence. L’état religieux est aussi illustré. Il suggère le succès du Carmel auprès de l’élite nantaise puisque c’est toujours l’ordre cité en premier, mais aussi l’infériorité avec les familles de maires où les chanoines sont apparus plus nombreux.

52Dans la deuxième période (1640-1668), qui correspond au rééquilibrage des origines marchandes avec l’ensemble des gens de justice au niveau de l’échevinage lui-même, les orientations des frères et des sœurs des élus assurent un énorme avantage au milieu marchand. Sur 53 citations, 30 pour les marchands, 11 pour les gens de justice, 2 pour les financiers, 6 pour les rentiers et 4 pour le clergé. Les officiers des Comptes et du présidial n’ont pas disparu, mais leur proportion est nettement affaiblie et cela ne profite pas aux autres professions juridiques qui gravitent autour des tribunaux nantais. La suprématie du groupe marchand ne venant pas d’une déformation statistique, puisque c’est principalement dans ce milieu que se situent les échevins pour lesquels nous n’avons recueilli aucun renseignement, il faut interpréter ce rapport de force comme un témoignage supplémentaire des modifications du positionnement de la municipalité vis à vis des différentes strates de l’élite sociale nantaise aptes à lui fournir des échevins. Pour les groupes secondaires complémentaires, la structure dessinée dans les premières décennies perdure puisque le groupe rentier a la même composition et que les vocations religieuses ont conduit ces enfants de bourgeoisie vers les cures ou le Carmel.

53Dans la dernière période (1669-1720), les renseignements recueillis mettent en scène cent personnes dans une répartition relativement équilibrée avec 47 frères et 53 sœurs ou beaux-frères. Leurs situations confirment nettement l’investissement massif de l’échevinage par l’élite marchande qui relègue loin derrière elle tous les autres milieux. Le relevé des citations donne 51 marchands, 18 hommes de justice, 23 rentiers, 3 militaires, 4 clercs et un médecin. Les gens de justice n’ont plus ici qu’une importance très secondaire, mais la structure interne de ce groupe se conserve bien malgré la marginalisation. Dans la logique de la composition de l’échevinage, le sous-ensemble des procureurs et avocats dépasse naturellement les officiers, mais il faut remarquer que ceux-ci ne disparaissent pas complètement comme pour les échevins. D’une manière curieuse, les Comptes sont plutôt mieux placés que le présidial, contrairement aux observations établies à propos du recrutement des échevins. Cela signifie donc que pour les familles en forte ascension sociale, ce n’est pas la branche connaissant la promotion la plus brillante qui s’intéresse à l’échevinage qui apparaît dans ce cas de figure comme une distinction de compensation.

54Pour la première fois à ce niveau de parenté, le groupe formé par les rentiers dépasse numériquement celui des gens de justice. Cela est principalement dû au gonflement du nombre de propriétaires de sieuries et de celui des filles non mariées. Si les premières observations cadrent bien avec l’image de familles marchandes conquérantes dont certains membres adoptent déjà un genre de vie noble en s’occupant principalement de leurs propriétés foncières, il est bien délicat de tirer des leçons du plus grand nombre des « filles anciennes ». La composition du clergé présente un peu plus de diversité. Il faut regarder comme un fait très extraordinaire la présence de trois militaires dont l’absence régulière de nos relevés effectués dans la parenté des échevins demeure plutôt la caractéristique essentielle.

L’environnement familial par alliance

Les situations des beaux-pères

55Sur les 37 exemples de l’échantillon de 1598-1639, il s’est trouvé deux célibataires : le conseiller au présidial Antoine du Fouay et le procureur fiscal aux régaires François Garreau. Par contre, sept échevins se sont mariés deux fois, ce qui conduit à étudier 42 familles associées à l’échevinage par le seul fait d’une alliance matrimoniale.

56Les actes ont permis de retrouver 25 marchands, un conseiller au parlement, un maître et trois auditeurs à la chambre des comptes, un lieutenant civil et criminel au présidial, un avocat, un trésorier des États de Bretagne, un receveur des décimes de Bretagne, un receveur des fouages de l’évêché de Dol, quatre sieurs. Une large majorité d’échevins n’a pas hésité à prendre femme dans l’élite marchande, bien que cette orientation professionnelle ne soit pas en elle-même très porteuse pour l’accès à la municipalité. Les unions entre familles corrigent ainsi l’orientation du corps politique qui répugne à confier trop de responsabilités administratives à un milieu dont l’image politique s’est fortement dépréciée au début du siècle. Ce décalage montre bien comment, pour un nombre important d’échevins, la cooptation et l’élection à l’administration municipale se sont opérées au moment même du passage décisif de la marchandise aux carrières juridiques. L’élévation dans l’échelle des dignités correspondant à ce changement d’orientation professionnelle donne un élan supplémentaire aux notables qui cherchent à s’intégrer dans l’ordre municipal nantais. L’échevinage est ainsi appelé à confirmer pour le public la réalité de la progression de la réputation familiale.

57Dans notre échantillon, si la chambre des comptes résiste bien, la compagnie du présidial est presque éliminée et les cours inférieures disparaissent. Par contre, on observe avec surprise la présence d’un conseiller au parlement de Bretagne48. Les professions juridiques secondaires souffrent aussi beaucoup de la densité marchande, comme les gens du présidial desquels ils sont très proches par leur genre de travail. Par contre, les gens de finances sont situés dans cet échantillon au même niveau que les échevins eux-mêmes, ce qui n’est jamais arrivé dans aucune des catégories analysées dans ce chapitre.

Les couples professionnels échevin/beau-père, 1598-1639

58Les 24 notables regroupés dans l’échantillon de 1640-1668 ont tous pris femme et six d’entre eux l’ont même fait deux fois, ce qui conduit à l’analyse de trente familles conjointes. Pour cinq d’entre elles, la documentation reste imprécise et n’autorise qu’une approximation, avec peut-être deux familles marchandes contre trois autres de judicature. Pour les 25 beaux-pères restants la situation est plus claire : 12 marchands, un sénéchal du Chapitre, un premier commis au greffe du présidial, un avocat, deux procureurs et trois notaires, un prévôt des orfèvres à la Monnaie et quatre sieurs.

59Les origines marchandes représentent environ la moitié de notre base sociale, ce qui se situe à mi-chemin entre les résultats obtenus pour les échevins et pour leurs pères. À la différence de la première partie du siècle où nous avions constaté une réévaluation de l’importance du monde du commerce par les mariages, il est ici plus juste de parler de confirmation du nouvel équilibre qui s’est mis en place dans l’élite échevinale.

60Pour la configuration de l’ensemble des gens de justice, l’évolution paraît de plus forte ampleur. La compagnie des Comptes n’est plus citée, le présidial a presque disparu. Certains corps encore représentés ne le sont plus qu’avec une image très dégradée, ainsi un simple premier commis au greffe au lieu de l’avocat du roi pour le présidial et un prévôt des orfèvres au lieu d’un maître à la Monnaie de Nantes. De même, la composition de l’ensemble des professions juridiques secondaires, de volume légèrement supérieur à celui des échevins, reste légèrement inférieure en dignité. Ainsi les alliances matrimoniales confirment bien la redéfinition partielle de la base sociale de l’échevinage déjà signalée à plusieurs reprises, ce qui correspond à une dégradation de l’importance sociale de l’institution dans l’élite nantaise, avec plus spécialement ici la quasi-disparition des officiers royaux.

Les couples professionnels échevin/beau-père, 1640-1668

61Dans le corpus 1669-1720, tous les notables se sont mariés et trois d’entre eux l’ont même fait deux fois, ce qui donne 42 origines socio-professionnelles. Les familles Le Breton49, Aumenay50, Sauvan51 et Mazureau52 posent problème par manque d’information. Pour tous les autres, les situations sont claires : 30 marchands dont un receveur des décimes et un directeur de la compagnie des Indes, un avocat, quatre procureurs, un greffier des Traites, un notaire des régaires, deux officiers seigneuriaux, un chirurgien, un sieur.

Les couples professionnels échevin/beau-père, 1669-1720

62Le bilan statistique confirme avec netteté la désertion des officiers des grandes cours de justice qui ont complètement abandonné le champ d’action municipal pendant le règne de Louis XIV. Ce divorce entre la haute robe nantaise a profité spécialement à la basoche grâce aux alliances matrimoniales, mais aussi à des familles d’officiers seigneuriaux encore résidantes dans les paroisses rurales du comté et très intéressées par une intégration dans la bourgeoisie nantaise. Le triomphe du milieu marchand trouve ici une confirmation plus éclatante avec une proportion encore plus élevée que dans le cas des échevins ou de leurs pères. Les origines des beaux-pères amplifient plutôt les grandes tendances observées à l’examen des familles échevinales.

Les situations sociales et professionnelles des frères et des sœurs des conjointes

63Nous pouvons présenter 87 situations pour les quatre premières décennies du xvii^e siècle : deux conseillers au parlement, sept officiers des Comptes, huit du présidial, dix avocats, quatre procureurs et un notaire, cinq officiers de finances, 32 marchands, 13 rentiers, cinq membres du clergé, c’est-à-dire un équilibre entre les gens de justice et les marchands. Par rapport à la génération antérieure analysée à travers les situations de leurs pères, plusieurs différences montrent que l’ensemble formé par les beaux-frères des échevins occupe une position originale. Si la proportion des officiers de justice est à peu près la même, malgré quelques points d’infériorité pour les pères (18-20 %) et la présence de chaque côté des trois plus grandes cours en rapport avec la ville de Nantes, il n’en n’est plus de même lorsque l’on considère l’ensemble formé par les gens de justice. Les professions d’avocat et de procureur très bien placées chez les beaux-frères sont presque absentes du tableau des beaux-pères. L’appréciation chiffrée de l’importance relative de ces professions juridiques fait ainsi apparaître une nette différence avec environ 37 % d’influence chez les beaux-frères et seulement 20 % chez leurs pères. De même, une mesure du poids relatif des marchands oppose d’un côté les beaux-pères où l’on oscille entre 50 et 60 % de l’échantillon et de l’autre côté leurs fils et gendres où l’on retombe à 37 % de l’effectif.

64Dans la génération des parents, la marchandise domine les gens de justice ; dans celle de leurs enfants, les deux groupes s’équilibrent exactement. L’ensemble social et professionnel des beaux-frères correspond donc mieux à la ventilation des origines des échevins, ce qui apparaît d’une très grande logique puisque tous font partie de la même génération. Les rentiers, qui pèsent plus lourds chez les jeunes, et les carrières ecclésiastiques, qui ne peuvent naturellement pas apparaître au niveau des beaux-pères, contribuent encore à accentuer les différences entre les deux profils. Nous n’avons pas relevé, malgré une attention soutenue dans l’analyse des sources, de vocation religieuse féminine alors que le côté masculin est classiquement illustré.

65Pour mieux situer ces notables alliés par mariage, comparons les également aux frères et beaux-frères directs des échevins, puisque tous font partie de la même génération. En se tenant à l’équilibre général des différents états et à leur importance relative, on conclut assez vite à une assez grande ressemblance des profils ainsi constitués. De chaque côté, l’ensemble des gens de justice équilibre à peu près l’ensemble des marchands et ces deux groupes dominants forment près des trois quarts de l’échantillon. Il n’existe pas de différence majeure dans le poids de chaque orientation, sauf pour les professions juridiques qui atteignent un chiffre très important du côté des parents des conjointes. Ainsi, dans la catégorie des officiers de justice, les parlementaires apparaissent-ils comme accidentellement tandis que les officiers des Comptes et du présidial équilibrent leurs positions dominantes. Les officiers de finances, le clergé et les propriétaires rentiers s’inscrivent à des niveaux relevés dans plusieurs tableaux proposés.

Comparaison des situations des frères et sœurs des échevins et de leurs épouses, 1598-1639

66Pour la séquence 1640-1668, 72 citations : trois officiers des Comptes, deux du présidial, trois officiers des petites cours nantaises, six avocats, quatre procureurs et deux notaires, un officier de finance, un maître chirurgien, 32 marchands, dix sieurs, huit membres du clergé, soit seulement vingt gens de justice. Les trois compagnies judiciaires supérieures sont nettement sous-représentées au profit d’une augmentation des offices inférieurs de justice et du milieu commercial, même si l’apparition d’offices de greffier et huissier permet à la compagnie des Comptes d’être encore citée ici. L’importance relative du clergé est aussi beaucoup plus nette sans qu’on puisse en tirer des conclusions précises. Par contre l’émergence d’offices seigneuriaux du duché de Retz ou de la baronnie d’Ancenis marque bien la spécificité de cette deuxième phase. De même, dans la représentation marchande, existent des commerces non précisés auparavant. Du côté des frères, signalons un maître orfèvre et du côté des beaux-frères un marchand poëllier et un maître apothicaire. Cela montre comment l’élite des arts et métiers frôle par ses alliances matrimoniales le cercle municipal, tandis que l’entrée libre aux assemblées électives leur assure un certain pouvoir de sélection. La présence d’un maître apothicaire, qui a sa correspondance dans l’échevinage lui-même, est à rapprocher de la citation du maître chirurgien, ce qui souligne un rapprochement entre milieu médical et échevinage à cette période.

Comparaison des situations des frères et sœurs des échevins et de leurs épouses, 1640-1668

67Insistons sur la gémellité de ces deux profils qui permettent de constater en parallèle l’affirmation marchande, l’abaissement des offices de justice, l’arrivée du monde médical, l’écrasement des finances, la bonne tenue d’un clergé essentiellement masculin. Il existe bien des nuances dans la répartition mais elles ne remettent pas en cause l’impression d’harmonie qui se dégage du tableau. La seule note vraiment discordante concerne le poids relatif des avocats et procureurs vraiment sous-représentés du côté de la parenté directe.

68Pour le corpus 1669-1720, le relevé des situations donne deux gardes des archives à la chambre des comptes, deux avocats du roi au présidial, un lieutenant de l’amirauté, un procureur du roi aux Traites, trois officiers seigneuriaux, huit avocats, six procureurs, deux notaires, un médecin et un chirurgien, deux officiers de finances, 54 marchands, 14 rentiers, un prêtre, soit seulement 25 professions juridiques. Le redéploiement qui s’ébauchait dans la période intermédiaire a pris toute son ampleur avec l’arrivée en force du monde marchand dans la sphère municipale où le terrain laissé libre par les officiers n’a pu être conservé par les autres gradués en droit. Dans les comparaisons internes, retenons l’affaissement difficilement explicable du clergé. Faut-il penser que les familles de justice donnent plus d’enfants à l’Église que les familles marchandes ? Les rares offices de justice qui apparaissent encore appartiennent au dernier rang des compagnies, ce qui éclaire défavorablement l’office d’avocat du roi au présidial. Le maintien des offices seigneuriaux confirme le rapprochement qui s’est opéré entre l’échevinage et la bourgeoisie rurale des villes moyennes du comté, ce qui témoigne encore d’une certaine dévalorisation de l’institution. Par contre l’affleurement de certains marchands relativement proches de la production qui révélait une proximité plus grande de l’élite des arts et métiers n’est pas confirmé, les marchands en gros et les marchands drapiers formant à eux seuls l’échantillon touché par notre enquête. La présence de maîtres chirurgiens sur les deux dernières phases prouve une meilleure intégration du monde médical dans le corps municipal à partir du milieu du xvii^e siècle.

Comparaison des situations des frères et sœurs des échevins et de leurs épouses, 1669-1720

69Toujours la même ressemblance : une moitié de l’effectif avec des origines marchandes, la faible part des officiers de justice, l’affirmation des gradués en droit non officiers royaux, le gonflement des rentiers. Parmi les discordances, notons principalement le renforcement des avocats et procureurs et officiers seigneuriaux dans la parenté de l’épouse, mais l’ouverture plus grande de celle de l’époux vers la rente propriétaire et les carrières militaires ou religieuses, s’il est possible de raisonner sur des chiffres aussi faibles pour ces deux dernières options.

70Pour synthétiser la diversification des composantes de l’élite sociale plus ou moins reliées par parenté aux échevins nantais, le graphique suivant rassemble toutes les données des trois phases étudiées.

Situations sociales dans la parenté des échevins (%), 1598-1720

71Pour mieux situer l’environnement familial des échevins, le tableau suivant permet une comparaison avec celui des procureurs-syndics nettement plus centré sur les professions de la judicature seconde.

Situations sociales dans la parenté des syndics (%), 1598-1720

72Les familles de syndic et les familles alliées n’ont pas le même profil. Le caractère principal des premières est d’être centrées sur le niveau de recrutement des syndics eux-mêmes, c’est-à-dire la catégorie des avocats et des procureurs qui dominent aussi bien au niveau des pères que des frères et sœurs. Cette position principale nettement dominante est entourée à distance par quatre orientations secondaires à peu près équilibrées : les offices seigneuriaux, la marchandise, la rente propriétaire, l’église. Par contre, les familles alliées ne sont pas focalisées sur les catégories professionnelles qui servent de vivier pour la charge de syndic car elles sont plus orientées vers l’horizon commercial qui se détache très nettement au niveau des beaux-pères et beaucoup moins au niveau de leurs enfants. La répartition des polarités secondaires est aussi original puisque l’état de propriétaire domine la carrière officière alors que l’état religieux ne semble avoir tenté personne. Ces traits d’ensemble montrent comment les alliances matrimoniales élargissent l’aire sociologique concernée par la fonction de procureur-syndic municipal qui semblait, dans un premier temps, ne concerner qu’une catégorie bien ciblée.

Conclusion

73La reconstitution de l’environnement familial des maires, échevins et procureurs du roi syndics confirme que ce ne sont pas les mêmes types de familles qui entrent en compétition pour l’obtention des différentes responsabilités du bureau municipal.

74Ce sont les familles nettement orientées vers les carrières juridiques qui parviennent le plus facilement à obtenir le poste de maire puisque dans tous les niveaux de parenté envisagés, le groupe des hommes de loi domine le reste des autres orientations. Ces gens de justice sont d’abord des officiers du roi et, fait notable, plus souvent à la chambre des comptes qu’au présidial, ce qui inverse le rapport constaté pour les maires eux-mêmes. Les carrières au parlement de Bretagne, bien représentées au niveau des frères et sœurs et dans la belle famille, parviennent même à rivaliser avec celles de la cour de Nantes en importance numérique. À tous les niveaux, les offices des cours secondaires ou des tribunaux seigneuriaux comme les professions d’avocats ou de procureurs ne donnent qu’une fraction marginale de l’ensemble des hommes de loi. Ces différences avec les situations des maires sont des indices de mobilité sociale ascensionnelle car les offices les plus relevés sont plus nombreux à la génération du maire qu’à celle qui la précède. Les origines marchandes, qui comptent pour un cinquième au niveau des parents, tombent à un dixième au niveau des frères et beaux-frères, ce qui est également un signe de progression sociale. Les situations nouvelles qui créent une originalité mettent surtout en valeur la rente propriétaire dont les représentants oscillent de 15 à 25 %. C’est par la parenté que se trouve donc réintroduite dans la sphère municipale une importante composante de l’élite urbaine qui est systématiquement exclue des responsabilités administratives. Les chiffres les plus forts, étant liés eux aussi à la génération des élus, livrent un nouvel indice d’une mobilité ascendante. Si la présence de parents dans les dignités importantes du clergé nantais était attendue, le faible intérêt des familles pour les carrières militaires doit être souligné. Les constellations familiales qui gravitent autour de la charge de maire appartiennent vraiment à la bourgeoisie ou la noblesse de robe.

75L’ensemble sociologique relié à l’échevinage a un visage tout à fait différent puisque le milieu commerçant apporte à lui seul la moitié des citations, surtout dans la génération antérieure où le seuil est même dépassé. L’ensemble des hommes de loi ne parvient pas à lutter contre cette concurrence et se contente de taux de présence variant entre 23 et 30 %. À l’intérieur de ce groupe de gradués en droit, la répartition n’est pas du tout la même que pour les maires puisque ce sont les professions non officières qui assurent l’essentiel à tous les niveaux de parenté. Par contre, dans les offices, les Comptes surpassent le présidial, spécialement dans la génération de l’échevin, ce qui indique aussi une mobilité sociale ascendante. Les justices seigneuriales ou les cours inférieures de justice royale ne suppléent guère au repli des grandes compagnies nantaises. Comme pour les maires, les situations de propriétaires rentiers, jouissant par exemple d’une sieurie, composent une part importante de l’échantillon, alors qu’elles interdisent les candidatures à l’échevinage. Les taux les meilleurs se lisent sur la génération des échevins, ce qui est encore un signe de progression sociale. En dehors de ces trois grandes orientations, les vocations religieuses ou militaires paraissent très marginales, même si du côté des frères ou des sœurs l’attrait du clergé se fait un peu mieux sentir.

76L’orientation professionnelle des procureurs syndics, qui sont tous avocats et quelques uns officiers seigneuriaux, est beaucoup mieux conservée par leur parenté directe que par leur famille par alliance où une diversification plus grande s’effectue, spécialement au profit du milieu marchand au niveau des beaux-pères. Dans le premier cas, l’ensemble des officiers seigneuriaux et des professions d’avocats, procureurs ou notaires, forme de 48 à 61 % de toutes les citations relevées. Le milieu familial apparaît ainsi nettement homogène. Comme des situations rentières sont également assez fréquentes, ces priorités donnent un air de ressemblance aux constellations familiales ayant donné des échevins et des syndics, même si la hiérarchie interne entre marchandise et professions juridiques est ici renversée au profit des secondes.

77La reconstitution des ensembles familiaux centrés sur les élus municipaux montre très bien comment toutes les grandes composantes de l’élite sociale urbaine sont ainsi rassemblées autour de l’administration municipale. Les nuances observées entre les générations ont aussi donné à plusieurs reprises l’image d’un groupe social en ascension. La quasi absence de mentions de maîtres artisans, sauf dans la seconde moitié du siècle pour quelques familles échevinales, illustre très bien ce rejet des professions « mécaniques » et le souci d’une certaine ancienneté de notabilité qui préside à la cooptation.