1Si la cooptation préalable garantit la perpétuation de l’oligarchie, les arbitrages du corps politique nantais et du pouvoir royal poussent ou freinent ses diverses composantes. Comme partout, la compétition met aux prises les gens de justice et les grands marchands. Les votes nantais mesurent la capacité des familles à mobiliser un réseau d’amitié ou de clientèle. Les décisions royales marquent les préférences politico-administratives d’une monarchie soucieuse d’améliorer le contrôle de ses sujets. L’observation de ces convergences ou de ces divergences éclaire ainsi les bases sociologiques du compromis passé entre la monarchie et les notables dans le contrôle d’une grande ville au temps de la progression de l’absolutisme.

Les origines des maires

L’expression politique nantaise

2Il existe deux manières de mesurer cette expression. En ne retenant que le plus fort suffragé, on recrée les conditions électorales d’avant 1598, avec liberté totale de décision. C’est la meilleure image de l’idéal nantais. Toutefois, la ville ayant dû subir une amputation de ses privilèges comme sanction de ses aventures ligueuses, il faut naturellement prendre en compte l’expression définie selon les règles imposées par l’absolutisme royal.

La liste idéale des maires selon les suffrages nantais, 1598-1719

3L’établissement de la liste des premiers suffragés présente quelques difficultés. Des lacunes dans les registres de délibération, spécialement au début du siècle, empêchent de déterminer avec certitude le candidat le mieux placé pour douze élections1. D’autre part, la nouvelle organisation du maréchal de La Meilleraye, en vigueur de 1644 à 1653, empêche, par sa nature même, de connaître le vainqueur aux « piques » sans consultation des procès-verbaux de l’assemblée électorale. Or ceux-ci ont tous disparu et le greffier ne note pas le nombre de piques dans le registre des délibérations. Enfin de 1693 à 1715, le poste de maire, transformé en office royal, n’a donné lieu à aucune élection. Restent 73 élections analysables.

4L’expression de la minorité d’habitants qui participe à la vie politique locale plébiscite les deux grandes cours de justice royale de Nantes. L’esprit du temps établit fortement le lien entre l’expérience administrative, le prestige social des officiers royaux et la direction des affaires urbaines. Le respect de l’autorité royale pousse à rechercher le maximum de cohérence entre l’administration municipale et les représentants locaux de la justice royale. La conscience de la nécessaire dignité du corps de ville qui doit incarner avec éclat la communauté urbaine dans les fêtes et représentations, mais aussi se faire entendre des tuteurs de l’administration royale, que ce soit le parlement de Bretagne, le gouverneur du comté et plus tard l’intendant de la province, favorise la promotion des officiers de justice. Les plus importantes des compagnies officières captent à leur profit ce besoin de protection et ce patriotisme urbain. Le sénéchal de Nantes et le président du présidial apparaissent ainsi prédestinés à la direction de la ville, de même que leurs lieutenants. Les présidents de la chambre des comptes bénéficient du même effet. La faible notoriété des marchands étonne quand même dans une cité respectée pour son commerce.

Premiers suffragés pour le poste de maire, 1598-1719

5Ce divorce patent entre la marchandise et la direction du bureau municipal marque d’ailleurs une spécificité du xvii^e siècle car, dans le premier demi-siècle municipal (1565-1597), dans des conditions d’expression identiques à celles mesurées dans cette première phase de l’analyse, un corps électoral sans doute fort ressemblant avait manifesté d’autres préférences. Dix marchands avaient mieux équilibré un ensemble de onze officiers (4 pour le groupe Sénéchaussée-présidial, 5 pour les Comptes, 2 au parlement) complété par deux avocats. Bien que le rapport des forces fût déjà en faveur de la robe (13/10), l’élite marchande disposait quand même d’une excellente image2. Le siècle suivant surprend donc d’autant plus avec cet effacement quasi-total. Il faut également remarquer que les trois marchands poussés vers la mairie ne le sont que dans le dernier tiers du siècle, signe d’un redressement tardif de l’image politique de ce milieu.

Une orientation plus générale du corps politique

6Le règlement de 1598, qui oblige à proposer trois notables pour le poste de maire, porte en lui-même l’idée de l’égalité des chances de ces personnalités devant la souveraineté royale. Ainsi s’avère-t-il utile de dresser le tableau des préférences du corps politique nantais à partir des trois meilleurs suffragés.

7L’enquête s’établit sur les résultats de 83 élections de 1598 à 1719, ce qui donne donc 249 propositions au pouvoir central3. Naturellement, des notables sont présentés plusieurs fois, mais ces répétitions ne sauraient dénaturer l’analyse puisqu’il s’agit d’une recherche sur les fonctions occupées qui sont ainsi hiérarchisées.

8Les résultats confirment la prééminence de la Sénéchaussée et du présidial comme tremplin vers le poste de maire de Nantes, même si le chiffre des proposés est relativement plus faible (59,5 % contre 69,8 %). Les premiers officiers de la cour de Nantes sont ainsi plébiscités par le corps politique. Les offices de sénéchal, président du présidial, alloué ou lieutenant général du présidial semblent mener automatiquement à la direction de la municipalité. Ils comptent pour 91 exemples sur les 249 étudiés, soit environ 31 % du total. Leur influence s’étale bien sur l’ensemble de la période. La plupart des notables qui ont exercé ces charges ont été proposés au roi pour la conduite de la ville. Les offices du ministère public, procureur et avocat du roi, offrent également de très grandes chances de succès. Les offices de conseillers juges sont de rendement inférieur, même si 41 mentions ont été recensées. Ces officiers étaient beaucoup plus nombreux au sein de la compagnie (7 en 1511, 12 en 1692, 15 en 1719).

9Malgré leur supériorité honorifique, les officiers des Comptes sont infiniment moins proposés pour le poste de maire : 23 % des nominations avec le premier suffragé, 19 % seulement avec la triade. Plusieurs explications permettent de comprendre ce décalage. La compagnie paraît avoir été gagnée vers le milieu du xvii^e siècle par un sentiment de supériorité qui s’est traduit par le mépris des institutions municipales et le boycott des assemblées ouvertes où elle était appelée à déléguer ses députés. Cette moindre liaison vient aussi d’un simple problème résidentiel. Le privilège d’anoblissement attire la haute bourgeoisie des villes voisines ou même des provinces périphériques. Comme les officiers travaillent par semestre, l’installation définitive à Nantes n’est pas obligatoire. Il n’existe pas encore d’étude sur les origines des officiers des Comptes au xvii^e siècle. Dans la deuxième moitié du xviii^e siècle, les officiers de famille nantaise sont très minoritaires. Si la Bretagne fournit peu, l’Anjou surtout, mais aussi le Poitou sont bien représentés. Manifestement cette stratégie d’anoblissement intéresse des familles du présidial d’Angers, mais aussi des officiers des élections, des receveurs des tailles, et même des officiers seigneuriaux. Les familles des présidiaux recherchent les offices de maître, tandis que les auditeurs sont plutôt fils d’officiers seigneuriaux ou d’avocats4.

Origines professionnelles des candidats maires présentés au roi

10Ces différences sont bien perçues par les électeurs nantais. Par patriotisme urbain, pour maintenir au plus haut l’honorabilité du premier magistrat de ville, ils manifestent nettement leur préférence pour les candidats propriétaires d’offices de président, de maître et de trésorier de France, général des finances (38 charges sur 48). La promotion d’un auditeur n’est possible que dans la deuxième moitié du siècle au moment où la compagnie prend ses distances vis-à-vis de l’institution municipale.

11Les élections du xvii^e siècle témoignent de l’érosion de prestige dont sont victimes les cours inférieures de justice qui se partageaient le territoire urbain dans des proportions très inégales. Les régaires, tribunal de l’évêque qui conservait le privilège de juger en première instance les roturiers de son fief, représentait certainement le plus ancien pouvoir judiciaire de la cité. Son ressort couvrait les paroisses Notre-Dame, Saint-Jean, Saint-Laurent, Saint-Vincent, Sainte-Radegonde, c’est-à-dire de toutes petites unités de la partie la plus ancienne de l’espace urbain, recroquevillées autour de la collégiale, la cathédrale et le château.

12La prévôté, créée au x^e siècle, avait autorité sur les paroisses Sainte-Croix, Saint-Denis, Saint-Léonard, Saint-Saturnin et Saint-Nicolas, ainsi que la banlieue sud. Cette cour a connu un moment très difficile dans la décennie 1560 puisqu’elle vit ses pouvoirs de police urbaine largement rognés par le code municipal du 2 décembre 1564, confirmé par lettres patentes du 29 août 15705. La résistance fut compromise par la suppression momentanée entre 1566 et 1568. La transaction du 7 août 1581 aboutit au partage du tribunal de police avec les maires et échevins6. Toutes ces vicissitudes semblent avoir marqué négativement la cour dans l’esprit du public. Le prévôt n’est cité que deux fois pour le poste de maire de 1598 à 1719. Le sénéchal des régaires semble avoir mieux résisté, peut-être parce que son tribunal n’a jamais été aussi contesté. Néanmoins, les citations se regroupent toutes sur le début du siècle. Ensuite, la fonction ne porte plus.

13Des blocages défavorisent l’élite commerciale. La prise en compte de la triade gagnante corrige légèrement le chiffre extrêmement faible obtenu avec le relevé des premiers suffragés, avec une réévaluation de 4,1 % à 16,5 % qui n’inverse pas pour autant les conclusions dégagées. L’hypothèse d’un maire marchand ne séduit guère le corps politique et la capacité de mobilisation des familles demeure très insuffisante, à l’image de Lyon, mais à la différence de Marseille7. Sur les onze notables honorés, huit s’adonnaient au commerce de mer et trois étaient de puissants marchands de draps et soie.

14La principale nouveauté apportée par ce complément d’analyse intéresse surtout la chronologie du vote marchand qui met particulièrement en valeur la spécificité des quarante premières années du siècle où le divorce est quasi-total entre la bourgeoisie commerciale et le corps politique nantais. Seules quatre mentions concernant deux familles dans la première décennie empêchent la disjonction complète8. Entre 1608 et 1638, aucune promotion ! La sélection de deux marchands en 1641 est le signe d’une mutation9. La réforme électorale du gouverneur La Meilleraye a naturellement favorisé quelques familles bien en vue10. Dans les douze années qui suivent son abandon (1654-1665), le corps politique n’accorde sa faveur qu’une seule fois à un marchand, ce qui marque la fragilité du redressement de l’image politique du négoce. Toutefois à partir de 1666, un nouveau climat s’installe et les électeurs ne craignent plus de pousser un négociant vers la première magistrature. De 1666 à 1692, 16 élections sur 27 ont permis l’élévation d’un marchand, les périodes les plus favorables étant 1666-1672 et 1678-1688 puisque dans les années qui précèdent la transformation de la charge en office vénal, une poussée des conseillers au présidial gomme la présence marchande. Cette conjoncture meilleure met en avant trois nouvelles familles11^.

Les maires nommés par le pouvoir royal

Les situations professionnelles

Origines professionnelles des maires de Nantes

Maires de Nantes et stratigraphie de l’élite urbaine

15En rapprochant la liste réelle des maires en place de 1598 à 1719 de celle qu’aurait façonnée une libre expression du corps politique, il est possible de dégager l’influence sociologique des arbitrages royaux12^.

Comparaison des choix des Nantais et de la monarchie, 1598 1720

16La monarchie a légèrement réduit la suprématie incontestable de l’ensemble Sénéchaussée-présidial, mais s’est alignée volontiers sur le niveau souhaité pour la chambre des comptes13. Les petites cours de justice sont plutôt bien traitées, même si la prévôté est oubliée. Le commerce est revu à la hausse, mais sans exagération. La modestie des ajustements demeure le trait le plus frappant de cette mise en parallèle14. Cette impression est d’ailleurs confortée par le rapprochement avec les résultats de l’ensemble des propositions fournies au pouvoir central. La réduction de l’hégémonie de la cour de Nantes était suggérée par les électeurs eux-mêmes, de même qu’une meilleure considération du monde marchand. La monarchie est donc finalement bien en phase avec toutes les nuances d’expression du corps politique. Elle garde tout de même sa liberté d’action puisqu’elle n’épouse pas la suggestion d’affaiblissement de la compagnie des Comptes et qu’elle se montre très modérée dans la revalorisation du monde marchand.

Les origines géographiques

17La plupart des cinquante maires qui se sont succédés de 1598 à 1720 sont originaires de Nantes puisque sept d’entre eux au maximum n’y sont pas nés. Le comté nantais concentre six exemples avec les deux Blanchard à Fay-de-Bretagne15, Fournier à Ancenis16, Chevalier à Legé17, Proust à Bouguenais18 et peut-être Cassard à Saffré19. Ces deux dernières familles sont cependant installées à Nantes depuis au moins le début du xvi^e siècle. Seul René de Pontual, né à Saint-Lunaire, évêché de Saint-Malo, attiré par l’office de procureur général aux Comptes, est vraiment extérieur à la mouvance nantaise20. En acceptant l’hypothèse la plus sévère, restent donc 45 maires liés par leurs ascendants à la ville de Nantes. Plutôt que de s’arrêter sur ce chiffre fort logiquement dominant puisqu’il s’agit de notables choisis comme maire de leur cité, soulignons plutôt l’importance relative de la petite minorité extra-nantaise qui témoigne de la fluidité de l’élite politico-sociale qui admet sans états d’âme l’arrivée de non-originaires à la direction des affaires urbaines.

18Les paroisses de naissance de 34 maires sont connues précisément. Pour 9 autres cas, la probabilité est fort grande. Sur cet ensemble de 43 localisations, six paroisses intramuros fournissent la quasi-totalité des exemples21. La zone centre est, avec les paroisses Saint-Denis, Saint-Vincent et Sainte-Croix, est particulièrement mis en valeur avec 25 notables sur 43. Si la partie nord (Notre-Dame et Saint-Léonard) ne donne presque rien, la zone sud-ouest (Saint-Saturnin et Saint-Nicolas) retient 11 notables sur 43. L’opposition classique des paroisses de l’est où se concentrent les notables, les officiers et les ecclésiastiques et des paroisses de l’ouest où s’affirment beaucoup plus les activités commerciales et artisanales, avec en corollaire des densités populaires supérieures, n’est pas aisément mesurable car la ligne de partage, qui court du couvent des Jacobins à la collégiale Notre-Dame en passant par la place du Pilori, coupe inégalement la paroisse Sainte-Croix très peuplée22.

Niveaux de richesse des paroisses nantaises au xvii^e siècle

19En se contentant d’une estimation grossière, c’est-à-dire en regroupant Saint-Denis, Saint-Laurent, Sainte-Radegonde, Notre-Dame, et la moitié de Sainte-Croix d’un côté, puis Saint-Vincent, Saint-Léonard, Saint-Saturnin, Saint-Nicolas et la moitié de Sainte-Croix de l’autre, on regroupe 21 notables dans la première zone et 22 dans la seconde. Même si ces calculs demeurent très approximatifs, ils n’en laissent pas moins l’impression d’une répartition plutôt équilibrée dans l’espace urbain, même si Saint-Denis, qui n’est pas la plus importante paroisse en nombre d’habitants, mais certainement la plus riche23, concentre relativement plus d’exemples que toutes les autres, spécialement les deux suivantes, Sainte-Croix et Saint-Nicolas, beaucoup plus étendues et plus imposantes dans la distribution de la population.

20Le parallèle entre la paroisse de naissance du maire et la situation professionnelle de son père précise les différences d’orientation de chaque paroisse en soulignant la distribution spatiale de l’élite économique et culturelle qui monopolise le pouvoir municipal. L’image obtenue correspond assez bien au schéma connu de la répartition sociologique dans l’espace nantais sous l’Ancien Régime. Les deux paroisses de Saint-Saturnin et Saint-Nicolas paraissent bien dominées par l’élite marchande de la ville puisque tous les pères des maires qui y sont nés s’inscrivent dans cette orientation, même si André Boussineau, marchand de Saint-Nicolas, cumule aussi l’office de receveur des décimes de Bretagne. La paroisse Sainte-Croix souvent présentée comme un espace de transition entre le quartier commercial du sud-ouest et le quartier administratif du nord-est, avec une population mixte assez diversifiée24, correspond bien à cette image classique dans sa représentation politique : si le commerce s’efface sans doute exagérément avec la citation d’un seul marchand de draps et si les officiers de justice dominent avec trois représentants, des catégories intermédiaires comme les procureurs ou les avocats ont aussi donné trois élus, sans oublier un rentier qui reste toutefois très proche, par tout son réseau de relations et par tradition familiale, des officiers de la justice royale.

21Par contre, toutes les autres paroisses semblent bien coiffées par une élite officière issue de la chambre des comptes et du présidial, sans qu’il y ait concentration d’une compagnie dans une ou deux paroisses spécifiques. Remarquons que la paroisse Saint-Vincent qui fait la jonction entre Saint-Denis et Saint-Saturnin, et dont la partie ouest s’étend vers les rues populeuses des rives de l’Erdre, ne donne pas une image de transition, mais se rattache parfaitement à l’ensemble aristocratique où dominent les officiers du roi25. La paroisse Saint-Léonard qui longe l’Erdre est une paroisse pauvre où se retrouvent principalement l’artisanat et le menu peuple, mais comme elle intègre dans son extrémité nord la chambre des comptes, quelques rues au contact de la paroisse Notre-Dame ont attiré quelques notables, ce qui explique et sa faiblesse numérique dans le tableau présenté et la présence exceptionnelle d’un auditeur des Comptes.

Paroisses de naissance des maires de Nantes du xvii^e siècle

Paroisses de naissance des maires et situations professionnelles paternelles

22Après examen de l’implantation géographique des grands-pères paternels des maires de Nantes, il apparaît que 36 d’entre eux sur 50 résidaient déjà dans la ville. L’existence d’une forte minorité de forains, deux générations avant la promotion municipale contribue, à renforcer l’idée d’une élite nantaise ouverte sur le monde extérieur, intégrant facilement les nouveaux venus pourvu qu’ils s’enrichissent, et dans laquelle les vieilles familles n’ont jamais cherché à confisquer le pouvoir comme le montre l’absence de luttes de clans fortement polarisés autour d’une famille historique ou d’un notable de grande envergure26^.

23Sur les 14 familles non nantaises, en écartant les Libault difficiles à situer, sept se trouvaient dans des villes ou des bourgs du comté nantais et six sont venues d’autres horizons. Dans ces origines plus lointaines, l’axe ligérien domine nettement avec deux exemples tourangeaux, un angevin et un autre du Saumurois. La Bretagne fournit peu, avec une seule famille de l’évêché de Saint-Malo. L’immigration castillane, qui a nourri l’élite marchande de la cité depuis le milieu du xv^e siècle jusqu’à la fin du xvi^e siècle, est représentée par les de Burgos dont le nom évoque si bien le foyer essentiel d’émigration. Cette distribution restitue parfaitement l’aire de rayonnement et d’attraction du centre économique et administratif nantais qui séduit les notables des régions périphériques par son port mais aussi par sa chambre des comptes et son présidial27. Dans nos exemples, les migrants de Tours sont marchands drapiers, celui du Saumurois est marchand en gros, et Diego de Burgos participe au grand courant d’échanges unissant Nantes et les marchés ibériques. René de Pontual, dont la famille était très anciennement implanté dans l’évêché de Saint-Malo, a été attiré par les offices de la chambre des comptes. Le cas des Raoul est plus complexe car, possessionés à Teillé, dans la partie nord-est du comté nantais, ils se sont d’abord orientés vers la faculté de droit d’Angers, avant de se tourner vers Nantes en prenant le parti de Mercœur qui a confié au père du maire la responsabilité de procureur syndic des États de la Ligue avant de l’introduire à la chambre des comptes28^.

24En prenant les origines les plus anciennement connues, ce qui additionne des localisations à des dates très différentes les unes des autres, la ville de Nantes demeure la base géographique d’ascension sociale pour la moitié des familles de maire. Pour l’autre moitié, la Bretagne domine avec neuf exemples, suivie par le comté nantais avec sept exemples et la Touraine, l’Anjou, le Poitou avec deux exemples chacun. La suprématie bretonne dans cette estimation résulte de la très forte présence municipale des Charette qui ont conquis sept fois le poste de maire entre 1609 et 1675. Les familles d’origine étrangère sont venues principalement d’Espagne avec quatre exemples et secondairement d’Italie avec le cas des Monti. Nantes et son comté demeurent encore, avec plus de deux tiers des familles promues au xvii^e siècle, la matrice essentielle de l’élite dirigeante de la cité.

Les origines des échevins

Une prépondérance robine (1598-1668)

1598-1639 : Domination de la robe sur la marchandise

25Des lacunes dans les registres de délibération gênent les comparaisons entre les expressions nantaises et la décision royale. Le corps électoral s’est réuni 42 fois et les nominations sont à chaque fois connues. Par contre les propositions nantaises ne sont pas vérifiables pour 13 élections, par suite de lacunes dans les archives. L’analyse repose donc sur 186 exemples dans le cadre de la sélection de six candidats, sur 62 exemples en isolant les deux notables les plus suffragés et sur 92 exemples en se basant sur les nominations gouvernementales.

26Il existe une convergence générale pour donner une préférence aux gens de justice pour la composition de l’échevinage. Dans la sélection globale, ceux-ci obtiennent la moitié des places (93/186) ; dans le groupe des deux préférés à Nantes, ils sont plébiscités avec 77 % des places (48/62) ; dans la liste des échevins réellement nommés par le roi, la suprématie redevient plus modérée avec 54,3 % des postes (50/92). Le monde marchand est plus ou moins marginalisé. Dans la sélection des six, les électeurs lui accordent une part tout à fait honorable avec 44 % des places (82/186), mais comme pour mieux le désavouer dans l’expression de l’échevinage idéal où les marchands n’obtiennent plus que 18 % des propositions (11/62). Finalement, la monarchie adopte une position intermédiaire en leur offrant 32,6 % des postes disponibles (30/92).

27Dans ces quatre premières décennies, les marchands ne parviennent pas à s’imposer. Sans doute ont-ils des difficultés à se faire inscrire parmi les éligibles et quand ils y parviennent, le corps politique ne les soutient pas.

28Si certains ont suffisamment de notoriété pour figurer parmi les six postulants, ils n’atteignent que les dernières places, ce qui montre que les électeurs ne leur font guère confiance pour l’administration urbaine. Ce sont d’éternels seconds. La période la plus sévère semble correspondre aux années 1598-1626, sous réserve que les lacunes documentaires ne pénalisent pas spécialement leur estimation statistique.

Choix des Nantais et de la monarchie (échevins), 1598-1639

29Graphique 18. Légende – colonne noire : orientation générale nantaise (6 suffragés).
– colonne blanche : préférence nantaise (les 2 plus suffragés).
– colonne hachurée : choix réel de la monarchie, avec %.

30L’arbitrage royal établit un certain équilibre entre les différentes options contenues dans les différentes expressions nantaises. Il corrige à la baisse la prédominance des gens de justice et à la hausse la présence marchande en harmonie avec les tendances qui se dégagent de l’ensemble de la sélection. Si la monarchie se permet de rectifier la volonté générale de la communauté, cet autoritarisme est atténué par les hésitations du corps politique. Il n’en reste pas moins vrai que le passage de l’entière liberté de désignation à un suffrage contrôlé s’est traduit par une correction de l’idéal sociologique exprimé dans les élections municipales.

31Des divergences d’appréciation apparaissent même à l’intérieur du groupe des gens de justice. Quand les électeurs concentrent leurs suffrages sur le présidial, le roi essaie de ventiler davantage les responsabilités au profit des juges des petits tribunaux, sans doute pour entretenir le plus largement possible les liens de fidélité de ses serviteurs. Pour les auxiliaires des tribunaux, il existe aussi une rectification. Quand le corps politique préfère les avocats dont l’image est plus flatteuse et méprise les procureurs jusqu’à les évincer de la liste idéale, le gouvernement royal rétablit l’équilibre entre les deux catégories. Les ramasseurs d’impôts ne sont que mollement soutenus par l’électorat. Est-ce parce que la plupart viennent de familles ayant constitué leur fortune dans le commerce à la fin du xvi^e siècle ? Ils sont par contre fortement appuyés par le pouvoir royal qui leur assure un taux de réussite exceptionnel, peut-être pour les récompenser de leurs précieux services.

32Le cas particulier de Pasquier Nicollon, sieur de La Chasseloire, est très original. Il apparaît être le seul bourgeois rentier, sans fonction administrative précise, à avoir réussi l’examen de passage dans l’échevinage. Nommé dès 1596 dans une ville ligueuse, il a pourtant été confirmé par Henri IV en 1598. Cette promotion d’un rentier demeure une exception dans l’histoire municipale nantaise, un exemple aberrant de dérogation à des règles tacitement reconnues. Il faut cependant signaler que d’autres Nicollon sont officiers au présidial. Les réseaux de relations corporatistes ont donc pu fonctionner.

1640-1668 : Équilibre entre la robe et la marchandise

33La base de l’étude comprend 29 élections. La plus large sélection devrait donc retenir 174 candidats, mais pour cause de remplacement d’un élu décédé, une liste de proposition au roi indique sept noms, ce qui porte le total à 175. L’analyse de l’expression nantaise est gênée dans cette période par les initiatives réformatrices du gouverneur de ville (1644-1653) qui ne laissent à l’analyse comparative que 19 élections, soit 38 notables. Nous connaissons par contre toutes les décisions royales, soit 58 échevins, pour cause de décès de Louis XIII, est compensée par la promotion de deux échevins en surnombre en remplacement de collègues décédés.

Choix des Nantais et de la monarchie (échevins), 1640-1668

34Dans la balance générale des forces telle qu’elle se dessine avec le plus large suffrage, l’évolution est presque nulle. Les gens de justice conservent un léger avantage dans l’opinion et augmentent très légèrement leur coefficient de présence (de 0,50 à 0,55), au détriment de la marchandise qui concède quelques points (de 0,44 à 0,40). Le milieu du siècle confirme donc la rivalité des deux groupes sociaux autour de la municipalité, mais aussi le désavantage qui affecte le milieu marchand depuis la période ligueuse. Le verdict de la pique est beaucoup plus terrible au regard des véritables intentions politiques nantaises. Les scores des deux échevins les mieux suffragés confirment nettement la très forte préférence accordée aux officiers de justice ainsi qu’aux avocats et procureurs avec un coefficient de réussite pratiquement identique (de 0,77 à 0,76). Les marchands subissent même une légère érosion d’un coefficient pourtant déjà écrasé (de 0,18 à 0,16). Le prestige des gens de justice, auxquels les électeurs font naturellement confiance pour préserver au mieux les intérêts locaux, et la désaffection dont souffrent les notables marchands apparaissent ainsi comme les traits fondamentaux du climat politique local pendant les deux premiers tiers du xvii^e siècle.

35La grande nouveauté de cette seconde phase de l’histoire de l’échevinage vient de l’attitude du pouvoir central. Celui-ci amplifie la correction déjà apportée à l’expression locale dans la première période. En soutenant activement les présélections marchandes, il hisse les commerçants au même niveau que les robins (28 échevins contre 27), les officiers du roi ne conservant une courte majorité qu’avec l’adjonction de trois officiers de finances (30 officiers contre 28 marchands). On assiste donc à un véritable sauvetage politique d’un groupe social malmené par le suffrage nantais, le contraste entre les taux de présence étant saisissant (choix royal 0,48, choix local 0,16). La monarchie assure ainsi un équilibre entre les deux clientèles traditionnelles qui gravitent autour de l’échevinage, mais en ignorant bel et bien l’expression d’une communauté d’habitants.

36Dans cette atténuation de la représentation robine, ce sont surtout les officiers du roi qui font les frais de la revalorisation marchande. Le calcul des rapports de force est révélateur. Les officiers des cours secondaires, prévôté, régaires, Monnaies, Eaux et Forêts, disparaissent quasiment de la promotion royale. Les officiers du présidial rétrogradent dans les taux de présence de 21 % à 15 %, un affaissement relativement plus fort que celui des Comptes qui glissent de 12 % à 9 %, cette dernière compagnie bénéficiant de la réforme de 1644-1653 où les électeurs doivent obligatoirement introduire un de ses membres dans la triade gagnante, ce qui élève artificiellement sa représentativité, surtout vis à vis du siège présidial.

37Les procureurs accentuent leur pénétration dans la sphère échevinale conjointement avec les avocats. Cependant, si les deux corps améliorent leur représentativité sur la liste des six admissibles, cela traduit surtout une nette amélioration de l’image des procureurs qui rejoignent les avocats (6 à 6) dans le schéma proprement nantais. Une étape est franchie, un échelon de la hiérarchie des dignités a été gravi. Le gouvernement royal amplifie d’ailleurs cette tendance nantaise. Il assure une entrée remarquée aux procureurs, les portant presque à égalité avec les officiers du présidial (8 contre 9), formant ainsi le second pôle de la représentation des gens de justice. À noter, dans le sillage, la promotion des notaires.

38Qui a profité de la réforme du maréchal de La Meilleraye ? En imposant la rédaction de trois listes de candidats classés par états, le gouvernement encadre et oriente l’expression électorale. La première liste composée avec les administrateurs liés aux finances, c’est-à-dire les officiers de la chambre des comptes et les receveurs des impôts, survalorise leur présence dans la sélection envoyée au roi. Le regroupement des gens de justice ordinaire sur la seconde liste favorise surtout les conseillers au présidial, mais n’empêche pas la désignation des avocats et des procureurs. Si ces derniers ne sont encore que faiblement retenus, c’est d’abord parce que les électeurs gardent quelque réticence à leur égard. Le véritable changement est postérieur à 1654, mais son ampleur impressionne. De 1654 à 1668, les procureurs envahissent les listes des possibles, écrasant numériquement toutes les autres catégories de judicature. La réforme défavorise le monde commercial. Alors que le taux de présence des marchands atteint 44 % de 1598 à 1639, il chute à 33 % par le simple fait de la division tripartite de la liste d’éligibilité, pour remonter à 43 % dans la période 1654-1668. La restriction de la liberté du corps électoral bloque l’ascension des marchands vers la sphère municipale. Une telle conclusion est plutôt inattendue. Les liens de fidélité unissant le maréchal au cardinal de Richelieu, soucieux de relancer l’activité maritime et coloniale, auraient laissé supposer l’inverse. En temps que commissaire royal, chargé de traduire sur le terrain les priorités décidées à Paris par le premier ministre, le tuteur de la municipalité eût été mieux dans son rôle en soutenant les notables marchands plutôt qu’en choisissant d’innover contre eux.

39Les nominations définitives ne corrigent pas cette curieuse situation. La marchandise emporte le tiers des sièges pendant la réforme, tandis que les officiers du roi se partagent la moitié. La période qui encadre l’expérience révèle pourtant un tout autre climat puisque de 1640 à 1642, les marchands obtiennent les six postes vacants, et que de 1654 à 1668, seize centres entrent au bureau municipal aux côtés de huit officiers royaux, six procureurs, deux avocats et un notaire.

40Il existe donc bien une progression marchande vers l’échevinage dans le tournant du demi-siècle, mais cette ascension est freinée par une réforme électorale qui fonctionne finalement comme une barrière de protection pour les officiers, valorisant surtout le présidial et la chambre des comptes. En réglementant l’expression politique nantaise pour assurer une présentation marchande systématique à la monarchie, le gouverneur finit par abaisser le poids politique de ce groupe social. Les intentions de La Meilleraye demeurent obscures car ce résultat est en contradiction avec une politique générale de soutien au commerce lancée dans ces mêmes années. N’aurait-il pas envisagé les effets pervers de son innovation ? L’abandon rapide de la réforme plaide volontiers pour cette interprétation !

Une prépondérance marchande (1669-1720)

1669-1699 : La conquête de l’échevinage par les marchands

41Le dernier tiers du xvii^e siècle est caractérisé par de profondes mutations dans le recrutement des échevins. La rupture entre la chambre des comptes et les institutions municipales, qui s’amorçait déjà dans la phase précédente, est totalement consommée. La réaction aristocratique de la compagnie, qui ne daigne plus envoyer ses députés aux assemblées générales de la ville, s’exerce à fond sur des responsabilités d’échevins devenues répulsives. Les listes de possibles ne portent plus de noms d’auditeurs, ni même de greffiers. Qui a pris l’initiative de ce divorce ? Sont-ce les officiers qui ont refusé leur inscription sur la liste d’éligibilité, les échevins sortants qui ont décidé de les écarter ou les électeurs qui les boudent ? Les listes officielles de candidature retrouvées pour 1698 et 1706 ne portent qu’un auditeur en sixième, puis en quatrième position, ce qui correspond à une cooptation bien antérieure. Celle de 1714 n’en indique plus. Cette constatation suggère nettement que ce n’est pas le corps électoral qui a repoussé l’illustre compagnie, mais que ce sont les officiers des Comptes qui se sont volontairement retirés de l’échevinage.

Choix des Nantais et de la monarchie (échevins), 1669-1699

42La disparition du présidial est une réalité beaucoup plus inattendue. Même si cette cour avait vu son influence relative baisser dans la période précédente, elle n’en demeurait pas moins la mieux placée dans le cercle de la judicature. Deux petites mentions dans les possibles, avec un conseiller juge et un simple premier commis du greffe, aboutissent logiquement à une absence pure et simple dans l’échevinage et traduisent également le désengagement délibéré du corps face à ce type de fonction.

43Les avocats maintiennent mal leur présence, comme s’ils étaient aspirés par le refus du présidial. S’agit-il d’un retrait volontaire, reposant sur une sorte de mimétisme social, le corps inférieur modelant son attitude sur les options de l’état supérieur ? Le gonflement du nombre des procureurs, au prestige inférieur, le laisse penser. Tous les indicateurs statistiques confirment la percée, aussi bien ceux qui parlent au nom du suffrage nantais que celui qui mesure les orientations du gouvernement royal. L’élévation de quelques notaires et médecins illustre également l’élargissement de l’aire de recrutement de l’échevinage, ce qui équivaut à une perte de prestige social de l’institution.

44Toutefois, la véritable nouveauté du dernier tiers du xvii^e siècle provient du succès triomphant de la marchandise dans l’échevinage. Toutes les statistiques parlent de la même voix ; aussi bien l’indicateur de tendance qui regroupe les six meilleurs scores avec 52 %, que le taux d’occupation de l’échevinage idéal avec 53 %. Les grands marchands s’avèrent capables de mettre en mouvement des réseaux d’électeurs qui leur procurent d’excellentes places. La véritable innovation réside d’ailleurs dans cette nouvelle appréciation portée sur leurs aptitudes à diriger la ville. Le marchand, auparavant candidat de deuxième rang, apparaît maintenant comme un édile potentiel de valeur. Pourtant, cette interprétation basée sur une revalorisation politico-sociale de la condition marchande n’est-elle pas finalement un leurre ? Elle a tout l’air d’une promotion par défaut, d’une victoire par forfait. La reconquête marchande ne serait-elle pas simplement une simple conséquence de la désertion des officiers ? Les deux mouvements ont pour le moins conjugué leurs dynamiques. Constatons cependant que la strate seconde de la robe nantaise n’a pas pu s’opposer à ce renversement de tendance !

45Dans une continuité logique avec la politique de soutien inaugurée timidement vers 1640, puis beaucoup plus hardiment vers 1654-1660, le gouvernement royal va au-delà des souhaits de la communauté. Avec 60 % des échevins installés, le commerce nantais a pris en mains la défense des intérêts urbains au moment où la mainmise du pouvoir central se fait de plus en plus lourde sur les institutions locales. La victoire politique des marchands est contemporaine de l’affermissement de la tutelle financière des commissaires du roi et de l’installation de l’intendance dans la province de Bretagne.

1700-1720 : Hégémonie marchande sur l’échevinage

46La base documentaire correspond à 19 scrutins puisqu’en 1717 l’assemblée électorale n’a pas été convoquée. Depuis 1710, une réforme des conditions d’admission était souhaitée par la municipalité. Le total du groupe des six meilleurs suffragés monte à 114, celui des deux candidats préférés des Nantais à 38. Le nombre des candidats installés au bureau n’est par contre que de 36, le gouvernement ayant « oublié » de nommer les échevins en 1719. Les deux premières décennies du xviii^e siècle s’inscrivent dans la suite logique des changements de comportement décelés depuis 1670. La reconquête de l’échevinage par l’élite marchande est totalement confirmée avec des taux de présence encore plus élevés. Même si le corps électoral hésite quelque peu à donner une supériorité trop tranchée aux négociants comme le montre la différence de neuf points entre la présélection des six et la liste des deux meilleurs, la monarchie, fidèle à la politique de surévaluation menée au xvii^e siècle, offre très largement l’échevinage au monde commercial qui enlève plus des deux tiers des postes.

47Dans la débâcle des gens de justice – seulement 27 % des postes d’échevins – des modifications sont également perceptibles. Si la chambre des comptes se tient toujours en marge de la vie municipale, le présidial effectue une timide réapparition. La communauté et le pouvoir royal apprécient diversement les avocats et les procureurs, les premiers retrouvant une meilleure audience dans le corps politique, les seconds bénéficiant toujours d’un traitement de faveur de la part du gouvernement. Les procureurs ne jouissent plus cependant de la supériorité écrasante qui avait été la leur dans le dernier tiers du xvii^e siècle qui apparaît ainsi de ce point de vue comme une phase très particulière de l’histoire sociale municipale. À noter l’apparition des professeurs de la faculté de droit qui entrent pour la première fois au bureau servant où ils rejoignent les médecins déjà présents dans la phase précédente.

Choix des Nantais et de la monarchie (échevins), 1700-1719

Comparaison avec les origines des syndics

48Poursuivant une tradition déjà bien établie au temps du conseil des bourgeois dès le xv^e siècle, le grand bureau, qui actualisait la liste des éligibles, y appelait systématiquement des gradués en droit ayant au moins le titre d’avocat en parlement. La plupart étaient engagés dans cette profession, quelques uns étaient de plus pourvus d’offices, spécialement dans les régaires de l’évêque ou du chapitre cathédral. Le souci de bénéficier des conseils d’un excellent professionnel dans les questions de droit administratif justifiait un recrutement très orienté dans une seule direction29^.

49La collaboration avec les échevins s’établissait sans peine car les niveaux sociaux des uns et des autres n’étaient pas si éloignés. Plusieurs syndics ont même été nommés échevins, quelques autres ont été proposés au roi, ce qui socialement a la même valeur. Neuf notables sur dix-neuf ont été associés d’une deuxième façon à la vie municipale. La plupart de ces exemples appartiennent à la première moitié du xvii^e siècle et plus spécialement au premier quart. Cette répartition n’est pas très facile à expliquer. Tout au plus peut-on invoquer la poursuite d’une habitude assez fréquente dans le dernier tiers du xvi^e siècle et une conséquence lointaine de l’évolution du recrutement des échevins dans le dernier tiers du xvii^e siècle. Cette dernière phase, qui a connu le retrait des officiers du présidial et des autres cours de justice et la montée en force des procureurs, a contribué à placer les syndics à un niveau d’honorabilité supérieure à celui des échevins de profession juridique. Ce renversement de la hiérarchie des dignités peut expliquer un certain désintérêt pour les charges échevinales. Ce raisonnement n’a qu’une valeur limitée comme le montre l’exemple de Cazalys qui ne répugne pas à revenir au bureau servant comme échevin neuf ans après son syndicat.

Familles nantaises et charge de procureur-syndic

50Une orientation de certaines familles vers l’administration publique et le bon souvenir laissé par un premier syndic dans le milieu dirigeant nantais se sont certainement additionnés pour favoriser les permanences familiales sur ce type de responsabilité. Cet attachement est particulièrement visible au xvii^e siècle, même si des exemples existent au xvi^e siècle et dans la seconde moitié du xviii^e siècle. Les liens de parenté sont souvent très proches, de père à fils, ou même entre frères. Ces tendances dynastiques auraient pu être plus affirmées si le roi avait mieux suivi les recommandations des assemblées électorales.

Origines géographiques

51La très grande majorité des notables qui accèdent à l’échevinage est née à Nantes, ce qui somme toute est bien normal. Une petite minorité, originaire le plus souvent du comté nantais, est quand même parvenue à se faire intégrer dans cette élite dirigeante, ce qui montre qu’il n’existait pas de blocage systématique des forains et ce qui témoigne de la fluidité de ces strates dirigeantes dans lesquelles une ascension rapide reste toujours possible, malgré la règle absolue de la cooptation à la direction des affaires urbaines. Il est tentant de lier cette ouverture à la vocation commerciale de la ville et de glisser vers une opposition entre les villes marchandes dirigées par des élites mieux reliées à l’aire d’attraction de la place et des villes officières plus refermées sur elles-mêmes, comme pour illustrer l’opposition entre Lyon au xviii^e siècle, avec 28,5 % des échevins nés à l’extérieur de la ville, et Angers, où presque tous les élus sont natifs de la ville30. Rien ne serait plus dangereux, car bien des maires et échevins qui ne sont pas nés à Nantes ne sont pas des marchands, mais des notaires, des procureurs, des avocats ou des notables tentés par une carrière au présidial ou mieux encore à la chambre des comptes.

Évolution des origines géographiques des échevins

52Dans la première phase, huit échevins sur 37 ne sont pas nés à Nantes : trois marchands, trois financiers et deux auditeurs des Comptes. Sire Jean Sandon, marchand installé d’abord à Saint-Saturnin dans les années 1580, ne souligne aucun lien familial dans le choix de parrains et marraines31^. Michel Coupperie, marchand de Saint-Nicolas, semble sortir de La Haie-Fouassière, une paroisse rurale à quatre lieues au sud de Nantes32. Nicolas de La Pelonnye, placé au 24^e rang de la Contractation en 1601, fabriqueur de Saint-Nicolas en 1598, est sans doute d’origine ibérique, mais nous n’avons pu retrouver de lettres de naturalité pouvant authentifier cette hypothèse33. Le maître de la monnaie Antoine Barillier, fermier de l’évêché de Nantes pendant la Ligue, semble issu d’une famille angevine34. Noble homme Guillaume Bernard, sieur de Portric, en Saint-Donatien, contrôleur général des finances en Bretagne, appartient à une famille de traitants35. Bien qu’il ait existé de puissantes familles marchandes homonymes dans le xvi^e siècle nantais, nous avons été incapable d’établir la moindre liaison. Le receveur général du taillon de Bretagne, J. Doudard de La Grée, paraît appartenir à une famille noble de l’évêché de Vannes36. L’auditeur Guillaume Marcel, sieur de Maupas, aurait peut être des origines parisiennes37. L’auditeur Pierre Le Masle, sieur de Juigné, est le fils d’un auditeur admis en 1586 et domicilié cette année là sur Notre-Dame. Son mariage avec Françoise d’Achon et la résidence ultérieure de sa famille dans le pays d’Ancenis pourrait bien donner une indication sur le berceau du lignage38. L’analyse de cet échantillon ne permet donc pas de dégager une aire d’attraction principale pour les quatre premières décennies du siècle.

53Pour la seconde phase, six échevins sur 24 sont d’origine foraine. Le notaire royal Jacques Bernard vient d’Orvault, aux portes de Nantes, où son père travaillait comme greffier de la seigneurie39. Le conseiller au présidial Jean Fournier est né entre 1612 et 1617 à Ancenis où son père exerçait comme procureur postulant auprès de la baronnie avant de tenir le greffe de cette dernière40. L’ascendance de l’avocat au parlement Pierre Guignard, sieur de Barsauvage, oriente également vers le pays d’Ancenis41. Par ailleurs, le père de Jean Merceron, qui s’est imposé comme marchand de draps à Saint-Saturnin, semble être sorti de la ville de Clisson qu’il aurait quittée au début de sa carrière42. On peut ajouter le marchand et financier André Boussineau, né vers 1629, dans une famille originaire du Saumurois, même s’il a été impossible de déterminer si la migration vers Nantes relevait de sa propre initiative ou plutôt de son père43. Nous ne savons rien du marchand de draps et soie Mathurin Babouard avant 1643, date du baptême de sa première fille à Sainte-Croix. Marié avec Anne Frémon, d’une famille de marchands de draps immigrée de Tours au début du xvii^e siècle, toutes ses relations semblent passer par cette famille. Faut-il y voir une même origine tourangelle44 ? Ancenis, Saumur, Tours ?, l’axe ligérien semble ici l’emporter.

54De 1669 à 1720, sept échevins ne sont pas directement d’origine nantaise. Quatre sont issus de la petite bourgeoisie juridique des paroisses rurales du comté nantais. Aubin Gendron, procureur au présidial, est né à Bouvron ; son collègue Jean Urien à Saint-Étienne-de-Montluc45. L’avocat Gilles Geffray est venu de Puceul et le notaire Pierre de La Lande est peut-être en parenté avec un notaire de Mesquer, à moins qu’il ne soit issu d’une autre famille de notaires présente à Nantes dès le dernier tiers du xvi^e siècle46. Les professions des pères sont mal connues, mais l’orientation des fils laissent pressentir des juristes au service de seigneuries. Les deux grands marchands Pierre du Cassia et Pierre Descazaux ont quitté la ville de Bayonne pour s’installer à Nantes dans les années 165047. Ils illustrent le grand mouvement d’immigration qui renouvelle profondément l’élite du négoce dans la seconde moitié du siècle.

55Si le marchand droguiste Isaac Mahot est né à Nantes en 1680, son père a quitté Angers depuis fort peu de temps pour s’installer à Saint-Saturnin48. Profitant de la création du siège royal de l’amirauté en 1691, ce dernier acquiert un office de conseiller dont il ne profite guère puisqu’il décède en novembre 1693. La même attraction commande la venue de Louis Maunoir, maître apothicaire, issu d’une famille angevine installée à Trélazé, puis à Brissac dans le Saumurois49. Arrivé depuis peu dans la ville, il est pourtant élevé sans difficulté à l’échevinage en 1683. Si son frère aîné a pris la succession paternelle comme apothicaire à Brissac, son frère cadet s’est déplacé à Angers où il travaille comme marchand de draps et soie, avec une belle progression marquée par des responsabilités de consul en 1698, échevin en 1708 et juge consul en 1711. L’implantation nantaise tourne court puisqu’il ne laisse que deux filles qui retournent vivre à Angers. Guillaume Guilloré, échevin en 1695-1698 et proposé maire en 1719, a été baptisé à Saint-Nicolas le 9 janvier 1657, sans doute peu de temps après la migration de son père venu du Croisic, port dans lequel continue à résider une autre branche de la famille qui donne plusieurs maires à cette ville50.

56Si les paroisses Saint-Nicolas et Saint-Saturnin, suivies de loin par Sainte-Croix, constituent les quartiers féconds qui voient naître les futurs responsables de la politique municipale, c’est sans doute parce qu’elles sont beaucoup plus peuplées que les petites paroisses de la partie orientale de la zone intra-muros, mais surtout parce qu’elles correspondent mieux, dans la composition de leurs élites, à la génération antérieure à la responsabilité échevinale et à la lente évolution de la composition sociologique des bureaux servants au long du xvii^e siècle. Les paroisses réputées « aristocratiques » sont victimes de la désertion progressive des officiers de la chambre des comptes et du présidial qui se désintéressent des responsabilités administratives sous le règne de Louis XIV. Les deux marchands de Saint-Jacques rappellent comment la ligne des ponts et le faubourg de Pirmil constitue une excroissance du quartier commerçant centré sur la Fosse et comment cette activité dégage une élite dont les meilleurs représentants s’introduisent dans l’échevinage, après s’être souvent déplacés vers la paroisse Saint-Nicolas.

Lieux de naissance des échevins et professions paternelles, 1598-1720

57Dans nos sources, Nantes reste la plus vieille origine connue pour 70 % des exemples de l’échantillon contre seulement la moitié des familles de maires. De même, l’enracinement dans le comté nantais surpasse nettement les migrations issues du grand Ouest. La même infériorité se remarque dans les provenances du reste du royaume ou de l’étranger. En ayant bien conscience que ce décalage pourrait être en partie un trompe l’œil résultant d’une moins bonne reconstitution de certaines familles par manque de documents, il semble cependant que les familles de prestige supérieur ayant pu fournir des maires ont connu une mobilité géographique plus importante que celles des notables qui ont dû se contenter de l’échevinage.

Paroisse de naissance des échevins originaires de Nantes (Sur échantillon de 100 exemples, 1598-1719)

Origines géographiques connues comme les plus anciennes

Nantes dans le royaume

58La comparaison entre les origines sociales et professionnelles des édiles nantais du xvii^e siècle et celles de leurs collègues des autres villes du royaume n’est pas très facile à réaliser car peu d’historiens se sont intéressés à ce type de problème sur cette période chronologique. Ce déficit d’études oblige à déborder de part et d’autre pour ne pas rétrécir le champ d’analyse, sans trop insister pourtant, car les caractéristiques nantaises ne sont alors plus tout à fait les mêmes que celles qui ont été dégagées sur ce xvii^e siècle.

59Dans le royaume, la plupart des villes sont dirigées par des municipalités où dominent des gens de justice. Suivant la ventilation interne des différents composants, il est possible de dégager deux sous-types. Dans certaines cités comme Angers51 ou Langres52, les affaires sont conduites par les officiers royaux, principalement du présidial ou de l’Élection. L’histoire sociale de la municipalité nantaise a, par certains côtés, des traits de ressemblance avec ce type de ville dans la première moitié du siècle. Toutefois, l’évolution après 1650 s’avère radicalement différente, ce qui réduit fortement la portée de la comparaison.

60D’autres corps de ville, comme Toulouse, Dijon53, Gray54 ou Besançon après la conquête française, voient plutôt entrer des avocats ou même des procureurs.

61À Toulouse, la tutelle parlementaire a nettement favorisé les hommes de loi. À la fin du xvii^e siècle, sur 86 capitouls, ont été honorés 41 magistrats et hommes de loi contre 12 négociants et deux banquiers55. À Besançon, le règlement de 1678 qui fixe les préséances dans les cérémonies n’énumère que trois sortes de magistrats : les gentilshommes qui ont droit à l’épée, les avocats avec robe de barreau et les marchands en habits noirs. De 1678 à 1692, les hommes de loi se sont largement imposés puisque, parmi les 28 notables qui se sont partagés les postes de maire et d’échevins, se sont trouvés 21 avocats, trois gentilshommes et quatre marchands56^.

62À Bordeaux, l’usage voulait que la jurande soit composée de deux gentilshommes, deux avocats et deux marchands. En 1670, Colbert a essayé de favoriser le milieu commerçant en imposant quatre marchands dans les jurats, mais cette pression du pouvoir central n’a pas pu vaincre l’attachement à l’équilibre ancien qui a été restauré dès 167457. Nantes ne ressemble pas tellement à ces villes dominées par les avocats, tout d’abord parce que ce n’est pas une ville parlementaire comme Dijon, Toulouse ou Bordeaux, ce qui a laissé à l’échevinage une autonomie d’action beaucoup plus grande ; ensuite, parce qu’au moment où les officiers de justice se sont détournés des responsabilités d’échevins, ce ne sont pas les avocats mais plus curieusement les procureurs, avec derrière eux quelques notaires et médecins, qui les ont mal remplacés.

63La domination des propriétaires rentiers, issus d’anciennes familles négociantes passées récemment dans la noblesse, est particulièrement observable dans les villes de Flandres et de Hainaut58. À Lille, cette distribution sociale semble traditionnelle. Avant la conquête, les nobles détenaient une suprématie importante. Pour les deux responsabilités municipales de mayeur et de rewart, on en compte 19 sur 35 titulaires de 1560 à 1620 et 26 sur 28 de 1621 à 1667. Le Magistrat est animé par des rentiers du sol ayant abandonné le négoce tout en conservant avec lui des liens indirects, les uns anoblis, les autres espérant l’être, ainsi que par des hommes de loi et des marchands bien fournis également en propriétés foncières59^. En 1690, l’intendant précise dans un mémoire que les magistrats sont composés de nobles rentiers et marchands, ce qui laisse à tous les notables l’espoir d’y accéder un jour. L’examen des listes annuelles conduit à nuancer ce jugement car en 1670, par exemple, les douze échevins correspondent à trois nobles et neuf roturiers dont trois marchands seulement60. Nantes reste aussi étrangère à cette configuration parce que la noblesse non pourvue d’office n’a jamais eu de place dans le bureau de ville. Le second ordre ne dispose pas de représentation statutaire dans les assemblées de la communauté et ses membres qui s’intéressent aux affaires municipales doivent accepter de se mêler aux autres notables roturiers. En élargissant le problème, rappelons que la tradition exclut les purs rentiers des responsabilités municipales, un seul cas aberrant venant contredire cette règle largement admise dans la cooptation pour tout le xvii^e siècle.

64La vie municipale lyonnaise ou marseillaise peut sembler plus proche dans la mesure où le consulat recrute ses membres principalement chez les marchands. L’évolution nantaise est plus complexe que celle de Lyon dans la mesure où la domination des gens de justice pendant la première moitié du xvii^e siècle est venue interrompre provisoirement la suprématie du monde marchand sur l’échevinage61. Par contre, on y retrouve la même dualité entre un échevinage marchand et le poste de maire ou prévôt tenu essentiellement par des officiers de justice, ainsi que le retrait volontaire du Bureau des finances qui s’apparente tout à fait au désengagement de la chambre des comptes. Il existe un certain parallélisme avec l’histoire municipale marseillaise du point de vue d’un renforcement du pouvoir marchand dans la seconde moitié du siècle. À Nantes, cette évolution s’est faite progressivement sous le simple effet de la progression des mentalités et de la réussite économique des différentes strates de la communauté, dans le respect des cadres politiques classiques, tandis qu’à Marseille il a fallu les lettres patentes de Louis XIV mettant fin aux luttes de clans qui agitaient périodiquement la cité pour assurer l’hégémonie du grand négoce au détriment de la noblesse rentière62^.

65L’évolution parisienne est en même temps proche et éloignée de celle de Nantes. Les deux villes ont en commun une poussée des gens de justice sous le règne d’Henri IV et une reconquête marchande ; mais cette dernière réaction ne s’effectue pas au même moment63. Le rééquilibrage qui s’établit à Paris dès la première moitié du siècle n’est réalisé à Nantes que dans la période 1640-1670. D’autre part la domination des hommes de loi était effective à Paris dès le milieu du xvi^e siècle alors que les premières décennies municipales nantaises (1565-1598) ont connu une suprématie marchande. De plus, l’échevinage parisien est complété par un conseil de ville de 24 notables qui se cooptaient sous la surveillance du prévôt des marchands. De 1535 à 1575, les trois quart des conseillers appartenaient au milieu des officiers royaux et spécialement aux offices importants de maîtres des requêtes ou des cours souveraines64. Cette situation n’a aucun équivalent à Nantes où les rares membres du parlement de Bretagne résidant encore en ville ne cherchent pas à s’introduire dans la municipalité. L’évolution du recrutement de la municipalité d’Amiens correspond assez bien sur le long terme à celle de Nantes, même si les phases chronologiques ne sont pas accordées65. Après une domination marchande initiale au xvi^e siècle, terminée plus précocement en Picardie, suivie d’une transition officière profitant surtout aux gens de justice au xvii^e siècle, vient le moment du rétablissement du monde marchand réalisé plus rapidement dans la cité ligérienne.

Conclusion

66De 1598 à 1720, le poste de maire a surtout été confié à des officiers de la cour de Nantes, c’est-à-dire de l’ensemble juridique qui associait la Sénéchaussée et le présidial. Ces officiers de justice ont monopolisé 60 %des places. À l’intérieur de la compagnie, ce sont les officiers les plus importants qui se sont imposés, à commencer par les sénéchaux qui semblent avoir une vocation naturelle à diriger l’administration urbaine, mais aussi les présidents du présidial pourtant dépassés par les lieutenants généraux. Il a fallu attendre 1634 pour voir un conseiller obtenir cette dignité et ses quatre collègues n’apparaissent que dans la seconde moitié du siècle. Il en est de même pour les avocats du roi dont le premier ne surgit qu’en 1639. La chambre des comptes de Bretagne forme la seconde base de recrutement avec 24 % des postes, même si ses membres se concentrent surtout dans la première moitié du siècle. Les marchands parviennent très difficilement à cette importante fonction : le premier n’est reconnu qu’en 1647, les trois autres entre 1666 et 1683.

67La composition sociologique de l’échevinage a connu des mutations beaucoup plus importantes. Alors que les élus des premières décennies municipales après 1565 venaient principalement du monde marchand, ceux des quatre premières décennies du xvii^e siècle sont en majorité choisis parmi les gens de justice, spécialement parmi les officiers du présidial et des Comptes, mais dans un rang inférieur aux magistrats qui postulent pour la charge de maire. Entre 1640 et 1670, un retournement de tendance s’affirme progressivement. Alors que les officiers de justice se désintéressent de plus en plus des responsabilités municipales, les marchands affirment leur présence, ce qui globalement façonne un certain équilibre entre les deux grandes bases sociologiques de recrutement. À partir de 1670, et dans une proportion croissante jusqu’en 1720, la reconquête marchande triomphe. Elle est favorisée par le retrait volontaire quasi total des officiers de justice qui sont mal remplacés par des avocats et surtout des procureurs pour qui cette phase particulière a été une véritable chance de promotion sociale.

68Les procureurs du roi syndics sont systématiquement choisis parmi les avocats au parlement pour des raisons de compétence juridique.

69L’analyse des origines géographiques des familles municipales a mis en évidence un enracinement profond dans la ville de Nantes concernant souvent plusieurs générations. Le corps de ville se recompose régulièrement à l’intérieur d’un ensemble de familles notables de souche nantaise bien assurée. Pourtant, le fait d’être natif d’ailleurs n’a jamais été une clause d’exclusion de la classe dirigeante. Une petite minorité de notables récemment installés a d’ailleurs profité de cette ouverture. Cela ne représente cependant que cinq maires sur cinquante et dix-huit à vingt-deux échevins sur cent, qui proviennent surtout des petites villes du comté nantais ou des provinces périphériques comme l’Anjou, le Poitou ou même la Touraine. Dans les familles échevinales, ce même comté fournit l’essentiel des nouvelles lignées qui réalisent leur ascension à travers les carrières juridiques en partant des offices de notaires royaux ou d’agents des tribunaux seigneuriaux. Des origines plus lointaines correspondent à l’attraction commerciale du port de Nantes. La composition de l’élite dirigeante nantaise du xvii^e siècle souligne ainsi le relatif isolement du comté dans la province, la zone d’attraction de la cité se révélant plus ligérienne et extra-provinciale que bretonne.

70La comparaison des origines paroissiales des édiles originaires de Nantes oppose l’ensemble des maires dont les familles sont plus implantées dans les quartiers du centre est qui sont plus recherchés par les gens de justice, la noblesse et les ecclésiastiques et celui des échevins dont les familles résident plus volontiers dans la zone du centre-ouest, à vocation commerciale. Cette répartition correspond naturellement aux situations professionnelles des parents des édiles étudiées dans ce chapitre.