1L’association des habitants à l’orientation de la vie politique locale se limitait-elle à la désignation de ses responsables ou existait-il dans cet ancien régime municipal nantais des structures d’ouverture où le bureau servant manifestait une volonté de consulter des habitants non intégrés au corps de ville ? Le degré supérieur de la participation des gouvernés à l’action des gouvernants aurait exigé en principe ce dialogue entre des édiles qui pouvaient se réserver la décision finale au nom de leur légitimité d’élus et certains administrés ainsi appelés à faire connaître leur opinion sur une question épineuse concernant l’ensemble de la communauté. Pour mesurer le degré d’intégration des habitants dans la vie municipale, il convient de préciser dans quelles structures le corps de ville accueillait ces éléments associés, de dégager le principe justificatif de leur présence, c’est-à-dire établir la différence entre la représentation corporative et l’admission indifférenciée de tous les intéressés, de mesurer enfin l’importance quantitative de ces consultations tant au point de vue de leur densité annuelle que de la nature même des sujets abordés, le tout dans la perspective d’une possible évolution chronologique.

Une période de transition : 1598 1620

L’héritage du xvi^e siècle

L’entrée des « nobles, bourgeois, manans et habitans »

2Dans les registres municipaux du dernier tiers du xvi^e siècle, le greffier est amené à résumer assez fréquemment le contenu de délibérations qui se sont déroulées dans le cadre de ce qu’il nomme des « assemblées générales ». À la lecture de ces descriptions, quelques traits structuraux se dégagent, au-delà de variations secondaires 1. Une assemblée, qui incarne la volonté générale de la communauté de Nantes, associe les participations de l’Église de Nantes qui parle généralement par chanoines délégués, des chefs militaires responsables du maintien de l’ordre royal, des officiers de la justice royale qui illustrent les principales cours de Justice nantaises tant supérieures qu’inférieures (chambre des comptes, Sénéchaussée-présidial, prévôté, régaires), des maire et échevins et de leurs prédécesseurs, des officiers de la milice bourgeoise, de certains notables qui ont le privilège d’une inscription patronymique et de « plusieurs aultres manans et habitans de la ville et forsbourgs ». Cette dernière composante qui, tout en suggérant une agrégation des couches sociales moyennes, difficile à décrire tant au niveau qualitatif que quantitatif, est réduit à un rôle d’appoint. On retrouve ainsi le principe corporatif comme structure majeure, sans que celui-ci puisse rendre compte de l’ensemble de la participation2. L’entrée de certains habitants qui ne sont pas députés par un corps marque les limites du schéma des ordres dans la vie politique locale, mais la hiérarchie interne des procès-verbaux indique nettement la position supérieure des états qui dominent les habitants non corporés 3.

3Pour l’organisation pratique de la consultation, le conseil des bourgeois a transmis ses habitudes à la municipalité, comme le montre l’exemple de l’assemblée générale du 22 janvier 1571 convoquée pour faire face aux problèmes d’une épidémie de peste 4. On y relève 82 présents individualisés par le greffier et « plusieurs aultres ». La composition est classique et, dans les 59 notables non délégués de corps, le greffier remarque deux avocats, deux sieurs, deux barbiers, un mercier, deux hôteliers. Le maire ouvre la séance et expose l’ordre du jour. Quinze personnes donnent séparément leur avis : le procureur, un vicaire général, les chanoines députés du Chapitre, les députés du présidial, ceux de l’université, le maire, le sous-maire, les cinq échevins. On écoute ensuite les interventions de 47 personnes « séparément ouïes », mais que le greffier englobe dans un avis global. Pour le reste des présents, il se contente de signaler qu’il a « en général pris l’avis de tous les autres assistants… pour savoir s’il y a quelqu’un d’oppinion contraire ». En analysant les réponses données, on remarque que trois personnalités seulement ont proposé des idées originales, à savoir le gouverneur, un représentant de l’université, mais surtout le maire qui, dans une introduction préalable, a pris soin de bien cadrer les débats en suggérant une réponse après chaque question posée. Le greffier indique finalement que l’unanimité a été facilement acquise.

4La distribution de la parole dans les assemblées délibératives du xvi^e siècle laisse donc entrevoir des participants inégaux qui disposent d’une influence plus ou moins grande. Les officiers militaires, les chanoines, les officiers de justice et le bureau servant jouissaient d’une réelle prépondérance qui leur permettaient de peser de tout leur poids sur l’orientation d’une délibération. Les notables invités utilisaient parfois la liberté qui leur était reconnue pour intervenir personnellement. Le greffier se permet de globaliser leur point de vue, lorsqu’ils n’apportent pas d’idées nouvelles.

5Quant aux autres, ils ne disposaient guère que du privilège d’acquiescement à des propositions déjà formulées. L’importance du sénéchal, président de séance depuis 1575, du maire qui incarne l’action du bureau servant et du procureur du roi syndic qui présente toujours ses conclusions avant la décision finale doit être soulignée.

6Cette caution apportée à une orientation élaborée par d’autres ne doit pas pour autant être tenue pour négligeable et sans intérêt, car s’il est évident que les grands choix administratifs n’appartiennent pas au « bon peuple », l’association de ce dernier à leur détermination apparaît toujours psychologiquement utile. Cette collaboration inégale entretient le minimum de solidarité entre les différents niveaux sociaux et, par ce puissant facteur d’intégration, contribue à assurer la paix sociale de la cité.

Des réflexes oligarchiques

7Pourtant, dès cette époque, certains édiles ne semblaient guère apprécier de mêler leur avis à ceux d’individus de condition très méprisée. Des remarques amères de certains membres de l’oligarchie municipale contre la présence de la « populace » sont décelables dès les premières décennies municipales. Le 5 mai 1583, le registre des délibérations porte la mention « assemblée générale », mais la composition surprend. Outre le maire, trois échevins et le syndic, on observe la participation de neuf anciens échevins, d’un juge consul, d’un simple consul et d’un greffier du consulat ainsi que de deux notables. Pas de formule évasive pour clore la description ! Cette séance fait plutôt penser à un grand bureau élargi au consulat. La délibération concerne particulièrement notre propos. Le procès-verbal indique que « Monsieur le maire a proposé que pour éviter la confusion que l’on a vu dans le passé surgir aulx assemblées pour avoir souffert une infinité de populace, gents peu expérimentés aux affaires et charges publiques, qui ont plus tôt troublé les affaires que donner une bonne opynyon, il seraict très nécessaire qu’a l’advenir on assemble un conseil ordinaire tant pour les assemblées pour les affaires qui touchent le publicq que pour l’eslection du maire a l’advenir lequel conseil s’il sembloict bien a la compagnie composé d’antiens maires et antiens eschevins… » Les présents tout en affirmant très nettement leur adhésion à une telle définition ne veulent pour autant rien décider sans consultation de tous les ordres et états5. Cette exigence d’une réaction politique oligarchique qui prenait le contre-pied des principes traditionnels n’était pas suffisamment partagée pour réussir à réformer immédiatement les habitudes observées dans les assemblées générales délibératives car celles-ci se maintiennent dans les décennies suivantes. Elle indique cependant qu’une fraction de l’élite dirigeante ne les supporte déjà plus.

8Les trois premières décennies municipales ont ainsi vu coexister trois types de séances avec des assemblées corporatives fermées venant s’intercaler entre les très nombreux bureaux servants et les plus épisodiques assemblées générales ouvertes. La participation des habitants à l’élaboration de la politique municipale existe donc dans les limites étroites définies, mais ce principe est déjà contesté, ce qui rend son maintien très problématique et son avenir plus qu’incertain. La crise de la Ligue n’a pas entraîné de modification profonde de ce système puisque le conseil de ville, créé en février 1589 pour surveiller le bureau servant par l’intégration des plus ardents ligueurs dans une structure élargie, a disparu dès juillet, une fois assurée l’épuration de l’élite dirigeante nantaise6.

Bilan quantitatif des types de séances municipales (dernier tiers du xvi^e siècle)

Diversité des assemblées convoquées

9Les deux premières décennies du xvii^e siècle sont largement modelées par la persistance des habitudes de travail héritées du siècle précédent marqué par la tradition de gestion collective entretenue dans le conseil des bourgeois. L’assemblée générale reste encore la principale méthode de consultation. Une répartition chronologique très irrégulière des exemples cités indique cependant que cette formule ne fait pas l’unanimité et que certains bureaux de ville sont parvenus à s’en passer. Pourtant, ce principe conserve suffisamment de force pour s’imposer lorsque la conjoncture générale devient difficile, comme si l’accumulation des problèmes redonnait une certaine vigueur à des formes politiques en dégénérescence.

10La lecture des registres de délibération montre en effet qu’après une rapide érosion dans la seconde moitié du règne de Henri IV, la résurgence des « assemblées générales de tous les ordres, au son de cloche » dans les années 1610 assurent une coexistence de deux participations de nature différente7. Les grands états de la société urbaine comme l’ordre du clergé, les compagnies des Comptes et du présidial, le consulat, les officiers de la milice bourgeoise, sont souvent associés par leurs représentants à la définition de la politique municipale ou pour le moins à son approbation, mais ils voisinent encore avec des participants qui ne représentent qu’eux-mêmes, qu’il s’agisse de notables sociologiquement très proches du corps de ville ou de chefs de famille de plus humbles origines que le greffier ne prend toujours pas la peine d’énumérer. Avant de les déclarer insignifiants, il convient de se souvenir que les procès-verbaux les indiquent parfois « en grand nombre8 ».

Structure de consultation, 1598 1620

11L’assemblée générale nantaise repose donc sur le principe de la consultation de la « sanior pars », c’est-à-dire des « principaux habitants », ce qui est, dans l’esprit du xvii^e siècle, absolument nécessaire pour donner une légitimité à une délibération collective, la valeur de l’ouverture n’étant pas liée principalement à la quantité de personnes intégrées, mais infiniment plus à la qualité des intervenants qui savent exprimer l’intérêt supérieur de la collectivité9. Dans la culture politique classique d’Ancien Régime, seule l’indépendance économique permet de s’élever au niveau de l’intérêt général, tandis qu’une position inférieure enlève toute indépendance au jugement. À Nantes, la surprise vient de ce que la vie municipale ne s’enferme pas dans une définition aussi étroite puisqu’elle tolère encore la libre entrée des chefs de famille intéressés.

12Les problèmes qui légitiment une entrée des habitants dans les structures municipales ne sont pas très nombreux. Sur les 49 exemples relevés dans les sondages, 28 sont liés à des problèmes de défense de la cité, 10 sont associés à des problèmes des finances municipales, 6 concernent le pouvoir royal et spécialement le changement de souverain en 1610, 4 enfin relèvent de la préparation des sessions des États provinciaux lorsque ceux-ci se tiennent à Nantes. Il est impossible de considérer tous les thèmes du même point de vue.

13Lorsqu’il s’agit de l’organisation de la milice dans les phases d’insécurité militaire, il y a peu à délibérer puisque le règlement est dicté par le gouverneur de la ville10. Beaucoup de séances apparaissent plutôt comme les coordinations concrètes absolument nécessaires pour traduire en acte les principes d’un représentant royal souvent absent de la ville. Cela ne signifie pas qu’elles n’ont aucune importance politique car, bien au contraire, elles sont l’occasion de refouler chaque fois un peu plus le passé ligueur de la ville en donnant l’occasion aux élus de renouveler des prestations de serment d’obéissance et de loyalisme envers le pouvoir légitime11. De plus, conçues comme le meilleur moyen d’entretenir la mobilisation des miliciens, elles rassemblent la communauté autour de sa municipalité grâce au réveil du patriotisme de la cité. L’organisation milicienne étant avec les paroisses la meilleure structure d’encadrement de la population car elle développe une solidarité de quartier, la fréquence des assemblées générales de défense convie, sans doute mieux que n’importe qu’elle autre méthode, la population à la définition de l’orientation politique de la cité.

Sujets principaux des assemblées générales ouvertes, 1598-1620

Sujets principaux des assemblées corporatives fermées, 1598-1620

14La fréquence des assemblées après l’assassinat d’Henri IV et l’avènement de Louis XIII exprime la même volonté de montrer une communauté unie, rassemblant tous ses états et tous ses membres pour manifester au pouvoir royal le caractère irréversible de sa fidélité, et la rupture définitive avec un passé contestataire, dans la perspective d’une préservation maximale de ce qui reste des privilèges urbains12.

15Les dix assemblées générales qui ont eu à traiter des questions financières, que ce soit des problèmes du liard pour livre en 1608, du devoir de 20 sols par pipe de vin ou des dettes de la ville ont certainement été les plus délibératives, dans le sens où les échanges avec le pouvoir central ont laissé plus de latitude pour des propositions venues de l’assemblée elle-même, mais aussi celles où la participation a été la plus limitée13.

Une évolution irrégulière

16La répartition chronologique des assemblées ouvertes correspond à l’influence respective de quatre grandes variables qui commandent ce type de consultation. Tout dépend naturellement de la conjoncture politique et économique locale et nationale, des incitations du pouvoir central, de la personnalité des maires en fonction et de l’évolution des mentalités dans l’élite sociale qui se partage les responsabilités municipales. Si les rébellions des Grands et la lutte de la monarchie contre les protestants expliquent principalement la survie des assemblées ouvertes au début du xvii^e siècle, il n’est pas étonnant de voir le rythme de ces dernières se calquer sur le calendrier des prises d’armes et des expéditions militaires, ce que rend bien le gonflement exceptionnel de 1615-1617 suivi d’ailleurs par un effondrement aussi spectaculaire en 1617-1618.

17Les assemblées ouvertes étant nettement regroupées sur la seconde décennie, ce sont donc bien les problèmes de défense qui ont assuré une prolongation d’un mode de consultation déjà condamné dans l’élite dirigeante. Tant que des menaces extérieures risquaient de compromettre l’avenir politique de la ville qui n’analysait désormais plus ses chances de conservation de franchises et libertés qu’en terme de collaboration indéfectible avec la monarchie légitime, l’oligarchie s’est sentie obligée de composer avec le « bon commun » de l’artisanat et de la boutique qui seul pouvait assurer un fonctionnement suffisant de la milice14. À partir du moment où les périls parurent moins directement menaçants et que les alertes s’espacèrent au point de devenir vraiment très épisodiques, la participation des habitants ordinaires à une assemblée générale délibérative fut rapidement jugée archaïque et incongrue.

18Les assemblées générales ouvertes ont été cependant concurrencées par d’autres formes de consultation fermées aux simples habitants, les deux types s’équilibrant à peu près15. Par rapport aux données du dernier tiers du xvi^e siècle, cela traduit un recul relatif des premières et une nette progression des secondes. Ce transfert est d’autant plus significatif que ce sont les mêmes préoccupations qui justifient les convocations dans les séances plus étroites : les problèmes de défense étant cités 25 fois et les difficultés financières 16 fois. Le grand bureau apparaît ainsi comme la forme d’ouverture promis au plus bel avenir car il se détache nettement des autres structures, ce qui correspond parfaitement à la perspective tracée en 1583. Ceci traduit nettement la volonté de la classe dirigeante de se réserver le plus possible la définition des orientations municipales en ne sortant guère du cercle de la plus stricte cooptation. Cette coexistence des assemblées ouvertes et des assemblées fermées, qui cache mal l’affirmation des tendances monopolistiques du corps de ville dans sa définition la plus large, fait des années 1600-1620 une phase de transition qui voit parallèlement se défaire le mode de fonctionnement traditionnel et se mettre en place le modèle classique du xvii^e siècle.

La limitation aux structures corporatives après 1620

Le schéma classique du xvii^e siècle

19Après enquête dans les registres de délibération dont les résultats sont synthétisés dans le tableau récapitulatif qui accompagne cette analyse, le xvii^e siècle apparaît comme une période de dépérissement de la vie politique nantaise dans la mesure où l’oligarchie au pouvoir qui avait accepté tant bien que mal jusque là l’entrée de citoyens ordinaires non cooptés dans les grandes assemblées ouvertes ne la supporte plus. L’appel des prédécesseurs devient la forme de consultation préférée des dirigeants en place. L’association plus épisodique des officiers de milice ou des négociants du consulat intégrés directement dans le bureau servant ou mieux encore dans le grand bureau et la convocation d’assemblées générales qui reposent sur le principe d’une participation des délégués des trois grands corps politiques nantais complètent le dispositif. Comme les officiers de milice sont élus selon la même procédure et souvent en même temps que les maire et échevins, on devine aisément la forte cohésion de cette élite de la fortune et de la culture qui n’accepte plus d’associer même formellement quelques individualités du « bon commun » pour symboliser le consensus de la communauté.

20La liquidation des assemblées ouvertes entamée à la fin des années 16-10-1620 a très rapidement abouti. Cette recherche n’a livré que deux exemples comparables aux séances générales du début du siècle, l’un avec la mort de Louis XIII et la mise en place de la Régence, l’autre à l’occasion de la modification de la présentation des listes d’éligibilité en 164416. La troisième référence observée en 1664 n’est qu’une pâle figure d’un principe périmé puisque l’intégration ne concerne que des notables marchands concernés par la mise en place de la compagnie des Indes17.

21Les « assemblées générales » corporatives fermées qui subsistent sont minoritaires. L’enquête en livre 36 contre 80 grands bureaux, dont 10 concentrés en 1674 lors de la peur de l’invasion hollandaise18. Cela signifie que la vie municipale a fini par se rapprocher du principe de la société d’ordres car le corps de ville n’accepte plus désormais que les corps constitués comme la milice et le consulat, ou plus rarement l’ordre du Clergé, la compagnie des Comptes et le siège présidial. Si les chanoines de la cathédrale se déplacent régulièrement aux assemblées de tous les ordres, imités en cela avec cependant plus de défaillances par les députés du présidial, les officiers de la Chambre négligent de plus en plus d’honorer les invitations à partir de la seconde moitié du xvii^e siècle. Normalement l’Université n’est pas conviée, il arrive cependant qu’elle soit acceptée très exceptionnellement19.

Structures de consultation au xvii^e siècle : 1620-1690

Causes principales des consultations, 1620-1690.

22Les artisans de boutique, qui ne sont plus admis à cautionner par leur simple présence les arbitrages rendus au sein du groupe des notables, n’ont pas pu se maintenir, même par le biais d’une intégration des métiers jurés ou des principaux d’entre eux, ce qui aurait parfaitement correspondu à l’esprit de l’assemblée générale corporative. Contrairement aux pratiques en vigueur dans beaucoup d’autres villes françaises et européennes, une telle tradition n’a jamais existé à Nantes. Il aurait fallu pour imposer les jurandes comme contrepartie à la fermeture des assemblées délibératives un désir intense de participation dans les couches moyennes de la population, ce qui ne semble pas avoir existé. Le silence des archives, qui marque l’absence de protestations et de luttes publiques entre classes sociales sur le thème de la participation, traduit certainement la passivité avec laquelle le petit patronat des ateliers s’est laissée pousser hors des structures municipales dans lesquelles beaucoup avaient dû déjà éprouver le sentiment de l’inutilité de leur présence.

23La réintroduction de la Bretagne dans la guerre avec le déclenchement de la guerre de Hollande n’a pas restauré les pratiques anciennes jugées vraiment dépassées malgré la crainte d’une descente de la marine ennemie. La tension sociale qui accompagne ce climat de panique explique sans doute la prudence du bureau de ville.

Évolutions contradictoires du modèle : 1691-1729

La consultation des structures paroissiales, 1691-1702

24Pendant une douzaine d’années, au moment des deux dernières grandes guerres du règne de Louis XIV, le système d’ouverture est assez profondément renouvelé par suite de l’intégration des généraux des paroisses dans les procédures de consultation de la municipalité. Cette innovation est intimement liée à la défense des privilèges collectifs de la cité, les franchises étant menacées à cette époque par la pression constante du Trésor royal que le financement des guerres a placé dans une situation catastrophique20. Si la multiplication des offices municipaux est l’une des facettes de ces expédients, le marchandage financier du maintien des privilèges urbains est un autre moyen non moins efficace de presser les finances municipales.

25Le 25 février 1692, une « assemblée générale des trois ordres et des généraux de paroisses », n’a vu entrer au côté du bureau servant que deux anciens maires et huit anciens échevins, deux députés du clergé, et deux délégués paroissiaux, sans compter le sénéchal qui est là pour présider la séance, accompagné du procureur du roi au présidial, ce qui explique peut-être la défaillance de la députation du siège. Y sont enregistrées des lettres du maire député à la cour dont on décide copie pour les fabriqueurs « pour a leur dilligence faire assigner chapitre a dimanche prochain pour délibérer sur lesdistes lettres et les arresté qu’ils feront seront apportés duemant garantis à l’assemblée généralle assignée lundy prochain par deux de leurs députés revestus de pouvoirs suffisans pour autoriser les dellibérations ».

26Le 3 mars, la mobilisation a progressé car sept paroisses sont présentes et certaines délégations sont bien étoffées : Saint-Nicolas avec cinq personnalités, Saint-Clément avec trois. Le greffier décrit la prise de décision :

« Sur quoy après avoir ouy les marguilliers et députtés des paroisses et Monsieur le sénéchal président ayant pris les voyes de tous Messieurs présents à l’assemblée, a esté d’un commun consentement arresté que Sa Majesté sera très humblement suppliée d’agréer la somme de 100 000 livres que les habitans de cette ville offrent de paier en son trésor royal… »

27Le 27 mars, la même structure municipale, ne comprenant cette fois que six paroisses, doit de nouveau statuer, « la somme de 100 000 livres n’ayant pas été trouvé assez forte ». Les arguments du sous-maire révèlent l’état d’esprit du corps de ville : « outre que cette ville a toujours esté des premières a marquer son zelle ardent au service de Sa Majesté, il est encore bien plus advantageux aux habitants d’estre maintenus et conservés dans leurs privilèges que d’attendre une taxe qui indubitablement emporteroit leur ruine totalle et dont ils ne se pourroient relever par quelques suites de temps que l’on puisse imaginer ». Malgré la somme de 150 000 livres déjà accordée pour le financement de la guerre en 1689, l’assemblée se résout à proposer un don de 200 000 livres pour le maintien de l’ensemble des privilèges21^.

28L’affaire traîne en longueur et suscite encore des rassemblements le premier septembre (quatre paroisses) avec relance de la consultation des généraux, le 8 septembre (huit paroisses) où l’on décide une députation vers Béchameil de Nointel, tout nouvel intendant provincial et ancien commissaire préposé au dossier, le 11 septembre où le nombre de présents est jugé insuffisant malgré huit paroisses représentées, le 12 septembre (six paroisses) où est enfin annoncée l’acceptation royale et sollicitée l’attribution d’un devoir supplémentaire de 6 deniers par pot de vin vendu au détail pour financer ce don gratuit, ce qui est effectif en janvier 169322^.

29L’association des généraux de paroisse restaure une possibilité de participation plus large correspondant à l’esprit des assemblées générales ouvertes du début du siècle. Même si les fabriqueurs sont plutôt choisis au niveau des notables, le « bon commun » des artisans et des boutiquiers y trouve aussi une place non négligeable, ce qui lui donne une seconde chance de promotion à côté de la gestion des arts et métiers jurés. Ainsi, dans les exemples cités, on observe que le fabriqueur de Saint-Vincent est maître tailleur et que celui de Saint-Léonard est maître charpentier. Ces exemples, qui restent minoritaires, montrent une certaine cohabitation entre les meilleurs des boutiquiers et artisans des métiers jurés et la base inférieure de l’élite dirigeante comme les marchands de draps ou les procureurs.

30Il n’existe pas non plus de différence de nature entre cette consultation à deux degrés et les assemblées générales ouvertes du début du siècle puisque, dans les deux cas, la participation populaire reste dominée et encadrée par l’expression des notables, ce qui en fait plus une caution qu’une réelle prise en charge des problèmes posés. Cependant, la méthode de la consultation des généraux des paroisses paraît offrir plus de chance à la participation populaire, au moins celle des chefs d’ateliers et des boutiques dans la mesure où ces derniers peuvent mieux se faire entendre dans des petites réunions de quartier aux dimensions plus restreintes, dans la proximité du voisinage. Leur expression, dans la mesure où elle est suffisamment puissante, peut être d’ailleurs garantie par la rédaction d’un procès-verbal qui sert de mandat impératif pour les délégués paroissiaux qui se déplacent à l’assemblée générale de ville. Cette nouvelle orientation des pratiques municipales nantaises rapproche la ville de la tradition politique de la ville d’Angers où les paroisses forment depuis le début du xvii^e siècle la structure essentielle de l’intégration des habitants à la vie municipale23.

31De juillet 1691 à novembre 1693, on compte ainsi onze regroupements du corps de ville et des généraux de paroisse, avec cinq séances formées de la réunion du grand bureau et des délégués des paroisses, cinq séances comptant en plus une invitation des trois grands corps traditionnels (église, chambre des comptes, présidial) et une séance avec le simple bureau servant et les fabriqueurs. La différence réelle entre les deux premiers types est minime puisque dans cette période la chambre des comptes ainsi que le présidial ne délèguent pas de députés. Seul l’ordre du clergé manifeste son intérêt pour la vie municipale en envoyant régulièrement des chanoines du Chapitre cathédral. L’absentéisme dénature ainsi très souvent l’image d’un rassemblement de toute la communauté24. Sur les dix exemples où il est possible de distinguer les délégations, le palmarès de la régularité place dans l’ordre hiérarchique la paroisse Saint-Nicolas qui ne manque aucune assemblée et envoie parfois des délégations fournies, la paroisse Sainte-Croix qui n’a manqué que deux réunions et les paroisses de Saint-Clément, Saint-Similien suivies de Saint-Saturnin, Saint-Léonard avec respectivement cinq et six participations. Les autres sont particulièrement défaillantes, surtout Saint-Laurent et Saint-Radegonde.

32Il est assez tentant de mettre en parallèle cette image de l’inégale motivation des fabriques paroissiales avec l’évolution sociale constatée dans le recrutement de l’échevinage où le règne de Louis XIV est marqué par une très forte progression des marchands au détriment des gens de justice, avec dans ce dernier milieu une redistribution au profit des avocats, mais surtout des procureurs qui s’emparent de fonctions délaissées par les officiers de justice. La traduction géographique de cette redistribution sociale de l’échevinage correspond bien globalement à cette opposition des extrêmes, Saint-Nicolas et Sainte-Croix d’une part, zone de résidence de nombreux commerçants et procureurs, Saint-Laurent, Sainte-Radegonde, Saint-Jean, Notre-Dame et Saint-Denis, zone plus particulièrement officière et aristocratique.

33De 1691 à 1702, l’association entre le corps de ville et les généraux des paroisses a été la forme privilégiée de l’ouverture de la vie municipale. Les sujets qui justifient une telle orientation municipale se rapportent à l’exemption des lods et ventes pour les biens situés dans le fief de la prévôté de Nantes en 1691-1693, au problème du rachat de certains offices municipaux en 1696, à l’installation de lanternes dans les rues en application d’un édit royal, au privilège d’exemption du ban et d’arrière ban pour les roturiers possesseurs de terres nobles en 1697 et 1698 et aussi à l’exemption de la taxe des francs-fiefs exigible de tout roturier devenant acquéreur d’un fief noble en 1693 et 1700-170225.

34Cette préférence ne fait pas pour autant oublier les autres formes de consultation. L’appel des députations de l’Église, des Comptes et du présidial qui était devenue la forme principale d’ouverture du corps de ville dans la deuxième moitié du siècle n’est pas abandonnée. Les États de Bretagne ayant voté une contribution de 200 000 livres pour le Trésor royal, la ville de Nantes est taxée à 105 000 livres. Pour mettre sur pied la commission chargée de la levée de cette somme sur la cité, le maire convoque le grand bureau et les corps le 13 janvier 1694. Le 19 décembre 1700 et le 22 mars 1702, il s’agit des francs-fiefs et du remboursement de certains offices municipaux dont celui du maire perpétuel26^.

35L’appel du consulat et des principaux marchands, qui avait été épisodiquement utilisé, ne disparaît pas non plus tout en restant assez marginal. Le jeudi 4 juillet 1697, il est question de balisage de la Loire ; le 24 août 1701, on y aborde plutôt le problème des francs-fiefs27. L’invitation des officiers de milice, qui avait connu plus de faveur à partir de 1630, intéresse nettement moins les bureaux de la fin du siècle. La concurrence de la structure milicienne et des institutions paroissiales explique cette érosion. On ne peut guère citer que les exemples du 14 juin 1694 pour la réception d’un lieutenant à la Fosse dans un office vénal et du 7 décembre 1704 sur les conditions d’exercice des officiers de milice28.

36D’autres séances paraissent plus informelles, avec la participation de certains notables qui viennent renforcer le grand bureau. La justification de leur invitation, qui se situe en dehors du cadre corporatif, demeure énigmatique. Quelques exemples parleront mieux que de longues analyses. Le 14 décembre 1692, le grand bureau accueille treize individus présentés globalement par le greffier sous l’étiquette : « ... et nobles bourgeois, manans et habitans », appellation qui recouvre quatre procureurs au présidial, deux marchands, deux avocats au parlement, un lieutenant du grand prévôt, le procureur du roi à la prévôté, un capitaine de milice, un notaire royal et un gentilhomme29. Ce sont des assemblées de ce type qui se réunissent pour la réception des nouveaux officiers assesseurs, comme celle du sieur Minier le 28 janvier 1693, celle du sieur Loppe le 20 février 1693 et celle du sieur Rolland le 29 mars 1693. Sont présents essentiellement des marchands, des officiers de milice, des procureurs, des sieurs, c’est-à-dire des notables caractéristiques de la base sociale de municipalité. Le 24 août 1701 une assemblée identique se penche elle aussi sur le problème des francs-fiefs30.

Le retour au classicisme, 1703-1717

37À partir de 1703, la collaboration entre la municipalité et les fabriques paroissiales disparaît à peu près complètement ; à peine peut-on citer un exemple comme le mercredi 5 décembre 1708 où une telle structure a été réunie pour demander la suppression de la capitation31. Quelques grands bureaux ont continué à associer le consulat et les principaux négociants comme le 13 novembre 1710 où le débat porte sur l’utilité de fabriquer des eaux de vie à partir du sirop de sucre dans le comté nantais, cette production venant concurrencer l’activité traditionnelle des distilleurs de vin nantais. Le 17 novembre 1710, la délibération reprend avec théoriquement les députés des trois ordres, mais ne s’y trouvent que deux chanoines32.

38Cependant, l’assemblée générale du corps de ville et des trois ordres est redevenue la forme principale de l’ouverture. Cette structure est appelée pour traiter les sujets les plus variés avec comme exemple l’établissement des religieuses hospitalières le dimanche 17 février 1704 et le mercredi 10 juillet 1709, la levée d’un don gratuit de 45 000 livres pour la conservation des privilèges de bourgeoisie le 9 juin 1706, le rachat des offices municipaux le 3 septembre 1708, le lundi 20 mars 1713 et le dimanche 17 mars 171533. L’année 1709 qui connaît une inflation de séances ouvertes marque bien la prédilection des élus pour ce type de consultation. Les 9 et 19 avril, ce sont les problèmes frumentaires qui sont à l’ordre du jour ; le 10 juillet, les conditions d’installation de religieuses, mais surtout la querelle entre la municipalité et le lieutenant général de police qui est en même temps le prévôt. Sont aussi en question le droit d’entrée aux assemblées générales de la ville et le rang d’assistance donc de délibération, ce qui occasionne trois assemblées, les 25 avril, 6 mai et 28 août 170934.

39Les assemblées élargies, qui ne sont pas très fréquentes entre 1703 et 1708 (deux en moyenne par an), se raréfient encore plus à partir de 1710. Seule l’année 1717 connaît un éphémère sursaut avec trois séances justifiées par la remise à jour des listes des habitants obligés de contribuer à la fourniture aux casernes lors du passage des troupes en ville35.

Structures de consultation, 1691-1720

Causes principales des consultations, 1691-1720

La crise des structures consultatives, 1718-1729

40Le dépérissement des assemblées générales des trois ordres est nettement confirmé sous les bureaux municipaux dirigés par le subdélégué Gérard Mellier (1720-1729). Dans le droit fil de la politique de l’intendance, ce dernier réserve tout le champ administratif laissé par l’autorité de tutelle devenue très pesante au seul bureau servant. Le grand bureau lui-même est négligé. Les quelques exemples d’ouverture ne concernent que le seul bureau servant comme en témoigne la protection contre une éventuelle recrudescence de peste au temps de la terrible catastrophe de Marseille. Mellier traite tout avec les échevins en charge et n’admet que peu d’exceptions à cette règle comme par exemple les 23 et 25 octobre 1720 et le 12 juin 1721, en faveur du consulat36. Le grand bureau est ainsi réduit à la séance statutaire du 30 avril pour la préparation des élections ou à l’assistance aux cérémonies publiques (assemblée de réception, entrée de ville, enterrement, processions).

41Cette évolution a fini par inquiéter une partie de l’oligarchie municipale. Il faut pourtant attendre les derniers mois de la longue direction du maire-subdélégué pour que, les ressentiments ayant suffisamment mûri, la crise éclate au sein de la municipalité nantaise. Le 22 juin 1729, le procès-verbal marque bien les oppositions :

« ... ensuite de quoy a été représenté par plusieurs anciens échevins que depuis l’établissement de la communauté, il a toujours été d’usage que l’ancien bureau et toutes les compagnies de la ville étaient consultez sur toutes les affaires importantes, que cet usage a été interrompu depuis quelques années quoiqu’il fût plus nécessaire que jamais qu’ils s’assemblassent à ce sujet, que non seulement toutes les compagnies et corps de ville le désirent avec empressement mais qu’il est même une nécessité indispensable pour le bien et l’utilité du public qu’ils prennent connaissance de plusieurs affaires qui les regardent »37.

42Les instigateurs de ce texte, qui regrettent les équilibres du xvii^e siècle, n’ont pas de difficultés à établir le dépérissement des formes d’ouverture du bureau servant tant il était évident pour tout observateur un peu intéressé par la vie publique. Ils soulignent que cette fermeture, gravement préjudiciable aux intérêts de la communauté, est mal vécue par les porte-paroles naturels de l’opinion publique, les anciens élus et les grandes compagnies, frustrés dans leur désir de participation à l’élaboration de la vie municipale. Ce deuxième volet de l’argumentation est cependant beaucoup plus fragile car il oublie l’absentéisme qui a dénaturé ces types de séances. L’administration royale peut aisément rappeler le boycott de la chambre des comptes qui ne daigne plus se faire représenter depuis le milieu du xvii^e siècle et les insuffisances du présidial qui n’assure qu’une représentation irrégulière, les députés de l’Église de Nantes étant de loin les plus assidus. Dans les grands bureaux, la faiblesse du nombre des anciens maires et les fortes variations de celui des anciens échevins sont aussi des données connues. L’absentéisme a également beaucoup perturbé la bonne représentation des paroisses dans le bref intermède de leur participation.

43Ne soyons pas injuste cependant et reconnaissons aux anciens échevins qui élèvent la voix en 1729 que ce sont bien eux qui ont répondu avec le plus d’intérêt et de constance aux invitations des bureaux en exercice. Leur critique correspond donc certainement à un réel désarroi face à une bureaucratisation de la vie municipale favorisée par le développement de l’intendance, spécialement à partir des années 1720-1730. L’intendant Des Gallois de la Tour (1728-1735) a d’ailleurs enterré immédiatement toute discussion en légitimant de toute son autorité administrative l’évolution de la pratique municipale nantaise qui concentrait de plus en plus toutes les affaires sur le seul bureau servant, lequel était de plus en plus en lien avec l’autorité de tutelle rennaise. Cette fin de non recevoir s’est concrètement traduite par l’inscription en marge de la requête de juin 1729 du refus de tout retour en arrière.

Conclusion

44Les convocations des assemblées générales ouvertes à des habitants non mandatés par des corps urbains, mais apportant symboliquement la caution populaire aux orientations négociées entre le corps de ville et les principaux états, se sont prolongées jusque vers 1620 malgré les critiques lancées dès les années 1580 par une partie de l’élite dirigeante contre un système jugé archaïque et nuisible. Cette survie d’une structure contestée s’explique principalement par l’instabilité politique et ses retombées militaires dans la période 1610-1620. La monarchie, toujours inquiète de voir la ville se rallier aux entreprises du duc de Vendôme et de ses amis, relance régulièrement la municipalité sur l’organisation de sa défense. L’oligarchie dirigeante, qui cherche avant tout à faire oublier le passé ligueur de la ville et qui joue à fond la carte du loyalisme pour la conservation de l’ensemble de ses privilèges, ne déçoit pas un instant le pouvoir royal. La plupart des séances élargies de la municipalité sont justifiées par des impératifs de défense. Pour assurer la mobilisation générale, rien ne vaut une assemblée générale ouverte où s’organise concrètement le plan d’action donné par le gouverneur de la ville en même temps que se formule périodiquement un serment de fidélité au pouvoir légitime. Dans cette perspective, les rassemblements sont éminemment politiques puisqu’ils confortent la cohésion de l’ensemble de la communauté dans une période où la cité a besoin de rassembler toutes ses forces pour assurer son avenir.

45Les traditionnelles assemblées ouvertes ont pourtant subi la concurrence de consultations plus étroites, fermées aux habitants ordinaires. Au sein de formules variées, l’appel aux maires et échevins déjà sortis de charge est devenu l’ouverture préférée des bureaux servants. Par rapport aux réflexes du dernier tiers du xvi^e siècle, cette affirmation du rôle politique du grand bureau correspond à un recul relatif des assemblées générales ouvertes. L’idéal de fermeture exprimé si clairement en 1583 progresse régulièrement, même s’il est contrarié par la conjoncture politique troublée des débuts du règne de Louis XIII. Une nouvelle organisation de la vie municipale s’affirme, encore partiellement masquée par l’effritement de l’ancienne qui connaît un dernier épanouissement en 1616-1617 avant de disparaître rapidement.

46Les procédés habituels de consultation du xvii^e siècle se limitent après 1620 à l’association des principaux corps de la société nantaise, à l’exclusion des arts et métiers qui n’ont jamais constitué une structure politique dans la ville. Les élus font donc périodiquement appel aux chanoines de Saint-Pierre qui parlent pour l’Église, aux députés des compagnies des Comptes et du présidial, aux officiers de milice, aux consuls du Commerce, rarement à l’Université, mais aussi à des habitants cooptés comme les principaux marchands de mer ou les créanciers de la ville. La dernière décennie du siècle est spécifique dans la mesure où les problèmes financiers issus d’une attaque généralisée du fisc contre les privilèges urbains ont conduit à la collaboration avec les paroisses qui sont invitées à députer.

47Cette limitation de l’ouverture à des délégués mandatés a donc restreint considérablement la participation des habitants, enlevant spécialement toute possibilité d’association à la strate artisanale et boutiquière qui participe par ailleurs aux élections municipales. Cette contraction est d’autant plus sévère que la classe dirigeante cherche à monopoliser les débats en privilégiant systématiquement les grands bureaux municipaux qui représentent 60 % des formes d’ouverture du strict bureau servant. L’absence de protestations laisse à penser que le « bon commun » s’est facilement résigné à cette marginalisation parce que la plupart de ces maîtres d’ateliers et de boutiques se désintéressaient depuis longtemps de cette participation, considérant qu’il était de la vocation naturelle des élites de consacrer leur énergie, leur temps et pourquoi pas leur argent à l’administration de la cité.

48L’association des « principaux habitants » à l’élaboration de la politique municipale revêtait des formes très variées. Le maire et les échevins servants disposaient d’une procédure d’une infinie souplesse. Aucune structure n’était spécialisée dans un domaine, tous les sujets étaient négociables dans toutes les séances. Toutes les combinaisons étaient possibles sur un même thème, par exemple sur les dossiers si épineux des privilèges.

49Avec le xviii^e siècle, l’accroissement progressif de la tutelle de l’intendance a accéléré la bureaucratisation de la vie municipale nantaise. Mellier, maire et subdélégué, a parfaitement oublié de convoquer ces séances élargies détestées par l’intendance. Cette liquidation de ce qui restait d’une ancienne tradition a fini par émouvoir l’oligarchie dirigeante qui se sentait frustrée dans le nouveau mode de fonctionnement et qui manifesta son désir d’une restauration des anciens équilibres en 1729. La réplique très sèche de l’intendant, qui ordonna de rayer la délibération sur le registre, montra à tous qu’une page était tournée.