1Le corps de ville, incarnation concrète de l’ensemble de la communauté d’habitants, regroupait le maire, les six échevins, le procureur du roi syndic et un greffier, c’est-à-dire le bureau servant, mais aussi, dans une définition élargie, les anciens maires, échevins et syndics sortis de charge, associés épisodiquement jusqu’à leur décès à la vie politique nantaise. Dans le langage du xvii^e siècle, on dissociait le bureau servant de l’ancien bureau qui, réunis, formaient le grand bureau ou corps de ville.

2Le bureau servant, qui associait neuf magistrats municipaux, était l’organe supérieur de l’administration urbaine. Il convient donc de commencer cette étude par une évocation des différentes responsabilités qui mette en valeur leur spécificité mais aussi leur complémentarité. Pour définir le poids essentiel du bureau servant dans le fonctionnement de la municipalité, le mieux est de le regarder travailler. Comme toujours, il est sage d’établir une différence entre les règles institutionnelles dans leur évolution et le comportement des élus chargés de conduire les affaires de la ville.

Le bureau servant

3Les lettres patentes de François II, données à Blois en janvier 1559, ont attribué le pouvoir de gestion à un ensemble de douze personnes, avec un maire et dix échevins, véritables décideurs, et un procureur-syndic sans droit de vote, mais non sans influence. Le nombre d’échevins fut ramené de dix à six, sur demande municipale, par de nouvelles lettres patentes d’août 1581, attendu « que pour le petit nombre de notables personnages qu’il y a en icelle, dignes et capables de telles charges, il seroit à l’advenir impossible de continuer telle élection de dix eschevins de trois ans en trois ans »1. Le nouveau règlement entra en application en 15842. Cette définition ne devait plus bouger jusqu’à la Révolution, si l’on veut bien mettre entre parenthèses les quelques innovations, au demeurant fort limitées et toujours très brèves, apportées par la politique fiscale officière à partir de 1692, spécialement dans les années 1730.

Le maire

Les présidences du maire

4Dans le « code municipal » du 2 décembre 1564, texte de référence, cette question primordiale est développée dès le second article. Les édiles souhaitent que « pour l’exercice de la dite mairie ils se pourront assembler en la maison commune de la ville ou tel autre lieu qu’ils verront et y faire leurs délibérations et ordonnances sans estre tenu y appeler aulcuns juges et aultres officiers si bon leur semble… »3. Cette exclusion visait le capitaine du château suspecté de vouloir prolonger son ancien droit de présidence du Conseil des bourgeois, mais aussi le sénéchal qui acceptait très mal la nouvelle distribution de la police et qui animait le front du refus depuis 1559. Un arrêt du conseil du 14 décembre 1575 a cependant transféré la présidence des assemblées générales au sénéchal qui a pu en bénéficier sans problème jusqu’en 1693. Cette amputation s’explique par la lutte sévère qui a opposé depuis 1559 les partisans de la municipalité où se trouvent surtout les plus riches marchands et leurs adversaires où dominent les officiers royaux. Si le roi a imposé la nouvelle institution parce qu’elle lui semble favorable au développement de la ville, il n’a pas souhaité pour autant abaisser outre mesure l’autorité de ses représentants4. Si le sénéchal était empêché, il était suppléé par son alloué, le président du présidial, ou encore par le lieutenant général au présidial5.

5La transformation de la fonction élective en office vénal a complètement renversé la situation. Les lettres patentes de Julien Proust lui ont conféré le droit de « présider aux assemblées générales et particulières qui se feront pour les affaires de la dite ville »6. De 1693 à 1715, les habitants ont ainsi pris l’habitude d’assister à des assemblées toujours placées sous la direction du maire en charge. La municipalité ayant racheté l’office à la mort du titulaire, la question de la présidence ne pouvait que resurgir. Elle alimente naturellement la rivalité qui oppose au début des années 1720 le sénéchal et président du présidial Louis IV Charette de La Gascherie et le subdélégué-maire Gérard Mellier7. Après la recherche d’un compromis défini par l’arrêt du conseil du 24 décembre 1727 attribuant les assemblées délibératives au maire et les électives au sénéchal, le pouvoir royal a préféré, pour hâter le rachat des offices municipaux par la communauté, revenir à la définition de 1693 dans son arrêt du conseil du 5 avril 1748.

6Comme le maire présidait les bureaux servants où se décidaient la majeure partie des options du corps de ville, il était amené à entretenir une imposante correspondance avec les autres organes de l’administration royale. Naturellement, le rythme de ces échanges restait lié au dynamisme propre de chacun. Un bourreau de travail comme Mellier (1720-1729) a laissé suffisamment d’archives pour prouver qu’il s’agissait bien là d’une activité essentielle. Le caractère exceptionnel de cette documentation et la rotation rapide des notables élus laissent à penser que la majorité s’en tint à un niveau nettement plus médiocre.

7Le maire était considéré comme responsable des arrêtés pris au sein du bureau servant, ce qui le plaçait en première ligne dans les périodes de tension avec le pouvoir central. En 1662, le maire Jean Poullain de La Vincendière, avocat du roi au présidial, en fit l’amère expérience. Soucieux d’éviter les murmures du menu peuple et une « émotion » de tous ceux que menaçait la grave crise frumentaire des années 1661-1662, le bureau décida de passer outre aux ordres du roi prescrivant le maintien de la libre circulation des blés sur la Loire en affectant prioritairement les cargaisons au marché nantais. Le maire fut mandé à la cour pour s’expliquer sur cette désobéissance ainsi que sur des accusations de spéculations illicites et de pots de vin perçus afin de laisser filer discrètement quelques bateaux vers l’intérieur du royaume. Il réussit à éviter ce pénible voyage en invoquant une maladie qui le clouait au lit, mais qui finit par l’emporter le 22 mai 1662. Cette crise a tellement frappé les esprits que bien des décennies après, courait encore dans la ville la légende d’un décès fictif, esquive imaginée par un officier inquiet pour finir doucement son existence à l’ombre protectrice de l’abbaye de Buzay8.

Le colonel de la milice bourgeoise

8La milice bourgeoise était une troupe urbaine chargée initialement de la défense de la cité. L’idéal, de plus en plus utopique suite à l’évolution des techniques de guerre, reste d’assurer sa propre défense. Au xvii^e siècle, bien que bon nombre d’habitants rechignent au service de la garde nocturne et que la milice soit maintenant plus tournée vers le maintien de l’ordre intérieur, la vieille mentalité médiévale se perpétue plus ou moins bien. Pensée dans un ordre conceptuel assez mythique, la milice bourgeoise entretient l’identification communautaire, comme au temps des « bonnes villes »9.

9En 1565, la milice était aux ordres d’un connétable, ancien officier ducal devenu royal, lieutenant du capitaine du château de Nantes. Les premières municipalités tentèrent par conséquent de réunir cet office au bureau servant, d’autant que les deux officiers militaires conduisaient l’opposition à la transformation du conseil des bourgeois. Leurs efforts ont abouti au rachat de 157810, victoire fragile et contestée jusqu’en 1588, puisque la Chambre de comptes prétendit d’abord n’y voir qu’un transfert sur la personne même du maire11. À partir de cette date, le maire fut automatiquement reconnu colonel de la milice bourgeoise, comme une sorte de lieutenant du gouverneur des villes et comté.

10Le corps de ville n’a jamais oublié cette source profonde de respectabilité, comme le montre son attachement à renforcer les privilèges du service à partir de justificatifs militaires. Aux États de Bretagne de 1667, le maire François Lorido, négociant encore roturier, a réussi à se faire admettre l’épée au côté, comme colonel, même « lorsqu’il a porté l’avis du Tiers aux ordres de l’Église et la Noblesse ». Le corps de ville a saisi cette occasion pour associer de la façon la plus solennelle qui soit cette dignité nouvelle à la fonction politique en remettant comme un trésor de guerre le certificat de cette session aux archives municipales et en décidant d’offrir dorénavant à tous les maires entrant une épée et un porte-épée de valeur 12^.

Le chef du corps de ville en représentation

11Bénéficiant de son attachement tardif au royaume (édit d’Union de 1532), la Bretagne a pu conserver ses États provinciaux, c’est-à-dire une assemblée représentative suivant le principe des ordres et de la « sanior pars » qui avait droit de regard sur l’administration provinciale, spécialement sur les problèmes d’imposition. Le Tiers-État était formé des délégations des 40 communautés urbaines principales, ce qui laissait à Nantes le privilège d’y envoyer des représentants, et même tout le bureau servant lorsque les États se déroulaient dans la ville même13. Le choix était normalement réglé par le corps de ville dans un grand bureau, mais il arrivait qu’on se satisfasse du seul bureau servant pour sélectionner les députés.

12Au xvii^e siècle, ces délégations comprennent le plus souvent deux ou trois membres qui appartiennent presque toujours au corps de ville14. Très rares sont les adjonctions d’officiers royaux comme le prévôt, le sénéchal, un officier du présidial ou des Comptes. Le maire est souvent désigné par respect de la dignité supérieure de sa fonction, sans que cette nomination ne se transforme en privilège absolu. C’est surtout à partir des années 1620 que s’établit cette préférence qui devient systématique sous le règne de Louis XIV. Ainsi, la définition des provisions de l’office de maire en 1692 ne fit-elle qu’inscrire dans le droit une habitude politique en garantissant au nouvel officier l’intégration automatique dans la députation. Le retour au statut électif en 1716, qui rétablissait les anciennes procédures, ne remit pas en cause cette tradition. Le maire était souvent accompagné d’un ou plusieurs échevins ou du syndic, même si ce dernier semble écarté à partir de l’extrême fin du ^xviie siècle. Lorsque des officiers de justice étaient intégrés dans la délégation, des conflits de préséance pouvaient éclater, mais ils ne concernèrent jamais que le rang des échevins ou du syndic, le maire étant toujours considéré comme le chef naturel de la délégation15^.

13Dans les processions religieuses, le corps de ville participe avec toutes les autres compagnies et états de la ville à la célébration de la stratification sociale traditionnelle. Pour la procession de la Fête-Dieu, il marche après toutes les confréries des métiers et la compagnie du consulat du commerce, devant l’ordre du clergé conduit par les religieux de la ville. Le maire avance seul, quelques pas derrière sa compagnie, dans la position la plus favorable, pour mieux souligner la dignité supérieure de sa charge.16

14Ce sont les entrées de ville qui exaltent le mieux la suprématie du maire lorsque ce dernier accueille des grands personnages ou le roi lui-même au nom de toute la communauté17. Le jour venu, il se déplace, en tête du bureau servant et des compagnies de la milice bourgeoise, vers la porte de ville où doit s’opérer la cérémonie d’accueil. Le geste rituel réside dans l’offrande des clés de la cité à l’invité qui les redonne en assurant qu’elles sont « en de très bonnes mains ». Au début du xvii^e siècle, des mises en scène spectaculaires qui prolongent celles du siècle précédent, se chargent de célébrer la gloire du roi pour mieux assurer la pérennité des privilèges urbains dans un loyalisme protecteur18. Lorsque le visiteur a gagné son logis en suivant un parcours pavoisé en compagnie d’une délégation de milice, le maire et le corps de ville, encadrés par les archers et les huissiers en tenue de parade, se déplacent au domicile d’accueil de l’invité pour la cérémonie officielle de bienvenue où se répondent compliments et remerciements. Après avoir offert les cadeaux traditionnels, bouteilles de vins, confitures, pièces d’étoffe, le maire reconduit le corps de ville à la maison commune. Les grandes fêtes, telles que des reconstitutions de batailles navales sur la Loire, organisées à l’occasion des séjours royaux, valorisent également le premier magistrat d’une cité qui affirme sa puissance dans les réjouissances offertes à son roi. Malgré l’appauvrissement progressif de ces entrées de ville victimes de la sédentarisation d’une monarchie centrée sur la cour et de la mise en place d’un système centralisé de célébration privilégiant les Te Deum19, la répétition de ces défilés, qui rappelait à toute la communauté son incarnation dans une élite supérieure chargée d’exprimer le bien public, ne pouvait que conforter l’autorité de son chef légitime.

Les échevins

Au sein du bureau servant

15Les six échevins disposaient en fait du pouvoir fondamental qui orientait la politique municipale. Pour prendre une décision, le maire devait dégager une majorité dans le bureau servant, donc convaincre les échevins du bien fondé de ses propositions ou de celles du syndic. Il est très difficile de rendre compte du fonctionnement interne de l’organe dirigeant de la municipalité, car les procès-verbaux des registres de délibération ne détaillent pas les interventions. Ils résument l’orientation choisie en se contentant de noter qu’elle est issue « de l’avis commun de ladite assemblée ». Les édiles se mettaient-ils facilement d’accord étant donné leur homogénéité culturelle et leurs intérêts économiques et sociaux communs ? La réponse est impossible à donner. Il faut seulement remarquer que la règle de la soumission de la minorité à la majorité a bien fonctionné si, par hypothèse, des analyses divergentes se sont exprimées. On ne peut que constater la rareté des procès-verbaux où un conflit est relaté. Trois exemples rappellent cependant que ce n’était pas impossible.

16En 1630 et 1631, dans une période de grave crise économique et épidémique, le bureau servant ne parvient pas à trouver son unanimité. Cinq de ses membres – le maire et quatre échevins – sont critiqués par deux échevins minoritaires qui en appellent à l’arbitrage des anciens maires et échevins. La confusion règne dans la municipalité, les appels au Conseil du roi se multiplient. Ce dernier confie une enquête au gouverneur de la ville et comté qui n’aboutit à rien. Le renouvellement du bureau servant liquide le conflit, les notables cherchant à retrouver au plus vite leur unité. Le refus de la minorité et l’appel au corps de ville sont ici justifiés par la défense des traditions politiques municipales : impératif de l’assistance sanitaire et alimentaire offerte aux pauvres dans les grandes crises de subsistance et les agressions épidémiques, libre entrée des chefs de famille dans l’assemblée électorale du premier mai20. En 1686, les cinq échevins se dressent contre le maire qui prétend jouir du privilège d’inscription directe d’un notable sur la liste d’éligibilité21. Ne disposant que du soutien du sous-maire, le premier magistrat est finalement désavoué par le pouvoir central. Après 1720, le subdélégué-maire Mellier, qui prétend moraliser l’exemption de fouages et faire payer partiellement l’exemption des francs-fiefs par les privilégiés, se heurte à la résistance des édiles choqués par ce manque de soutien aux intérêts de l’élite dirigeante. Leur mauvaise volonté fait traîner l’affaire jusqu’au décès du maire en 1729 qui permet de renouer avec la stratégie traditionnelle de rachat sur les octrois.22

17Lorsque des divergences d’appréciation se manifestent dans le bureau servant, les échevins ont la force numérique pour bloquer une décision qui leur déplaît. Ces conflits semblent avoir existé uniquement lorsque des traditions bien établies sont remises en question. C’est comme si les échevins se sentaient une mission d’opposition lorsque la coutume leur paraissait menacée, lorsque les règles de bases conservées dans la mémoire collective de l’élite sociale leur semblaient transgressées. C’est dire si, dans ces conditions, étant donné la forte homogénéité culturelle, sociale et politique de l’élite, ces occasions furent rares sous l’Ancien Régime.

18Un des échevins jouissait d’une dignité supérieure car il était amené à remplacer le maire dans toutes ses présidences si ce dernier était empêché23. On lui donnait pour cela le titre de « sous-maire ». Choisi personnellement par le maire jusqu’en 1598, ce fut ensuite le premier nommé par le pouvoir royal qui en bénéficia la dernière année de son mandat.

Les commissions des échevins

19Pour assurer le respect des ordonnances municipales de police, le bureau servant nommait chaque semaine l’un d’entre eux comme commissaire pour représenter en permanence le bureau et régler au plus vite les menus problèmes de la vie quotidienne. Chaque échevin y passait obligatoirement. Grâce à cette rotation, cette responsabilité ne revenait que toutes les six semaines, ce qui imposait huit à neuf commissions dans une année. Cet élu, incarnation du bureau servant, ne doit pas être confondu avec les commissaires de police, officiers dont les charges furent créées par lettres patentes en novembre 1699 et achetées par le corps de ville pour la somme de 18 000 livres en 1708, en attendant d’être vraiment pourvues de titulaires par la mairie de Mellier en 172024^.

20Le bureau de ville décidait parfois une visite spectaculaire des quartiers pour impressionner le public, inquiéter les fraudeurs, rassurer les consommateurs. Les archives livrent des témoignages épisodiques de ces interventions. Un récit du greffier en 1644 illustre cette forme d’intervention :

« ... C’est a savoir que Monsieur le soubs-maire aura le soing de faire les visittes nécessaires pour le pain et bled et faire garder le prix et poix au pain a ce qu’il ne sy commette d’abus, le second de Messieurs les eschevins prandra le soing de faire executer la pollice pour le boys et charbon, le troisième des susdits sieurs la fera exécuter pour le beurre et le suif, le quatrième prendra le soing des ponts et pavés du costé de la poissonnerye en deça l’eau, le cinquiesme pour les ponts et pavés du deça l’eau et le sixiesme prandra le soing des poissons, poullaillerye et boucherye, et en cas de contravention a la pollice chacun d’eux en fera son rapport au bureau pour y estre pourvu et ordonné ce qui se trouvera, sans préjudice néanmoins pour chacun d’eux de vacquer aux visittes outre lesdistes commissions quand bon leur semblera »25.

21Pour cette surveillance, les échevins pouvaient s’appuyer sur les archers de la mairie, mais leur nombre très limité, six aux xvi^e et xvii^e siècles et huit à partir de 1720, ne renforçait guère l’efficacité du contrôle26. Les officiers de milice bourgeoise étaient mis eux aussi à contribution car ils avaient l’avantage de bien connaître les artisans boutiquiers de leur quartier. Pour clore cette description du rôle des échevins dans la police municipale, n’oublions pas de mentionner la participation au tribunal de police où le bureau siégeait conjointement avec le prévôt depuis 158127.

22Pour les travaux relevant du corps de ville, on déléguait souvent deux échevins avec mission d’enquêter sur les défaillances des constructions chancelantes. Leurs procès-verbaux de visite des ponts, des grandes rues, des fortifications, des rivières, des bâtiments publics, servaient de justificatifs pour rédiger les demandes d’autorisation d’ouverture de chantiers et d’aides financières supplémentaires auprès de l’administration royale. Les échevins dressaient aussi les certificats de conformité des parties déjà effectuées dans les travaux en cours. Ce document était indispensable pour établir une ordonnance de paiement pour que le miseur règle les factures présentées par les adjudicataires des travaux.

23Lorsque le bureau servant décidait d’être son propre conducteur de travaux et lorsqu’il employait un grand nombre d’artisans pour de grandes opérations comme la réfection des ponts par exemple, il confiait l’organisation du travail et le suivi des ateliers à son contrôleur. Par exemple, en mars 1632, le contrôleur Étienne Bourboulon avertit le bureau de la livraison de « nombre de boys et madriers dont on a tous les jours besoin pour la réparation des ponts… » pour que ce dernier délègue un échevin pour faire le toisé avant de donner quitus au vendeur. En octobre 1632, un échevin achète de la laine et des toiles pour la fabrication des matelas destinés au sanitat. Fin janvier 1642, un échevin accompagné du contrôleur Guillaume Rapion, négocie la fourniture de planches et de madriers chez un marchand de bois28. Les artisans étaient payés à la semaine et le miseur ne pouvait verser les salaires qu’en présence d’un commissaire échevin selon un règlement établi en 158129. Cette méthode, fréquente au xvi^e siècle et dans les deux premiers tiers du xvii^e siècle, fut de plus en plus délaissée par la suite au profit de l’adjudication.

24À partir de 1650, le sanitat, ouvert en 1572 pour accueillir les pestiférés, fut transformé en dépôt de mendicité et obtint le statut d’hôpital général en 1671. Il se trouva donc amené à rassembler les services d’aide sociale : centre d’apprentissage pour les orphelins, atelier de travail pour les pauvres renfermés, refuge pour les prostituées déchues ou repentantes, maison d’accueil pour les vieillards isolés sans ressources, asile d’aliénés30. La gestion était confiée à un conseil d’administration de douze personnes, dont huit notables et quatre délégués représentant respectivement le chapitre de Saint-Pierre, le présidial, la chambre des comptes et le corps de ville. Le bureau confiait cette charge à l’un des échevins.

25Différentes députations étaient nécessaires pour la défense des intérêts de la communauté, tant au niveau provincial qu’auprès du Conseil du roi. Les échevins y tenaient leur place à côté du maire ou du syndic31. Dans les délégations désignées pour les États de Bretagne, on voit souvent l’un d’eux accompagner le maire. Certaines missions pouvaient même devenir très importantes. En 1722, Mellier confie à un échevin, le négociant Pierre Le Prieur, le soin de marchander le rachat des offices municipaux ressuscités en août 1722 après leur extinction en 1717. Deux séjours à la cour sont nécessaires, ce qui représente au total plus d’un an d’absence32.

Le procureur du roi-syndic

26Cette fonction, qui, par certaines de ses caractéristiques, maintient du côté des maires et échevins, fait passer également dans la catégorie des employés de la municipalité. Membre de droit de tous les types de conseils, il y exerçait une influence considérable, sans avoir le droit de vote pour la décision finale. Principal agent administratif rétribué avec des gages annuels alors que les maires et échevins n’avaient que des primes, des privilèges honorifiques et financiers et le défraiement de leurs déplacements pour députation, il fait plutôt penser à une sorte de secrétaire général d’une municipalité contemporaine. Pourtant, à la différence de ce dernier, il était élu par les habitants dans les mêmes conditions que le maire, les échevins, les officiers de la milice bourgeoise, pour un mandat de trois ans, plusieurs fois renouvelable. Pour mieux cerner son rôle, il convient de rappeler qu’il est cohéritier, avec le maire, des responsabilités du procureur du conseil des bourgeois légalement institué depuis 1420, c’est-à-dire du syndic de l’assemblée des habitants incarnée dans un collectif de trente à cinquante personnes qui s’est imposé dans l’administration locale dans la première moitié du xvi^e siècle.

Le gardien de la législation royale et des privilèges nantais…

27En tant que procureur du roi, il avait mission d’exprimer les volontés du souverain en ordonnant l’inscription au registre des arrêts du conseil, des édits et des ordonnances sortis du travail législatif gouvernemental et naturellement de veiller au respect de ces textes de référence. Il en était de même pour les compléments issus de l’administration provinciale comme les arrêts du parlement de Bretagne, les ordonnances du gouverneur du Comté ou, après 1689, celles de l’intendance. Il contrôlait ainsi la conformité des arrêtés municipaux par rapport à l’ensemble de la réglementation royale.

28Si le procureur agit comme une sorte de relais des organismes de tutelle, il a aussi la charge de veiller à la conservation des privilèges de la communauté. La municipalité est très attentive à obtenir confirmation de son catalogue de droits et de franchises à chaque changement de monarque, moyennant quelque don gratuit naturellement. Les libertés remontent à la période ducale, spécialement au xiv^e et au début du xv^e siècle. Les lettres patentes de Louis XIII données à Paris en juin 1610 et celles de Louis XIV données aussi à Paris en 1644 montrent que la communauté dispose d’une quinzaine de droits fondamentaux33 dont les plus menacés furent ceux des exemptions de lods et vente et des francs-fiefs, mais aussi le privilège politique du bureau servant de nommer lui-même les gardes des portes des remparts, ce dernier étant souvent confisqué par le gouverneur de la ville et du comté.

29Le droit administratif distinguait nettement le procureur, sorte de conseil, et le maire et les échevins considérés comme les seuls responsables des orientations ou des défaillances municipales comme le prouve son maintien lors de la destitution du maire et des six échevins par Louis XIII en décembre 163734. Cette distinction mène à préciser l’étendue exacte de son influence.

Un rôle essentiel dans le travail municipal

30Le procureur-syndic introduisait tous les débats dans tous les conseils de la communauté. Après l’ouverture de la séance par le président, il exposait les questions en suspens après en avoir conduit l’instruction. Conservateur des titres de la ville, historien des anciens conflits et des procédures traditionnelles, il puisait dans ses enquêtes une information supplémentaire qui lui assurait une supériorité de fait dans les séances. Son influence ne venait donc pas de privilèges spéciaux ou d’une dignité supérieure, mais du surplus d’information qui lui permettait de dominer les débats, de conduire la discussion, de présenter des orientations réfléchies préalablement. Ajoutons que sa permanence dans la fonction (mandat de trois ans renouvelable) renforçait encore sa position face à des élus soumis à une rotation rapide (mandat annuel du maire, avec souvent une prolongation, mandat de trois ans pour les échevins sans aucune possibilité de maintien). Le bureau ne prenait jamais de décision sans avoir entendu ses conclusions qui précédaient immédiatement le vote.

31Dans les grandes contestations entre la municipalité et les autres cours de justice, le procureur-syndic rédigeait les mémoires détaillant les arguments juridiques fortement appuyés de preuves historiques pour assurer le triomphe de la version municipale. Il était parfois envoyé en mission d’étude comme en 1650 où Étienne Touraine est allé à Saint-Malo pour examiner les règlements locaux concernant le commerce.

32Considéré comme le premier employé municipal, il avait autorité sur tous les autres. Supérieur hiérarchique des comptables municipaux, il donnait ordre de paiement au miseur après le vote de l’ordonnance au bureau servant35. Il était quelquefois affecté aux audiences du tribunal municipal de police où il remplaçait alors le procureur du roi de police. Les provisions de l’office créé en juillet 1690 rappellent explicitement cette possibilité36.

33Au xvii^e siècle, le procureur-syndic est très souvent appelé dans la délégation de la communauté aux États provinciaux, en compagnie du maire et d’un échevin. La transformation de la charge élective en office vénal en 1690 codifie en privilège ce qui était de fait presque systématique37. Cette reconnaissance apporta même en complément le privilège de préséance sur les délégués électifs, à l’exception du maire. En 1724, Jean Cottineau de la Blanche parvint même, grâce à ses lettres de provision, à s’imposer devant le sénéchal Louis IV Charette de la Gascherie, pourtant d’une illustre famille noble très liée à l’histoire municipale38.

34L’autorité personnelle du procureur du roi-syndic dépendait avant tout de ses capacités de travail et de sa présence puisque sa meilleure connaissance des dossiers restait pour lui le meilleur moyen de se rendre indispensable et de gagner la confiance des élus manquant d’expérience. Un procureur absentéiste dévalorisait la fonction puisque le bureau prenait l’habitude de se passer de ses services en travaillant avec un échevin faisant fonction. Pour autant, un procureur sérieux et appliqué n’était pas sûr de s’imposer car son impact personnel dépendait de l’audience du maire qui lui était supérieur en dignité39. Avec un maire plus tourné vers les honneurs que vers les tâches administratives et passablement absentéiste dans les séances de travail, le procureur avait toutes les chances de peser sur le bureau ; avec une personnalité d’envergure dont le type supérieur reste Gérard Mellier, il était rejeté dans l’ombre.

35À l’échelle du royaume, la municipalité de Nantes s’inscrit dans le modèle à exécutif restreint. Elle est ainsi comparable à la jurade bordelaise, aux consulats d’Auch, Cahors ou Marseille, au capitoulat toulousain, aux échevinages de Paris, Caen et Lyon, de Dijon après 1668 et Beauvais après 167640. Cette forte contraction du bureau servant établit une nuance avec les bureaux de ville comme Angers, Rouen ou Besançon, qui rassemblent plutôt entre quinze et vingt membres41, une séparation plus importante avec les corps de ville plus étoffés des villes de Flandres comme Lille et Valenciennes et une différence radicale avec le type archaïque de fonctionnement en assemblée générale fermée qui subsiste encore dans bien des villes bretonnes comme Vannes et Rennes qui s’est pourtant réformée en 162742.

Le travail du corps de ville

Le champ d’action municipal

36Sans reprendre une étude plus approfondie déjà réalisée pour une thèse de troisième cycle43, il apparaît cependant nécessaire d’évoquer à grands traits les responsabilités qui incombaient aux élus du corps de ville pour mieux se représenter l’étendue de leur autorité sur l’ensemble de la communauté d’habitants.

La police municipale

37Le bureau de ville avait vocation à réguler le mouvement des prix des biens de consommation courante en assurant, dans un esprit de justice directement lié à un idéal religieux, un bon équilibre entre les intérêts des vendeurs et des consommateurs. Il ne se mêlait pas directement de l’organisation de la production, laissant cette tâche aux jurés des arts et métiers, et concentrait son action sur la surveillance du marché. Le prévôt a longtemps joui du monopole du contrôle judiciaire sur les corporations, mais a dû progressivement partager cette tutelle avec la municipalité. Depuis 1581, les deux institutions ont tenu ensemble le tribunal de police où comparaissaient tous les contrevenants aux règlements édictés par la ville. L’ordonnance royale de 1669, attribuant au bureau de ville l’arbitrage de toutes les contestations mettant en cause les métiers des Six Corps, a permis à ces derniers de recourir à sa protection dans leurs conflits avec les métiers inférieurs44^.

38Toutefois, la principale priorité des maires et échevins a toujours été de faciliter l’approvisionnement du marché pour éviter la naissance des « émotions » dans le menu peuple. Les directives ordinaires concernaient la qualité des produits alimentaires, la justesse des poids et mesures, les conditions de vente dans les rues ou sur les places publiques, la désignation des lieux de marchés et de foires, et surtout le respect des prix négociés entre le bureau et les délégués des corporations pour les produits de base45. Pendant les sessions des États de Bretagne qui amenaient de nombreux nobles et dignitaires ecclésiastiques accompagnés de leurs domestiques, les tarifs de tous les services étaient particulièrement surveillés46. Cet interventionnisme n’empêchait ni les fraudes dans les boutiques ni les ententes illicites à effet inflationniste dans des approvisionnements aussi importants que les céréales, la viande et le poisson. Les tournées d’inspection, avec présence physique sur les marchés ou dans les boutiques, s’avéraient ainsi épisodiquement indispensables pour rappeler à l’ordre les plus indélicats47.

39Comme dans beaucoup de villes françaises, mais à un degré supérieur en Bretagne, le corps de ville a vécu avec la hantise de la révolte frumentaire, ce qui l’a poussé à ne rien négliger pour s’en préserver par une efficace politique préventive, sollicitant de l’administration royale, selon la conjoncture, l’autorisation d’importer des « bleds » de l’extérieur ou l’interdiction de les sortir de Bretagne48. Des emprunts considérables levés rapidement dans l’oligarchie, pour atténuer par exemple les crises de 1630-31, 1649-50, 1661-62 ou 1709, ont permis d’éviter l’éclatement de graves séditions, sauf en 1699 où une foule en colère a envahi l’hôtel de ville49^.

40La politique d’assistance médicale, qui regroupe l’aide ordinaire apportée à l’Hôtel-Dieu aux malades les plus pauvres et la lutte spectaculaire et désespérée menée au moment des ravages des grandes épidémies, représentait une charge considérable, surtout dans la première moitié du xvii^e siècle50. La répétition des vagues de peste de 1560 à 1650 a conduit le bureau de ville à multiplier les ordonnances pour limiter la contagion et aider le corps médical et les ordres religieux. Toute l’organisation reposait sur les services d’un Hôtel-Dieu que la ville a décidé de transférer hors les murs en le reconstruisant à neuf en 1643 et d’un lieu d’accueil pour pestiférés ouvert depuis 1572, servant dans les moments de répit de dépôt de mendicité, puis transformé en hôpital général pour l’enfermement des mendiants à partir de 165051. Le bureau de ville était très soucieux de la surveillance sanitaire des navires arrivant dans le port, ce qui a conduit à l’organisation d’un bureau de santé en 172152. Selon les conclusions d’A. Croix, la période 1580-1660 se caractérise par l’apogée de l’intervention municipale en Bretagne dans les questions d’assistance53. Auparavant, les finances ordinaires et les dons permettaient de faire face. Ensuite, le recul de la peste, l’organisation de l’hôpital général qui vit essentiellement de ses rentes et le renouveau de la charité lié au progrès de la renaissance catholique expliquent le désengagement des municipalités. Dans cette phase intermédiaire, l’intensité des crises impose un interventionnisme municipal qui se concrétise par la multiplication des taxations et des emprunts. Ainsi le lourd endettement de la ville de Nantes est largement lié aux efforts d’assistance déployés pendant les deux premiers tiers du xvii^e siècle.

41Comme toutes les cités d’Ancien Régime, Nantes demeure une ville sale et malodorante. Les ordonnances municipales qui se répètent depuis au moins le xv^e siècle ont vainement essayé d’interdire de jeter les ordures à la rue et de laisser divaguer les animaux domestiques. Ne parvenant guère à policer les habitants, les responsables ont préféré organiser un service de répurgation dès 1529 en passant un bail avec un charretier. Le nettoyage dut être bien irrégulier car en 1709 l’intendant Ferrand dénonçait l’état d’abandon des rues, obligeant le bureau de ville à réorganiser un passage de tombereaux. Déçu de la prestation de l’adjudicataire, ce dernier résolut en 1714 de passer contrat avec les maraîchers de la banlieue qui n’apportèrent pas plus de satisfaction puisque la ville revint à l’adjudication traditionnelle avec un boueur en 172054. Les mendiants secourus sont souvent réquisitionnés pour assurer le balayage des places publiques. Certains métiers comme les tanneurs ou les bouchers, qui étaient regroupés sur la rive gauche de l’Erdre, étaient plus sévèrement surveillés. Treize puits publics, la ville n’ayant jamais réussi à construire de fontaine, devaient être protégés des charretiers, des lavandières, voire même des riverains tentés d’y déverser leurs eaux usées.

42La police du maintien de l’ordre avait ses vicissitudes ordinaires, bien différentes des rares explosions de mécontentement révélées par les révoltes populaires. Les bandes de jeunes, (apprentis, compagnons, domestiques, étudiants), restaient fort turbulentes. Les cabarets et les auberges étaient surveillés comme centres principaux de sociabilité populaire et refuges de toute une population fluctuante dont une fraction apparaissait fort dangereuse55. Nantes avait en effet ses « libertins, rôdeurs, coureurs de nuit » qui n’ont pas apprécié par exemple l’installation de lanternes dans les rues à l’extrême fin du xvii^e siècle56. Le bureau de ville se contenta longtemps de salarier six sergents ou archers pour huit postes autorisés par le roi en 1616, n’établissant les deux autres qu’en 172057. Les six charges vénales de commissaire de police créées par l’édit de novembre 1699 furent acquises par la municipalité qui attendit 1720 pour en pourvoir simplement quatre58. Cette lenteur, liée à un souci de limitation des dépenses, s’explique aussi par l’habitude d’utiliser la milice bourgeoise pour régler tous les désordres de la vie quotidienne59.

43Les « émotions » populaires, qui dressaient une fraction du peuple contre l’oligarchie dirigeante accusée de ne pas accomplir son devoir de protection, étaient beaucoup plus graves dans la mesure où elles révélaient au grand jour les oppositions sociales que toute la politique municipale s’employait à dissoudre ou à masquer60. Les principales causes de mécontentement furent d’abord religieuses avec les séquelles des guerres civiles (1602 et 1622) et l’immigration de « nouveaux chrétiens » portugais (1603 et 1636-37), mais surtout frumentaires (1631 ; 1662 ; 1699) et antifiscales (1668 ; 1675 ; 1711 ; 1714). Premier responsable du maintien de l’ordre public comme colonel de la milice bourgeoise, le maire fut souvent obligé d’adopter une attitude modérée par suite du manque de cohésion de ses troupes dont une fraction partageait le point de vue des contestataires.

Les travaux publics

44Si les remparts appartenaient au domaine royal, la communauté était chargée de les entretenir, charge qu’elle ne refusait pas étant donné son attachement sentimental pour ce qui était le symbole de son existence en tant que cellule originale du royaume de France, réalité concrétisée aussi dans l’ensemble des privilèges jalousement protégés. La dégradation progressive des murailles au xvii^e siècle, par manque d’entretien dû aux problèmes financiers61, conduisit le maire Mellier à proposer leur destruction en 1723, projet rejeté finalement en 1727 par le maréchal d’Estrées, gouverneur de la ville.

45Au xvii^e siècle, l’essentiel des efforts a concerné le pavage des rues, des places et des chemins de banlieue et surtout la réfection régulière des ponts endommagés par les prises de glace et les crues de la Loire, comme par exemple en 1711 pour la plus célèbre catastrophe. Si les places et les chemins étaient à la charge de la ville, l’équipement des rues incombait aux propriétaires riverains qu’il fallait convaincre d’entreprendre et de financer les travaux62. Pendant la première moitié du xvii^e siècle, les crédits consacrés aux ponts ont représenté presque un cinquième des dépenses totales63^. Si la municipalité avait sagement séparé la miserie des ponts de la trésorerie générale pour garantir l’entretien de ces structures indispensables au rayonnement économique de la ville, les urgences des crises frumentaires et épidémiques ont toujours abouti à des transferts de fonds qui ont ralenti ou parfois même stoppé tous les travaux publics. Le bureau de ville n’a jamais négligé les travaux publics comme le montre une comparaison avec Lyon sous le règne de Louis XIV, avec respectivement des taux d’une livre pour 3,2 et 5 habitants64. Ce manque de ressources était en partie compensé par des appels aux subventions des États de Bretagne. Tous ces travaux étaient passés en adjudication sous la surveillance des généraux des finances. Le bureau de ville avait intérêt à surveiller de près les opérations sur les chantiers. Malgré un contrôle attentif, le pont de Pirmil, détruit en 1711 et reconstruit seulement en 1727, montrait déjà des faiblesses lors de la crue de 172865.

46L’agglomération s’est développée sur un site de confluence entre la Loire et son affluent l’Erdre, mais dès le xvi^e siècle le cours urbain de cette dernière rivière était déjà devenu impropre à la navigation, les eaux se partageant en plusieurs bras séparés par des îlots sableux encombrés par des immondices et matériaux de rebut de toutes sortes. La multiplication des interdictions et la répétition des nettoiements ne parvinrent guère à améliorer la salubrité et encore moins à restaurer une petite navigation66. En 1662, le corps de ville s’est inquiété pour la première fois des risques économiques liés à l’ensablement de la Loire, mais ce n’est qu’après 1720 que la question fut sérieusement abordée avec l’aide technique des ingénieurs du roi. En attendant, on se contenta de règlements de police prohibant les dépôts de déchets, cendres de raffinerie, lest de navire, et obligeant les propriétaires à construire en pierre ou brique. L’édification de quais, commencée vers 1516 et prolongée par exemple par d’importants travaux en 1622-1624, ne concernait que la Haute Fosse, c’est-à-dire la zone du Port au Vin et son prolongement immédiat vers l’aval67. L’idée d’en édifier vers l’amont pour accélérer le débit dans le bras nord en resserrant le lit ne fut pas mise en œuvre avant le milieu du xviii^e siècle.

47Les maires et échevins ont accru le patrimoine de la communauté en édifiant quelques bâtiments exigés par son développement. L’hôtel de ville, installé depuis 1578 dans un ancien hôtel seigneurial transformé en auberge, a été complètement remanié et agrandi sous le mandat de Claude de Cornulier (1605-1607)68. Un portail monumental, véritable manifeste de fidélité à la monarchie inscrit dans la pierre à la vue de tous, fut ajouté en 164869. La première bourse du commerce, située en bordure de la place du Port au Vin, fut édifiée en 164170. La reconstruction du vieil Hôtel-Dieu, qui datait du tout début du xvi^e siècle, fut admise en 164371. L’édification des bâtiments dans l’île Gloriette, dans la banlieue sud, s’échelonna de 1646 à 167272^.

Vue panoramique de l’ancien Nantes

48En 1656 commença la reconstruction intégrale du collège Saint-Clément installé depuis 1557 dans une ancienne aumônerie73. Le nouvel établissement achevé en 1671 put ainsi accueillir près de 1 200 élèves dans le dernier tiers du xvii^e siècle. En 1625, les maires et échevins ont confié l’enseignement à l’ordre de l’Oratoire, repoussant à cette époque les offres concurrentes de la compagnie de Jésus. Le collège recevait une subvention annuelle de 2 300 livres à laquelle s’ajoutaient des aides particulières pour les activités culturelles ou les achats de livres pour la remise des prix. Cette formation intellectuelle de l’élite nantaise par une congrégation de tendance nettement augustinienne explique sans doute la longue résistance opposée de 1661 à 1672 par le corps de ville à l’installation d’une communauté jésuite et sa décision finale de passer un bail perpétuel pour le collège avec les Oratoriens74^.

49Le xvii^e siècle nantais n’a connu aucune grande opération d’urbanisme. Les bureaux de ville se sont contentés de profiter des opportunités liées aux destructions des grands incendies pour remanier des portions de quartier dans la zone intramuros en élargissant des rues ou des places publiques75^. Le premier grand urbaniste nantais fut Gérard Mellier, trésorier de France en Bretagne, subdélégué de l’intendance dès 1710, et maire de 1720 à 172976.

La défense d’une communauté d’habitants

50La municipalité nantaise est insérée dans tout le système institutionnel de la monarchie d’Ancien Régime. Elle en subit donc l’inflexion dans un siècle qui voit triompher la solution absolutiste sur l’idéal de la monarchie tempérée. Les maires et échevins doivent veiller à défendre leur territoire face aux autres centres de pouvoir, tout en étant obligés d’accepter une contraction de leur autonomie d’action devant les pressions du pouvoir central. L’installation d’une intendance en Bretagne en 1689 oblige ainsi à redéfinir tous les comportements77. Les relations avec le parlement illustrent parfaitement les contradictions que doit surmonter le corps de ville puisque cette cour est à la fois un rival dont il faut craindre la volonté de contrôle dans la police urbaine et un recours pour la défense des privilèges contestés par les agents du pouvoir central78.

51La préservation de la définition du corps de ville est donc restée un souci constant des maires et échevins. Si la stratégie de fidélité à la monarchie définie après la grande aventure de la Ligue a facilité cette protection, tous les privilèges reçus en 1559-1564 n’ont pas pu être conservés. La perte du contrôle électoral total en 1598 et de l’anoblissement échevinal en 1667 en sont les deux exemples majeurs. La fin du règne de Louis XIV, marquée par une politique de transformation de toutes les responsabilités en offices vénaux pour des raisons fiscales, a constitué une phase de gestion difficile où l’oligarchie dirigeante, très attachée aux procédures électives, a tout entrepris pour réunir ces charges à la communauté79. Ce fut une occasion de grande collaboration avec l’intendance nouvellement établie.

52La célébration du prestige de l’institution municipale était renouvelée régulièrement dans le cadre des grandes fêtes civiles et religieuses où se concrétisait le positionnement dans la hiérarchie des honneurs. Le corps de ville veillait avec soin au maintien de sa dignité en défendant ses droits historiques dans toutes les querelles de préséance qui agitaient toutes ces manifestations publiques, le second xvii^e siècle étant surtout marqué par une rivalité intense avec le présidial80. Il a toutefois subi les effets de la transformation du rituel monarchique redéfini de plus en plus dans une logique absolutiste, avec des entrées de ville réinterprétées comme des manifestations de soumission à un pouvoir qui refusait désormais les métaphores contractuelles et des cérémonies d’information entièrement centrées sur la célébration de la gloire du roi où les responsables politiques de la communauté ont été réduits au rang de spectateurs passifs81. La désinvolture de Louis XIV vis-à-vis du corps de ville lors de son passage à Nantes au tout début de septembre 1661 est une illustration parfaite de cette nouvelle mise en scène de la souveraineté monarchique82.

53Les principaux problèmes qui retiennent l’attention des maires et échevins ont tous de graves conséquences financières. Il faut ainsi régulièrement négocier le renouvellement des octrois ainsi que l’obtention d’un devoir complémentaire pour financer la construction d’un ouvrage ou défendre des privilèges historiques83. Si le corps de ville est resté longtemps maître de ses choix en termes d’emprunt ou de taxation des habitants pour assurer les dépenses extraordinaires, la politique de réduction de l’endettement menée sous l’égide de Colbert a nettement réduit sa liberté de manœuvre à la fin des années 166084.

54Si la communauté était exempte de fouages par ancien privilège ducal, elle a dû néanmoins faire face aux exigences du fisc royal qui se sont exprimées par des appels de « dons gratuits » légitimés par un soutien politique dans les circonstances exceptionnelles et par la remise en cause répétitive des exemptions par les commis des traitants, ce qui a obligé à négocier leur préservation moyennant finances. Si l’exonération de fouages n’a jamais été remise en cause en elle-même, des contestations sont apparues sur la définition de son aire d’extension et sur les usurpations de la qualité de « bourgeois de Nantes » par des notables ruraux85. Par contre, les exemptions des francs-fiefs, des taxes de ban et arrière-ban et des lods et ventes dans le fief royal de la prévôté ont été souvent dénoncées sous le règne de Louis XIV et l’achat de leur confirmation a suscité beaucoup de séances municipales élargies à la fin du xvii^e siècle86. Pour trouver les 585 000 livres exigées directement par la monarchie de 1689 à 1712, les maires et échevins ont joué au maximum sur le revenu des octrois en obtenant deux nouveaux devoirs de six deniers par pots de vin en 1692 et 1698 et des réévaluations des baux des traitants de 60 000 l en 1702 et de 170 000 l en 1712, limitant la taxation directe des propriétaires du fief de la prévôté à 100 000 l en 1693. La création définitive de la capitation à l’occasion de la guerre de Succession d’Espagne a conduit le bureau de ville à participer à la mise en place de ce nouvel impôt direct en rédigeant les rôles du Tiers État.

55La défense ou l’obtention de privilèges commerciaux sont toujours demeurées des priorités d’action dans cette place portuaire importante. Il est pourtant arrivé que les intérêts particuliers des marchands finissent par se retourner contre l’intérêt général incarné dans la municipalité comme le montre bien la dispute autour de la taxe du liard pour livre qui aboutit à sa suppression en 160887. Les tentatives de formation de compagnies de commerce à monopole, issues des politiques mercantilistes de Richelieu et de Colbert, ont suscité des réactions diverses allant d’une franche hostilité pour la compagnie du Morbihan en 1626 à une certaine coopération pour celle des Indes Orientales en 1664, ce qui a valu à certains marchands bien engagés une rapide promotion à l’échevinage88. Si le bureau de ville a soutenu la lutte des marchands raffineurs pour l’abaissement des taxes douanières sur les sucres bruts et raffinés en 1685, il s’est fermement opposé à leur tentative de fabrication d’eau de vie à partir de leur sirop en 1693, au nom de la défense des propriétaires du vignoble nantais largement orienté vers cette distillation sous l’effet de la forte demande des marchands hollandais depuis le début du siècle89. Cette défense des intérêts économiques a été facilitée par l’étroitesse des liens qui unissaient la municipalité et le consulat du commerce depuis leur naissance conjointe en 1564-156590.

56La participation à la défense du royaume peut être considérée comme une forme particulière de prélèvement fiscal puisque le logement des troupes de passage forme l’essentiel du service exigé. Avec la fin de la lutte contre les protestants en 1629 et l’entrée directe dans la guerre de Trente Ans, Nantes a été éloignée de la zone stratégique principale pendant presque un demi-siècle. Les guerres de Louis XIV contre les Provinces-Unies et l’Angleterre ont fait du littoral breton une frontière stratégique particulièrement menacée par les expéditions des marines des deux puissances adverses91. Outre l’accélération des passages des régiments qui avaient besoin de logements mais aussi de la fourniture de matériel de transport, cette pression s’est traduite pour la ville par la nécessité d’extraire à plusieurs reprises un bataillon de quatre à cinq cents hommes de la milice bourgeoise pour se porter à la défense des côtes du comté92. Tout ceci représentait une lourde charge administrative car il fallait établir le dénombrement des assujettis tout en faisant face aux nombreuses réclamations de ceux qui se prétendaient exempts. Les récriminations des logeurs et leurs affrontements parfois violents avec les soldats ont conduit les bureaux de ville à rechercher la solution du casernement dans des auberges ou des maisons réquisitionnées93. Les deux systèmes ont fini par coexister au xviii^e siècle.

Le fonctionnement du bureau servant

Originalité du xvii^e siècle

57Faire ressortir l’originalité éventuelle de notre xvii^e siècle demandait de le replacer dans l’ensemble de l’histoire municipale d’Ancien Régime (1565-1789). Nous avons donc retenu 29 sondages, répartis aussi bien que possible sur l’ensemble de la période en mélangeant des phases de tranquillité ou de tension94^.

58L’analyse quantitative dégage cinq phases de nature et de longueur différentes dans l’histoire municipale. La vie politique locale du xvi^e siècle a été soutenue par de nombreuses séances du bureau servant, la première décennie atteignant même un niveau exceptionnel qui relève des tensions liées aux guerres civiles et religieuses, mais surtout des problèmes entraînés par la naissance difficile de la nouvelle institution. Lorsque les officiers de justice se décident à reconnaître la nouvelle autorité après les compromis passés avec le sénéchal et le prévôt, la pression peut baisser et le nombre de bureaux se réduire quelque peu, bien que le rythme de travail demeure très élevé95.

Évolution du nombre de bureaux servants

59Les deux premières décennies du xvii^e siècle sont difficiles à caractériser car elles sont illustrées par des chiffres très divers. Dès 1597 un nouveau rythme semble être adopté, en contraste avec la mobilisation des décennies précédentes, mais comme préfigurant une habitude à venir. Pourtant, cette dernière ne s’impose pas immédiatement, surtout dans les années autour de 1610-1620 où la décrue semble avoir été brutale. Si certains niveaux inférieurs sont compensés par l’accroissement des autres assemblées municipales, comme en 1609-1610 où l’assassinat du roi et les incertitudes qui en sont découlées ont conduit à redonner de la vigueur aux assemblées générales d’habitants, il n’en reste pas moins que les échevins de cette période de normalisation politique ont adopté le profil bas.

60Cette courte transition d’une vingtaine d’années semble donc avoir été la période de maturation nécessaire pour passer d’une phase où l’engagement administratif était beaucoup plus intense, sans doute à cause du caractère troublé et passionné du dernier tiers du xvi^e siècle, à une autre phase marquée par les progrès de l’absolutisme royal et la relative tranquillité de la province de Bretagne. À partir des années 1620, commence en effet la formule classique du xvii^e siècle qui correspond à une fourchette de 80/90 bureaux par an, ce qui reste nettement supérieur au rythme de la municipalité angevine96. Les habitudes paraissent solidement établies puisqu’elles s’imposent à toutes les variations de conjoncture sans former toutefois un cadre absolu comme le montre le gonflement des séances de travail en 1661-1662 lors d’une très grave crise économique et sociale. Cette troisième étape tire néanmoins son originalité de sa relative longévité sur huit décennies.

61Quand arrive le xviii^e siècle, le système se dérègle puisqu’on ne sait pas s’il faut parler de l’émergence de nouvelles méthodes de travail ou simplement de dissolution du modèle ancien sans système de remplacement. Les années 1710 paraissent ouvrir une orientation nouvelle avec une révision des normes à la baisse assez vite abandonnée avec l’arrivée de Mellier aux affaires. Le recensement des bureaux servants ne trahit pas l’image classique du maire le plus célèbre qui fut vraiment un travailleur hors du commun97. Son exemple ne devait pourtant pas être suivi, même s’il a sans doute contribué à maintenir le modèle de fonctionnement traditionnel jusqu’au milieu du xviii^e siècle qui apparaît comme un tournant capital où se définissent de nouvelles méthodes de travail. Les toutes dernières décennies de l’Ancien Régime se révèlent en effet très homogènes et s’organisent autour d’un modèle se situant très en dessous de tout ce qu’on avait pu connaître auparavant, avec une fourchette de 50 à 60 réunions par an.

62La conjoncture politique générale explique sans doute la baisse tendancielle du nombre de séances de travail : le contraste entre les troubles politiques, religieux, militaires de la deuxième moitié du xvi^e siècle et l’épanouissement de l’autorité royale sous le règne de Louis XIV correspond bien à la succession des deux premiers modèles. Les efforts de la monarchie absolutiste pour construire un état centralisé ont certainement contribué à faire évoluer les méthodes de travail des maires et échevins. La municipalité de Nantes a été obligée de changer lentement ses principes de fonctionnement, passant d’habitudes héritées de la gestion du collectif du conseil des bourgeois à une organisation plus proche des techniques contemporaines où les délibérations des conseils municipaux numériquement très limités ne représentent qu’une petite partie de l’énorme travail préparatoire réalisé dans les services municipaux ou les commissions spécialisées. La lenteur de l’évolution montre que le xvii^e siècle (1598-1720) appartient entièrement au modèle traditionnel.

Une participation satisfaisante

63Les archives municipales ne manquent pas de documents qui sont autant de preuves de relâchement de la part de certains membres du bureau servant, avec le risque de non respect du quorum nécessaire à la validation des délibérations. Le règlement initial de décembre 1564 exigeait « jusqu’au nombre de six pour faire ordonnance et jugement »98. Avec la réduction du nombre des échevins de dix à six à partir de 1584, le quorum fut abaissé à quatre présents. Des exemples prouvent que cette règle était bien connue. Le dimanche 3 mai 1637, on n’ouvre pas la séance car trois échevins seulement se sont déplacés, et ceci se répète les 21 août, 10 septembre, 24 septembre et 10 décembre de la même année. Pourtant, le procès-verbal du 20 septembre ne parle que du sous-maire et de deux échevins et celui du 13 décembre ne mentionne que deux échevins99. Il est pourtant hors de question de se contenter de ces documents épars pour qualifier sérieusement l’attitude des élus devant les responsabilités administratives. Cette première approche trop qualitative a le mérite de soulever un problème, mais ne peut prétendre en délimiter l’ampleur. Seul un comptage minutieux des présents est à même de fournir des évaluations plus respectables. Nous l’avons réalisé sur les 28 séquences déjà analysées, l’année 1565 étant inutilisable puisque le greffier n’a pas noté les présents100^.

64Dans la longue durée, les habitudes du xvi^e siècle apparaissent comme une sorte d’introduction progressive à un comportement assez stable pendant les deux siècles suivants. Après un départ difficile où les absences sévissent trop souvent, la situation s’améliore entre 1585 et 1610 pour définir finalement une ligne de conduite assez largement suivie, suffisamment en tous cas pour donner une réelle unité de ton à la vie municipale sous l’Ancien Régime.

65Dans les deux premières décennies, l’absentéisme sévit fortement. Les élus manquent plus d’une réunion sur trois. Une minorité est même encore plus laxiste puisqu’elle ne se déplace qu’une fois sur deux. Un notable qui s’oblige à délibérer à plus de deux séances sur trois fait figure de magistrat consciencieux. Ces hommes, rares avant 1580, deviennent cependant plus nombreux ensuite. Ce laisser-aller s’explique et pourrait même être excusé quand on se souvient du nombre exceptionnellement élevé des bureaux servants. Le manque d’assiduité des édiles apparaît comme un réflexe protecteur, une auto-défense contre l’avalanche des réunions qui paraissaient nécessaires pour imposer la jeune municipalité à des adversaires récalcitrants. L’amélioration des taux de participation autour du début du xvii^e siècle s’explique par un changement de fonctionnement d’une municipalité qui s’adapte mieux aux possibilités humaines et aux motivations réelles de sa base sociale. Les magistrats qui n’assistent pas à plus d’une séance sur deux sont devenus marginaux et beaucoup franchissent le seuil de présence des deux tiers. Par rapport aux années 1570-1580, la situation s’est renversée.

66De 1610 à 1789, ce nouveau comportement positif perdure sans grand bouleversement. Sur les huit personnes attendues, cinq ou six se placent dans les deuxième et troisième colonnes du tableau présenté, c’est-à-dire que le civisme voulait qu’un élu manque moins d’une séance sur cinq. Il reste bien sûr des défaillances, surtout dans le dernier tiers du xviii^e siècle, mais celles-ci ne sont pas trop graves. Le plus grand laisser-aller de même que les meilleures performances ne sont pas liées à un type de responsabilité mais à la personnalité de l’élu. Le bureau de ville reste assez homogène, les meilleurs élus ne comptant que cinq ou six absences dans une année, les plus mauvais en additionnant une trentaine. Des parcours sans faute sont même possibles.

Tableau de présence dans le bureau servant au xvii^e siècle

67À partir du xvii^e siècle, les bureaux servants se sont presque toujours tenus dans des conditions normales avec respect du quorum requis. Les problèmes d’absentéisme n’ont pas dénaturé le travail des élus. Il est donc juste de garder une image positive du fonctionnement du bureau servant, même si l’existence d’une minorité moins consciencieuse ternit un peu l’impression laissée par une majorité appliquée à bien servir. En cela, les maires et échevins de Nantes sont tout à fait comparables à leurs homologues angevins101.

La consultation des anciens magistrats

Les compétences du grand bureau

68Selon un mémoire municipal en réponse à une enquête des États de Bretagne en 1732, les origines du grand bureau seraient à rechercher du côté des insuffisances du bureau servant, spécialement des problèmes d’absentéisme et du respect du quorum réglementaire102. Comme nous avons montré que les édiles prenaient quelquefois des libertés avec cette contrainte, il ne s’agit que d’une explication partielle. Au delà de la légitimité des délibérations existe l’idée de la profonde unité du corps de ville. Les deux bureaux ne sont que deux expressions d’un même ensemble qui tient une place importante dans la société corporative urbaine. Les notables sortis de charge conservent leurs privilèges et doivent pouvoir réintégrer le bureau servant pour garantir le bien fondé de ses décisions.

69Cette idée d’une sorte de réserve, qui puisse être en permanence le soutien de l’exécutif en place, n’a sans doute rien de spécifiquement nantais puisque, sous des formes variées, on en retrouve le principe dans toutes les municipalités françaises. Mais l’histoire administrative nantaise a renforcé plus qu’ailleurs le besoin de disposer d’un collège élargi pour diriger les affaires urbaines par suite des habitudes apportées par le conseil des bourgeois dans les deux premiers tiers du xvi^e siècle. Le passage en 1565 d’un collectif de notables d’importance numérique variable, mais oscillant le plus souvent entre trente ou cinquante personnes, à une direction à douze, puis bientôt huit responsables à partir de 1584, a représenté une réelle contraction et une rupture des traditions politiques locales. Dans cette perspective, l’association épisodique des anciens élus au travail de leurs collègues en charge a servi à atténuer la brutalité du changement et à maintenir une certaine continuité historique.

70Le grand bureau produisait annuellement la liste des éligibles pour le déroulement du scrutin. Au xvi^e siècle, cette réunion se tenait fin décembre, à une date variable, peu de jours avant le vote. À partir de 1598, le règlement donné par Henri IV l’a fixé au 30 avril de chaque année, les élections devant se dérouler rituellement le 1er mai. On y traite également des listes d’éligibilité pour les grades d’officiers de la milice bourgeoise jusqu’au début du xviii^e siècle où cette opération est placée à la fin mars103. Tous les projets de réforme des institutions sont présentés devant cette instance104. L’enregistrement des lettres de provision du gouverneur ou de son lieutenant au comté de Nantes justifie une convocation qui peut par ailleurs solenniser davantage la réception des employés municipaux ou arbitrer leurs contestations avec le bureau servant105. D’autres réunions correspondent davantage à une mobilisation pour la défense du champ des compétences toujours sous la menace d’une offensive des officiers de justice. Ainsi en novembre 1684, les problèmes sont avec le prévôt à propos de futailles, en 1687 avec le sénéchal qui prétend nommer à l’office de jaugeur, en 1688 avec le parlement qui voulait mettre en vente les corps de garde, en novembre 1699 encore avec le prévôt contre lequel le corps de ville se bat pour acquérir le nouvel office de lieutenant général de police106^. Ce corps assure la représentation de la communauté dans les grandes cérémonies publiques laïques ou religieuses comme les entrées de ville ou les processions, les messes et les Te-Deum en l’honneur des grands événements du royaume ou plus simplement et plus fréquemment lors des enterrements des édiles ou même plus exceptionnellement de leurs épouses107.

71Le grand bureau veillait sur les privilèges décernés collectivement à la communauté. En 1674-1676, des prétentions dangereuses des officiers de finance à propos de l’exemption des francs-fiefs occasionnent de nombreuses réunions108. De 1680 à 1690, les appétits du fisc s’étant déplacés vers les lods et ventes, de nouvelles séances se préoccupent de la conservation de la franchise109. Dans la même période, il faut batailler contre les commissaires royaux chargés de la réfection des terriers du domaine royal en Bretagne qui prétendent rogner abusivement les propriétés communales110. Le corps de ville prenait également grand soin de ses propres privilèges. Devant la politique de réformation de la noblesse menée par Colbert en 1667-1669, il a vainement essayé de sauver l’ancienne formulation de la noblesse de cloche définie par les lettres patentes de 1559111. Les innombrables conflits de préséance avec les autres corps privilégiés mobilisaient vivement les élus très attachés au respect de l’échelle des dignités112.

72Les guerres religieuses du xvi^e siècle, entraînant de façon endémique la crainte d’une avancée d’une armée calviniste ou même la tentative d’un véritable siège, ont porté au premier rang des problèmes municipaux les questions de sécurité militaire. Les grands bureaux ont pris leur part de responsabilité dans ce domaine, pour l’organisation de la garde, le financement de gens d’armes sous le commandement du gouverneur, les réparations à effectuer aux anciens remparts, les protections pour les quartiers de la ville-neuve du Marchix alors en construction, l’approvisionnement en armes et munitions113. Avec la fin des guerres civiles, les problèmes militaires ont perdu leur aspect prioritaire, mais ils n’ont pas été immédiatement oubliés, d’abord à cause des révoltes des Grands dans les années 1610-1620 et ensuite à cause des retombées des expéditions royales contre le parti huguenot jusqu’en 1629114. Après la révolte du « papier timbré » au printemps 1675, lorsque les Nantais furent sanctionnés par l’envoi d’un régiment en casernement chez les particuliers, le grand bureau se réunit plusieurs fois pour négocier son départ. Une délégation de deux échevins et deux anciens fut mandatée pour rencontrer le gouverneur, le duc de Chaulnes, afin d’obtenir la levée de la punition115. Le bataillon n’occupa finalement la ville que du 2 au 21 juin 1675.

73Quand une série de mauvaises récoltes frappait le comté nantais, les affamés affluaient vers la ville pour y trouver du secours en misant particulièrement sur l’action de la municipalité. Ce gonflement rapide de la population pauvre posait de graves problèmes d’accueil. Lorsque l’épidémie accompagnait la disette et provoquait des ravages dans une population affaiblie, les échevins étaient placés dans les pires difficultés. Dans ces situations dramatiques, la municipalité sentait la nécessité de mobiliser toutes les énergies pour l’organisation des secours et les grands bureaux étaient naturellement convoqués à côté d’autres assemblées116. Ce problème de l’afflux des ruraux et du gonflement rapide de la mendicité permet d’ailleurs de préciser le jeu institutionnel entre les deux éléments du corps de ville comme le montre l’évolution déjà évoquée de la crise de 1631117.

74Quand il s’agissait d’étudier des plans, des devis, de choisir entre plusieurs projets de réparations ou de constructions neuves, le corps de ville prenait toute son importance. Les registres de délibération livrent des exemples de procès-verbaux de telles réunions. En 1651, on y discute la construction et le financement du nouvel Hôtel-Dieu transporté hors des murs dans l’île Gloriette118. En 1680, l’ordre du jour porte sur un projet d’élargissement de rue ordonné par le gouverneur de Bretagne119. En 1684, ce sont les ponts qui retiennent l’attention, ainsi que la cohue à poissons120. En 1697, l’édit royal qui obligeait les villes à suivre l’exemple de Paris en s’équipant avec des lanternes pour l’éclairage des rues et des places, a provoqué plusieurs séances de travail121.

75Les quelques exemples proposés montrent bien la diversité des interventions du grand bureau. La plupart des sujets traités amenaient d’ailleurs à des questions financières qui auraient pu constituer une sixième rubrique si celles-ci n’apparaissaient pas plutôt comme des conséquences des solutions choisies pour faire face aux grands problèmes précédemment cités.

Importance réelle du grand bureau

76Toute cette description des compétences évoquées à partir d’exemples significatifs pourrait bien s’avérer trompeuse si l’analyse s’en tenait à cette appréciation. Pour une véritable pesée, il est indispensable de comparer le nombre de réunions du corps de ville avec celui du bureau servant. Le calcul a été réalisé à partir des relevés obtenus dans les séquences déjà évoquées pour la participation.

Grands bureaux au xvii^e siècle (moyenne annuelle)

77Cet appel à l’ensemble du corps de ville a toujours conservé un caractère exceptionnel et ne souffre aucune comparaison avec le rythme des bureaux ordinaires. Cette structure, qui est liée ou à des règles institutionnelles qui lui assurent un minimum d’existence ou à des dossiers délicats aboutissant toujours à des problèmes financiers majeurs, se définit donc comme extraordinaire et périphérique. Le xvii^e siècle paraît avoir été la période la plus favorable à ce type d’ouverture sans qu’on puisse parler d’un quelconque épanouissement. L’irrégularité des chiffres présentés conforte plutôt l’idée de liens étroits entre le gonflement de ce type de séance et les conjonctures historiques difficiles. Il faut imaginer une courbe des sollicitations inscrite presque toujours à un niveau faible avec quelques brutales et épisodiques élévations.

78Quelques exemples du xvii^e siècle illustrent assez bien ce fonctionnement. Entre juillet 1609 et août 1610 se sont tenus six grands bureaux contre un seul de septembre 1608 à juillet 1609 et deux seulement d’août 1610 à avril 1612. Contrairement à un premier réflexe, il ne faut pas chercher dans l’assassinat d’Henri IV l’origine de ce réveil momentané puisque la majorité des séances se sont tenues avant le drame122. Vérification faite, ce sont les problèmes financiers, et spécialement l’obtention d’un devoir sur le vin, qui intéressent alors le corps de ville. En 1615-1617, sur 25 mois d’histoire locale, nous avons dégagé quinze exemples de grand bureau au sens strict du terme. Les sept exemples de 1616 sont tous liés aux problèmes de sécurité militaire qui se posent à la suite de l’engagement du gouverneur de Bretagne, le duc de Vendôme, demi-frère du Roi, dans les mouvements de révolte des Grands. Les huit exemples de 1617 sont provoqués par des difficultés dans la gestion financière, le fermier des octrois voulant renégocier un bail qu’il juge excessif dans cette période de troubles militaires qui gênent terriblement le trafic de Loire. Directement ou indirectement, ce sont les problèmes d’insécurité liés aux chevauchées des nobles contestataires qui redonnent vie au grand bureau123. Par contraste, la séquence municipale de juillet 1617 à août 1618, qui correspond à une trêve après l’assassinat de Concini, voit retomber immédiatement une structure devenue superflue.

79La période août 1623-avril 1625 totalise dix grands bureaux. Les sujets sont très variés puisqu’on y traite successivement du problème des pirates à l’embouchure de la Loire, de la police des pauvres, des réparations sur le Pont Rousseau, d’un devoir sur le vin, d’une expédition vers Saint-Nazaire contre les calvinistes et de la cession du Collège Saint-Clément aux pères de l’Oratoire124. Les problèmes militaires ne sont pas absents mais ne fournissent qu’une partie de la matière des délibérations, ce qui témoigne d’un affermissement de cette consultation qui connaît une véritable consécration dans la séquence municipale de 1627-1628 qui ne compte pas moins de treize exemples pour seulement onze mois125. Tout s’explique avec l’expédition de La Rochelle et la demande royale de réquisition de l’artillerie nantaise. Cet épisode montre mieux que n’importe quel autre, comment le politique et le militaire sont encore intimement liés dans les premières décennies du xvii^e siècle. Laisser partir son artillerie, c’est renoncer à sa fierté, au symbole même d’une autonomie de plus en plus mythique, à un patriotisme urbain qui rassemble les différents corps et les catégories sociales de la communauté. Face à une telle menace, la mobilisation du corps de ville paraît indispensable. Celui-ci a préféré s’endetter pour financer la fourniture d’autres équipements plutôt que de laisser partir ses douze canons126. Les séances sont pratiquement toutes concentrées entre août et novembre 1627.

80L’analyse de la longue séquence 1641-1645 (45 mois) a mis en évidence une tendance favorable à la réunion du corps de ville dans son entier avec une moyenne de 5,6 séances par an. Plusieurs sujets de préoccupation ont légitimé une telle orientation : des menaces sur l’exemption des francs-fiefs en 1641 et début 1642, le transfert de l’Hôtel-Dieu à l’extérieur de Nantes, la mort de Louis XIII en 1643, une crise frumentaire et des problèmes d’approvisionnement à la fin de 1643 et en 1644127^.

81Sous le règne de Louis XIV, le climat n’est plus le même. Manifestement, le grand bureau n’est plus autant recherché, sauf peut-être en de rares occasions comme en 1676, 1684 ou 1689. D’autre part, certains chiffres meilleurs que d’autres pourraient créer des illusions. Ainsi, dans le sondage sur 22 mois en 1661-1662, nous avons relevé huit occasions : quatre réunions pour préparer la venue de Louis XIV, deux autres pour la révision des listes électorales, une pour inscrire des ordres royaux pour l’installation des jésuites, une dernière pour faire face à la crise frumentaire en achetant des céréales. La visite royale gonfle exceptionnellement le nombre de convocations128^.

82En 1676, ce sont les francs-fiefs et les difficultés du logement des gens de guerre qui expliquent les six exemples recensés129. En 1684, les sujets sont très variés (liste électorale, travaux au pont de Pirmil, problème de bail de la cohue à poissons, querelle de police de futailles avec la prévôté)130. En 1689, ce sont les exigences financières de la monarchie pour les débuts de la guerre de la Ligue d’Augsbourg qui mobilisent le corps de ville : il faut trouver 150 000 livres, l’emprunt est inévitable131. En dehors de ces trois années exceptionnelles, le grand bureau reste engourdi dans un demi-sommeil. Le sondage pour 1680-1683 paraît a priori supérieur parce qu’il recouvre le meilleur de deux années moyennes132. Quant aux cinq séances des dix mois de 1693 à 1694, elles se décomposent comme suit : deux réunions pour la réception du lieutenant du gouverneur et l’inscription de ses lettres de provisions, deux autres pour les listes électorales et une seule pour une affaire administrative, avec la demande d’installation de religieux bénédictins133.

83Le dix-huitième siècle ne redonne pas ses chances au grand bureau qui reste toujours écrasé par le bureau servant, même dans les périodes de tension comme en 1710 avec les attaques contre le mode de scrutin ou la crise avec le consulat en 1755. Seul le privilège traditionnel de dresser les listes d’éligibilité l’empêche de disparaître complètement.

Conclusion

84Avec environ 80 ou 90 réunions annuelles au xvii^e siècle, le bureau servant correspond bien à l’organe supérieur et dominant de la municipalité. C’est le lieu d’où partent toutes les impulsions décisives et où se détermine le plus souvent la politique municipale. Le maire et le procureur syndic sont certainement les mieux placés pour y exercer une influence qui ne se développe pas sur les mêmes bases. Le premier magistrat, qui préside aux séances et qui incarne publiquement la communauté, profite de son prestige supérieur pour s’imposer dans les délibérations tandis que le syndic tire d’une plus grande permanence dans la fonction et d’une meilleure connaissance des dossiers le surplus d’information qui assure son autorité. Ne rejetons pas les six échevins comme quantité négligeable. Restant en fonction un peu plus longtemps que le maire, ils sont à même de s’améliorer aux cours des trois ans de service. Dans les débats les plus délicats, lorsque la convergence des propositions ne s’établit pas spontanément ou rapidement et qu’il faut dégager une orientation à « la pluralité des voix », ils sont en situation d’arbitre.

85Le rythme de travail du bureau servant s’est maintenu sur une période qui part de la fin des années 1580 et qui s’achève vers 1750. Le xvii^e siècle apparaît ainsi comme une longue étape de transition entre les séances très fréquentes du conseil des bourgeois des deux premiers tiers du xvi^e siècle et la décrue des réunions de la seconde moitié du xviii^e siècle liée au développement du travail administratif en amont et en aval des bureaux de ville sous l’influence des services de l’intendance et de la bureaucratie monarchique en général. Les exemples d’absentéisme livrés par les archives ne doivent pas masquer la réalité. Les bureaux servants sont animés par une majorité d’élus consciencieux, entraînés par une minorité vraiment dévouée. Une meilleure adaptation du système aux possibilités humaines a fait disparaître les problèmes des années 1565-1585 qui sont à rapporter à la naissance conflictuelle de la municipalité.

86La première forme d’ouverture du bureau servant, lorsqu’il s’agit d’élaborer une stratégie municipale pour les dossiers difficiles posant toujours de graves problèmes financiers, consiste à appeler les anciens maires et échevins sortis de charge. Le corps de ville apparaît alors dans sa définition la plus complète. Il n’existe pas de domaines réservés à cette structure, ses compétences concernant l’ensemble du champ municipal. Le xvii^e siècle a certainement été la période la plus favorable à ce type d’ouverture concurrencé auparavant par d’autres formes de consultation et condamné ensuite par la bureaucratisation croissante de la monarchie administrative. Malgré tout, le rythme reste assez irrégulier, la conjoncture globale et les personnalités en place expliquant ces variations. Si les années 1620 marquent le début de la prépondérance de cette forme de consultation, le dernier tiers du xvii^e siècle laisse voir un réel fléchissement. Par comparaison avec les chiffres du bureau servant, les grands bureaux ne peuvent pas être définis autrement que comme des consultations exceptionnelles justifiées par le surgissement d’un problème difficile à régler, exceptée la séance statutaire du 30 avril de chaque année relative à la préparation des élections.