Du conseil des bourgeois à la municipalité, 1420-1565

1Le déclenchement de la guerre de Succession de Bretagne opposant les maisons de Blois et de Monfort à partir de 1341 a favorisé la première apparition d’une structure de représentation des bourgeois de Nantes. Pour obtenir leur soutien, Charles de Blois admit d’abord par ses lettres du 26 octobre 1344 que les impositions levées dans la ville fussent soumises au consentement des habitants, avant de reconnaître par ses lettres du 17 juin 1345 un droit de contrôle sur leur affectation à la défense de la ville, ce qui impliquait une collaboration de délégués avec le capitaine1. La mort de leur protecteur à la bataille d’Auray en 1364 ayant placé les Nantais dans le camp du vaincu, le nouveau duc Jean IV les sanctionna en résiliant tous les privilèges obtenus, les bourgeois ne retrouvant la gestion des taxes destinées aux fortifications qu’en août 1397. Dans la confirmation octroyée par sa veuve, Jeanne de Navarre, le 20 juillet 1400, est aussi mentionné l’entretien des ponts et du pavage des rues2.

2Cette politique d’intégration des habitants a connu un bel épanouissement avec le duc Jean V qui, de 1407 à 14113, a beaucoup élargi les compétences des bourgeois et a couronné ce transfert de responsabilité par la création d’un conseil des bourgeois dans ses lettres du 19 septembre 14204. Cette structure tripartite regroupait les principaux officiers ducaux (capitaine, connétable, sénéchal, prévôt), six chanoines représentant l’évêque, le chapitre cathédral et la collégiale Notre-Dame, et douze responsables élus parmi les bourgeois, dont un procureur considéré comme le porte-parole de la communauté5. À partir de 1443, le miseur et le contrôleur furent également désignés par l’assemblée générale des habitants.

3Il est difficile, à cause de la perte des livres des délibérations, de dire combien de temps cette organisation a perduré selon le modèle initial, mais la lecture du seul registre conservé (1555-1562) montre que le conseil fonctionne à cette époque en assemblée générale ouverte avec une participation qui oscille entre trente et cinquante délibérants6. Si tous les bourgeois peuvent entrer dans la maison de ville pour s’associer à la vie publique nantaise, peu s’y intéressent, même si les formules évasives du greffier ne permettent pas des comptages très précis. Le relevé des noms des participants qui ont eu l’honneur d’être cités oriente vers les familles notables les plus puissantes, ce qui ne saurait constituer une surprise. Il existe ainsi un ensemble assez stable qui constitue le véritable centre du pouvoir urbain, noyau dominé par les plus riches marchands de la cité, entouré d’une couronne de participants épisodiques dont l’influence doit être très inférieure et qui ne se déplacent que pour des problèmes les concernant plus directement7. Le principe des douze n’est pas oublié, mais paraît réservé au traitement des affaires délicates exigeant de la discrétion, comme par exemple le choix de mesures de défense de la ville au début des guerres de religion8.

4Tant que les problèmes militaires ont constitué une priorité essentielle, le contrôle du capitaine sur le conseil a été effectif. Avec l’intégration du duché dans le royaume et la fascination des Valois pour les guerres d’Italie, la ville de Nantes a bénéficié d’une longue période de paix jusqu’au réveil des inquiétudes par suite du déclenchement des affrontements entre catholiques et protestants en 1562. Le glissement progressif des délibérations des questions de fortification aux affaires de police générale et d’entretien des ponts, des rivières et des pavés a provoqué une émancipation de fait de l’ensemble bourgeois, le capitaine limitant sa présence aux séances solennelles. L’élite marchande a ainsi pris en mains la destinée de la ville tout en préservant une bonne coopération avec l’Église et les officiers royaux.

5Cette évolution paisible fut interrompue par la nomination du comte René de Sanzay comme capitaine de ville en juillet 15559. Considérant que ses prédécesseurs avaient abandonné beaucoup trop de prérogatives, il se mit en tête de restaurer les compétences traditionnelles de sa fonction. Dès 1555, les bourgeois se plaignent de sa prétention à vouloir autoriser et présider toutes leurs réunions. La volonté d’instaurer un droit de visite de tous les navires fréquentant le port, assorti d’une taxe de huit à dix livres selon le tonnage, a provoqué une réaction défensive de l’élite marchande qui a député en février 1556 des représentants au Conseil du roi pour obtenir l’annulation de cette inspection fiscalisée. Malgré une enquête favorable menée par le duc d’Etampes, gouverneur de Bretagne, Henri II a fini par retenir le point de vue du capitaine dans ses lettres patentes du 12 février 155810. Le contentieux s’est encore aggravé suite à une nouvelle formulation du droit de bris et à sa prétention à intervenir dans la justice commerciale11. Bien que les lettres patentes du 23 août 1557 ait débouté le capitaine en confirmant la compétence du parlement de Nantes, celui-ci n’a pourtant pas renoncé à ses objectifs comme le montrent les réactions des grands marchands qui sollicitent la création d’un consulat finalement accordé par Charles IX en 1564. Un très long procès a également opposé le comte de Sanzay et l’ensemble des bourgeois à propos de l’exercice du guet et des pénalités excessives infligées aux défaillants12.

6Interprétant ses défaites en termes d’insuffisance institutionnelle, l’élite marchande est parvenue à convaincre la monarchie du bien fondé de la transformation du conseil en véritable municipalité. Les lettres patentes de François II, données à Blois en janvier 1559, ont institué un bureau servant composé d’un maire, dix échevins, un procureur du roi syndic et un greffier, tout en maintenant à côté un miseur et un contrôleur13. Les justificatifs de la décision royale indiquent que le souverain a été sensible aux besoins nés des prétentions nantaises au rôle de capitale provinciale, perspective confortée par le choix de Henri II en 1557 d’y installer totalement le nouveau parlement au détriment de Rennes alors que la ville est déjà le siège de la chambre des comptes depuis 150214. Cette prééminence juridique et sa vocation de grand port ligérien entraînent un afflux des affaires et des personnes qui surcharge de travail les officiers de justice et le capitaine. Transférer l’entière gestion de la police urbaine à une véritable municipalité pour alléger les obligations de ces derniers devient donc une sage solution dans l’intérêt même de l’amélioration de l’administration royale.

7Cette innovation institutionnelle a été rejetée par toutes les autorités déjà en place qui ont craint de perdre une partie de leur autorité. La prévôté, qui était la plus menacée, a obtenu le soutien du présidial créé en 1551 et des deux cours souveraines. L’opposition des gens de justice les a rapprochés du comte de Sanzay qui n’admettait pas la contraction de sa tutelle ainsi que les privilèges d’anoblissement accordés selon le modèle angevin. Ce front du refus est parvenu à bloquer la situation pendant presque cinq ans, profitant de nouveaux rapports de force apparus avec l’avènement de Charles IX et la régence de Catherine de Médicis et symbolisés par le départ du parlement à Rennes en 1561.

8La création d’un consulat commercial en avril 1564 permit de sortir de l’impasse puisque l’édit prévoyait son élection dans une assemblée générale des cinquante meilleurs marchands sélectionnés par le bureau de ville qui n’existait pas encore15. L’élite marchande profita du déplacement de Charles IX à Vitré en octobre 1564 pour y députer quelques représentants qui obtinrent un mandement royal obligeant le parlement à exécuter les lettres patentes de janvier 1559. Une assemblée générale du conseil des bourgeois convoquée le 28 novembre 1564 fut perturbée par l’opposition du capitaine, des gens de justice et des délégués de l’église de Nantes qui se retirèrent dès l’ouverture après avoir fait enregistrer leur refus de tout changement, ce qui n’empêcha pas les bourgeois d’origine marchande de sélectionner cinquante prud’hommes pour procéder à l’élection du premier bureau municipal. Le 2 décembre, ce dernier publia une déclaration de 18 articles pour définir les compétences et le champ d’action de la nouvelle institution, texte approuvé par Michel Deseffort, commissaire du parlement député à cet effet16^.