Origines, formation et carrière avant 1867

1Adolphe Niel naquit le 4 octobre 1802 dans le domaine familial de Brioudes (commune de Muret). Il descendait d’une famille de la bourgeoisie aisée. Son grand-père paternel, Guillaume (1713-1793), fut contrôleur général des gabelles du Languedoc, et son père, Joseph (1752-1837), conseiller général de Haute-Garonne de 1811 à 1831. Sa mère, Louise-Christine Lamothe (1771-1848), était fille d’un avocat au parlement de Toulouse. Deux de ses oncles paternels avaient servi dans les armées : André, qui participa à la bataille de Jemappes, et Antoine, tué à l’armée des Pyrénées. Adolphe eut un frère, Jean-Gustave (1799-1867), futur conseiller à la cour d’appel de Toulouse, et une sœur, Virginie (1805-1827).

2Adolphe Niel bénéficiait d’une haute taille et d’une constitution robuste. Son éducation fut partagée entre sa mère, qui lui inculqua les valeurs chrétiennes, et son père, qui lui imposa culture générale et activité physique quotidienne. Montrant du goût pour les sciences exactes, Niel entra à l’École polytechnique parmi les derniers. Au prix d’un travail acharné, il en sortit au 16^e rang en 1823. Poursuivant ses efforts, il termina major de sa promotion à l’École d’application de l’artillerie et du génie de Metz en 1825.

3Lieutenant en second de sapeurs au 3^e régiment du génie, ses chefs reconnurent en Niel un officier ayant de l’instruction et du zèle. De 1826 à 1828, il fut envoyé avec sa compagnie sur les chantiers de Belfort et Longwy. Promu capitaine en second le 25 janvier 1829, il travailla dans les îles d’Hyères et à Bayonne. Affecté au Dépôt des fortifications le 10 février 1836, il fut remarqué par le général Rohault de Fleury qu’il suivit en Algérie. Le 13 octobre 1837, il favorisa la prise de Constantine en s’emparant d’une porte avec son détachement. Promu chef de bataillon le 24 décembre 1837, il fut distingué en février 1838 par le Comité du génie pour ses projets de casernes. Rentré en France, il rejoignit les travaux de fortification de Paris en septembre 1840 où il dirigea le chantier du fort de Noisy, puis à partir de mai 1841 des forts de Saint-Denis et d’Aubervilliers. Promu lieutenant-colonel le 5 juin 1842, il était apprécié du maréchal de camp Vaillant qui louait en 1844 « sa haute capacité comme ingénieur et son amour prononcé pour le métier1 ». Colonel le 12 mai 1846, il reçut le commandement du 2^e régiment du génie, dont il améliora singulièrement l’instruction.

4Chef d’état-major du général Vaillant, commandant le génie du corps assiégeant Rome en mai 1849, Niel surveilla les travaux de tranchées et fut blessé lors de l’assaut final. La ville s’étant rendue, il fut promu général de brigade le 13 juillet. Rentré en France, il fut nommé chef du service du génie au ministère le 11 février 1850. En septembre, il accompagna Louis-Napoléon Bonaparte dans son voyage présidentiel aux travaux de Cherbourg. Le 26 mars 1851, il quitta la direction du génie pour devenir membre du Comité des fortifications. Par décret du 30 avril 1853, il fut promu général de division. En août 1854, il commanda le génie du corps qui s’empara des forts russes de l’île d’Åland. Inquiet des lenteurs du siège de Sébastopol, Napoléon l’envoya en faire l’inspection, avec le titre d’aide de camp. Arrivé le 29 janvier 1855 en Crimée, Niel fit dès le 14 février des propositions adoptées par l’empereur. Mis à la tête du génie de l’armée le 4 mai, il s’opposa au général Pélissier, commandant en chef, mais, appuyé par l’empereur, il termina méthodiquement les opérations de siège. Les Russes ayant abandonné la ville le 8 septembre, Niel rentra en France et reprit son poste d’aide de camp le 20 décembre 1855.

5En juin 1856, il accompagna Napoléon III dans son voyage auprès des inondés de la vallée du Rhône. En 1857, il organisa l’installation des troupes qui manœuvrèrent au camp de Châlons sous les yeux de l’empereur. Sous le couvert du mariage du prince Jérôme Napoléon avec la princesse Clotilde de Sardaigne, il négocia les dispositions militaires du traité secret d’alliance franco-piémontaise en janvier 1859. L’Autriche ayant déclaré la guerre au Piémont, il fut nommé, le 22 avril 1859, au commandement du 4^e corps de l’armée française qui entra en Italie sous les ordres de Napoléon III. À la bataille de Magenta, le 4 juin, il empêcha le contournement de l’armée française. Le 24 juin, lors de celle de Solférino, il résista à trois corps autrichiens qui tentaient de couper l’aile droite de l’armée française. Le 4^e corps perdit 4500 hommes mais les Autrichiens durent battre en retraite. Par décret du 25 juin 1859, Niel fut fait maréchal de France. La paix signée, il fut nommé au commandement du 6^e arrondissement militaire, à Toulouse, par décision du 17 août 1859.

6Après un passage au Conseil d’État de 1852 à 1857 et sa nomination comme sénateur en juin 1857, Niel devint président du conseil général de la Haute-Garonne le 20 août 1859. La victoire de la Prusse sur l’Autriche en 1866 confirma les craintes de Napoléon III sur les capacités de l’armée prussienne2. La presse parisienne s’étant émue, Napoléon pensa imposer le service militaire obligatoire et l’organisation d’une réserve entraînée. En septembre, il consulta les généraux de son entourage, dont Niel, qui lui déconseilla d’adopter cette mesure trop impopulaire. Le 18 octobre, Niel lui envoya un rapport préconisant un service actif de six ans pour une partie de la classe et un service obligatoire pour tous dans une garde nationale mobile. Le 26 octobre, Napoléon décida de réunir une commission chargée de rédiger un projet. Invité à y participer, Niel y défendit sa solution contre l’avis du maréchal Randon, ministre de la Guerre. Faute d’un accord, Napoléon décida alors d’envoyer le projet devant le Conseil d’État et de changer de ministre de la Guerre.

Action au ministère de la Guerre (1867-1869)

7Croyant à la réforme et apprécié des milieux militaires et politiques, Niel fut nommé ministre secrétaire d’état de la Guerre par décret du 20 janvier 1867. Tout entier accaparé par la préparation de la nouvelle loi militaire, il maintint l’organisation en sept directions de l’administration centrale du ministère et conserva le chef de cabinet et les directeurs de son prédécesseur. A posteriori, on lui reprocha de ne pas avoir bousculé l’action anarchique des directions, comités et commissions spécialisés qui se contrecarraient. Niel aurait préféré disposer d’un état-major opérationnel dès le temps de paix, mais il dut se contenter de ses aides de camp. Il fit surtout la chasse aux abus et dépenses inutiles. En 1869, un règlement de 400 pages vint fixer les règles d’application au département de la Guerre du décret du 31 mai 1862 sur la comptabilité publique. Il en avait été de même pour la comptabilité des corps de troupe avec l’instruction du 5 avril 1867. Toutes les instructions d’inspection générale des divers corps et services furent précisées. On révisa aussi les conditions d’admission aux différentes écoles militaires. Le nombre de soldats d’ordonnance fut limité (1^er septembre 1867) et les frais de déplacement réduits à de « justes limites » (12 juin 1867).

8Dès son arrivée au ministère, Niel se trouva immédiatement confronté à la préparation de la nouvelle loi militaire. Le projet, présenté le 12 décembre 1866, fut critiqué par le Conseil d’État et mutilé par la commission du Corps législatif. Niel modifia alors le texte les 30 janvier, 8 février, 20 novembre et 12 décembre 1867. Au Corps législatif, il dut faire face aux républicains croyant à la levée en masse et dénonçant l’armée prétorienne, et aux libéraux soucieux de ménager les ressources humaines et budgétaires en faveur de l’activité économique. Il ne fut suffisamment appuyé ni par les bonapartistes souhaitant ne pas mécontenter leurs électeurs, ni par les militaires hostiles à la garde nationale mobile. Lors de la seconde lecture du 9 au 14 janvier 1868, Niel intervint chaque jour pour défendre les articles du projet, argumentant ses propos avec les informations recueillies par les officiers des dépôts de la guerre sur la modernisation de l’armée de la Confédération d’Allemagne du Nord. Le texte final fut adopté le 14 janvier par le Corps législatif et le 28 janvier par le Sénat.

9Promulguée par Napoléon III le 1^er février 1868, la « loi sur le recrutement de l’armée et l’organisation de la garde nationale » se résumait à la modification de la loi du 21 mars 1832 et à la création de la garde nationale mobile. En temps de paix, la durée du service actif était réduite à cinq ans (sous les drapeaux ou en congé suivant le tirage au sort) mais s’y ajoutaient quatre ans dans la réserve appelée en cas de conflit. La possibilité de remplacement était rétablie. En temps de guerre, l’armée active devait atteindre 480 000 hommes et la réserve 270 000 hommes. La garde nationale mobile, prévue à 550 000 hommes, était organisée pour « la défense des places fortes, des côtes et des frontières et le maintien de l’ordre ». Elle serait mise en activité par une loi et incorporerait les exemptés et les remplacés de l’active, ainsi que des volontaires. Le temps de service serait de cinq ans. Le 1^er mai 1868, une instruction expliquant la nouvelle loi fut diffusée. Conformément au texte sur l’organisation de la garde nationale mobile du 28 mars 1868, on mit en œuvre la constitution des bataillons de huit compagnies encadrés par des officiers retraités et des sous-officiers nommés par l’autorité militaire. Habillée, équipée et placée sous l’autorité de l’armée, la garde nationale mobile n’en faisait pas partie et n’avait pas d’état-major. En 1868-1869, on organisa aussi une dizaine de compagnies de francs-tireurs volontaires. L’agitation gagnant les campagnes, Niel décida le 10 juin 1868 que les classes 1864, 1865 et 1866 ne seraient pas appelées pour les exercices annuels, qui ne furent organisés qu’à partir de l’été 1869.

10Conformément au rapport rendu en février 1867 par la commission « chargée de rechercher les améliorations qu’il serait possible de réaliser », Niel entreprit de réformer l’armée, tout en respectant les réductions budgétaires imposées par le Corps législatif3. Revenant sur les suppressions de novembre 1865, il parvint à rétablir des escadrons dans la cavalerie de la garde (4 avril 1867), deux compagnies dans chaque régiment d’infanterie (27 février 1867) et 37 batteries d’artillerie. Le 4^e régiment de chasseurs d’Afrique fut reconstitué (6 février 1867). Le train d’artillerie et celui des équipages furent augmentés de huit et 24 compagnies (4 septembre 1868 et 28 janvier 1869). Par décret du 13 mai 1867, l’artillerie fut réorganisée en deux régiments de la garde, quinze régiments de ligne, quatre régiments à cheval, un régiment de pontonniers, deux régiments du train, dix compagnies d’ouvriers, six compagnies d’artificiers et une compagnie d’armuriers. Mais Niel dut compenser en supprimant les musiques de tous les régiments de cavalerie et d’artillerie, les compagnies d’élite (grenadiers et voltigeurs) dans les régiments d’infanterie, deux compagnies de gendarmes de la garde et en réduisant de trois à deux les bataillons dans les régiments d’infanterie en temps de paix. Il remplaça des brigades de gendarmerie à cheval par des brigades à pied. Enfin, il ne put accéder au désir de l’empereur de former le cadre de douze corps d’armée dès le temps de paix. Dernier échec, la réforme du corps d’état-major n’aboutit qu’à la création d’adjoints d’état-major (9 juillet 1869).

11Quand Niel arriva au ministère, les dernières troupes du corps expéditionnaire au Mexique rentraient, mettant fin aux coûteuses campagnes extérieures4. L’économie réalisée, couplée à un emprunt de 429 millions de francs, permit d’augmenter les dépenses d’équipement et d’armement. Adopté le 30 août 1866, le fusil Chassepot, à chargement par la culasse, fut produit à 1,2 million d’exemplaires, donnant à l’infanterie française une arme supérieure au fusil Dreyse prussien. Pour la garde nationale mobile, des fusils à percussion furent transformés en fusils modèle 1867 à tabatière, Niel n’hésitant pas à recourir à l’industrie privée. Plus de 200 millions de cartouches furent fabriquées. Renonçant à réduire à deux les modèles d’uniformes des troupes à pied et à cheval, Niel fit dessiner des tenues plus simples à produire et plus pratiques à porter. On adopta aussi de nouveaux modèles de coiffures et de souliers, ainsi qu’un havresac et une tente pour l’infanterie, une capote en drap gris pour les officiers et un « manteau » pour protéger les armes. Les manufactures (Châtellerault) et les arsenaux (Bourges) furent rénovés et équipés de machines-outils. On commanda aussi de nouveaux équipages de pont et du matériel de télégraphie.

12D’autres projets ne purent aboutir avant la guerre de 1870. Adoptés en 1858, les canons rayés en bronze se chargeant par la bouche avaient une portée limitée et les fusées de leurs obus étaient insuffisantes. Face à la résistance du Comité de l’artillerie, Napoléon finança secrètement la mise au point en 1865 d’un canon à balles, sorte de mitrailleuse à canons multiples, puis en 1869 d’un canon rayé de 7 se chargeant par la culasse et tirant un obus à fusée percutante. Mais ces deux pièces ne purent être produites en quantités suffisantes. De même, la défense des frontières fut rationalisée avec le déclassement de 28 places ou forts devenus inutiles (27 juin 1867) et la modernisation de places fortes importantes (Dunkerque, Lille, Metz, Strasbourg, Belfort, Langres, Besançon, Lyon, Toulon, Brest et Cherbourg). Mais les études du Comité des fortifications et les travaux traînèrent jusqu’à la guerre de 1870. L’organisation des services des chemins de fer et de la télégraphie se limita à la création de deux compagnies spécialisées du génie. La carte d’état-major ne fut terminée qu’en 1875.

13Niel tenta aussi d’améliorer l’instruction générale. Tandis que la troupe suivait les cours des écoles régimentaires, il imposa aux officiers des travaux personnels et des conférences dont les sujets furent fixés par le ministère. Les officiers auteurs d’études originales furent récompensés par des prix et des lettres d’éloges. Dans la troupe, les formations de combat étaient bien connues mais prenaient un aspect mécanique ne tenant pas compte des évolutions de l’armement. Ainsi, la cavalerie méprisait le service de reconnaissance et rêvait de « sabres au clair », quand les expériences du camp de Châlons montraient qu’une charge lancée à 500 mètres serait brisée par le tir du fusil modèle 1866. La liaison entre les différentes armes et l’utilisation du terrain étaient insuffisantes. En conséquence, on modifia les règlements sur l’instruction et les manœuvres d’infanterie et de cavalerie, le déplacement des unités en campagne et au combat, la coopération des différentes armes. On diffusa des instructions sur l’emploi des tirailleurs, le service de la cavalerie, l’utilisation de la fortification de campagne, l’entretien et le tir des nouvelles armes. Malgré le peu de terrains disponibles (Lannemezan, Vincennes, Satory et Sathonay), Niel imposa que chaque unité participe, au moins, à une manœuvre tous les deux ans. Il tenta de donner plus de réalité aux manœuvres du camp de Châlons, augmentant les effectifs convoqués et imposant des séances communes de travail aux officiers généraux.

14Niel prit soin d’améliorer la condition et l’image du militaire. La solde d’activité fut augmentée substantiellement, ainsi que les pensions de retraite, « justes dédommagements des obligations les plus dures que la société puisse imposer aux citoyens ». Mais la solde de la garde impériale fut gelée et le traitement de congé réduit de moitié. Un décret du 24 octobre 1868 réserva aux sous-officiers et soldats blessés, ou ayant dix ans de service, de nombreux emplois civils de l’administration de la Guerre, mais aussi une partie de ceux de la maison de l’empereur, de la police, des prisons, des douanes, des communes et même de l’enseignement primaire. Plus prosaïquement, le service du casernement fut revu. La gestion et la qualité des ordinaires furent surveillées. Après les catastrophes sanitaires de Crimée et d’Italie, des règlements furent publiés sur le service de santé et le soin aux blessés, du matériel mis en place et des infirmeries créées dans les unités. Niel veilla aussi à représenter dignement sa fonction ministérielle, organisant des dîners et un grand bal annuel au ministère, veillant à la forte participation de l’armée à l’exposition universelle de Paris en 1867, répondant à toutes les interpellations des députés et participant aux revues aux côtés de l’empereur, notamment celle du bois de Boulogne en présence du tsar Alexandre II et du roi de Prusse le 6 juin 1867.

Carrière postérieure, fortune et vie privée

15Épuisé par le travail et la maladie, Adolphe Niel décéda le 13 août 1869 des suites d’une opération des calculs rénaux. Après une cérémonie officielle aux Invalides, il fut enterré à Muret. Il laissait une veuve, Charlotte-Clémence-Hélène Maillères (1822- 1901), épousée le 24 avril 1843, ainsi que deux enfants : Jeanne-Amélie (1844-1924) et Léopold-Gustave (1846-1918), futur général de brigade. D’abord modestes, les revenus de Niel s’accumulèrent avec les charges et les honneurs. En 1860, Niel put acheter, à l’est de Toulouse, le domaine d’Aufrèry où il s’adonnait à sa passion pour l’horticulture.

16Le 10 février 1875, la ville de Paris donna son nom à une partie de l’avenue du Prince Jérôme. Le 15 octobre 1876, une statue du maréchal fut inaugurée à Muret, sur une place face à la Garonne. Homme d’action mais aussi de réflexion, Niel avait su attirer l’attention et la bienveillance de ses supérieurs jusqu’à devenir ministre de Napoléon III. Il tenta alors de réformer l’armée pour la préparer au conflit qui s’annonçait avec la Prusse mais se heurta à la routine des bureaux, au manque de culture professionnelle du corps des officiers et à l’aveuglement politique de la nation. Après la défaite de 1870, ses successeurs purent réaliser ses projets.