Première partie. L’éthique de la cité
p. 30-32
Texte intégral
« Culture is a moral order. To each role belong determinate claims and obligations. »
J. Redfield1
1L'expression de la conscience de soi, pour les cités de la basse époque hellénistique et de l'époque impériale romaine, passe par l'éloge des notables, dont le rôle est devenu prépondérant dans la société grecque et dont les inscriptions honorifiques, véritables discours de la mémoire des cités, transmettent une image fondée sur des valeurs et des comportements qui s'insèrent eux-mêmes dans le cadre de ce que les textes nomment « l'éthique de la cité ».
2Dans cette partie, il s'agira d'abord, en un premier chapitre, sous forme de tableaux récapitulatifs, de présenter l'ensemble du vocabulaire concerné, accompagné de définitions, puis de souligner l'enracinement de ce vocabulaire dans le vocabulaire moral et philosophique d'époque archaïque et classique2, en montrant aussi les glissements qui se sont opérés dans l'expression des idéaux civiques, notamment des valeurs guerrières vers les valeurs culturelles3.
3Ce classement et ces définitions d'ensemble débouchent sur une analyse qui sera conduite, dans un second chapitre, selon un ordre chronologique, en distinguant quatre temps :
- les iie et ier siècles av. J.-C, jusqu'à la bataille d'Actium, laquelle marque un tournant dans l'histoire des cités grecques, car le système monarchique qui s'installe à ce moment-là a entraîné deux changements fondamentaux4 : l'adoption à l'intérieur de la cité grecque d'un système de représentation symbolique d'une puissance dirigeante distante et universelle et la fin du rôle militaire joué par la cité grecque — alors que l'on peut parler encore d'une activité politique et militaire pour les cités grecques durant la première moitié du ier siècle av. j.-C. Dès lors, à partir du règne d'Auguste, on peut donc se poser la question d'une évolution de la notion de citoyenneté, elle-même liée aux transformations que subit l'exercice du pouvoir politique et militaire dans les cités. À cet égard, on soulignera, à la suite de F. Millar, l'intérêt du recours à l'archéologie et à l'épigraphie pour mieux cerner l'expression collective d'une nouvelle identité civique, au tournant des premiers siècles av. et apr. J.-C.
- la période qui s'étend du règne d'Auguste à la fin du règne de Trajan
- l'époque de Trajan apparaissant dans plusieurs domaines comme un tournant ;
- l'époque antonine depuis Hadrien ;
- la période allant de la fin du iie siècle aux environs du milieu du iiie siècle.
4Au fil de ce classement chronologique5, il est possible de faire apparaître les catégories sociales et les domaines d'activité auxquels s'applique le vocabulaire dans le discours des cités, en cherchant à relier valeurs morales et formes sociales (ce qui permet de définir dans cette première partie les grandes familles6 qui composent l'élite des cités du Péloponnèse, particulièrement en Laconie), et en se référant en même temps, pour souligner d'éventuelles spécificités, aux sources littéraires et épigraphiques contemporaines.
5L'analyse de la documentation péloponnésienne ainsi menée me conduit à mettre en évidence la place qu'occupent, ici comme ailleurs dans le monde grec à la même époque, quelques grandes familles locales en liaison avec certains domaines de la vie civique, mais à faire apparaître aussi un déséquilibre entre les cités de la Péninsule qui permet de poser la question d'une éventuelle spécificité dorienne à laquelle semble s'être attachée la mémoire des cités.
Notes de bas de page
1 Dans D. M. Halperin et al. (éds.), Before Sexuality. The Construction of Erotic Experience in the Ancient Greek World, Princeton, 1990, p. 122.
2 Dans la perspective qui est la mienne, celle de l'étude des représentations de soi à l'œuvre dans les discours officiels des cités, il est intéressant de souligner que le ive siècle av. j.-C. semble pouvoir servit à maints égards de point de départ à la réflexion : cf. P. Herrmann, « Die Selbstdarstellung der hellenistischen Stadt in den Inschriften : Ideal und Wirklichkeit », dans Actes du VIIIe Congr. intern. d'Epigr. gr. et lat. (Athènes 1982), Athènes, 1984, p. 112-116.
3 D'où l'image apparemment paradoxale qu'un Plutarque recompose d'Alexandre dans la « Vie » qu'il lui consacre à l'époque de Trajan : la vertu guerrière traditionnelle semble y tenir moins de place que l'idéal de générosité et de maîtrise de soi qui est aussi celui des élites civiques.
4 Cf. F. Millar, « Greece and Rome from Mummius Achaicus to St Paul », dans J.-Y. Marc, J.-C. Moretti (éds.), Constructions publiques et programmes édilitaires en Grèce entre le IIe siècle av. J-C. et le F siècle apr. J.-C. (Actes du Colloque organisé pat l'École française d'Athènes et le CNRS, Athènes 14-17 mai 1995), BCH Suppl. 39, 2001, p. 2.
5 Qui servira à nouveau de cadre à la réflexion sur la mémoire politique des cités : cf. infra, p. 79-80.
6 Force est de souligner ici l'ambiguité du vocabulaire : il serait sans doute préférable de parler de « branches » ou de « lignages » issus des grandes « familles » de la société provinciale d'époque impériale, connus par les inscriptions honorifiques qui entretiennent le souvenir du rôle qu'ils ont pu jouet à l'échelle locale. Je ne renoncerai pas cependant, par commodité, à parler de « famille » pour désigner ces lignages locaux. Mais il faut prendre garde en même temps à l'ambiguité des gentilices : liés à l'octroi de la citoyenneté romaine, avec laquelle le nouveau citoyen reçoit le nom du patron ou de l'empereur, ils sont portés par des personnages qui n'appartiennent pas nécessairement à la même « famille », mais plutôt à des groupes qui se constituent autour d'un gentilice.
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