Jean-de-Dieu Soult, duc de Dalmatie
Ministre de la Guerre, 3 décembre 1814-11 mars 1815, puis 17 novembre 1830-18 juillet 1834, et 29 octobre 1840-10 novembre 1845
p. 211-218
Texte intégral
Origines, formation et carrière avant 1814
1Jean-de-Dieu Soult est né le 29 mars 1769 à Saint-Amans-la-Bastide dans le département du Tarn. Son père était notaire à Saint-Amans et son mariage avec Marie-Brigitte de Grenier lui a donné sept enfants. Aîné des garçons, Jean-de-Dieu Soult apprit quelques rudiments du notariat auquel son père le destinait, mais la mort de celui-ci en 1779 semble avoir joué un rôle déterminant sur sa vocation : en 1785, il s’engagea dans le régiment de Royal-Infanterie à Saint-Jean-d’Angély. Promis sans nul doute à une carrière modeste en raison de ses origines roturières, Soult est un pur produit de la promotion des guerres révolutionnaires : sergent en 1791, sous-lieutenant l’année suivante, il intégra l’état-major du général Hoche à la fin de l’année 1793. Sa bravoure à la bataille de Fleurus lui valut le grade de général de brigade. Intégré à l’armée de Sambre-et-Meuse, il accéda au grade de général de division en 1799 et servit, sous la direction de Masséna, dans l’armée d’Helvétie (il se distingua lors de la bataille de Zurich en septembre 1799) et dans l’armée d’Italie. Avec Masséna, il fut chargé de la défense de Gênes. Blessé à la bataille de Monte-Cretto (13 mai 1800), il fut fait prisonnier. Libéré après Marengo, il veilla à la pacification du Piémont en tant que commandant militaire. Il participa à l’expédition de Murat contre les troupes napolitaines qui, après leur reflux depuis la Toscane, se clôt par l’armistice de Foligno (6 février 1801). Il fut alors chargé de l’administration militaire des Pouilles.
2Colonel général de l’infanterie légère de la garde consulaire (1802) puis de la garde impériale, il fut promu maréchal d’Empire en 1804. Dirigeant le 4e corps de la Grande Armée, il fut à Austerlitz, Iéna, Eylau… ; sa carrière se confond avec la geste impériale. En 1808, il reçut le titre de duc de Dalmatie. Il prit la charge du 2e corps de la Grande Armée en Espagne (1808-1814) qui lui procura une durable réputation d’organisateur militaire, malgré une retraite finale où il fit preuve toutefois d’opiniâtreté et de méthode.
3Le maréchal Soult a donc connu une brillante carrière et, si les jugements sur sa valeur militaire sont assez contrastés, peut-être faut-il n’y voir que l’expression des rivalités et jalousies qui animaient les grands serviteurs de l’Empire. En revanche, sa réputation de dureté envers ses hommes, comme d’ailleurs sa propension au pillage d’œuvres d’art, semble bien établie.
4Avec la chute de l’Empire débuta une série de palinodies politiques qui valurent au maréchal Soult de figurer en fort bonne place dans les dictionnaires des girouettes. Connu pour une proclamation révolutionnaire enflammée à Uberfelsheim (29 mars 1793), où il flétrissait les « aristocrates », ces « hommes insolents qui voudraient renverser le système heureux de l’égalité sociale établi sur les droits de l’humanité », ce haut dignitaire l’Empire se rallia avec enthousiasme à la Première Restauration. Ce ralliement lui valut le commandement de la 13e division militaire1 à Rennes, mais surtout le portefeuille de la Guerre. Il poussa alors le zèle jusqu’à lancer une souscription pour un monument à la mémoire des émigrés morts lors du débarquement manqué de Quiberon en 1795. Lors du « vol de l’Aigle », il appela à se rallier à la « bannière de lys » contre « l’usurpateur » (proclamation publiée dans Le Moniteur du 8 mars), avant de rejoindre Napoléon, croyant bon d’indiquer publiquement son hostilité à l’égard des Bourbons :
« Les engagements que la violence nous avait arrachés, sont détruits par la fuite des Bourbons, par l’appel qu’ils ont fait aux armées étrangères, par le vœu de la nation qui, en reprenant le libre exercice de ses droits, a solennellement désavoué tout ce qui avait été fait sans sa participation » (proclamation du 1er juin 1815).
5L’empereur l’avait nommé major général d’armée, en remplacement de Berthier, et pair de France. Bien qu’il ait tenté en 1815 de rentrer dans les grâces du roi, l’empereur ne paraît pas lui avoir tenu grief de ses revirements et il semble admettre, dans le Mémorial de Sainte-Hélène, la sincérité de Soult envers la cause royale. Dès 1815, le maréchal publia un Mémoire justificatif pour expliquer son attitude durant la Première Restauration et les Cent-Jours. On y lit :
« J’obéis comme citoyen, comme militaire à celui qui était alors à la tête du gouvernement. Mon cœur peut m’avoir trompé ; mais il me disait qu’un maréchal de France ne pouvait laisser son épée dans le fourreau lorsque l’armée entière prenait les armes pour la défense de la patrie. »
6La Seconde Restauration s’avéra néanmoins moins magnanime : inscrit sur la liste des proscriptions de juillet 1815, Soult s’exila dans le grand-duché de Berg, à Düsseldorf puis à Barmen, près de sa belle-famille : il avait épousé en 1797 Louise Berg, issue d’une famille de négociants. L’ordonnance du 26 mai 1819 lui permit de revenir en France, territoire que sa femme avait déjà rejoint en 1818 et où elle travaillait à sa grâce. Les finances du maréchal n’étaient alors plus aussi florissantes et il avait perdu les différentes prébendes liées à ses titres. Les guerres impériales avaient été lucratives, et tout spécialement la haute direction qu’il avait acquise en Espagne dont il rapporta une collection de tableaux de premier ordre. Selon Emmanuel de Waresquiel, ses revenus s’étaient affaissés de 250 000 francs avec la chute de l’Empire. Dès l’exil, il avait été contraint de vendre des biens mobiliers. En 1821, il lui fallut céder son domaine de Villeneuve-l’Étang, qu’il affermait. Il conserva son hôtel parisien de la rue de l’Université, mais se replia dans ses propriétés de Saint-Amans qu’il n’eut de cesse d’optimiser : achats de métairies, prêts locaux, construction d’une demeure de maître, le château de Soult-Berg. Il s’était présenté sans succès à la députation en 1820 : sans doute, son enracinement dans le Tarn était-il encore trop superficiel. L’hiver, il entretenait, en son hôtel parisien, une sociabilité libérale (où se retrouvaient Sébastiani, Laffitte, Kératry…), qu’il côtoyait dans quelques salons choisis.
7Dans le même temps, il était en contact avec les milieux de la cour. Dès 1820, Louis XVIII le gratifiait d’une indemnisation de 20 0000 francs pour les arriérés qui lui étaient dus et il retrouvait son bâton de maréchal : son traitement était ramené à 40 000 francs par an. En 1823, l’expédition d’Espagne lui permit de se rapprocher, au titre de son expérience, du comte d’Artois et de Villèle qui le recevait pour conseil. En 1825, il porta le sceptre au sacre de Charles X, aux côtés de Mortier, Moncey et Jourdan. Enfin, par ordonnance de Villèle du 5 novembre 1827, il retrouvait son titre de pair de France : il est le dernier maréchal d’Empire à avoir été réintégré dans la Chambre. Il s’y distingua dans les débats sur les questions militaires, par exemple dans la session de 1829 lors des discussions sur le code pénal militaire. Cette activité, jointe aux relations politiques tissées dans les milieux d’opposition, pouvait le destiner au portefeuille de la Guerre après 1830 et il l’obtint dès les premiers ministères de la monarchie de Juillet.
Action au ministère de la Guerre (1814-1815, 1830-1834 puis 1840-1845)
8La présence du maréchal Soult à la tête du ministère de la Guerre s’explique assez bien par ses compétences professionnelles, les seules qui ne lui étaient pas contestées par ses contemporains et que même Napoléon semblait placer au-dessus de sa valeur militaire : « Il est bien plus encore un excellent ordonnateur, un bon ministre de la Guerre », déclare-t-il dans le Mémorial de Sainte-Hélène. En revanche, ses nominations à la présidence du conseil des ministres (11 octobre 1832-18 juillet 1834 ; 12 mai 1839-1er mars 1840 ; 29 octobre 1840-19 septembre 1847) paraissent plus surprenantes. Elles s’expliquent toutefois si on mesure qu’elles ont coïncidé avec des périodes de crises ministérielles et parfois même à l’heure de fortes tensions sociales. En 1832, il convenait, dans des circonstances difficiles, de trouver un successeur à la disparition subite de Casimir Perier. En 1839, Soult apparut comme la solution pour résoudre la plus grande crise ministérielle du régime, née de la coalition contre Molé qui a laissé le pouvoir vacant durant plusieurs mois ; pressenti dès mars, il avait dû démissionner devant l’impossibilité de former un ministère qui puisse équilibrer les forces en présence : le soulèvement de la Société des Saisons le 12 mai 1839 lui permit de former un ministère. En 1840, il succéda à Thiers, dont le gouvernement avait créé une crise politique grave à propos de la question d’Orient.
9Soult apparaissait donc comme un recours. Pourtant, les jugements critiques sur ses capacités politiques sont nombreux, pour ne pas dire unanimes. Un « esprit inculte et rude », écrit Paul Thureau-Dangin qui, en synthétisant ainsi ces appréciations, n’est pas le plus cruel. On sait bien que son long ministère de 1840-1847 (où il eut en charge le portefeuille de la Guerre jusqu’en 1845) fut dirigé de fait par François Guizot. Soult, un président du Conseil fantoche ? C’est ce que suggère Charles de Rémusat dans ses Mémoires, considérant dès 1833 que la direction de Soult était une idée « assez saugrenue », mais « la seule praticable ». Le maréchal cumulait en fait plusieurs avantages qui permettaient de neutraliser les dissensions politiques de l’élite de Juillet et les ambitions personnelles, avantages qui indiquent d’ailleurs en creux les difficultés structurelles du régime. Il incarnait d’abord le prestige militaire qui permettait d’en imposer à l’armée, mais surtout de donner des gages à l’opposition. En effet, Soult était en mesure d’incarner une fierté nationale particulièrement bienvenue en 1840, après la crise provoquée par la gestion de la question d’Orient, et le retour des cendres de l’empereur initié par le ministère Thiers, mais dont l’apothéose se déroula sous le ministère Soult. Globalement, le nom du maréchal couvrait en quelque sorte la timidité en politique extérieure, souvent reprochée à la monarchie de Juillet par l’opposition. Il était par ailleurs apprécié de Louis-Philippe qui voyait en lui un chef de cabinet relativement docile, offrant, schématiquement, les avantages de Molé – attachement au roi – sans en avoir les inconvénients – cristalliser contre lui des forces contraires. Ce qui explique que lui fut confié en sus dans son ministère du 12 mai 1839-1er mars 1840, les Affaires étrangères qui laissait l’initiative au roi dont le maréchal fut toujours un serviteur bien trop fidèle aux yeux du personnel politique dirigeant, ce qu’atteste sa correspondance avec Louis-Philippe. Sauf ce défaut, il offrait pour tous l’avantage de « ne jamais ambitionner la popularité », selon les mots du roi. Le principal avantage du recours à Soult tenait en réalité à sa distance à l’égard des manœuvres politiques qui pouvait favoriser la stabilité gouvernementale. Il n’empêche qu’il incommodait les ministres par ses manières brutales et par ses maladresses à la Chambre où il s’avérait piètre manœuvrier, tant sur la question des réformes militaires que sur la question algérienne. En 1834, Guizot et Thiers s’étaient alliés pour obtenir sa démission, en provoquant un motif de dissentiment : ils imposèrent, très provisoirement, un gouverneur civil en Algérie, ce qui avait suffi à éloigner Soult du gouvernement. Guizot devait ensuite confesser que cette manœuvre n’avait pas été heureuse et il gouverna plus paisiblement avec le maréchal après 1840. Il écrit de lui dans ses Mémoires (t. II, p. 359) :
« Il n’avait, en politique, point d’idées arrêtées, ni de partis pris, ni d’alliés permanents. Je dirai plus : à raison de sa profession, de son rang, de sa gloire militaire, il se tenait pour dispensé d’en avoir ; il faisait de la politique comme il avait fait la guerre, au service de l’État et chef de l’État, selon leurs intérêts et leurs desseins du moment, sans se croire obligé à rien de plus qu’à réussir, pour leur compte en même temps que pour le sien propre, et toujours prêt à changer au besoin, sans le moindre embarras, d’attitudes ou d’alliés. »
10Royer-Collard résumait plus abruptement le rôle gouvernemental de Soult : c’était un bouche-trou, « mais le plus glorieux des bouche-trous ». En somme, le maréchal était un grand serviteur de l’État, quel qu’en fût le souverain, mais il incarna bien le régime de Juillet et il figura à ce titre comme une des cibles de la « campagne de l’irrespect » avant 1835, notamment dans les pages de La caricature de Philipon. Son éclipse entre 1834 et 1839 fut relative car il resta dans le cercle du pouvoir, tout spécialement auprès du roi. Il a refusé de revenir au gouvernement (en 1835 et 1836) et de constituer un ministère (1837), mais en 1838, il représenta le roi au couronnement de la reine Victoria et rencontra même en Angleterre un accueil chaleureux. En tant que président du Conseil et ministre de la Guerre, il se heurta à des épreuves réelles et il fut un défenseur de l’ordre social. Succédant à Casimir Perier, il fit intégralement sien le programme de la Résistance en déclarant lors de sa prise de fonction : « Le système adopté par mon illustre prédécesseur sera le mien. » Il dut faire face aux deux soulèvements des canuts lyonnais et, en 1831, fut, aux côtés du duc d’Orléans, à la tête des troupes chargées de réprimer la première révolte lyonnaise. Puis il se confronta aux événements de Belgique (1831), aux journées de juin 1832, à l’équipée de la duchesse de Berry, à la crise d’Orient… Toujours il passa dans ces circonstances pour un ministre dans les vues du gouvernement de Juillet : paix à l’extérieur, ordre à l’intérieur.
11Ce sont bien d’abord ses compétences comme ministre de la Guerre qui permirent à Soult sa carrière politique. Appelé à ce ministère en décembre 1814, sur la recommandation du comte de Bruges et du comte de Blacas, il fut chargé de la tâche difficile de l’entretien des armées dans le contexte de la démobilisation et de la baisse drastique des finances (le budget de l’armée de terre était amputé de plus de moitié). Il interdit le séjour à Paris des officiers démobilisés. La résistance du général Exelmans à cette mesure, qui par ailleurs avait vu saisie sa correspondance avec Murat, conduisit le ministre à faire passer le général devant un conseil de guerre. Rapidement interprétée comme un acte de persécution, cette décision ne devait pas jouer en faveur de la réputation de Soult. Il appliqua la politique de réintégration des émigrés dans les cadres de l’armée. En réalité, le ministre avait peu de latitude et devait poursuivre la politique de son prédécesseur, le général Dupont, qu’il avait sans doute remplacé parce que son nom était susceptible de faire passer des mesures difficiles, à commencer par l’ordonnance du 16 décembre 1814 qui créait les fameux officiers « demi-soldes ». Sa politique, évidemment peu populaire dans les troupes, lui valut a posteriori l’accusation paradoxale d’avoir ainsi favorisé les ralliements à Bonaparte lors du « vol de l’Aigle » : ces attaques l’amenèrent à rendre, dès le 11 mars 1815, son portefeuille.
12Soult fut un ministre entreprenant sous la monarchie de Juillet et Rémusat note d’ailleurs dans ses Mémoires que les dépenses que réclamaient ses différentes initiatives dans les matières militaires indisposaient quelque peu les chambres. Comme sous la Restauration, son accession à la tête des affaires militaires en 1830 se justifiait par la nécessité d’en imposer aux troupes dans une période troublée : sa première circulaire (18 novembre 1830) indiquait clairement que la révolution était finie et que les ondes de choc politiques ne devaient plus désormais créer de désordres dans l’armée. En juin 1832, il fit approuver par le roi le rapport qui réclamait le licenciement des élèves de l’École polytechnique après les événements révolutionnaires. Par la suite, Soult intervint souvent à la Chambre, pour défendre ses projets de loi : réorganisation de la cavalerie (ordonnance du 19 février 1831), création de la légion étrangère (ordonnance du 10 mars 1831), interdiction aux membres du corps militaire d’adhérer à des associations politiques (mai 1831), réorganisation de l’École d’application d’artillerie et du génie (juin 1831), loi sur les pensions militaires (15 février 1832), loi sur l’avancement (14 avril 1832)… Le 4 août 1839, Soult fit promulguer la loi réorganisant l’état-major. Il se distingua en janvier 1841 dans les discussions sur le projet des fortifications de Paris : contre le gouvernement, il critiquait l’utilité des fameux forts détachés, mais finit par rentrer dans le rang sur la demande pressante de Louis-Philippe.
13La plus connue des initiatives législatives de Soult fut la loi sur le recrutement du 21 mars 1832, dite « loi Soult », qui régit la conscription jusqu’à la Troisième République. Dès décembre 1830, il annonçait que les lois de 1818 et de 1824 sur le recrutement seraient révisées : en attendant, il convenait de rappeler 80 000 hommes sous les drapeaux afin de « mettre l’armée française en harmonie avec les besoins du moment », à savoir, officiellement, se prémunir des puissances étrangères qui voyaient avec inquiétude le nouveau régime de Juillet. Le premier projet de loi, rédigé par une commission présidée par Jourdan, fut déposé le 11 décembre 1830, mais la discussion fut interrompue en juillet 1831 par les élections. Elle reprit sur la base d’un nouveau texte, inspiré par Thiers. L’accord était général pour que les effectifs de l’armée soient portés à 50 0000 hommes, mais les impératifs financiers rendirent les débats assez âpres. Le tirage au sort était maintenu selon les principes de la loi de 1818, tout comme la possibilité du remplacement dont les modalités étaient précisément décrites. L’insoumission était pour la première fois distinguée de la désertion. Finalement, la loi Soult entérinait les principes de la Restauration : une armée de métier appuyée par un faible contingent de conscrits (20 000 conscrits annuellement) au service long (sept ans).
14Dans l’ordre militaire, l’orientation de la monarchie de Juillet était à la paix et le maréchal Soult n’eut pas à se distinguer, si l’on excepte l’expédition contre Anvers du maréchal Gérard en décembre 1832 (pour l’application du traité qui fonde l’indépendance de la Belgique), la question d’Orient en 1839 (mais Soult était alors ministre des Affaires étrangères et mena une politique d’apaisement, même si son passé a pu inquiéter les chancelleries) et, dans un registre particulier mais fondamental, l’administration de l’Algérie. Soult avait proposé ses services à Charles X au moment de la crise d’Alger et il devait, comme ministre de la Guerre, détenir la haute main sur la gestion des conquêtes, surtout après la disparition de Casimir Perier. Dès mars 1831, il promulgua une ordonnance qui créait un corps de zouaves et de chasseurs algériens. Dans ses discours à la Chambre, il fit surtout preuve d’indécision à l’égard de la stratégie à suivre, mais cette indécision reflète finalement les hésitations des débuts du gouvernement de Juillet lui-même. Il est certain qu’il tenait à une administration militaire des conquêtes et ce point provoqua même sa démission du cabinet en 1834. Durant son éloignement du ministère, il conserva une correspondance avec Melcion d’Arc, en charge de l’intendance du corps expéditionnaire. De retour aux affaires en 1840, il entretint des relations très conflictuelles avec le général Bugeaud, gouverneur de l’Algérie, qui agissait avec la plus grande indépendance et brutalement. Soult devait inviter le gouverneur à modérer ses exigences en matière de moyens. Bugeaud porta ces dissentiments sur la place publique, à la Chambre puis par brochure (L’Algérie des moyens de conserver et d’utiliser cette conquête, 1842), ce qui lui valut d’attendre un peu son bâton de maréchal (1843). C’est en partie l’administration de Bugeaud qui motiva l’ordonnance du 15 avril 1845, que Soult faisait préparer dès l’été 1844. Cette ordonnance plaçait le gouverneur « sous les ordres directs » du ministre de la Guerre et réorganisait « l’administration générale et les provinces en Algérie » en formalisant notamment l’existence d’une administration civile indépendante du gouverneur militaire.
Carrière postérieure, fortune et vie privée
15Le maréchal Soult se retira totalement de la vie politique en 1847, à l’âge de 72 ans. Si Thureau-Dangin évoque sa présence près du roi au moment des journées de février 1848, il passait désormais l’essentiel son temps en ses propriétés du Tarn et y résida continûment après 1848. Il devait décéder au château de Soult-Berg, le 26 novembre 1851, ayant reçu les derniers sacrements. Il mourut couvert d’honneurs : grand-croix de la Légion d’honneur (1805), chevalier de l’ordre de Saint-Louis, chevalier de la Toison d’Or (Espagne), grand-croix de l’ordre de Léopold (Belgique), du Christ (Portugal), de l’ordre royal du Sauveur (Grèce), des Saints-Maurice-et-Lazare (Sardaigne), de l’Étoile polaire (Suède), etc. En dernier lieu, il obtint pour services rendus, le 26 septembre 1847, le titre de maréchal général de France : titre honorifique prestigieux si on considère que seuls en avaient bénéficié avant lui Turenne, Villars et le maréchal de Saxe.
16Il prit continûment soin d’arrondir ses propriétés à Saint-Amans où il laissa à sa mort un domaine de près de 516 hectares, pour une valeur immobilière évaluée à 740 000 francs. Dès la Restauration, il avait investi dans les mines (Houillère de Rochebelle et de Trénys), les forges (compagnie des fonderies et forges d’Alais, Gard), la papeterie (à Mazamet), dans le canal d’Aigues-Mortes… Durant la monarchie de Juillet, où sa seule charge de ministre de la Guerre lui valait un traitement annuel de 10 0000 francs, Nicole Gotteri estime que la totalité de ses investissements, en terres et en actions, se monte environ à deux millions. Sa collection de tableaux, constituée de ses saisies en Espagne, comportait à sa mort 157 pièces, malgré plusieurs ventes partielles depuis 1815. Le Catalogue raisonné de la vente de cette collection en 1852 souligne qu’il s’agit de la plus grande collection de peintures espagnoles, hors de l’Espagne : on y compte notamment quinze Murillo, 18 Zurbarán, etc. Sa bibliothèque, remplie d’ouvrages précieux, était celle d’un véritable bibliophile.
17Ses deux frères étaient décédés, mais avaient profité de sa fortune. Jean-François (mort en 1823), chevalier de la Légion d’honneur (1814), avait été préfet de la Lys de 1811 à 1814. Pierre-Benoît (mort en 1843) avait suivi son frère aîné dans ses campagnes. Baron d’Empire, grand-officier de la Légion d’honneur (1815), député durant les Cent-Jours, il avait repris du service sous la monarchie de Juillet où il fut commandant de la 10e région militaire.
18Le maréchal laissa une fille, mariée en 1822 avec le comte de Mornay de noblesse ancienne, et un fils, Napoléon-Hector, qui épousa en 1825 une fille de la nièce de Joseph Bonaparte, Moïna de Salligny de San Germano, puis, en secondes noces, la fille du général Desprez. Polytechnicien, capitaine, titulaire de la Croix d’honneur, grand-officier de la Légion d’honneur (1843), il s’était lancé dans la diplomatie après 1830 et occupa le poste d’ambassadeur à Berlin au moment de la révolution de 1848. Il fut député du Tarn sous la monarchie de Juillet, puis de l’Hérault sous la Deuxième République, siégeant dans les rangs du parti de l’ordre. Le titre du duc de Dalmatie s’éteignit avec lui en 1857.
Bibliographie
Sources et bibliographie
Sources manuscrites
L’ouvrage de Nicole Gotteri recense une liste abondante de sources manuscrites. On se borne ici à mentionner le fonds familial, et des éléments qui ne figurent pas dans cet ouvrage.
Service historique de la Défense
Archives collectives et individuelles (série Y)
SHD/GR, 6 Yd 8 : dossier Soult.
Fonds privés (série K)
SHD/GR, 1 K 543/1-6 : registres de correspondance de Soult (1794-1814) ; 1 K 543/7-13 : correspondances reçues, archives de commandement (rapports, plans…) du duc de Dalmatie en Espagne, de 1811 à 1813 ; 1 K 543/14 : mémoire topographique des Pyrénées (1815) annoté du commandant en chef Soult, rapports, lettres de Soult (1813-1814).
Archives nationales
Archives personnelles et familiales (série AP)
402 AP 1-82 : archives Mornay-Soult.
Bibliothèque nationale de France
Lettres dispersées dans divers fonds.
Sources imprimées
Bibliothèque du Maréchal Soult, duc de Dalmatie… Vente aux enchères le lundi 20 février 1978, Drouot Rive Gauche, Paris, M. Lecomte, C. Galantaris, 1978, 77 p.
Catalogue raisonné des tableaux de la galerie de feu M. le Maréchal-Général Soult, duc de Dalmatie, dont la vente aura lieu à Paris les 19, 21 et 22 mai 1852, Paris, Guiraudet et Jouaust, 1852, 51 p.
Conversation du maréchal Soult avec le comte d’Artois en 1820, Paris, chez tous les marchands de nouveautés, 1831, 4 p.
Mémoires du maréchal-général Soult, duc de Dalmatie, publiés par son fils. Histoire des guerres de la Révolution, Paris, Amyot, 1854, 3 vol. (rééd. Nicole Gotteri, Paris, La Vouivre, 2004, 2 vol.).
Mémoire justificatif de M. le maréchal Soult, duc de Dalmatie, Paris, Chaumerot, 1815, 32 p.
Saint-Pierre Louis et Antoinette de (éd.), Mémoires du maréchal-général Soult : Espagne et Portugal, Paris, Hachette, 1955, 368 p. (rééd. Les Belles Lettres, 2013).
Saint-Pierre Louis et Antoinette de (éd.), Maréchal Soult. Correspondance politique et familière avec Louis-Philippe et la famille royale, Paris, Plon, 1959, 310 p.
Bibliographie
Garnier Jacques, « Soult », dans Jean Tulard (dir.), Dictionnaire Napoléon, Paris, Fayard, 1989, p. 1584-1586.
Gotteri Nicole, Le maréchal Soult, Paris, Bernard Giovanangeli Éditeur, 2000, 805 p.
Hulot Frédéric, Le maréchal Soult, Paris, Pygmalion, 2003, 253 p.
Sallé Alexandre, Vie politique du maréchal Soult, Paris, Champion, 1834, 276 p.
Notes de bas de page
1 On pourra se reporter à la proclamation publiée dans le Journal des débats du 22 juillet 1814 pour mesurer l’intégralité son ralliement.
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