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Société, sociabilité, justice

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Michel Heichette

Chapitre III. Le jeu social : les mises en scène du quotidien

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Géographique :

France

Texte intégral

1Dans cette recherche des mises en scène du quotidien trois champs d’observation ont été privilégiés. Le premier concerne les moments de détente qui restent des temps essentiels de la vie sociale. Le deuxième interroge les formes professionnelles de la vie communautaire et la nature des rapports qui en sont issus. Le dernier s’intéresse à des manifestations plus effervescentes du jeu social qui révèlent les attitudes face aux transgressions des normes établies.

Vie de relation et moments de détente

2Nos sources n’autorisent qu’une entrée discrète dans ces formes de la sociabilité ordinaire. De leur lecture émerge pourtant avec force l’idée que, malgré les difficultés du temps et des conditions de vie ou encore la rugosité de certains rapports sociaux, il n’existe pas qu’une vision pessimiste de l’existence ; comme en réponses à des jours trop souvent chargés de peine, au travers de multiples et souvent infimes allusions à des moments simples de plaisirs ou de mots partagés, se manifestent une aspiration au bien-être et une force de vivre. Ces délassements ont d’importantes fonctions au sein de la communauté. Par exemple, ils sont des temps forts de l’intégration sociale. Les temps de repos propres à ces formes de sociabilité sont structurés, au cours de l’année, par les exigences du calendrier liturgique. Dimanches et fêtes religieuses sont des moments essentiels de rupture avec les jours de labeur. Au quotidien, les exigences du travail peuvent s’imbriquer avec des temps de détente ordinaire dont la nature et le lieu peuvent varier en fonction des activités mais aussi des saisons. Il reste à estimer ce qui, dans ces formes de sociabilité, appartient à la sphère du privé ou de l’intime et ce qui relève de celle du public ou du collectif.

Autour des cabarets

3Le cabaret, symbole pour certains de plaisirs trop faciles, apparaît comme un lien essentiel d’une sociabilité multiforme, souvent récréative ou festive, où s’exprime dans des rapports théâtralisés l’exigence des rites de contact. La lecture des archives permet de souligner, en la matière, l’existence d’une double représentation. La première est d’abord celle d’un espace vécu et perçu positivement, comme un point nodal essentiel de la sociabilité villageoise. C’est alors le lieu des menus plaisirs de l’existence où peuvent s’oublier, pour un temps, les maux de la vie quotidienne, un espace de rencontre où l’on cherche une chaleur qui ne soit pas seulement celle de l’âtre et où se déclarent, par rites interposés, les affinités ou les alliances. C’est aussi l’endroit possible de tous les échanges et de toutes les transactions, interface entre la communauté villageoise et le monde extérieur. À la fois privé et public, le cabaret tient de la maison commune. Il est aussi un théâtre pour une société qui se plaît à se mettre en scène. S’y jouent en permanence des représentations où chacun peut être alternativement acteur ou spectateur et exprimer ce qu’il veut être sous le regard d’autrui. De la rumeur qui passe à l’image que l’on donne de soi, il est un espace où se fabrique du lien communautaire. Ce premier regard est globalement chargé de représentations positives. Le mal n’est pas d’aller au cabaret mais de mal en user. De là naît un second sentiment, une autre représentation, celle du lieu de tous les dangers : endroit de perdition qui, pour certaines élites, serait propre à saper les fondements de la société, à ruiner la moralité et le devenir des familles. L’objet est ici d’appréhender cet espace comme lieu essentiel de la sociabilité ordinaire, des relations interpersonnelles et du jeu social.

  • 1 123 occurrences.
  • 2 Entre Château-Gontier et Sablé.
  • 3 Retrouvée dans B5303, mars 1773, affaire Chedan, Sablé. Pour une population d’environ 2 000 habita (...)
  • 4 B5277, 7-05-1738, affaire Gandon-Taboy, Sablé.
  • 5 B5303, mars 1773, ordonnance de police, affaire Chedan.

4Haut lieu de la vie villageoise, le cabaret est présent dans tous les villages de la mouvance sabolienne. Les occurrences relevées1 l’attestent, mentionnant son existence dans les bourgs, particulièrement ceux qui ourlent les voies principales vers Tours, Laval, Le Mans ou Angers, mais aussi dans ceux qui sont à l’écart, parfois même dans certains hameaux comme celui des Agets, paroisse de Saint-Brice2. Dans une région en marge des grands flux de circulation, le cabaret a moins à voir avec les étrangers de passage qu’avec les gens du lieu. Sur la place sabolienne, une ordonnance de police datée du 22 février 1773 et signée du Bailli, juge général et de police, s’inquiète de ce que l’on dénombre pas moins de dix-huit auberges ou cabarets3. Encore faut-il ajouter à ces établissements quelques dépôts spécialisés dans la vente de vin aux particuliers et où l’on s’attarde volontiers pour boire une chopine. Les maisons les plus riches, celles qui peuvent assurer le gîte et le couvert, ont enseigne sur rue : parmi d’autres, à Sablé sont les auberges de la Croix Verte, des Trois Marches, de L’Écu, de la Boule d’or ou de Notre-Dame. Cette dernière, « marquée de l’image de Notre-Dame », sise en la paroisse du même nom, nous est décrite comme richement meublée de vingt-deux lits de maître garnis, disposant de plusieurs douzaines de draps, serviettes et autres linges, d’une batterie de cuisine en proportion, vaisselle d’étain pour plus de cent pistoles, tapisseries, armoires, garnitures de cheminées, mais aussi de mille litres d’eau-de-vie, provision complète de vin, foin, paille et avoine et « généralement tout ce qui est convenable pour l’aménagement d’une auberge », y compris la chaudière à faire l’eau-de-vie4. Sans doute les multiples cabarets qui s’ouvrent « sans autorisation et contre les règlements5 » n’ont-ils pas cette aisance. Si beaucoup peuvent offrir à leurs clients plusieurs salles avec parfois à proximité jardin et terrain de jeux, certains n’ont à proposer qu’une « chambre » unique qui peut être aussi le lieu de vie de l’hôte et de sa famille. Dans tous les cas, les pièces n’offrent souvent que peu d’espace. La proximité de l’âtre n’est qu’un maigre refuge. Les tables longues avec bancelles sont à partager entre plusieurs compagnies qui peuvent certains soirs avoir des cohabitations difficiles. L’exiguïté, souvent amplifiée par la pénombre et, le soir, par l’auréole des chandelles et les lueurs de l’âtre, détermine les façons de vivre collectivement l’espace. Sans doute favorise-t-elle pour le meilleur et parfois pour le pire rencontres et contacts avec ceux que l’on attend comme avec ceux que l’on redoute. La parole ne peut avoir d’intimité, les rumeurs s’y nourrissent et la voix monte vite, favorisant, avec l’alcool, l’exaspération des susceptibilités. Chacun peut interpeller l’autre à voix haute et la tonalité est un signe qui annonce la concorde, l’hostilité ou la volonté d’apaisement. Car le cabaret est un lieu où l’on s’expose au regard d’autrui. Si l’espace fermé favorise les audaces agressives, le cabaret n’est pas pour autant qu’un champ clos de rivalités. S’y manifestent aussi le plaisir d’être ensemble, le penchant pour les bons mots ou les plaisanteries ou encore le goût des complicités, parfois de la fête, ou plus simplement de la discussion amicale.

  • 6 B5317, 13-02-1787, demande en séparation de biens d’entre Anne Duchesne et Pierre Auger, Sablé.

5Fréquenter le cabaret paraît une pratique courante. Dans une affaire en séparation de biens, Marie Rouault, 27 ans, femme de Pierre Quantin, cabaretier à Précigné peut dire à propos du sieur Auger, marchand corroyeur, accusé d’ivrognerie, qu’elle a vu le dit sieur plusieurs fois boire chez elle, « mais pas plus qu’il n’arrive aux hommes ordinaires6 ». La source n’est pas sans défaut pour qui veut effectuer une approche sociologique de la fréquentation du cabaret. Les gens y sont souvent « en compagnie » ou « avec plusieurs autres particuliers », sans qu’il soit possible de reconnaître la composition exacte de ces assemblées. Malgré tout, la lecture attentive des plaintes et des témoignages permet un certain nombre de reconstitutions qui soulignent l’existence de trois discriminants majeurs, celui du sexe, de l’âge et de l’appartenance socioprofessionnelle.

  • 7 Avec la prudence habituelle concernant les données statistiques ; présences répertoriées : 260 hom (...)
  • 8 E. Le Roy Ladurie, Montaillou, Village occitan de 1294 à 1324, Paris, Gallimard-NRF, 1975, p. 399.
  • 9 B5270, 29-06-1730, affaire Besnard-Maupoint, et B5294, 24-07-1759, affaire Blanche-Beaumier, Sablé.

6Le plus évident est celui du sexe. L’univers du cabaret est un domaine masculin, comme la consommation de vin et l’ivresse sont une activité et un état d’homme7. Même en considérant une représentation féminine sous-évaluée, les chiffres infirment les propos d’E. Le Roy Ladurie, quand il écrit que « l’image d’Épinal selon laquelle la taverne, à l’instar du bistrot des années 1900-1950, est un lieu privilégié de la sociabilité masculine ne paraît pas entièrement pertinente pour la Haute Ariège du xive siècle, ni non plus pour l’Ancien Régime français dans son ensemble8 ». Sans doute les femmes ne sont-elles pas complètement absentes. Quelques-unes accompagnent leur mari, particulièrement les jours de foire. D’autres peuvent y entrer seules pour se rafraîchir, se chauffer, se reposer… ou laisser un « bissac » en garde. Plus souvent, quand nous les voyons pousser la porte de la taverne, c’est pour quérir un époux qui tarde trop à rentrer. En aucun cas le cabaret n’apparaît comme un lieu de la sociabilité féminine. Les femmes les plus hardies, celles qui osent avoir des comportements d’homme, sont l’exception et considérées comme déviantes. En revanche, d’autres silhouettes féminines sont bien présentes, femmes ou veuves de cabaretiers, toujours occupées « aux affaires de leur auberge », tenant boutique, servant à boire ou préparant un plat. La tenue de l’auberge est effectivement souvent l’affaire de ces « hôtesses », particulièrement quand le mari est occupé à d’autres tâches ou à d’autres fonctions. De même les veuves sont bien représentées dans cet échantillon de femmes tenancières qui ont commerce sur rue. L’activité paraît reconnue comme pouvant être du registre des femmes. Marie-Thérèse Besnard tient avec sa fille l’auberge où pend l’image de Saint-Nicolas, à Sablé. La veuve Brichet, 40 ans, tient pension aidée elle aussi par sa fille âgée de 16 ans9. D’autres ont recours à des services domestiques. L’emploi d’une servante pour les travaux de la maison, mais aussi pour le service du cabaret, semble l’usage quand l’activité est suffisamment importante. La fonction d’hôtesse n’est pas sans risque. Pour autant, ces présences féminines dans un univers d’hommes sont reconnues : dans nos sources s’exprime le respect que l’on doit à ces femmes et l’évidence qu’il est bien « honteux » de les maltraiter.

  • 10 Sur les 238 personnes dont le statut social a pu être identifié, 81 appartiennent à ce monde de l’ (...)
  • 11 B5283, 3-05-1744, affaire Lesage-Gaudin, Malicorne.
  • 12 78 mentions sur les 238 personnes répertoriées.
  • 13 42 mentions pour 232 personnes répertoriées et identifiées.
  • 14 B5291, 4-08-1754, affaire Legaigneux-Cousin, Vire.

7La répartition socioprofessionnelle paraît, quant à elle, relativement équilibrée et dans l’ensemble, assez représentative de la population ordinaire. Loin d’être un repaire d’étrangers, de marginaux et de vagabonds en tous genres, la taverne est fondamentalement l’espace privilégié du monde du travail : du paysan à l’homme de métier ou au marchand, du maître au valet ou au compagnon. Le monde de l’artisanat, le plus nombreux dans les bourgs et villages, arrive en tête de la fréquentation, avec une représentation diversifiée des corps de métiers10. La présence d’ateliers dans les bourgs, d’activités qui supposent des déplacements ou des transactions mais aussi des formes particulières d’entraide sont autant de raisons qui peuvent conduire les gens de métiers à pousser la porte du cabaret. Le meunier peut venir avec son domestique, solidaires dans le jeu ou dans les conflits, le maître avec ses compagnons, notamment lorsqu’un chantier suppose que l’on se déplace. François Chevreuil, couvreur en bâtiment, demeurant paroisse de Mézeray, entre, sur les 5 heures du soir, à l’auberge du nommé Laforest à Malicorne pour y « boire bouteille » avec son fils, 25 ans, aussi couvreur et son compagnon, après avoir travaillé de leur métier11. On est le plus fréquemment à boire entre « compagnons » ou « garçons », parfois mais pas toujours, d’un même métier : les solidarités de l’âge peuvent l’emporter alors sur celles de la fonction. Le monde de la marchandise n’est pas moins assidu dans la fréquentation des auberges12, avec une importance sensiblement supérieure à la part qu’il représente dans la société. Sans doute ces personnes ont-elles, pour se justifier d’aller au cabaret, l’excuse des activités et des déplacements liés à leur profession. Nous voyons se côtoyer là toutes sortes de marchands : colporteurs venus d’ailleurs mais surtout marchands du lieu, tant ceux qui sont établis et dont les affaires prospèrent que ceux qui revendiquent le titre de la fonction mais qui ont encore une réputation et une clientèle à se faire. L’auberge est pour tous un lieu de ralliement. Les « gens de campagne » ou « compagnies de paysans » sont un troisième groupe important13. Quoique l’éloignement du bourg, l’organisation plus complexe des journées de travail puissent expliquer une fréquentation de leur part peut-être plus épisodique, ces gens sont loin d’être étrangers au monde du cabaret, au bourg de leur paroisse ou à la ville voisine, lorsque leurs affaires les y amènent. Anne Pageot, hôtesse, peut témoigner qu’un samedi soir, sur les 9 heures, il y avait bien dans son auberge, « des gens du bourg et de la paroisse » ; Joseph Oger, sabotier, 22 ans, confirme qu’il vit bien, ce même soir, « plusieurs gens de la campagne14 ». Domestiques des métairies, en groupes ou avec leurs maîtres, journaliers, mais aussi closiers ou métayers, sont souvent à la même table ; les différences de statuts ou de revenus n’empêchent pas que l’on puisse boire ensemble.

  • 15 B5294, 4-07-1759, affaire Poullet-de Beauchamp, Louailles.
  • 16 B5294, 14-07-1759, affaire Blanche-Beaumier, Sablé.
  • 17 B5309, 30-03-1780, affaire Chrétien, Sablé.

8Ainsi est-ce bien le monde des bourgs et des paroisses qui peuple nos auberges. Encore faut-il mentionner la présence de quelques officiers de rang subalterne ou d’employés divers, huissiers, sergents, agents seigneuriaux, gardes-chasse, commis des gabelles ou encore soldats de la milice qui viennent confirmer le caractère populaire de nos assemblées de tavernes. Quand s’élève la notabilité, la fréquentation du cabaret s’amenuise. Tel notaire peut être invité à y rédiger un acte, tel autre demande le gîte et le couvert pour les déplacements que nécessite son état. Un 25 octobre 1755, Pierre Poullet des Fourneaux, licencié ès loi et notaire à Précigné, est à dîner à l’auberge de Louailles avec plusieurs artisans venus avec lui pour faire la visite et l’estimation des lieux de la Jaubardière et du Coudray15. Telle « compagnie de gens sensés » ne dédaigne pas de s’y assembler pour « boire bouteille » ou chercher du plaisir. Le 24 juillet 1759, Pierre Blanche et son père, tous deux chirurgiens, sont à boire et à « se divertir » dans le cabaret de la veuve Brichet avec les sieurs Beaumier et Derville, respectivement receveur et contrôleur des aides dans le « département » de Sablé16. Les fils de bonne famille ne refusent pas toujours de s’encanailler en franchissant, à des heures de la nuit jugées indues, la porte du cabaret. Un 20 mars 1780, sur le coup d’une heure après minuit, un nommé Houdouin, bourgeois, fils de notaire, et son compagnon de nuit, Messire Sébastien Bernard de la Barre, chevalier, fils du seigneur de Gautret17, 25 ans, sont invités à entrer dans une auberge où ils entendent beaucoup de bruit. Pour autant, la considération recherchée incite les gens bien nés à ne pas fréquenter le cabaret. Ainsi hommes de loi, avocats, juges ou procureurs sont-ils en général absents de ces lieux que certains présentent comme des endroits de perdition. La notabilité a ses exigences.

9La discrimination par âge est, quant à elle, moins aisée à percevoir. La source ne livre pas toujours l’âge des protagonistes, en revanche la référence à la jeunesse n’est pas exceptionnelle. Ainsi peut-on évoquer des « compagnies de jeunes gens », « garçons » ou « fils de… ». Mais on comprend les incertitudes qui se dissimulent derrières ces termes et la prudence dont il convient d’user. Malgré ces réserves, quelques remarques peuvent être faites.

10La première est qu’il n’existe pas de discrimination importante liée à l’âge ; sans doute, la population des cabarets est, à certains moments, une population d’hommes jeunes, mais la fréquentation de ces lieux n’est pas l’apanage de la seule jeunesse comme elle n’est pas celui des célibataires. Sans doute le mariage et l’activité professionnelle limitent-ils les moments de présence au cabaret. Ils ne les suppriment pas. Il est enfin à noter, avec les prudences nécessaires, que l’espace semble peu ouvert aux moins de 20 ans et qu’il est bien peu d’enfants à franchir la porte des tavernes, hormis quand il s’agit de quérir un père qu’il convient de ramener au foyer.

  • 18 Sur un corpus de 52 cas renseignés : le matin (jusqu’à 12h) : 3 cas ; l’après-midi (jusqu’à 17h) : (...)
  • 19 B5291, 8-07-1754, affaire Piot-Couet, Bouessay.

11Le cabaret est un lieu de détente notamment les dimanches et jours de fêtes. Mais on peut aussi le fréquenter d’autres jours de la semaine, particulièrement après les temps de travail, mais également à d’autres moments de la journée18. En fait, il n’existe pas toujours de séparation stricte entre les temps de travail et les moments de détente que l’on s’accorde. Ainsi, le cabaret paraît un passage obligé pour qui vient, quelle que soit la raison, à la ville ou au bourg voisin. Foires et marchés offrent aussi de nombreux prétextes pour entrer au cabaret. Les distances à parcourir sont alors des excuses pour prendre une collation, se rafraîchir ou bien, comme l’annonce cet apothicaire « pour se fortifier19 ». Que l’on y vienne pour satisfaire un besoin, prendre du repos ou encore rencontrer ses amis ou compagnons, il émerge de la fréquentation de la taverne la recherche d’une satisfaction souvent non dissimulée.

  • 20 Successivement : B5291, 29-04-1754, affaire Jouy-Tonnelier, Solesmes. B5279, 11-05-1740, affaire C (...)
  • 21 B5279, 11-05-1740, affaire Gandon-Taboy, Sablé.
  • 22 B5283, 14-06-1744, affaire Rieux-Dodier, Précigné.
  • 23 B5291, 4-08-1754, affaire Legaigneux-Cousin.
  • 24 B5295, 31-08-1761, affaire Treboulay-Blossier, Daumeray.
  • 25 B5315, 9-09-1785, affaire Landeau-Martin, Vion.
  • 26 B5295, 21-06-1755, affaire Legaigneux-Jouy, Sablé.
  • 27 B5295, 29-10-1755, affaire Poullet-Richard, Louailles.
  • 28 B5312, 16-12-1785, affaire Mocquereau, Solesmes.
  • 29 B5291, 8-07-1754, affaire Piot-Couet, Bouessay.
  • 30 B5288, 24-02-1750, affaire Bouleau-Cormier, Saint-Brice.

12Entrer au cabaret est de l’ordre des menus plaisirs que l’on peut s’offrir. Le premier d’entre eux est de venir « y boire chopine ». La boisson que l’on sert le plus couramment est le vin. Plus rarement, nous trouvons aussi du cidre ou d’eau-de-vie avec ou sans « prune ». Mais le partage de la parole et de la convivialité paraît tout aussi important que celui de la boisson. On peut entrer seul au cabaret, on le reste rarement. Un soir d’avril 1754, un nommé Tonnelier, journalier, sur les 8 heures du soir, entre chez Lorgueuilleux, cabaretier à Solesmes, rejoint la table commune « pour boire en compagnie ». Le 7 du mois de septembre 1739, une nuit d’entre dimanche et lundi, Urbain Chaligné, vigneron à Saint-Denis-d’Anjou, rentrant de Sablé, s’arrête à mi-chemin, chez Gandon, cabaretier à Souvigné, « pour y boire » ; le vin commandé, il s’installe à la table de plusieurs compères, garçons maréchaux et soldats de la milice, pour une partie de cartes20. C’est souvent « par compagnie » que l’on s’attable autour d’une ou plusieurs chopines de vin. Le samedi 7 mai 1740, après midi, à l’auberge du nommé Tailleur, cabaretier à Sablé, René Gandon, marchand, est à boire avec un compère de Château-Gontier ; à la table voisine, Michel Toutain, tanneur, est « avec deux de ses amis » alors que Pierre Mandin, maître cordonnier, dit être à boire « avec ses marchands21 ». Un 13 juin 1744, sur les 9 heures du soir, Michel Rieux et un nommé Hulbroc, tous les deux garçons menuisiers âgés de 18 ans, sont à boire chez Gabriel Fouquier, hôte à Précigné, quand arrivent François Dodier, garçon menuisier lui aussi, et Jean Poullet, garçon serrurier, demandant une bouteille qu’ils font apporter à la table des dits Rieux et Hulbroc pour la partager avec eux22. La boisson vient sceller de façon rituelle les alliances ou les complicités. L’idée exprimée que l’on est là « avec ses amis » est récurrente. Jean Legaigneux, serviteur domestique à la métairie de la Chouannière, paroisse de Viré, déclare que le samedi 3 août, sur les 9 heures du soir, il était à boire « avec quatre de ses amis » à l’auberge du Lion d’or, en même temps que diverses personnes de la campagne23. Le cabaret est le lieu où s’exposent les amitiés. L’achèvement d’un travail fait en commun est encore l’occasion de venir au cabaret « en compagnie ». Un samedi 29 août 1761, sur les 4 heures du soir, Pierre Tréboulay, garçon tissier, les nommés Blossier, père et fils, eux aussi tisserands, après être allés avec plusieurs autres journaliers au bourg de Daumeray ramasser les blés des dîmes, seraient entrés chez le nommé Jacquelot, cabaretier pour y « boire bouteille » et « se réjouir ensemble24 ». Des pratiques ritualisées et toujours intégratrices peuvent rythmer certains aspects de la vie collective. Le jour de l’Assomption 1785, Pierre Landeau, métayer au Petit Launay, paroisse de Vire, a réuni chez le nommé Revel, hôte à Vion, Martin Brossier, 45 ans, René Chauvin, 30 ans, Pierre Rabeau, 56 ans, Joseph Breil, 25 ans, tous closiers et René Hersemeule, domestique, qui l’ont aidé à battre et à engranger ses blés, pour leur payer « ce qu’on appelle le boisseau démesuré, c’est-à-dire quelques bouteilles de vin25 ». Le vin se boit « entre amis » ou entre compagnons de labeur, entre pairs mais aussi entre maîtres, valets et employés. La satisfaction de ces amitiés ou de ces complicités n’est pas dissimulée. Il s’exprime un sentiment fort du contentement d’être en compagnie, dans un cercle de relations privilégiées. L’idée se retrouve dans le plaisir que l’on a de prendre un repas ou une collation ensemble : là, une compagnie de quatre hommes, marchands à Morannes, plaisante autour d’une omelette26 ; ailleurs une autre compagnie (sont ensemble un notaire et des gens de métier) se fait présenter une fricassée de poulet que l’hôtesse sort de la huche pour la faire réchauffer27. Le jour de la fête des Morts de l’année 1783, Pierre Mocquereau, 42 ans, boisselier, Jean Macrain l’aîné, 33 ans, tonnelier, mais aussi son frère Joseph, Louis Hubert et Guillaume Mocquereau, tous trois soldats au régiment du Limousin, sont à se divertir et à prendre un dîner commun chez le nommé Brottier, aubergiste à Solesmes28. Sans doute, les plaisirs de la table ne sont-ils pas absents. Sur les 4 à 5 heures du soir, un 8 juillet 1754, René Piot, apothicaire à Saint-Loup, de retour de Sablé où il était pour affaires, s’arrête en chemin pour boire une bouteille de vin et « déguster une salade29 ». René Bouleau, garçon, un dimanche sur les 4 heures après midi peut inciter d’autres compères à entrer à l’auberge du nommé Cravannier, car « on y sert de bons poissons30 ».

13Lieu de partage de la boisson et de la nourriture, le cabaret est aussi celui du verbe : il est un espace de paroles. Là peut naître la rumeur ; là encore se colportent les faits divers, les nouvelles que l’on se donne en échanges, amplifiées, déformées ou peut-être inventées. On y parle volontiers de soi, de la grandeur et des vertus de sa famille, de sa dignité qu’il convient, plus que toute autre richesse, de préserver. Surtout on y parle beaucoup des autres car c’est souvent là que l’on a « ouï-dire du bruit public » ; c’est ainsi que peuvent se faire ou se défaire les réputations. Des propos tenus, émergent encore des revendications d’honneur. C’est que le cabaret n’est pas un espace d’intimité ; il s’y joue un spectacle qui donne à voir ce que les uns veulent paraître et à entendre ce que l’on veut bien penser des autres ; il est un lieu où se défendent l’honnêteté et la probité, où l’amour-propre est toujours à fleur de peau, où s’exclame parfois la propension à être riche ou, plus souvent encore, à réclamer son bon droit ; il est un jeu permanent, codifié, qui appelle une archéologie des mots et des gestes qu’il nous faudra décrire. Du cabaret montent parfois des colères. Mais fondamentalement on aime y rire, plaisanter, railler jusqu’à l’indécence. On y badine volontiers, pour peu que la servante soit peu farouche. Les propos peuvent être parfois plus graveleux, les gestes et les intentions plus obscènes. Il est malicieux, entre hommes, l’alcool aidant, de se vanter d’avoir troussé les femmes, fussent-elles mariées, d’avoir vaincu les résistances les plus farouches et obtenu les faveurs les plus coupables.

  • 31 B5295, 16-02-1763, affaire Gauneray-Brocherie, Saint-Brice (un jour de Mardi gras) le 15-02-1763.
  • 32 B5294, 24-07-1759, affaire Blanche-Beaumier, Sablé.
  • 33 B5278, 14-09-1739, affaire Chaligné-Viot, Sablé.
  • 34 B5299, 15-06-1768, demande en séparation de biens, affaire Gautry, Sablé.
  • 35 B5295, 31-08-1761, affaire Trilaunay-Blossier, Daumeray.

14L’idée que l’on entre au cabaret pour se divertir ou trouver de la réjouissance est exprimée de façon explicite dans plusieurs procès. C’est le cas de François Gauneray, marchand à Saint-Brice qui se met à une table de l’auberge du sieur Hardouin, potier et cabaretier, avec le dit Hardouin, le nommé Brocherie, 45 ans, meunier, accompagné de son valet, les nommés Gouabault et Marais, 26 ans, soldats, et qui déclarent être venus là « pour se réjouir ». L’assemblée y passe l’après-midi à jouer et à boire31. Les divertissements sont d’abord ceux du jeu. Parmi les jeux d’intérieur, ceux de cartes paraissent les plus répandus ; ils ne sont d’ailleurs pas spécifiques des pratiques de cabaret et se retrouvent dans les veillées ou soirées entre amis. Quel que soit le jeu, parties de piquet ou autres, s’engagent des paris sur la victoire, avec des sommes ou des tournées de vin que l’on promet de payer en cas de défaite. Un 24 juillet 1759, sur les 3 heures de l’aprèsmidi, au cabaret de la veuve Brichet, paroisse Notre-Dame à Sablé, Pierre Blanche, chirurgien, qui est à jouer au piquet avec le sieur abbé Delet, se voit proposer plusieurs parties à 3 sols chacune par le sieur Beaumier, receveur des Aides à Sablé, puis il joue encore à 12 sols la partie avec le sieur Robin, aussi receveur32. Dans une autre compagnie de jeu qui rassemble un dimanche soir, tard dans la nuit, au cabaret du sieur Gandon, un affranchisseur, un vigneron, un garçon maréchal et un soldat de la milice, il est décidé que la mise servira à boire33. Les sommes sont parfois infimes ; elles le sont moins quand les jeux se répètent. Pierre Cormier, marchand gantier de 45 ans « a entendu dire plusieurs fois au nommé Gautry », marchand mercier, qu’il avait perdu au jeu « jusqu’à concurrence de six livres34 ». Dans ces parties se révèlent les rapports que l’on a à autrui ainsi que les représentations que l’on donne de soi. Chacun, au-delà du plaisir recherché, vient y jouer un rôle. Tel veut ramasser la mise sans payer son écot ; tel autre refuse la défaite et affirme fort haut qu’il ne saurait ouvrir sa bourse. Là, précautionneux, un quidam, avant que ne s’engage la partie, parce qu’il connaît la valeur de l’adversaire, s’efforce de réduire la mise. Le jeu n’est jamais sans passion. Voici, dans une partie de boules, à l’auberge du sieur Jacquelot35, paroisse de Daumeray, Louis Béron, marchand serger, 32 ans, André Hamelin, sabotier, 25 ans, René Bertin, menuisier, 26 ans, René Touchet, closier, 34 ans et Pierre Trilaunay, garçon tisserand ; un nommé Blossier, lui aussi garçon tisserand montre l’envie de jouer à son tour avec le dit Trilaunay, « qu’étant arrivée entre eux deux la question de savoir lequel était le plus proche du maître [la cible], ils gagèrent une bouteille de vin. Que Blossier ayant été déclaré perdant, Trilaunay lui dit de payer ; qu’au lieu de le faire, le dit Blossier prit une bouteille qu’il jeta à la tête du dit Trilaunay ». La querelle est probablement ancienne entre les deux hommes et le jeu n’est qu’un révélateur de tensions rentrées puisque Blossier peut déclarer à son compère, après coups de poings dans l’estomac et mise à terre, « qu’il y a longtemps qu’il luy gardait cela ». Le jeu aiguise les émotions. Les disputes sont alors promptes à naître, émergeant d’esprits chicaniers et révélant des formes de sociabilité effervescentes où l’essentiel est bien d’exister pleinement.

  • 36 B5303, 22-02-1773, affaire Chedan Sablé.

15Enfin, nos auberges peuvent encore abriter d’autres plaisirs, moins licites, telles les prétentions festives de ces coureurs de nuit qui, de cabaret en cabaret, finissent tard dans la nuit des virées souvent tumultueuses que réprouvent le voisinage et les autorités. Un mois de février 1773, divers particuliers déclarent s’être aperçus que toutes les fois qu’ils rentraient chez eux après 10 heures du soir, ils entendaient du bruit dans un cabaret voisin et des gens qui chantaient et buvaient ; qu’ils les ont vus sortir fort ivres ; qu’ils ont connaissance qu’au milieu des nuits il y avait bien du vacarme et notamment la dernière nuit où ils ont entendu des tambours et des violons ainsi que des gens qui dansaient36. À lire les témoignages, nous savons que nous entrons là dans un monde moins ordinaire, objet de soupçons et de réprobations. Mais plus globalement, il ressort des formes de sociabilité ci-dessus évoquée que le cabaret est bien un lieu de détente, où s’expriment des velléités de vivre autre chose que les difficultés du temps. Ainsi paraît rejetée, dans les pratiques quotidiennes, l’austérité d’un moralisme rigoureux qui ne laisserait pas de place aux satisfactions du bas monde.

  • 37 B5292, 31-03-1756, affaire Gandon-Roussin, Sablé. 10 présents entre 18 et 28 ans.
  • 38 B5274, 2-06-1735, affaire Lefebvre-Cosnard, Sablé.
  • 39 B5276, 30-05-1737, affaire Rouillon, Sablé.
  • 40 B5291, 14-01-1754, affaire Viot-Prillet. L’incident eut lieu au bourg de Bouessay.
  • 41 B5289, 21-07-1751, affaire Soldé-Hulbroc, Précigné.
  • 42 B5318, février 1788, affaire Touchet, Miré.

16Espace de détente et de divertissement, le cabaret a en fait une multitude de fonctions qui en font un centre privilégié de la vie villageoise et un lieu d’échanges multiformes. Par le biais des transactions qui s’y décident, il est d’abord un espace incontournable des formes de sociabilité qui président à la vie économique locale. Celui qui veut rendre compte de sa présence à la taverne peut prétendre qu’il y est venu pour faire le solde d’un compte ou le prix d’un marché ou plus généralement pour y traiter de ses affaires. Surtout, point d’ancrage de la vie communautaire, le cabaret a encore des fonctions de maison commune. Là arrivent les nouvelles, y compris celles qui viennent d’ailleurs puisqu’on y apporte parfois le courrier. Là sont rassemblés les hommes sommés de venir tirer au sort pour savoir lesquels seront pris dans la milice : comme en ce jour du 31 mars 1756 où sont à l’auberge où pend la Croix Verte, faubourg Saint-Nicolas à Sablé, en présence de Monsieur le Subdélégué venu présider au recrutement, des jeunes de la paroisse voisine de Ballée37. Point de rassemblement, l’auberge se doit aussi d’être un lieu d’accueil. C’est là que l’on apporte les blessés des échauffourées trop vives qui naissent dans la rue, entre particuliers. Le 1er juin 1735, voici un nommé Lefebvre, garçon domestique, revenant avec son maître de la foire de Grez, blessé à la tête par un coup d’aiguillon que lui aurait porté un certain Cosnard, fils de closier, parce qu’il aurait frappé ses bestiaux ; il est alors transporté chez le sieur Chardon, cabaretier au faubourg Saint-Nicolas, afin d’y être visité par le médecin et, pour une plaie de « teste », longue de deux travers de doigt, saigné au bras, « pour éviter les accidents38 ». Voici le nommé Rouillon, blessé à coups de vouge, qui se transporte, « meurtri », du bourg de Ruillé jusqu’à l’auberge Saint-Nicolas à Sablé, « pour se faire visiter39 ». D’aucuns préfèrent y prolonger leur séjour quand, à la suite d’une rixe hasardeuse, ils jugent utile pour leur convalescence de venir là, aux frais de l’adversaire, « se faire gouverner ». Louis Viot, garçon meunier, « obcédé » (sic) de coups de poings et de pieds qui lui auraient fait plusieurs blessures, déplore de vives douleurs qui le mettent hors d’état de travailler « si vray qu’il s’est trouvé obligé et dans la nécessité de venir en cette ville loger chez la veuve Desgravier, hôtesse, afin de se faire gouverner et médicamenter ». Visité chez la dite veuve par Jean Hamon, docteur en médecine et Louis Autin, maître chirurgien, et trouvé par eux gisant au lit, il peut se faire accorder par le juge 30 livres de provisions pour aliments, pansements et médicaments. Car l’essentiel est bien de se faire soigner en faisant payer le séjour par l’adversaire40. Ainsi, nombreuses sont les victimes qui, même pour quelques excoriations, n’hésitent pas à aller « se mettre au lit » dans une auberge de leur choix. L’affaire paraît entendue quand Louis Soldé, tailleur de pierres peut lancer à l’encontre du nommé Hulbroc, menuisier, parce qu’il l’agresse : « Si tu as quelque chose à perdre, frappe moy, je m’en va aller dans une auberge me faire gouverner à tes dépens41. » En d’autres circonstances, en cas d’alerte, l’auberge peut être encore le point de ralliement. A-t-on pu saisir un voleur supposé, c’est au cabaret qu’il est escorté par la foule, syndic en tête, pour y être fouillé et interrogé bien avant que n’arrivent les représentants de l’ordre. Un jour du mois de février 1788, exempts et cavaliers de la maréchaussée se transportent chez le nommé Balaume, cabaretier, où ils trouvent le sieur Lebras, syndic, faisant garder un homme inconnu que l’on venait d’arrêter à la clameur publique pour avoir volé des chevaux42.

17Enfin, les auberges apparaissent comme des espaces d’interface entre les communautés villageoises et le monde extérieur. Elles sont par excellence le lieu où se rencontre l’étranger, celui qui est d’une autre mouvance, d’un autre lieu. Si elles peuvent offrir pension à des compagnons artisans en séjour, elles sont surtout un gîte provisoire pour les gens de passage : par exemple, marchands se déplaçant de foire en marché mais aussi personnes venues là pour des raisons qui ne sont pas toujours connues. Le cabaret est bien un lieu où parfois se rencontre un monde étrange fait de colporteurs et de marchands en tout genre, chaudronniers, fondeurs de cuillers d’étain, rémouleurs, saltimbanques et autres quidams qui ne peuvent pas toujours décliner « un azile fixe » et dont on voudrait bien savoir pourquoi ils sont là. Ainsi s’esquissent les contours d’un monde qui inquiète ou étonne, marginalisé par un mode de vie qui ne se réfère pas aux normes sécurisantes de la communauté villageoise et que l’on soupçonne volontiers de vivre d’activités coupables.

18Nombre d’aventures contribuent à donner du monde des auberges d’autres images, d’autres représentations faites de soupçons et qui alimentent l’idée, autorités en tête, qu’à mal user de ces lieux, on en fait des espaces de perdition. Nous observons, au demeurant, d’autres formes de détente qui relèvent de conduites plus consensuelles.

Temps et formes des joies ordinaires

Plaisirs simples de la sociabilité quotidienne

  • 43 B5289, 28-05-1751, affaire Houdouin-Cerneau, Sablé.

19Un 27 mai 1751, sur les 10 heures et demie du soir, Louis Houdouin, bourgeois, demeurant paroisse Saint-Martin à Sablé, rentre chez lui, lanterne à la main, après avoir reconduit sa parente, la veuve Hanuche, qui a passé la soirée en sa demeure. Attiré par un grand tumulte dans la rue proche du carrefour de l’église, il se serait approché et mêlé à l’attroupement, engageant la conversation pour en connaître la cause43. Parmi d’autres, l’épisode, dans sa banalité, décline les plaisirs ordinaires que l’on aime, à bon compte, s’octroyer et qui vont du simple fait de s’étonner du spectacle de la rue, d’engager un dialogue, à celui, plus convivial, de passer un moment de détente en famille ou entre amis. De nombreuses occurrences attestent de ces pratiques sociales et de l’importance de ces formes privées de la sociabilité.

  • 44 B5279, 4-07-1740, affaire Tonnelier-Langevin, Solesmes.
  • 45 B5294, 20-07-1759, affaire Blanche-de Gastines, Sablé.
  • 46 B5314, 25-04-1785, affaire Cholet, Sablé.
  • 47 B5272, 8-04-1732, affaire Bellanger-Vachin, Précigné. Sont présents : Jeanne Bigot, 11 ans ; Yves R (...)

20Les soirs d’été sont particulièrement propices à des plaisirs simples que chacun peut s’octroyer, plaisirs faits de moments passés devant sa porte « à prendre le frais » ou à flâner dans la rue. Des conversations s’y engagent et s’alimentent du passage des noctambules. Ce soir de juin 1740, alors qu’il est 10 heures et demie à l’horloge des Bénédictins de Solesmes, Étiennette Plaid, femme de journalier, est à la porte de sa maison où sont aussi assis un nommé Tonnelier et son épouse, Jean Langlois, sabotier, 33 ans, et Renée Jarry, veuve d’un tissier, 55 ans. Le groupe se distrait de l’arrivée d’une compagnie de jeunes charpentiers qui « bien qu’ayant un peu bu, mais ayant encore soif » se mettent à frapper à la porte d’un cabaretier voisin44. Ces assemblées fortuites de voisinage offrent des moments d’une sociabilité ouverte où peuvent se côtoyer hommes et femmes, enfants, jeunes et vieux. Il peut aussi s’y affirmer des affinités de sexe ou d’âge. Le 20 juillet 1759, la compagnie qui est installée au pied d’un arbre placé dans le carrefour Saint-Nicolas est essentiellement féminine : sont là « à causer » et à observer les passants les demoiselles Rochard, 34 et 44 ans, avec Renée Gautry, épouse du sieur Coupeau45. Ailleurs, ce sont deux compagnons marbriers et un compagnon tanneur qui disent être « à prendre le frais sur le quai » et à bavarder, un soir d’avril sur les 11 heures46. Marie Jaunais, 12 ans, dépose que le jeudi 17 avril 1732, sur les 9 heures du soir, elle était assise avec d’autres filles de son âge à la porte de sa maison, dans une rue de Précigné, quand elle vit passer la femme Bellanger, épouse d’un marchand, qui s’en revenait de visiter l’une de ses filles… et qu’attendait la nommée Vachin, aussi épouse de marchand, pour lui chercher querelle47. La rue est là, ouverte à tous, donnant parfois le spectacle d’une exubérance qui tient davantage aux mots que l’on y échange qu’aux décors que l’on y côtoie.

  • 48 B5270, 24-02-1730, affaire Toutain, Sablé.
  • 49 B5318, 7-02-1788, affaire Leplat-Dantier, Sablé.
  • 50 B5292, 21-08-1756, affaire de Sallayne-Pérard, Noyen.
  • 51 B5286, 1-08-1747, affaire Gandon, Sablé.
  • 52 B5294, 20-07-1759, affaire Lemercier-Blanche, Sablé.
  • 53 B5314, mars 1785, affaire de Monhaison, Sablé.

21De la même façon, la promenade paraît bien une activité prisée et facile à tout âge. L’exercice peut être solitaire, mais il se pratique souvent en groupe et révèle les affinités que l’on s’est choisies. Chacun aime à « se promener en compagnie ». Renée Guérin, servante domestique du sieur Toutain, marchand, dit être sortie sur les 2 à 3 heures, après le repas de son maître, « prendre l’air avec quelques camarades » ; après avoir demandé à Renée Dupont, 46 ans, femme de marchand, si elle ne voulait pas aller se promener avec Marie Guyard, 22 ans, servante domestique et le valet du dit Toutain, elle serait allée avec ses amis « sur le coteau qui est hors la porte d’Herve48 ». Certains soirs, parce qu’il fait chaud et d’autres parce que c’est jour de réjouissance, les badauds semblent être particulièrement nombreux ; ce jeudi 7 février 1788, jour de Mardi gras, il y aurait eu, sur les 9 à 10 heures du soir à Sablé « grand monde dans la rue » ; tel tailleur de pierres dit être à sa porte avec quelques-unes de ses voisines ; telle femme d’artisan affirme être à se promener avec sa fille sur le quai de Sablé, alors que déambulent des cohortes de jeunes gens, garçons merciers et meuniers49. La promenade peut être plus festive ; un soir d’août 1756, vers les 9 heures, une compagnie de jeunes gens, garçons et filles, tous bien nés, connus et reconnus comme étant « des personnes de considération », fait apparemment grand bruit en se promenant le long de la rivière à proximité du bourg de Noyen ; sont présents la demoiselle de Salleyne et son beau-frère, chevalier et officier au bataillon du Mans, Monsieur d’Andigné, la demoiselle de Lestang, 18 ans et son frère Hilarion, 21 ans, « bourgeois », fille et fils du juge de Noyen. Renée Bruneau, servante domestique du pontonnier, déclare qu’elle a vu la compagnie qui « chantait et dansait en rond pour s’amuser50 ». La promenade peut être aussi plus intimiste ; officialisant, en se soumettant au regard de tous, des relations amoureuses, elle paraît une façon honnête de faire sa cour. Marthe Daugré, voisine de Marie Gandon, 19 ans, fille d’un messager de Tours et du Mans, a vu la dite Gandon se promener avec « son galant », un nommé Huré, commis aux Aides, et a remarqué avec d’autres qu’il y avait entre eux « beaucoup d’intelligeance51 ». Le 19 juillet 1759, Pierre Blanche, chirurgien, majeur de 20 ans, et fils d’un médecin, est à se promener sur les 9 à 10 heures du soir avec la demoiselle Julie Picard, 21 ans, fille du receveur du grenier à sel, la tenant par-dessous le bras. Louise Picard, 20 ans, est aussi à flâner sur la place du faubourg Saint-Nicolas, « suivant sa sœur dans un certain éloignement52 ». La cité a ses rendez-vous de promeneurs, le long des quais, au carrefour et dans la rue du faubourg Saint-Nicolas ou encore près des halles. Pour ceux qui cherchent la tranquillité, il est alors aisé de passer la porte d’Erve, de remonter les berges de la Sarthe vers le bourg de Solesmes ou encore de choisir le parc du château et les bois d’alentour. Chacun peut préférer la promenade solitaire. Mais elle peut être alors reprochée aux femmes mariées soupçonnées de rendez-vous galants. Le curé Hanuche53, docteur en théologie, 48 ans, aurait vu « à la nuit fermante », alors qu’il était à finir son bréviaire à l’entrée du parc du château, la Dame de Monhaison, sortant du fond du bois où elle était allée seule ; il lui aurait alors reproché ces promenades dans les allées et taillis du château.

  • 54 B5270, 21-06-1730, affaire Leroyer-Payé, Précigné.
  • 55 B5272, 2-01-1732, affaire Angoulvent-Cormier, Sablé.
  • 56 Y. Castan, Honnêteté et relations sociales en Languedoc, 1715-1780, Paris, Plon, 1974, p. 290-291.
  • 57 B5272, 2-01-1732, affaire Launay-Bréhier, Précigné.
  • 58 B5272, 24-03-1732, affaire Levasseur-Lecrenais, Sablé.
  • 59 B5290, 26-08-1752, affaire Martin-Poullet, Précigné.
  • 60 B5294, 17-04-1760, affaire Gasneray-Manceau, Saint-Brice.

22Les rencontres et visites entre voisins, camarades ou amis, souvent improvisées, appartiennent aussi aux pratiques ordinaires. Il est ainsi courant de « visiter ses amis ». Ces formes de structures sociables reposent souvent sur un principe d’affinité de sexe ou d’âge. Celles relevant de la sociabilité masculine nous apparaissent comme les plus évidentes et les plus structurées ; c’est sans doute affaire de source, mais aussi de rapports des individus au monde extérieur. Le cabaret, nous l’avons souligné, est le lieu par excellence de ces rencontres masculines. L’endroit peut se définir comme un des lieux privilégiés de la vie villageoise parce qu’il met en jeu une diversité de relations à caractère social et économique. Il demeure, pour l’historien, un point d’observation essentiel des liens interpersonnels et des rites de contact. Mais ce cabaret ne doit pas occulter d’autres formes de la sociabilité, moins présentes dans nos sources, peut-être parce qu’elles peuvent avoir un caractère prioritairement privé ou intimiste. Ainsi, il n’est pas rare qu’à l’occasion d’un déplacement motivé par le travail, les besoins de la vie courante ou simplement l’envie de se détendre, s’improvise une visite chez un particulier que l’on connaît. Le besoin de la relation, sinon amicale, du moins privilégiée paraît essentiel ; il émane aussi de ces rencontres l’expression d’une disponibilité attendue de la part d’autrui. De multiples scènes rendent compte de ces temps qui sont des moments de détente ordinaire. La visite est furtive et improvisée quand François Leroyer, garçon meunier au moulin de Rougeret, dit, qu’étant à faire son travail domestique à la campagne pour y conduire et vendre la farine à divers particuliers, il est entré « pour se rafraîchir et prendre un verre de vin » chez le nommé Payé, closier, où il s’est trouvé à boire avec quatre ou cinq particuliers54. Elle est sans doute plus codifiée quand Joseph Angoulvent, marchand à Sablé, dépose qu’étant à la nuit de retour du bourg de Solesmes, il est entré dans la maison du nommé Delet, dit la Montagne, aussi marchand, pour lui souhaiter une bonne année, lequel, en reconnaissance, fit tirer une bouteille de vin55. Nous n’observons pas de pudeur à dire que l’on va chez un ami. Il nous paraît difficile, comme peut le faire Yves Castan pour le Languedoc, d’affirmer que l’amitié n’est pas de mise, même si nous comprenons qu’il convient de garder la distance, et que les épanchements en la matière ne se manifestent que rarement56. Jacques Launay, garçon tissier, dit que le dernier dimanche de l’année 1731, il est entré chez Guillaume Landais57, tonnelier à Précigné « avec quelques-uns de ses amis pour y passer deux ou trois heures », le but affirmé étant de se divertir. De même, François Levasseur, boulanger à Sablé, serait sorti de la ville sur les 3 heures après midi en direction de Solesmes, pour aller goûter et acheter du vin « chez l’un de ses amis », demeurant au hameau de Chaillou58. D’autres exemples encore confirment que chacun s’attache à entretenir un réseau de relations privilégiées qui dépasse l’entraide que l’on s’accorde par nécessité, pour le travail mais aussi en d’autres circonstances. De ces moments de détente, le jeu n’est pas absent ; le sieur Pierre Brunet, marchand fermier, 32 ans, dépose qu’un dimanche du mois d’avril 1752, il était dans le jardin du sieur Latouche, chirurgien, « pour jouer à la boule » avec plusieurs autres habitants de Précigné ; étaient présents, le sieur Poullet, notaire royal, les sieurs Duchesne, 55 ans, Chevron, 35 ans, Delaunay, 35 ans et Hallier, 48 ans, tous marchands59. Le 16 avril 1760, c’est un jeu de petits palets qui aurait rassemblé sur les 6 heures dans l’aire de la Brosse, paroisse de Saint-Brice, un étaminier, un closier et deux marchands60.

  • 61 B5314, 9-04-1785, affaire Planchenault-Godefroy, Sablé. Monde des affaires : un entrepreneur de tab (...)

23Si ces temps de sociabilité concernent l’ensemble des groupes sociaux, des formes plus particulières et organisées paraissent propres aux « gens de considération », peut-être moins enclins à fréquenter un cabaret jugé sans doute trop populaire et lieu de suspicion. Un procès daté du 9 avril 1785 nous révèle l’existence d’une « maison de société », sise dans le Palais de la ville, centre du pouvoir judiciaire et politique, où paraissent se réunir les notables saboliens, « sociétaires » du lieu. Dans cet espace de rendez-vous des « messieurs de la ville » nous trouvons un dimanche 3 avril 1785, entre salle de billard où plusieurs sont à jouer et « salle de compagnie », quelques membres appartenant à la meilleure partie de la société sabolienne, représentants du monde des affaires, hommes de loi et officiers notamment61.

24Le mode de la sociabilité féminine peut paraître, au premier abord, moins perceptible, moins prégnant dans nos archives, sans doute en partie parce que ses formes d’extériorisation sont moins exubérantes, moins publiques, et que le type de relations est davantage lié à l’activité et à l’espace domestiques. De même, cette sociabilité ne s’organise pas sur le modèle masculin notamment parce qu’elle paraît moins festive et qu’elle se déploie sous des modèles plus intimistes. Pour autant, il n’émerge pas de la lecture de nos sources un sentiment d’isolement ou d’absence de relations entre femmes. Les femmes ont dans leurs temps d’occupation ou de repos des espaces et des moments possibles de rencontres, de discussions, d’échanges de nouvelles ou de rumeurs. À tous les niveaux de la société s’organisent des visites réciproques. Les besoins d’entraide, les échanges de menus services ou d’objets divers sont autant de prétextes pour pousser la porte de la maison voisine ; telle a emprunté une bouteille, telle autre vient rechercher un bois de lit d’enfant ou un coffre qu’elle avait pu prêter. Les échanges d’effets divers, de nippes, de linge sont aussi des occasions de se rencontrer.

  • 62 B5275, 13-04-1736, affaire Rezé, Solesmes.

25Il résulte de ce réseau étroit de relations que le centre essentiel de la sociabilité féminine gravite autour des maisons. Là se manifestent, parfois pour des besoins fondamentaux, des solidarités, des sentiments de complicité et de connivence. Les échanges ne sont pas faits que d’objets. Parce qu’elle paraît mal se porter, Perrine Rezé, 26 ans, mariée depuis peu à un vigneron du bourg de Solesmes, reçoit les visites assidues et répétées de ses voisines ; le lundi 31 mars 1736, Magdeleine Lambert, 40 ans, femme de journalier, sa plus proche voisine, « ayant entré le matin chez la dite Rezé, s’aperçut qu’elle était malade […] à quoi la déposante luy dit : prenez garde à vous petite femme […]. Que, s’étant retirée, les nommées Bouteiller et Poirier, femme et veuve de journaliers, respectivement 28 et 70 ans, entrèrent […] que la dite Poirier luy demanda si elle était réglée, […] à quoy la dite Rezé répondit que ses règles luy manquaient depuis longtemps62. » Des « maladies ordinaires du sexe », il est possible de parler entre femmes ; parmi les premières solidarités s’affirment celles du gynécée. Mais les relations que peuvent entretenir les femmes ne sauraient se limiter pour autant au cadre étroit de l’espace domestique ; elles peuvent se développer dans bien d’autres lieux, autour du puits, de la rivière où se lave le linge, du four à ban, mais aussi dans les boutiques, sur les marchés, ou encore à l’occasion de la messe dominicale. Dans ces multiples espaces, si les femmes n’ont pas le monopole de la transmission du bruit public, elles en sont des agents importants. Là s’aiguisent les curiosités, se colportent les détails menus de ce que l’on croit savoir de la vie des autres.

  • 63 B5292, 21-08-1756, affaire de Salleyne-Pérard, Noyen.
  • 64 B5302, 13-09-1772, affaire Rigault-Poullet, Précigné.
  • 65 B5314, mars 1785, affaire de Monhaison, Sablé.

26Dans tous les cas, nous retrouvons ces femmes dans ces foyers globaux de sociabilité que sont les soirées en famille ou entre amis pendant lesquelles on prend plaisir à souper ou à veiller. Inviter quelqu’un à « goûter sa soupe » est une pratique qui ne paraît pas exceptionnelle dans les milieux favorisés de la société. Ces repas que l’on aime prendre ensemble ont, dans nombre de cas, un caractère familial ; ils peuvent aussi rassembler des gens du voisinage ou encore « des amis ». Familiaux ou amicaux, ils sont souvent d’une nature intimiste ; telle fille majeure dit attendre son frère pour souper sur les 8 heures du soir ; tel avocat a invité sa parente ; tel autre bourgeois est à prendre un repas chez ses neveux… Il ne paraît pas plus exceptionnel de se réunir entre amis ; certains dîners ou soupers peuvent être ainsi l’occasion d’assemblées plus conséquentes souvent caractérisées par une certaine homogénéité sociale. Le 11 août 1756, le sieur de Vaugirard, bourgeois, a invité à souper en sa terre de Clerveau plusieurs personnes du bourg de Noyen. Font partie de la compagnie, René Pérard, marchand cirier, son épouse, le sieur François Legros, 52 ans, écuyer, « prévost » à la connétablie à la suite de Messeigneurs les Maréchaux de France, lors présent en sa terre de Noyen, son épouse, 40 ans, son neveu, le sieur François Drugeon du Bois, 19 ans, bourgeois, le sieur Michel René Rouget, maître chirurgien, 37 ans, le sieur Louis Hormé, garçon chirurgien, 20 ans63. Ainsi se côtoie le monde de la marchandise, des offices et des professions à talents. Ces soupers peuvent se prolonger en discussions ou en distractions diverses où la part des « dames » ne paraît pas oubliée. Dans cette compagnie de voisins invités à la table du sieur Gouin et où se trouve le sieur Rigault, juge de Précigné, le repas terminé, la Dame Gouin est à jouer aux cartes avec d’autres dames64. À la suite d’un autre souper, chez le sieur Godefroy, entrepreneur de tabac à Sablé, Maître Charles Antoine Macé de Gastines, garde du corps du roi, 20 ans, demeurant chez son père, témoigne qu’il y avait là bonne compagnie pour s’amuser et des dames pour converser entre elles65.

27Si ces soupers, révélateurs des réseaux de sociabilité privés auxquels chacun paraît attaché, concernent davantage le monde de la bourgeoisie, les veillées et soirées diverses que l’on passe entre parents, amis ou voisins se retrouvent dans tous les milieux sociaux ; nous en trouvons mention de manière explicite au détour de témoignages qui nous enseignent que se transmettent là les informations et rumeurs du lieu, tant en ville que dans les bourgs mais aussi dans les métairies ou closeries plus reculées ; au demeurant l’expression récurrente de ces formes de sociabilité infirme, avec d’autres traits de solidarité, l’existence d’un isolement dominant et déterminant. D’autres réjouissances moins intimistes, moins feutrées, plus exceptionnelles et plus festives peuvent aussi être prisées. Nos sources attestent de ces moments où se retrouvent hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, gens de conditions diverses, pour des plaisirs partagés.

Réjouissances plus exceptionnelles

  • 66 B5283, 19-02-1744, affaire Mocquereau-Chaloigne, Sablé.
  • 67 B5288, 11-02-1750, affaire Manceau-Cormier, Sablé.
  • 68 B5289, juillet 1750, affaire Lebreton-Chaloigne, Sablé.

28Entre Épiphanie et Carême, temps des retournements, Mardi gras et Carnaval sont des repères temporels volontiers utilisés. Diverses réjouissances paraissent alors organisées : assemblées de jeux et surtout « assemblées pour la danse ». Ces manifestations festives d’avant Carême se reproduisent au fil des ans. Parmi d’autres exemples, le jeudi 14 février de l’année 1746, dans une maison « vacante », un ancien cabaret, se tient, selon l’expression d’un des présents, « une assemblée de garçons et de filles pour la danse » ; ce soir-là, sur les 8 heures, quatre violons sont à jouer, attirant les badauds de la rue. La présence de Jacques Chaloigne, fils d’un maître cordonnier, de Louis Fouquet, garçon perruquier de 19 ans, de Michel Toutain, tanneur de 29 ans, atteste de la jeunesse des participants ; sont aussi là, « à voir danser », un nommé Rousseau, 16 ans, garçon chapelier, Julien Cormier, 16 ans, venu « avec son petit frère », François, 13 ans. Sans doute craint-on de ces assemblées qu’elles ne génèrent des débordements. Pierre Cormier, marchand gantier, envoie vers les 10 heures et demie son compagnon et sa fille Marie, 25 ans, « pour s’enquérir si ses fils étaient à la danse et pour les ramener de peur qu’il n’arrive du trouble ». Jacquine Baumier, 28 ans, dit être venue avec l’intention de quérir son mari, maréchal-ferrant, qu’elle savait être à danser66. Ces assemblées de danse paraissent ouvertes à l’ensemble du voisinage. Ainsi, un 10 février 1750, il est question d’une « danse publique » organisée au four à ban par un certain Jean Renou, garçon, qui « a assemblé ses voisins pour les distraire » à l’occasion du Mardi gras, et que l’on surprend, au hasard d’une danse, dans le rôle de maître à danser. Inévitablement la jeunesse est bien présente ; parmi d’autres, se trouvent Pierre Leboucher, scieur de marbre, 23 ans, Antoine Servais, garçon marbrier, 21 ans, demeurant chez son père, Jeanne Gaudin, Pierre Fautrat, maréchal de 48 ans, Jean Gandon, 31 ans, marbrier, qui a proposé à sa femme, Jeanne Marchais, 27 ans, de venir « se réjouir », ou encore Jeanne Gaignard, femme de François Ménard, 49 ans, qui est à danser avec un nommé Manceau le jeune, cordonnier et garçon majeur67. Dans une autre affaire, Marie Lebreton, 30 ans, témoigne que, le lundi gras de l’année 1751, elle est allée avec d’autres de la paroisse Saint-Nicolas, au nombre de seize, à un bal qui se tenait à la métairie de la Chesnaye Verte68. Ainsi paraît attesté le retour régulier, aux temps gras, de ces réjouissances marquées par l’attrait pour ces assemblées de danse qui sont pour tous, un lieu de festivité et, pour la jeunesse, un espace de rencontre ouvert aux garçons et aux filles.

  • 69 B5270, 3-12-1730, affaire Chaudemanche, Ballée.
  • 70 B5314, 21-04-1785, affaire Naveau, Solesmes.
  • 71 B5293, 12-01-1758, affaire Dugoulay-Rigault, Précigné.

29D’une autre nature, les fêtes familiales et au premier rang les réjouissances liées au mariage paraissent être des moments privilégiés. Jacques Chaudemanche, métayer au lieu de Souligné, paroisse de Ballée, raconte qu’après avoir épousé Marie Quartier le lundi 4 décembre 1730, il a assemblé sa famille et celle de sa femme, avec leurs amis, dans sa demeure pour assister à la noce, que la compagnie partagea le repas et s’apprêta pour danser car un violon avait été convié. Mais la fête, d’abord familiale et amicale, ne paraît pas pour autant fermée sur elle-même. Personne ne s’étonne de l’arrivée, sur les 8 heures du soir, d’une douzaine de garçons d’une paroisse voisine, tous masqués et ayant apporté leur propre violon69. Dans ces récits, se lit en filigrane l’expression de cet attrait pour des moments de plaisir pris en commun, plaisir de la famille et des amis réunis, plaisir d’un repas moins frugal qu’au quotidien ou encore plaisir de la danse. Jacques Naveau, tisserand, qui vient d’épouser Marthe Raison, ce 19 avril 1785, explique que « pour la célébration de leur mariage » ils ont invité parents et amis « à un petit festin qu’ils ont préparé », qu’après le dîner, ils se sont mis à danser au son d’un violon qu’ils avaient gagé, que cette « réjouissance » a attiré plusieurs personnes du bourg de Solesmes et qu’ils ont partagé avec elles « les plaisirs de la fête ». Les mots choisis ne sont pas sans importance : malgré la modestie proclamée du festin, l’assertion exprime le goût de la réjouissance et le bonheur simple de pouvoir partager, entre familiers, un moment festif ; il est donc d’autant moins bien admis que d’aucuns puissent venir gâcher la fête70. D’autres exemples soulignent l’importance de ces rites d’accueil mais aussi l’attrait qu’exercent ces moments de divertissements sur une jeunesse qui ne semble redouter ni les distances parfois conséquentes à parcourir ni les retours nocturnes et tardifs souvent plus hésitants. Ces festivités ont aussi la particularité de rassembler des personnes d’âges et souvent de conditions sociales différentes. À la noce du fils de Pierre Operon, closier au lieu de Beslay, paroisse de Précigné, sont présents au moment de la danse, la famille proche, les voisins, aussi closiers, mais encore le sieur François Duchesne, chirurgien de 29 ans, le sieur Rigault « bourgeois », fils du juge de Précigné et la demoiselle Dugoulay des Pastys, fille d’une famille de la noblesse du lieu71. Accueillante, la noce n’en garde pas moins un caractère familier. Elle appartient bien au registre des plaisirs que l’on aime s’offrir entre proches et qui traduisent des formes d’aspiration au bien-être.

  • 72 B5314, 29-02-1784, affaire Bachelet-Chevron, Précigné.

30Ainsi se manifestent au travers de cette étude des moments de détente, l’importance et l’intensité des formes privées de la sociabilité. À suivre nos sources, les manifestations à caractère public ou collectif paraissent moins prégnantes. Les spectacles organisés sont rares. Parfois, peuvent s’arrêter dans les villages quelques artistes ambulants, tel ce couple venu d’Évreux, un nommé Pierre Bachelet accompagné de son épouse, qui affirme aller de villes en bourgs pour gagner sa vie, et qui a obtenu du syndic de la paroisse de Précigné, « la permission d’exercer son état qui consiste à voltiger sur la corde en tour d’équilibre72 ». Plus souvent, sans doute, se tiennent les attractions plus ordinaires des colporteurs étalant, pour un peu de rêve, le contenu de leurs balles au marché ou à la foire. Mais le bilan paraît modeste.

  • 73 Délibérations du conseil municipal et de l’assemblée générale des habitants du 5 janvier 1782, reg (...)

31De la même façon, il est rarement fait allusion à des manifestations festives intégrant l’ensemble de la communauté. Les fêtes officielles sont rares. L’organisation de la fête proposée à l’occasion de la naissance du Dauphin en janvier 1782, et qui nous est connue par une délibération du conseil municipal, est, à ce titre, révélatrice ; s’il est prévu de faire « réjouissance générale », c’est pour affirmer aussitôt que la ville n’a pas « la faculté de faire les dépenses » qu’elle souhaiterait ; dès lors il est décidé de convertir ces frais non engagés en pain pour les pauvres, de donner des chants dans les deux églises et malgré tout, un feu de joie sur le champ de foire avec illumination générale de la ville et des faubourgs entre 6 et 9 heures du soir, annoncée par les cloches73. C’est finalement dans le calendrier des fêtes religieuses que l’on peut retrouver les moments de manifestations à caractère communautaire, telles les processions de la Fête-Dieu, qu’attestent à plusieurs reprises et pour diverses paroisses, nos pièces de procédures. Ainsi la richesse des formes de la sociabilité paraît bien relever de l’intime, des relations privées. L’absence de grandes manifestations collectives, et surtout de formes associatives, peut être, au demeurant, révélatrice d’un caractère particulier de la mentalité des villageois du Maine.

Sociabilité et nécessités économiques

32Du besoin d’échanges de biens et de services, des formes diverses du travail naissent, au quotidien, une multitude de relations. Sans doute la source judiciaire est-elle peu loquace sur les faits de conjoncture économique ou même sur les conditions techniques des transactions. Mais l’objet de la présente analyse est prioritairement de déterminer les lieux et les formes de sociabilité qui président à la vie économique locale, de souligner la nature des comportements face aux modalités de l’échange et du travail. Quels que soient les produits concernés, achats et ventes s’inscrivent dans des espaces qui sont des points forts de la sociabilité villageoise. D’autre part, au travers des modes de passation des marchés et de leur nature, des façons de liquider les comptes, de considérer le crédit ou l’endettement se révèlent des attitudes et des modes de penser. Nous voyons aussi s’éclairer les motivations profondes des querelles qui ont un fondement économique mais qui n’en sont pas moins révélatrices de traits de mentalité.

Autour des échanges

Lieux de l’échange et attitudes économiques

33La variété des circuits et des sources d’approvisionnement peut expliquer la diversité des lieux de transactions. Espaces de la vie privée et familiale et espaces à caractère professionnel ne sont pas toujours strictement séparés et nombre d’affaires se concluent au domicile d’un des acteurs. De façon naturelle, ateliers et boutiques restent aussi des lieux privilégiés où l’échange n’a d’ailleurs pas qu’un caractère strictement économique. Nous avons souligné combien les femmes y avaient leur part : épouses ou veuves affairées à tenir les comptes, à servir les chalands, à entretenir les conversations. Deux autres espaces paraissent particulièrement révélateurs des attitudes en la matière : le cabaret et le marché.

  • 74 B5295, 13-02-1787, affaire Duchesne-Auger, Sablé.
  • 75 B5292, 19-04-1756, affaire Couet-Crosnier de la Marsollière, Sablé.
  • 76 B5275, 11-01-1736, affaire Couprent-Roussin, Sablé.
  • 77 B5283, 7-09-1744, affaire Laurent-Thierry, Solesmes.
  • 78 B5295, 15-03-1762, affaire Salmont-Bellisle, Sablé.
  • 79 B5271, 9-01-1731, affaire Rezé-Turpin, Sablé.
  • 80 B5275, 9-09-1736, affaire Bouvier-Chamard, Sablé.
  • 81 B5282, 31-05-1743, affaire Denoe-Landeau, Sablé ; B5318, février 1788, affaire Fouchet, Miré.
  • 82 B5274, 26-09-1735, affaire Dugast-Huart, Sablé.
  • 83 B5285, 11-09-1746, affaire Cosnard-Chauvet, Sablé ; B5287, 14-04-1748, affaire Brillet-Pérard, Sabl (...)

34Prioritairement tourné vers la détente, par le biais des transactions qui s’y décident, le cabaret apparaît bien comme un lieu incontournable de la vie économique. Celui qui a à traiter d’affaires peut toujours expliquer sa présence à la taverne. Pierre Auger, marchand corroyeur, à qui l’on reproche, à l’occasion d’un procès, ses débauches de cabaret, réplique, lors d’un interrogatoire, que ces fréquentations sont bien liées à son état, qu’il s’agit bien de faire quelques marchés avec ses clients. Dans la même affaire, la demoiselle Catherine Hutin, 58 ans, veuve et maîtresse sarger, témoigne que le dit Auger fréquente bien les cabarets mais que c’est relativement à son commerce et que ce n’est qu’avec des cordonniers74. De même, Michel Couet, marchand tanneur, veut préciser, comme pour se justifier, que c’est bien par obligation professionnelle qu’il est obligé d’aller de temps en temps au cabaret75. Les frères Couprent, marchands gantiers à Sablé, déclarent que le 12 du mois de novembre 1736, ils étaient à boire chez Touret, cabaretier dans l’Île, avec différents particuliers, « pour le fait de leur commerce76 ». L’argument est récurrent dans les dépositions de plainte et dans les témoignages. Ainsi s’expriment la propension naturelle à avancer l’excuse que si l’on est à boire c’est bien par nécessité de métier, mais aussi l’idée que, dans l’opinion commune, l’on se représente bien le cabaret comme un lieu obligé pour le règlement de nombreuses transactions. Là se scellent les accords, entre boire et manger ; Nicolas Laurent, entrepreneur en bâtiment dépose que le lundi 7 septembre 1744, il était sur les 12 heures à dîner chez une veuve, cabaretière et hôtesse au bourg de Solesmes, avec certains particuliers « pour affaires de son métier » ; étaient bien à sa table Pierre Lesieur, 47 ans, dit Duchesne, menuisier et Antoine Lefebvre, 51 ans, maréchal, tous demeurant à Solesmes et venus débattre d’un chantier à entreprendre pour la construction d’un bâtiment77. Parfois, il s’agit de gens de campagne qui sont là à parler affaires ; Jacques Davière, 25 ans, métayer à Solesmes, témoigne que le 15 du mois de mars 1762, il était bien chez le nommé Bouhours, cabaretier au faubourg Saint-Nicolas de Sablé avec des gens de commerce avec qui il « avait un compte à faire », buvant avec eux78. Toutes sortes de transactions peuvent y prendre naissance, des plus infimes aux plus complexes. Là, il est fait marché de deux boisseaux de blé de froment à 23 sols le boisseau79, ailleurs se négocie la vente d’une brebis pour 3 ou 4 livres80 ou encore le prix d’un marché d’étamines ; en d’autres occasions, il est question de faire le prix d’un cheval ou d’une paire de bœufs81. Des affaires plus conséquentes peuvent encore être conclues au cabaret, tel cet accord créant une société pour l’exploitation d’un important marché avec constitution de trains de bois de marine à exporter depuis Pincé vers Angers puis Nantes82. De même, c’est encore à l’auberge que l’on rencontre les artisans pour débattre des modalités de construction d’une maison ou d’une boutique ou « pour faire le prix d’un petit bâtiment83 ». En fait, traiter d’affaires dans un lieu ouvert au public offre aux interlocuteurs la garantie de témoins auxquels il est toujours possible de recourir en cas de contestation. De multiples procès donnent de tels exemples. D’autre part, la boisson partagée vient conforter la confiance que l’on se prête pour le respect d’engagements que l’on prend souvent oralement. À l’inverse, pour un marché que l’on sait peu licite, évite-t-on d’aller débattre à la taverne.

  • 84 Sur le colportage : B5304, mars 1774, affaire Vincent, Brûlon, Sablé. Sur l’étoffe de contrebande, (...)

35Marchés et foires apparaissent comme des lieux de rencontres très ouverts, tant du point de vue géographique que sociologique ; ainsi, à l’inverse du cabaret, ils ne sont pas des espaces prioritairement masculins. De même, à considérer la géographie, ils sont, à l’échelle de la zone d’influence sabolienne, des lieux de brassage pour les populations de la ville, des campagnes et des villages avoisinants mais aussi pour les gens venus d’ailleurs, ceux qui peuvent être réputés étrangers parce que l’on ne peut décliner ni leur nom ni leur origine. La place sabolienne paraît bien tenir le rôle essentiel d’un lieu central, drainant hommes et marchandises dans un espace contenu grossièrement, nous l’avons souligné, dans un rayon de deux à trois lieues, sans doute limité dans son extension par le rythme des pas de l’homme ou du cheval. La source témoigne de la vitalité des réseaux de relations entre la cité et l’arrière pays, entre gens de la ville et ceux de la campagne. Les blés sont au premier rang des produits échangés, transportés à dos de mulet et de cheval. Les charrois importants sont l’affaire de professionnels, « blatiers », meuniers, boulangers, « regrattiers de grains » ou simples voituriers ou métayers rémunérés à cet effet. Sociologiquement se côtoie en ces lieux un monde fort diversifié, tant du point de vue de l’âge, du statut social que du sexe. Certes, les marchands dominent la vente, mais le marché est aussi un espace ouvert à tous ceux qui peuvent avoir quelques surplus à écouler. Les gens de campagne sont ainsi des vendeurs occasionnels : marchés importants quand il s’agit de bestiaux, mais aussi parfois infimes. Ici une femme de métayer propose un paquet de fils ; là, la domestique d’un closier vend le beurre que son maître lui a confié. Ailleurs, la balle d’un colporteur apporte un peu de diversité ou de rêve : colliers pour femmes, couronnes et cœurs ou colifichets, bagues de verre, de plomb ou de cuivre, petites croix, fioles d’eau de senteur, miroirs dans leurs cadres en bois, peignes à démêler ou à « retaper » (sic), fils et épingles, boutons de poignets de chemises en plomb, boucles de souliers de cuivre ou « pottin » mais aussi tabatières de carton « verny » et couteaux en tous genres, « à manche de bois des îles garnis en argent », à manche de corne (de bœuf ou de cerf) ou encore d’écaille, à bouche ou de cuisine, gobelets et « cueillers » d’étain ou à étamer, mais aussi pour le jeu, petits sifflets d’or « à amuser les enfant », jeu de biribi composé de bilboquets avec bille de bois et de 41 cartes à jouer. Sous la halle, encore, peut être installé un colporteur de livres ou de marchandises d’étoffes ; le risque est bien là d’acheter quelques objets interdits ou de contrebande84.

  • 85 B5304, 18-03-1774, affaire Couet, Sablé.
  • 86 B5303, 4-01-1773, affaire Bérard, Sablé.
  • 87 Par exemple, décision de justice du 23-07-1773, B5303, affaire Cosnard, Sablé.
  • 88 Sur les rapports ambigus entre la foule et l’exécution publique des peines : A. Farge, La vie frag (...)

36Espace à fonctions éminemment économiques, le marché a des finalités multiples, sociales et même politiques. Il est un lieu de l’échange verbal : discussions autour des produits, marchandages, mais aussi, rumeurs et « bruits publics » en gestation. Il est encore un espace par lequel les autorités, à l’écoute de la « voie publique », espèrent influencer l’opinion et les mœurs. Il est un des lieux de médiatisation de l’information officielle tant par l’écrit que par le verbe : affichage sous les halles des principaux textes réglementaires, proclamations publiques d’assignation à comparaître devant le tribunal, avec effet d’huissier se transportant au-devant du poteau de la place des halles pour un « cri public » lancé après battements de tambour. L’espace est aussi propice à la transmission des décisions de justice quand elles nécessitent l’information du public. Ainsi la sentence proclamée à l’encontre du sieur Couet, marchand tanneur à Sablé, qui signifie au dit Couet l’interdiction de l’administration de ses biens, et fait défense à toute personne de « faire avec lui aucun acte, de ne passer aucun marché » et à tout cabaretier détaillant vin, eau-de-vie et autres liqueurs de lui en donner à boire, doit-elle être « lue et publiée à son de trompe ou de tambour et affichée partout où besoin85 ». De même, bien qu’exceptionnelle mais plus édifiante, la mise en œuvre des châtiments corporels est aussi l’affaire de la place publique et du marché. Jacques Bérard, marchand colporteur dit y avoir vu marquer plusieurs criminels au fer rouge, à l’épaule droite86. L’application des peines infamantes les jours de marché, l’érection de la potence près des halles aux blés et, en cas de condamnation par contumace, l’exécution de la sentence par effigie87 ont un sens. La peine infligée doit punir, venger mais aussi dissuader. L’espace choisi a des fonctions politiques, symboliques et pédagogiques éminentes88. Le lieu est enfin un espace surveillé, ouvert sur l’extérieur, accueillant une population mouvante et qui n’est pas toujours de connaissance ; il présente pour tous, les risques d’une rencontre ou d’un achat hasardeux ou encore d’une bourse volée. Larcins divers, mais aussi ventes d’objets dérobés ou illicites provoquent toujours de grands émois. Quand les autorités, bailli en tête, traquent produits de contrebande et transactions illicites, les exempts de la maréchaussée et les cavaliers de la brigade patrouillent sur le marché, pour y maintenir le bon ordre, pour veiller à la sûreté et à la tranquillité publiques : silhouettes caricaturales mais familières, appliquées, au moindre écho, à mener l’enquête et à pourchasser le contrevenant, de marchés en cabarets. D’un point de vue strictement économique, la surveillance et l’attention portée par les autorités ne sont pas moins grandes.

  • 89 B5312, 1783, ordonnance de police sur l’organisation des marchés.

37Les ordonnances de police soulignent à la fois les velléités de contrôle mais aussi les difficultés à encadrer, de façon stricte, les modalités de l’échange. Elles révèlent encore des attitudes économiques significatives. Ainsi les transactions sur les grains telles que les évoque une ordonnance de police datée de 1783, paraissent révélatrices de tentations spéculatives qui sont jugées comme autant d’ « intelligence criminelle » par les autorités mais qui soulignent aussi l’affirmation d’une mentalité marchande âpre au gain89 :

  • Existence d’un commerce parallèle qui se fait hors les halles et marchés publics, dans des « magasins » (entrepôts) et greniers particuliers. Le schéma spéculatif dénoncé par l’ordonnance est, là, traditionnel : pénurie sur le marché public alors qu’existe « l’abondance », envolée artificielle des prix (le procédé serait aussi à l’origine de multiples plaintes pour faux mesurages, les mesureurs n’étant pas avertis ou ne pouvant être en plusieurs endroits à la fois) ;
  • Existence sur le marché public de pratiques illégales qui consistent à vendre des grains « par montre », en n’apportant sous les halles que des échantillons du blé que l’on a à vendre ( « ce par quoi on élude l’esprit des déclarations du roi du 1er septembre 1699 et du 19 avril 1723 qui défendent expressément de venir dans les halles avec de la montre ou échantillon du blé que l’on veut vendre ») ;
  • Approvisionnement illicite des regrattiers de grains : « blatiers », meuniers et boulangers qui viennent sur le marché à des heures qui ne leur sont pas autorisées (tôt le matin) pour alimenter leurs magasins ;
  • Approvisionnement illicite, encore des dits regrattiers, dans les environs mêmes de la ville (alors qu’il leur est enjoint de ne pas le faire à moins de deux lieues de distance) ;
  • Achats et reventes sur le même marché ;
  • Falsification de la qualité des blés, dont une partie serait « blatée90 ».

38Toujours selon la même ordonnance, la propension spéculative caractérise aussi le « commerce des denrées » ; ainsi de nombreuses revendeuses de Sablé iraient-elles, tôt le matin, s’approvisionner dans les faubourgs et au-delà « afin, par la disette qu’elles causent dans le marché, de vendre aux particuliers le prix qu’elles veulent » ; certaines aggraveraient même leur cas en pratiquant leur commerce vis-à-vis des églises et pendant le service divin, ce qui peut être dénoncé comme « un scandale affreux ». Le processus est révélateur des contradictions de deux systèmes et de deux préoccupations. Les mesures énoncées par l’ordonnance visent, quant à elles, à réprimer les velléités libérales :

39– Défense à toute personne faisant commerce de grains d’acheter les blés dans les greniers et magasins de la ville ;

40– Défense de blater ou falsifier les blés ;

41– Défense de paraître dans les marchés ou aux alentours, avant 10 heures du matin en hiver et 9 heures en été, afin que bourgeois et particuliers de la ville puissent s’approvisionner des grains qui leur sont nécessaires ;

42– Injonction à tous les bourgeois et autres particuliers de la ville d’envoyer au marché les grains qu’ils veulent vendre et interdiction d’en vendre dans les greniers, sous peine de 500 livres d’amende (dont le quart au dénonciateur) ;

  • 91 Sur les conceptions économiques du commerce des grains, voir les éclairages apportés par la thèse (...)

43– Défense aux revendeuses et autres particuliers d’acheter, les jours de marché, des denrées ailleurs qu’au marché sous peine de confiscation des produits achetés et de 6 livres d’amende « applicables » aux pauvres de l’Hôtel-Dieu91.

  • 92 B5310, ordonnance de police du 12 mars 1781.
  • 93 Sur ce thème de la spéculation et des héritages : Y. Castan, Honnêteté et relations sociales…, op. (...)

44Un autre texte réglementaire, un peu antérieur au précédent, puisque publié le 12 mars 1781, souligne que le processus, loin d’être isolé, touche d’autres produits et particulièrement le bétail92. Après avoir rappelé les dates des quatre grandes foires autorisées par lettre patente du roi du 20 novembre 1653, le procureur fiscal y fustige, au nom de l’intérêt général, ceux qui ne respectent pas ces dates, s’empressant de vendre ou d’acheter les veilles de marché, en allant au-devant des bestiaux que l’on amène, faisant les transactions dans les chemins et carrefours. La pratique perturberait l’approvisionnement du marché public et influerait sur le processus de fixation des prix. Ainsi, du point de vue des particuliers, dans une démarche très individuelle, ne néglige-t-on pas de pouvoir vendre ses réserves au meilleur prix, même au détriment des règles traditionnelles du marché et du civisme espéré. L’attitude spéculative est ainsi considérée comme une des voies de l’enrichissement personnel, au même titre que les tentatives multiples de captations d’héritages93. Le marché est là un révélateur. La tentation d’amasser des gains faciles n’est jamais absente, même quand les autorités s’efforcent de faire croire qu’à ce jeu, chacun peut perdre son honneur.

Modes de passation des marchés

  • 94 B5302, 4-03-1771, affaire Daugeuil-Gautier, Sablé.

45Le mode de passation des marchés paraît, dans nos sources, largement dominé par l’importance des conventions verbales. Sans doute, notamment quand les transactions ont une certaine ampleur ou quand se constituent des sociétés à caractère durable, des contrats passés devant notaire ou sous seing privé sont-ils précautionneusement exigés. L’écrit reste un ordre de référence. Les nombreuses quittances et reconnaissances de dettes « pour vendition de marchandises » témoignent de l’importance de l’acte rédigé, considéré comme preuve irréfutable ; l’émoi est d’ailleurs toujours profond quand sont détruits ou subtilisés, jusque dans les maisons, au fond des coffres, les « papiers » qui attestent d’un droit ou d’une créance. Pour autant, nombre de marchés mais aussi de contrats de mise en société n’entraînent pas obligatoirement la rédaction de conventions écrites. La parole donnée est un engagement à respecter les clauses que l’on a négociées en commun. Ainsi tout reniement, même celui que viendrait justifier un état d’ébriété, paraît bien relever de la trahison. La promesse verbale a un caractère impératif et définitif. La garantie étant alors dans le contrôle que peut exercer l’opinion, il importe que le marché soit réalisé au vu et au su de nombreux témoins. Ainsi s’explique pour une part, comme il a été souligné ci-devant, le rôle du cabaret en matière de transaction commerciale ainsi que l’importance que l’on accorde dans nos procès aux témoignages des tenanciers. L’oralité n’empêche pas la mise en place de clauses précises tant sur la nature des produits échangés que sur la durée du contrat, les quantités à livrer, les tarifs ou encore les gratifications éventuelles. Ainsi dans un marché passé avec un marchand mégissier, tel boucher s’engage à fournir toutes les peaux qu’il pourra faire depuis Pâques jusqu’au Carnaval suivant, peaux de moutons comptées deux pour une jusqu’à l’Angevine et ensuite « peau pour peau », peaux d’agneaux et de chevreaux à raison de 13 pour 1294 ; le tout avec avance sur règlement et remise gracieuse d’une douzaine de pièces. Parmi les clauses à définir, les prix sont souvent au cœur des négociations.

  • 95 B5304, 11-04-1774, registre des causes ordinaires.
  • 96 B5419, registre des ordonnances de police.
  • 97 B5292, 22-12-1755, affaire Perard-Lebras, Sablé.

46Sans doute, certains tarifs, parce que fixés par les autorités, ne se discutent-ils pas. Un extrait du registre des causes ordinaires daté du 11 avril 1774 et signé du Bailli rappelle que, « pour l’intérêt du public », il est d’usage de fixer les prix de la viande de boucherie après avoir pris l’avis des différents marchands et « autres notables habitants » et de faire défense aux bouchers, sous peine d’amende, d’excéder les prix définis95. Pour les mêmes raisons et selon les mêmes principes, le prix du pain est l’objet d’attentions identiques de la part des autorités locales96. Mais le rappel nécessaire par les pouvoirs locaux de ces exigences souligne les propensions à ne pas respecter les tarifications essentielles. D’autres prix sont fixés par enchères, au moins disant dans le cas des appels d’offre ou des adjudications de droits ou au mieux disant lors des ventes publiques d’effets divers mais aussi de bestiaux, offrant des satisfactions possibles de biens avantageusement acquis. Surtout, nombre de prix font l’objet de marchandages et parfois de négociations mesquines comme l’attestent nos sources. Sans doute le but est-il d’acquérir ou de vendre au mieux de ses intérêts. Ne pas pouvoir discuter est source de frustration. Mais il paraît aussi toujours de bon aloi que les protagonistes n’aient pas le sentiment d’être floués ou de perdre la face. En la matière il est bien nécessaire de respecter la partie adverse. Qu’un marchandage soit considéré comme n’étant pas honnête, il convient alors d’y mettre un terme. Les réactions peuvent être violentes face à des propositions de prix jugées insuffisantes ou au contraire excessives. Il importe alors de souligner que l’on a compris le jeu de l’adversaire, par exemple, en affirmant qu’il est bien « jeune » pour pouvoir vous tromper, et en ponctuant la réplique d’une bordée d’injures qui se veut démonstrative97. De même, l’affaire facile et d’apparence avantageuse est-elle tentante. Mais la propension à la méfiance oblige à garder la tête froide et à prendre l’assurance que l’on n’est pas en train d’être berné.

47En tous les cas, il apparaît que les moments de marchandages sont des temps forts de la relation et qu’il est courant de se retrouver au cabaret ou en d’autres lieux pour « faire le prix » d’un bien que l’on souhaite acquérir ou vendre. Mais chacun sait qu’il convient alors de jouer la scène au plus juste, de ne pas risquer une parole ni une stratégie qui puissent faire échouer le marché, de préserver sa crédibilité d’homme honnête et compétent sans rien céder sur ses intérêts. Il convient surtout de ne jamais mépriser le partenaire, car dans ces transactions, quels que soient les produits échangés, il est aussi question d’honneur.

Modes de paiement et apurement des comptes

  • 98 B5273, 7-04-1733, affaire Loison-Nouy, Sablé.

48Sans surprise, la source n’est guère plus bavarde sur les techniques comptables et les modes de paiement. De l’usage de livres de comptes, il est fait mention, même si ce n’est que de façon allusive. La précision avec laquelle est rapporté, dans certains procès, l’état des comptes suppose, pour le moins, la tenue d’une comptabilité rudimentaire par ceux dont le métier est de faire commerce. Pour autant, dans le cadre d’échanges multiformes, dans lesquels chacun peut être vendeur ou acheteur, le recours, en cas de conflits, aux témoignages oraux tend à montrer qu’il n’existe pas toujours de preuve écrite de ce qui est dû. De même, la meilleure façon de prouver que l’on est quitte de tout solde est bien de poser sur la table du cabaret l’argent sonnant et trébuchant que l’on tire de sa bourse devant des témoins que l’on croit dignes de confiance. Les pièces de procédure ne nous permettent pas d’entrer dans la complexité des méthodes, mais elles nous révèlent à nouveau des attitudes. Il peut arriver que le paiement immédiat d’un bien ou d’un service accompagne la vente : il est alors relevé que tel a payé « au comptant ». Il s’agit souvent de menus achats, là quelques boisseaux de blé, ailleurs, une poignée de fils ou des denrées diverses. La pratique peut encore se rencontrer lors de transactions plus importantes, tel ce marchand qui aurait vendu et livré à un autre marchand, forain, environ 200 livres de cire ainsi que « certaines quantités de chanvre », les deux partis reconnaissant ne plus rien se devoir98.

  • 99 Parmi d’autres : B5302, 4-03-1771, affaire Daugreuil-Gautier, Sablé. Il s’agit d’un marché de peau (...)
  • 100 B5277, 28-07-1738, affaire Angoulvent-Lebreton, Sablé.
  • 101 B5277, 28-07-1738, affaire Angoulvent-Lebreton, Sablé.
  • 102 B5271, janvier 1731, affaire Rezé-Turpin, Solesmes.
  • 103 Par exemple : B5309, 26-07-1780, affaire Rechin-Guyon, Précigné.
  • 104 B5278, 17-11-1739, affaire Gazeau-Chevron, Sablé.
  • 105 B5270, 27-03-1730, affaire Oger-Morin, Sablé.

49Pour autant, l’achat d’un bien ou d’un service se traduit très rarement par une compensation monétaire immédiate. La plupart des paiements, par stratégie de contournement, sont scrupuleusement différés et l’apurement des passifs est souvent tardif. Une date d’échéance a pu être fixée, elle n’est pas toujours respectée : l’expiration du délai venue, le vendeur, alors qu’il annonce un besoin toujours imminent de son argent, ne peut que déplorer que son débiteur ne se mette en peine de « solder ny compter99 ». Le recours ipso facto au paiement différé est une pratique reconnue et acceptée, même pour de petits achats. Dans une procédure ouverte en juillet 1738, la veuve Emeron, témoigne avoir vu, il y a deux ans, le sieur Lebreton, depuis lors décédé, demander des étoffes, entre autres du « molton », à l’épouse de Jean Angoulvent, marchand, en affirmant qu’il n’avait pas d’argent comptant, mais que la dite Angoulvent mesura le « mol-ton » fin, étoffe blanche, et le donna au dit Lebreton100. L’achat des produits de première nécessité entre aussi dans ces dépenses toujours réitérées et que l’on espère pouvoir solder au mieux. La pratique est aussi courante entre marchands qui n’ont pas toujours une avance de trésorerie suffisante pour régler leurs achats au comptant. Ainsi tel marchand tanneur peut affirmer que « le commerce se fait plus en crédit qu’au comptant », ce qui oblige d’avoir une intégrité reconnue et la confiance des partenaires101. Le procédé se retrouve enfin dans la rémunération des services, qu’ils soient occasionnels ou permanents. Ici, un métayer déplore avoir effectué des labours au profit d’un closier voisin, aux environs de la Toussaint sans en avoir été payé six mois plus tard102 ; là, des domestiques déposent ne pas avoir touché leurs gages, souvent plusieurs mois après leur départ103. Diverses raisons peuvent être à l’origine de cette liquidation souvent tardive des comptes et donc de ces échanges qui se font sans qu’il y ait compensation monétaire immédiate. Parmi celles-ci sont les difficultés pécuniaires et les fluctuations des ressources de certains acteurs économiques ; de même, le manque de liquidité monétaire peut-il justifier des formes moins classiques de paiements fondées sur des compensations espérées dans des échanges à venir ; ainsi peut-on attendre de flux de marchandises ou de services réciproques, qu’ils viennent équilibrer des comptes sans qu’il y ait nécessité de recourir à des contreparties monétaires. Là paraît l’essentiel car une multitude de besoins peuvent être ainsi satisfaits. Nos sources attestent de cet enchevêtrement de services et de biens que l’on échange, complexifiant la clarification des comptes et motivant certaines plaintes devant le tribunal. L’affaire est classique : dans une requête datée du 17 novembre 1739, François Gazeau, soutient avoir eu un arrêté de compte avec Jean Chevron, tous deux marchands, du restant des condamnations principales d’un jugement du 2 février 1737, l’ensemble revenant à la somme de 27 livres, « ainsi que de tout ce que le dit Chevron pouvait lui demander » ; mais, en même temps, Gazeau prétend que Chevron lui doit aussi 25 livres pour le magasinage de blé, ce que nie le dit Chevron, prétendant que le service a déjà été compté et payé, « à la réserve d’une demi fourniture de grains104 ». Enfin convient-il de ne pas négliger, parmi les facteurs propres à retarder le paiement de ce qui est dû, la propension marquée à ne pas se séparer de son pécule et le choix délibéré de supporter un passif qui préserve les quelques écus amassés par le labeur ou par l’opportunité d’une somme héritée et soigneusement gardée dans les coffres ou les armoires. L’essentiel est bien de ne jamais se démunir. Le débiteur n’a pas à faire montre d’empressement inutile à liquider ses dettes ; il a toujours intérêt à gagner du temps, à jouer de la patience de son créancier, en reconnaissant qu’il n’oublie pas qu’il est bien redevable, en rappelant qu’il a déjà effectué quelques remboursements intermédiaires ou qu’il est dans l’attente d’une opportunité pour payer. En même temps, il est de mauvais ton, de la part des créanciers, de vouloir mettre trop vite à la raison les mauvais payeurs. Ces derniers s’offusquent volontiers qu’on leur mette le couteau sous la gorge, ou pis, qu’on leur réclame leur dette en public, au point d’en porter plainte devant le tribunal. Menacer d’envoyer un huissier est ulcérant et considéré comme un affront qu’il faut relever. Inversement, c’est un geste reconnu que d’accorder un nouveau délai, geste qui parfois vaut bien bouteille au cabaret. En tous les cas, s’il est légitime de vouloir récupérer son argent, il est aussi important d’avoir fait preuve de patience à l’égard du débiteur. Ainsi peut s’expliquer le fait que le tribunal ait à trancher des litiges parfois plusieurs années après la conclusion d’un marché, tel ce maréchal, qui, dans un procès ouvert en 1730, vient réclamer l’argent qui lui serait dû (8 livres), pour la vente de deux petits cochons réalisée trois ans auparavant, entre l’Angevine et la Toussaint de l’année 1727105.

  • 106 Succession du sieur Joseph Crochard, bourgeois, 14-12-1781, Solesmes. Archives départementales de (...)
  • 107 Succession de Pierre Guichard, journalier, scieur de marbre. 4 ELVII, 132, Me Houdouin, 18-10-1783

50Les inventaires après décès confirment l’existence et l’importance de dettes passives ou actives dans les économies domestiques (souvent on est à la fois débiteur et créancier), de biens et de services multiples dont on use au quotidien et que l’on n’a pas pris soin de régler. Là se révèlent les soldes d’imposition, les travaux, les gages de domestiques, les médicaments et denrées non payés : sommes souvent infimes mais multiples, empruntées mais pas encore remboursées. Ainsi dans la succession du sieur Crochard, bourgeois, il est mentionné que le dit Crochard doit à Gabriel Chauveau, marchand, pour différentes denrées, la somme de 15 livres et 10 sols, au cordonnier, pour le prix de souliers fournis tant pour le défunt que pour sa veuve et sa fille, 12 livres et 10 sols, pour restant d’impôts (paiement du vingtième), 12 livres et 2 sols, enfin pour une année de gages domestiques échue au jour de la Saint-Jean-Baptiste dernier, 27 livres106. Ces pratiques d’emprunts et de règlements différés, tant pour le paiement de travaux ou de marchandises que des redevances, se retrouvent dans tous les milieux sociaux. Voici Pierre Guichard, journalier, qui laisse au moment de sa mort, sous forme de dettes passives107 :

  • Au notaire Maître Houdouin pour le coût de son contrat de mariage avec feue Marie Mignot, en date du 30 octobre 1777 : 8 livres 7 sols ;
  • À sa mère pour argent prêté : 7 livres 4 sols ;
  • À son beau-frère pour argent prêté : 23 livres 4 sols ;
  • À Mathurin Freulon, meunier, pour prix de farine : 20 livres ;
  • Au sieur Girard, Maître chirurgien, pour médicaments : 1 livre 6 sols ;
  • À Marie Bafour, fille couturière pour le travail de son métier : 1 livre 16 sols ;
  • Au collecteur du sel d’impôt de la paroisse pour la présente année : 3 livres 17 sols ;
  • À l’expert pour inventaire des meubles : 3 livres.

51Dans l’exemple présent, le recours à l’emprunt paraît être une nécessité pour se nourrir, se vêtir ou se soigner. Les difficultés matérielles sont une réalité qu’il convient en permanence de prendre en compte. Les solidarités familiales sont alors un premier secours. Parallèlement, le document nous apprend qu’il est dû au dit Guichard une somme de 55 livres et 3 sols pour des journées de travaux exécutés mais pas encore rémunérés. Sans doute faut-il comprendre qu’il s’agit là d’un système reconnu, nécessaire à la satisfaction des besoins fondamentaux mais aussi aux obligations de l’échange et de la production, dans le cadre d’une pénurie de moyens de paiement. Des stratégies identiques se retrouvent dans le monde des gens de campagne pour des sommes qui, souvent, ne sont pas négligeables : argent prêté et non rendu, comptes non soldés tant pour restant de taille ou de droits seigneuriaux que pour travaux ou gages des domestiques non payés. Les exemples sont récurrents. Ces stratégies contribuent à modeler les rapports à l’argent et à complexifier les flux de l’échange monétaire.

  • 108 B5273, 7-03-1733, affaire Bardet-Duveau, Sablé.
  • 109 B5307, 3-03-1777, affaire Morin-Bastien, Sablé.
  • 110 B5277, 28-07-1738, affaire Angoulvent-Brehier, Sablé.

52L’enchevêtrement des comptes peut être à son comble quand tel particulier prétend régler ce qu’il doit en abandonnant à son créancier la reconnaissance de dette d’un de ses débiteurs. C’est souvent quand le prêteur voit s’affaiblir ses chances de remboursement que le problème surgit sur la scène judiciaire. Le 7 mars 1733, Antoine Bardet, marchand de draps à Sablé, dépose au greffe du tribunal qu’il aurait vendu, le 27 septembre dernier, à Maître Duveau, prêtre décédé depuis 8 jours, une mante de laine, un tapis de table en points de Hongrie, deux aunes de finette, seize aunes de ras, ainsi que du « molton » et diverses fournitures, fils et boutons, le tout pour la somme de 81 livres ; qu’il n’en aurait touché que 21 et qu’il demande par conséquent qu’il plaise au juge de bien vouloir faire assigner les héritiers108. Ici, c’est un décès qui incite le créancier à se retourner contre ceux qui vont assumer la succession. Une autre fois, c’est la résiliation d’un bail à ferme qui fragilise un débiteur et ravive la mémoire de ceux à qui il doit de l’argent ; ailleurs, c’est l’occasion d’une saisie ou d’une vente de biens qui conduit un prêteur à formuler une demande de remboursement. Usant d’une autre opportunité, François Morin, meunier au moulin du pont de Guéré, Bouessay, ne pouvant être payé d’une somme de 18 livres pour prix de farine livrée à un certain Bastien, « ci-devant métayer », et ayant entendu qu’il était dû au dit Bastien une certaine somme, vient déposer sa requête au greffe du tribunal avec l’espoir de récupérer quelques deniers109. S’il est toujours difficile d’obtenir satisfaction totale dans les meilleurs délais, il est attendu que chacun puisse recouvrer son bien. Il n’y a ni honneur ni pureté d’âme assurée pour celui qui ne voudrait pas payer ce qu’il doit. Maître Deniau, prêtre à Précigné, dépose qu’après qu’il eut administré les derniers sacrements à un certain Lebreton, ce dernier « fit un codicille » où il rapporta les dettes qu’il se souvenait devoir et qu’à la remarque qu’il pouvait s’en trouver d’autres, il opposa que « si s’étaient des honnêtes gens, il faudrait les payer110 ». Sans doute la générosité est-elle, dans ce dernier exemple, facile mais s’acquitter de ses dettes est un devoir, jusque devant Dieu. D’une façon générale, les pratiques avivent des impatiences réciproques qui s’expriment dans un jeu subtil de relations entre créanciers et débiteurs où chacun veut faire montre de sa bonne foi et de son bon droit. Mais il peut arriver alors que les protagonistes se retrouvent devant la justice. Dans ces formes conflictuelles de sociabilité nées de l’échange, se dévoilent encore des mises en scène qui révèlent les comportements et les sensibilités.

Mauvaises affaires et conflits autour des échanges

  • 111 B5287, 6-02-1748, demande en séparation de biens d’entre Jeanne Langlois et Joseph Gandon, Sablé.
  • 112 B5304, 18-03-1774, demande d’interdiction, affaire Couet, Sablé.

53Les mauvaises affaires et particulièrement les faillites de marchands sont souvent présentées, dans nos sources, comme étant liées à l’incompétence et à l’inconstance des protagonistes. Dans le travail, les capacités professionnelles sont une valeur reconnue et revendiquée. À partir des demandes en séparation de biens déjà évoquées, nous avons pu souligner que les jugements portés à l’encontre de ceux qui ne maîtrisent pas leur métier sont sans équivoque. Être criblé de dettes, avoir des affaires totalement dérangées, ne pas savoir mener son commerce sont des situations ou des pratiques toujours jugées de façon très négative. Ainsi il est reproché aux incompétents d’ignorer jusqu’aux bases les plus évidentes du métier : méconnaissance des prix, ventes à perte, inaptitude à évaluer l’état d’un marché, à reconnaître le coût de la valorisation d’un bien, propension à acheter de mauvais produits ou encore à s’abandonner à une gestion malsaine de ses affaires. Parmi d’autres, la procédure ouverte à l’encontre d’un nommé Joseph Gandon, marchand à Sablé, est caractéristique des jugements sans appel portés sur de tels comportements par l’opinion commune ; un premier témoin, cordonnier de 33 ans, et qui affirme connaître Gandon depuis plusieurs années, vient déposer que le dit Gandon n’entend rien à son commerce, qu’il lui a souvent dit qu’il faisait mal ses affaires car il achetait ses marchandises plus cher qu’il ne pouvait les revendre. La démonstration recourt toujours à l’exemple ; ainsi, au commencement de l’été dernier Gandon aurait acheté à un tanneur de Parcé, « des peaux de cuir » au prix de 31 livres la pièce ; mais n’ayant pas de quoi les payer, il aurait été contraint de les rendre au dit tanneur qui les aurait reprises sur la base de 25 livres ; de même, aurait-il vu le susnommé acheter une peau de vache 8 livres, laquelle après tous les travaux du métier de tanneur ne put être revendue que 9 livres. Enfin il peut affirmer que « Gandon se conduit dans tous ses marchés en homme incapable de commerce ». Un second témoin vient confirmer qu’il sait « avec tout le pays » que notre marchand n’entend rien à son commerce ; ainsi aurait-il accepté, il y a environ 4 ans, de l’écorce au prix de 48 livres la charretée laquelle se vendait alors autour de 38 livres. Un marchand hôte vient déposer à son tour que depuis de nombreuses années Gandon fait des marchés sur lesquels il perd considérablement, particulièrement, il y a environ 3 ans, dans un marché de peaux de veau qu’il vendait à raison de 18 sols la livre « tout accommodées », pendant qu’il les achetait en poils 21 sols111. Le jugement est tout aussi sévère à l’égard de cet autre marchand tanneur qui, possédant sur le port un dépôt de marchandises qui lui donne droit à des rétributions, s’obstine, au lieu de percevoir ces droits, à en faire « gratuitement remise à ceux qui en usent112 ». Toutes les négligences mais encore toutes les prodigalités sont considérées comme coupables. Ainsi s’expriment, en la matière, incompréhension et réprobation. La banqueroute et la décadence qui l’accompagne sont honteuses. Nul ne peut s’empêcher d’y reconnaître des signes d’incompétence et des comportements contraires à tout bon sens. Les origines sont toujours exprimées en termes de responsabilité personnelle ; les aspects conjoncturels et les conditions fortuites qui peuvent mener à la dérive sont rarement évoqués. Dans une demande en séparation de biens, un nommé Vachereau, colporteur de son état, demeurant à Sablé, doit bien reconnaître l’état désastreux de ses affaires : dettes passives de 2894 livres pour un avoir en marchandises de 540 livres, et des créances évaluées à 672 livres. Mais, comme par excuse, il vient préciser que c’est bien là l’effet de « la misère et de la dureté des temps », mais aussi celui de la malchance, la chute d’un cheval dans un bourbier lui ayant occasionné l’avarie de deux balles de mousseline et autres marchandises fines qui se trouvent « toutes gâtées » ; s’il dépose son bilan, est-ce encore par « dure nécessité », car là s’ouvre la voie qui conduit à ne plus pouvoir subvenir à ses besoins, à la déchéance, voire à la mendicité qui signifie dépendance, opprobre, exclusion et perte de dignité sociale. L’assurance de préserver son honneur est aussi dans l’aptitude à vivre de son travail.

  • 113 B5302, 4-03-1771, affaire Daugreuil-Gautier, Sablé.

54Les plaintes déposées par les vendeurs à l’encontre de leurs clients sont, pour la plupart, motivées par l’absence de règlement d’une somme due. Beaucoup de ces procédures, nous l’avons souligné, n’interviennent que plusieurs mois après la transaction. Mais, sans doute, tous les vendeurs n’ont pas cette patience. Un 4 mars 1771, un marchand boucher dépose avoir vendu sa saison de peaux à un mégissier qui refuse de payer, bien que le marché ait reçu son expiration au Carnaval dernier. Mais dans cette affaire encore, au préjudice économique, s’ajoutent l’exaspération du dit marchand d’avoir été abusé, et le dépit de penser que son débiteur « se joue de lui », usant de l’habileté de ne pas nier la dette mais de toujours différer son règlement113.

  • 114 B5286, 17-04-1747, Sablé.
  • 115 B5296, 9-11-1764, affaire Dupont-Cabiron, Sablé.

55Le contentieux ouvert par les acheteurs à l’encontre des vendeurs a des origines plus variées. L’un s’emporte pour de la marchandise non livrée, un autre s’étonne d’une promesse de vente non tenue ; un autre encore peut s’indigner parce qu’il juge qu’on ne lui a pas livré la quantité nécessaire, ici de vin, là de blé ou de farine. Mais toujours à la crainte de perdre de l’argent s’ajoute la rage d’avoir été floué ; les manifestations de mécontentement se doivent alors d’être publiques et souvent théâtrales. Telle femme de journalier après être venue au moulin récupérer la farine provenant de 6 boisseaux de froment qu’elle avait achetés au marché de la ville, s’empresse de la mesurer et s’émeut de ne pas trouver la quantité habituelle, mobilisant les témoins, réclamant l’expert, envoyant chercher la femme du boulanger pour confirmer la tromperie. Là encore, l’échange est mis en scène, et il importe que soit donnée à l’affaire la dimension publique qu’elle mérite114. La mauvaise foi du vendeur est aussi dénoncée quand celui-ci se voit accusé d’avoir, à dessein, vendu et livré un produit de mauvaise qualité. Mais l’arme peut être à double tranchant, comme dans cette affaire ouverte par un marchand à l’encontre d’un homologue accusé de lui avoir vendu « un cochon atteint du mal caduc ». Ainsi est-il aisé à la défense d’affirmer qu’il s’agit bien, de la part de l’acheteur d’une stratégie visant à annuler le marché, qu’il a peut-être lui-même donné de la lie (ou ivraye) au cochon, ce qui suffit à donner à l’animal « des mouvements convulsifs extraordinaires115 ».

  • 116 B5274, 26-09-1735, affaire Dugast-Huard, Pincé.
  • 117 B5275, 9-09-1736, affaire Bouvier-Chamard, Sablé.
  • 118 B5280, 31-05-1741, affaire Desnoe-Landeau, Sablé.
  • 119 Planches de bois permettant de rehausser les montants de la charrette.
  • 120 B5296, 31-08-1763, affaire Gasnier-Gruau, Noyen.

56Le mode de passation des marchés qui privilégie l’accord oral des contractants est propre à favoriser certains conflits. L’absence de référence écrite est source d’interprétations diverses sur lesquelles s’appuient des revendications d’intérêts particuliers. Tel voiturier par eau prétend avoir été associé à un marché visant à faire conduire 17 trains de bois de marine jusqu’à Angers et déplore qu’on ne veuille pas lui donner sa part des bénéfices, ses partenaires affirmant qu’il a été pris non comme associé mais comme homme de journée. Sans doute faut-il comprendre que le contrat, strictement oral, a pu être apprécié différemment par les protagonistes. Un témoin confirme que, si certains ont bien voulu l’associer, d’autres n’ont pas donné leur consentement et que s’il a pu faire partie de l’association pour la constitution de certaines voitures, pour d’autres, il n’était bien là qu’à titre d’homme de journée116. La contestation peut tout aussi bien porter sur le prix arrêté au moment de la conclusion d’un marché, chacun ayant à l’heure de solder les comptes, la mémoire de ses intérêts. Tel métayer, qui aurait accepté la vente d’une brebis au prix de 3 livres 1 sol, annonce dans un autre lieu qu’on lui avait bien promis 4 livres117. Le recours au contrat verbal permet aussi de récuser un marché pour lequel on s’était avancé un peu vite. Jean Denoe, marchand, dépose qu’un certain Landeau, marchand fermier, aurait promis de lui vendre deux grands bœufs pour la somme de 100 livres. Landeau, pour se défendre, prétend qu’il n’a jamais voulu vendre ses grands bœufs ; que s’il a fait une proposition de vente à 100 livres, c’est pour le prix de deux petits bœufs ; s’y ajoute l’argument que l’on croit recevable par le tribunal, que Desnoe, était le jour de l’accord, rempli de vin, pouvant à peine parler118. L’interprétation de clauses insuffisamment précises peut être aussi source de conflit. Elle souligne les propensions à ruser pour des victoires que l’on considère importantes et qui sont proportionnelles à l’agacement ressenti par la victime. L’affaire qui oppose Antoine Gasnier, entrepreneur en bâtiment, à Jean Gruau, bourgeois, est à ce titre révélatrice. Le marché est banal : achat de fumier pour une somme de 5 livres 8 sols, avec clause prévoyant pour l’acheteur « la liberté de faire charger une charte et d’y mettre autant qu’il pourrait », laquelle charte sera tirée par huit bœufs et deux chevaux. L’opération paraît à son terme quand le nommé Gruau, vendeur et défenseur, vient s’opposer à l’enlèvement du fumier avec nombre d’invectives à l’encontre de son client, lequel prétend qu’il a d’autant plus raison de déposer sa plainte qu’il a déjà versé la somme de 4 livres au charretier venu accomplir la tâche. Le fond de l’affaire nous est expliqué par un meunier voisin qui vient déposer qu’il a bien remarqué que le dit Gasnier, demandeur, avait fait entourer la charrette de « champlattes119 », sur chaque côté afin de mieux la charger. Le préjudice paraît bien là financier, mais il est aussi moral : le sentiment d’avoir été berné exacerbe le discours et explique propos vengeurs et injures déversés à discrétion120.

  • 121 B5283, 31-01-1744, affaire Pellier-Daugré, Sablé.
  • 122 Par exemple, B5295, 1762, affaire Hublain-Noyer, Sablé.
  • 123 B5289, 5-04-1751, affaire Brillet-Bardet, Sablé.
  • 124 B5310, 4-12-1781, affaire Hayer-Roisné, Précigné.

57Les conflits à caractère professionnel révèlent les mêmes propensions à l’indignation outragée de la part de celui qui se pose en victime. Les affaires de concurrences jugées déloyales sont, de ce point de vue, les plus nombreuses. Voici sous le regard public les menaces proférées par les frères Daugré et par un nommé Chedanne, tous bouchers, à l’encontre de leur collègue Jean Pellier : injures diverses, embuscades, interpellations, irruption au domicile et au magasin de ce dernier, coups de pied, « si bien que plusieurs femmes doivent venir s’interposer ». Un témoin explique qu’ils voulaient maltraiter Pellier parce que ce dernier allait toujours au-devant de leurs marchés121. De même, nous observons des expressions de satisfactions non dissimulées à faire échouer les négociations en cours autour d’un marché convoité. Marchés de fils et de peaux sont souvent l’objet de surenchères jugées déloyales ; pour un paquet de fils à acheter, tel marchand vient proposer au vendeur bien davantage que son concurrent, affirmant que ce dernier est bien fripon et voleur122. Telle femme de marchand tanneur est « traitée de bougre de putain » par son voisin et concurrent pour avoir détourné vers sa maison un homme qui s’apprêtait à lui vendre une peau de taure, mais aussi pour lui avoir fait tort de plus de 10 livres sur un autre marché. Il est vrai que dans cette affaire le contentieux économique ne fait qu’alimenter des querelles de voisinage et des propensions chicanières et paraît bien s’inscrire dans une stratégie qui vise à nuire et à discréditer123. C’est encore le cas dans ce procès qui oppose deux marchands étaminiers, l’un reprochant à l’autre de l’avoir trompé sur le prix qu’il vendait ses étamines, le préjudice motivant une distribution de coups124. Dans ces conflits, ce qui importe c’est de se montrer en victime éplorée, d’affirmer que l’autre a mal agi non par mégarde mais par « malice », avec la volonté de nuire et de détruire. D’autre part, le fait d’avoir été floué est toujours insupportable. Il est alors important de pouvoir prendre les autres à témoin, de gagner leur approbation, leur compassion ou leur soutien. Car ce qui est essentiel, c’est en toutes circonstances de ne pas perdre la face, à défaut de pouvoir sauvegarder ses intérêts matériels. Ces attitudes se retrouvent dans les relations qui naissent du travail de la terre et des métiers.

Autour du travail

Maîtres, compagnons et apprentis

  • 125 B5319, 30-06-1789, rapport du procureur fiscal.

58Peu d’échos nous parviennent des ateliers. Maîtres et compagnons ne sont pas absents du paysage que nous livre l’archive judiciaire ; mais ils occupent alors un espace de sociabilité qui ne relève pas prioritairement du travail. Des rapports qui se jouent au sein de la maison du maître, nous ne touchons que des bribes. Des solidarités s’y expriment parfois ; le compagnon est alors un peu de la famille. Pour autant, l’atelier n’est probablement pas qu’un idéal de paix ; ici, le maître peut être autoritaire ou mauvais payeur ; là, le compagnon paraît avide d’horizons renouvelés, en quête d’un statut moins servile ou simplement d’un meilleur traitement. Ainsi, la mobilité paraît-elle bien réelle, soulignant la limite du processus reconnu d’intégration au tissu familial, exprimant aussi des libertés que ne saurait donner l’état domestique. Le compagnon a son métier et ses outils ; il n’est parfois que de passage, de retour ou en partance. En touches imprécises, les pièces de procédure ne laissent alors que quelques images fugaces. Voici Jacques Girard, charpentier, dit Lorraine, retrouvé noyé dans un endroit du petit port un 30 septembre 1789 : il portait alors une veste de panne grise dont le corps était de laine, un pantalon de toile de coton à rayures rouges et blanches, une chemise de toile grise avec des boutons de cuivre à ses manches, ainsi qu’un mauvais gilet de laine ; dans sa poche sont retrouvés un couteau à ressort, 3 deniers, un petit chapelet de verre, un mouchoir de coton blanc à barre rouge « lui servant de col », un petit portefeuille dans lequel sont découverts un extrait de baptême ainsi que trois certificats de maîtres chez qui il a travaillé à Nantes : pièces toujours à portée de main, essentielles pour qui va quérir du travail. Ses effets laissés chez l’employeur du moment sont rangés dans deux sacs ; l’un en peau de bique contient quelques vêtements et un peu de linge, avec encore un mauvais couteau, un fifre et un hautbois ; l’autre, en peau de chevreau protège les outils de charpentier : reinette, compas, cordeau avec sa virole, jauge125. De ces objets, qui sont autant de signes de reconnaissance, émergent des façons d’être et de vivre. Voici encore Louis Godebert, natif de la paroisse Saint-Martin de Sablé, parti exercer son métier, muni d’un laissez-passer qu’ont pu lui accorder les échevins de la ville de Falaise, généralité d’Alençon, diocèse de Sée :

  • 126 B5303, 2-11-1773, laissez-passer.

« Prions tous ceux qui sont à prier de laisser passer sûrement et librement le nommé Louis Godebert, fils de Louis Godebert et de Marie Tessé, originaire de la paroisse de Saint-Martin de la ville de Sablé, province du Maine, âgé de 21 ans 5 mois […] taille de 5 pieds ou environ, cheveux et sourcils bruns, marqué d’une cicatrice et d’une envie à la joue gauche […], pour aller à Caen et ailleurs dans l’étendue de ce royaume y exercer sa profession de compagnon tailleur. Sans lui donner ni souffrir qu’il luy soit donné aucun trouble ny empêchement et de luy accorder toute assistance dans les occurrences où il en aura besoin comme nous ferions en pareil cas à ceux qu’ils voudraient nous adresser en foi de quoi nous avons signé le présent fait contresigner par notre greffe et apposé les armes de cette ville ce 2 novembre 1773126. »

  • 127 B5306, 8-01-1776 ; B5306, 12-08-1776 ; B5314, 25-04-1785 ; B5318, 7-02-1788 ; B5319, 30-06-1789, Sa (...)
  • 128 B5292, 5-12-1756, affaire Favre, Sablé.
  • 129 Sur l’existence d’associations de compagnons et la nature du contrôle qu’elles exercent : F. Pitou (...)

59De cette liberté d’aller naissent des sentiments d’indépendance. Certains compagnons ne sont que de passage. D’autres n’ont pas cette mobilité, mais tous se retrouvent au cœur d’une sociabilité juvénile effervescente. Des solidarités de métiers très prégnantes paraissent s’exprimer à l’occasion de ces sorties souvent nocturnes, tant dans les actes festifs que dans les rixes et tumultes qui perturbent le repos public. Là, comme acteurs ou témoins nous retrouvons, parmi d’autres, Jean Louis Toureau, dit Compiègne, compagnon charpentier, la Violette, compagnon potier en terre, Jean Laroche, dit la Gaité, compagnon tisserand venu du bourg de Bazouges (près de La Flèche), Joli Cœur, garçon meunier, La Ruine, compagnon charpentier127. Pour autant, l’intégration au monde local des gens de métiers n’empêche pas les oppositions entre compagnons du lieu et ceux venus d’ailleurs, pour peu que la conjoncture soit défavorable à la quête d’un emploi. C’est bien ce qu’illustre cette rixe de cabaret qui oppose un compagnon chapelier de Sablé à deux autres compagnons de La Flèche « pour ce qu’on nomme le devoir », le premier disant aux deux autres « d’aller chercher du travail ailleurs128 ». Sans que soit attestée, peut-être faute de nombre, l’existence d’associations de compagnons, il semble bien que puissent s’exercer localement des réactions à caractère xénophobe à l’encontre de ceux qui, venus de l’extérieur, viendraient solliciter un emploi. Ainsi existeraient, pour le moins de façon informelle, des formes de contrôle du marché du travail. Les réactions observées relèvent bien de comportements spontanés faits de défiance à l’égard de l’autre et d’intérêts particuliers à défendre. L’existence de laissez-passer, dans la forme de celui que nous avons mentionné ci-dessus, souligne bien les difficultés pour celui qui a choisi de prendre la route de s’intégrer au tissu local, quand la conjoncture exacerbe les craintes. En revanche, il nous est impossible de déceler la manifestation de pressions émanant de groupes organisés129.

  • 130 En complément des informations judiciaires, 53 brevets d’apprentissage ont été dépouillés de façon (...)
  • 131 4E89, 558, 17-07-1751, Maîtres Houdouin Pochard, Moyré.
  • 132 4E89, 23-02-1753, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré, Sablé.
  • 133 4E89, 23-04-1753, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré, Sablé.
  • 134 4E89, 21-08-1754, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré, Sablé.
  • 135 Parmi d’autres : 4ELVII : 17-01-1780, 12-06-1780, 6-08-1780.
  • 136 4E89, 11-02-1752, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré, Sablé.

60Peu loquace sur le monde des compagnons, la source l’est davantage sur le face-à-face maîtres-apprentis. Au demeurant, les rapports sont là, définis de façon contractuelle, par l’existence de brevets d’apprentissage, dûment signés devant notaires130. Au-delà des formules, la lecture exhaustive et attentive de ces contrats laisse poindre une perception très positive de l’apprentissage compris par les parents comme un passage permettant à l’enfant « une vie plus facile ». Nous retrouvons le souci des parents de vouloir contribuer au bien-être de leurs enfants. Là, un père veut « seconder son fils dans ses desseins de devenir boulanger131 ». Plus explicite encore paraît la déclaration en forme de préambule à l’acte signé le 23 février 1753 par René Mauduit, marchand, qui souhaite placer son fils Laurent en apprentissage chez un maître perruquier avec la volonté de « donner un métier à son fils, pour luy faciliter les moyens de vivre à son aise », mais aussi de lui laisser « la liberté de choisir à son goût » et de prendre un métier qui lui convienne et qui soit proportionné à ses forces. C’est encore le fils Laurent qui, après en avoir « conféré » avec son père, se serait décidé pour le métier de perruquier, avant de contacter le sieur de la Primaudière, pour qu’il soit son maître d’apprentissage132. Plus sobrement, Alexandre Haurée, cabaretier, déclare qu’il souhaite placer son pupille chez un marchand tisserand par volonté de lui fournir le moyen de gagner sa vie133. C’est aussi le prétexte avancé par la veuve Motais qui veut faire apprendre à son fils le métier de sarger134. L’argument est bien récurrent et se retrouve jusqu’à la fin de la période étudiée dans une expression qui n’est pas exempte de formalisme, mais qui, avec la volonté affirmée qu’il apprenne à gagner sa vie135, souligne le souci d’agir pour le bien et l’avantage de l’enfant. Il faut comprendre que la maîtrise d’un métier est d’autant plus valorisée qu’elle éloigne de la situation de dépendance qui caractérise la fonction domestique. L’apprentissage est prioritairement une affaire masculine. Mais pour les filles, il est par exemple possible d’apprendre par cette voie le métier de lingère ou celui de couturière ; là encore peut s’exprimer une utilité du métier que l’on veut faire apprendre quand il est dit, pour telle fille, que l’on souhaite lui donner une formation qui lui permette de « travailler pour son compte dans l’habillement136 ». L’apprenti est en général âgé de 14 à 20 ans, rarement plus mais aussi rarement moins ; il n’est donc qu’exceptionnellement un tout jeune garçon. Nous le retrouverons dans un grand nombre de corps de métiers, surtout dans le textile et l’habillement (cadreur, tisserand, poupelier, étaminier, tailleur d’habits, chapelier) mais aussi dans les professions du cuir (corroyeur, cordonnier, gantier) et du bâtiment (maçon, charpentier, menuisier).

61Les temps d’apprentissage paraissent dépendre des savoir-faire à assimiler, six mois pour un cardeur, un an pour un menuisier, un an et demi pour un tailleur d’habits mais deux pour un poupelier ou un charpentier et trois pour un serrurier. Marchands et artisans sont les premiers mais pas les seuls à rechercher pour leurs fils la voie de l’apprentissage ; plus rarement, quelques enfants pauvres y accèdent grâce aux aides des autorités locales. En revanche, les gens de campagne restent en marge du système, peut-être par pesanteur sociologique, sans doute par volonté de garder à la terre des forces de travail renouvelées.

  • 137 4E89, 558, 10-01-1751, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré ; 1-02-1754 ; 10-09-1754.
  • 138 4ELVII, 129, 6-08-1780, Maître Houdouin.
  • 139 4E89, 558, 1-08-1753, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré.
  • 140 4E89, 558, 1-08-1754, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré.
  • 141 4E89, 558, 6-10-1752, Maîtres Houdouin Pochard, Moyré.

62Les clauses des contrats fixent un cadre fait d’obligations réciproques qui reflètent préoccupations et états d’esprit. Au maître d’abord peuvent revenir des engagements d’hospitalité qui sont d’assurer le gîte et le couvert à l’apprenti ; c’est, par exemple, le cas de ce marchand sarger qui, à chaque brevet signé, reconnaît devoir, le temps de l’apprentissage, « tremper la soupe » deux fois par jour ouvrable et autres, coucher et blanchir l’apprenti quand il y aura lessive chez lui137. Ailleurs, il peut s’agir, plus modestement, de fournir une paire de souliers, de sabots ou encore de prêter les outils nécessaires au métier. Plus exceptionnellement se retrouve aussi l’obligation d’habiller, de soigner, de chauffer ou encore de fournir l’éclairage nécessaire au travail. En fait, à l’égard des conditions matérielles énumérées ci-dessus, nous constatons une grande diversité de situations, les obligations étant, dans un nombre équivalent de cas, portées à la charge du père, de la mère ou du tuteur de l’apprenti ou parfois encore, partagées entre le représentant légal et le maître qui veut bien accueillir. En tous les cas, il est attendu que soient offertes des conditions de vie décentes. Plus récurrente est l’idée qu’il revient au maître d’apprendre le métier, « sans rien en celer » ; tel doit enseigner son métier d’affranchisseur et « tout dont il se mêle en cet état, même à médiciner les bestiaux138 ». Ce journalier attend qu’on enseigne à son fils, âgé de 16 ans, le métier de sarger, à tirer l’étain, à carder et à filer la laine139. La formation attendue du maître a essentiellement un caractère technique et professionnel. Il n’est que très exceptionnellement question de mission éducative ; la mention portée au brevet d’apprentissage de cet autre fils de journalier, âgé de 17 ans, et qui stipule que le maître doit veiller à la conduite de son apprenti de sorte « qu’il se porte au bien » paraît isolée140. Il en est de même de l’exigence portée dans le contrat signé entre un cabaretier pour son pupille et un marchand tisserand et qui prévoit que le garçon sera instruit dans la religion catholique. L’éducation paraît bien prioritairement affaire de famille. En revanche, quelle que soit la période considérée, plus de la moitié des contrats prévoient qu’il revient au maître d’user de patience à l’égard de l’apprenti. Le lexique est sans ambiguïté. Il s’agit bien d’enseigner et de montrer « avec douceur et humanité », de donner bon traitement et de promettre d’avoir à l’encontre de l’apprenti « des égards » qui sont qualifiés de nécessaires ou de convenables. Dans un même registre, d’autres contrats préfèrent se référer aux « attentions » qu’un maître doit à son apprenti, ou à tous les soins qui sont à lui accorder. S’il est admis qu’il puisse y avoir besoin de le reprendre, c’est en recourant « à toute la douceur possible ». Le contrat passé entre la veuve Fléchet et le sieur Landeau, marbrier, prévoit que le dit sieur aura les mêmes attentions et égards qu’il est d’usage aux maîtres d’avoir pour les apprentis141. De telles précautions contractuelles peuvent cacher des réalités diverses. Elles n’en disent pas moins les représentations et les attentes. L’autorité du maître est reconnue à condition qu’elle ne soit pas faite de violences tant verbales que physiques. Il s’agit bien de se garantir de comportements excessifs qui ne respecteraient pas la tempérance que l’on attend de la part de celui que l’on sollicite d’abord pour enseigner un savoir-faire. L’autorité magistrale n’a pas mission à se substituer à l’autorité parentale.

  • 142 Par exemple pour l’apprentissage du métier de serrurier : 4 ELVII, 5-05-1752, Maître Houdouin.
  • 143 4E89, 558, 1754, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré.
  • 144 4E89, 558, 23-02-1753, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré ; il s’agit d’un contrat pour l’apprentiss (...)
  • 145 4E89, 558, 15-07-1753, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré, métier de marbrier.

63Pour autant, il convient d’assurer aux maîtres un certain nombre de droits. Au représentant légal, il revient d’abord de s’acquitter des charges financières : parfois pots-devin en guise de droits d’entrée ou de sortie, mais surtout frais d’apprentissage généralement payables en différents termes, limités parfois à quelques livres mais pouvant aussi atteindre des sommes plus conséquentes, souvent voisines de 40 à 50 livres, parfois supérieures à 100 livres142. Le prix varie en fonction du métier, mais aussi de la durée de l’apprentissage, des prestations fournies ou encore de la qualité de l’aide que l’apprenti paraît pouvoir apporter, de son aptitude à produire rapidement pour les intérêts du maître. Jean Cureau, marchand étaminier, ne demande que 6 livres à l’entrée en apprentissage de René Motais, mais veut obliger celui qu’il accueille à produire, pour son profit, sept pièces d’étamine à raison de 43 « aulnes » chacune, à charge pour la veuve qui vient présenter son fils de payer 15 livres pour chaque pièce que ne serait pas bien « conditionnée » ou que l’apprenti ne « parachèverait pas143 ». Du représentant légal il est encore attendu qu’il soit responsable du bon déroulement du temps d’apprentissage. Tel brevet144 prévoit que si l’apprenti s’en allait avant la fin du bail, il reviendrait au père de « mettre en son lieu et place » un garçon compagnon qu’il serait tenu de payer jusqu’à expiration des 3 ans prévus. Tel autre précise qu’en cas de « sortie » prématurée, il reviendrait au père de trouver et de payer un ouvrier145. De même, plusieurs contrats font-ils obligation de ramener l’apprenti, en cas d’absence injustifiée. La responsabilité parentale paraît là bien engagée.

  • 146 4E89, 558, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré, brevets du 23-02-1753 et du 1-08-1754.
  • 147 4E, 559, 15-07-1753, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré.

64De l’apprenti enfin, il est attendu un comportement de loyauté, qu’il s’engage à apprendre de son mieux, qu’il travaille pour le plus grand bénéfice, profit ou la plus grande utilité de son patron ; de même ne doit-il s’adonner à aucune interruption, sinon pour maladie et, en cas d’absences, rendre le temps perdu après expiration du bail. Des qualités morales attendues, la docilité, l’obéissance et le respect sont les plus demandés. Plus rarement il peut être souhaité par le maître qu’il lui soit porté honneur. Tel paraît être le comportement raisonnable attendu d’une jeunesse que l’on souhaite disciplinée et appliquée. Toutefois, c’est bien prioritairement dans le champ de l’apprentissage du métier que sont espérées, répondant aux attentes du maître, les vertus de l’élève. Peu de contrats évoquent les règles à respecter vis-à-vis du maître, dans le cadre des relations personnelles. Deux brevets seulement précisent que l’allégeance est due à l’artisan mais aussi à son épouse146. Un seul paraît étendre les devoirs à des tâches domestiques : exigence d’un maître marbrier qui attend de son apprenti qu’il prenne soin de son cheval, tant le matin que le soir et qu’il fasse les commissions « à son ordre147 ».

  • 148 B5281, 15-10-1742, affaire Couprent-Cormier, Sablé.

65L’essentiel, dans ces contrats, paraît bien l’équilibre recherché entre droits et devoirs de chacune des parties. Les exigences des uns ont un contrepoids dans les garanties dont veulent s’entourer les autres. Ces contrats notariés offrent un premier regard que vient compléter le document judiciaire quand il nous conduit au cœur des conflits et des relations telles qu’elles peuvent être vécues au quotidien. Des relations antagonistes, des difficultés multiples nées de la vie au jour le jour dans l’atelier ou dans la maison du maître, un exemple peut résumer les diverses facettes148. Le 15 octobre 1742, Jean Couprent, gantier, vient déposer une requête à l’encontre de Guillaume Cormier, marchand gantier, lequel aurait accepté par contrat passé devant notaire le 19 janvier 1740 d’enseigner son métier au fils du plaignant, alors âgé de 14 ans. L’affaire tourne mal, le garçon prétextant de mauvais traitements, appuyé par son père qui déclare qu’on le maltraite journellement et qu’on l’a frappé si vivement qu’il a dû le « faire traiter au lit par un chirurgien et l’y gouverner pendant 8 jours ». Affirmant qu’on n’a pas enseigné le métier à son fils, le plaignant dépose une demande d’annulation du contrat avec remboursement de 15 livres pour les 15 mois de temps qu’il reste à faire et restitution des outils et des habits restés chez le maître ; il exige en outre des dommages et intérêts pour la maladie du fils causée par la violence du dit Cormier. L’accusation multiplie les griefs ; elle déplore d’abord qu’on fasse faire à l’enfant, chaque semaine, deux voyages à une lieue de la ville, qu’on lui fasse porter sa charge de fougère et qu’au retour on lui impose encore de panser un cochon « ce qui n’est point du tout son métier ». La preuve apportée par la partie plaignante au manquement du dit Cormier concernant les obligations d’apprentissage tient dans le fait que le fils Couprent aurait fait, depuis 3 ans, trop peu de progrès, qu’il ignore tout d’un métier qui ne lui a pas été montré. Quant aux actes de violence, le déposant se fait fort de les montrer. Enfin, alors qu’il est dit dans le brevet d’apprentissage que Cormier devait nourrir et avoir le dit Couprent chez lui, tant de jour que de nuit, sa famille aurait eu en plusieurs occasions nécessité de l’entretenir et de l’accueillir. La stratégie du défenseur s’ordonne, quant à elle, autour de trois arguments. Le premier est que la situation lui est plus coûteuse que bénéfique : qu’il a bien voulu non seulement nourrir Couprent, mais aussi le blanchir sans obligation, qu’il lui a aussi fourni un habit de berluche pour le temps d’été ; quant au coucher, il a bien subi un préjudice puisque le dit Couprent « a gâté une couette, par l’habitude qu’il a de faire de l’eau au lit ». Le second argument répond aux accusations de châtiments infligés au dit Couprent ; il vise à justifier le fait en dénonçant l’attitude répréhensible de l’apprenti. D’une part, il se détourne de son devoir, en allant les jours de fêtes et les dimanches avec des libertins voler des fruits. D’autre part, bien loin de répondre aux exigences attendues d’obéissance et de respect, il refuse d’obtempérer aux injonctions qui lui sont faites : ne se serait-il pas exclamé, un dimanche qu’on lui demandait de mettre du bois au feu pour faire le souper : « F., je ne suis pas ici pour être votre valet. » Il aurait en outre appuyé l’exclamation « d’injures atroces » à l’encontre de l’épouse du maître. On ne saurait mieux exprimer d’un côté l’insolence ressentie, de l’autre l’honneur outragé de se voir affublé d’un statut servile. Le troisième argument consiste à montrer la malice qu’il y a à vouloir rompre le contrat : Couprent cherche à sortir de son apprentissage, maintenant qu’il sait un peu travailler du métier de gantier, « par les bons soins » du dit Cormier, dans l’espérance d’aller travailler ailleurs ; car c’est bien dans ce but qu’il a simulé de garder le lit. La justice paraît sensible à l’argumentation puisque le demandeur est condamné à ramener son fils dans la maison du dit Cormier pour satisfaire « avec sagesse » à ses engagements et rendre le temps de ses absences. Pour autant, les dépens n’en sont pas moins « compensés » entre les parties, avec injonction faite au dit Cormier de traiter le dit Couprent avec douceur et prudence, le procureur devant veiller à la conduite de l’apprenti envers son maître, mais aussi au traitement du maître à l’égard de son apprenti. La réponse de la justice paraît bien refléter la dualité de l’opinion qui attend que l’apprenti soit respecté mais aussi que l’employeur ne soit pas lésé dans ses intérêts.

66La source souligne avec force ce que refusent les jeunes en attente d’apprentissage d’un métier. Le rejet concerne d’abord la condition de serviteur que certains voudraient leur imposer. Les tâches exigées, quand elles ne relèvent pas du contrat et qu’elles ne concernent pas l’acquisition de savoir-faire professionnels, sont toujours perçues comme déshonorantes. De même ne sont pas admis les mauvais traitements, qu’ils soient faits de travaux jugés excessifs eu égard à l’âge des apprentis ou de violences physiques ou verbales ; il s’agit bien là de situations ressenties comme intolérables et qui peuvent être utilisées pour demander l’annulation d’un brevet. Les requêtes révèlent encore l’empressement des parents à soutenir leurs enfants. Dans l’affaire évoquée ci-dessous, c’est la sœur de Jean Couprent, qui, venant ramener son frère à la maison de Cormier, donne un soufflet à la maîtresse du lieu. Ainsi se retrouvent les solidarités familiales. La maison parentale est le havre que rejoint l’apprenti fugueur… ou chassé. D’autre part, il est toujours un père, une mère, un tuteur pour prendre la défense de celui qui dit avoir été maltraité. Sans doute, sont encore en jeu l’honneur de la famille et l’attente exprimée de voir son enfant respecté.

  • 149 B5281, 18-06-1742, affaire de la Primaudière-Saligot, Sablé.

67Du côté des maîtres, deux motifs paraissent susciter indignations et inquiétudes. Le premier est l’interruption de fait du contrat quand l’apprenti quitte de façon brutale la maison de l’employeur : le maître exprime alors le sentiment d’avoir été floué puisqu’il a passé bien du temps à apprendre le métier à l’apprenti, et qu’au moment où il pourrait en tirer quelques bénéfices, l’ingrat s’empresse de quitter sa maison pour aller gagner sa vie ailleurs. Yves François de la Primaudière, perruquier à Sablé, reproche à un maître vitrier d’emmener son fils avec lui en Bretagne alors qu’il est encore apprenti pour le temps de 27 mois ; il n’hésite pas à déposer sa plainte et à faire saisir les effets du dit vitrier pour qu’il ne puisse pas quitter le pays149. Ce que dénoncent les maîtres, ce sont enfin les conduites des garçons : manque d’assiduité dans le travail, ou encore absences répétées, parfois pour des occupations jugées libertines. Mais ne paraissent pas plus supportables les réponses insolentes, les défis à l’autorité de celui dont on considère, du point de vue des apprentis, qu’il n’a pas, en dehors du travail, d’ordre à donner. De ces positions naissent les conflits entre maîtres et familles. Le schéma n’est guère différent dans les situations de domesticité.

Maîtres et valets

68L’analyse des pièces de procédure qui mettent en scène maîtres et valets révèle des rapports complexes faits prioritairement d’entraide et de connivence. Les conflits observés ne doivent pas masquer le fait. La condition domestique est le sort de nombre de jeunes, garçons ou filles, particulièrement dans les campagnes. Elle est alors souvent un passage obligé vers l’établissement adulte, temps d’accumulation d’un pécule mais aussi d’apprentissage des choses de la terre et de l’exploitation agricole ou encore d’intégration sociale dans un cadre familial nouveau.

  • 150 B5307, 17-09-1777, affaire Baret, Sablé.
  • 151 B5275, 12-09-1736, affaire Brehier-Garenton, Auvers-le-Hamon.
  • 152 B5299, 28-08-1768, affaire Blanchouin-Nozière, Sablé.
  • 153 B5288, 3-09-1749, affaire Lebailly-Marchais, Sablé.
  • 154 B5307, 17-09-1777, affaire Baret, Sablé.

69L’allouement, dans la majeure partie des cas observés, ne donne pas lieu à un contrat écrit mais résulte de transactions orales, la plupart du temps entre le père, la mère ou le tuteur du postulant et le futur maître, parfois directement, entre le maître et le domestique ; ainsi, Jacquine Raison, 25 ans, femme de closier, peut raconter comment, au début du mois de juin 1777, un certain Martin, métayer, vint chez elle pour se protéger d’une pluie violente alors qu’il était à semer du chanvre avec un garçon de 16 ans, nommé Baret ; elle entendit la conversation où Martin demandait à Baret combien il voulait de gages pour une année de service domestique ; ce dernier proposa 18 écus mais la somme fut arrêtée à 12 écus 24 sols, avec 6 sous pour se divertir et deux paires de sabots150. Les conditions financières de l’allouement sont au demeurant variables ; elles dépendent probablement de l’âge et du sexe de la personne concernée, des services attendus ou des variations conjoncturelles du marché du travail. Tel domestique de marchand meunier peut servir pour 60 livres en argent, 4 « aulnes » de grosses toiles, une « recarlure » (sic) de souliers et la nourriture d’un tailleur quand il aura à se faire faire un habit151. Tel autre entre en condition « des consentements de son père », métayer, dans une métairie voisine pour la somme de 19 livres 6 aunes de toile et trois paires de sabots152. Mathurin Lebailly, closier, et son épouse ont alloué leur fille, Madeleine, chez un boulanger de la ville pour la somme annuelle de 15 livres en argent, une aune de toile blanche et quatre paires de sabots153. L’objectif est bien, pour le postulant, outre le bénéfice du gîte et du couvert, de pouvoir se constituer un pécule. Les sommes dues par le maître sont versées en plusieurs termes, avec, en principe solde des comptes en fin d’année de service. Nous avons pu déjà mentionner que la règle était très rarement respectée. La lecture des procès confirme le manque de régularité dans les paiements et le peu d’empressement à liquider les arrérages. La compensation monétaire peut être ainsi tardive. L’essentiel paraît bien être que, dans l’immédiat, puisse être assurée la satisfaction de quelques besoins fondamentaux. Aux gages qui servent à alimenter les pécules peuvent s’ajouter au quotidien et selon les besoins, des gratifications qui récompensent des services rendus ou sont des signes de bonne entente ; parce qu’il est à marchander une veste à retourner, tel domestique se voit, « à son plaisir » accorder 24 sols par la maîtresse de maison154. Tel autre peut recevoir une somme pour une « recarelure de souliers », pour l’achat de quelques effets ou encore, simplement pour se divertir. Servantes et serviteurs sont très souvent un peu de la famille. Nous avons pu souligner combien les solidarités attendues étaient fortes et les liens souvent étroits. Le mode de fonctionnement paraît bien privilégier l’intégration au tissu familial d’accueil. Le fait s’accompagne de certaines formes de sujétion ; la reconnaissance de l’autorité du maître de maison paraît reconnue : on l’appelle « notre maître » et l’on admet que l’on doit aussi le respect à la maîtresse du lieu. On s’excuse et on demande pardon en cas de faute flagrante et le renvoi peut être immédiat s’il y a vol, libertinages prononcés ou volonté délibérée de refuser le travail. Les situations conflictuelles ne paraissent pas le mode de relation dominant. Mais le contentieux enregistré par les dépositions de plainte sert à nouveau de révélateur ; il souligne des situations de dépendance et des représentations péjoratives de la fonction. Il montre aussi que le valet n’a pas que des positions de faiblesse et qu’en la matière, les situations peuvent être fort diverses.

  • 155 B5275, 12-09-1736, affaire Garenton-Brehin, Auvers.

70Des plaintes de maîtres à l’encontre de leurs domestiques, il émerge la hantise des premiers de voir les seconds quitter leur service avant que le contrat n’arrive à son terme. Tous veulent prouver qu’ils ne peuvent se passer de leurs gens et que le départ impromptu du valet arrive bien au pire des moments, dans un contexte de travaux urgents et de main-d’œuvre difficile à trouver. Nous voyons un meunier affligé de constater que son valet est « sans sujet ni raison » sorti de sa maison, emmenant, au demeurant, les trois mulets qu’il avait coutume de conduire et dont il aurait usé, comble d’impertinence, deux soirs durant, pour voiturer les blés de différents particuliers au profit de son nouveau maître155. La saison et la conjoncture économique suffisent à provoquer une pénurie de main-d’œuvre dont peuvent profiter les domestiques pour peu qu’ils soient ardents à la tâche. Voici Jean Nozière, garçon domestique alloué par Pierre Blanchouin, métayer au lieu d’If, paroisse de Solesmes, pour le temps d’un an, à compter de la Saint-Jean-Baptiste dernière et sorti deux mois plus tard, lui aussi « sans aucune raison ». L’argument présenté par le maître, accusateur, devant le tribunal, se nourrit du préjudice prétendument causé par le manque de bras pour réaliser les travaux essentiels de l’exploitation. La stratégie des demandeurs est aisée :

  • Recours à l’arsenal législatif et rappel de l’ordonnance de 1667, article 3, selon laquelle les domestiques loués « à temps » sont tenus de servir pendant tout le temps pour lequel leurs services ont été loués.
    Les propos participent d’une plaidoirie d’avocat qui veut persuader que, s’il en était autrement, les gens de campagne seraient bien à plaindre, « ne pouvant faire seuls leurs ouvrages et donc exposés à perdre une partie de leurs récoltes ».
  • De l’argument à l’exemple : le suppliant se trouve dans cette position, les pluies continuelles ayant empêché et retardé les « battries » (sic), de façon que la saison qui avance presse les travaux de campagne156.

71De ces discours sourdent des sentiments de désarroi mais aussi d’agacement et de trahison. Le bon valet ne saurait, par malice, mettre en péril les intérêts du maître. Mais il est aussi vrai que le bon maître doit savoir garder le valet laborieux.

72Des plaintes des valets à l’encontre des maîtres, il ressort que les attentes sont celles d’une bonne entente et d’abord d’un traitement honnête. La subordination est réelle. Mais elle a les limites de ce qui est considéré comme indignité du maître : exigences excessives, violences caractérisées ou gestes moralement contestables, mais encore nourriture jugée malsaine ou insuffisante. Peu de conflits ont une origine pécuniaire et les désaccords sur les comptes ne sont souvent que des prétextes à des réprobations d’un autre ordre. Les motifs de différends graves s’appuient toujours sur des conduites jugées insupportables. Voici Jean Courtabessis, garçon domestique chez René Bruneau, métayer, qui, avec l’accord de son père, dépose sa plainte pour non-respect des conventions d’ « allouement » et contestation des comptes à faire à propos de sa sortie : désaccord sur le montant des gages promis et sur le nombre de jours d’absence. Pour faire pencher la sollicitude du tribunal en sa faveur le valet mentionne qu’il aurait été victime de mauvais traitements (ce que nie le maître) et que s’il n’a pu parachever son service c’est parce qu’on l’a plusieurs fois enjoint de quitter la maison. De l’analyse des témoignages, il ressort que le contentieux est ailleurs. Jean Lelièvre, métayer, 58 ans, et Jean Raison, fils de closiers, 18 ans, peuvent affirmer que, dans le temps de « la battrie des blé », étant à travailler chez le dit Bruneau, ils virent le nommé Courtabessis se reposer dans la grange, s’éventant de son chapeau. De la conversation rapportée par ces témoins émergent pour le valet la revendication d’un libre arbitre, le droit de ne rien faire et, pour le maître, la désapprobation de l’attitude d’un domestique peu empressé à servir. Les dialogues rapportés soulignent les impatiences et les impertinences. L’un peut dire que de tous les valets qu’il a vu aller à l’ouvrage, celui-ci est bien le dernier. L’autre peut répliquer que si on n’est pas content de lui, il faut le payer et qu’il s’en ira, ajoutant à l’adresse du maître qui serait alors sorti de son aire sans répondre, qu’il n’est qu’un bougre de sot… Le basculement dans le tutoiement, en renversant les rapports de politesse attendus, manifeste l’audace du domestique et ouvre le conflit. L’un, au dire des témoins, veut son congé ; l’autre paraît tergiverser sur les comptes. Mais la rupture est bien consommée parce que les attitudes sont inconciliables avec les attentes.

  • 157 B5300, 9-03-1769, affaire Launay-Coignard, Bouère.

73Parmi les situations de conflits, nombre de cas paraissent liés au rejet de traitements jugés inacceptables. La dépendance n’empêche pas la revendication d’une certaine dignité de la position ancillaire et il paraît de bon droit d’affirmer que l’on souhaite quitter une maison parce qu’on n’y est pas bien. C’est ce qu’avance Gervais Poirier, domestique, dans un procès qui l’oppose à son maître, Toussaint Quantin, métayer. Louis Quartier, closier et voisin, affirme qu’il n’a jamais vu le dit Quantin maltraiter son valet ni le chasser de sa maison ; mais qu’il a simplement ouï dire de Poirier qu’il ne voulait plus rester dans la maison de son maître parce que le pain y était si mauvais qu’il n’en pouvait manger. La première dignité du maître paraît bien être de bien traiter et d’abord de nourrir dignement celui qu’il emploie. Le discours autour de la qualité du pain se retrouve dans plusieurs procès et peut être l’objet d’attentions marquées dans l’argumentation des témoins ; Marie Launay, domestique, dit n’être sortie du service de chez Michel Coignard, closier, qu’à cause de la mauvaise qualité du pain qu’on lui donnait, qu’elle n’en pouvait manger sans être incommodée, alors que le dit Coignard en faisait du bon pour lui et sa famille ; chaque partie s’applique alors à produire les témoins capables de prouver ou d’infirmer le fait ; Étienne Reuzé, 24 ans, et Pierre Poirier qui ont travaillé chez Coignard déclarent y avoir mangé du très bon pain et qu’ils ont toujours été bien nourris ; un métayer voisin défend le fait qu’il n’a pas connaissance qu’il y ait chez Coignard deux sortes de pain ; d’autres viennent affirmer le contraire : que le pain que mangeait la domestique était bien mauvais, « si mauvais que le chien n’en aurait pas mangé ». En fait, ce qui importe paraît bien être les égards que l’on doit accorder à celui dont on utilise les services, fussent-ils domestiques. L’opinion commune s’accorde sur l’idée qu’il convient de rejeter des attitudes qui seraient incompatibles avec le respect que l’on doit à la personne et qu’il est par exemple indigne de donner à la servante une autre nourriture que celle servie à la famille157.

  • 158 B5288, 3-09-1749, affaire Lebailly-Marchais, Sablé.

74Les violences caractérisées à l’encontre de domestiques ne sont pas absentes. Le cas déjà rencontré de Madeleine Lebailly, 14 ans, fille de closier, placée en condition chez un nommé Marchais, boulanger à Sablé, est à ce titre exemplaire. La querelle est portée par la famille sur la place publique, l’affaire exposée au regard de tous et l’appel à témoins sollicité158. Des témoignages qui accompagnent la plainte, il apparaît que la violence à l’encontre de la domestique serait, entre autres, le fait de la maîtresse de maison et qu’aux violences physiques supposées s’ajouteraient aussi propos et mesures vexatoires. La plainte de Charles Besnard, garçon domestique, et de son père et tuteur naturel, déposée contre Jean Paigeot, armurier, est accompagnée de dépositions de témoins qui, de façon encore plus explicite, n’hésitent pas à dire et à condamner la violence des mots et des gestes du maître à l’encontre de son valet. Le jugement qui suit l’audition des témoins peut conforter l’opinion commune :

  • Défense faite au dit Paigeot d’injurier, de maltraiter ou d’attenter à la vie du dit Besnard ;
  • Condamnation de Paigeot à verser la somme de 30 livres de dommages et intérêts envers le dit Besnard ;
  • Obligation de lui fournir une paire de souliers due « pour restant de ses gages domestiques de l’année dernière », sinon la lui payer à raison de 10 sols ;
  • Obligation de lui payer pour ses gages de la présente année la somme de 30 livres en argent et lui fournir 10 aunes de toile commune ou de la payer à raison de 30 sols l’aune ;
  • Obligation faite à Paigeot de délivrer au dit Besnard tous ses linges, hardes, souliers et argent qui sont ou doivent être dans un coffre dans la maison du dit Paigeot159.

75Au total, l’ensemble du corpus documentaire recueilli témoigne d’une grande diversité et d’une grande complexité des rapports qui peuvent s’établir entre maîtres et valets. La docilité attendue des uns ne doit pas occulter la décence de traitement que doivent prodiguer les autres. Les solidarités espérées ne sont pas à sens unique. À la fidélité, à la loyauté et à l’ardeur à l’ouvrage du valet doit répondre la garantie d’un traitement honnête. Le fondement de la relation maîtres-valets reste prioritairement l’exigence de solidarité comme nous avons pu le souligner en d’autres lieux. Ces solidarités, sous d’autres formes, peuvent encore se retrouver autour du travail et de l’exploitation de la terre.

Autour du travail et de l’exploitation de la terre

  • 160 B5300, 17-09-1769, affaire Doisneau-Molton, Sablé et Juigné.

76Du travail et de l’exploitation de la terre naissent des formes diverses de sociabilité, particulièrement quand l’activité agricole, aux temps forts des travaux, mobilise les bras. L’individualisme supposé des terres bocagères laisse la place à des entraides, à des échanges ou à des complémentarités de services. Louis Doisneau, maçon, qui fait valoir « par ses mains » la closerie du Tertre, paroisse de Juigné, a fait marché avec Jean Molton, métayer, pour qu’il lui fasse les labours, hersages et semailles d’une pièce de terre comportant deux journaux, cédant, pour rémunérer l’ouvrage, l’herbe d’une autre pièce de terre, ainsi que 6 livres et 10 sols, avec encore promesse de verser 6 sols au domestique et de fournir la nourriture au « laboureux160 ». Le procédé est courant pour les closiers qui, démunis d’attelage, usent des services d’un métayer tant pour labourer que pour charroyer céréales ou bois. À l’inverse, faucher l’herbe, moissonner le blé ou le battre sont autant d’actions qui supposent, pour ceux qui ont des exploitations conséquentes, le recours à une main-d’œuvre de journaliers et d’exploitants moins bien dotés qui viennent chercher là quelques gains complémentaires ou encore le moyen de payer en journées de travail, des tâches effectuées en leur faveur.

  • 161 B5279, 14-09-1740, affaire Courtabessis-Bouteiller, Asnières.

77Les services sont rarement gratuits et il est pour le moins attendu qu’ils soient rendus. Le paiement n’intervient que tardivement, en attente d’un travail qui pourrait être réalisé en échange. On peut se souvenir, avec précision des ouvrages faits pour autrui plusieurs mois, voire plusieurs années auparavant. Gabriel Coutabessis, métayer à la Rouillonière, peut déposer sa plainte contre Louis Bouteiller, closier, tous deux demeurant paroisse d’Asnières, pour services faits depuis deux ans et jamais soldés, comportant plusieurs journées pour le compte du dit Bouteiller, tant à faire ses guérets, semer l’orge et les pois qu’à ramasser ses gerbes de blé161. L’entraide nécessaire contribue à réduire l’isolement. De cette mise en commun des outils et des forces naissent des solidarités d’intérêts, parfois aussi des tensions. Pourtant, autour de la terre, les conflits essentiels sont ailleurs.

  • 162 Par exemple B5288, 8-05-1749, affaire Lelièvre. Pour la perte de bestiaux, Jean Lelièvre et son ép (...)

78Sans doute, entre bailleurs et preneurs, propriétaires ou marchands fermiers d’un côté, métayers ou closiers de l’autre, existe-t-il des raisons objectives de s’entendre pour gérer au mieux l’exploitation mise à bail ; qualité du travail et investissements doivent contribuer à une meilleure rentabilité. Des incidents tragiques peuvent aussi appeler des solidarités attendues ou nécessaires. Tel propriétaire peut s’obliger, en raison de calamités conjoncturelles diverses, à réduire le montant du fermage162. Enfin, les profils de l’exploitant consciencieux et du propriétaire soucieux de ne pas abuser de ses colons sont facilement identifiés. Ainsi peut-on attendre d’un maître « zélé » que, de son propre mouvement, il apporte l’aide nécessaire à ses colons et les moyens nécessaires à l’exploitation du lieu, s’ils viennent à manquer. De même espère-t-on d’un colon qu’il s’acquitte de ses devoirs et de ses tâches avec loyauté.

  • 163 B5286, 28-11-1747, affaire Chevron-Fourmont, Précigné.

79Mais, sans surprise, le face-à-face n’est pas toujours consensuel. Le contentieux qui arrive en justice est lié à des plaintes émanant, dans la quasi-totalité des cas, des propriétaires ou de leurs fermiers, à l’encontre des exploitants. Le procès qui oppose Jean et Joseph Chevron, père et fils, fermiers du lieu de la Dauberdière, paroisse de Précigné, à Louis Fourmont, colon du dit lieu, souligne les rapports de force et les représentations des rôles163. Jugée en première instance en mai 1747, l’affaire nous est connue alors qu’elle arrive en appel devant le tribunal sabolien, sept mois plus tard. L’offensive menée par les plaignants consiste à rappeler la volonté réitérée du colon de ne pas satisfaire aux obligations du bail. Ainsi toute lecture et toute application tatillonne du contrat peuvent-elles ouvrir des conflits dans lesquels le preneur n’a pour sa défense, que peu de marge de manœuvre. Dans le cas ci-dessus évoqué il est reproché à notre colon :

  • De ne pas effectuer certains paiements, notamment les sommes à payer pour être déchargé des réparations du lieu, sommes qui ne seraient pas versées depuis cinq ans ;
  • De ne pas avoir exécuté certains travaux sur le lieu, notamment des « façons de vigne » que le colon n’aurait pas faites ;
  • De ne pas avoir accompli certains services dûs au propriétaire : journées de charroi (13 journées de bœuf) et journées de travail au temps des vendanges. Parallèlement la gestion même de l’exploitation, parce que les fermiers tirent de la proximité du lieu des prétentions d’ingérence, offre de multiples sources de conflits :
  • Prestations ou biens qu’ils ont fournis et dont ils demandent le remboursement ;
  • Contestation sur le partage des bénéfices (ou des coûts) lors de la vente (de l’achat) de bestiaux.

80La contre-attaque menée par les défenseurs de l’accusé s’opère en deux temps : récusation article par article des thèses de l’accusation puis contre-offensive visant à faire la preuve qu’avec la même interprétation tatillonne des comptes, les bailleurs sont, eux aussi, redevables. Surtout le jeu de la défense est de montrer :

  • La loyauté de l’accusé qui « avoue de bonne foy », « s’offre à payer », et prétend qu’il n’y a de sa part « ny vol ny supercherie mais une innocente droiture » ;
  • La rouerie des accusateurs : n’ont-ils pas la propension à exiger des sommes qu’ils n’ont pas encore versées au propriétaire ou encore à ne pas réclamer de suite les journées de travail dues pour se les faire payer en argent ; de même, n’hésitent-ils pas à se faire payer les services que d’autres bailleurs peuvent faire gracieusement pour leurs locataires.
  • 164 B5302, 4-02-1771, affaire Dupont-Houdayer, closerie de la Petite Senotière, Solesmes.

81L’aptitude qu’ont les fermiers à abuser de leurs colons est dénoncée et perçue non comme une conséquence du mode d’exploitation mais comme l’effet d’une perversion individuelle et particulière, suivant une application malveillante du bail accepté par les partis. Ainsi, les Chevron seraient « hommes accoutumés à ruiner leurs colons, par des ruses et chicanes » avec « délice », « avides du bien des misérables » ou encore « sensues [sic] des pauvres paysans ». La défense peut s’engager dans une diatribe qui vise à démontrer que les fermiers sont des hommes sans foi ni loi et que c’est bien sur le front de leur immoralité qu’il convient de porter le combat. Ainsi veut-on dénoncer l’inacceptable qui est que des fermiers puissent être prêts à tout pour « frustrer » leurs colons. Le discours sur l’avidité et l’âpreté au gain, sur l’aptitude à dépouiller les plus démunis et à vivre d’eux, sur la convoitise de leurs revenus ou sur la jouissance qu’il y a à les mener à la ruine, peut être entendu par la justice. Sans avoir cette même violence des mots, les face-à-face judiciaires sont, pour l’essentiel, construits sur ce même schéma qui consiste, pour les propriétaires, à dénoncer les libertés démesurées prises par les colons vis-à-vis des devoirs et obligations du bail et pour les colons à déplorer « l’audace » des propriétaires qui « sans raison » leur imposent des exigences jugées excessives et non justifiées. Le contrat notarié est toujours la référence incontournable. Il est la garantie du propriétaire, scrupuleusement inventorié quand il s’agit, le terme venu, de solder les comptes. Quand Philippe Dupont, marchand veut montrer l’inconstance de son colon, preneur du lieu et closerie de la petite Senotière, paroisse de Solesme, il s’emploie à énoncer les clauses du bail, pour mieux montrer ensuite, point par point, que son closier, dès la première année, n’aurait satisfait à aucune des obligations164 :

82Bail signé le 2 janvier 1769

83Rappel des clauses Accusations portées à l’encontre du colon

84N’abattre aucun bois A abattu le bois taillable

85Faire la vigne de façon ordinaire avec 15 fossés de provins A négligé la vigne et n’a point fait les haies ; n’a pas bêché les rigoles le long des haies

86Payer cens et rente N’a payé ni les cens ni les rentes

87Faire faire une journée de maçon et de couvreur, ainsi que deux journées de sa personne N’a fait faire aucune journée de maçon ni de couvreur, ni n’a donné deux journées de sa personne

88Payer par an la somme de 60 livres N’a pas payé la ferme en entier (reste 24 livres)

89S’engage à faire signer le bail à celle qu’il va épouser N’a point fait ratifier le bail à son épouse

90Fournir la fouasse (galette de froment) N’a point fourni la fouasse

91La stratégie de l’accusation est simple ; elle consiste à prouver qu’il y a bien réel abandon du lieu, seul moyen de se débarrasser d’un colon avant la fin du contrat, de « le faire vuïder de corps, famille et biens […] sinon dire qu’éjection en sera faite ». Ainsi revient-il au juge de prononcer la résiliation du bail. Si l’abandon n’est pas manifeste, il reste au bailleur à attendre l’extinction naturelle du contrat et d’espérer des réparations propres à compenser le tort qu’il dit avoir subi. Le bail peut être aussi utilisé par le colon qui a toujours la possibilité de rappeler que le terme du contrat n’étant pas échu il est trop tôt pour que le propriétaire puisse exiger des réparations ; le mode de défense est récurrent.

  • 165 B5285, 1746, affaire Sevestre-Leduc, Souvigné. Lequel closier peut se défendre « qu’il a bien labou (...)
  • 166 B5295, 8-07-1762, affaire Gruau-Jamet, Saint-Pierre-de-Noyen.
  • 167 B5309, 2-11-1780, affaire Cerneau, Sablé.

92Plus généralement, ce qui est apprécié par les propriétaires, c’est la capacité des preneurs à gérer et cultiver le lieu dont ils ont la charge avec un maximum d’application et de compétence dans le travail de la terre. La proximité de résidence facilite les ingérences et les observations méticuleuses. Tel déplore que son métayer n’ait pas préparé les guérets du lieu alors que la saison des semences presse ; tel autre dénonce le fait que son colon a ensemencé une partie des terres sans avoir fait le guéret et façonné la terre suivant la manière ordinaire. Tel autre encore reproche à son closier de ne pas avoir donné à la terre « toute sa façon165 ». De même, Jean Gruau, propriétaire du lieu des Oulleries, paroisse Saint-Pierre de Noyen, vient déposer devant le juge qu’il a à regretter « la négligence » et la « malice » de son colon qui laisserait croître dans les ensemencés les fougères et les mauvaises herbes au point qu’elles surpassent les blés et les empêchent de produire autant qu’ils auraient fait s’il avait eu soin, comme c’est d’usage, de les arracher166. Il semble de bon ton de souligner la malveillance, la volonté délibérée de nuire de certains colons dénoncés comme étant mal intentionnés. La remarque accompagne aussi les plaintes qui déplorent l’absence d’assiduité au travail. Le nommé Cerneau, qui tient à moitié une closerie, paroisse Notre-Dame de Sablé, serait de ces locataires peu empressés à mettre en valeur le lieu qu’on leur a confié ; ne pousserait-il pas l’audace, bien que possédant deux chevaux et « pouvant faire seul ses labours contrairement aux autres closiers qui ont à attendre les métayers », à utiliser ses chevaux pour d’autres travaux, si bien qu’il n’a pas fait ses semences, à l’inverse de tous les autres closiers du canton167.

  • 168 B5290, 11-09-1752, Lepeletier-Morillon, Sablé. Le plaignant n’est autre que le juge, bailly du marq (...)
  • 169 B5290, 15-10-1752, affaire Davy-Brillant, Sablé.

93Le jeu d’accusations et de démentis outragés se retrouve à propos du respect des biens et des outils de production confiés pour une période donnée. Ainsi les états des lieux établis à la sortie du bail sont-ils souvent des moments de rapports conflictuels. De ces malversations dont on s’indigne, plusieurs paraissent se reproduire. Ainsi voit-on dénoncer tout ce qui est considéré comme abat de bois abusif. Tel dépose que son colon, toujours « par audace », aurait fait abattre quantité d’ormeaux pour faire entre autres, des sabots, mais aussi nombre de chênes propres au chauffage qu’il prétendrait vendre168. Tel autre déplore des abats de bois par pieds et par branches, si bien « qu’avec de tels excès il n’en reste presque plus sur le lieu169 ».

  • 170 B5270, avril 1740, affaire Lebel-Lelièvre, Sablé. Le propriétaire veut dénoncer le subterfuge du co (...)

94De même, autour du cheptel, naissent des méfiances multiples et réciproques et des propensions tatillonnes à éprouver de profonds ressentiments pour ce qui est dénoncé comme des abus. Là c’est un colon qui, impertinent, disposerait de tous les bestiaux, n’hésitant pas à les enlever du lieu sans donner sa part au propriétaire. Ailleurs, il s’agit d’un propriétaire qui, par anticipation et sans avis du colon, aurait décidé de la vente de bestiaux. En tous les cas, l’affaire est d’importance car elle met en péril ce qui peut être à la fois un capital, un objet d’échange et un outil de travail. Étienne Lebel, sieur de Launay, et Jeanne Riffault son épouse, propriétaires du lieu et métairie de la Cochinière à Sablé, ont consenti devant maître Pochard, le 16 août 1729, bail à ferme du dit lieu à René Lelièvre, lui donnant alors la somme de 882 livres de bestiaux en prisée. Onze ans plus tard, les propriétaires ouvrent un procès à l’encontre de leur métayer pour malversation avec un double grief : celui d’avoir enlevé du lieu, sans qu’ils aient leur part, quantité de fourrages et d’engrais ; celui, surtout, d’avoir mal usé du cheptel mis à disposition. Ainsi Lelièvre aurait fait enlever violemment trois couples des meilleurs bœufs qui étaient sur le lieu pour les mener à la foire, avec la volonté évidente de nuire, en empêchant le suppliant d’avoir « un harnais en règle pour faire valoir le dit lieu170 ». Dans cette affaire qui est aussi querelle de fin de bail s’expriment, du côté du propriétaire, la revendication d’un droit de regard affirmé et l’indignation d’être, par perfidie, lésé dans ses biens, mais aussi du côté du colon la prétention à tirer parti du capital dont il a la jouissance et à bénéficier d’une autonomie de comportement dans la gestion du lieu. L’affaire se juge alors sur rapport d’experts.

95Ainsi, il est attendu des preneurs qu’ils aient les capacités à mettre le lieu en valeur : maîtrise des travaux de la terre, application au travail, aptitude à gérer les affaires, mais aussi loyauté vis-à-vis du bailleur, respect des clauses du bail, des biens et des lieux. Réciproquement peut-on espérer des propriétaires qu’ils n’aient pas de prétentions abusives, qu’ils reconnaissent les compétences et accordent l’autonomie de gestion ainsi que le droit de ne rendre de comptes qu’en fin de bail.

96De l’étude des relations nées du travail émergent des formes complexes de rapports et d’aspirations. Hors du champ de l’économie, naissent d’autres formes d’effervescences, en rupture avec les conduites sociales ordinaires, qu’il convient d’analyser maintenant.

Formes effervescentes de la sociabilité juvénile : ville et campagnes en émoi

97L’objet est de repérer les formes effervescentes, souvent spontanées, de la sociabilité villageoise qui sont en rupture avec le jeu social habituel. Débordements de la jeunesse et tentatives de séduction des filles sont des comportements révélateurs d’émotions pouvant mettre ville et campagnes en émoi.

« Tapages fols » et débordements de la jeunesse

  • 171 B5307, 29-09-1777, affaire Charpentier, Auvers.

98Les expressions de formes effervescentes et collectives de la sociabilité telles que nous pouvons les percevoir à partir du substrat judiciaire sont en effet très prioritairement celles de la jeunesse. Elles prennent place dans les temps de repos, dimanches, fêtes ou soirées d’après travail. La norme paraît être, au demeurant, celle d’une jeunesse laborieuse à laquelle l’économie familiale ou villageoise évite, dans les temps non chômés, le désœuvrement. Rares, en effet, sont ceux qui, comme ce frère de notaire âgé de 22 ans, peuvent affirmer devant le juge qu’ils passent leur temps « à se divertir et à chasser171 ».

  • 172 N. Pellegrin, Les bachelleries, organisations et fêtes de la jeunesse dans le Centre-Ouest, xve-xv (...)
  • 173 B5281, 24-01-1742, affaire Nouet-Delet, Sablé. Courtillers, paroisse située à environ une lieue au (...)
  • 174 Par exemple : B5275, 17-04-1736, affaire Goupil-Bouvier, Solesmes. Rotye : tartine grillée, avec d (...)
  • 175 B5309, 30-03-1780, affaire Chrétien, Sablé. Gautret : seigneurie de la paroisse de Gastines, contig (...)

99Ces manifestations bruyantes sont le fait de « compagnies » qui ont un fondement communautaire même si nous ne retrouvons pas dans nos archives la trace de groupements de jeunesse organisés de façon formelle, institutionnalisés et hiérarchisés tels qu’ils ont pu être identifiés en d’autres lieux et temps172. Il ne s’en manifeste pas moins un sens de la communauté d’âge et de situation. Ces groupements ont, du point de vue sociologique, des caractéristiques facilement identifiables. Ils sont aussi empreints de comportements identitaires qui sont à la marge de la norme sociale. Retrouvons, la nuit du 24 janvier 1742, sur les 4 heures du matin, à l’entrée du faubourg Saint-Nicolas, ville de Sablé, revenant « par compagnies » de la noce d’un nommé Houdemon qui a eu lieu en la paroisse de Courtillers, quelques noctambules attardés qui, peut-être assoiffés par le chemin parcouru, entrent en la maison de René Allaire, cabaretier, « pour boire une chopine de vin ». Un premier groupe se fait servir : sont là, parmi d’autres Louis Lalande, 21 ans, fils d’un cordonnier, demeurant et travaillant chez son père, Gabriel Nouet, 25 ans, domestique chez un marchand hôte de la ville et Michel Barnier, 40 ans, joueur de violon et marchand. Dans la même chambre haute, à une table voisine, s’installe la compagnie d’un nommé Delet, qui se dit notaire de la cour de Sablé pour la résidence de Solesmes, venu là pour boire « avec plusieurs de ses amis ». Sont présents, selon les témoignages, Louis Monsollier, fils de marchand, Michel Toutain, garçon tanneur, fils d’un marchand tanneur, demeurant chez son père, Jean Haligné, garçon domestique, 18 ans, un nommé Taboy, servant alors dans une compagnie de cavalerie, un nommé Jacques Cosnard, 24 ans, marchand, Étienne Boizard, 30 ans, compagnon boulanger, André Pochard, praticien, tous demeurant à Sablé173. La scène autorise quelques observations d’ordre sociologique, pour ce qui concerne la composition de ces assemblées. Notons d’abord que ces compagnies sont fondamentalement masculines. Les présences féminines ne sont pas la norme. La remarque peut être généralisée : veut-on ternir l’honneur d’une fille, il est aisé d’affirmer qu’elle court la nuit avec des garçons, qu’elle les suit au bal, portant des masques ou qu’elle fait avec eux « des rotyes174 ». Au demeurant, nous ne rencontrons pas d’équivalent féminin de ces groupements de garçons. Les âges sont relativement aisés à identifier : les membres de ces compagnies n’ont jamais moins de 18 ans et rarement plus de 30, même si quelques célibataires attardés ou époux nostalgiques peuvent se joindre aux groupes. De même, l’identité de situation paraît évidente ; si ces jeunes ont dépassé un âge que l’on dirait aujourd’hui adolescent, la plupart paraissent bien en attente d’établissement, tant du point de vue professionnel que conjugal. C’est ce que tend à montrer la déclinaison des identités : fils de…, garçons demeurant chez leur père ou leur maître. La remarque n’est pas sans importance car de cette situation en devenir, de cette intégration sociale en attente peuvent naître les effervescences et les défis lancés aux gens établis. En tous les cas, ce trait identitaire paraît l’emporter sur ceux de la profession ou même du statut social. Le fait se retrouve dans d’autres affaires. Rappelons la virée nocturne qui rassemble dans un cabaret pour des intentions festives, tard après souper, le fils du seigneur de Gautret175, le fils d’un notaire de la ville, un compagnon horloger de 23 ans, demeurant chez son maître, un fils de marchand de 26 ans, demeurant chez son père et un maître de violon. Il apparaît que ces compagnies ne sont pas composées de gens à la marge, sans toit ni asile fixes. Tous peuvent décliner un état professionnel et souvent leur appartenance à une famille établie. La plupart sont des gens du lieu ou des paroisses d’alentour, même si ne dédaignent pas de se joindre à eux des compagnons de métiers ou des soldats de passage toujours prêts aux divertissements et à leurs excès.

  • 176 B5271, 3-12-1730, affaire Chaudemanche, Poillé.
  • 177 B5278, 16-02-1739, affaire Gandon, Sablé.
  • 178 B5306, 12-08-1776, affaire Gautier, Bouessay.
  • 179 B5279, 6-06-1740, affaire Jouan-Pottier, Solesmes.
  • 180 B5318, 7-02-1788, affaire Leplat, Sablé.
  • 181 B5317, 29-09-1787. affaire Gaté, Joué-en-Charnie.

100Ces compagnies se constituent aussi à partir de solidarités et de complicités qui peuvent être fondées sur l’appartenance à une même communauté villageoise. Voici, masqués, s’invitant aux réjouissances d’un mariage, paroisse de Poillé, un jour de décembre 1730, une douzaine de jeunes gens que les présents n’arrivent pas à identifier par leurs noms mais pour lesquels ils peuvent affirmer qu’ils étaient tous de la paroisse d’Avessé176. Une autre fois, ce sont cinq à six garçons « du dehors de cette ville » (quartier de l’Île et de Saint-Nicolas) qui se sont attroupés devant l’auberge de la Croix Verte, faubourg de Saint-Nicolas, parmi eux sont Gabriel Dubois, garçon, René Gandon, fils d’un tailleur d’habits, Julien Eon, valet du prieuré voisin, ainsi qu’un nommé Beléard, garçon meunier177. Dans une autre affaire, un dimanche du mois de février 1750, six garçons de la paroisse de Saint-Loup, bissacs en bandoulière et bâtons à la main sont venus se réjouir au village voisin de Saint-Brice. Un autre dimanche encore, le 11 août de l’année 1776, deux valets de la paroisse de Gastines venus au bourg de Bouessay « pour leurs affaires », auraient, chemin faisant, croisé « une compagnie » de huit à neuf garçons du bourg de Saint-Brice, l’un d’eux vêtu, en guise de déguisement, d’une grande culotte de batelier, d’une veste retournée et d’un chapeau rabattu178. Sans doute la revendication d’appartenance à une communauté villageoise n’est-elle pas exprimée de façon explicite. Elle n’en est pas moins visible dans la constitution des groupes rencontrés et identifiés. Ces compagnies peuvent encore se constituer à partir des solidarités de métiers. Là, c’est un groupe de garçons et de compagnons charpentiers qui arpente les rues de Solesmes, un soir de juin 1740, vers les 10 heures, en quête d’un cabaret encore ouvert ou d’une maison qui veuille bien les accueillir179. Ailleurs, un soir de Mardi gras, trois garçons meuniers partent se divertir dans le faubourg Saint-Nicolas180. Une autre fois, René Malhaire dit Allégresse, cabaretier, témoigne qu’un dimanche soir, sur les 6 heures, deux compagnies de jeunes paysans sont installées dans une chambre haute de son auberge, l’une se compose de cinq à six jeunes gens, l’autre de dix, parmi lesquels sont Martin Gaté, journalier de 28 ans, son frère Pierre, François Bouttier, Michel Hugo, François Pichard et un nommé Toutain, tous domestiques de métairie, ainsi que les frères Bouhours, closiers chez leur père181. Ainsi, il apparaît, à travers ces exemples, qu’il existe bien, à défaut d’associations organisées, des complicités entre jeunes gens qui se rassemblent « en compagnies » dont l’identité se fonde sur l’appartenance à une classe d’âge, à une communauté de profession ou de résidence, enfin sur une similitude de situation familiale marquée par l’attente d’un établissement qui peut tarder à venir.

  • 182 Pour une étude détaillée des « excès de cabarets », des réactions des autorités religieuses ou pol (...)
  • 183 B5291, novembre 1753, affaire Couprent-Letessier, Sablé.
  • 184 B5281, 16-09-1743, affaire Fouque-Latouche, Précigné.
  • 185 B5309, 30-03-1780, requête du procureur fiscal, Sablé.

101Cette sociabilité des jeunes gens est d’apparence bien marquée par des comportements identitaires faits de turbulences, de propos familiers, de réactions inciviles voire de provocations à l’encontre de la société établie. L’archive révèle l’existence d’une certaine jeunesse qui paraît bien se placer, dans ces moments d’inactivité professionnelle, à la marge de l’ordre social attendu. Ces compagnies semblent d’abord aimer investir la nuit, moment où l’espace devient leur, où les gens établis commencent à penser qu’il est bien « heure indue », moment attendu pour frapper à l’huis d’aubergistes peu scrupuleux du respect des règlements. Car le cabaret est un lieu de ralliement : les échos qui en parviennent jusqu’à la rue sont des appels. Les excès en sont connus. L’ivresse loin d’être le mal des seuls hommes mariés serait celui d’une jeunesse en mal d’occupation… ou d’établissement. Lieu d’immoralité et de mauvaises fréquentations, la taverne est encore dénoncée par les autorités comme favorisant des plaisirs jugés faciles, des fêtes nocturnes et des libertinages encouragés par des tenanciers trop accueillants qui feraient le malheur des familles182. Les attitudes de cette jeunesse et les mots dont elle use sont volontiers des défis. Ils révèlent des schémas comportementaux faits de paroles et de gestes qui provoquent et parfois qui blessent. Nous sommes un dimanche soir sur les 11 heures183 ; René Couprent, François Deroy et un nommé Marchais, tous « garçons » et « soldats », frappent à la porte de la veuve Letessier, cabaretière, pour demander du vin, traitent la dite Letessier et sa fille de putains et de garces, promettent à la mère qui refuse de servir à boire que « s’ils la tiennent, ils luy couperont les jupes sur le cul avec leur sabre » et « qu’ils reviendront luy mettre le corps en morceaux ». L’affaire n’est pas isolée ; Gabriel Fouque, marchand hôte, demeurant à l’auberge où pend pour enseigne La Croix Verte, paroisse Saint-Pierre de Précigné, raconte qu’un dimanche 15 septembre, alors qu’il était, cette nuit-là, tranquille en sa maison et couché en son lit pour prendre son repos ordinaire, certains garçons (au nombre de quatre à cinq) seraient venus à 11 heures du soir frapper violemment à sa porte et qu’ils auraient juré avec abomination à cause du refus qu’il leur aurait fait, « conformément aux ordonnances et règlements », de les faire entrer dans sa maison. L’escalade verbale peut s’accompagner de coups redoublés sur la porte et de vitres qui volent en éclats, créant un tumulte propre à émouvoir le voisinage. Jean Billard, serger et voisin, 52 ans, dépose qu’entre 11 heures et minuit étant fort endormi dans son lit, il fut réveillé par le bruit de « garçons vagabonds » ; son fils, 17 ans, confirme qu’il entendit grand bruit et crut reconnaître la voix d’un nommé Ducy, garçon cordonnier à Précigné, que le vacarme dura plus d’une heure, mais que lui et son père n’osèrent pas sortir de crainte d’être assassinés184. De telles aventures ne sont pas l’exception et les attitudes sont révélatrices des propensions de ces coureurs de nuit à provoquer, à user de l’injure, du blasphème ou de violence contre les personnes ou les biens. Les provocations ne sont pas qu’à l’encontre des cabaretiers ni non plus des gens ordinaires qui aspirent au repos. Les représentants de l’ordre, eux-mêmes, n’ont pas toujours la conviction suffisante pour calmer les tumultes des contrevenants. Le 20 mars 1780, sur les 10 heures du soir, différentes personnes entendirent proférer, dans la rue près de la porte de la maison de la veuve Guilloux, cabaretière, des serments exécrables et « jurer le saint nom de Dieu ». Pierre Cheré, cavalier de maréchaussée, accompagné de son brigadier, dépose qu’il vit là un nommé Barron, appelé Langlois, qui hurlait avec d’autres, et, qu’à la remarque qu’il y avait trop de bruit, il fut répondu qu’il n’avait qu’à passer son chemin185. Dans ces insolences, dans l’usage d’un langage grossier, blasphématoire ou injurieux, il faut probablement voir des intentions de choquer, de défier, d’affirmer des attitudes qui vont à l’encontre des codes de conduite de référence.

  • 186 B5272, 2-01-1732, affaire Launay-Chotard, Précigné.
  • 187 B5288, 22-02-1750, affaire Bouleau-Cormier, Saint-Brice.
  • 188 B5282, 15-02-1744, affaire Chaloigne-Mocquereau, Sablé.
  • 189 B5306, 12-08-1776, affaire Gautier-Bouilleau, Bouessay.

102On se provoque aussi volontiers entre compagnies. La quête du rire, des réjouissances s’accompagne du besoin d’affronter, d’éprouver les solidarités dans la lutte contre un groupe voisin. Ainsi naissent, de façon spontanée, ces occasionnelles « batteries », pour des griefs souvent obscurs, parfois relevant de règlements de compte de différends anciens, ravivés par des prétextes nés dans le moment. Un dimanche de décembre, sur les 9 à 10 heures du soir une compagnie de jeunes gens, de la paroisse de Précigné, est à se divertir chez un particulier. Sont présents Jacques Launay, garçon mineur, tissier chez son père, Guillaume Landay, garçon tonnelier, 27 ans, Yves Arnoult, garçon tissier, 27 ans, François Marçais, garçon maçon, 20 ans, Morice Buisneau, garçon journalier, 21 ans, avec d’autres « amis ». La fête bat son plein quand arrivent les fils de la veuve Bréhier, Victor et Jean, et ceux de la veuve Chotard, Pierre et Jacques. La mêlée s’engage entre les deux groupes sans que la plupart des protagonistes aient pu en saisir la raison. Selon un témoignage, un des membres de la première compagnie, voyant le bâton d’un des nouveaux arrivants posé près de la porte, l’aurait jeté dans le feu de la cheminée. Le geste, probablement interprété comme une malveillance et, de façon symbolique, comme la signification d’un refus d’intégration suffit à déchaîner les fureurs186. Un autre dimanche, le 22 février 1750, dans l’après-midi, René Bouleau, garçon majeur et son ami, un nommé Labbé, tous deux de Saint-Brice, invitent une compagnie de cinq garçons de la paroisse voisine de Saint-Loup, à entrer dans un cabaret voisin, « auxquels Bouleau et Labbé, il fut dit de quoi ils se mêlaient, que cela leur coûterait cher » ; chacun étant armé de bâtons, la « batterie » peut s’engager187. Plus rarement, mais parfois encore, l’intention d’en découdre et donc la préméditation paraissent attestées. Dans une danse publique qui se donne dans une maison à proximité des halles, des particuliers déposent avoir vu arriver les perturbateurs, le bâton dissimulé sous le justaucorps188. Le cabaret est aussi un endroit de défis : là, telle bande refuse le droit de parole à l’autre, ailleurs, telle compagnie déclare à ses voisins de table qu’ils ne sont pas capables de se battre. Mais les comptes se soldent souvent à la sortie, lieu et moment propices à des tumultes qui viennent perturber l’espace public. Dans la rue du bourg de Bouessay, Jacques Gautier et André Péron, tous deux domestiques dans des métairies de la paroisse de Gastines, doivent affronter une compagnie de garçons du bourg de Saint-Brice, au nombre desquels figure Jean Bouilleau, maçon, Jean Cravanier, couvreur, et un nommé La Violette, compagnon potier en terre. Un témoin dépose que la querelle serait née dans le cabaret à propos d’une bouteille cassée189. Dans de nombreux exemples, la volonté d’en découdre paraît un motif suffisant. Le besoin de se mesurer, à lui seul, peut rendre compte de ces effervescences collectives et des solidarités de groupe qui s’ensuivent. Ces querelles peuvent, à suivre les récits des témoins, être au demeurant d’une rare fureur. Le combat engagé, il n’y a d’issue que dans la fuite ou dans la victoire sur l’adversaire. La rue trouve là ses plus grands tumultes.

  • 190 B5270, 3-12-1730, affaire Chaudemanche, Poillé.
  • 191 B5314, 21-04-1785, affaire Naveau-Péril, Solesmes, coups de bâton et jets de pierres contre la port (...)
  • 192 B5288, 10-02-1750, affaire Manceau-Cormier, Sablé. Font partie de la compagnie, les trois enfants d (...)

103Mais au-delà des luttes intestines, ces compagnies ne sont pas sans s’en prendre aux gens ordinaires, à porter la provocation dans les lieux publics ou privés, et à se transformer en bandes perturbatrices de la tranquillité publique. Effrayer les bonnes gens ne serait pas sans procurer quelques satisfactions. Les trublions sont parfois trouble-fête. Là, ce sont des réjouissances de noces qu’ils viennent interrompre. Le 3 décembre 1730, à l’occasion du mariage de Jacques Chaudemanche, métayer, paroisse de Poillé, c’est une compagnie de jeunes gens de la paroisse voisine qui vient semer le trouble dans l’assemblée, sous le prétexte qu’après qu’on les eut faits collationner, il leur aurait été demandé de se retirer ou encore qu’il leur aurait été dit que le « violon » de la noce jouait mieux que celui qu’ils avaient amené. Toujours se retrouvent les attitudes provocatrices et les susceptibilités exacerbées190. Une mésaventure identique est à déplorer lors du mariage de Jacques Naveau, tisserand, et de Marthe Raison, paroisse de Solesmes, là encore après une collation offerte. Les perturbateurs, dont Jean Péril, fils de meunier, 19 ans, et René Pinault, domestique, assignés à comparaître devant le juge, sont bien des gens du lieu, identifiés par tous et connaissant l’assemblée ; leur réaction n’en est pas moins violente et les tentatives d’apaisement, même si elles émanent des femmes restent désespérément vaines191. En l’absence d’informations plus explicites sur les motivations profondes, il paraît bien difficile de préciser s’il faut lire dans ces troubles qui interviennent à l’occasion d’épousailles un sens qui aurait une portée symbolique, dépassant ce qui nous apparaît être un simple incident provoqué par une jeunesse en mal d’occupation. Ce qui est certain, c’est que de pareils tumultes affectent d’autres manifestations collectives. Ils se rencontrent encore à l’occasion de « danses » qui se font tant en public que chez des particuliers. Dans l’assemblée qui se tient au four à ban le 10 février 1750, la contestation est portée par une compagnie de jeunes saboliens. Pierre Leboucher, scieur de marbre, 23 ans, dépose que ceux qui venaient d’arriver auraient demandé à participer et qu’il leur aurait été répondu par le maître à danser d’attendre que la danse soit finie. L’impatience des contrevenants fait le reste192.

  • 193 Successivement : B5281, 12-03-1742, affaire Daubré-Barde ; B5293, 3-03-1756, affaire Huard-Poirier (...)
  • 194 B5297, 31-03-1756, affaire Gandon-Roussin, Sablé. Ont été interrogés : François Melier, 28 ans, mar (...)
  • 195 Parmi d’autres : B5306, 16-08-1776, affaire Guillou, Sablé ; B5309, 30-03-1780, affaire Chrétien, (...)
  • 196 B5318, 7-02-1788, affaire Leplat-Dautier, Sablé.
  • 197 B5313, 14-09-1784, requête du procureur fiscal, Sablé-Solesmes.

104Le sentiment d’insécurité qu’exprime l’opinion commune se nourrit des tumultes qui naissent dans la rue. Là, c’est un charivari qui est organisé à la porte d’un nommé Daugré, hôtelier et marchand perruquier à Sablé qui vient d’épouser Jeanne Oger à qui l’on semble reprocher d’avoir un enfant d’avant son mariage. Une autre fois, le 3 mars 1756, une plainte est déposée par un certain Jean Huard, voiturier par eau, qui a reproché à une assemblée de jeunes d’avoir fait un tapage nocturne devant sa maison, d’avoir frappé à sa porte avec violence, d’avoir cassé les vitres d’une chambre haute… en réveillant le quartier ; ont été identifiés par les voisins et convoqués par le juge, Jean Maignon, 20 ans, garçon poupelier, Antoine Gillet, 25 ans, cordonnier, Jean Loizeau, 22 ans, compagnon maçon, François Poirier, 22 ans, garçon batelier, René Taillé, garçon cordier193. Quelques jours plus tard, le 31 mars de la même année, sur les 3 heures de l’après-midi, le tumulte est provoqué dans les rues de Sablé, par une assemblée de jeunes venus de Ballée, pour « tirer à la milice194 » ; les plus hardis n’hésitent pas à manier le bâton à l’encontre des particuliers qui, dans l’espoir de rétablir l’ordre public, leur font des remarques. Le cas de ces mêlées brutales qui enflamment la rue n’est pas isolé. Les sorties de cabaret, déjà évoquées, sont ainsi propices aux « tapages fols », qui troublent le repos public ; le phénomène se reproduit dans d’autres affaires au point d’exaspérer les voisins qui n’osent s’interposer et n’ont pour recours que d’appeler la maréchaussée parfois plusieurs fois par nuit… et jusqu’au petit matin195. Les provocations à l’encontre des particuliers peuvent prendre des formes diverses. Un soir de Mardi gras, trois garçons meuniers, dont un nommé Joli Cœur, arpentent la rue du faubourg Saint-Nicolas « en s’en prenant aux passants », leur jetant au visage les pierres dont ils ont rempli leurs poches196. Les débordements peuvent encore prendre des proportions plus larges. Le 14 septembre 1784, le procureur fiscal dépose une requête à l’encontre de « jeunes gens » dont il n’a pu se procurer les noms, mais qui sont domiciliés au bourg de Solesmes, et qui se livreraient à des excès d’ivresse, disputes, querelles et « batteries qui troublent le bon ordre de l’humanité, semant la terreur dans le dit bourg, mais aussi dans les campagnes, pillant les fruits, cassant les arbres ou forçant les portes197 ».

  • 198 B5289, 8-07-1751, à la requête du procureur fiscal, Sablé.

105Dans les représentations, s’ajoute à ce groupe des turbulents, celui des libertins, accusés de comportements impudiques et qui paraissent à la ville comme à la campagne, tout autant troubler l’ordre public ou les bonnes mœurs. À partir d’une rumeur, le 8 juillet 1751, le procureur fiscal du siège de Sablé dépose une requête à l’encontre de « quatre libertins » qui, le 2 du même mois, auraient insulté « une bergère », que, « sous le prétexte de lui demander le chemin », un des quatre l’aurait prise par la main et après l’avoir conduite à l’entrée du champ où elle était, lui aurait fait des attouchements indécents, quelque résistance qu’elle fît ; qu’à quelque distance de là, ces libertins ayant aperçu une femme qui était dans l’entrée de sa maison qui est à vingt pas du même chemin, trois d’entre eux auraient jeté dans le dit chemin, l’un une pièce de 24 sols et les deux autres 2 écus de 3 et 6 livres, en se disant les uns aux autres : « Je te parie que je vais l’embrasser198. » L’affaire paraît, selon l’enquête, sans importance ; elle n’en révèle pas moins les peurs. Lors de l’incident provoqué, la femme ne peut que dissimuler sa « frayeur » en se réfugiant dans son jardin et en lançant aux importuns qu’ils n’avaient qu’à passer leur chemin, qu’ils étaient des insolents et des brutaux. Les libertins, quant à eux, représentatifs de ces compagnies en quête de divertissements faciles, sont pour trois d’entre eux (le quatrième n’étant pas identifié), des jeunes gens appartenant aux meilleures familles de Sablé, fils de notables, officiers royaux et seigneuriaux. La narration de l’incident, tant par les victimes que par les témoins, souligne l’émotion et le sentiment de fragilité ressentis par la population face à des dangers imaginaires ou réels. Elle est aussi révélatrice des velléités d’une certaine jeunesse à troubler la sécurité et la tranquillité publiques.

  • 199 Parmi d’autres : B5303, ordonnance de police du 22-02-1773 concernant la réglementation des cabare (...)

106Il convient probablement de donner à ces débordements et à la crainte suscitée par ces jeunes leur vraie place. Il reste que de ces excès juvéniles peut se nourrir un sentiment d’insécurité. Sans doute encore, ces coureurs de nuit ou fauteurs de troubles ne sont-ils pas toute la jeunesse. Pour autant, ils appartiennent à un monde qui, socialement, n’est pas à la marge. Les attitudes évoquées paraissent alors un mode d’expression caractérisant un groupe d’âge que fragilise sa situation d’attente. Le besoin de se démarquer, la quête identitaire face à un monde adulte établi par le mariage et l’activité professionnelle peuvent expliquer des comportements qui vont à l’encontre des règles admises, particulièrement en perturbant l’ordre public. Les autorités politiques et religieuses ont bien du mal à encadrer ivrogneries et libertinages. Ainsi les ordonnances de police qui visent à contrôler l’activité des cabarets doivent être en permanence réitérées. Les « défenses » faites aux aubergistes d’accueillir en leur maison « les jeunes gens et fils de bonnes familles », de leur servir à boire tard dans la nuit, de les autoriser à s’adonner à la passion du jeu, restent souvent lettres mortes199. Dans un autre registre, les affaires de filles séduites montrent que les libertins et les perturbateurs ne sont pas toujours ceux que l’on attend.

Les risques de la séduction : « des fautes commises à bien des personnes du sexe »

  • 200 De façon plus explicite encore, il peut être mentionné parfois que la pièce est utile pour poursui (...)

107Les déclarations de grossesse témoignent d’abord d’un drame personnel pour des filles dont on a souvent trahi la confiance. Elles révèlent ensuite ce qui est souvent comme un désordre dont la société doit s’accommoder. Elles soulignent encore certains traits les plus intimes de la relation entre hommes et femmes : rapport à la fréquentation, à la sexualité ou au mariage par exemple. Ces déclarations répondent à une nécessité de la loi : satisfaire à l’édit du roi Henri II, du mois de février 1556. L’obligation est d’ailleurs réitérée en 1586 par Henri III, en 1708 par Louis XIV, et en 1731 par Louis XV. Jusqu’à la fin du siècle, à l’occasion des procès pour grossesse celée, les autorités n’ont de cesse de rappeler les textes, par affichage sur la place publique. L’objectif est clair : éviter le recel de grossesse et les possibilités d’infanticide. La démarche permet en outre aux filles d’exercer un recours contre le séducteur peu enclin à payer les frais d’accouchement ou à assumer la charge de l’enfant : « Déclaration faite pour éviter la rigueur des ordonnances royales et encore pour charger le père de l’enfant et pour obtenir contre luy les frais de gésine et tous dépens, dommages et intérêts200. »

  • 201 Sur l’utilisation de cette source : A. Lottin, « Naissances illégitimes et filles-mères à Lille au (...)
  • 202 Sources : 1. « Déclarations des filles grosses suivant l’édit du roi Henri II » : soit 109 déclara (...)
  • 203 Sur les 136 cas : 45 domiciliées à Sablé, 68 dans une commune proche, 11 originaires de paroisses (...)

108Ces déclarations appartiennent au fonds judiciaire201. Déposées au greffe du bailliage et marquisat de Sablé, elles sont rassemblées dans un registre portant mention « Déclarations des filles grosses suivant l’édit du roi Henri II202 ». En fait, avant 1767, les actes sont relevés sur des feuilles volantes, ce qui laisse supposer des pertes (cinq actes seulement de 1754 à 1766). Ensuite la série est continue jusqu’en 1790. Le corpus composé de 109 actes est encore complété par un ensemble de 19 pièces (dont six procès pour gravidation) retrouvées au hasard des séries judiciaires ou des actes notariés. Le nombre restreint (ou l’absence) d’actes pour le début de la période étudiée ne permet pas d’apprécier l’évolution de l’illégitimité. L’intérêt du document est bien de présenter un comportement déviant, dans un milieu fortement empreint de ruralité. Dans le corpus établi, soixante-huit filles déclarent résider dans une paroisse proche de Sablé, quarante-cinq sont des saboliennes et onze annoncent un domicile plus lointain (dont Laval, Château-Gontier, Sainte-Suzanne) : filles fuyant peut être l’opprobre du voisinage203. Jusqu’en 1772, les déclarations ont souvent la forme d’une longue déposition dans laquelle le greffier, Jean-François Moyré, note avec détails les confidences et épanchements des filles. Après 1773, l’acte prend un caractère administratif proche du formulaire stéréotypé. Dans tous les cas, dans les actes les plus complets, sont indiqués :

  • Nom et prénom de la déclarante, son âge (assez souvent), son domicile, sa profession ou son statut ;
  • Nom et prénom de ses parents, la situation familiale, mais rarement la profession… parfois le domicile ;
  • Nom et prénom du séducteur (lorsque la fille veut bien le mentionner), rarement son âge, plus souvent sa profession et son domicile.

109Sont aussi précisés le temps de la grossesse, la date et l’heure de la déposition, le nom des personnes qui ont accompagné la déposante, les signatures. Outre le greffier et le notaire, le curé reçoit parfois les déclarations, la future mère « n’ayant pas la hardiesse », « ne pouvant se résoudre » ou « ne se sentant pas assez de courage » pour se présenter devant le bailli.

Séduites et séducteurs

  • 204 B5417, 6-10-1782, affaire Coignard, Précigné. Âge des filles séduites :
  • 205 27 ans à Sablé selon l’étude de J. Boivin, Sablé-sur-Sarthe au xviiie siècle, mémoire de maîtrise, (...)
  • 206 Sur la fréquentation amoureuse : A. Fillon, « Fréquentation, amour, mariage au xviiie siècle dans (...)
  • 207 B5286, 8-09-1747, affaire Rezé-Quentin, Solesmes. L’expression est de Perrine Rezé, femme de journa (...)
  • 208 B5295, 18-02-1761, déclaration de Marie Fourmont, Sablé.
  • 209 31 ans, selon l’étude de J. Boivin, Sablé-sur-Sarthe au xviiie siècle, op. cit., p. 129.

110Les futures mères sont rarement de très jeunes filles. Françoise Coignard204, qui déclare être âgée de 16 ans, fait exception. Toutefois sur l’ensemble des situations connues, il est à remarquer que dans plus de 85 % des cas les filles n’ont pas atteint l’âge moyen du mariage205. La fréquentation et la tentation amoureuses n’en paraissent pas moins une préoccupation des filles autour de leurs 20 ans206. Le passage à l’acte peut s’inscrire dans le cadre d’une longue attente d’un engagement matrimonial. Dire de ces « fréquentations charnelles » qu’elles sont, selon l’expression déjà évoquée, « des fautes qui sont commises à bien des personnes du sexe », c’est reconnaître l’aspect déviant du fait, mais c’est aussi admettre que l’aventure amoureuse peut être banale207. À l’autre bout de l’échelle des âges, après 35 ans, les cas relevés concernent essentiellement des veuves qui sont en condition domestique et qui, telle Marie Fourmont, 44 ans, finissent par céder aux sollicitations du maître, en vue d’un mariage, pour peu que lui-même soit veuf208. L’âge des hommes est rarement mentionné (pas même d’indication de majorité ou de minorité). Trente cas nous sont connus (23,4 %). Le séducteur a entre 20 (1 cas) et 40 ans (1 cas). La moitié (15 sur 30) n’a pas atteint l’âge moyen du mariage209. Quatre fois, il est affirmé que les hommes sont mariés et pères de famille mais le nombre d’époux aventuriers est sans doute plus important : 16 fois, les filles déclarent que le père est un inconnu… ou qu’elles ne souhaitent pas le désigner. L’homme est en général plus âgé que la fille : différence logique que peut expliquer une stratégie matrimoniale (l’écart extrême est de 15 ans : 25-40 ans). Toutefois dans un tiers des cas, l’homme est plus jeune (écart extrême de 6 ans : 24-30 ans). Concernant les âges, l’étroitesse de notre échantillon doit susciter les prudences.

  • 210 65 cas sur 85 situations connues.
  • 211 41 cas identifiés ; le nombre réel est sans doute supérieur.
  • 212 28 mentions sur les 100 cas connus.
  • 213 B5417, déclarations du 6 août 1776, et du 13 septembre 1776, toutes deux enceintes de 6 mois.
  • 214 Relations avec l’employeur ou son fils exprimées de façon explicite : marchands, notables, maîtres (...)
  • 215 A. Fillon, Les trois bagues aux doigts…, op. cit., p. 221.

111La domesticité fournit le gros bataillon des filles à séduire210. La plupart des filles sont placées en condition dans une métairie ou une closerie211. Moment de déracinement, position de subordination, les caractéristiques de la condition ancillaire ne manquent pas pour expliquer cette situation. Les autres déclarantes sont « demoiselles », filles de maîtres artisans ou de marchands essentiellement ou encore filles de closiers, métayers ou journaliers, toutes déclarant demeurer chez leurs parents. En outre, nous ne savons que peu de choses de la cellule familiale d’origine. Un tiers des filles serait issu d’un foyer rompu par la mort de l’un ou des deux époux. Le séducteur est d’un horizon social diversifié. Sans doute nous retrouvons nombre de domestiques212. Mais les gens de métiers, compagnons ou garçons sont bien représentés. De même, maîtres, marchands et notables sont eux aussi enclins à quelques liaisons amoureuses, fussent-elles ancillaires. Les autres séducteurs sont closiers, métayers, en tous les cas gens de connaissance. Le lieu de travail est souvent celui de la rencontre. Nos filles cèdent rarement à ceux qui sont de passage : le cas de ce soldat au régiment du Limousin, en semestre dans la ville de Sablé, qui parvient à user des charmes de la fille d’un marchand perruquier avant de faire succomber, à quelques semaines d’intervalle, une autre « demoiselle » reste une exception213. Les filles sont parfois en position d’infériorité par rapport aux pères qu’elles déclarent ; le séducteur est alors souvent l’employeur ou son fils214. La recherche d’aventures n’est pas sans expliquer la diversité socioprofessionnelle des hommes. Mais il semble aussi que bien des relations s’inscrivent prioritaire-ment dans une stratégie matrimoniale et que beaucoup reconnaissent qu’il s’agit de satisfaire un désir qualifié de « pressant », de « mettre Pâques avant les Rameaux215 ».

Les justifications de l’amour charnel

  • 216 55 fois sur les 68 cas renseignés.
  • 217 L’importance des promesses de mariage comme justificatifs se retrouve dans d’autres études. J. Dep (...)
  • 218 B5289, 25-11-1751, déclaration de Marie Moreau, Souvigné.
  • 219 B5417, 31-03-1767, déclaration de Magdeleine Sorin.
  • 220 B5417, 31-03-1767, déclaration de Renée Besnard, Saint-Brice.
  • 221 B5417, 26-01-1787, déclaration de Renée Bouvier, Sablé.
  • 222 B5417, 24-06-1785, déclaration de Jeanne Marceau, Précigné.
  • 223 B5417, 22-02-1769, déclaration de Louise Oger, Saint-Loup.
  • 224 B5288, 11-08-1749, affaire Buon, Sablé.
  • 225 B5417, 12-04-1774, propos de Françoise Coignard, Sablé ; B5288, 6-06-1749, affaire Theulier, Saint- (...)

112Peu importe finalement la véracité des assertions faites par les déposantes. L’essentiel réside dans la justification qu’elles tentent de donner au fait d’avoir succombé à la « passion immodérée » des hommes. Sous le regard social, elles ne peuvent qu’essayer de donner à leur action l’aspect d’une certaine normalité ou, pour le moins, une version qui ne leur aliène pas, autant que faire se peut, la sympathie de la société. Sans nous donner la norme, la femme vise à s’en rapprocher et nous indique les rôles ; encore une distinction s’impose-t-elle suivant les circonstances qui ont conduit à l’acte sexuel. La justification récurrente est trouvée dans la promesse de mariage faite à la femme séduite216. L’affirmation est plausible quand les conditions sociales sont de même niveau. Les « promesses » réellement faites sont sans doute moins nombreuses que ne le prétendent les filles. L’affirmation répond probablement à la nécessité de pouvoir introduire un recours en justice217. Mais elle permet aussi à la femme d’inclure l’acte sexuel dans le cadre de finalités matrimoniales. Marie Moreau, 23 ans, servante au moulin de Baïf, paroisse de Saint-Denis-d’Anjou, a cédé aux avances d’Étienne Nail, domestique du même lieu « sous les promesses réitérées de contracter légitime mariage » et « trop crédule », elle a « par fragilité » succombé différentes fois à la « passion immodérée » du dit Nail218. La déclaration invite à plusieurs remarques ; irresponsabilité et fragilité de la femme, sollicitations empressées de l’homme et promesses comme moyen d’aller au bout de la séduction. Mais sans doute faut-il compter avec la nécessité ou les excuses du temps : les promesses n’ont-elles pas été « réitérées ». L’argumentation se retrouve dans de nombreux exemples. La demoiselle Magdeleine Sorin dit avoir été depuis un an « recherchée et vivement pressée » par le sieur Gerbette, contrôleur des Aides219. Renée Besnard, 23 ans, a cédé à Marin Pillard, garçon poupelier, sous le seul prétexte que ce fut après bien des sollicitations et que « depuis longtemps, il la recherchait en mariage220 ». À l’argument de la durée s’ajoute celui du geste ou de la parole. Renée Bouvier, 27 ans, fille d’un charpentier, aurait reçu le serment de Joseph Jouan, charpentier, « qu’il n’en épouserait jamais d’autres qu’elle221 ». C’est aussi ce que peut affirmer Jeanne Marceau, domestique, qui pourtant reçoit la promesse de son maître, métayer222. La crédulité des filles est d’autant plus facilement prise en défaut que les amants savent tourner leurs propos : Louise Oger, 25 ans, dit de Pierre Maignan, compagnon maréchal, qu’il l’a vue fréquemment charnellement, lui promettant de l’épouser si elle était grosse et que « même, il l’a empêchée de se marier depuis un temps avec un domestique nommé Chardon223 ». Marie Buon, 33 ans, peut-être plus avisée, aurait cédé sous promesse de mariage, faite sous le crucifix224. Les filles ont encore plus de raisons de penser que les promesses d’engagement sont sincères qu’il leur a été remis un présent. Françoise Coignard, fille de closier, aurait reçu un billet avec promesse d’épousailles, mais il lui aurait aussi été offert de l’argent, peu auparavant. Le cadeau ne peut être que symbolique, il n’en légitime pas moins les promesses. Gabrielle Theulier, 26 ans, fille d’un vigneron, déclare elle aussi n’avoir cédé qu’après bien des instances, des serments d’amitié réitérés à chaque entrevue affirmant que le garçon domestique qui l’a courtisée, « pour mieux la persuader de l’amityé qu’il disait avoir pour elle, luy fit présent d’un petit couteau225 ».

  • 226 B5417, 9-09-1769, déposition de Perrine Marçais, Vion.
  • 227 B5289, 18-05-1751, affaire Bardet, Juigné.
  • 228 B5417, 9-05-1769, déclaration de Renée Besnard, 23 ans, Saint-Brice.

113Les déclarations « d’amitié », porteuses d’une certaine forme de tendresse, sont pour les filles autant de preuves de la sincérité mais aussi de l’inclinaison des hommes à leur égard. L’argument est récurrent. Perrine Marçais, servante domestique, raconte comment Germain Landeau vint la trouver dans son lit et lui témoigna qu’il l’aimait226. Sans doute l’appétence des hommes repose-t-elle souvent sur le « désir charnel » quand celle des femmes s’exprime en termes de sentiments. Au demeurant, le rôle attendu des filles paraît tout en retenue et l’initiative, au moins pour les apparences, n’est pas leur lot. Au hasard des déclarations se manifestent pourtant des expressions de désir. Marthe Bardet, fille mineure, confesse au curé de la paroisse comment elle s’est trouvée seule en sa chambre, le jour de la Fête des Morts dernier, et comment René Gautier, clerc, serait entré et « aurait si bien fait par ses caresses qu’il aurait eu compagnie d’elle227 ». Marie Plaçais, 24 ans, certes après « des serments qui paraissaient inviolables à la comparante de l’épouser » aurait cédé à des « empressements insurmontables dans des quarts d’heure de nuit ». Avec d’autres mots, Renée Besnard dit aussi qu’elle fut sollicitée si vivement « qu’elle n’y put résister228 ». En fait ce qu’évoquent les filles, c’est la perte de leur faculté à résister : alors les feux de la séduction et « la passion » des hommes peuvent venir à bout de leur innocence. Dans le champ des représentations, c’est bien là le drame que les filles séduites veulent mettre en scène. Voici encore le récit de Marie Perrichet, 21 ans, fille servante chez un métayer, courtisée par le fils de la maison, Jean Clément. La construction dramatique est presque parfaite :

  • Le nommé Clément a pris de l’amitié pour elle ;
  • Il l’a recherchée en mariage ;
  • Il a réitéré sa demande voulant qu’elle « condescende à ses passions charnelles » ;
  • Elle a toujours résisté ;
  • Il a continué à lui faire la promesse de l’épouser pendant un an ;
  • Se trouvant sans témoin avec le dit Clément dans une closerie voisine, elle n’a pas eu la force de résister aux « nouveaux empressements » ;
  • Celui-ci « réitérant ses promesses de l’épouser est venu enfin à bout de sa vertu229 ».
  • 230 B5417, 31-05-1767, déclaration de Madeleine Sorin, Sablé.
  • 231 B5417, 3-12-1785, déposition de Françoise Roiné et de Jean Chapeau, Sablé.
  • 232 B5417, 7-03-1773, déclaration de Thérèse Chardon, Auvers.

114Du désir ou des sollicitations pressantes peut naître l’abandon de soi. Mais dans la perspective du mariage, il peut être admis que l’on ait « succombé aux caresses230 ». C’est en tous les cas le fondement de la défense présentée par bien des filles. La finalité matrimoniale vient justifier les élans. Le passage à l’acte est parfois annoncé comme le moyen de favoriser un mariage. La déposition commune de Françoise, 18 ans, fille de Jacques Roiné, voiturier par eau, et de Jean, 21 ans, fils du sieur Jacques Chapeau, marchand gantier, est des plus sobres : dans la sécheresse de l’acte administratif, ils ont tous les deux déclaré « avoir eu liaison et cohabitation sous l’espoir de s’épouser231 ». La déclaration de Thérèse Chardon, 31 ans, fille d’un métayer, et de Jacques Roger est tout aussi laconique : ils affirment que « les fréquentations qu’ils ont eues ensemble ne tenaient à autre chose qu’à parvenir à la célébration du mariage232 ». L’affaire qui concerne Marie Bardet, lingère, et Léonard Leroy, garçon charpentier, est plus complexe. Elle s’inscrit encore plus nettement dans une stratégie annoncée. Le 6 avril 1769, Marie vient déclarer une grossesse de huit mois au greffe du tribunal. Le scénario du récit est d’abord classique :

  • Depuis 12 ans Léonard la recherche en mariage ;
  • Il l’a, depuis ce temps, sollicitée fréquemment pour qu’elle ait compagnie charnelle avec lui ;
  • Ce qu’elle a toujours refusé.
    Le stratagème qui vise à satisfaire les revirements du cœur… ou à venir à bout des résistances de la fille l’est moins :
  • « Que [le dit Léonard] lui [aurait] représenté qu’il n’y avait que ce moyen pour faire réussir leur union attendu qu’il avait contracté mariage avec Marie Cormier, fille en cette ville, qui s’opposerait à leur mariage [et] que si la comparante était grosse de ses œuvres, cela lèverait son opposition. »

115Le passage à l’acte, la fin justifiant les moyens, paraît aller de soi :

  • « Qu’à la Saint-Jean dernière, le dit Léonard vint chez la dite Bardet et luy réitéra le dessein qu’il avait de l’épouser et qu’il n’y avait pas d’autres moyens que de luy faire un enfant pour [parvenir à] leur mariage, attendu les oppositions que fournirait la dite Cormier. »
  • « Ce qui força la dite Bardet à consentir à ses sollicitations et en effet Léonard Leroy eut compagnie charnelle avec elle, ce qu’il a réitéré depuis ce temps-là. » Toujours avec les mêmes promesses de l’épouser de sorte qu’elle se trouve « grosse de ses œuvres » d’environ huit mois233.
  • 234 B5417, 9-09-1762, déclaration de Perrine Marçais, domestique, 25 ans, courtisée par son maître, mét (...)
  • 235 B5417, 13-03-1777, déclaration de Jeanne Renaudeau, 28 ans, domestique de M. de la Barre de Gastine (...)
  • 236 B5417, 14-02-1774, déposition de Françoise Oger, 25 ans, domestique, enceinte de son maître, le sie (...)
  • 237 B5417, 1-09-1767, déposition de Marie Lemaire, Vion.

116À partir de ces affaires, se dévoilent les parades du jeu amoureux, les attitudes possibles, celles qui sont admises comme celles qui sont à la marge. Mais s’il est dit par les filles qu’il y a, comme le pense l’opinion commune, bien du « malheur » à succomber à l’empressement des hommes, il apparaît aussi que la société sait s’accommoder de comportements considérés prioritairement comme déviants, pourvu qu’il y ait un retour à la norme. Toutes les filles n’ont pas la fortune de pouvoir justifier leur acte par l’espoir d’un mariage promis. C’est le cas notamment quand les partenaires n’appartiennent pas au même milieu social… ou quand l’amant est marié. Pour arriver à ses fins, l’homme s’attache alors à promettre à la femme « qu’il lui ferait sa fortune234 », « qu’il luy donnerait les moyens d’élever son enfant235 » ou « qu’il aurait soin d’elle et de son fruit236 ». La stratégie d’autres filles est de montrer qu’elles ont bien été forcées de se soumettre aux sollicitations. Marie Lemaire, 26 ans, domestique dans une métairie, raconte comment Nicolas, garçon sabotier, après lui avoir fait plusieurs « propositions d’amour », serait « furtivement venu se mettre dans son lit, à côté d’elle, […] l’aurait saisie et forcée à succomber à sa passion, l’aurait vue charnellement trois fois dans la nuit et accoutumée depuis […] mais qu’elle n’osa crier, craignant que ses maîtres qui dormaient dans la même chambre ne la mettent dehors, s’ils s’étaient aperçus du fait237 ». Le récit souligne à nouveau, dans le champ de ce que l’on veut et ce que l’on peut présenter, la « passion », l’empressement et les sollicitations des hommes, mais aussi le sentiment de la norme transgressée, de la culpabilité qu’accompagnent la crainte du jugement du maître et la peur du renvoi.

  • 238 B5295, 18-02-1761, déposition de Marie Fourmont, servante, 44 ans, Sablé-Thorigné.
  • 239 B5294, 23-09-1760, déclaration de Renée Bailly, domestique, Précigné.
  • 240 B5417, novembre 1771, déposition de Etiennette Bedouin, servante, Bouère.
  • 241 Occurrences : B5417, 26-07-1769, déclaration de Marie Blin, 23 ans, servante, Courtillers ; B5417, (...)

117Le rapport de domination maître-servante est aussi un argument avancé par les femmes pour excuser le fait qu’elles aient été amenées à céder. Marie Fourmont, veuve, servante chez un marchand fermier, lui aussi veuf, dit comment le dit marchand fermier « est venu à bout de la faire céder […] sous des promesses de l’épouser » ; surtout « qu’elle a d’autant moins résisté qu’elle était sa servante et que les occasions étaient fréquentes238 ». Dans la présente affaire, la promiscuité du quotidien n’est pas sans favoriser les « relations charnelles ». L’abus d’autorité est parfois clairement évoqué. Voici Renée Bailly, fille mineure, qui déclare avoir été obligée de céder à son maître, métayer, lequel abusant de son autorité, aurait eu « habitation charnelle » avec elle plusieurs fois, « entre autres peu de jours après Pâques, dans la grange du lieu où la comparante était occupée à dégranger du foin avec luy239 ». Là s’annoncent les violences physiques faites aux femmes que l’on aurait « forcées ». Étiennette Bedouin, domestique violentée, selon ses dires, par le fils de Michel Beauplet, métayer, son maître, raconte comment elle aurait été « prise par le corps », jetée sur un lit, « vue charnellement » malgré tous ses efforts pour se défendre et depuis « obligée de consentir à sa passion », menacée d’être tuée si elle ne voulait pas et si elle parlait240. Au demeurant, les actes caractérisés de viols ne sont pas le propre des relations ancillaires. D’autres femmes viennent encore déposer qu’elles ont bien cédé à la force, qu’elles ont eu « commerce charnel », « à leur corps défendant », surprises, victimes de leur faiblesse physique à ne pouvoir résister. Ces pratiques qui ne relèvent plus du simple comportement déviant entendu comme transgression d’une norme sociale, restent, malgré tout, marginales ; encore peut-on penser qu’elles sont, dans nos sources, sous-évaluées241.

Les amours contrariées

  • 242 Ancien Testament, Exode 22, 16 : « Si un homme séduit une vierge qui n’est point fiancée et qu’il (...)
  • 243 B5417, 20-02-1783, déclaration de Marie Dupont et 3-12-1785, déclaration de Françoise Roiné.
  • 244 B5417, 29-05-1786, déclaration de Marie (illisible), domestique, enceinte des œuvres de Jean Chalum (...)
  • 245 B5417, 7-11-1781, déclaration de Françoise Delhommeau, Sablé.
  • 246 B5417, 25-11-1776, déclaration de Perrine Beaumé, Sablé.
  • 247 B5417, 5-03-1788, déclaration de Françoise Guenier, Vion.
  • 248 37 occurrences, auxquelles il faut ajouter les quelques cas où la différence de niveau social n’au (...)
  • 249 B5417, 14-04-1774, déclaration de Françoise Coignard, Sablé.
  • 250 B5417, 11-02-1774, déclaration de Françoise Brocherie, Bouère.
  • 251 B5417, 9-10-1790, déclaration de Jeanne Métayer, Sablé, et déclaration d’Anne Gablin.
  • 252 B5417, 24-10-1790, déclaration de Renée Bruneau, domestique, Saint-Denis-d’Anjou ; 24-10-1771, décl (...)

118Quels regards la source permet-elle de porter sur les attitudes des amants et des filles séduites ? De la part des séducteurs, nous sommes sans doute bien loin des prescriptions bibliques, selon lesquelles l’homme qui séduit une vierge doit en faire sa femme242. Tous les séducteurs ne sont pas prêts à assumer la responsabilité qui, selon les Écritures, leur incomberait. Sans doute, le jugement doit-il être nuancé. Le corpus documentaire utilisable est limité ; l’attitude des hommes n’est explicite que dans 55 cas. Un élément toutefois révélateur reste l’absence du père de l’enfant à naître lors de la déclaration ; deux fois seulement il est attesté que le géniteur accompagne la femme enceinte243. Ainsi les actes seraient-ils loin d’être assumés et les responsabilités endossées. De même les justifications essentielles des relations charnelles ne paraissent pas prioritairement, pour les hommes, liées à une stratégie matrimoniale. Dans certains cas, l’engagement des amants à réparer leur acte peut être exprimé de façon explicite. Encore peut-il s’agir de paroles rapportées par les filles pour sauver leur honneur. Telle s’empresse de préciser que le père de l’enfant à naître lui a promis la foi du mariage « avant mais aussi depuis qu’elle est enceinte244 » ; telle autre qu’il lui a promis de l’épouser « et qu’il le fait encore245 », ou qu’il est « toujours consentant246 » ; une dernière qu’il lui a réitéré sa promesse il y a encore quelques jours247. Pour autant, dans la majorité des situations connues, l’attitude est bien au refus248. Les cas observables se ramènent à quelques situations caractéristiques. Certains paraissent exprimer de façon explicite qu’ils refusent le mariage, à en croire les filles ; avec leurs mots, celles-ci viennent le dire pour prouver qu’elles ont été abusées. Françoise Coignard, fille de closier, rappelle comment René Brice, meunier, « est venu au but de l’engrosser » après plusieurs promesses qu’il lui aurait faites de l’épouser, « ce qu’il est maintenant refusant249 ». C’est encore la mésaventure qui serait arrivée à Françoise Brocherie, 27 ans, domestique, qui vient déplorer que Jean Haran soit « maintenant dans le refus de l’épouser, pour les raisons d’opposition que forme sa famille à leur union250 ». Pour signifier aux filles qu’elles n’ont pas d’espoir à avoir, les gestes se joignent à la parole. Jeanne Métayer et Anne Gablin, domestiques, disent comment, malgré les promesses, elles se voient mises, une fois la grossesse connue, à la porte du géniteur supposé251. L’attitude des amants peut être encore de prendre la fuite. Les filles déclarent alors que les hommes dont elles sont grosses ont déguerpi quand ils se sont aperçus qu’elles étaient enceintes. C’est le cas notamment de soldats ou de compagnons de passage alors prompts à quitter l’atelier où ils avaient pourtant posé leur bissac252.

  • 253 B5319, 12-01-1789, affaire Dubois-Loison, Vion.

119D’autres amants préfèrent justifier leur refus en avançant que si les déclarantes sont enceintes, cela n’est certainement pas de leur fait. L’argument s’accompagne alors d’une stratégie qui vise à faire la preuve de la légèreté des filles. Il convient, dans de tels cas, de rappeler combien la plaignante avait journellement de mauvaises habitudes avec les hommes, qu’elle avait de nombreuses « fréquentation ». Un nommé Loison, closier, accusé par Marie Dubois, sa domestique, d’être l’auteur de sa grossesse, s’emploie à faire assigner les témoins qui peuvent déclarer qu’ils ont vu la dite Dubois dans les champs proches de la ville, avec un homme, dans une « posture indécente », ou qu’ils l’ont surprise une autre fois dans une cabane de voituriers par eau « tenant des propos libres et indécents et qu’il y a tout lieu de croire qu’ils sont passés des propos à l’action253 ». Les propos des hommes consistent à montrer que la preuve de la mauvaise conduite des filles est dans les lieux ou les personnes qu’elles fréquentent, que leur immoralité est inhérente à leur propension et à leur habitude de folâtrer avec les garçons, de les suivre dans des escapades nocturnes, d’échanger des propos indécents et de les provoquer. L’estocade est portée s’il peut être fait référence à des antécédents personnels ou familiaux. Une autre attitude des séducteurs consiste à demander aux filles de cacher leur nom. C’est probablement le cas quand les femmes déclarent ne pas connaître l’auteur de leur grossesse ou « ignorer quel est le père de l’enfant qu’elles portent ». Au hasard des récits de vie se dévoilent parfois les stratégies des hommes, les détresses des filles d’abord enclines à ne pas vouloir dévoiler l’identité de leurs « complices ». Les scénarios concernant les cas de Françoise Oger, 25 ans, domestique, et de Françoise Coignard, sont à ce titre, révélateurs :

120Déclaration de Françoise Oger Déclaration de Françoise Coignard

12114 décembre 1774, Sablé (B5417). 6 octobre 1782, Sablé (B5417).

122Domestique du sieur Crosnier de la Marsollière, conseiller du roi, grenetier au grenier à sel à Sablé. Âgée de 25 ans, enceinte de 8 mois. Pastourelle, demeurant chez ses parents, Sablé.

123Âgée de 16 ans, enceinte de 6 mois

124Le 14 décembre : vers 1 heure après-midi, déclare au greffe qu’elle est enceinte des œuvres d’un inconnu.Le 6 octobre 1782 : venue au greffe avec son père, déclare qu’elle est enceinte d’une personne qu’elle a certifié ne pas connaître, étant à la recherche de ses moutons qui étaient dans un chemin… « lequel inconnu était grand d’environ cinq pieds, ayant un habit rouge et une culotte noire, des cheveux frisés […] ayant été par luy surprise ».

125Le 14 décembre : sur les 6 heures 30 après-midi, a fait quérir le greffier et déclare qu’elle est enceinte des œuvres du Sieur Crosnier, son maître […].Le 2 décembre 1782 : revient au greffe assistée de son père et déclare qu’elle était enceinte des œuvres de René Cadeau, garçon, 26 ans, bouvier au lieu et métairie de la Hiltière, paroisse Saint-Martin de Précigné.

126« […] lequel luy avait défendu de le nommer sous les promesses qu’il luy avait faites d’avoir soin d’elle et de son fruit ». « […] lequel luy aurait fait des propositions les plus avantageuses comme de l’épouser et à défaut de le faire, de luy donner une somme considérable si elle ne le déclarait pas ».

127« mais que devant la douleur de l’enfantement, craignant pour sa vie et les châtiments de Dieu […] craignant de mourir, l’enfant qu’elle porte en aurait les risques d’être sans secours, pourquoi elle persiste dans sa présente déclaration ». « […] mais qu’ayant réfléchi qu’elle pouvait mourir et que c’était mentir et laisser une charge considérable à sa famille, elle a déclaré qu’en vérité, c’est des faits et œuvres du dit Cadeau ».

128Dans ces affaires, le comportement prêté aux hommes, le parti pris choisi de l’irresponsabilité marquée par le refus d’assumer la conséquence de leurs désirs amoureux, dévoilent les velléités d’échapper au regard social. S’affichent alors les pressions exercées et les scénarios proposés aux femmes pour que soient tu leurs noms. La recherche d’aventures n’empêche pas que l’on ait, suivant le cas, un statut, une honorabilité ou encore une liberté à défendre. Du côté des femmes se manifeste la volonté de respecter la parole donnée, cela fût-il au prix de mensonges ou de situations impossibles à dissimuler. Les « trahisons » n’interviennent bien que sous les raisons impérieuses de ne pas vouloir mourir en état de « péché » mais aussi d’obliger les hommes en cas de malheur et de besoin à prendre leurs responsabilités en assurant l’avenir de l’enfant à naître.

  • 254 Par exemple, B5417, 20-12-1775, déclaration de Perrine Vielle, Solesmes, ou B5418, 2-11-1779, décl (...)
  • 255 B5274, 28-12-1735, affaire Dubois-Chevron, Précigné ; B5298, 15-10-1764, affaire Plaçais-Pillon, Sa (...)

129D’une façon générale, si quelques filles déclarent qu’elles veulent « garder l’enfant pour leur compte254 », d’autres entendent, sans doute pressées par la nécessité, faire valoir des droits : ceux de pouvoir, suivant l’expression portée sur certaines déclarations, poursuivre ou charger les pères qui auraient refusé d’exécuter leurs promesses de mariage. La justice, soucieuse de ne pas alourdir les charges de la collectivité, peut recevoir les plaintes, particulièrement quand la femme est dans le dénuement, « ne pouvant subvenir à ses besoins ni à ceux de son fruit ». « La chose requérant diligence », « le cas étant urgent », il convient de faire assigner le père supposé devant le juge255. Que peuvent espérer les filles qui vont en justice ?

  • Que leur soient payés : des frais de gésine ; des dommages et intérêts pour défloration.
  • Que le père soit condamné : à se charger de l’enfant ; à l’élever dans la religion catholique, apostolique et romaine ; à le nourrir et l’entretenir ; à certifier Messieurs du fisc de trois mois en trois mois de son existence.

130L’affaire qui oppose Françoise Froc et sa famille à Ambroise Fautrat illustre le processus qui peut conduire à rendre aux hommes la responsabilité qu’ils peuvent avoir tendance à fuir :

  • Temps 1 : 6 août 1776, déclaration de la grossesse. Déclaration faite au greffe du tribunal, sur les 6 heures du soir, par Françoise Froc, fille d’un maître perruquier de Sablé, âgée de 23 ou 24 ans, selon laquelle elle serait enceinte des œuvres d’Ambroise Fautrat, boisselier, « contre lequel elle réserve à exercer ses droits et actions en temps et lieu dont elle fait sa réserve ». La déclaration permet bien de faire valoir ce que de droit par la déposition d’un recours en justice.
  • Temps 2 : 2 septembre 1776, sentence du tribunal. Ambroise Fautrat est condamné : à se charger de l’enfant dont elle est enceinte ; à l’élever dans la religion catholique, apostolique et romaine ; à faire apprendre à l’enfant un métier quand il en aura l’âge ; à payer 50 livres pour frais de gésine ;à payer 150 livres pour dommages et intérêts ; à payer les dépens : 6 livres 11 sols.
  • Temps 3 : 11 septembre 1776, déclaration d’appel de Françoise Froc. « […] la sentence luy faisant grief tant parce qu’elle ne luy adjuge pas des dommages et intérêts assez considérables que par rapport aux autres dispositions qu’elle soutien ».
  • Temps 4 : 14 octobre, accommodement devant notaire. La mort en couches de Françoise Froc mais aussi la volonté d’Ambroise Fautrat de voir lever l’opposition qui est faite par la famille Froc à la délivrance des bans d’un mariage qu’il projette alourdissent les exigences :dommages et intérêts fixés à la somme de 234 livres 1 sol 6 deniers ;obligation de présenter l’enfant aux grands-parents à toutes leurs réquisitions… « quand ils jugeront à propos » ; obligation de certifier le procureur fiscal de son existence de trois mois en trois mois ;interdiction de placer l’enfant dans une maison de force ou dans un hôpital.
  • 256 4 ELVII, 2-01-1751, affaire Guéhéry-Gautier, Sablé, Maître Houdouin.

131Ainsi la reconnaissance de la paternité peut-elle avoir ses obligations. L’action en justice a bien une double finalité ; elle concerne à la fois la mère et l’enfant. À la mère, peuvent revenir des frais de couches que l’on distingue des dommages et intérêts qui ont pour but de compenser le tort causé par la défloration. La mission du père est bien de prendre en charge le nouveau-né et, plus tard, de contribuer à l’établir, le tout, sous le contrôle de la justice mais aussi de la famille maternelle. Les mesures soulignent un souci de prise en compte de l’enfant même si son statut peut cependant rester précaire et les décisions difficiles à appliquer. Quand une action est intentée, la demande de prise en charge par le père est récurrente. Mais elle peut prendre des formes diverses. L’accommodement passé devant notaire entre Nicolas Gautier, huissier à Sablé et Michèle Géhéry par lequel Gautier reconnaît être le père de l’enfant à naître, prévoir qu’il sera versé à la dite Guéhéry sous forme de dommages, intérêts et frais de gésine la somme de 60 livres, mais aussi que celle-ci se chargera de l’enfant ( « consent se charger »), à charge pour le père de verser une contribution alimentaire ( « pour contribuer de tout son possible à l’entretien de l’enfant promet et s’oblige donner et payer par chacun an à la dite Guéhéry, la somme de 15 livres payables de 4 mois en 4 mois qui font 100 sols par chaque quatre mois […] et jusqu’à ce que l’enfant aye atteint l’âge de 12 ans »), avec clause qui rompt le contrat en cas de décès de l’enfant256.

  • 257 V. Demars-Sion, À la recherche d’un père…, op. cit., p. 485 sqq., p. 608, p. 733.

132De la lecture de ces procès il émane le sentiment qu’il existe bien un souci de soutenir la mère et l’enfant et que le père, selon le principe ancien que celui qui fait l’enfant doit subvenir à ses besoins, n’est pas sans être rappelé à ses obligations. Toutefois, le corpus documentaire recueilli ne permet guère d’aller au-delà de ce constat ni d’ouvrir des débats fondamentaux, celui par exemple concernant la part des femmes qui peuvent obtenir aide et réparation, celui lié à la garde de l’enfant, celui encore du regard social et institutionnel porté sur les filles séduites. En la matière, selon l’étude menée par Véronique Demars-Sion, l’évolution au cours du xviiie siècle paraît complexe. D’une part la situation ne serait guère favorable aux filles. Ainsi ne seraient-elles plus considérées comme victimes séduites ; donc, selon le droit canon, elles ne seraient plus détentrices d’un droit légitime à réparation. De plus, l’action qu’elles intentent pour que leur soient alloués des « dommages et intérêts » soulignerait bien que les femmes ne puissent plus contraindre le séducteur au mariage. Mais d’autre part, le tableau ne serait pas fait que d’ombres pour les filles : l’institution judiciaire ne les a pas complètement abandonnées. Par ailleurs, on pourrait constater dans l’opinion commune une diminution de la réprobation attachée à la grossesse hors mariage ainsi que l’émergence de solidarités familiales venues compenser la dégradation du statut de la femme séduite257. Ces hypothèses ne paraissent pas infirmées par l’exemple sabolien qui montre bien que la société s’efforce de composer avec ce qui reste une déviance mais qui peut toucher nombre de familles. Sans doute les dégradations décisives concernant les attitudes vis-à-vis des femmes trahies sont-elles postérieures à l’époque concernée ici, notamment quand le Code civil interdit toute action en recherche de paternité et réduit les droits de l’enfant naturel.

Conclusion

133L’analyse des mises en scène du quotidien et des façons de vivre ensemble souligne la complexité du jeu social. La relation aux plaisirs ordinaires montre des aspirations à rechercher les moments de bien-être, à profiter de l’existence. Le cabaret apparaît comme un point central de cette vie de relations liée aux moments de détente. On s’y rencontre volontiers entre amis ou gens de connaissance pour « boire chopine » et ainsi sceller les ententes. Le cabaret est un lieu ouvert, sans doute plus favorable au brassage des genres sociaux qu’à celui des sexes. Il reste par excellence le lieu de convivialité recherchée, offrant en partage le vin, le repas, la conversation amicale ou le jeu. Toutefois la place qu’il tient dans nos sources ne doit pas faire oublier qu’il existe d’autres espaces et d’autres formes de détente faites de plaisirs simples et qui révèlent les amitiés particulières et les connivences. Ainsi nous constatons que les formes qui président, en la matière, aux relations sont prioritairement celles qui ont un caractère intimiste. Il est mentionné de façon récurrente que l’on est entre amis, entre voisins, entre gens de compagnie, entre personnes qui se sont choisies. Le jeu social s’établit bien dans un réseau privilégié de relations intimistes. Même au cabaret, nous voyons prédominer les formes privées de la sociabilité.

134Les espaces du travail et de l’échange sont d’autres lieux essentiels de la vie sociale. L’analyse des relations liées aux besoins économiques souligne la complexité des rapports de force mais aussi des connivences qui s’établissent entre les protagonistes. Les velléités des particuliers à se faire entendre dans le cadre de stratégies qui sont souvent individuelles, les aspirations aux respects des intérêts mais aussi des personnes paraissent essentielles. Enfin, lors des conflits, dans les stratégies de plaideurs ou d’accusés qui veulent faire reconnaître leur bon droit, il convient de souligner l’importance accordée aux bases contractuelles qui régissent, dans ces domaines, la vie de relations.

135L’analyse des effervescences collectives et spontanées montre de quels maux veut se préserver la société et de quelle nature est ce qui peut attenter à l’ordre familial, social et moral. Les excès et les déviances sont souvent ceux d’une jeunesse, essentiellement masculine, à qui l’on reproche de vouloir trop se divertir. Sans doute est-il possible de lire dans ces comportements la marque de rites de passage. Du côté des filles, le risque et la crainte sont de les voir succomber aux pièges qui leur sont tendus pour les séduire. Les mots que disent alors ces filles révèlent le jeu des amours contrariées mais aussi celui des aventures possibles. L’affaire n’est pas toujours un jeu de dupes et montre, à la marge de ce qui est autorisé, des comportements certes réprouvés mais dont la société et les familles savent s’accommoder.

136L’analyse des mises en scènes du quotidien conduit à s’interroger sur les fondements idéaux et symboliques de l’action sociale.

Notes

1 123 occurrences.

2 Entre Château-Gontier et Sablé.

3 Retrouvée dans B5303, mars 1773, affaire Chedan, Sablé. Pour une population d’environ 2 000 habitants.

4 B5277, 7-05-1738, affaire Gandon-Taboy, Sablé.

5 B5303, mars 1773, ordonnance de police, affaire Chedan.

6 B5317, 13-02-1787, demande en séparation de biens d’entre Anne Duchesne et Pierre Auger, Sablé.

7 Avec la prudence habituelle concernant les données statistiques ; présences répertoriées : 260 hommes pour 15 femmes (non comprises les « cabaretières » ou « hôtesses »).

8 E. Le Roy Ladurie, Montaillou, Village occitan de 1294 à 1324, Paris, Gallimard-NRF, 1975, p. 399.

9 B5270, 29-06-1730, affaire Besnard-Maupoint, et B5294, 24-07-1759, affaire Blanche-Beaumier, Sablé.

10 Sur les 238 personnes dont le statut social a pu être identifié, 81 appartiennent à ce monde de l’artisanat (bâtiment : 10 ; bois : 10 ; textile et habillement : 19 ; outillage : 17 ; marbre : 8 ; cuir et peaux : 13).

11 B5283, 3-05-1744, affaire Lesage-Gaudin, Malicorne.

12 78 mentions sur les 238 personnes répertoriées.

13 42 mentions pour 232 personnes répertoriées et identifiées.

14 B5291, 4-08-1754, affaire Legaigneux-Cousin, Vire.

15 B5294, 4-07-1759, affaire Poullet-de Beauchamp, Louailles.

16 B5294, 14-07-1759, affaire Blanche-Beaumier, Sablé.

17 B5309, 30-03-1780, affaire Chrétien, Sablé.

18 Sur un corpus de 52 cas renseignés : le matin (jusqu’à 12h) : 3 cas ; l’après-midi (jusqu’à 17h) : 22 cas ; le soir (jusqu’à 23h) : 21 cas ; la nuit : 6 cas. Jours les plus souvent mentionnés : dimanche, lundi, samedi. Jour de la semaine jamais mentionné : vendredi.

19 B5291, 8-07-1754, affaire Piot-Couet, Bouessay.

20 Successivement : B5291, 29-04-1754, affaire Jouy-Tonnelier, Solesmes. B5279, 11-05-1740, affaire Chaligné, Souvigné.

21 B5279, 11-05-1740, affaire Gandon-Taboy, Sablé.

22 B5283, 14-06-1744, affaire Rieux-Dodier, Précigné.

23 B5291, 4-08-1754, affaire Legaigneux-Cousin.

24 B5295, 31-08-1761, affaire Treboulay-Blossier, Daumeray.

25 B5315, 9-09-1785, affaire Landeau-Martin, Vion.

26 B5295, 21-06-1755, affaire Legaigneux-Jouy, Sablé.

27 B5295, 29-10-1755, affaire Poullet-Richard, Louailles.

28 B5312, 16-12-1785, affaire Mocquereau, Solesmes.

29 B5291, 8-07-1754, affaire Piot-Couet, Bouessay.

30 B5288, 24-02-1750, affaire Bouleau-Cormier, Saint-Brice.

31 B5295, 16-02-1763, affaire Gauneray-Brocherie, Saint-Brice (un jour de Mardi gras) le 15-02-1763.

32 B5294, 24-07-1759, affaire Blanche-Beaumier, Sablé.

33 B5278, 14-09-1739, affaire Chaligné-Viot, Sablé.

34 B5299, 15-06-1768, demande en séparation de biens, affaire Gautry, Sablé.

35 B5295, 31-08-1761, affaire Trilaunay-Blossier, Daumeray.

36 B5303, 22-02-1773, affaire Chedan Sablé.

37 B5292, 31-03-1756, affaire Gandon-Roussin, Sablé. 10 présents entre 18 et 28 ans.

38 B5274, 2-06-1735, affaire Lefebvre-Cosnard, Sablé.

39 B5276, 30-05-1737, affaire Rouillon, Sablé.

40 B5291, 14-01-1754, affaire Viot-Prillet. L’incident eut lieu au bourg de Bouessay.

41 B5289, 21-07-1751, affaire Soldé-Hulbroc, Précigné.

42 B5318, février 1788, affaire Touchet, Miré.

43 B5289, 28-05-1751, affaire Houdouin-Cerneau, Sablé.

44 B5279, 4-07-1740, affaire Tonnelier-Langevin, Solesmes.

45 B5294, 20-07-1759, affaire Blanche-de Gastines, Sablé.

46 B5314, 25-04-1785, affaire Cholet, Sablé.

47 B5272, 8-04-1732, affaire Bellanger-Vachin, Précigné. Sont présents : Jeanne Bigot, 11 ans ; Yves Renou, tissier, 22 ans ; Marie-Louise Roussier, 14 ans ; Henri Colibeau, fils de menuisier, 11ans ; Marie Jaunais, 15 ans.

48 B5270, 24-02-1730, affaire Toutain, Sablé.

49 B5318, 7-02-1788, affaire Leplat-Dantier, Sablé.

50 B5292, 21-08-1756, affaire de Sallayne-Pérard, Noyen.

51 B5286, 1-08-1747, affaire Gandon, Sablé.

52 B5294, 20-07-1759, affaire Lemercier-Blanche, Sablé.

53 B5314, mars 1785, affaire de Monhaison, Sablé.

54 B5270, 21-06-1730, affaire Leroyer-Payé, Précigné.

55 B5272, 2-01-1732, affaire Angoulvent-Cormier, Sablé.

56 Y. Castan, Honnêteté et relations sociales en Languedoc, 1715-1780, Paris, Plon, 1974, p. 290-291.

57 B5272, 2-01-1732, affaire Launay-Bréhier, Précigné.

58 B5272, 24-03-1732, affaire Levasseur-Lecrenais, Sablé.

59 B5290, 26-08-1752, affaire Martin-Poullet, Précigné.

60 B5294, 17-04-1760, affaire Gasneray-Manceau, Saint-Brice.

61 B5314, 9-04-1785, affaire Planchenault-Godefroy, Sablé. Monde des affaires : un entrepreneur de tabac, un marchand tanneur, un maître de forge, deux négociants. Officiers, hommes de loi : un bailli du marquisat, deux avocats, un contrôleur des Aides, deux « bourgeois », tous notables et engagés dans les structures politiques ou administratives de la ville ou du marquisat.

62 B5275, 13-04-1736, affaire Rezé, Solesmes.

63 B5292, 21-08-1756, affaire de Salleyne-Pérard, Noyen.

64 B5302, 13-09-1772, affaire Rigault-Poullet, Précigné.

65 B5314, mars 1785, affaire de Monhaison, Sablé.

66 B5283, 19-02-1744, affaire Mocquereau-Chaloigne, Sablé.

67 B5288, 11-02-1750, affaire Manceau-Cormier, Sablé.

68 B5289, juillet 1750, affaire Lebreton-Chaloigne, Sablé.

69 B5270, 3-12-1730, affaire Chaudemanche, Ballée.

70 B5314, 21-04-1785, affaire Naveau, Solesmes.

71 B5293, 12-01-1758, affaire Dugoulay-Rigault, Précigné.

72 B5314, 29-02-1784, affaire Bachelet-Chevron, Précigné.

73 Délibérations du conseil municipal et de l’assemblée générale des habitants du 5 janvier 1782, registre des délibérations de l’assemblée communale 1756-1787, Archives communales.

74 B5295, 13-02-1787, affaire Duchesne-Auger, Sablé.

75 B5292, 19-04-1756, affaire Couet-Crosnier de la Marsollière, Sablé.

76 B5275, 11-01-1736, affaire Couprent-Roussin, Sablé.

77 B5283, 7-09-1744, affaire Laurent-Thierry, Solesmes.

78 B5295, 15-03-1762, affaire Salmont-Bellisle, Sablé.

79 B5271, 9-01-1731, affaire Rezé-Turpin, Sablé.

80 B5275, 9-09-1736, affaire Bouvier-Chamard, Sablé.

81 B5282, 31-05-1743, affaire Denoe-Landeau, Sablé ; B5318, février 1788, affaire Fouchet, Miré.

82 B5274, 26-09-1735, affaire Dugast-Huart, Sablé.

83 B5285, 11-09-1746, affaire Cosnard-Chauvet, Sablé ; B5287, 14-04-1748, affaire Brillet-Pérard, Sablé.

84 Sur le colportage : B5304, mars 1774, affaire Vincent, Brûlon, Sablé. Sur l’étoffe de contrebande, par exemple : B5312, 14-05-1788, affaire Géronne, Sablé ; pour les livres : B5312, 24-04-1783, affaire Thérard, Sablé.

85 B5304, 18-03-1774, affaire Couet, Sablé.

86 B5303, 4-01-1773, affaire Bérard, Sablé.

87 Par exemple, décision de justice du 23-07-1773, B5303, affaire Cosnard, Sablé.

88 Sur les rapports ambigus entre la foule et l’exécution publique des peines : A. Farge, La vie fragile. Violence, pouvoirs et solidarités à Paris au xviiie siècle, Paris, Hachette, 1986, p. 206 sqq.

89 B5312, 1783, ordonnance de police sur l’organisation des marchés.

90 Blater : consiste à « rendre le blé frais et lui donner de la couleur », selon l’ordonnance ci-dessus mentionnée, notamment en l’humidifiant.

91 Sur les conceptions économiques du commerce des grains, voir les éclairages apportés par la thèse de L. Charles, La liberté du commerce des grains et l’économie politique française (1750-1770), thèse pour le doctorat en sciences économiques, université Paris 1, 1999.

92 B5310, ordonnance de police du 12 mars 1781.

93 Sur ce thème de la spéculation et des héritages : Y. Castan, Honnêteté et relations sociales…, op. cit., p. 360-368.

94 B5302, 4-03-1771, affaire Daugeuil-Gautier, Sablé.

95 B5304, 11-04-1774, registre des causes ordinaires.

96 B5419, registre des ordonnances de police.

97 B5292, 22-12-1755, affaire Perard-Lebras, Sablé.

98 B5273, 7-04-1733, affaire Loison-Nouy, Sablé.

99 Parmi d’autres : B5302, 4-03-1771, affaire Daugreuil-Gautier, Sablé. Il s’agit d’un marché de peaux.

100 B5277, 28-07-1738, affaire Angoulvent-Lebreton, Sablé.

101 B5277, 28-07-1738, affaire Angoulvent-Lebreton, Sablé.

102 B5271, janvier 1731, affaire Rezé-Turpin, Solesmes.

103 Par exemple : B5309, 26-07-1780, affaire Rechin-Guyon, Précigné.

104 B5278, 17-11-1739, affaire Gazeau-Chevron, Sablé.

105 B5270, 27-03-1730, affaire Oger-Morin, Sablé.

106 Succession du sieur Joseph Crochard, bourgeois, 14-12-1781, Solesmes. Archives départementales de la Sarthe, E LVII, 130, Maître Houdouin.

107 Succession de Pierre Guichard, journalier, scieur de marbre. 4 ELVII, 132, Me Houdouin, 18-10-1783.

108 B5273, 7-03-1733, affaire Bardet-Duveau, Sablé.

109 B5307, 3-03-1777, affaire Morin-Bastien, Sablé.

110 B5277, 28-07-1738, affaire Angoulvent-Brehier, Sablé.

111 B5287, 6-02-1748, demande en séparation de biens d’entre Jeanne Langlois et Joseph Gandon, Sablé.

112 B5304, 18-03-1774, demande d’interdiction, affaire Couet, Sablé.

113 B5302, 4-03-1771, affaire Daugreuil-Gautier, Sablé.

114 B5286, 17-04-1747, Sablé.

115 B5296, 9-11-1764, affaire Dupont-Cabiron, Sablé.

116 B5274, 26-09-1735, affaire Dugast-Huard, Pincé.

117 B5275, 9-09-1736, affaire Bouvier-Chamard, Sablé.

118 B5280, 31-05-1741, affaire Desnoe-Landeau, Sablé.

119 Planches de bois permettant de rehausser les montants de la charrette.

120 B5296, 31-08-1763, affaire Gasnier-Gruau, Noyen.

121 B5283, 31-01-1744, affaire Pellier-Daugré, Sablé.

122 Par exemple, B5295, 1762, affaire Hublain-Noyer, Sablé.

123 B5289, 5-04-1751, affaire Brillet-Bardet, Sablé.

124 B5310, 4-12-1781, affaire Hayer-Roisné, Précigné.

125 B5319, 30-06-1789, rapport du procureur fiscal.

126 B5303, 2-11-1773, laissez-passer.

127 B5306, 8-01-1776 ; B5306, 12-08-1776 ; B5314, 25-04-1785 ; B5318, 7-02-1788 ; B5319, 30-06-1789, Sablé.

128 B5292, 5-12-1756, affaire Favre, Sablé.

129 Sur l’existence d’associations de compagnons et la nature du contrôle qu’elles exercent : F. Pitou, Métiers et boutiques à Laval au xviiie siècle, thèse pour le doctorat d’histoire, université du Maine, Le Mans, 1994, p. 753-759.

130 En complément des informations judiciaires, 53 brevets d’apprentissage ont été dépouillés de façon exhaustive. Fonds notariaux consultés : 1750-1754 : 4E89, 558 et 4ELVI. 1780-1784 : 4ELVII, 99 à 103 ; 4ELVII, 129 à 133 ; 4ELVII, 170 à 174 ; 4ELVII, 29 à 33 ; 4ELVII, 153 à 157. Pour comparaison, 1707-1711 : 4ELVII.

131 4E89, 558, 17-07-1751, Maîtres Houdouin Pochard, Moyré.

132 4E89, 23-02-1753, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré, Sablé.

133 4E89, 23-04-1753, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré, Sablé.

134 4E89, 21-08-1754, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré, Sablé.

135 Parmi d’autres : 4ELVII : 17-01-1780, 12-06-1780, 6-08-1780.

136 4E89, 11-02-1752, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré, Sablé.

137 4E89, 558, 10-01-1751, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré ; 1-02-1754 ; 10-09-1754.

138 4ELVII, 129, 6-08-1780, Maître Houdouin.

139 4E89, 558, 1-08-1753, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré.

140 4E89, 558, 1-08-1754, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré.

141 4E89, 558, 6-10-1752, Maîtres Houdouin Pochard, Moyré.

142 Par exemple pour l’apprentissage du métier de serrurier : 4 ELVII, 5-05-1752, Maître Houdouin.

143 4E89, 558, 1754, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré.

144 4E89, 558, 23-02-1753, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré ; il s’agit d’un contrat pour l’apprentissage du métier de perruquier.

145 4E89, 558, 15-07-1753, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré, métier de marbrier.

146 4E89, 558, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré, brevets du 23-02-1753 et du 1-08-1754.

147 4E, 559, 15-07-1753, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré.

148 B5281, 15-10-1742, affaire Couprent-Cormier, Sablé.

149 B5281, 18-06-1742, affaire de la Primaudière-Saligot, Sablé.

150 B5307, 17-09-1777, affaire Baret, Sablé.

151 B5275, 12-09-1736, affaire Brehier-Garenton, Auvers-le-Hamon.

152 B5299, 28-08-1768, affaire Blanchouin-Nozière, Sablé.

153 B5288, 3-09-1749, affaire Lebailly-Marchais, Sablé.

154 B5307, 17-09-1777, affaire Baret, Sablé.

155 B5275, 12-09-1736, affaire Garenton-Brehin, Auvers.

156 B5299, 28-08-1768, affaire Blanchouin-Nozière, Sablé.

157 B5300, 9-03-1769, affaire Launay-Coignard, Bouère.

158 B5288, 3-09-1749, affaire Lebailly-Marchais, Sablé.

159 B5294, 23-06-1760, affaire Besnard-Paigeot, Sablé.

160 B5300, 17-09-1769, affaire Doisneau-Molton, Sablé et Juigné.

161 B5279, 14-09-1740, affaire Courtabessis-Bouteiller, Asnières.

162 Par exemple B5288, 8-05-1749, affaire Lelièvre. Pour la perte de bestiaux, Jean Lelièvre et son épouse, métayers de la Frazelière, Juigné, vont bénéficier de la réduction de 20 livres « sur chacun an », du prix de leur ferme, à compter de la Toussaint 1749.

163 B5286, 28-11-1747, affaire Chevron-Fourmont, Précigné.

164 B5302, 4-02-1771, affaire Dupont-Houdayer, closerie de la Petite Senotière, Solesmes.

165 B5285, 1746, affaire Sevestre-Leduc, Souvigné. Lequel closier peut se défendre « qu’il a bien labouré de façon convenable, fumer, ensemencé, hormis pour une boisselée de terre qu’il reconnaît avoir semée sur fendis et à laquelle il n’a donné toute sa façon, en raison de la très grande sécheresse ».

166 B5295, 8-07-1762, affaire Gruau-Jamet, Saint-Pierre-de-Noyen.

167 B5309, 2-11-1780, affaire Cerneau, Sablé.

168 B5290, 11-09-1752, Lepeletier-Morillon, Sablé. Le plaignant n’est autre que le juge, bailly du marquisat.

169 B5290, 15-10-1752, affaire Davy-Brillant, Sablé.

170 B5270, avril 1740, affaire Lebel-Lelièvre, Sablé. Le propriétaire veut dénoncer le subterfuge du colon qui aurait tenté d’introduire d’autres bestiaux d’origines et d’âges différents en prétendant les coupler (ensemble un bœuf de 5 ans avec un de 7 ans, un de 3 ans avec un autre de 6 ans). Or « chacun sait que de l’impossibilité physique d’assembler deux bestiaux inégaux de taille et d’âge s’ensuit pour le bailleur l’incapacité à faire faire les labours ».

171 B5307, 29-09-1777, affaire Charpentier, Auvers.

172 N. Pellegrin, Les bachelleries, organisations et fêtes de la jeunesse dans le Centre-Ouest, xve-xviiie siècles, Poitiers, Société des antiquaires de l’Ouest, 1983.

173 B5281, 24-01-1742, affaire Nouet-Delet, Sablé. Courtillers, paroisse située à environ une lieue au sud-est de Sablé.

174 Par exemple : B5275, 17-04-1736, affaire Goupil-Bouvier, Solesmes. Rotye : tartine grillée, avec du vin, reconstituant qui peut laisser supposer que l’acte sexuel a eu lieu.

175 B5309, 30-03-1780, affaire Chrétien, Sablé. Gautret : seigneurie de la paroisse de Gastines, contiguë à celle de Sablé.

176 B5271, 3-12-1730, affaire Chaudemanche, Poillé.

177 B5278, 16-02-1739, affaire Gandon, Sablé.

178 B5306, 12-08-1776, affaire Gautier, Bouessay.

179 B5279, 6-06-1740, affaire Jouan-Pottier, Solesmes.

180 B5318, 7-02-1788, affaire Leplat, Sablé.

181 B5317, 29-09-1787. affaire Gaté, Joué-en-Charnie.

182 Pour une étude détaillée des « excès de cabarets », des réactions des autorités religieuses ou politiques, voir M. Heichette, Sociabilité et sensibilités collectives au xviiie siècle, l’exemple du pays sabolien, thèse pour le doctorat d’histoire, université du Maine, Le Mans, 2002, p. 293-298.

183 B5291, novembre 1753, affaire Couprent-Letessier, Sablé.

184 B5281, 16-09-1743, affaire Fouque-Latouche, Précigné.

185 B5309, 30-03-1780, requête du procureur fiscal, Sablé.

186 B5272, 2-01-1732, affaire Launay-Chotard, Précigné.

187 B5288, 22-02-1750, affaire Bouleau-Cormier, Saint-Brice.

188 B5282, 15-02-1744, affaire Chaloigne-Mocquereau, Sablé.

189 B5306, 12-08-1776, affaire Gautier-Bouilleau, Bouessay.

190 B5270, 3-12-1730, affaire Chaudemanche, Poillé.

191 B5314, 21-04-1785, affaire Naveau-Péril, Solesmes, coups de bâton et jets de pierres contre la porte et les fenêtres, alors que les convives se sont réfugiés dans la maison, « huées » contre la dite Raison qui tente de ramener la paix, avec coups de bâton sur le bras gauche.

192 B5288, 10-02-1750, affaire Manceau-Cormier, Sablé. Font partie de la compagnie, les trois enfants de Pierre Cormier, gantier, les deux fils de la veuve Couprent, cabaretière, ainsi que d’autres jeunes, domiciliés à Sablé.

193 Successivement : B5281, 12-03-1742, affaire Daubré-Barde ; B5293, 3-03-1756, affaire Huard-Poirier, Sablé.

194 B5297, 31-03-1756, affaire Gandon-Roussin, Sablé. Ont été interrogés : François Melier, 28 ans, marchand ; François Auger, 27 ans, tisserand ; Pierre Roussin, 22 ans, mégissier ; François Lecoudre, 22 ans, charpentier ; Jacques Cherier, 21 ans, laboureur ; Pierre Sauvage, 27 ans, journalier ; René Liberge, 18 ans, journalier ; Louis Jalumeau, 18 ans, tisserand ; Eugène Gruau, 24 ans, mégissier ; Julien Roussin, 18 ans, tissier ; Jean Nail, avocat postulant, 25 ans ; tous de Ballée.

195 Parmi d’autres : B5306, 16-08-1776, affaire Guillou, Sablé ; B5309, 30-03-1780, affaire Chrétien, Sablé.

196 B5318, 7-02-1788, affaire Leplat-Dautier, Sablé.

197 B5313, 14-09-1784, requête du procureur fiscal, Sablé-Solesmes.

198 B5289, 8-07-1751, à la requête du procureur fiscal, Sablé.

199 Parmi d’autres : B5303, ordonnance de police du 22-02-1773 concernant la réglementation des cabarets.

200 De façon plus explicite encore, il peut être mentionné parfois que la pièce est utile pour poursuivre le père.

201 Sur l’utilisation de cette source : A. Lottin, « Naissances illégitimes et filles-mères à Lille au xviiie siècle », Annales de la faculté des lettres et sciences humaines de Lille, n° 9-10, 1969. J. Depauw, « Amours illégitimes et société à Nantes au xviiie siècle », Annales Économies, Sociétés, Civilisations, n° 4-5, juillet-octobre 1972, p. 1155-1185. C. Chapalain-Nougaret, « Les filles-mères et la prostitution du diocèse de Rennes au xviiie siècle », Actes du 107e Congrès des sociétés savantes, Brest, 1982, t. 1, p. 101-116. M.-C. Phan, « Les déclarations de grossesse en France, xvie-xviiie siècles, Essai institutionnel », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. 22, 1975. M.-C. Phan, « Typologie d’aventures amoureuses d’après les déclarations de grossesse et les procédures criminelles enregistrées à Carcassonne de 1676 à 1786 », Aimer en France, 1760-1860, t. 2, actes du colloque, faculté des lettres, Clermont-Ferrand, 1980. M.-C. Phan, Les amours illégitimes, histoires de séduction en Languedoc, 1676-1786, Paris, CNRS Éditions, 1986. Fillon, Les trois bagues aux doigts. Amours villageoises au xviiie siècle, Paris, Laffont, 1989, p. 217-311.

202 Sources : 1. « Déclarations des filles grosses suivant l’édit du roi Henri II » : soit 109 déclarations rassemblées sous la cote B5417. 2. Série judiciaire relevant des pièces de procédure B5288, B5289, B5293, B5294, B5295, B5295, B5296, B5301, B5305, B5310, B5317 : déclarations de grossesses : 19 actes. B5274, B5288, B5298, B5306, B5319 : procès pour gravidation : 6 actes. 3. Actes notariés : 2 actes dans le sondage effectué : 4ELVII, 131, Maître Houdouin : 1 déclaration (19-01-1782), 4 ELVII, 100, Maître Houdouin : 1 accommodement (21-01-1751). Total du corpus utilisable : 136 cas.

203 Sur les 136 cas : 45 domiciliées à Sablé, 68 dans une commune proche, 11 originaires de paroisses plus lointaines (au-delà de 20 km), 12 situations inconnues.

204 B5417, 6-10-1782, affaire Coignard, Précigné. Âge des filles séduites : Image

205 27 ans à Sablé selon l’étude de J. Boivin, Sablé-sur-Sarthe au xviiie siècle, mémoire de maîtrise, université du Maine, Le Mans, 1970, p. 129.

206 Sur la fréquentation amoureuse : A. Fillon, « Fréquentation, amour, mariage au xviiie siècle dans les villages du sud du Maine », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 1986, t. 93, n° 1 et 2.

207 B5286, 8-09-1747, affaire Rezé-Quentin, Solesmes. L’expression est de Perrine Rezé, femme de journalier à l’adresse de sa voisine : « Vous avez tort de me reprocher des fautes qui sont commises à bien des personnes de notre sexe. »

208 B5295, 18-02-1761, déclaration de Marie Fourmont, Sablé.

209 31 ans, selon l’étude de J. Boivin, Sablé-sur-Sarthe au xviiie siècle, op. cit., p. 129.

210 65 cas sur 85 situations connues.

211 41 cas identifiés ; le nombre réel est sans doute supérieur.

212 28 mentions sur les 100 cas connus.

213 B5417, déclarations du 6 août 1776, et du 13 septembre 1776, toutes deux enceintes de 6 mois.

214 Relations avec l’employeur ou son fils exprimées de façon explicite : marchands, notables, maîtres des métiers : 7cas ; fils de marchands ou de notables : 3 cas ; closiers ou métayers : 6 cas ; fils de métayers : 3 cas.

215 A. Fillon, Les trois bagues aux doigts…, op. cit., p. 221.

216 55 fois sur les 68 cas renseignés.

217 L’importance des promesses de mariage comme justificatifs se retrouve dans d’autres études. J. Depauw, « Amours illégitimes et société à Nantes au xviiie siècle », op. cit., p. 1166. Voir aussi V. Demars-Sion, À la recherche d’un père : action en recherche de paternité et action de la femme séduite dans l’ancien droit français à travers la pratique du Nord, thèse pour le doctorat d’État en droit, 1986, ANRT de Lille III, 1987, p. 487.

218 B5289, 25-11-1751, déclaration de Marie Moreau, Souvigné.

219 B5417, 31-03-1767, déclaration de Magdeleine Sorin.

220 B5417, 31-03-1767, déclaration de Renée Besnard, Saint-Brice.

221 B5417, 26-01-1787, déclaration de Renée Bouvier, Sablé.

222 B5417, 24-06-1785, déclaration de Jeanne Marceau, Précigné.

223 B5417, 22-02-1769, déclaration de Louise Oger, Saint-Loup.

224 B5288, 11-08-1749, affaire Buon, Sablé.

225 B5417, 12-04-1774, propos de Françoise Coignard, Sablé ; B5288, 6-06-1749, affaire Theulier, Saint-Denis.

226 B5417, 9-09-1769, déposition de Perrine Marçais, Vion.

227 B5289, 18-05-1751, affaire Bardet, Juigné.

228 B5417, 9-05-1769, déclaration de Renée Besnard, 23 ans, Saint-Brice.

229 B5294, 10-11-1760, affaire Perriché, Bouère.

230 B5417, 31-05-1767, déclaration de Madeleine Sorin, Sablé.

231 B5417, 3-12-1785, déposition de Françoise Roiné et de Jean Chapeau, Sablé.

232 B5417, 7-03-1773, déclaration de Thérèse Chardon, Auvers.

233 B5417, 6-04-1769, déclaration de Marie Bardet, lingère, Sablé.

234 B5417, 9-09-1762, déclaration de Perrine Marçais, domestique, 25 ans, courtisée par son maître, métayer, Vio.

235 B5417, 13-03-1777, déclaration de Jeanne Renaudeau, 28 ans, domestique de M. de la Barre de Gastines, château de Gautret. Le père supposé est le fils du propriétaire du château, Gastines.

236 B5417, 14-02-1774, déposition de Françoise Oger, 25 ans, domestique, enceinte de son maître, le sieur Crosnier de la Marsollière, grenetier du grenier à sel, conseiller du Roy, Sablé.

237 B5417, 1-09-1767, déposition de Marie Lemaire, Vion.

238 B5295, 18-02-1761, déposition de Marie Fourmont, servante, 44 ans, Sablé-Thorigné.

239 B5294, 23-09-1760, déclaration de Renée Bailly, domestique, Précigné.

240 B5417, novembre 1771, déposition de Etiennette Bedouin, servante, Bouère.

241 Occurrences : B5417, 26-07-1769, déclaration de Marie Blin, 23 ans, servante, Courtillers ; B5417, 15-12-1769, déclaration de Marie Oger, servante, Sablé ; B5417, 8-06-1771, déclaration de Etiennette Bedouin, servante, Bouère ; B5417, 13-04-1787, déclaration de Marie Plessis, 19 ans, Sablé ; B5274, 28-12-1735, affaire Renée Dubois, Précigné ; B5288, 22-12-1749, affaire Chanteau, Miré ; B5295, 1762, affaire Lépine, Miré ; B5295, 4-07-1762, affaire Mauguin, Miré ; B5296, 11-03-1764, affaire Oger, Saint-Loup ; B5417, 9-02-1780, affaire Oger, Sablé.

242 Ancien Testament, Exode 22, 16 : « Si un homme séduit une vierge qui n’est point fiancée et qu’il couche avec elle, il paiera sa dot et la prendra pour femme. » Voir aussi Deutéronome 22, 28 et 29.

243 B5417, 20-02-1783, déclaration de Marie Dupont et 3-12-1785, déclaration de Françoise Roiné.

244 B5417, 29-05-1786, déclaration de Marie (illisible), domestique, enceinte des œuvres de Jean Chalumeau, fils d’un métayer, Précigné.

245 B5417, 7-11-1781, déclaration de Françoise Delhommeau, Sablé.

246 B5417, 25-11-1776, déclaration de Perrine Beaumé, Sablé.

247 B5417, 5-03-1788, déclaration de Françoise Guenier, Vion.

248 37 occurrences, auxquelles il faut ajouter les quelques cas où la différence de niveau social n’autorise pas l’espoir d’un mariage, ainsi que ceux où l’homme est déjà marié.

249 B5417, 14-04-1774, déclaration de Françoise Coignard, Sablé.

250 B5417, 11-02-1774, déclaration de Françoise Brocherie, Bouère.

251 B5417, 9-10-1790, déclaration de Jeanne Métayer, Sablé, et déclaration d’Anne Gablin.

252 B5417, 24-10-1790, déclaration de Renée Bruneau, domestique, Saint-Denis-d’Anjou ; 24-10-1771, déclaration de Geneviève Baffour, Solesmes ; 8-11-1788, déclaration de Marie Hervé, Solesmes.

253 B5319, 12-01-1789, affaire Dubois-Loison, Vion.

254 Par exemple, B5417, 20-12-1775, déclaration de Perrine Vielle, Solesmes, ou B5418, 2-11-1779, déclaration de Marie Oger, Saint-Loup ; les deux filles ayant déclaré qu’elles sont enceintes d’un inconnu.

255 B5274, 28-12-1735, affaire Dubois-Chevron, Précigné ; B5298, 15-10-1764, affaire Plaçais-Pillon, Sablé ; B5298, 19-03-1767, affaire Martin-Le Go, Sablé.

256 4 ELVII, 2-01-1751, affaire Guéhéry-Gautier, Sablé, Maître Houdouin.

257 V. Demars-Sion, À la recherche d’un père…, op. cit., p. 485 sqq., p. 608, p. 733.

© Presses universitaires de Rennes, 2005

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