Version classiqueVersion mobile

Société, sociabilité, justice

 | 
Michel Heichette

Chapitre II. Le primat des relations familiales

Entrées d'index

Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 Pour une synthèse historiographique : F. Lebrun, in La famille : l’état des savoirs, F. de Singly (...)
  • 2 Ph. Aries, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Seuil, rééd. 1973.
  • 3 Parmi les premières synthèses significatives : R. Mousnier, La famille, l’enfant et l’éducation en (...)
  • 4 C. Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté, Paris-La Haye, Mouton, 1949.
  • 5 Sur le renouveau de la sociologie de la famille que l’on peut dater des années 1970, voir J. Kelle (...)
  • 6 Y. Castan, Honnêteté et relations sociales en Languedoc, 1715-1780, Paris, Plon, 1974. A. Farge et (...)
  • 7 A. Burguière, C. Klaspish-Zuber, M. Segalen et F. Zonabend (dir.), Histoire de la famille, t. 2 : (...)

1L’historien est de son temps. Depuis plusieurs décennies la famille est un objet d’étude reconnu, porteur de multiples interrogations1. En la matière, à considérer l’historiographie des quarante dernières années, les travaux de Philippe Aries, délibérément tournés vers l’histoire des mentalités, furent pionniers2. Mais c’est surtout dans la lignée des conquêtes de la démographie historique qui entraîna dans son sillage l’histoire des sociétés et de leurs attitudes, que fut essentiellement labouré le champ des comportements familiaux3. Parallèlement d’autres évolutions ont permis de renouveler les domaines de la recherche. L’histoire de la famille s’est enrichie de concepts et de questionnements nouveaux, nés des approches anthropologiques, ethnologiques ou sociologiques. Précurseurs, les travaux de Claude Lévi-Strauss ont apporté un autre regard et un autre souffle à ces études4. Depuis, l’ethnologie et la sociologie ont fait des relations familiales un point central de leurs préoccupations5. Cette histoire est aussi au cœur des évolutions méthodologiques déjà évoquées : approches privilégiant le qualitatif et le singulier et visant, à partir de cas particuliers, à faire émerger des réalités sociales et mentales. Il s’agit bien là d’une façon nouvelle d’interroger et de regarder les sources. L’approche historique est enfin fécondée par le renouvellement des champs documentaires : recours aux livres de raison ou aux mémoires intimes, aux sources notariées ou judiciaires ; nous avons déjà évoqué, en la matière et parmi d’autres, les travaux d’Yves Castan, d’Arlette Farge ou d’Anne Fillon6. De ces études, émergent, concernant l’histoire de la famille moderne, des problématiques et des sentiments nouveaux. Parallèlement, plusieurs ouvrages de synthèse, malgré des conclusions parfois prématurées, commencent à rendre compte de ces recherches7.

  • 8 Pour l’Ancien Régime, voir le préambule de la déclaration royale du 27 novembre 1639 « Les mariage (...)

2Pendant longtemps, à travers les prismes de la religion, du droit, de la volonté étatique, l’image de la famille et particulièrement du couple s’est cristallisée autour d’une vision très inégalitaire des rôles entre d’une part maris et pères, seigneurs et maîtres et d’autre part femmes et enfants, éternels soumis. Selon d’aucuns, le mariage et la cellule familiale seraient affaires trop sérieuses pour être abandonnés au désordre ou au chaos. La famille se doit d’être le premier rouage de l’organisation politique et la base de l’ordre social ; le thème est ancien8.

  • 9 Saint Paul, par exemple : Corinthiens 7, 3[2] et 7, 4. Ephésiens 5, 25 et 5, 33.
  • 10 Saint Paul, Ephésiens 5 : 21. 22. 23.
  • 11 M. Pigeau (avocat au Parlement), La procédure civile du châtelet de Paris et de toutes les juridic (...)
  • 12 A. Burguière et F. Lebrun, « Le prêtre, le prince et la famille », A. Burguière, C. Klapish-Zuber, (...)
  • 13 4ELVII, Maître Houdouin, inventaire après décès, décembre 1781.
  • 14 Mathurin Louis, sieur des Malicottes (ancien avocat du siège présidial du Mans), Notes extraites d (...)

3Influence des Pères de l’Église et de la morale augustinienne, relents de romanité, besoin de moralisation et affirmation de l’état centralisateur, tout concourt, au-delà de débats et de nuances à faire du mari et du père, le monarque en sa famille. La position de l’Église reste ambivalente, rappelant la nécessaire réciprocité dans l’amour, le respect, les devoirs que l’on se doit entre époux9, glorifiant l’image mariale mais soupçonneuse de l’Ève pécheresse, insistant sur la liberté des personnes, les devoirs des maris et des pères, mais prompte à reconnaître leur domination10. Le mari est incontestablement le chef de la société conjugale et le maître de la communauté. Ainsi, est-ce à lui « d’intenter toute action concernant les biens de sa femme ». Juridiquement mineure, l’épouse doit être dans tous les actes, par son conjoint, « suffisamment authorisée11 ». L’ensemble de ces domaines a été largement exploré par les historiens et les juristes12. En fait, les pratiques coutumières semblent donner à l’homme un rôle moins dominateur qu’il n’y paraît et inversement à la femme des garanties non négligeables : renoncement à la communauté, système du douaire et du remploi notamment. Un exemple parmi d’autres permet d’illustrer le propos. La veuve de Joseph Crochard13, bourgeois, aux prises, dans un problème de succession, avec sa belle-famille, s’empresse de reconnaître que son mari « ayant été le maître de la communauté, elle n’est nullement responsable de ce qu’il a fait » (la succession est déficitaire). Sans doute l’aveu lui permet-il de mieux défendre ses droits. Surtout, l’inexpérience et l’irresponsabilité revendiquées ne paraissent pas être des obstacles à l’exercice de ses prérogatives : « étant fondée à exercer ses reprises (système du remploi) par préférence à eux » (sa belle-famille). L’analyse de la Coutume du Maine et de son interprétation serait un angle d’approche à privilégier14.

  • 15 Les discussions sur les thèses pionnières d’Aries sont révélatrices des difficultés et des prudenc (...)

4Mais l’étude des relations dans la famille ne saurait se limiter aux seuls débats des théologiens, légistes, juristes et autres penseurs, au risque de voir confondu le niveau des pratiques avec celui des normes voulues. La question est de savoir si les principes théoriques qui fondent la famille ont, dans la quotidienneté, le poids qu’on leur prête. Car c’est au quotidien qu’il nous faut découvrir le champ des interactions familiales, des conduites, des valeurs vécues ou ressenties ; une histoire difficile qui commence à définir ses domaines de recherches, ses méthodes et ses sources, un terrain miné par les risques d’un questionnement ethnocentrique15, et par l’information « en miettes » qu’offre l’archive de justice.

5Le sentiment qui naît de la lecture des archives est celui d’une famille éminemment conçue comme un espace de solidarité, très secondairement comme un lieu de conflits. Cette solidarité s’accompagne, au niveau du couple, d’une répartition précise des rôles et des responsabilités dans un espace de complémentarité et de réciprocité. Enfin, le lien conjugal paraît bien s’inscrire dans un modèle de relations qui, au quotidien, se construit autour de normes et d’attentes réciproques mais qui n’exclut pas la référence à un idéal sentimental.

La famille : un monde solidaire16

  • 16 Pour une synthèse rapide sur l’historiographie des solidarités familiales : J. Gutton, La sociabil (...)

6La grande force des archives de justice est d’évoquer des solidarités nées des interactions de la vie quotidienne qui s’expriment avec conviction tant dans les actes que dans les conduites attendues. La situation conflictuelle nous sert de révélateur. Rien, mieux que le malheur, le danger, la menace n’éveille l’expression d’une cohésion dont on ne saurait douter du caractère impérieux. Les occurrences relevées sont révélatrices d’un réflexe d’entraide qui projette la cellule familiale au-devant de la scène bien avant une parenté large dont on perçoit le rôle au-delà de la quotidienneté. Elles soulignent l’existence d’un cercle étroit de la conscience familiale. Ces solidarités instinctives que dévoile la source judiciaire au niveau du discours et plus encore de l’action sont l’expression d’un mode de relations privilégiées au cœur de la sociabilité villageoise. Elles ne peuvent exister sans une valorisation du tissu familial et du sens de la famille. Le champ des rapports parents-enfants est particulièrement révélateur d’une famille prioritairement vécue comme un espace de protection et de refuge. Les conflits ne sont pas absents ; à considérer la famille étroite, ils n’en restent pas moins à la marge.

Le cercle étroit de la conscience familiale

7La famille nucléaire paraît bien le lieu essentiel de ces manifestations solidaires. Ainsi, les attitudes et les pratiques quotidiennes offrent-elles de nombreux exemples d’une solidarité qui s’exprime par des attentions vigilantes et réciproques et par l’entraide entre époux, parents et enfants.

  • 17 B5285, 6-09-1746, affaire Letessier-Gandon-Souvigné.
  • 18 N. Castan, « La criminalité familiale dans le ressort du parlement de Toulouse, 1650-1730 », A. Ab (...)

8Les attitudes d’entraide sont d’abord celles qui naissent au sein du couple. L’époux par un réflexe naturel se doit d’intervenir lorsque l’épouse est insultée ou menacée, pour terrasser l’adversaire, l’impétueux ou le calomniateur ou, s’il ne le peut, aller porter sa plainte, scénarios qui encombrent les archives du greffe. Mais la femme n’est pas moins prompte à prêter main forte et à donner son renfort, renchérissant d’une bordée d’injures ou d’un flot de mauvais coups. Fait infime et banal de la vie quotidienne : un nommé Letessier, garde-chasse des terres, fiefs et seigneuries de la Roche Talbot, la Courbe et dépendances, en fait l’expérience malheureuse un matin du 6 septembre 1746. Conduisant six chevaux qu’il a surpris dans le canton de Souvigné, il est intercepté par le propriétaire Mathurin Gandon, charron et cabaretier, qui, à l’aide d’une trique, le frappe à la tête. Letessier le « couche en joug » et le repousse, jusqu’à l’arrivée salvatrice de l’épouse qui « apportant son appui », adroitement lui porte avec violence un coup de bâton, le saisit et le tient pour mieux permettre à son homme d’achever la besogne et de ramener ses bestiaux17. L’histoire est sans importance mais, avec d’autres, elle rappelle conduites et attentes revendiquées ; « aide », « secours », « appuis », sont donnés à celui des époux qui les sollicite. Les multiples querelles de voisinage sont souvent des temps forts de l’expression de ces solidarités de couple et les femmes ne sont pas les moins enclines à choisir le camp que leur dicte le lien matrimonial. Yves et Nicole Castan, dans un contexte conjugal toutefois différent, nous décrivent une attitude très semblable des Languedociennes du xviiie siècle, expliquant cette « liberté d’action » par « l’irresponsabilité féminine » face à l’appareil judiciaire et par une conception d’un honneur des femmes d’ordre strictement familial18. Dans tous les cas cette attitude intégrée à un code de conduite révèle une orientation claire des comportements et pour le moins une forte conscience des intérêts familiaux. Le lien conjugal est ainsi vécu de façon positive, dans les réactions spontanées et réciproques qu’engendrent les agressions subies ou provoquées. En la matière, les liens du mariage appellent ceux du sang.

  • 19 B5279, 11-01-1740, affaire Lucas-Tonnelier, Sablé.
  • 20 B5314, 14-04-1785, interrogatoire d’Anne Persignan.
  • 21 B5303, 8-08-1774, déposition de la plainte de Mathurin Freuslon, meunier à Gastines, pour son fils, (...)
  • 22 B5315, 9-09-1785, affaire Martin, Crosmières.
  • 23 B5282, 31-01-1744, affaire Daugré-Pellier, Sablé. Conflit à caractère professionnel.

9Les solidarités ne sont pas moins puissantes pour l’ensemble du tissu familial avec une égale réciprocité entre parents et enfants, frères et sœurs. Elles sont à l’origine de ces nombreuses mêlées qui s’étalent sur le théâtre de la rue, l’aire de la ferme ou le chemin creux. Les enfants à l’approche de l’âge adulte sont un appui précieux pour défendre un bien ou mener un combat. Les filles ne sont pas moins âpres à la lutte que les garçons. Urbain Lucas, menuisier à Précigné, venu réclamer le paiement d’une dette chez la veuve Tonnelier prétend que celle-ci « a excité ses deux filles qui se sont jetées sur lui avec violence et emportement, le foulant aux pieds19 ». Anne Persignan, 24 ans, fille de Jean, métayer à la Jumellerie, Sablé, avoue au juge regretter ne pas avoir été un garçon pour mieux casser les bras et les jambes de Jean Fillion, garde-chasse, qui a un différend avec son père20. Chacun connaît trop les intérêts qu’il est de son devoir de défendre. De même, nous voyons les parents s’indigner, en appeler à la justice pour la fille ou le fils malmené, contre « la brutalité de ceux qui usent d’une force au-dessus de celle d’un enfant21 ». L’émotion est toujours à son comble pour un enfant battu ou simplement réprimandé ; il est alors question d’honneur et d’acte sacrilège ; la plainte que l’on porte au greffe ne saurait attendre et les cris sont toujours à la mesure du ressentiment et du préjudice subi. Les frères s’entraident lors des carillons nocturnes, se portent mutuellement secours et s’appellent en renfort. René Martin, maréchal à Crosmières, lors d’une querelle de cabaret fait chercher ses frères car « on veut le battre22 ». Les équipées fraternelles s’organisent pour récupérer un bien, venger un honneur, neutraliser un témoin indélicat ou défendre un intérêt. Marie Cormier, fille d’un marchand gantier, rapporte qu’étant à la porte de sa maison, elle vit François Daugré, garçon boucher, donner des coups de pieds dans le magasin d’un nommé Pellier, boucher, en disant : « Sors donc, tu vas payer ce que tu as fait à mon frère23. » A contrario, on s’étonne profondément de voir deux frères s’affronter. L’appartenance au groupe familial crée des devoirs ou des solidarités instinctives. Ainsi revient-il à chaque membre de la maisonnée d’épouser le conflit des autres ; dans ce contexte, survivent des animosités qui se transmettent d’une génération à l’autre et l’on garde le souvenir qu’il y eut un différend sans que parfois l’on puisse encore en dire le sens. Il est bien là question d’une appropriation collective de l’honneur familial. Prendre parti pour les siens, faire front contre l’ennemi, s’entraider dans les combats, se porter assistance sont des attitudes attendues de chacun des membres de la communauté, parents ou enfants.

  • 24 B5275, 5-09-1736, Sablé.
  • 25 Broc : fourche en bois à 2 ou 3 dents pour faner.
  • 26 B5202, 24-03-1774, affaire Garot, Saint-Ouen.
  • 27 B5319, 22-09-1789, affaire Fourmont, déposition des témoins, Sablé, meurtre d’un collégien.

10Les liens sont d’autant plus forts que les protagonistes sont encore sous le même toit, et la solidarité s’étend à ceux qui vivent au même pot et au même feu. Fidélité, attachement, sollicitude sont le propre de la condition domestique. Le valet ou la servante, particulièrement dans les fermes où la mise en condition se fait souvent au sein d’un même milieu social, sont aussi un peu de la famille. Au quotidien, la solidarité fait rarement défaut. Ainsi revient-il à chacun de prendre le parti du maître. Quand le fermier des moulins du Baïf veut battre celui du Rougeret, c’est avec ses deux valets qu’il se met en embuscade24. De ces aventures, le domestique consciencieux ne s’en sort pas toujours sans blessure au corps ni sans dommage à l’âme. C’est pour s’être opposés à l’exécution d’une sentence prononcée contre leur maître, brocs25 à la main face à l’huissier venu faire la saisie de meubles, que les domestiques d’un fermier de la paroisse de Saint-Ouen se retrouvent devant le juge26. Le partage du travail, des repas et des espaces de vie crée des liens qui ne se renient pas dans l’adversité. Le maître porte plainte pour la servante ou le valet maltraité par autrui. Le domestique épouse la querelle de ses maîtres au point d’en être parfois meurtri, et, s’attaquer à lui, c’est toucher l’honneur de ceux qu’il sert. Les interrogatoires témoignent de ces fidélités et il faut la perspective de la prison ou de la mort pour briser une complicité attendue. Exemplaire est l’attitude de Pierre Gachet, 33 ans, garçon domestique, parce que révélée par le paroxysme d’une situation de meurtre dans laquelle aurait été impliqué son maître, métayer à la Roche, paroisse de Juigné. Après maintes dénégations, ce n’est qu’au quatrième interrogatoire que, déchiré entre le devoir et la peur, il fait une déposition contraire aux intérêts de ceux qu’il sert. « Pierre, tu as livré ton maître, il faut que tu aies dégoisé quelque chose », lui lance la maîtresse du lieu : le pacte est rompu27. Ainsi les liens du mariage et du sang se conjuguent-ils avec ceux du toit pour délimiter un espace privilégié de relations solidaires.

  • 28 F. Pitou, Métiers et boutiques à Laval au xviiie siècle, thèse pour le doctorat d’histoire, univer (...)
  • 29 Ce type d’analyse des cercles de relation est bien connu des historiens qui ont scruté contrats de (...)
  • 30 B5303, 6-03-1713, procès-verbal de la destination de la tutelle naturelle de Louis Martin, tisseran (...)
  • 31 Le mal caduc désigne un état épileptique.
  • 32 Près de 55 % des cas observés.

11Il existe, sans nul doute, d’autres solidarités familiales ; mais dans le théâtre du quotidien tel que nous le présente la source judiciaire, la famille élargie intervient peu, effet probable des structures nucléaires du tissu familial. F. Pitou fait, pour le pays lavallois voisin, un constat identique : elle relève que la famille proche revêt de toute évidence une grande importance mais que « l’on ne semble pas avoir de relations particulières avec les membres les plus éloignés de cette famille28 ». La perception valorisée de la cellule familiale ne signifie pas l’absence de relations avec le reste de la parenté. Oncles, cousins, aïeuls moins souvent, sont les plus présents, connus et reconnus, dispensateurs d’aide ou de protection. Mais ils appartiennent à un second cercle de relations et de solidarités, dans les situations plus exceptionnelles de la vie : événements heureux tels les baptêmes et les mariages, ou dramatiques, conflits intra-familiaux et décès, particulièrement lorsqu’il faut régler le sort des orphelins. Ils sont alors, aux yeux de la justice, un recours évident29. Les actes de tutelle déposés au greffe du tribunal illustrent, à leur manière, le propos. La tutelle naturelle échoit prioritairement au parent survivant, père ou mère suivant le cas, et sans discrimination ; l’on considère qu’« il faut des raisons bien fortes » pour l’en destituer30. Mais au décès du dernier parent survivant ou à l’occasion d’un déport de tutelle pour remariage ou d’un « état de caducité31 » la réunion des conseils de famille souligne alors l’importance, le rôle nécessaire et la responsabilité de la parenté. La charge de tuteur, révélatrice car impliquant un engagement solidaire de longue durée, incombe prioritairement aux oncles paternels ou maternels32, puis aux cousins, enfin aux frères dont le rôle paraît se renforcer en fin de siècle mais qui sont souvent écartés parce qu’ils ont « des intérêts à voir » avec le mineur à pourvoir. Plus exceptionnellement sont désignés un beau-frère ou un (futur) beau-père ; aïeuls et grands-oncles arrivent après voisins et amis. Il ressort de l’analyse de ces actes de tutelle que la famille intervient peu hors des collatéraux immédiats ou des ascendants directs. Au-delà, quand il y a refus de la charge, celui-ci peut être motivé par l’indigence des ressources, le poids d’une progéniture déjà nombreuse, l’incapacité physique ou intellectuelle, mais encore par la nature jugée insuffisante du lien de parenté (21 occurrences). Ainsi, à partir d’un certain degré de parenté, les relations paraissent se distendre rapidement. Tel prétend ne pas connaître les mineurs, s’étonnant d’avoir été convoqué ; tel autre s’empresse de démontrer qu’il existe bien, dans la mouvance des oncles (y compris par alliance) ou des cousins, de plus proches parents que lui à qui doit revenir la charge.

12En dehors du cadre de la famille étroite, celle qui vit sous le même toit, où les solidarités se jouent au quotidien, la proximité du degré de parenté est bien considérée comme condition nécessaire pour que se manifeste un élan solidaire. Le fait conforte l’idée de l’existence d’un cercle restreint de la conscience familiale, conscience dont il nous faut apprécier le poids et les manifestations.

Expression et sens des solidarités familiales dans la sociabilité quotidienne

  • 33 B5270, 22-04-1730, plainte de la veuve Haran, propriétaire de la terre d’Epicé, Saint-Brice.
  • 34 B5281, 5-02-1743, interrogatoire de René Naveau, charron, Saint-Denis-d’Anjou.
  • 35 B5290, 26-08-1752, interrogatoire de Me Poulet.
  • 36 Sur le thème de l’amitié, lien affectif entre deux individus ou fondement de la sociabilité tradit (...)
  • 37 B5291, 15-03-1754, acte de tutelle, Sablé.
  • 38 B5318, 6-09-1788, acte de tutelle, Précigné.
  • 39 M. Aymard, « Amitié et convivialité », Ph. Aries et G. Duby (dir.), Histoire de la vie privée, Par (...)
  • 40 Pour la Bretagne : J. Quéniart, Le grand Chapelletout, violences, normes, et comportements dans la (...)
  • 41 B5295, 27-04-1761, plainte de Jean Tertre, marchand à Sablé dont la mère a été accusée de banquerou (...)
  • 42 B5298, 9-07-1767, plainte d’Anne Dubois, femme de tisserand, Joué en Charnie, accusée de sorcelleri (...)
  • 43 B5288, 4-03-1749, plainte de Marie Buon, veuve de Joseph Guyau, sieur du Vigneul, Sablé.
  • 44 B5286, 4-11-1747, plainte de la veuve Fléchard, closière à Contigné et interrogatoire de Jean, Jacq (...)
  • 45 Y. Castan relève un processus de socialisation identique dans le Languedoc du xviiie siècle. Y. Ca (...)
  • 46 B5281, 1-06-1742, affaire Poulet-Launay, Précigné.
  • 47 B5282, 29-03-1743, affaire Lemaitre-de Lestang, Noyen.

13Les solidarités au sein de la famille étroite nous apparaissent au travers du substrat judiciaire comme l’expression d’un mode privilégié de relations au cœur de la sociabilité villageoise. La revendication d’un lien particulier se retrouve parfois dans le discours ; ainsi attend-on d’un fils qu’il « agisse avec fidélité33 », des frères « qu’ils se connaissent par une liaison d’amityé comme elle doit être entre frères34 ». Maître Pierre Poulet, notaire royal à Précigné, minimise l’action injurieuse qu’il a eue contre le prêtre du village, arguant de ce qu’ils sont « liés d’amityé depuis la plus tendre enfance au point de se traiter de frères35 ». L’assertion porte en elle-même la reconnaissance d’une valorisation des sentiments fraternels. L’« amityé », sentiment singulier qui suppose devoirs mais aussi attachement, paraît bien trouver l’un de ses terreaux privilégiés dans la relation entre membres d’une même fratrie36. Julien Caravannier, marchand à Sablé, est choisi comme tuteur de sa sœur Françoise, 13 ans, « pour la bonne amityé qu’il porte à la dite mineur37 ». Les frères Gautier, domestiques peuvent déclarer que « pour prouver l’amityé qu’ils portent à leur sœur Michèle, 11 ans, ils s’obligent à subvenir à son éducation tant spirituelle que corporelle38 ». L’expression qui veut insister sur l’importance du sentiment est ainsi plusieurs fois utilisée pour justifier la nomination d’un frère comme tuteur, dans une diversité de milieux sociaux. Sans doute sommes-nous loin, dans nos régions de parfaite égalité coutumière de ces rapports entre frères « qui résistent mal au climat de compétition et de conflits » décrits par Maurice Aymard dans un article de synthèse trop inspiré des modèles familiaux caractéristiques des provinces méridionales du royaume39. Le schéma de la France de l’Ouest, fondé sur le partage égal des successions roturières, apaise les tensions qui peuvent naître d’ambitions vindicatives40. Cette conscience des liens du sang se retrouve exprimée dans l’appréciation du déshonneur ; « on ne se fie pas dans des enfants dont les pères et mères ont fait banqueroute. […] C’est une tâche qui déshonore une famille41 ». La calomnie est une chose trop grave pour qu’on puisse la passer sous silence car « il en rejaillirait un déshonneur sur les enfants42 ». Marie Buon apprend que certains « malfaiteurs et malfactrices », animés par l’envie de lui nuire, de la déshonorer « avec toute sa famille, la traite de publique, au déshonneur de sa personne et de ses enfants43 ». Mais, c’est dans l’action au quotidien que nous apparaît le mieux, et que se forge la conscience d’un sentiment familial qui soude les individus et guide les conduites. Entraide et protection sont les expressions d’une solidarité attendue. Au demeurant, toutes les formes d’agressions subies déclenchent ce jeu des solidarités. La défense de la réputation est la plus impérieuse car, comme nous l’avons vu, l’opprobre jeté sur les uns fait le déshonneur des autres. Les injures les plus infamantes sont celles qui s’en prennent à la famille en remettant en cause la probité d’un de ses membres. L’honneur des femmes est alors particulièrement au cœur du débat. La sauvegarde d’un droit, d’un bien, d’un territoire n’est pas moins prompte à provoquer des réactions en chaîne, parfois violentes, toujours indignées, vindicatives et révélatrices des espaces que l’on ne saurait abandonner à d’autres. C’est alors souvent en famille que l’on se mobilise. Ces conduites solidaires paraissent intériorisées dès l’âge de conscience par la défense des intérêts familiaux. Ainsi Gabriel Fléchard, fils de closière, pour avoir repoussé des bestiaux imprudemment aventurés sur les terres ensemencées de sa mère, doit-il « batailler longuement » contre René Laurent, fils de Jean, sabotier, appelé par son père pour défendre le cheptel et encouragé par sa sœur à « jeter à bas » l’insolent, « à lui en donner tout son comptant ». Complicité de la famille Laurent, quand, face au juge qui interroge pourquoi ils voulaient « ôter au dit Fléchard la liberté de garder les champs de sa mère », le père, le fils et la fille, dans une unanimité indignée, rejettent l’accusation de violence pour n’épouser que le point de vue familial d’une agression contre leurs biens44. Les enfants apprennent par une pédagogie de l’exemple et de l’action le sens de la famille. Le fils ou la fille plus âgés deviennent, encouragés par leurs parents, les protagonistes privilégiés de conflits parfois anciens propres à forger une conscience d’appartenance au groupe familial45. Chacun sait épouser la querelle qui touche l’un des membres de la famille. Marguerite Launay, voyant sa mère le visage tout couvert de sang et affirmant qu’« on lui avait cassé les bras et la tête », prend des pierres et vient jeter dans les vitres de la demeure de l’agresseur supposé46. La demoiselle Lemaitre, qui a un différend avec le sieur de Lestang, son voisin, peut déposer que « l’animosité du père [à son égard], s’étend au fils, lequel, on ne sait sur quel ordre du père, au temps des vendanges dernières », aurait cassé les vitres de la maison de la plaignante47. Les complicités nées des mésaventures du quotidien sont les plus aptes à développer cet apprentissage des liens du sang. Parents, enfants, frères et sœurs s’entraident pour repousser un huissier entreprenant, un créancier impatient, un garde-chasse intrépide ou imprudent, et s’épaulent pour manier le verbe haut, l’insulte ou le coup de poing.

  • 48 B5284, 25-05-1745, affaire Jehan-Daugré, Sablé.
  • 49 B5295, 31-08-1763, affaire Brossier-Landeau, Précigné.
  • 50 B5310, 22-03-1781, affaire Thoulet de Montargis-Desgrange, Malicorne.
  • 51 B5288, 23-06-1746, affaire Chauvin, Saint-Loup.
  • 52 B5279, 11-11-1740, affaire Ducet-Haurée, Bouessay.

14Cette propension à prendre le parti de la famille se vérifie encore dans les stratégies offensives. Les trois frères Daugré, garçons bouchers chez leur père, sont ensemble pour importuner les ouvriers qui travaillent à la réfection d’un chemin, s’appellent à la rescousse pour défier l’entrepreneur des ouvrages du roi venu les réprimander48. Le nommé Landeau, closier, et son épouse sont solidaires et alliés pour rosser le fils d’un closier voisin, se prêtant l’aide nécessaire à l’accomplissement de la besogne49. Les multiples affaires de voisinage, parce que chacun sait y prendre position pour les siens, sont des moments propices à l’expression de ces solidarités affirmées au travers de stratégies complices. François Thoulet de Montargis, ancien officier d’infanterie, déplore que le sieur Desgrange, son voisin, employé des gabelles, « vomisse à son égard et contre sa famille toutes sortes d’injures » ; il regrette encore que la femme du dit Desgrange en fasse tout autant50. Enfin, les connivences familiales se retrouvent encore dans le fait délictueux : vol, braconnage, abattage de bois… ou détournement d’héritage ; elles s’expriment aussi dans des complicités face au juge lors des interrogatoires. Joseph Chauvin, 15 ans, aurait tous les jours avec son frère Vincent, 21 ans, tous les deux apprentis tisserands chez leur père, abattu de gros arbres dans la forêt de Bellebranche ; mais chacun des frères, face à la justice, s’efforce de disculper l’autre51. Anne Chaudemanche, 25 ans, épouse d’un closier, dépose avoir vu dans les bois du prieuré de Bouessay, un nommé Haurée, métayer, occupé avec ses trois fils et sa femme à couper des branches de chênes, des « renaissances grosses comme le bras, ainsi que des genêts dont ils faisaient des fagots au milieu desquels ils mettaient les dites branches pour les rapporter chez eux » ; chacun des accusés vient alors dire au juge qu’il s’agit de quelques branches pour arranger le chemin que doit emprunter la procession de la Fête-Dieu52. Ces actes infimes mais multiples sont propres à souder la cellule familiale dans une communauté d’intérêts. Toujours s’exprime une cohésion du groupe familial qui donne parfois naissance à de véritables coalitions.

15Mais les rapports ont aussi bien d’autres exigences et l’étude de la place des enfants dans la famille et des relations parents – enfants paraît particulièrement féconde pour qui veut saisir la nature des liens qui s’établissent au sein des foyers. Le groupe domestique apparaît alors prioritairement perçu et vécu comme un espace de protection et de refuge.

Famille – refuge, famille – protection : la place de l’enfant dans la famille

  • 53 Sur les problèmes que pose l’historiographie concernant l’enfance, voir les remarques d’A. Farge, (...)

16Le champ d’étude de la relation parents-enfants est d’accès difficile tant en raison de la dispersion de l’information saisie au travers des archives de justice que des risques d’anachronisme d’un questionnement contemporain. Un des obstacles tient à la nature du débat historiographique concernant la place de l’enfant dans la famille : débat focalisé sur la thématique de l’affectivité au sein de la communauté familiale et de l’amour que les parents pouvaient donner à leurs enfants53.

  • 54 Ph. Aries, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, op. cit. Voir les réponses de Marcel (...)
  • 55 D. Alexandre-Bidon et M. Closson, L’enfant à l’ombre des cathédrales, Lyon, Presses universitaires (...)
  • 56 D. Roche, Le peuple de Paris, Paris, Aubier, 1981, p. 249.
  • 57 Y. Castan, Honnêteté et relations sociales…, op. cit., p. 214-217. A. Collomp, La maison du père. (...)
  • 58 Sur ces lectures nouvelles : A. Farge, La vie fragile…, op. cit., p. 55-88.

17La discussion est ouverte depuis la thèse de Philippe Aries, sur l’émergence au xviiie siècle d’un sentiment de l’enfance dans les milieux favorisés. Elle a pu parfois prendre l’ampleur de la polémique54. Les études médiévales suffisent à rappeler que cette volonté de figer dans le temps l’émergence d’une relation affective entre parents et enfants est obsolète55. Parallèlement, le champ des représentations a conduit certains érudits à penser que le sentiment à l’égard de l’enfant pouvait ne pas exister dans les milieux populaires et notamment chez les plus défavorisés. Longtemps après les travaux de Philippe Aries, il peut être écrit, certes à propos d’un contexte urbain particulier : « Point d’enfant dans le peuple ; il est soumis à l’abandon ou à la mise en nourrice. Les enfants fuient la maison, rassemblés dans les écoles ou passant leur liberté dans les rues, ils n’y entrent que pour dormir56. » Enfin, les travaux concernant les espaces méridionaux ont contribué à forger l’image d’une famille autoritaire et souvent conflictuelle où les générations et les fratries peuvent s’affronter en conflits violents pour la confiscation du pouvoir ou des biens57. Dans ce contexte historiographique, quelles problématiques, quelle démarche privilégier ? Le questionnement sur le sentiment dans les rapports parents-enfants, n’est pas à exclure. Mais il ne peut être envisagé sans une remise en contexte, sans une analyse préalable de la place de l’enfant dans le tissu social et familial, perçue, non du point de vue de la pensée philosophique ou de la réflexion ecclésiale, mais à partir des images du quotidien, celles qui nous montrent l’enfant acteur ou enjeu du jeu social58. L’objectif est ici de déterminer quelle conception de la relation parent-enfant fait émerger la source judiciaire.

  • 59 D’après les sondages effectués dans les archives notariales ; l’apprentissage, au demeurant peu ré (...)
  • 60 B5272, 29-06-1742, affaire Métais-Rollet, Souvigné.
  • 61 B5302, 28-10-1771, affaire Derouet-Fourmont, Auvers-le-Hamon.

18De l’archive de justice émergent des tableaux contrastés. Le sentiment premier concernant la perception de l’enfant, est celui de son intrusion dans un double cercle de sociabilité ; sans doute appartient-il au monde de l’insouciance, jouant ou s’égaillant en compagnies parfois tumultueuses, troublant le voisinage, selon l’âge, par ses malices ou par ses frasques ; mais en même temps il paraît fortement intégré à la société des adultes et particulièrement aux intérêts et aux enjeux familiaux. Tôt, souvent avant l’âge possible pour être placé en apprentissage ou « en condition59 », l’enfant est inclus dans la vie du foyer par une diversité de tâches, de travaux ou de services propres à lui faire prendre conscience des intérêts qu’il a à défendre. Le 27 juin 1732, avant midi, un nommé Rollet, closier, déclare être allé avec son fils et ses deux filles tirer le foin d’une « noé de pré » dépendant du lieu qu’il exploite60. Le 28 octobre 1771, Louis Derouet, closier aux Hautes Fraudières, paroisse d’Auvers-le-Hamon, aurait été vu, travaillant avec sa fille dans une pièce de terre61. Les exemples sont multiples et les activités diverses. Si à la campagne les gros travaux sont réservés aux plus âgés, aux plus jeunes – « pastoureaux » ou « pastourelles » – peut échoir, dès l’âge de 8 ans et jusqu’à un âge avancé de l’adolescence, la garde des bestiaux sur l’exploitation familiale. La tâche n’est pas sans risques ni sans responsabilités. Là, se forge le sens des intérêts familiaux par la mise en valeur ou la défense des biens et des espaces.

  • 62 B5275, 13-04-1736, affaire Rezé, interrogatoire de Perrine Rezé, Solesmes.
  • 63 B5303, juillet 1773, affaire Cosnard-Janvier, Vion.
  • 64 Deux cas relevés de mort d’enfants, plus un cas de grossesse celée avec tentative de dissimulation (...)
  • 65 B5303, juillet 1773, affaire Cosnard-Janvier. Déclaration du chirurgien à qui Anne Cosnard aurait f (...)
  • 66 B5275, 13-04-1736, affaire Rezé, interrogatoire de Perrine Rezé, Solesmes.
  • 67 B5309, 28-12-1780, grossesse celée, abandon d’enfant, Sablé.
  • 68 B5305, 31-05-1775, affaire Jouan, Sablé.
  • 69 B5307, 28-07-1777, exposition et abandon d’enfants, Sablé.

19Surtout, dans nos sources, quels que soient l’âge, le lieu et la situation dans laquelle nous le saisissons, l’enfant apparaît bien au centre de préoccupations qui font de la famille un espace de protection bien plus qu’un lieu permanent de conflits. Contrairement à ce qui peut être observé dans d’autres contrées, la famille apparaît comme un territoire pacifié. Bien plus, à l’égard des enfants se manifeste tout un faisceau d’attentes et d’obligations dont on peut retrouver l’expression tant dans les déclarations des autorités que dans le propos commun. Le premier devoir parental paraît bien celui de garantir le droit à la vie. Tout acte qui attente à l’intégrité physique ou morale et d’une façon plus générale à la vie de l’enfant est perçu comme odieux tant par les autorités que par l’opinion commune. S’il faut établir une hiérarchie des crimes pour mieux souligner une échelle des valeurs sociales, l’infanticide reste le geste extrême. La sentence de la justice se doit d’être exemplaire et publique. Perrine Rezé, femme de René Simon, vigneron à Solesmes, convaincue d’avoir caché et « dényé » sa grossesse avant et depuis son mariage et d’avoir détruit sans baptême son enfant, est condamnée à être pendue jusqu’à ce que mort s’ensuive à une potence montée à cet effet dans le carrefour du faubourg Saint-Nicolas de la ville de Sablé62. Anne Cosnard, métayère à Vion, fille majeure, accusée d’avoir celé sa grossesse et son accouchement et d’avoir fait disparaître son enfant se voit de même condamnée à la pendaison en place publique, un jour de marché. Il est encore stipulé que les biens de la dite Anne Cosnard seront déclarés « confisqués au profit de Monseigneur de cette Cour conformément aux coutumes du Maine et de l’Anjou », la sentence étant mise en œuvre par effigie (l’accusée est en effet en fuite), « en un tableau attaché à la dite potence par l’exécuteur de la haute justice ». Il est enfin enjoint aux curés de publier l’édit du Roy Henry, second du mois de février 1556 en conformité des arrêts de la Cour des 16 mars 1731 et 27 avril 173563. L’exemplarité de publicité faite à la peine doit être à la dimension d’un crime que tous considèrent comme touchant à ce qu’il y a de plus sacré. Interpréter le recours à l’infanticide appelle la prudence. Le crime paraît d’abord exceptionnel64 ; surtout, il n’indique en rien l’absence d’un sentiment maternel à l’égard de l’enfant mais naît de situations inextricables dont les protagonistes sentent bien qu’elles sont inacceptables par le corps social. Anne Cosnard fut enceinte des œuvres d’un « inconnu » et sur « la représentation » que lui fit le chirurgien Lemercier qu’il lui fallait mettre son honneur à couvert en épousant celui qui était l’auteur de sa grossesse, elle lui répondit avec un air triste et chagrin que cela était impossible d’où il fut conclut « qu’il fallait que ce fust une personne mariée ou dans les ordres qui était l’auteur de cette grossesse65 ». Perrine Rezé accouche d’un enfant conçu quelques mois avant son mariage avec un homme dont elle ne veut dire le nom. Pour sa défense, elle peut prétendre que l’enfant était mort à sa naissance et que s’il était né vivant « elle l’aurait emporté sans rien dire, l’aurait fait baptiser, serait allée chez un hôte au bourg de Louailles », ajoutant qu’« elle n’a fait aucun mal à l’enfant66 ». Les défenses sont maladroites mais elles expriment davantage les détresses des mères qu’un sentiment d’indifférence à l’égard de l’enfant. D’autre part, selon des témoins, plus que le fait, sans doute réprouvé, d’avoir eu des relations en dehors de l’état de mariage, ce qui reste prioritairement condamné paraît bien le fait d’attenter à la vie d’un enfant. Le sieur Lemercier, chirurgien et confident d’Anne Cosnard l’aurait engagée « à ne rien déguiser de sa grossesse afin de ne rien prendre comme remède qui soit contraire à l’enfant ». Dans un ordre logique, attenter à l’intégrité physique d’une femme enceinte est affaire de circonstances aggravantes. Bien des cas de violence sont ainsi considérés « d’autant plus répréhensibles » qu’ils touchent des femmes « grosses » dont le « fruit » est ainsi mis en péril. Cette sacralisation de la vie de l’enfant se retrouve exprimée lorsqu’apparaissent orphelins ou enfants abandonnés. L’enfant, qualifié alors de « fragile », d’« innocent », est susceptible d’éveiller des sentiments de pitié ou « d’humanité ». Jeanne Brossier, femme de closier, 27 ans, trouvant à sa porte, sur les 5 heures et demie du matin, un homme chargé d’un petit enfant nouveau-né qu’il portait à Angers, déclare qu’elle voulut bien accepter « par pitié » de chauffer et d’allaiter le nourrisson67. Le discours officiel contribue à fortifier le propos. François Jouan, charpentier, et Jeanne Hubert, son épouse, auraient quitté leur domicile après avoir vendu clandestinement tous leurs effets et laissé cinq enfants, dont quatre en bas âge et hors d’état de gagner leur vie ; il s’agit bien là d’un « acte d’inhumanité qui mérite toute la répression de la justice » puisque touchant « d’innocentes victimes68 ». Ce discours n’est d’ailleurs pas sans ambiguïté : empreint d’humanisme, mais aussi du sentiment traditionnel que l’enfant qui naît est d’abord créature de Dieu et sujet du roi. Jacques-Antoine Moyré, procureur fiscal, averti qu’un enfant mâle, nouveau-né, venait d’être trouvé dans un panier déclare que, s’il a d’abord satisfait aux premiers devoirs de l’humanité (faire baptiser et nourrir l’enfant), il ne peut passer sous silence « la cruauté exercée sur cette petite victime de la passion de ses père et mère », cruauté facile à concevoir par la seule exposition de ce « petit être » qui, « parce qu’il augmente les adorateurs du culte de Dieu, est cher à l’État ». Ce « crime étant un des plus odieux » doit être non seulement suivi « du châtiment » qu’il mérite, « mais encore servir d’exemple à la postérité et à de pareilles mauvaises mères si on peut s’en persuader qu’il s’en trouve d’autres69 ».

  • 70 B5281, 5-05-1743, affaire Naveau, Saint-Denis-d’Anjou.
  • 71 B5292, 4-08-1755, affaire Duval-Jaladin, Sablé.

20Pourvoir aux besoins essentiels de sa progéniture est un devoir des pères et mères. Nombre de pères dans les procès en séparation de biens ou de corps ont à répondre de l’accusation, stratégique ou réelle, de ne pas subvenir à des obligations aussi fondamentales, le pire étant de conduire ses enfants à la mendicité. Certaines défenses, peut-être naïves mais efficaces, sont aussi révélatrices. Jean Naveau, charron, 47 ans, emprisonné pour violence, demande son élargissement (libération) sous le prétexte, qu’il « laisse cinq enfants en son domicile, l’aîné âgé de 9 à 10 ans, dépourvus de tout aliment70 ». Jean Lignée, métayer, lors d’une joute entre André Duval, closier et Joseph Jaladin, métayer, aurait entendu le dit Duval s’écrier71 : « Ne me tue pas, je te demande pardon, j’ai une bande d’enfants à élever, aie pitié d’eux. »

  • 72 B5314, 4-08-1785, affaire Thébault de Monhaison, lettre datée du 18 décembre 1784.
  • 73 B5307, 29-09-1777, affaire Charpentier, Saint-Loup-du-Dorat.
  • 74 B5313, 6-05-1784, demande en séparation de bien, affaire Pellerin-Martin, Sablé.
  • 75 B5315, 20-05-1784, affaire Grassin, Solesmes.
  • 76 Par ex. : 4E89, 558, 17-07-1751 au 23-02-1753, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré-Sablé.

21L’attention que l’on doit porter à l’enfant ne se limite pas à assurer son existence ou sa nourriture. Elle est encore dans l’application qu’il faut mettre à donner une éducation décente. L’obligation est stipulée dans les textes normatifs. Les actes de tutelle rappellent le devoir d’éducation tant « spirituelle » que « corporelle ». Il est aussi affirmé dans le propos commun. René Thébault, négociant, éloigné de son domicile, dans une lettre à sa sœur, s’inquiète de « manquer l’éducation de ses enfants72 ». Pierre Charpentier, notaire, dans un procès qui met en cause son frère Jacques, 22 ans, pour diverses débauches, peut affirmer que « leur père s’est efforcé de donner (au dit Jacques) une bonne éducation73 ». Marie Pellerin, épouse d’un marchand huilier, affirme qu’elle veut donner à ses deux enfants en bas âge, un garçon et une fille, « une éducation convenable à leur état74 ». Peut-être père exemplaire, Pierre Chardon, journalier, 40 ans, témoigne qu’« ayant envoyé ses enfants à l’école (dont Pierre, 10 ans), il s’est entendu dire qu’ils n’apprenaient pas bien à lire avec un maître qui s’occupait avec eux à autre chose ». Le déposant « s’imagina que ce n’était que par jalousie que l’on parlait ainsi75 ». De la même façon, la mise en apprentissage est l’occasion d’affirmer le soin que l’on veut mettre à donner à l’enfant les moyens de son autonomie mais dans le cadre d’un métier qui puisse lui convenir et lui plaire, avec l’espoir exprimé que cela lui permette d’avoir une vie meilleure76. Le discours est à cet égard édifiant ; nous y reviendrons.

  • 77 B5278, 13-01-1739, plainte de M. Poitevin, Sablé.
  • 78 B5307, 17-09-1777, affaire Baret, Sablé, puis B5288, 12-04-1750, affaire Deroy-Dupré, Sablé.
  • 79 B5294, 31-08-1763, affaire Brossier-Landeau, Précigné.

22Les solidarités se mesurent aussi à l’aune de la protection et du refuge que représente la famille : protection de l’enfant qui agace et que l’on maltraite au coin d’une rue ou d’un pré, du pastour battu par un voisin pour avoir laissé échapper ses bestiaux, de l’apprenti bousculé ou méprisé, de la fille insultée. Les pièces de procédure montrent à quel point l’enfant, enjeu de l’honneur familial, cristallise les passions et apporte au voisin irascible ou au maître violent, l’opprobre des familles. Quand Jean-Baptiste Poitevin, maître d’école, veut corriger le nommé Mignonne, 13 ans, fils de cabaretier, pour s’être fait traiter de « nez tord », de « haut talon », de « gueux et autres invectives », il doit affronter la mère de ce dernier qui, « au lieu de blâmer son fils », l’aurait incité à poursuivre, donnant elle-même un soufflet à l’insulté et lui jetant de la boue au visage77. La simple réprimande faite à un enfant est capable de susciter de la part des parents les réactions les plus vives et d’engendrer des conflits entre familles. Apprendre que son enfant a été battu suscite toujours des cris outragés et des appels à la vengeance. Telle femme de closier, 25 ans, dépose avoir dit au valet du lieu, parce qu’il venait de donner un coup de manche de couteau sur les doigts de son petit enfant, qu’« elle n’entendait pas qu’il battît son enfant, que s’il le faisait, elle le sortirait à coups de balai » ; tel chapelier veut déposer sa plainte, indigné qu’un voisin irascible se soit jeté sans raison sur son fils, « avec fureur, le chargeant avec tant de violence de coups sur tous les endroits de son corps, que l’on n’y découvre que les plaies […] qu’il l’aurait fait tomber et expirer sous les coups, s’il ne s’était trouver des personnes charitables qui l’ont arraché de ses mains et soustrait à sa fureur78 ». Le discours dépasse la réalité, le rapport du médecin l’atteste ; il n’en est que plus révélateur. L’enfant est souvent au centre des querelles de voisinage. Chacun s’efforce alors de prendre le parti de sa progéniture et de montrer avec une susceptibilité exacerbée l’intempérance de l’impétrant et l’ampleur irraisonnée des colères suscitées. Voici Pierre Brossier, closier, qui dépose une plainte parce que son fils, 16 ans, aurait été rossé par son voisin aidé de son épouse, laquelle, loin d’être « touchée » par la violence des coups portés par son mari, « se serait jetée avec fureur sur l’enfant, luy déchargeant avec une cruauté sans exemple plusieurs coups de serpes sur le corps » ; à l’innocence du fils qui « s’efforce d’employer le peu de force qui luy reste à demander pardon à une femme qu’il n’a nullement offensée », s’opposait « la rage » de cette femme qui « loin de se laisser fléchir par les prières et les gémissements du pauvre malheureux laisse redoubler sa fureur79 ».

  • 80 B5281, 15-10-1742, plainte de Jean Couprent, Sablé.
  • 81 B5288, 3-09-1749, affaire Lebailly, Sablé.
  • 82 B5317, déclarations de grossesses anticipées, série continue de 1773 à 1790 : 90 cas. Présence atte (...)
  • 83 Idem, relevé des expressions : « demeurant ci-devant chez… et depuis lors chez ses pères et (ou) m (...)
  • 84 C. Phan, Les amours illégitimes à Carcassonne. 1687-1787, thèse de 3e cycle, Paris, 1980, p. 132.
  • 85 V. Demars-Sion, À la recherche d’un père…, op. cit.

23De la même manière, les mauvais traitements infligés aux enfants placés en condition ou en apprentissage mobilisent aussi la vigilance des familles. Jean Couprent, marchand gantier à Sablé, rend sa plainte quand il apprend que son fils, 16 ans, en apprentissage chez un confrère, aurait été frappé « au point d’être traité au lit par un chirurgien », et, qu’au demeurant, il serait utilisé à bien autre chose que le métier de gantier80. La vigilance des familles ne se dément pas, non plus, pour la fille placée en condition. Ainsi Magdeleine Lebailly, fille de closier, servante chez un maître boulanger, bien qu’« ayant servi avec toute la fidélité possible, se trouve-t-elle récompensée par les traitements les plus inouïs81 » : le père porte sa plainte au greffe. Nombre de contrats sont ainsi dénoncés parce qu’est prise en compte la parole d’enfants qui, à tort ou à raison, viennent dire dans le giron familial qu’ils ont été malmenés. De même, nous voyons la famille jouer son rôle de refuge quand les affres du déshonneur frappent la fille séduite ; la lecture attentive des déclarations de grossesse déposées au tribunal nous présente une proche famille, qui, au-delà de sa réprobation possible ou probable, est souvent présente pour accompagner, accueillir… et supporter l’opprobre d’une naissance illégitime : présence attestée au greffe d’un père, d’une mère, d’un frère pour soutenir la fille « qui n’a pas la hardiesse pour comparaître devant le juge82 », propension de la cellule familiale à garder ou accueillir au domicile la fille délaissée et « mise dehors » par un maître soucieux d’ordre ou de morale83. L’interprétation de ces présences familiales appelle la prudence et le corpus utilisable n’est pas sans défaut ; mais les comportements objectifs observés n’en attestent pas moins une solidarité, fût-elle fataliste, d’honneur ou d’intérêt, et au demeurant, observée en d’autres lieux, particulièrement pour la deuxième partie du xviiie siècle84. Ces attitudes peuvent relever de conceptions mentales nouvelles, compenser naturellement la dégradation du statut juridique de la fille séduite comme le pense Mme Demars-Sion85. Dans tous les cas, la cellule familiale ne peut qu’être valorisée par l’espace de protection qu’elle représente. Il convient alors de s’interroger sur l’existence et la nature des liens qui peuvent se tisser dans l’intimité du foyer.

  • 86 B5289, 8-07-1751, procès ouvert contre plusieurs « libertins », Courtilliers.
  • 87 B5289, juillet 1751, affaire Lebreton-Chaloigne, Sablé.
  • 88 Par exemple, B5315, 20-05-1785, affaire Grassin, Solesmes. Affaire de mœurs, attentat à la pudeur  (...)
  • 89 B5290, 16-08-1752, affaire Lemeunier-Brocherie, Sablé.
  • 90 B5289, 27-05-1751, affaire Houdouin-Cerneau, Sablé.
  • 91 B5281, 26-02-1743, affaire Mauboussin-Guimbert, Sablé. B5281, 20-08-1743, affaire Rezé-Guimbert, Vi (...)
  • 92 B5278, 14-09-1739, affaire Chaloigne, Sablé. Les exemples sont multiples.
  • 93 B5282, 17-02-1744, affaire Mocquereau-Chaloigne, Sablé.
  • 94 B5278, 16-02-1739, affaire Gautier, Sablé.
  • 95 B5288, lettre du 14-02-1759.
  • 96 B5303, 6-03-1773, affaire Martin, Sablé.
  • 97 B5311, 29-10-1782, affaire Chevron, Précigné, interrogatoire de Pierre Chevron, 63 ans, vigneron.
  • 98 B5317, 5-09-1787, demande en séparation de bien et d’habitation, Sablé.
  • 99 B5314, 18-12-1784, affaire Thébault de Mauhaison, Sablé.

24Sans doute trouvons-nous dans nos sources peu de sentiments exprimés par des mots. L’attachement des parents à l’égard de leurs enfants se lit d’abord dans les actes et les attitudes du quotidien. Nous avons pu souligner combien les violences exercées à l’encontre des enfants mobilisent les familles. Qu’un danger menace – il est là question de mœurs – une mère se dit « bien triste de ce qui aurait pu arriver à sa fille86 ». Une autre peut évoquer le déchirement d’« une mère qui se voit enlever son fils à l’occasion de libertinages87 ». Pères et mères se mobilisent contre ceux qui ont l’impudence de profiter ou d’abuser des faiblesses ou des fragilités de l’enfance. Tout acte qui souille, qui attente au corps d’un enfant est le fait de « gueux », de « monstres », d’hommes indignes que chacun veut poursuivre et détruire. Les cris des mères sont alors des déchirures et leur empressement est bien de ramener les victimes à l’abri du cocon familial pour mieux apaiser les âmes, ausculter et soigner les corps88. Ainsi les parents ont à l’égard de leurs enfants des attentions et des inquiétudes qui laissent entrevoir la force des sentiments. Cette femme de colporteur, 38 ans, dit être allée chercher son enfant « dans la crainte qu’il ne lui arrivât quelque chose89 ». Cette épouse de cordonnier, 46 ans, raconte que son fils n’étant pas encore rentré, sur les 10 heures et demie du soir et « craignant pour lui », elle vint l’attendre à sa fenêtre90. Là, c’est une mère qui se précipite « au secours de son enfant » parce qu’elle l’a entendu crier91. Ailleurs, une autre accourt au cabaret pour y quérir son fils quand elle apprend qu’un tumulte vient d’y éclater92. Les pères n’ont d’ailleurs pas moins d’empressement. Tel envoie chercher ses deux fils, 13 et 16 ans, partis à une assemblée de danses « de peur qu’il ne leur arrive du trouble93 ». René Gandon, marchand gantier, inquiet des sollicitudes faites à l’égard de son fils pour qu’il s’engage dans la milice, se fait un devoir de venir le chercher « pour qu’il se retire chez lui94 ». Quelques missives retrouvées parmi les pièces de procédure témoignent de l’attitude de pères, peut-être exemplaires, empressés d’évoquer le souvenir de leurs « chers enfants » et de s’enquérir de leur santé. Pierre Haran, sur le point d’aller rejoindre la troupe, évoque le plaisir d’aller embrasser sa femme mais aussi son « cher enfant Jacob95 ». Dans tous les cas, les obligations des pères ne se limitent pas aux devoirs élémentaires d’assurer la vie matérielle. Leur relation à l’enfant est aussi faite d’attachement, de sollicitude ou d’affliction quand frappe le malheur. Un père peut se battre pour garder la tutelle naturelle de ses enfants et arguer qu’il a eu à leur égard toutes les attentions qu’un père peut avoir96. L’ensemble des attitudes ne peut se comprendre sans l’existence de sentiments et un juge peut encore demander à un père arrivé au crépuscule de sa vie, « s’il aime son fils97 ». Le regard social ne s’y trompe pas. Un père qui « outrage » ses enfants de paroles ou qui exerce à leur encontre des violences suscite la réprobation. À Jean Daugré, boucher, qui maltraite sa famille, il est demandé « qu’il prenne au moins pitié de son petit enfant98 ». De la même manière, il peut être reconnu qu’il doit être « bien dur » pour une mère d’être séparée de ses enfants99. Ainsi la cellule familiale apparaît bien comme devant être un espace de protection dans lequel les épanchements affectifs ne sont pas absents.

  • 100 B5294, 14-07-1759, affaire Blanche-Beaumier, Sablé.
  • 101 B5286, lettre écrite le 11 octobre 1747, après le siège de la ville de Bergadson en Hollande.
  • 102 B5291, janvier 1754, affaire Dupont, demande de réhabilitation d’un garçon privé de ses droits.

25L’évocation du respect que les enfants doivent aux parents est récurrente. Il est attendu d’un fils ou d’une fille qu’ils doivent, à l’égard de leurs géniteurs, se bien comporter. Tel affirme que c’est un manque d’éducation que de vouloir donner des leçons à son père100. En revanche l’amour filial ne laisse que peu de traces dans nos sources. Pour autant, au détour de quelques témoignages peuvent s’exprimer l’existence de liens affectifs ainsi que la nature des sentiments que les enfants peuvent avoir à l’égard de leurs parents. Voici René Duport, sergent au régiment royal de Wallon en Hollande, écrivant à sa « très chère mère », « charmé d’avoir eu de ses nouvelles », l’invitant à ne se laisser manquer de rien et à ménager sa santé qui lui est chère, et se targuant d’être (à l’égard de sa très chère mère) « un très humble et affectionné fils101 ». Voici encore René Dupond, garçon majeur, qui peut évoquer dans une supplique adressée au juge combien la mort de sa mère, survenue deux ans auparavant, fit impression sur son esprit et combien il fut pour lui question de « douleur non contenue au point d’en perdre la raison », de « plaie » trop vive pour que quelque chose puisse encore le détourner de son chagrin102. C’est bien là le désespoir et les larmes qui expriment la force de l’amour filial. La famille ne peut être considérée comme un cocon vide de toute chaleur affective. Les relations au sein du foyer ne sauraient s’exprimer uniquement en terme de devoirs.

26Ainsi domine le sentiment que la relation parents-enfants est fondamentalement fondée sur la protection, l’entraide, le respect et la connivence. S’il existe des contraintes exercées à l’encontre des enfants, elles ne paraissent pas relever, dans les pratiques, d’un modèle dominant et les mesures coercitives, telles les privations de droits, restent l’exception. Les sources ne laissent paraître au quotidien que bien peu d’images de pères tout puissants, de règnes sans partage, d’autorité et de pouvoir absolus. Les violences à l’encontre des enfants sont à la marge. Elles sont un signe d’indignité pour ceux qui en usent. Le mode relationnel dominant est à l’opposé du droit de correction ; il est davantage celui de la tempérance, de l’attachement et inclut l’existence de sentiments réciproques. La source judiciaire, dont on pouvait s’attendre qu’elle montrât un tableau assombri des relations familiales révèle l’existence d’une solidarité fondamentale. L’importance des liens de parenté bien connue pour les hauts lignages, nous apparaît comme un trait essentiel de la mentalité villageoise ; mais ce qui importe, c’est que les attaches se manifestent prioritairement au sein de la cellule familiale. Les conditions d’existence nécessitent la diversité des réseaux de solidarité : n’oublions pas les « voisins et amys » que l’on rassemble lors des nominations ou déports de tutelle « à défaut de parent » ; mais c’est bien la famille nucléaire qui apparaît être le centre d’un système de relations privilégiées. Les attitudes rencontrées ne peuvent se comprendre sans une valorisation du tissu familial et supposent une intériorisation du sentiment d’appartenance à la famille. À son tour la conscience collective reconnaît la légitimité de ce sentiment. Nul ne s’offusque par exemple du refuge que l’accorde à un proche parent, fût-il délinquant ou même criminel. L’entraide est au demeurant attendue.

  • 103 Un tableau au total fort éloigné de celui qu’a cru pouvoir dresser E. Shorter, pour la France pré- (...)
  • 104 Y. Castan, Honnêteté et relations sociales…, op. cit., p. 243 : « La famille est le seul corps don (...)

27Nous assistons bien à l’expression d’un sens très particulier d’une conscience familiale liant entre eux les membres de l’unité domestique qui tend ainsi à se distinguer du reste de la collectivité. La relation parents-enfants ne paraît pas explicitement ni même prioritairement commandée par des nécessités économiques ou juridiques. Au quotidien, elle inclut tout un faisceau d’attentions et de reconnaissances qui ne peut se concevoir sans l’existence de liens affectifs forts103. Dans les interactions du quotidien telles que nous les présentent les archives de justice, les expressions des solidarités familiales nous apparaissent bien supérieures aux autres formes de solidarités communautaires et nous pouvons conclure, selon l’expression d’Yves Castan au « primat sévère de la famille104 ». Les tentatives d’interprétation de cette valorisation de la famille appellent la prudence : généralisation de tendances déjà existantes ? Émergence d’un sentiment familial à partir d’un modèle nobiliaire puis bourgeois ? Distension des solidarités extra-familiales ? Valorisation des sentiments dans une famille caractérisée par la faible part des enjeux successoraux et des conflits de pouvoir ? Il nous faut maintenant prospecter le ciment plus intime des liens qui unissent maris et femmes, caractériser les conduites et les rôles au sein du couple.

Le couple : un espace de complémentarité et de réciprocité

  • 105 Sur ce discours, voir la position de M. Segalen, Mari et femme dans la société paysanne, Paris, Fl (...)
  • 106 E. Shorter, Naissance de la famille moderne, op. cit., p. 97. Shorter peut encore évoquer « La nui (...)

28L’histoire des relations entre époux n’échappe ni aux stéréotypes ni à des approches trop limitées aux champs politique, juridique ou religieux. D’autre part, cette histoire, pendant longtemps s’est élaborée à partir de documents normatifs dont l’objet n’est pas de rendre compte des réalités quotidiennes mais de fixer l’image des relations entre conjoints telles qu’on aurait voulu qu’elles fussent. Enfin, parallèlement, les discours du xixe siècle et particulièrement celui des « folkloristes » confondant le niveau des représentations et celui des pratiques, ont contribué à la construction d’une image de la femme, éternelle subordonnée ou soumise et marquée du sceau de l’infériorité105. Dans cette lignée, d’aucuns ont pu écrire sur les conséquences de cette fragilité congénitale des femmes, « commodités sexuelles », « machines à faire des enfants », ainsi que sur des relations empreintes d’autoritarisme marital et marquées par « un large fossé affectif106 ».

  • 107 Sur ces problèmes de méthode, mais aussi sur les limites des sources judiciaires en la matière : A (...)

29L’objet est ici de repenser quelques questions fondamentales en renouvelant sources et méthodes. Qu’en est-il au quotidien des relations au sein du ménage ? Qu’en est-il de l’image du mari autoritaire ou tyrannique ? Faut-il céder aux visions pessimistes qui rendent l’épouse incapable d’affirmer ses propres espaces d’autonomie et de responsabilité ? Faut-il enfin exclure de toute vie de couple l’émergence possible de rapports relevant du domaine de l’affectivité ? Aucune source ne saurait d’emblée donner de réponses évidentes. La méthode consiste d’abord à regarder vivre maris et femmes afin de reconstituer le puzzle des relations qui les unissent et, avec les prudences nécessaires, de tenter d’en donner le sens107.

30Notre interrogation sur les rapports au sein du couple propose trois champs d’investigations :

  • Comment, entre conjoints, se répartissent les tâches nécessaires à la pérennité du ménage ?
  • Existe-t-il pour l’épouse des espaces d’autonomie et de responsabilité ?
  • Quelles sont les attentes réciproques et de quels sentiments le lien conjugal est-il porteur ?

Répartition des tâches et des espaces d’activités

  • 108 J. Pitt-Rivers, Anthropologie de l’honneur, Paris, Éditions plurielles, Hachette, 1997, p. 123-124
  • 109 Au demeurant, les enjeux liés à cette répartition du travail n’ont été que relativement récemment (...)
  • 110 Voir pour le xvie siècle l’étude de N. Pellegrin, qui critique une historiographie qui raisonne tr (...)

31Toute distribution du travail et plus globalement des rôles est fondamentalement culturelle. Les éclairages des études ethnologiques sont, en ce sens, révélateurs108. Encore faut-il se garder de juger du sens de cette répartition des tâches à l’aune des systèmes de valeurs qui sont aujourd’hui les nôtres109. Quelle est, au regard des gestes et des situations révélés par les dépositions de plainte et les témoignages, la part de chacun ? La vie des ménages n’échappe pas à une répartition sexuée des tâches. Pour autant, ce partage n’est pas sans complexité110. Ainsi l’espace conjugal apparaît-il à la fois comme un lieu de complémentarité, de coopération et parfois d’interchangeabilité avec des aires d’activités communes.

  • 111 Voir E. Shorter, Naissance de la famille moderne, op. cit., p. 82-97. Pour le XIXe siècle : M. Seg (...)
  • 112 B5275, 30-03-1734, affaire Deroy-Legaigneux, Sablé.
  • 113 B5313, 6-05-1784, demande en séparation de biens.
  • 114 B5317, 5-09-1787, demande en séparation de biens, Sablé.
  • 115 B5294, 10-07-1759, affaire Lemercier-Renault, Sablé.
  • 116 B5317, 12-02-1787, affaire Landeau, Sablé.
  • 117 B5311, 1782, affaire Brossier-Loizeau, Sablé.
  • 118 B5317, 12-02-1787, affaire Landeau, Sablé.
  • 119 B5307, 26-07-1780, affaire Rechin, demande en séparation de biens, Sablé.
  • 120 B5304, mars 1773, affaire Chedan, Sablé.
  • 121 B5303, 29-05-1773, Ruillé.
  • 122 B5317, 19-10-1787, affaire Pommard, Sablé.
  • 123 B5277, 17-02-1739, affaire Masline-Chauveau, Précigné.
  • 124 B5289, juillet 1751, affaire Lebreton-Thiercelin, Sablé.

32Le sentiment premier paraît bien celui d’une complémentarité fondée sur l’existence de domaines réservés. Ainsi le corpus documentaire retenu pour juger de cette répartition des tâches montre-t-il, par occurrences révélatrices, l’image d’un partage sans surprise111. Anne Bonnamy, femme de Léonard Deroy, marchand chapelier à Sablé, « vers les 6 heures du soir, étant en sa maison, entendit un grand bruit à sa porte et sortit112 ». La situation est banale. Les espaces féminins sont prioritairement ceux de la maison et du domaine proche : « en sa maison » ou « près de sa maison », la femme est la protagoniste, la victime ou le témoin privilégié des cris et des heurts qui ont pour théâtre la proximité du foyer, la rue ou le chemin creux qui jouxte l’habitation, la cour, le jardin ou l’« aire » de la closerie ou de la métairie. Les activités du domaine réservé féminin sont d’abord celles liées « aux soins du ménage et des enfants » qui font acquérir à Marie Pellerin, mineure de 25 ans, épouse de François Martin, marchand huilier « les droits d’un repos bien mérité113 ». Seule ou parfois avec l’aide de sa servante, la femme nous apparaît au jour le jour dans l’acte multiple des tâches ménagères et maternelles. Les archives nous autorisent cette archéologie des gestes simples et toujours recommencés de l’épouse en sa demeure. Autour du foyer – l’âtre a sa fonction symbolique – nous la retrouvons à préparer repas ou collations, ici taillant la soupe, ailleurs réchauffant un plat ; l’activité n’est pas sans importance ; la femme Daugré va chercher son mari, boucher, au cabaret et veut le ramener chez elle « pour le mener dîner, en lui disant qu’il ne resterait pas là, qu’elle avait préparé à dîner qu’il fallait qu’il s’en vînt aussitôt114 ». Pour les repas, la femme doit encore veiller à l’approvisionnement en pain. Elle a charge de la pâte à pétrir et à porter au four, prompte à juger d’une mauvaise cuisson, à reprocher au fournier de lui livrer un pain « tout entouré de grignes » parce qu’il l’a trop laissé cuire parmi les charbons115. À la préparation des repas, s’ajoute l’entretien de la maison. Telle femme de métayer vérifie l’ordre de « ses » armoires ; telle autre, 25 ans, femme de closier, fait le lit, alors que ses petits jouent avec des chaises près du foyer116. Le soin et la garde des enfants ne sont pas la moindre de ses tâches. Les préoccupations sont d’abord d’ordre matériel. Nous retrouvons Jeanne Brossier, femme de closier, sur les 7 heures du soir « s’en allant chez elle pour donner à manger à ses enfants117 » et Françoise Crié, femme de journalier, 34 ans, un matin sur les 11 heures allant chercher du lait pour son enfant à la métairie de la Denisière118. Parce que mal mariée et démunie de tout, Marie Rechin, femme de marchand, déplore n’avoir pu préparer pour un enfant de 6 mois, qu’une bouillie avec de l’eau, de la farine de seigle et de blé noir119. Aux préoccupations alimentaires se mêlent des tâches d’assistance, de protection ou de soins : soin des corps mais aussi des âmes. Car il paraît bien attendu de la mère qu’elle soit protectrice mais aussi éducatrice privilégiée. Au souci de la surveillance qu’elle accorde aux enfants en bas âge s’ajoute celui de veiller à l’éducation et aux bonnes mœurs des plus âgés. Quand les excès de débauches et de scandales perpétués dans le cabaret du sieur Chedan, éclatent au grand jour, c’est la femme du dit Chedan que le curé Hatton, prêtre de Notre-Dame de Sablé, enjoint de veiller à la conduite de ses filles « dont il sait que la vertu est en trop grand danger120 ». Les besoins domestiques peuvent conduire la femme hors de son foyer pour des activités et des lieux qui paraissent aussi de son domaine réservé. Scènes ordinaires parmi d’autres : cette femme de tissier, vers les 5 ou 6 heures du soir est à laver du linge à la rivière comme d’autres vont au lavoir121. Anne Pommard, femme de charron, est à la boutique d’un marchand d’étoffes, achetant du drap « pour habiller son homme ainsi qu’elle122 ». Marie Fraquet, femme de marchand, est avec d’autres à puiser de l’eau123. Sur les 9 heures du matin, Marthe Thiercelin, femme de sabotier, revient du four à ban124 en compagnie. De ces détails minuscules émerge un univers féminin fait de préoccupations domestiques, de gestion quotidienne des besoins de la famille mais aussi d’espaces réservés qui sont autant de lieux d’une sociabilité spécifique. Quel que soit son statut social, le rôle de la femme est de prendre soin de sa famille. L’image est sans surprise et la tradition ancrée dans des représentations pluriséculaires, dans la croyance en des lois que l’on croit relever de l’état de nature et selon lesquelles l’épouse a, par vocation et fragilité physique, à s’occuper du bien-être des siens dans l’intérieur de sa maison. Au demeurant, la spécialisation n’est pas sans établir un partage des responsabilités. L’épouse paraît bien maîtresse en sa demeure.

  • 125 B5319, 21-09-1789, affaire Fourmont, Solesmes.
  • 126 B5299, 28-08-1768, affaire Blanchouin-Nozière, Solesmes.
  • 127 B5287, 22-07-1748, affaire Lemercier-du Verger, Gastines.

33De la même manière quelles sont les activités réservées du domaine masculin ? Sans doute est-il logique de ne trouver dans nos sources que peu de témoignages d’instants de vie privée, de traces des époux en leurs foyers : les actions qui conduisent en justice sont ailleurs. Ils n’en sont pourtant pas absents. L’homme est en sa maison à prendre repas ou repos, dans les temps creux de détente laissés par le travail. Tel dit être à sa cheminée pour se reposer, tel autre s’y réchauffe ; tel autre encore dit être chez lui, en compagnie, à « boire bouteille », à veiller ou simplement assis à sa porte à attendre la nuit. Mais le champ d’activités des époux est bien hors du foyer, dans les lieux de la vie économique, pour des fonctions prioritairement productives. Ainsi les espaces privilégiés des domaines d’activité masculins sont-ils le chantier, les prés ou les champs, le marché, le cabaret quand s’y décident les transactions, la boutique ou encore l’atelier qui jouxte parfois l’habitation. Le champ d’action des hommes est alors prioritairement public et tourné vers l’extérieur. Dans cet espace ouvert, les préoccupations sont celles des fonctions de production à assumer : la mission est bien là masculine. La répartition des tâches dans la société paysanne peut en donner l’illustration. Voici Pierre Fourmont, métayer à la Roche (Solesmes), une journée de septembre, levé à 5 heures avec son fils et son domestique : une bonne partie de la journée, ils ont charroyé et épandu du fumier dans deux de leurs champs ; entre 5 et 6 heures le soir, ils ont mené les bestiaux dans le grand pré, près de la rivière Sarthe, ont emmené les veaux à l’étable, les chevaux à la Noé des Caves où il y a des « fontaines » ; ils ont soupé avec la maîtresse de maison, la pastourelle et la servante qui avait auparavant préparé le repas ; ils se sont couchés vers les 7 heures, après avoir entendu sonner la cloche des Religieux de Solesmes125. Les tâches masculines réservées ont trait aux travaux lourds des campagnes. L’homme est alors saisi dans la diversité des activités de production à assumer. Nous le rencontrons, au hasard des saisons à épandre le fumier, à labourer, à herser ou à semer ; en d’autres temps, est-il encore à tailler la vigne, à faucher, à ramasser les foins, à moissonner, à mettre en javelles, à faire les charrois des gerbes rassemblées ou à battre les grains. Pierre Blanchouin, métayer au lieu de l’If, paroisse de Solesmes, se plaint (la déposition est du 28 août 1768) que « les pluies continuelles ont empêché et retardé les battries » de façon que « la saison qui avance presse les travaux de campagne car après les battries des gros grains et la récolte des menus, il faut cueillir les fruits, mettre le fumier dans les champs et semer, sans compter ni entrer dans le détail des travaux ordinaires et journaliers126 ». Michel Horpin, closier à Gastines, 36 ans, dépose qu’il est occupé tous les jours à l’exploitation de son lieu127. De ce premier regard, il apparaît qu’incombe aux hommes la responsabilité des tâches productives et la mission d’assurer la pérennité économique du ménage.

34Ainsi, les archives témoignent-elles de l’appropriation de domaines réservés : espaces domestiques d’un côté, espaces de production, de l’autre. L’ensemble paraît bien reposer sur la complémentarité des tâches et sur l’autonomie de chacun en son domaine d’activité. Faut-il pour autant conclure à une répartition stricte des fonctions qui entraînerait une exclusion de chacun des époux du domaine dont il n’a pas la charge ? En d’autres termes, quel est le degré d’implication des hommes dans les tâches domestiques et les devoirs familiaux ? Quel est le degré d’intégration des épouses dans l’économie familiale et plus généralement dans les circuits de production et d’échanges ?

  • 128 B5281, 18-06-1742, affaire Danet-Poirier Gastines.
  • 129 B5286, 3-03-1747, affaire Cosnard-Naveau, Sablé.
  • 130 B5317, 19-10-1787, affaire Pommard, Sablé.
  • 131 B5284, 11-01-1745, affaire Palluet-Chanfailly, Saint-Brice.
  • 132 B5317, 22-04-1787, enquête sur la découverte d’un cadavre, Louailles.
  • 133 B5917, 29-09-1787, affaire Gasté, Sablé.
  • 134 B5313, 6-05-1784, demande en séparation de corps et de biens.

35La lecture méticuleuse des sources montre que les nécessités de la vie quotidienne impliquent l’existence d’un certain nombre d’activités et d’espaces partagés, de tâches assumées en coopération ou en complémentarité. Au détour des dépositions de plaintes et des témoignages, divers indices montrent que l’époux n’est pas totalement absent de l’économie domestique et que, loin d’être inactif à la maison, il est partie prenante dans le déroulement de la vie familiale. Ainsi, pour le bon fonctionnement du ménage, voit-on le mari s’activer à la corvée d’eau, au ramassage du bois, au charroi de la lessive, à l’entretien du potager ou encore aux travaux de nettoyage ou d’évacuation des boues, ordures et autres immondices qui peuvent infecter la proximité du logis. De même, certaines tâches matérielles peuvent être encore du domaine partagé. Pour l’approvisionnement de première nécessité, nous retrouvons maris ou femmes sur les marchés ou dans les boutiques ; ainsi l’achat des provisions de bouche, blé, viande, volailles, sel, mais aussi d’objets divers, tissus, sabots, chandelles, clous…, est-il fait indifféremment par l’un ou l’autre des époux, parfois aussi conjointement. René Danet, closier à Gastines, dit être venu au marché de Sablé « pour acheter du blé pour sa nourriture et celle de sa famille128 ». Jeanne Deslande, femme d’un tailleur d’habits, est aussi au marché « pour acheter du blé pour sa provision129 ». Anne Pommard, femme de charron, habitant au Bailleul, est venue seule à la ville pour y acheter deux paires de sabots, de la flanelle et de la « pluche grize » et Pierre Pageot, métayer déclare être venu au marché avec son épouse pour y acheter deux poules130. Avec d’autres particuliers, Julien Palluet, closier à Saint-Brice et Catherine Villars, femme d’un sculpteur sur marbre, attendent dans la cour du grenier à sel « pour lever leur part131 ». Ainsi, hommes et femmes, venus seuls ou en couple, se retrouvent-ils aux étals des marchands, à la halle au blé, au grenier à sel ou dans les boutiques pour pourvoir aux besoins du ménage, tous aussi prompts à dénoncer une mesure mal servie ou un prix jugé excessif. Il paraît bien, en la matière, qu’il n’y ait pas de tâches réservées ni d’espaces dont l’un des époux serait exclu. Aux préoccupations matérielles s’ajoute le souci partagé du soin et de l’éducation des enfants. L’époux peut suppléer sa femme pour la surveillance des plus jeunes. Tel journalier, 40 ans, peut déclarer qu’à l’heure de la grande messe, un dimanche d’avril, il est chez lui à garder ses enfants132. Tel autre, bordager, dit avoir été le témoin d’un tumulte entre jeunes villageois, « étant sorti de sa maison avec son enfant, pour lui faire gâter de l’eau133 ». De même, il n’est pas exceptionnel qu’un père ait son enfant sur les bras. De nombreux témoignages montrent qu’au quotidien, le père est aussi celui qui protège et défend et qu’en matière d’éducation, il n’est pas sans responsabilité. Ainsi, le regard public veut reconnaître celui qui « prend soin de son ménage134 » et sait gré à celui qui a su soigner son épouse malade et assumer alors l’ensemble des tâches et devoirs domestiques.

  • 135 Le constat n’est pas isolé : M. Segalen, Mari et femme dans la société paysanne, op. cit., p. 87-1 (...)
  • 136 Cf. même constat de F. Pitou, Métiers et boutiques à Laval au xviiie siècle, op. cit., p. 728. A. (...)
  • 137 B5316, 16-08-1786, affaire Guenier, Précigné.
  • 138 B5395, 15-03-1762, affaire Salmon-Bellisle, Sablé.
  • 139 B5291, 8-07-1754, affaire Piot-Couet, Bouessay.
  • 140 B5293, 13-06-1758, affaire Turquais, Brûlon.

36Enfin, dans l’accomplissement même du travail réputé productif, nous observons une coopération qui intègre directement l’épouse au système de production et d’échanges. Loin d’être écartée du processus économique qui vise à fournir les ressources pour que vive la famille, l’épouse paraît dans bien des cas un acteur incontournable de la production de richesses tant à la ville qu’à la campagne135. Ainsi les femmes d’artisans et de marchands ont un rôle important dans les boutiques dont elles assurent le bon fonctionnement136. Elles y tiennent l’étal, montrent, mesurent ou pèsent, décomptent l’argent ou autorisent un crédit et veillent encore, avec des attitudes souvent souveraines, aux intérêts de la maison, traquant les clients malveillants ou les mauvais payeurs. Dans des scènes multiples s’esquisse le portrait de femmes qui, en affaires, paraissent bien intraitables. Un témoin a vu la femme de Guillaume Guenier, boucher, vendre de la viande à une femme, mais aussitôt tancer la cliente qui prétendait ne pas payer pour se rembourser d’une dette supposée : « Bougresse, je ne te dois rien, tu me rendras ma viande137. » Le geste et la parole ne sont pas moins vindicatifs de la part des femmes de cabaretiers face aux impudents ou aux importuns. Au quotidien, nous les retrouvons affairées à vendre leur vin, à servir à boire ou à réchauffer un plat, ou plus vaguement, « occupées au soin de leur auberge138 ». Dans cet univers d’hommes, l’hôtesse doit alors savoir imposer les règles d’une sociabilité raisonnable ou mettre un indésirable à la porte, « pour avoir la paix139 ». Ainsi s’esquisse un espace où l’épouse est à l’égal du mari, actrice de la vie économique. Le droit des femmes de marchands à exercer est, au demeurant, exprimé ; un client indélicat, ayant acheté à l’une d’entre elles, femme d’un marchand mercier, devenue faible d’esprit « tombée en état d’imbécillité » (au sens latin), de la marchandise à un prix sans rapport avec les valeurs d’usage peut se justifier en prétextant qu’il la croyait « libre de vendre, étant marchande, comme son mari140 ».

  • 141 B5281, 20-08-1743, affaire Rezé-Guimbert, Vion. Jeanne Rezé, femme de métayer, village des Mandière (...)
  • 142 B5270, 21-06-1730, affaire Leroyer-Peigné, Précigné.
  • 143 B5285, 30-08-1746, affaire Paullet-Péan, Parcé.
  • 144 B5282, 28-11-1744, affaire Edon-Rezé-Miré. B5286, 20-09-1746, affaire Demergeot-Bachelot, Précigné. (...)
  • 145 B5282, 14-01-1744, affaire Delaunay-Morin, Sablé.

37La part des femmes n’est pas moins fondamentale dans l’économie rurale ; prioritairement attachée aux occupations ménagères et maternelles, la femme n’est pas sans « travailler aux affaires de la campagne141 ». La silhouette féminine apparaît peu lors des gros travaux, particulièrement ceux de la terre qui mobilisent maris, enfants ou domestiques ; elle n’est pas pour autant absente des espaces ni des activités agricoles. Là encore, elle a ses domaines privilégiés sinon exclusifs. Sa contribution peut être importante dans le soin à donner aux animaux, dans le bon déroulement ou la surveillance de l’activité d’élevage. Louise Hubert, 65 ans, femme de journalier, est « à conduire ses bestiaux au pâturage » et Jeanne Madelin, aussi femme de journalier, 28 ans, « à couper des herbages pour ses bestiaux » lorsqu’elles rencontrent François Leroyer, garçon meunier, couvert de sang142. Interrogée dans un conflit de propriété, Marie Priet, femme de closier, déclare « qu’elle a toujours envoyé ses bestiaux pacager dans la lande du paty Gaudin143 ». Ces assertions peuvent témoigner de l’appropriation de l’activité par les femmes. Aux travaux de surveillance peuvent encore s’ajouter ceux d’entretien de l’étable ou du toit à porcs, à proximité de la maison : telle peut déclarer être occupée à faire la litière des vaches, telle autre à panser les cochons. Alors se mesure le degré de coopération nécessaire entre mari et femme. D’autres activités peuvent mobiliser prioritairement la main-d’œuvre féminine. Outre l’entretien du jardin, le travail du chanvre qu’il faut cueillir ou « ficher » dans le « cloteau » voisin ou encore laver à la rivière peut être de sa compétence144. Après les travaux d’été qui mobilisent toutes les énergies de la maison, les vendanges sont un autre moment possible de coopération privilégiée. Ainsi, au quotidien mais aussi quand les travaux l’exigent, la complémentarité des fonctions est la contrepartie nécessaire à la bonne marche de l’exploitation. Seule la présence d’enfants en âge de travailler ou l’emploi de domestiques, chose au demeurant fort répandue dans nos campagnes, peut libérer la femme pour d’autres activités. Pour autant l’épouse n’est pas sans expérience et dans l’ignorance des affaires ou travaux de la campagne qu’elle a pu apprendre sur l’exploitation paternelle ou en d’autres lieux dans des fonctions ancillaires antérieures. Au décès du mari, il n’est pas exceptionnel que la charge de l’exploitation lui échoie. Il lui faut alors assumer et organiser la gestion du lieu. La veuve Morin, métayère de la Cochinière, paroisse Saint-Martin de Sablé, qui « a continué la jouissance et l’exploitation du lieu » après le décès de son mari, en conflit avec ses bailleurs, peut arguer qu’« elle savait mieux cultiver la terre qu’eux et qu’il fallait la laisser faire145 ».

  • 146 B5295, juillet 1762, affaire Hublin-Noyen, Sablé.
  • 147 B5266, 11-03-1725, affaire Tessier-Duval, Sablé.
  • 148 B5286, 18-10-1747, affaire Gandon, Sablé, et B5286, 31-07-1747, affaire Berruyer-Brillet, Sablé.
  • 149 B5316, 3-10-1786, affaire Launay-Peigné, Sablé.

38En marge de l’activité agricole, le filage est du domaine des femmes. Rouets et quenouilles sont bien présents, devenant parfois l’arme improvisée de querelles féminines. L’activité peut déboucher sur la commercialisation d’une partie de la production ; la vente est alors assurée par la femme sur le marché voisin : Marie Gerault, femme du métayer du Gast, paroisse de Bouère, témoigne que ce lundi 14 juillet de l’année 1762 elle était bien à la foire de Sablé pour y vendre un paquet de son fil146. Avec leurs époux ou parfois indépendamment, les femmes ne sont pas sans contribuer aux revenus du ménage. Jeanne Angot, femme de journalier, interrogée sur ses activités explique qu’elle a travaillé aux journées, fait commerce de blé ou encore filé147. Marie Langlois et Françoise Rocher, femmes de marchands, déclarent travailler de leur métier de couturière148. Marie Chamaret exerce ses activités de sage-femme149.

39Dans tous les cas, par choix, et surtout par nécessité de main-d’œuvre ou de revenu, la femme est loin d’être écartée des activités de production créatrices de ressources pour le ménage.

40Au regard du corpus documentaire recueilli s’esquisse un tableau contrasté des rôles et des tâches au sein du ménage. Un premier regard sur les activités quotidiennes met en évidence l’existence de domaines et d’espaces réservés ; la maison est plutôt féminine ; l’espace masculin paraît plus ouvert, et par nécessité économique déborde plus nettement sur le monde extérieur. Pour autant, il n’existe pas de champs d’activités hermétiquement clos. L’observation des tâches permet d’esquisser l’image d’un ensemble complexe d’interrelations au sein du couple où dominent complémentarités, coopérations et interchangeabilité. L’existence de domaines propres mais aussi l’imbrication des tâches ne sont pas sans fournir à chacun sa part d’autonomie, de responsabilité et de pouvoir. Peut-on, en la matière, évaluer la part des femmes ?

Espaces d’autonomie et de responsabilité des femmes

  • 150 N. Castan, « Le public et le particulier », G. Duby et Ph. Aries (dir.), Histoire de la vie privée(...)
  • 151 R. Muchembled, La violence au village (xvie-xviie siècles), Belgique, Brépols, 1986, p. 194. Voir (...)
  • 152 R. Muchembled, « La femme au village dans la région du Nord. xviie-xviiie siècles », Revue du Nord(...)
  • 153 E. Le Roy Ladurie, Montaillou, Village occitan de 1294 à 1324, Paris, Gallimard-NRF, 1975, p. 288- (...)
  • 154 Voir à ce propos les analyses de C. Gauvard, « De grace especial »…, op. cit., p. 299-340 et p. 57 (...)

41L’historiographie récente montre combien la prégnance des archives de justice conduit les historiens à nuancer leur jugement. Dans un discours contrasté, prudent mais révélateur, Nicole Castan, à propos du modèle languedocien, note que la femme est à la fois « servante » mais aussi « maîtresse » et que son rôle de femme la dote de l’autorité nécessaire à son accomplissement. Elle peut écrire que « cela amène à réviser l’idée d’une subordination rigoureuse au chef de famille ; un partage des pouvoirs et des tâches s’impose davantage ». L’idée maîtresse de la thèse proposée est, que les femmes, à bien regarder le quotidien, auraient bénéficié de marges de manœuvre assez souples150. S’appuyant sur l’étude des lettres de rémission, Robert Muchembled, donne pour les femmes artésiennes des xvie et xviie siècles, un tableau tout aussi nuancé. Sa vision est d’abord pessimiste : « La femme dépend étroitement de son mari, on le voit. Il semble bien qu’elle soit traitée assez rudement par celui-ci qui la bat à l’occasion et la considère comme une servante. » Mais plus loin, l’auteur ajoute que si le droit et la réalité confirment la toute puissance du père de famille et la sujétion de l’épouse au mari, « en Artois comme ailleurs en France », le théâtre de la vie quotidienne autorise des attitudes plus complexes et plus variées, notamment à l’intérieur de la maison151. Dans un article plus ancien, R. Muchembled écrit encore : « Les paysannes disposent d’un savoir et d’un pouvoir. Elles ne sont pas aussi soumises aux hommes que le donne à penser le droit, les aspects matériels de la vie, le travail notamment entraînant une relation d’égalité entre les conjoints152. » Emmanuel Le Roy Ladurie souligne la misogynie et la brutalité relative des époux de la Haute-Ariège au xive siècle, mais précise qu’il faut apporter des correctifs à la discrimination masculine : « À la maison, la femme trime certes, mais elle dispose, par ce fait même, de sa parcelle de pouvoir intimiste et ménager. La docilité de la conjointe, dans le cadre du couple n’est pas totale, ni exhaustive, ni sans bavures, ni sans compensations153. » Sans doute, faut-il tenir compte des lieux, des moments et des situations sociales. Mais dans cette historiographie qui, à partir de l’archive judiciaire, tente cette reconstitution du quotidien, le lecteur est frappé par l’ambivalence des propos. Tout se passe comme si l’intimité du chercheur avec les pièces de procédure judiciaire, parce qu’elles donnent à voir ce quotidien, laissait entrevoir des pratiques qui donnent aux femmes bien plus que ce que les lois, le discours officiel ou les représentations semblent leur accorder154. Et l’on sent bien qu’il est nécessaire de dépasser dans l’analyse des relations journalières le débat traditionnel de l’infériorité féminine.

  • 155 L.-S. Mercier témoigne comment, dans le Paris du xviiie siècle, « elles travaillent de concert ave (...)
  • 156 B5286, 31-07-1747, affaire Berruyer-Langlois, Sablé, déposition de Marie Langlois, suite à la plain (...)
  • 157 B5272, 1732, affaire Bigot-Cornu : « La femme vint me prier de lui faire avoir un an de temps et qu (...)

42Il convient d’interroger les pièces de procédure sur le degré de responsabilité des femmes dans le couple. La participation des épouses à la prise des décisions, à la gestion du ménage, de l’atelier ou de la boutique ou de l’exploitation agricole est un révélateur. L’image que soulignent les archives est celle d’un engagement et d’un degré d’autonomie importants. Les femmes ont souvent la connaissance des comptes, disposent du maniement de l’argent et du crédit155. Nous les observons dirigeant apprentis, compagnons ou domestiques, participant à la défense des intérêts du ménage. La part des femmes d’artisans et de marchands est la mieux connue. Elles aident à tenir la boutique, mais peuvent aussi être partie prenante dans la gestion des affaires. Un samedi 29 avril, Marie Langlois déclare qu’étant venue travailler de son métier de couturière dans la maison du sieur Brillet, marchand tanneur, la femme du dit sieur l’informa que le nommé Berruyer, marchand, allait venir pour compter avec elle le prix de « fournissement » de chaux fait à son mari : « La dite Brillet fit entrer le dit Berruyer dans sa maison pour régler l’affaire, pourquoy elle portait en main son livre journal. Entendit la dite Brillet dire : les paiements que je vous ai faits depuis que vous avez livré la chaux montent à 80 livres. Berruyer ne répliqua rien mais elle vit qu’il y avait une sorte de contradiction entre les deux, sans savoir pourquoi. » La scène est confirmée par Marie Oger, 22 ans, servante domestique de la maison, qui déclare « avoir vu la dite Brillet et le dit Berruyer autour d’une table, la femme Brillet ayant avec elle son livre de comptes156 ». Cette affaire, parmi d’autres, révèle le rôle possible des femmes dans la tenue des comptes, mais aussi leur implication dans le fonctionnement des entreprises familiales. Ainsi dettes ou créances sont l’objet de la vigilance des épouses, qu’elles relèvent de transactions professionnelles ou domestiques. Un mémoire d’avocat raconte comment la femme Bigot, pressentie avec son mari, marchand, d’une dette envers le sieur Cornu, aussi marchand, prend en charge la stratégie du couple, d’abord reconnaissant cette dette et demandant un délai d’un an, affirmant ensuite qu’ils ne devaient rien au dit Cornu, « imposant à tout moment silence à son mari et faisant preuve de mauvaise foi dans le procédé157 ».

  • 158 B5296, 16-06-1764, affaire Doisneau-Baffour, Tacé.
  • 159 B5280, 17-04-1741, affaire Lelasseux-Chaudemanche, Fontenay.
  • 160 B5278, 3-11-1739, affaire Pertué, Pincé.
  • 161 Lettre du 18 janvier 1710, retrouvée dans les minutes de Maître Riffault, LVII, 21.
  • 162 B5310, lettre écrite le 11 mars 1781 : « J’avés vendu un sau de poudre qui devez mettres payés lund (...)
  • 163 B5317, 13-02-1787, séparation de biens, Précigné.

43Outre le recouvrement des créances et la revendication hautaine de ce qui est dû, la défense des intérêts du ménage peut prendre au quotidien, de multiples formes : défense d’un bien, d’un espace ou dénonciation d’un intérêt lésé : le discours des femmes est là, toujours percutant. Voici Marie Bruand, femme de Louis Baffour, bordager, venue pour payer la quote-part de son lieu à André Bodereau, collecteur de la taille pour 1764, installé à cet effet sur une tombe du cimetière, qui vient contester un surplus d’imposition, déclarant « qu’il est bien fâcheux de payer des sommes qui ne sont pas dues158 ». On comprend que l’espace des femmes n’est pas clos et que les responsabilités peuvent être partagées dans la gestion des biens dont dispose le foyer. Marie Chenon, 25 ans, femme de Jacques Crenais, notaire, est venue seule sur leur propriété de la Censie pour rencontrer Jacques Gandon, tailleur de pierres à Avoise « pour voir des réparations à faire159 ». Telle épouse est avec son mari pour visiter et demander à prendre à bail un lieu à mettre en valeur. La pratique des minutes notariales confirme que la femme dans la quasi-totalité des cas, est toujours présente lors de la signature des contrats qui engagent la vie de la communauté : ventes, achats, prêts ou baux divers ; s’il n’est pas marié, le preneur de telle exploitation s’engage à faire signer le bail à sa future ; sans doute bailleurs ou créanciers cherchent-ils un maximum de garanties, mais, ce fait même associe plus étroitement hommes et femmes dans la communauté qui a cours. Qu’il y ait malversation, non-respect des engagements pris, l’épouse est assignée en justice au même titre que le mari. Jean Pertué et Jeanne Huet, sa femme, closiers au lieu dit de la Colinière, sont « condamnés solidairement aux dommages et intérêts », en vertu de l’exécution des clauses du bail160. Ainsi, s’il faut se convaincre, au-delà du droit, d’une gestion moins despotique du ménage, voici la réponse de Guillaume Gillet, marchand boulanger, retenu au Mans, à sa femme qui lui demande procuration : « Vous me demandez mes pouvoirs afin d’assister à la vente des effets relaissés par défunt notre oncle, Monsieur Gazeau, je vous donne non seulement ce pouvoir mais aussi celuy de faire le partage ou telle transaction ou accommodement que vous jugerez à propos, avec l’autorisation requise à cet effet, promettant avoir agréable tout ce que vous ferez, tant de ma présente que de ma procuration161. » Au demeurant, les risques du veuvage montrent combien l’intérêt des épouses est d’être associées au fonctionnement et à la gestion du ménage : tutelle des enfants qui leur échoit, reprise possible du bail d’exploitation pour les femmes de métayers ou de closiers, entreprise ou boutique qu’elles peuvent continuer à gérer ou simplement comptes qu’elles ont alors à rendre quand il s’agit de liquider la succession. Il est des femmes autoritaires. Chacun sait quand tel homme n’est plus « maître chez lui ». Plus nombreux encore sans doute sont les maris tyranniques ou dominateurs. Mais il existe alors encore toute une circulation souterraine possible de nippes, de biens divers ou d’argent qui peut laisser à l’épouse sa part d’initiative. Jeanne Dupond fait parvenir, par l’intermédiaire de sa domestique un billet au sieur Costiou, huissier à Sablé, pour qu’il lui consente un emprunt de 6 livres, s’ajoutant à 18 livres déjà prêtées : « Je fais une petite ampletes que je ne vouderez pas que mon marie saperceveret et comme le voilà de retour et je suis redevable de ces 6 livres le monde ce plaisant à metre la discord dans les ménages ceret charmé de profités de cette aucassion162 » (sic). Et de conclure « surtout monsieur un inviolable secret ». Dans un procès en séparation de biens entre Anne Duchesne et le sieur Pierre Augé, marchand convoyeur, la veuve Huttin, maîtresse sarger, déclare « qu’un jour la femme Augé vint luy apporter une somme d’argent qu’elle dit être de 100 écus pour la garder afin d’empescher son mari de la prêter à quelqu’un qu’elle croyait pas solvable. Qu’elle sait que la dite Augé était la maîtresse de tout ; qu’elle avait l’argent que son mari lui confiait. Que c’est elle qui recevait le produit du lieu de la Bazinière (closerie) dont ils sont propriétaires163 ». Ainsi, l’épouse apparaît intégrée à un réseau de relations et d’intérêts qui ne peut que conforter sa place dans le couple.

  • 164 B5282, 8-05-1774, affaire Gaudin-Lesage, Malicorne.
  • 165 B5282, 8-05-1774, affaire Gaudin-Lesage, Malicorne.
  • 166 B5277, 21-10-1738, affaire Villeneuve-Deschamps, Sablé.
  • 167 B5274, 28-12-1735, affaire Chevron-Dubois, Précigné.

44La gestion du personnel est aussi un espace important de responsabilité qui peut échoir aux femmes. Il peut être de son domaine de compétence d’embaucher, de distribuer le travail, de récompenser, de blâmer ou encore de renvoyer le personnel attaché au service de sa maison. Alors qu’une altercation éclate dans son auberge, Françoise Quartier, épouse de Pierre Gaudin est dans son jardin « pour faire travailler un homme de journée164 ». Jeanne Brossier, 25 ans, femme de Michel Cerneau, closier, réprimande son domestique, 16 ans, parce qu’il bouscule son enfant, et qu’elle n’entend pas qu’il le batte165. Jeanne Houdemont, femme de closier, 30 ans, déclare à son domestique qui avait marchandé « une veste à retourner » qu’elle veut bien lui accorder 24 sols pour paiement de son achat. Perrine Villeneuve et Jeanne Tartare, femmes de marchands, se disputent parce que l’une aurait voulu « subordonner et ôter la domestique de l’autre166 ». La tâche peut être d’importance quand elle engage la réputation du ménage. Anne Brichet, femme du métayer de la Noirie, 26 ans, est appelée à témoigner dans un procès pour gravidation intenté par Renée Dubois qui fut sa domestique, contre Urbain Chevron, marchand boucher ; garante de la morale en sa demeure, elle vient déclarer qu’elle n’a jamais vu sa servante faire quelque chose de contraire à la pudeur si ce n’est qu’un soir un de ses garçons domestiques vint dire des sottises à la dite Renée Dubois, qu’elle leur en fit à tous deux la remontrance. Elle ajoute qu’elle blâma la dite servante quand elle apprit que celle-ci avait accepté de l’argent de Chevron, et qu’elle finit par la renvoyer de sa maison167. À travers des exemples multiples, il apparaît ainsi que la femme peut avoir à assumer un ensemble de responsabilités d’ordre matériel mais aussi moral qui atteste de la part qu’elle prend dans le bon fonctionnement du ménage et qui conforte son statut dans le couple. La maison est un espace à garder et à préserver ; l’épouse a bien en charge la gestion et la défense du lieu. Elle a aussi la responsabilité des comportements de ceux qui sont sous son toit.

  • 168 B5295, 7-07-1761, affaire Ligier, Cranne.
  • 169 A. Farge, La vie fragile…, op. cit., p. 58 : « Entre l’homme et la femme existe une sorte d’égalit (...)
  • 170 N. Castan in Histoire de la vie privée, G. Duby et Ph. Aries (dir.), Paris, Seuil, 1986, p. 421.

45Ainsi la vie de couple laisse-t-elle à la femme un espace d’autonomie non négligeable. Sans doute l’épouse reste-t-elle enfermée dans un réseau de contraintes ou de devoirs auquel le veuvage et l’âge lui permettent peut-être d’échapper. Telle veuve, peut déclarer avoir toujours été la servante de ses enfants, pour mieux affirmer ensuite sa prétention à être désormais sa maîtresse et faire à sa fantaisie168 : on ne saurait mieux exprimer la revendication d’une émancipation. Il reste que la place que la femme a en sa maison n’est pas sans lui donner du pouvoir. Les tâches qu’elle peut avoir à assumer sont fortement intégratrices, créatrices de liens sociaux. D’autre part, le rôle du travail féminin doit être souligné, tant par son importance économique que pour sa signification sociale. Au total, le modèle de l’Ouest de la France semble plus proche du schéma parisien décrit par Arlette Farge169 que de la situation languedocienne qui a permis à Nicole Castan d’écrire que la femme ne participe pas à l’économie extérieure marchande et que l’administration du patrimoine, le maniement de l’argent et du crédit ne sont pas de sa compétence ostensible170. Plus généralement, s’il existe des champs d’activités spécifiques, il en est aussi de nombreux qui peuvent être partagés. Au-delà du droit, l’engagement de l’épouse paraît essentiel pour la stabilité et la pérennité du ménage. La lecture attentive des archives de justice suggère une vision nuancée des rôles. Plus que de subordination, il convient de parler de partage d’espaces et de responsabilités. Dans la sphère du privé et pour tout ce qui engage la famille, la femme a bien un rôle déterminant. Par ailleurs, elle n’est pas sans intervenir dans la sphère du public. Il reste à interroger la nature des relations qui s’établissent au sein du couple, entre maris et épouses.

Le lien conjugal : nature de la relation et rôles attendus

46Est-il possible d’aller plus avant dans l’analyse des relations au sein du couple ? L’intimité des ménages arrive rarement sur le devant de la scène. Quelques situations conjugales, parce que conflictuelles, ont pu, par le biais de la voie judiciaire, laisser des bribes de discours qu’il nous faut interroger. Les demandes en séparation de biens ou de corps sont des cris, chacun y exprimant sa vérité. Peu importe cette vérité ; l’historien n’est pas en quête de justice à rendre. Mais ces conflits douloureux qui ont pour origine des déviances supposées nous révèlent les points de rupture mais aussi les attentes en matière de relation entre maris et femmes. La question conduit à poser le problème de la référence à un idéal sentimental.

Impossibles maris : normes et attentes

Le droit, la justice, la source

  • 171 Disparition du devoir de cohabitation, au sens étroit du terme (devoir conjugal) comme au sens lar (...)
  • 172 J. Moutet, Femmes et changement social, op. cit., p. 93.
  • 173 R.-J. Pothier, Traité du contrat de mariage, Paris, Debure, 1768.
  • 174 M. Pigeau, La procédure civile…, op. cit. Pigeau traite de ce problème à deux endroits : 1er vol., (...)
  • 175 Ibid., vol. 2, p. 180.

47Le mariage, contrat mais aussi sacrement, est indissoluble. Mais il faut, quand la mésentente du ménage trouble à l’extrême l’ordre de Dieu et du roi, une réponse judiciaire adaptée. Les séparations de biens permettent à la femme d’être libérée d’une partie de la tutelle maritale, ôtant au mari le pouvoir d’aliéner et d’obérer les biens de son épouse. Les séparations de corps mettent fin à la communauté d’habitation et permettent aux conjoints de vivre séparément sans pour autant dissoudre le mariage171. La pratique paraît ancienne et en droit canonique remonterait au Moyen Âge, y compris pour la séparation de corps. Selon Josiane Moutet, elle intégrerait certains critères de séparation admis par les lois franques172. Mais la procédure a probablement du mal à être codifiée. R.-J. Pothier, l’évoque dans son Traité du contrat de mariage173. Dix ans plus tard (1779), M. Pigeau, avocat au parlement de Paris, précise qu’il « traite de cette matière de façon plus étendue que les autres parce qu’elle n’est approfondie nulle part174 ». Peut-être faut-il y voir une nécessité motivée par un recours accru à la procédure même s’il est bien précisé que la justice n’accorde pas cette séparation pour une simple faute d’administration, mais lorsqu’un mari s’écarte totalement de la route commune175.

  • 176 Un usage qui semble géographiquement et chronologiquement étendu : E. Le Roy Ladurie, Montaillou…, (...)
  • 177 A. Fillon, Louis Simon, villageois de l’ancienne France, Rennes, Ouest-France, 1996, p. 271.
  • 178 1730-1739 : 1 cas ; 1740-1749 : 4 cas ; 1750-1759 : 2 cas ; 1769-1769 : 11 cas ; 1770-1779 : 3 cas (...)

48Le droit autorise le recours des épouses devant le tribunal. Mais dans quelle mesure la procédure est-elle utilisée ? Quelques études en attestent l’usage176. Mais dans tous les exemples évoqués, la pratique paraît limitée et ne connaît une croissance, au demeurant relative, que dans la seconde moitié du xviiie siècle. Le modèle sabolien n’échappe pas à la règle. Même s’il faut tenir compte de l’aspect lacunaire de notre série judiciaire, le corpus recueilli reste modeste : 31 demandes repérées pour l’ensemble de la période étudiée, vingt-deux dossiers de demandes en séparation de biens, huit en séparation de biens et de corps ou d’habitation (terme utilisé dans les années 1780), un dossier concernant une demande d’interdiction d’un conjoint pour mauvaise gestion de ses affaires. Sans doute d’autres voies ont-elles été utilisées compte tenu du coût et des risques de la démarche judiciaire. Par exemple, les accommodements devant notaire ont pu être un autre recours177. Il reste que, malgré une évolution sensible au cours du siècle avec des demandes plus nombreuses dans la dernière décennie, le procédé reste limité à quelques cas particuliers178. Les lacunes probables et la faiblesse numérique du corpus invitent à relativiser toute interprétation reposant sur un fondement statistique. Mais les récits de vie ainsi reconstitués n’en gardent pas moins une valeur documentaire essentielle. Trois types de paroles nous sont livrés par ces dossiers :

  • Celles des épouses, parfois assistées d’un membre de leur famille ou d’un avocat, au travers des requêtes déposées au greffe du tribunal (12 dépositions retrouvées) ;
  • Celles des témoins venus déposer devant le juge (23 enquêtes retrouvées) ; elles sont les plus riches pour qui s’intéresse aux mots et aux gestes ; 138 dépositions de témoins ont pu être relevées (avec, suivant les procès, des écarts de 1 à 12) ;
  • Celles des jugements, toujours prononcés en faveur des épouses (7 jugements retrouvés) : ils offrent, dans les attendus, le regard du juge et de l’appareil judiciaire.
  • 179 Toutes les demandes recueillies émanent d’épouses : le recours à la séparation de biens (et de cor (...)
  • 180 M. Pigeau, La procédure civile…, op. cit., vol. 2, p. 180.

49L’autorité vise bien, en premier lieu, à éliminer les déviances et à rétablir un ordre que l’on estime perturbé : il en va de la stabilité des familles et donc de celle de l’État. Mais la demande en séparation reste un recours possible et reconnu pour l’épouse179. Elle a pour but de remédier aux infractions commises par le conjoint aux obligations du mariage. M. Pigeau veut y voir « une voie très favorable à l’épouse et aux enfants180 ». Selon le même auteur, il n’est d’obligation commune aux deux époux que de s’aimer. Mais c’est du non-respect des obligations particulières que naissent les infractions :

  • Obligations relatives aux personnes : défense est faite aux maris d’abuser du droit de puissance que « nature et loi lui donnent », devoir de protéger et de défendre son épouse ; devoir d’obéissance de la femme ;
  • Obligations relatives aux biens : nécessité pour le mari de gérer au mieux les biens qui lui sont propres, mais aussi ceux de la communauté et de son épouse ;
  • Obligation pour l’épouse de ne pas troubler l’administration des biens que la loi a confiée à son mari181.

50Ainsi, la justice se doit d’intervenir quand le mari en vient à aliéner les biens de son épouse ou à en disposer « à perte » et « sans le concours de celle-ci » au point de conduire femme et enfants à la misère. La déclaration de Marguerite Pilot, femme de Joseph Launay, qui a déposé au greffe une demande en séparation de biens parce que son mari est endetté est à ce titre exemplaire :

  • 182 B5315, 31-01-1785, affaire Pilot-Launay, Précigné. En 1781, Marguerite Pilot a épousé le dit Launay (...)

« Comme une telle conduite, de la part du dit Launay, si elle ne prenait pas les précautions indiquées par la loi, pourrait la mettre en danger de perdre ce qui lui a été avancé en mariage que le dit Launay a reçu, elle se trouve contrainte d’avoir recours à l’autorité de justice à l’effet de réclamer ses droits et de conserver les effets qui peuvent lui appartenir […] en demandant la séparation de biens d’avec le dit Launay, son mari182. »

  • 183 Un seul domestique : B5301, mai 1770, affaire Hamelin-Cadeau-Daumeray. Un « fermier », encore s’ag (...)
  • 184 Le même constat a été effectué sur l’échantillon relevant de l’Officialité de Cambrai étudiée par (...)
  • 185 138 témoignages : hommes : 64,4 % ; femmes : 35,6 %.

51Les données sociologiques ne sont pas sans importance. Le milieu social des demandes en séparation paraît relativement étroit : le monde des « bourgeois », « marchands » ou « marchands artisans », représente 60 % des cas relevés et celui des gens de métier environ 16 %. Les « gens de campagne » et plus généralement les petites gens paraissent bien peu représentés183. L’explication est sans doute à trouver dans l’existence ou non d’un bien à défendre mais aussi dans l’aptitude à engager une procédure et probablement encore dans la façon d’appréhender les nécessités du lien conjugal et de la vie de couple184. En revanche, les enquêtes de témoins élargissent sensiblement le champ social des paroles recueillies. Parmi les hommes, les gens de métiers sont les plus nombreux, mais métayers, closiers ou journaliers ne sont pas absents. Le constat est sensiblement identique pour les femmes : femmes du voisinage de tout milieu, mais aussi servantes, sollicitées parce que proches de l’intimité des couples185.

52Quelle valeur documentaire peut-on accorder à la source ? Quand il faut prouver les inconduites des époux, le registre des doléances, esquissant à grands traits le portrait d’hommes peu reluisants, risque d’être déterminé par les représentations que les protagonistes ont de la pratique judiciaire. Il reste qu’il n’est de récrimination sans référence à des situations données, réelles ou supposées telles, mais qui doivent toujours relever du domaine du plausible. De la même façon, les témoignages, qu’ils cherchent la neutralité ou qu’ils prennent parti ne peuvent s’enfermer dans une expression argumentaire qui soit strictement juridique. Ainsi restent-ils opérants quand il s’agit de repérer des points de rupture, des représentations ou des normes dans le champ des liens conjugaux. L’archive nous donne enfin le regard sans doute partiel que le couple porte sur lui-même et plus encore, le sentiment des autres quand les demandes en séparation amènent le voisinage à déposer devant le juge. Elle nous invite à reconstruire les liens étroits qui composent la trame des relations entre maris et femmes.

Relations de couple et regard social

  • 186 B5294, 6-03-1745, affaire Gouabault-Godinier, Souvigné.
  • 187 B5301, mai 1770, affaire Hamelin-Cadeau, Daumeray.

53Marin Horpin, journalier, témoin dans la procédure de séparation de biens d’entre Michèle Gouabault et Mathurin Godinier, maréchal, vient affirmer devant le juge que le dit « Godinier n’a aucun soin de son ménage186 ». Jeanne Hamelin, peut exprimer que « depuis son mariage, elle n’a essuyé que de mauvaises façons de son mari187 ». Le sentiment ainsi exprimé de manière récurrente dans ces récits de vie et qui, pour le moins, ruine l’idée d’un lien conjugal vide de sens et marqué du sceau de l’indifférence, a servi de fil conducteur aux questions que nous avons posées aux sources. Qu’y a-t-il dans ce mal vivre des épouses, dans ce manque d’attentions porté par les maris à leur vie de couple ? L’analyse de l’argumentation des demandes en séparation de biens et de corps montre comment le lien conjugal engendre un double champ d’attentes : celui des attitudes à caractère socioéconomique qui vise, pour le meilleur, le bien-être, pour le pire, la survie ; celui d’engagements plus personnels qui vont dans le sens de l’harmonie ou de la bonne entente et qui incluent prioritairement le respect, la dignité de l’autre. Les deux domaines, séparés ici pour l’étude, restent au demeurant en étroite relation.

54Le lien conjugal se nourrit d’abord d’attentes socioéconomiques. N’avoir aucun soin de son ménage, c’est d’abord faire preuve d’inconstance et d’incapacité à assumer la stabilité matérielle du ménage. Là, sont les occurrences relevées les plus nombreuses. Là est le point de départ de rupture d’un contrat tacite qui peut faire basculer mari et femme vers le chemin de la déchirure. Rappelons simplement que, sans doute, le genre oblige : obtenir une séparation dont l’objectif déclaré est pour l’épouse de parvenir à sauvegarder ses biens propres, à se désolidariser des attitudes économiques jugées inconsidérées et à mettre fin à la communauté de biens peut conduire à radicaliser les propos. Dans tous les cas, le discours sur les errements économiques de l’époux rappelle que si le mariage est le lieu où s’élaborent des liens serrés et personnels, il reste un espace socioéconomique à préserver. Il signifie aussi qu’il y a rupture de l’accord moral implicite qui fonde l’existence du couple, rupture enfin de la confiance trahie sous le regard des autres. De quoi la trahison est-elle faite ? De quelles inconstances les époux sont-ils coupables en la matière ? Par effet de miroir, quel portrait esquisser du mari idéal ?

  • 188 B5287, 13-07-1748, témoignage de Michel Epaillard, filassier, 47 ans, affaire Casseroux-Chaslot, Sa (...)
  • 189 B5293, 1-04-1747, affaire Bernou-Dupond, Sablé.
  • 190 B5277, 20-12-1738, affaire Gouabault-Godinier, témoignage de Jean Gandon, tissier, 42 ans, paroisse (...)

55Le mauvais mari est un « dissipateur », celui « qui a mangé son bien » et qui gère sans discernement. Ne pas respecter les biens, c’est d’abord attenter à l’intégrité du patrimoine. L’époux en a la responsabilité mais dans un carcan étroit de contraintes et de devoirs. « Manger son propre héritage » est un premier pas vers la déchéance, la confiance trahie ou déçue, tel Henri Chaslot, marbrier, à qui l’on reproche « d’avoir vendu la plus grande partie des biens de ses père et mère188 ». Dans la demande en séparation de biens de Louise Bernou d’avec Étienne Dupond, marchand poudrier, l’épouse peut exprimer « la douleur » d’avoir vu un mari dissiper son bien189. Les voies de la dilapidation sont nombreuses. Les « générosités déplacées » sont insupportables. Le discours est sans ambiguïté. Le sieur Godinier190, maréchal, aurait « dissipé son peu de bien pour satisfaire ses inclinaisons, fréquentant les cabarets où il payait pour ceux qui se présentaient ». Le cabaret, on l’aura compris, serait le lieu de perdition des ménages. Plus de la moitié des procès y font allusion.

  • 191 B5294, 30-07-1760, Hamon-Nail, Brûlon.
  • 192 B5277, 20-12-1738, affaire Godinier-Gouabault, Souvigné.
  • 193 B5299, 16-05-1768, affaire Pioger-Couet, Sablé.

56User sans propos ou sans vergogne des biens de son épouse est encore moins tolérable. Les requêtes exploitent l’argument : « Le sieur Nail, bourgeois, par le peu d’attention qu’il porte à ses affaires, dissipe non seulement ses biens mais encore ceux de la suppliante191. » Les épouses ne supportent pas que leur pécule soit dilapidé : les témoignages dénoncent le fait. Le cas de Mathurin Godinier, déjà rencontré, est révélateur. Philippe Couet, 44 ans, marchand à Saint-Loup, « a connaissance que pour parvenir à ses dissipations (Mathurin) a vendu les biens propres de la dite Gouabault, sa femme, entre autres une closerie pour 1 800 livres, valant mieux que 2 000 livres… et d’autres ventes » ; Jean Gandon, 42 ans, tissier à Souvigné témoigne que Mathurin Godinier « a toujours forcé sa femme à consentir aux venditions192 ». L’affaire révèle les points qui sont sensibles au regard social : gestion hasardeuse du mari, mais aussi aliénation des biens de l’épouse sans qu’elle ait eu à donner son consentement. Ainsi, dans la gestion des biens, il est attendu qu’il y ait prise de décision et responsabilité partagée. C’est là affaire de bienséance : Jacquine Pioger, épouse de Nicolas Couet, ci-devant marchand tisserand et à présent garde-chasse se plaint de ce que son mari a fait publier la vente de ses meubles « sans l’en avoir prévenue193 ». L’argument peut être entendu en justice. Ces affaires révèlent une confiance et un accord attendu qui fondent le lien conjugal. Les briser, c’est risquer, quand s’accumulent les griefs, de rompre le pacte et de s’engager sur la voie de la mésalliance. L’attente est bien de voir le mari gérer avec discernement tant ses biens que ceux de son épouse et d’œuvrer avec l’accord de celle-ci à la prospérité du ménage.

  • 194 B5298, 13-04-1767, affaire Lebras-Gasnier, Brûlon.
  • 195 B5305, 8-04-1775, affaire Lefaucheux, Bouessay, témoignage de Gervais Chopin, tisserand, 36 ans.

57Porter peu d’attention à ses affaires, c’est aussi faire montre d’inconstance dans son activité professionnelle. Le grief jalonne plus de la moitié des demandes. Le bon fonctionnement du lien conjugal suppose aussi l’aptitude du mari à subvenir aux besoins de sa famille. L’oisiveté n’est pas tolérable et l’incompétence professionnelle est sévèrement condamnée ; ne rien entendre à son commerce, faire de mauvais marchés, porter peu d’attention à ses affaires sont autant de travers dénoncés. Les récriminations sont proférées par les épouses ; elles jalonnent aussi les dépositions de témoins indignés qui décrivent avec un souci du détail, le marché passé à perte, l’endettement inconsidéré ou toute autre forme de dérangement des affaires. Sans doute, la vulnérabilité économique des ménages contribue-t-elle à exacerber les sensibilités. Mais ce qui paraît dénoncé, c’est l’incapacité ou le manque d’application des maris à gérer leurs affaires ; c’est encore la propension qu’ils peuvent avoir à se lancer dans des expériences hasardeuses. Dans la demande en séparation d’entre Renée Lebras et Julien Gasnier, ci-devant tisserand et à présent marchand de fils de drap, de plumes, de moutons, cochons et autres bestiaux, Urbain Trigolet, maçon, 24 ans, dépose que le dit Julien « se mêle de métier qu’il ne connaît pas194 ». Louis Vielle, autrefois charpentier, était alors dans l’aisance « mais qu’il est devenu cabaretier et qu’il ne l’est plus195 ».

  • 196 B5301, mai 1770, affaire Hamelin-Cadeau, Daumeray.
  • 197 B5287, 13-07-1748, Casseroux-Chaslot, Sablé, témoignage de Michel Epaillard, filassier, 47 ans.

58Ainsi, ce qui n’est pas supportable c’est de « négliger les moyens de soutenir sa famille196 ». Il y a rupture du lien quand l’époux ne subvient plus aux besoins matériels des siens : Henri Chaslot, marbrier, « parce qu’il boit au cabaret tout ce qu’il gagne, laisse sa famille dans une grande détresse, ne leur procurant jamais de quoi vivre par son travail197 ». Il est attendu du bon mari qu’il refuse de mettre en avant d’autres priorités que l’application au travail ainsi élevée au rang de vertu masculine. Le regard devient sévère pour celui qui laisse sa femme et ses enfants sans subsistance, manquant du nécessaire et contraignant ainsi son épouse à s’allouer comme domestique ou à sombrer dans la mendicité. C’est là attenter à la dignité de la femme. L’état de mariage suppose un engagement moral de l’époux : celui de subvenir aux besoins des siens en leur évitant toute forme de déchéance. Patrimoine gaspillé, dot de l’épouse dilapidée, objets de la maison vendus, endettements inconsidérés, marchés inconséquents ou débauches ruineuses sont insupportables. Le naufrage économique ouvre la voie aux désordres des ménages : l’époux doit en assumer la responsabilité. L’aspiration première des femmes est bien celle d’avoir un époux capable par sa constance, par son assiduité au travail de garantir à sa famille les ressources élémentaires. Mais si l’espace conjugal est le lieu de l’établissement socioéconomique, il ne saurait s’y réduire.

59Le lien conjugal est aussi fait d’attentes plus personnelles, au demeurant réciproques qui sont autant de signes du respect revendiqué de l’autre. Il est des barrières que l’époux ne saurait franchir sans risque et des attitudes que le regard des autres condamne. Les voies de la trahison sont multiples.

  • 198 B5314, 7-06-1785, demande en séparation d’entre Anne Janin et Pierre Racin, couvreur de maison et s (...)
  • 199 B5314, 30-01-1785, Précigné, séparation de biens de Joseph Launay, marchand et Marguerite Pilot, Sa (...)
  • 200 B5317, 5-09-1787, demande de séparation de biens d’entre Jean Daugré (boucher) et Marie Richard. Té (...)
  • 201 B5317, 12-05-1787, demande en séparation de biens de Pierre Moreau fermier et Louise.

60L’absence du foyer, régulière et injustifiée, est toujours dénoncée. L’état de mariage ne saurait s’accommoder de l’insouciance du célibat et de l’inconstance des temps de jeunesse. Le discours de Pierre Racin, couvreur de maisons, déclarant devant le juge « ne pas vouloir perdre sa jeunesse avec sa femme », est bien à contre-courant des attentes198. Les épouses ne tolèrent pas qu’on les délaisse. Elles entendent bien que les maris soient auprès d’elles quand les obligations professionnelles ne les appellent pas vers l’extérieur. Il est des temps privilégiés qu’il faut consacrer à la vie familiale. Prendre ses repas en dehors du foyer, négliger la table commune, rentrer après la veillée ou tard la nuit, sont toujours dénoncés comme autant d’égarements ou de négligences coupables ; Jean Nais, menuisier à Précigné, 35 ans, témoigne qu’il a entendu plusieurs fois sa voisine, la femme de Joseph Launay, faire des reproches assez vifs à son mari de ce qu’il se rendait trop tard chez lui199. La femme Daugré se plaint que son mari aille manger chez d’autres tandis qu’il a à dîner chez lui : « Puisqu’elle a apprêté le repas, qu’elle en a fait les frais, elle entend bien qu’il s’en vienne aussitôt200. » L’interpellation faite en public peut signifier l’impatience de l’épouse face à ce qui est atteinte à sa dignité, la condamnation d’une attitude qui attente à son honneur et qui va à l’encontre des comportements attendus. Il est bien là question d’amour-propre, de ressentiment pour un respect bafoué et un mépris affiché mais aussi de la revendication vindicative d’un droit élémentaire à la considération et aux égards. Le lien matrimonial a ses obligations. La vie de couple suppose des temps et des espaces partagés. L’opinion veut qu’il soit du devoir des époux d’y porter attention. Mathurin Lebailly, closier, 32 ans, peut déclarer à son voisin « qu’il ferait mieux de vivre avec sa femme201 ». Les absences prolongées du domicile conjugal sont un point de non-retour propre à justifier la rupture. L’abandon du foyer est un fait récurrent dans les demandes en séparation, surtout quand le fait devient ostensible, sous le regard de tous, et qu’il entérine l’idée que le mari ne veut plus cohabiter ni partager le lit conjugal. L’acte est dénoncé comme étant une voie qui conduit la famille à la déchéance mais il est aussi ressenti par les épouses comme une blessure. Les mots disent combien les femmes ne supportent pas que les maris délaissent, négligent leurs foyers et combien ces comportements sont autant d’attentes déçues. Un bon époux se doit d’être présent en sa maison.

  • 202 Successivement : B5318, 7-06-1788, affaire Racin (couvreur)-Janin, Sablé ; B5894, 30-06-1760, affa (...)
  • 203 B5288, 17-01-1749, séparation de biens d’entre Perrine Riballier et François Gandon, voiturier, Sab (...)
  • 204 B5317, 12-02-1782, affaire Auger (marchand corroyeur)-Duchesne, Sablé, témoignage de Pierre Oger, c (...)
  • 205 B5299, 15-06-1768, affaire Gautry (marchand mercier)-Jouan, Sablé. B5313, 6-05-1784, Martin (marcha (...)
  • 206 B5317, 12-05-1787, séparation d’entre Louise Besnard et Pierre Moreau, fermier. B5313, 6-06-1784, s (...)
  • 207 Bible : Exode 20,14.

61Quand elles accusent, les femmes veulent montrer que l’absence de la maison s’accompagne de multiples débauches et de libertinages toujours dénoncées. Parmi les voies de l’égarement le cabaret est la tentation la plus facile et la plus répandue. Plus de la moitié des demandes en séparation y font allusion. Du cabaret, on ne dénonce pas tant la fréquentation que les excès : « hanter les cabarets jours et nuits », « aller d’un cabaret à l’autre », « y entrer plusieurs fois par jour », « vivre au cabaret ». Son corollaire, l’ivrognerie, est toujours source d’opprobre. Partager la boisson à la taverne est pratique ordinaire. Ce que l’on ne tolère pas, c’est de voir les maris boire plus que de raison : « boire plus que les hommes ordinaires », « s’abandonner au vin », « avoir une grande démangeaison pour le vin202 ». Les désordres qui accompagnent l’ivresse sont dénoncés comme source de dégradations nuisibles à la société conjugale : dilapidation du patrimoine, inaptitude au travail, violence mais aussi déchéance physique ou morale. L’ivresse est présentée comme un dysfonctionnement du comportement social et le jugement peut être sévère à l’encontre de ceux qui y succombent. Mathurin Cosnard, gantier, 58 ans, déclare « qu’il voit des fenêtres de sa maison, François Gandon, voiturier, presque toujours yvre et que les gens du quartier en ont grande honte203 ». La compassion va aux épouses, quand celles-ci, parce qu’elles ne peuvent plus en supporter les maux mais aussi parce qu’il en va de leur dignité, rendent public qu’elles ne veulent plus le souffrir204. Ainsi l’époux débauché décrit par sa conjointe ou par les témoignages est celui qui, sans souci de sa famille et des obligations du ménage, déserte le domicile pour s’adonner au vin mais aussi aux jeux et divertissements de toutes sortes ou à l’oisiveté. C’est encore celui qui a la « passion des femmes205 ». Les voix s’élèvent pour dénoncer celui qui va voir d’autres femmes « au préjudice de la sienne » ou qui « mène une mauvaise vie avec une autre femme que la sienne206 ». L’infidélité est au rang des points de rupture, un trouble à l’ordre social et à l’ordre conjugal. Le devoir de fidélité s’impose aux deux conjoints. L’Église ne saurait mieux dire207. La norme n’est pas au mari libertin ou volage, en quête d’aventures extra-conjugales, fussent-elles vénales. Le refus de l’adultère est donné comme une valeur morale et sociale à respecter par tous. Les femmes entendent qu’on les respecte. Le rejet de toutes formes de violences en donne un autre exemple.

  • 208 B5294, 30-07-1760, séparation d’entre Françoise Hamon et René Nail de la Fosse, Brûlon. B5295, 16-0 (...)
  • 209 B5315, 31-08-1785, affaire Plessis-Marçais, Sablé.
  • 210 B5299, 16-05-1768, affaire Pioget-Couet (garde-chasse), Sablé.
  • 211 B5294, 30-09-1760, demande en séparation d’entre Françoise Hamon et René Nail, bourgeois.
  • 212 B5314, 31-08-1785, affaire Plessis-Marçais : « Le dit Marçais lui fait subir les traitements les pl (...)
  • 213 B5317, 5-09-1787, demande en séparation d’entre Marie Richard et Jean Daugré, boucher, Sablé.
  • 214 B5299, 16-05-1768, affaire Couet (garde-chasse)-Pioger, Sablé.
  • 215 B5318, 7-06-1788, séparation d’entre Anne Janin et Pierre Racin, Sablé.
  • 216 B5301, 10-06-1770, séparation d’entre Jeanne Hamelin et Pierre Cadeau, domestique, Daumeray.
  • 217 B5294, 30-07-1770, demande en séparation d’entre Françoise Hamon et René Nail, Brûlon.

62Il est des maris violents. La moitié des demandes en séparation arguent de mauvais traitements à l’égard des épouses ; avec l’incapacité à nourrir sa famille, il s’agit là d’un grief majeur. Le droit canonique en fait, au demeurant, un cas de divortium quo ad thorium (séparation de corps). La violence conjugale peut même apparaître comme le motif essentiel, voire unique de la requête des femmes208, longtemps dissimulée, parce qu’humiliante. Ainsi Marthe Plessis, mariée depuis cinq ans et qui est dans un martyre continuel, a-t-elle voulu « dissimuler tant qu’elle a pu au public que son mari la frappait209 ». Cette violence apparaît sur le devant de la scène quand les blessures de l’âme et du corps sont trop vives… et pour Marthe, quand sa vie est en danger. Il ressort des témoignages que le regard public sur le mari brutal est sévère et que l’acte de violence est suffisamment grave pour faire l’objet d’une requête en justice. Cette violence conjugale est faite de mots qui blessent, de coups qui meurtrissent, de formes diverses de coercitions qui humilient : ce que les femmes ne peuvent plus admettre. L’injure offense, « accable », « outrage210 ». Elle attribue à l’épouse la perversion (putain, bougresse, garce), le crime ou la déchéance (voleuse, gueuse, race maudite). Les témoignages disent aussi les agressions physiques qui déchirent les corps. Il est des gestes qui humilient : renverser la coiffe, prendre sa femme par les cheveux « au scandale de tous les particuliers qui gémissent sur de telles voyes de fait211 ». Il est des violences insupportables sur des parties du corps « que la pudeur empêche de mettre à jour212 ». Il s’agit là de brutalités que le discours ambiant condamne en assertions indignées. René Folliot, tisserand, 22 ans aurait dit à Jean Daugré, boucher, qu’il y a grand tort à maltraiter sa femme213. Nicolas Ferrier, meunier, s’adresse à Nicolas Couet, garde-chasse, alors qu’il veut frapper sa femme : « Malheureux, que faites vous là ? Vous méritez le bâton214. » Louis Macé et son épouse n’entendent pas que leur parent Pierre Racin vienne chez eux et batte sa femme215. L’autorité judiciaire entend et juge recevables les plaintes des épouses et ponctue son discours d’affirmations propres à condamner les violents. Jeanne Hamelin « a eu le malheur » de convoler en troisièmes noces avec Pierre Cadeau, domestique, et depuis son mariage n’a essuyé que de mauvaises façons de son mari ; la requête en justice précise que « ces voyes de fait si déplacées vis-àvis un mari et une femme méritent une séparation non seulement de biens mais encore de corps216 ». L’emphase paraît encore plus marquée dans la requête rédigée à la demande de Françoise Hamon, épouse du sieur René Nail, bourgeois, homme décrit comme particulièrement brutal et qui « traite journellement (sa femme) comme un despote traiterait une négresse » : « La suppliante se voit sous la protection des lois et de votre justice pour parvenir à la juste séparation de corps et de biens d’avec le dit Nail qu’elle a tout lieu de demander217. » Dans nos déclarations, la violence conjugale s’exprime toujours comme un débordement, un excès souvent lié à l’ivresse mais aussi à la brutalité et à la férocité de certains hommes. Elle ne s’apparente jamais à un quelconque droit de correction, à une manière de gouverner les femmes. Que le discours entendu soit celui des épouses, des témoins ou de la justice, elle est un abus ressenti comme scandaleux et condamnable. La réprobation est sans appel à l’égard du mari brutal.

  • 218 B5294, 30-07-1760, séparation d’entre Françoise Hamon et René Nail de la Fosse, Brûlon.
  • 219 B5313, 6-05-1784, affaire Martin-Pellerin, Sablé.
  • 220 Successivement : B5309, 26-07-1780, affaire Guion-Rechin, Précigné ; B5315, 31-08-1785, affaire Ma (...)

63Enfin les atteintes aux droits élémentaires, à la dignité des épouses ne sont pas plus tolérées que le geste violent. De l’attitude méprisante la plus banale à l’acte tyrannique et coercitif jugé intolérable les sources esquissent un tableau sans concession des points de rupture qui vont briser l’essence même du lien conjugal. Ils attestent à leur façon d’une sensibilité aux actes qui attentent à la dignité des femmes. L’argumentation et les témoignages développés dans la demande en séparation de corps déjà rencontrée d’entre Françoise Hamon et le sieur René Nail de la Fosse, bourgeois, sont parmi d’autres, révélateurs. Le « dérangement des affaires » qui introduit la demande en séparation (peu d’attention aux affaires, négligence, dissipation de ses biens mais aussi de ceux de la suppliante) n’est pas au centre de l’argumentation. Les témoins n’y font d’ailleurs pas référence. En revanche, au cœur des attitudes dénoncées nous trouvons la violence verbale et physique, les menaces proférées à l’encontre de l’épouse, mais encore les diverses formes de coercition et de mépris. Joseph Prévost, receveur des domaines du roi au bureau de Brûlon pense utile de mentionner qu’« il a été témoin que la Dame de la Fosse mangeant avec son époux offrit à celui-ci un morceau de viande… lequel Sieur de la Fosse le refusa et dans l’instant prit le morceau et le jeta à son chien » ; attitude de mépris encore quand le dit sieur, parlant à sa fille, aurait interdit à cette dernière d’obéir à sa mère parce qu’elle était « une sacré gueuze et une putain ». Jeanne Lebœuf, 35 ans, épouse de Jean Faquet, maître chirurgien, vient à son tour témoigner comment le sieur de la Fosse veut empêcher sa femme de prendre l’air à sa porte. Mais le récit appelle le jugement, la déposante ajoutant « avoir dit au sieur de la Fosse que sa femme ne voulait rien d’autre que de raisonnable et qu’il était indigne à un homme d’empêcher sa femme de respirer à sa porte, que toutes les femmes du quartier y étaient218 ». Tel veut encore souligner comment le mari aurait jeté son épouse dans la « ruelle » du lit et qu’un autre jour, il l’aurait mise à la porte, sur les 10 heures du soir. Ainsi, au travers des témoignages, se manifeste l’idée qu’il est des droits à respecter, des attitudes inacceptables et des représentations de la relation conjugale incompatibles avec les tyrannies de maris intolérants. S’y exprime une vision des rapports conjugaux qui refuse le mépris, les humiliations ou la litanie des actes vindicatifs et coercitifs. Au fil des galeries de portraits qui s’esquissent dans ces demandes en séparation, voici dénoncé François Martin, marchand huilier, parce qu’il veut contraindre son épouse à vendre son bien et que, ne rentrant chez lui que fort tard après minuit, il oblige la dite épouse à tenir sa porte ouverte et à maintenir de la lumière afin qu’il puisse rentrer à son gré219. Voici encore au ban des accusés Jean Guion, marchand, à qui Marie Brichet, femme de closier, 30 ans, vient reprocher d’avoir pris sa femme à bras le corps pour la porter chez lui et d’avoir mis ses hardes sous clé pour l’empêcher de sortir et de se rendre en visite. Voici enfin, stade ultime des comportements réprouvés pour leur inhumanité et pour l’humiliation qui revient aux femmes, Jean Macrain, tonnelier, refusant sur les 9 heures du soir d’ouvrir la porte à son épouse ou le nommé Martin qui, « par comble d’indignité aurait fait un paquet de quelques parties des effets de son épouse », mineure de 25 ans, lui signifiant qu’« il ne voulait plus qu’elle revînt à la maison220 ». Il se dégage de cet ensemble de récits un schéma argumentaire et un modèle de relations qui peuvent signifier le refus des attitudes humiliantes et dédaigneuses à l’encontre des épouses. Sont pareillement condamnés les comportements qui visent à contraindre les conjointes, à leur refuser des droits jugés élémentaires comme celui d’aller à leur gré, de jouir de leurs biens et de leur toit. Les témoignages sont sans appel. Ainsi sont rejetés des liens conjugaux reposant sur un rapport de force inégal et qui se fondent sur le mépris et l’atteinte à l’intégrité physique et morale des épouses. Le 1er juillet 1784, le juge rend sa sentence en faveur de Marie Pellerin dans la demande en séparation de bien et de corps d’avec François Martin, marchand huilier :

« Des dépositions des témoins, il résulte que le dit Martin est sans conduite, qu’il fréquente les cabarets de jour et de nuit, qu’il y boit et joue, qu’il s’absente de sa maison, qu’il n’a aucun soin de son ménage, même depuis l’absence de la dite Pellerin, qu’il abandonne ses enfants au soin d’un autre enfant, qu’il a fait des emprunts et mal fait ses affaires, qu’il maltraite sa femme de paroles et d’effets, qu’il la méprise au point de ne plus coucher avec elle, qu’il la jette hors du lit commun par terre, qu’il la traite de putain, qu’il voit d’autres femmes au préjudice de la sienne. »

64On ne saurait mieux dire l’inconstance des maris impossibles : être absent de sa maison, vivre de débauches, négliger ses affaires, délaisser ses enfants, maltraiter et mépriser son épouse (l’éviction de l’épouse du lit conjugal a valeur de symbole). Le discours judiciaire rejoint le discours commun pour reconnaître les attitudes qui signifient aux épouses les égards et les attentions qui leur sont dus et rejeter le modèle coercitif.

  • 221 B5313, 6-05-1784, affaire Martin-Pellerin, Sablé. La séparation de bien et de corps est prononcée e (...)

65Ce qui importe dans ces affaires, c’est que les femmes disent quelles sont leurs attentes et leurs espoirs. Au-delà de portraits de maris à l’apparence peu brillante s’esquissent les points de rupture, les blessures insupportables de la relation conjugale, les atteintes aux droits essentiels des femmes mais aussi le souhait de rapports faits de mots et de gestes qui supposent le respect et visent l’entente. « Si son mari pouvait changer de sentiment, écrit l’avocat de Marie Pellerin, elle verrait avec plus de plaisir une union qui ferait le bonheur de l’un et de l’autre221. » Emphase d’un orateur ? Propos de circonstance ? Nous retrouvons exprimée l’idée que le bonheur peut passer par la réussite conjugale. L’affirmation ne peut se concevoir sans la reconnaissance de liens entre conjoints qui vont bien au-delà de nécessités biologiques ou économiques. L’harmonie des rapports de couple et la considération due aux épouses apparaissent bien comme des valeurs sociales. C’est tout l’espace conjugal qui en est valorisé.

Le couple : référence à un idéal sentimental ?

  • 222 Y. Castan, Mentalités rurale et urbaine à la fin de l’Ancien Régime dans le ressort du parlement d (...)

66Faut-il penser, comme l’a proposé Yves Castan, dans le cadre languedocien, que la solidarité des familles coïncide avec le refus d’une référence sentimentale222 ? La famille serait alors le lieu de l’établissement socioéconomique bien avant d’être celui d’un épanouissement affectif. Rien ne paraît moins sûr, dans le Maine, que l’absence des sentiments conjugaux. Le choix du conjoint est un premier révélateur. Mais qu’en est-il durant la vie de couple ? Comment alors l’amour conjugal se décline-t-il ?

Le choix du conjoint : « Tendre amytié »

  • 223 B5291, 6-06-1749, déclaration de grossesse de Gabrielle Theulier.
  • 224 M. Segalen, Sociologie de la famille, Paris, A. Colin, 1987, p. 118. Voir aussi les nuances propos (...)
  • 225 C. Gauvard, « De grace especial »…, op. cit., t. II, p. 604.
  • 226 Ce qui ne signifie pas que ce choix se fasse sans un faisceau serré de contraintes. L’époque conte (...)
  • 227 J.-M. Gouesse, « Parenté, famille et mariage en Normandie aux xviie et xviiie siècles », op. cit., (...)
  • 228 A. Fillon, Louis Simon, étaminier…, op. cit. Voir aussi A. Fillon, Les trois bagues aux doigts…, o (...)
  • 229 A. Fillon, Les trois bagues aux doigts…, op. cit., p. 71-74.

67L’idée qu’autrefois on ne pouvait se marier que par intérêt et selon l’unique volonté des parents a vécu. Bien des filles se disent d’abord « séduites par des sentiments d’amitié223 ». Martine Segalen a souligné les insuffisances des « thèses évolutionnistes » qui visent à faire du mariage contemporain fondé sur l’amour et la liberté des partenaires, le lieu d’un épanouissement autrefois impossible224. Étudiant les xive et xve siècles, Claude Gauvard peut écrire que le mariage contre la volonté des conjoints ou de l’un d’eux est rare et que le choix amoureux n’est pas absent de la stratégie de constitution des couples225. Concernant le xviiie siècle, les études ont montré, avec des particularités géographiques et sociologiques, qu’il y avait une place pour la parole des jeunes et pour un idéal amoureux226. Dans un travail déjà ancien, J.-M. Gouesse, soulignait, pour la Normandie, que la famille ne semblait pas imposer le mariage, particulièrement dans les milieux modestes et qu’en tous les cas, elle avait une influence moins prégnante que les contraintes socioéconomiques et démographiques227. Anne Fillon, avec une très grande minutie, a bien éclairé les mécanismes de la formation du couple pour les jeunes villageois du Haut Maine. Analysant les mémoires de Louis Simon, mais aussi fouillant les sources notariales et judiciaires, elle a montré combien l’espace de liberté laissé aux jeunes gens mais aussi aux jeunes filles dans la quête du conjoint est essentiel. L’histoire d’amour entre Louis Simon et Anne Chapeau, villageois du Haut Maine, est, à ce titre, éclairante ; nul ne dit mieux que l’étaminier combien sa rencontre avec la petite tourière du couvent fut la grande affaire de sa vie228. Sans doute faut-il voir dans cette liberté des jeunes villageois un effet de la coutume du Maine qui, réglant de façon très égalitaire les successions roturières, n’invite pas aux interventions autoritaires des parents229.

  • 230 B5288, mars 1749, affaire Buon et B5288, août 1749, Sablé. Sur les sommations respectueuses, voir A (...)
  • 231 B5270, 22-04-1730, affaire Talud-Besnard, Saint-Brice.

68Un passage obligé est la déférence nécessaire à l’égard de ses père et mère : ainsi convient-il de prendre leur avis. Lorsqu’il y a désaccord, même si les futurs ont l’âge de la majorité, il est de mise de faire les « sommations respectueuses », en toute humilité et respect. Au détour d’un procès, nous apprenons que Maître Pochard, licencié ès lois, avocat et notaire royal à Sablé, a fait les sommations respectueuses à Maître Jean Pochard, son père, ancien avocat, sur le refus qu’il aurait fait de donner son consentement au mariage de son fils avec Marie Buon, 33 ans, veuve et mère de cinq enfants. L’opposition est-elle marquée, nous retrouvons le couple marié quelques mois plus tard230. Madeleine Talud, veuve, propriétaire de la terre d’Épicé en la paroisse de Saint-Brice, contant les méfaits de son fils et de sa bru, récemment mariés, déplore avoir consenti au mariage « sans avoir eu la précaution de s’informer des facultés de la dite bru » : le regret est un aveu ; une large part d’initiative est laissée aux enfants231. Mais si le mariage d’inclinaison a bien sa place, qu’en est-il des sentiments confrontés à l’usure des jours passés à vivre ensemble ?

Le sentiment à l’épreuve de la vie conjugale : « Il a la faiblesse de l’aimer encore232 »

  • 232 B5314, mars-avril 1785, affaire Thébault de Monhaison, Sablé.
  • 233 B5294, 30-07-760, demande en séparation de biens d’entre Françoise Hamon et René Nail, Brûlon.

69Il fut des unions malheureuses, des sentiments qui, pour le moins, ne résistèrent pas à la vie commune ; tel semble être, parmi d’autres, le cas du sieur Nail, accusé de maltraiter son épouse alors qu’« avant son alliance, il paraissait avoir du sentiment233 ». Il est peu aisé de percevoir la mésentente conjugale, hormis quand elle débouche sur le paroxysme d’une crise. L’état matrimonial est un lieu de sentiments contradictoires. Les cas de mésalliance restent probablement les plus rares. L’histoire des couples sans problème aigu est encore plus difficile à esquisser ; ce qui va de soi, ce qui est sans vague parvient difficilement jusqu’à nous ; a fortiori l’archive judiciaire n’est pas le lieu où puisse se manifester de façon explicite l’état des jours heureux. Il nous faut alors traquer les actes, les paroles pour que s’esquisse la crête des émotions. Enfin, gardons-nous du sens du verbe et des gestes : des sentiments tels qu’ils ont pu être ressentis, nous ne percevons que l’écume des mots, avec le risque d’en juger au gré de notre propre sentimentalité.

  • 234 B5301, 5-02-1770, affaire de Gastines-Oger, Sablé. B5304, 6-03-1774, affaire Vincent, Sablé.
  • 235 B5317, 13-02-1787, demande en séparation de biens d’entre Anne Duchesne et Pierre Augé, Précigné.
  • 236 Acte de remploi du 16 septembre 1754, 4ELVII, 105.
  • 237 B5286, 28-11-1747, affaire Chevron-Fourmont, Précigné.
  • 238 Pensons qu’il puisse y avoir là un peu de la peine d’un Louis Simon, l’étaminier de La Fontaine-Sa (...)

70Nous avons déjà souligné combien les solidarités entre mari et femme ne pouvaient exister sans une valorisation du lien conjugal. On se soutient dans les conflits d’intérêt ou de voisinage ; on s’appelle au secours, au nom de connivences que l’on veut naturelles. Le risque des coups et des griffes n’empêche pas que l’on puisse s’interposer « au péril de sa vie »… ou de sa santé. Le secours que l’on vient donner à l’autre est, au demeurant, attendu, il est réciproque. « On tue mon homme » est un cri qui rameute les voisins quand la force manque aux femmes. Mais il n’est pas impossible de reconnaître dans d’autres gestes ou d’autres situations des attentions conjugales qui vont bien au-delà de la simple solidarité. Tel se justifie d’un vol de bois en arguant « qu’il lui fallait chauffer sa femme, malade » ; tel autre a vendu son fonds de colporteur pour soulager sa femme d’une maladie qu’elle a eue pendant six mois234. D’autres actes, peut-être plus ouvertement encore, expriment des situations dont l’affection n’est pas exclue ; les gestes que l’on a pour l’autre ont une valeur affective que chacun reconnaît. Pierre Geslin, closier, témoigne comment Pierre Augé, marchand, son voisin, a bien soigné sa femme dans sa dernière maladie235, « lui ayant rendu tous les soins qu’un garde-malade attentif peut rendre, jusqu’à la changer de linge lorsqu’elle était toute gâtée dans son lit, quoique la femme du déposant, présente aurait pu le faire ». D’autres témoignages s’appliquent à montrer au quotidien, les signes d’attentions marquées, notamment lors des maladies. Ainsi en est-il de Louis Martin, tisserand, qui, dans une demande en séparation de biens, « pour preuve de son ménagement » à l’égard de son épouse, affirme l’avoir veillée six mois durant. Le geste paraît suffisamment important pour être mentionné en justice. Qu’arrive aussi le malheur, en mots toujours pudiques venant briser l’espoir de jours heureux, se dit l’affliction ; ainsi en est-il de la séparation d’entre Pierre Leroyer, sabotier, et Marie qui « après avoir réfléchi qu’il leur était plus avantageux de se séparer l’un l’autre pour s’assurer le nécessaire […] reconnaissent qu’il n’y a que la nécessité qui les oblige à une si dure et si triste séparation […] se sont les dits Leroyer et sa femme, priés de ne point s’oublier et de dire leur prière au ciel l’un pour l’autre afin que Dieu leur fasse la grâce de supporter avec patience leur séparation et leur misère236 ». La séparation sans retour engendre des manifestations de désespoir. Louis Fourmont, métayer rappelle combien « il fut affligé » par le décès de son épouse, au point de n’avoir pu donner les journées de travail qu’il devait au temps des vendanges237. Argument de circonstance ? Jugeons simplement que l’excuse avancée en justice doit être recevable238.

  • 239 A. Fillon analyse cette dualité du vocabulaire perçue au travers des minutes notariales et des mém (...)
  • 240 J.-M. Constant : Nobles et paysans en Beauce…, op. cit. J.-M. Constant, « Amitié, système de relat (...)
  • 241 M. E. de Montaigne, Essais, livre I, chap. XXVII : « De l’amitié ».
  • 242 Dictionnaire universel français et latin, vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux, édition de (...)
  • 243 L’expression est aussi utilisée dans les testaments olographes.
  • 244 B5417, registre de déclaration des filles grosses.
  • 245 B5310, 7-06-1788, demande en séparation de biens et de corps d’entre Anne Janin et Pierre Racin, Sa (...)
  • 246 B5314, 18-12-1784, affaire Thébault de Monhaisson (lettre envoyée à sa sœur).
  • 247 B5296, la lettre est datée du 18 mai 1764, Baussan du Bignon est notaire à La Suze.
  • 248 B5283, 14-01-1744, affaire Lebel-Morin, Sablé. Le mot est accolé à « coureuze ».
  • 249 Dictionnaire universel français et latin, dit de Trévoux, édition de 1771 : article « Tendresse ».
  • 250 B5294, 30-06-1760, demande en séparation de biens de Françoise Hamon et le sieur René Nail, Brûlon.
  • 251 B5301, 30-05-1770, demande en séparation de biens d’entre Jeanne Hamelin et Pierre Cadeau, domestiq (...)
  • 252 B5317, 5-09-1787, demande en séparation de biens de Marie Richard et Jean Daugré, boucher, Sablé.
  • 253 4ELVI, 10, 14-02-1759 : lettre d’un homme retenu à la prison du Fort Lévesque de Paris à sa femme, (...)

71Quels sont les mots par lesquels s’exprime le sentiment conjugal ? De quoi ce sentiment est-il fait ? Qu’attend-on du nécessaire mariage ? Pour dire l’affection que l’on a pour son conjoint, il est fait référence, dans nos sources, aux champs lexicaux de l’amitié et de l’amour. Mais la dualité du registre ne signifie pas pour autant qu’il y ait dualité de sens239. Le mot amitié est polysémique. Jean-Marie Constant a montré pour les xvie et xviie siècles la richesse du concept qui déborde de la sphère privée pour désigner un type de relation sociale et de comportement politique qui semble dominer la vie publique de la noblesse240. Dans le champ des relations individuelles, on sait encore comment Montaigne fait de l’amitié entre pairs une valeur sociale essentielle, supérieure, par sa fonction identitaire à la relation conjugale241. Au xviiie siècle, le terme se retrouve dans l’ensemble de la sphère privée pour désigner des relations affectives privilégiées, particulièrement dans le cercle étroit de la famille. Selon le dictionnaire de Trévoux, le mot peut s’employer en matière d’amour242. Le langage notarial use largement du mot d’amitié pour désigner les relations entre époux, particulièrement dans les formules testamentaires, au moment de justifier les dons que l’on veut se faire243. Le mot se retrouve aussi dans les contrats de mariage. Du côté de la justice, les déclarations de grossesses anticipées évoquent les « amityés » et plus exceptionnellement « les propositions d’amour » qui ont fait succomber les filles244. Bonne, étroite, sincère ou tendre amitié, l’expression présente l’avantage de n’avoir aucune connotation négative et de signifier la modération qui sied aux sentiments dans l’état de mariage. Dans nos sources judiciaires, dans les témoignages ou les dépositions, un mari peut dire qu’il veut donner à sa femme des témoignages d’amitié ; il peut tout aussi bien affirmer qu’il l’aime. Pierre Racin, couvreur de maisons, suite à une demande en séparation de biens et de corps déposée par son épouse, déclare au juge « qu’il veut se raccommoder avec sa femme, qu’il l’aime245 ». Le sieur Thébault de Monhaison, négociant, face aux conduites supposées déréglées de sa femme dit être « un mari qui a la faiblesse d’aimer encore son épouse246 ». Mais si le verbe est décliné, le substantif apparaît peu. Le notaire Baussan du Bignon, dans une très belle lettre envoyée à un ami sabolien, et sur laquelle nous reviendrons, évoque « l’amour mutuel » qui doit présider aux rapports entre époux247. Mais le mot peut paraître piégé et son usage délicat : son champ sémantique inclut la « passion brutale » dont il faut craindre qu’elle soit immodérée. L’amour fou, incontrôlé ou livré aux sens ne saurait caractériser l’union conjugale. Être « amoureuze », c’est aussi être « légère248 ». En fait, amitié et amour, dans le cercle conjugal, paraissent se rejoindre sur un champ d’intersection commun qui pourrait être celui de la tendresse. Le Dictionnaire de Trévoux précise : « Quand on dit, j’ai de la tendresse pour vous, c’est dire j’ai beaucoup d’amour si l’on parle à une femme et beaucoup d’amitié si l’on parle à un homme249. » Au quotidien, les gestes d’affection sont repérés de tous. Renée Deslande, couturière, 19 ans, dit avoir vu le sieur de la Fosse, bourgeois, « montrer de l’empressement de marquer à sa femme qu’il l’aimait250 ». Les témoignages racontent : tel veut bien embrasser sa femme qu’il n’a pas vue depuis longtemps251 ; tel autre prétend prodiguer des caresses252. Les mots qui évoquent les sentiments entre mari et femme s’inscrivent aussi dans les trop rares lettres que nous avons pu découvrir au hasard des pièces de procédure judiciaire mais aussi des archives notariales253. Le 14 février 1759, un certain Pierre Haran, retenu à la prison de Fort-Lévesque à Paris, fait rédiger une lettre pour sa femme, cabaretière. Paraphant la missive, il prend soin d’ajouter d’une écriture peu sûre qu’il approuve « tout ce que dessus quoyque dautre main écrit ». Bien que répondant à une demande de procuration de la part de son épouse pour régler la succession ouverte par la mort de sa mère, la lettre est un exposé des sentiments du mari à l’égard de sa femme, mais aussi des registres possibles de la tendresse conjugale :

  • Le registre affectueux commence avec l’en-tête :

72« Ma chère épouse ». Mais l’expression est reprise cinq fois au cours des 58 lignes qui composent la missive (dont deux fois : « ma très chère épouse »). Une formule épistolaire n’en relève pas moins un comportement type ou une attention.

  • Le registre du dépit amoureux (l’épouse qui a écrit par obligation ne paraît pas mettre d’empressement dans l’échange épistolaire) :

73« Il m’est cependant difficile de penser qu’une aubergiste comme vous manque de quoi affranchir la lettre d’un pauvre prisonnier comme moi. » « Il est encore bien inutile, ma chère femme, de vous forcer à dire que les lettres affranchies ne sont pas exactement rendues » et réciproquement :

74« Si vous dites que vous n’avez pas reçu les miennes c’est que vous n’avez pas voulu les recevoir. »

  • Le registre de la compassion et de la part prise à la peine qui peut toucher l’épouse :

75« Vous me dites que votre mère est morte. […] Je vous invite, ma chère femme, à bien prier pour le repos de son âme. […] J’inviterai ici nos prisonniers à joindre leurs prières aux miennes pour le mesme sujet. »

  • Le registre de l’agrément que l’on veut procurer à l’épouse :

76« Quant à l’égard de mon pouvoir ou de ma procuration, je vous l’accorde avec bien du plaisir. » (Nécessité mais aussi empressement à satisfaire le vœu de l’épouse dans les meilleurs délais.)

  • Le registre de la confiance faite à l’épouse :

77« […] que vous vendiez pour vous servir ce que vous jugerez à propos ».

78« […] et suis plus que persuadé que vous ne ferez pas un mauvais usage de mon pouvoir ».

  • Le registre sentimental et de la tendresse familiale :

79« Cette nouvelle (promesse faite par son colonel de “l’envoyer au pays pour y faire revue” avant qu’il n’aille rejoindre la troupe) me flatte beaucoup dans l’espérance d’avoir le plaisir de vous embrasser de tout mon cœur ainsi que mon cher enfant Jacob dont je vous prie d’avoir toujours bien du soin. »

  • Le registre de l’engagement amoureux et de l’attachement :

80« […] et me croyez toute ma vie avec toute l’estime possible ma chère et honeste femme », « Votre véritable et fidèle mary. »

  • 254 Lettre de Pierre Haran, au Fort-Lévesque à Paris et à la suite enrôlé dans la troupe : 4ELVI, 10, (...)

81On ne saurait mieux dire l’expression de l’affection et de l’obligeance qui peut être attendue des épouses254.

  • 255 Quatre occurrences du mot bonheur en 30 lignes.
  • 256 Une enquête sociologique réalisée au début des années 1980 a pu montrer combien, dans notre sociét (...)
  • 257 De la même façon, les testaments déjà évoqués soulignent, comme autant de comportements caractéris (...)
  • 258 A. Fillon, Louis Simon, villageois…, op. cit., voir notamment l’étude consacrée à la vie des ménag (...)
  • 259 B5313, 6-05-1784, demande en séparation de biens d’entre Marie Pellerin et François Martin, Sablé.

82La lettre écrite le 18 mai 1764 par Baussan du Bignon est d’une autre nature ; elle est aussi d’une autre portée. Ce notaire royal de La Suze répond à l’annonce que vient de lui faire un certain Costiou, praticien à Sablé, de son mariage prochain. Baussan du Bignon a l’expérience de la vie conjugale puisqu’il annonce être père pour la cinquième fois. Costiou est un homme plus jeune (selon un procès de 1777 il aurait, en 1764, 25 ans). Le ton de la missive se veut paternel : « Je vous souhaite toutes ces choses qu’un véritable père pourrait vous dire », et amical : « L’amitié que j’ai pour vous et l’intérêt que je prends à votre véritable bonheur. » En quelques lignes tracées, le notaire veut offrir à son jeune ami ce qu’il croit être les clés de la réussite conjugale. Mais c’est aussi une véritable philosophie de la vie qu’il propose : vision d’un homme éclairé et probablement expression de sa propre expérience. Au cœur de la missive, revient, récurrente, l’idée que la vie conjugale a une finalité, la quête du bonheur : « Le bonheur respectif que les gens mariés doivent chercher à se procurer255. » Les époux sont à égalité dans cette recherche puisqu’il faut « se rendre heureux l’un l’autre256 ». Les moyens du bonheur conjugal, selon notre notaire, sont faits de sentiments car il faut aux époux de « l’amour mutuel ». Mais la quête nécessite aussi des attentions réciproques, « beaucoup de complaisance de part et d’autre » ; là sont les gestes qui, au quotidien, font les solidarités, les soins, les secours ou le respect que l’on se porte : autant d’actes, d’apparence insignifiante, et que nous avons relevés au gré des requêtes en justice et des témoignages257. Enfin, quand le notaire précise qu’il faut de la part du mari beaucoup de « prévenance », on ne saurait mieux dire la responsabilité qui incombe aux époux. Baussan du Bignon esquisse là un modèle de relations conjugales ; dans un souci de perfection il y ajoute, en point d’orgue, une conduite sociale exemplaire faite de « religion », « d’économie » et de « travail ». Les Mémoires de Louis Simon258, déjà évoqués, offrent une illustration assez saisissante de cette philosophie et de cette pratique de la tendresse conjugale : « Je lui parlais bien doucement car elle ne méritait pas que je la traite avec rigueur » écrit l’étaminier du Haut Maine évoquant le souvenir de son épouse ; « elle craignait dire la moindre chose qui pût me faire de la peine » ; « comme j’avais tant aimé ma chère épouse ». Quête du bonheur encore : rappelons que l’oncle (et curateur) de Marie Pellerin, mineure de 25 ans et demanderesse en séparation de corps et de biens d’avec François Martin, marchand huilier, ne dit pas autre chose quand il affirme que si le mari jugé inconstant était susceptible de changer de sentiment, sa nièce verrait avec bien plus de plaisir une réunion qui ferait le bonheur de l’un et de l’autre259. Le lien conjugal a une fonction socioéconomique qu’il n’est nul besoin de souligner. Mais on perçoit combien cette fonction ne peut être séparée de finalités affectives et que le mariage peut aussi se décliner en termes de bonheur à se procurer.

  • 260 A. Fillon, Les trois bagues aux doigts…, op. cit., p. 389-455.

83Les mécanismes qui président au choix du conjoint sont un premier révélateur. Les solidarités, les soins que l’on se procure, la défense de l’autre ou la complicité dans l’acte délictueux soulignent la densité des liens qui unissent mari et femme. Au-delà des disputes ou des amours contrariées l’usure du temps ne suffit pas à ruiner ni à masquer l’expression de sentiments affectueux, qu’ils soient « amour mutuel » ou « tendre amitié ». La gamme des sentiments rencontrés est bien sûr diverse : la haine, rarement, la jalousie plus souvent ; mais le modèle social dominant semble bien valoriser la tendresse entre époux. Quand, de Marivaux à Rousseau, les émotions du cœur ont gagné les Lettres, le souffle des Lumières, sage encore, décline jusque dans nos villages l’espérance de pouvoir aimer et le droit à être heureux. Anne Fillon a analysé les vecteurs par lesquels les idées nouvelles ont pu modifier les façons de vivre des villageois, mais aussi leur outillage mental, leur façon de penser, de ressentir et de dire260. Cette valorisation du bonheur dans et par le mariage ne peut que donner sens et puissance à l’espace conjugal. Si la famille est bien un lieu de chaleur affective, il peut alors s’esquisser un repli des formes identitaires vers la sphère du privé. L’amitié entre pairs semble céder le pas face à une affection conjugale qui paraît bien être une valeur sociale reconnue ?

Conclusion

84La famille dont il est prioritairement question dans nos sources est bien la famille conjugale fondée sur le mariage, nucléaire dans sa forme, avec époux et enfants au foyer. Elle apparaît bien comme une réalité fondamentale mais aussi comme une valeur du champ social. Les complicités qui naissent au quotidien sont davantage que des gestes visant à la survie matérielle. Elles supposent une intériorisation du sens de la famille. Elles accompagnent des sentiments d’affection qui peuvent s’exprimer au plus profond de la détresse. Les expressions de solidarité soulignent les liens serrés qui s’établissent au sein du groupe domestique et donnent sens à l’institution. L’enfant est là au cœur des préoccupations. Sans doute les images peuvent-elles être contrastées. Il est des parents peu attentifs et des enfants sans empressement de rendre des devoirs pourtant attendus. Mais le sentiment dominant n’est pas celui de l’indifférence. Du soin que l’on porte aux plus jeunes aux préoccupations que l’on a des plus grands, fussent-ils d’un âge avancé, les sollicitudes des parents à l’égard de leur progéniture sont rarement prises en défaut. La famille est bien un lieu de protection autant qu’elle est un espace de socialisation. Dans tous les milieux s’expriment des velléités d’éducation et de formation à donner aux enfants pour les préparer à mieux appréhender la vie.

85Du couple, il est attendu qu’il vive dans une harmonie qui suppose des devoirs réciproques. Il faut se garder d’un modèle conjugal qui ferait de l’épouse, parce que son domaine est prioritairement celui de la maison, une soumise ou une inférieure, vision ethnocentrique en ce qu’elle attribue une valeur négative au travail domestique dans une société contemporaine qui privilégie l’acte de production. La division des tâches observée peut tout aussi bien renvoyer à une répartition des responsabilités. Les discours montrent que les qualités de bonne ménagère et de bonne épouse rejaillissent sur l’honneur de la famille. La femme est ainsi au centre du regard social. Au demeurant, elle n’est pas sans espace d’autonomie ni de pouvoir de décision. Nous l’avons souligné dans le domaine du travail ; cela reste évident pour l’ensemble des relations qui se tissent au sein du couple. La femme n’est pas libre au sens juridique du terme, mais elle a ses espaces de liberté et ses droits reconnus. Ainsi a-t-on trop longtemps confondu le champ des représentations et le niveau symbolique avec une réalité quotidienne qui se caractérise sans doute par une grande complexité des rapports. Les archives montrent l’existence de femmes autoritaires comme il existe des hommes dominateurs. Dans le tissu complexe des liens entre époux nous percevons dans la vie de tous les jours une diversité de mises en scène dans lesquelles la dimension psychologique n’est pas sans importance. Mais, dans le rapport au quotidien, nous n’observons pas d’inégalités fondamentales. Plus encore, parce qu’elles règnent sur le privé et qu’elles ont, suivant l’attente du public, un rôle pacificateur reconnu, les femmes apparaissent bien comme un pilier essentiel de la société.

86Dans la relation maris-femmes, le modèle dominant est celui de la bonne entente, des soins et des attentions réciproques. Sans doute la vie des ménages n’est-elle pas sans nuages ni conflits, mais le but de l’union reste bien le mieux-être ou le bonheur que l’on souhaite s’apporter réciproquement. Cela va de pair avec l’idée qu’il y a place, dans le couple, pour un idéal sentimental.

87Valeur essentielle, espace de l’intimité conjugale et parentale, lieu fondamental de l’intégration sociale, la famille nucléaire paraît bien vécue comme un fondement de la société de l’Ancien Régime. Pour autant, le domaine des relations familiales reste sous le regard public et s’intègre à des formes de sociabilité nombreuses Il nous faut lors, envisager de cerner, hors de la famille, les manières de vivre ensemble, les faits et gestes par lesquels la relation sociale se construit dans un champ de normes et de contraintes.

Notes

1 Pour une synthèse historiographique : F. Lebrun, in La famille : l’état des savoirs, F. de Singly (dir.), Paris, La Découverte, 1997, chap. VI, p. 385-392.

2 Ph. Aries, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Seuil, rééd. 1973.

3 Parmi les premières synthèses significatives : R. Mousnier, La famille, l’enfant et l’éducation en France et en Grande-Bretagne du xvie au xviiie siècle, Paris, SEDES-CDU, 1975. F. Lebrun, La vie conjugale sous l’Ancien Régime, Paris, Colin, 1975. A. Armengaud, La famille et l’enfant en France et en Angleterre du xvie au xviiie siècle, Paris, SEDES, 1975.

4 C. Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté, Paris-La Haye, Mouton, 1949.

5 Sur le renouveau de la sociologie de la famille que l’on peut dater des années 1970, voir J. Kellerhols et L. Roussel, « Les sociologues face aux mutations de la famille. Quelques tendances des recherches », L’année sociologique, 1987, 37, numéro spécial « Sociologie de la famille ».

6 Y. Castan, Honnêteté et relations sociales en Languedoc, 1715-1780, Paris, Plon, 1974. A. Farge et M. Foucault, Le désordre des familles, lettres de cachet des archives de la Bastille, Paris, Gallimard-Julliard, coll. « Archives », 1982. A Farge, La vie fragile. Violence, pouvoirs et solidarités à Paris au xviiie siècle, Paris, Hachette, 1986. A. Fillon, Louis Simon, étaminier, 1741-1820, dans son village du Haut Maine au siècle des Lumières, thèse, Le Mans, 1982, 2 vol. A Fillon, Les trois bagues aux doigts. Amours villageoises au xviiie siècle, Paris, Laffont, 1989.

7 A. Burguière, C. Klaspish-Zuber, M. Segalen et F. Zonabend (dir.), Histoire de la famille, t. 2 : Le choc des modernités, Paris, A. Colin, 1986. Ph. Aries et G. Duby (dir.), Histoire de la vie privée, t. 3 : De la Renaissance aux Lumières, Paris, Seuil, 1986. J. Delumeau et D. Roche (dir.), Histoire des pères et de la paternité, Paris, Larousse, 1990. G. Duby et M. Perrot (dir.), Histoire des femmes, Paris, Plon, 1991, t. 3 : XVIe-XVIIIe siècles (volume dirigé par N. Zemon Davis et A. Farge).

8 Pour l’Ancien Régime, voir le préambule de la déclaration royale du 27 novembre 1639 « Les mariages sont le séminaire de l’État, la source et l’origine de la société civile ». Sur les diverses ordonnances royales concernant la famille : R. Mousnier, La famille, l’enfant et l’éducation en France et en Grande-Bretagne du xvie au xviiie siècle, op. cit., p. 149-156.

9 Saint Paul, par exemple : Corinthiens 7, 3[2] et 7, 4. Ephésiens 5, 25 et 5, 33.

10 Saint Paul, Ephésiens 5 : 21. 22. 23.

11 M. Pigeau (avocat au Parlement), La procédure civile du châtelet de Paris et de toutes les juridictions ordinaires du royaume, Paris, 1779, vol. 1, livre II, partie 1, titre 1, article III, p. 167.

12 A. Burguière et F. Lebrun, « Le prêtre, le prince et la famille », A. Burguière, C. Klapish-Zuber, M. Segalen et F. Zonabend (dir.), Histoire de la famille, t. 2, Paris, Armand Colin, 1986, 1re partie, chap. 2, p. 92-152. J. Delumeau, Le péché et la peur, Paris, Fayard, 1983 (sur le regard des théologiens sur la femme : p. 317). J.-L. Flandrin, Famille, parenté, maison, sexualité dans l’ancienne société, Paris, Hachette, 1976 et nouvelle édition : Seuil, 1984 (sur les attitudes des moralistes catholiques et sur les évolutions du xviiie siècle, p. 124 sqq.). Une bonne synthèse : J. Mulliez, « Droit et morale conjugale. Essai sur l’histoire personnelle entre époux », Revue historique, juillet-septembre 1987. Un exemple concret de la dégradation du statut juridique des femmes, sous l’influence de l’Église et de l’État, nous est fourni par la thèse de Véronique Demars-Sion. V. Demars-Sion, À la recherche d’un père. Actions en recherche de paternité et actions de la femme séduite dans l’ancien droit français à travers la pratique du Nord, thèse pour le doctorat d’État en droit, Lille II, 1986. Voir aussi J. Moutet, Femmes et changement social, enjeux et stratégies dans la Normandie coutumière, xvie-xviiie siècles, thèse de 3e cycle, Paris, EHESS, 1986.

13 4ELVII, Maître Houdouin, inventaire après décès, décembre 1781.

14 Mathurin Louis, sieur des Malicottes (ancien avocat du siège présidial du Mans), Notes extraites de la Coutume du Maine, Paris, 1657. O. de Saint-Vaast (avocat au parlement de Paris et au baillage et siège présidial d’Alençon), Commentaires sur les coutumes du Maine et d’Anjou ou extraits raisonnés des édits, déclarations, arrêts et règlements qui ont rapport à ces deux coutumes, Alençon, 1777-1779, 4 vol. in-8°. M. Rippier, Préface historique pour servir à la comparaison de la Coutume du Maine avec celle de Paris, Paris, 1704. Parmi les études contemporaines : M. Gasnier, Étude comparative du droit familial dans la coutume du Maine de 1508, Alençon, 1982. T. Sarih, Contribution à l’histoire démographique, économique et sociale du Mans : Le mariage au xviiie siècle, thèse de 3e cycle, université du Maine, 1983 (voir particulièrement le chapitre II : « Aspects juridiques des contrats de mariage »).

15 Les discussions sur les thèses pionnières d’Aries sont révélatrices des difficultés et des prudences nécessaires en la matière : voir R. Muchembled, L’invention de l’homme moderne, Paris, Fayard, 1988, chap. 5, p. 291.

16 Pour une synthèse rapide sur l’historiographie des solidarités familiales : J. Gutton, La sociabilité villageoise, Paris, Hachette, 1979, p. 54-57. Pour l’étude de ces solidarités perçues à travers les archives judiciaires : Y. Castan, Honnêteté et relations sociales…, op. cit., chap. 3 et 4, p. 162-243. R. Muchembled, Violence et société : Comportements et mentalités populaires en Artois (1400-1660), thèse pour le doctorat d’histoire, Paris I, 1985, p. 435-445. N. Castan, « La criminalité familiale dans le ressort du parlement de Toulouse (1650-1730) », A. Abbiatecci et al., Crimes et criminalité en France, xviie-xviiie siècles, Cahier des Annales, n° 33, Paris, A. Colin, 1971.

17 B5285, 6-09-1746, affaire Letessier-Gandon-Souvigné.

18 N. Castan, « La criminalité familiale dans le ressort du parlement de Toulouse, 1650-1730 », A. Abbiateci et al., Crimes et criminalité en France, xviie et xviiie siècles, op. cit., p. 106 et 107. Y. Castan, Honnêteté et relations sociales…, op. cit., p. 197.

19 B5279, 11-01-1740, affaire Lucas-Tonnelier, Sablé.

20 B5314, 14-04-1785, interrogatoire d’Anne Persignan.

21 B5303, 8-08-1774, déposition de la plainte de Mathurin Freuslon, meunier à Gastines, pour son fils, 16 ans, battu par un garçon meunier de Solesmes.

22 B5315, 9-09-1785, affaire Martin, Crosmières.

23 B5282, 31-01-1744, affaire Daugré-Pellier, Sablé. Conflit à caractère professionnel.

24 B5275, 5-09-1736, Sablé.

25 Broc : fourche en bois à 2 ou 3 dents pour faner.

26 B5202, 24-03-1774, affaire Garot, Saint-Ouen.

27 B5319, 22-09-1789, affaire Fourmont, déposition des témoins, Sablé, meurtre d’un collégien.

28 F. Pitou, Métiers et boutiques à Laval au xviiie siècle, thèse pour le doctorat d’histoire, université du Maine, Le Mans, 1994, t. III, p. 805.

29 Ce type d’analyse des cercles de relation est bien connu des historiens qui ont scruté contrats de mariage, actes de mariage et de baptême. Pour le Maine : T. Sarih, Contribution à l’histoire démographique, économique et sociale du Mans : Le mariage au xviiie siècle, op. cit., voir particulièrement le chapitre IV : « Mariage et pression sociale ».

30 B5303, 6-03-1713, procès-verbal de la destination de la tutelle naturelle de Louis Martin, tisserand, Sablé.

31 Le mal caduc désigne un état épileptique.

32 Près de 55 % des cas observés.

33 B5270, 22-04-1730, plainte de la veuve Haran, propriétaire de la terre d’Epicé, Saint-Brice.

34 B5281, 5-02-1743, interrogatoire de René Naveau, charron, Saint-Denis-d’Anjou.

35 B5290, 26-08-1752, interrogatoire de Me Poulet.

36 Sur le thème de l’amitié, lien affectif entre deux individus ou fondement de la sociabilité traditionnelle : J.-M. Gouesse, « Parenté, famille et mariage en Normandie aux xviie et xviiie siècles », Annales Économies, Sociétés, Civilisations, juillet-octobre 1972, p. 1145 sqq. J.-M. Constant, Nobles et paysans en Beauce aux XVIe et xviie siècles, thèse pour le doctorat d’État (1978), ANRT de Lille III, 1981, p. 239-264.

37 B5291, 15-03-1754, acte de tutelle, Sablé.

38 B5318, 6-09-1788, acte de tutelle, Précigné.

39 M. Aymard, « Amitié et convivialité », Ph. Aries et G. Duby (dir.), Histoire de la vie privée, Paris, Seuil, 1986, t. 3, p. 463. Voir aussi Y. Castan, Honnêteté et relations sociales…, op. cit., p. 209-216.

40 Pour la Bretagne : J. Quéniart, Le grand Chapelletout, violences, normes, et comportements dans la Bretagne rurale du xviiie siècle, Rennes, Apogée, 1993, p. 15.

41 B5295, 27-04-1761, plainte de Jean Tertre, marchand à Sablé dont la mère a été accusée de banqueroutière.

42 B5298, 9-07-1767, plainte d’Anne Dubois, femme de tisserand, Joué en Charnie, accusée de sorcellerie.

43 B5288, 4-03-1749, plainte de Marie Buon, veuve de Joseph Guyau, sieur du Vigneul, Sablé.

44 B5286, 4-11-1747, plainte de la veuve Fléchard, closière à Contigné et interrogatoire de Jean, Jacques et Anne Laurent.

45 Y. Castan relève un processus de socialisation identique dans le Languedoc du xviiie siècle. Y. Castan, Honnêteté et relations sociales…, op. cit., p. 228.

46 B5281, 1-06-1742, affaire Poulet-Launay, Précigné.

47 B5282, 29-03-1743, affaire Lemaitre-de Lestang, Noyen.

48 B5284, 25-05-1745, affaire Jehan-Daugré, Sablé.

49 B5295, 31-08-1763, affaire Brossier-Landeau, Précigné.

50 B5310, 22-03-1781, affaire Thoulet de Montargis-Desgrange, Malicorne.

51 B5288, 23-06-1746, affaire Chauvin, Saint-Loup.

52 B5279, 11-11-1740, affaire Ducet-Haurée, Bouessay.

53 Sur les problèmes que pose l’historiographie concernant l’enfance, voir les remarques d’A. Farge, La vie fragile…, op. cit., p. 59-65.

54 Ph. Aries, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, op. cit. Voir les réponses de Marcel Bernos, Catherine Fouquet et Yvonne Kniebiehler, dans Revue d’histoire moderne et contemporaine, janvier-mars 1981, p. 207-209, à l’ouvrage de E. Badinter, L’Amour en plus : Histoire de l’amour maternel, xviie-xixe siècles, Paris, Flammarion, 1980.

55 D. Alexandre-Bidon et M. Closson, L’enfant à l’ombre des cathédrales, Lyon, Presses universitaires de Lyon, CNRS Éditions, 1985, p. 187-232, chap. III : « L’environnement affectif de l’enfance ». D. Lett, « L’enfant des miracles », Enfance et société au Moyen Âge, xiie-xiiie siècle, Paris, Aubier, 1997, p. 161-184, chap. VII : « Des comportements parentaux ». Voir aussi la thèse de C. Gauvard, « De grace especial » : Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991, 2 vol., p. 652 : « La mode et les travaux des modernistes comme des sociologues n’ont pas réussi à effacer l’idée si souvent développée que l’amour familial et en particulier l’amour pour l’enfant est création de l’époque moderne […]. L’étude des sources judiciaires permet de nuancer ce point de vue. D’eux-mêmes les suppliants disent et ne craignent pas de dire la force des sentiments qu’ils portent aux leurs. »

56 D. Roche, Le peuple de Paris, Paris, Aubier, 1981, p. 249.

57 Y. Castan, Honnêteté et relations sociales…, op. cit., p. 214-217. A. Collomp, La maison du père. Famille et villages en Haute-Provence aux xviie et xviiie siècles, Paris, PUF, 1984, p. 126-131 et p. 180-188.

58 Sur ces lectures nouvelles : A. Farge, La vie fragile…, op. cit., p. 55-88.

59 D’après les sondages effectués dans les archives notariales ; l’apprentissage, au demeurant peu répandu, n’apparaît guère avant 14 ans. Le service domestique n’est pas, globalement, plus précoce, même si nous rencontrons quelques cas de placement à l’âge de 10 ou 11 ans, particulièrement quand l’enfant est orphelin de père et de mère et « en état de subvenir à ses besoins ». La « mise en condition » apparaît surtout comme un parcours obligé pour bon nombre de jeunes en attente de mariage.

60 B5272, 29-06-1742, affaire Métais-Rollet, Souvigné.

61 B5302, 28-10-1771, affaire Derouet-Fourmont, Auvers-le-Hamon.

62 B5275, 13-04-1736, affaire Rezé, interrogatoire de Perrine Rezé, Solesmes.

63 B5303, juillet 1773, affaire Cosnard-Janvier, Vion.

64 Deux cas relevés de mort d’enfants, plus un cas de grossesse celée avec tentative de dissimulation et abandon de l’enfant né : B5309, 28-12-1780, affaire Pichot.

65 B5303, juillet 1773, affaire Cosnard-Janvier. Déclaration du chirurgien à qui Anne Cosnard aurait fait la « confidence de sa grossesse ».

66 B5275, 13-04-1736, affaire Rezé, interrogatoire de Perrine Rezé, Solesmes.

67 B5309, 28-12-1780, grossesse celée, abandon d’enfant, Sablé.

68 B5305, 31-05-1775, affaire Jouan, Sablé.

69 B5307, 28-07-1777, exposition et abandon d’enfants, Sablé.

70 B5281, 5-05-1743, affaire Naveau, Saint-Denis-d’Anjou.

71 B5292, 4-08-1755, affaire Duval-Jaladin, Sablé.

72 B5314, 4-08-1785, affaire Thébault de Monhaison, lettre datée du 18 décembre 1784.

73 B5307, 29-09-1777, affaire Charpentier, Saint-Loup-du-Dorat.

74 B5313, 6-05-1784, demande en séparation de bien, affaire Pellerin-Martin, Sablé.

75 B5315, 20-05-1784, affaire Grassin, Solesmes.

76 Par ex. : 4E89, 558, 17-07-1751 au 23-02-1753, Maîtres Houdouin, Pochard, Moyré-Sablé.

77 B5278, 13-01-1739, plainte de M. Poitevin, Sablé.

78 B5307, 17-09-1777, affaire Baret, Sablé, puis B5288, 12-04-1750, affaire Deroy-Dupré, Sablé.

79 B5294, 31-08-1763, affaire Brossier-Landeau, Précigné.

80 B5281, 15-10-1742, plainte de Jean Couprent, Sablé.

81 B5288, 3-09-1749, affaire Lebailly, Sablé.

82 B5317, déclarations de grossesses anticipées, série continue de 1773 à 1790 : 90 cas. Présence attestée d’un (ou des deux parents) : 38,9 % des cas, en tenant compte des orphelines. Pour la décennie 1780-1790, le pourcentage est de 42,2 %.

83 Idem, relevé des expressions : « demeurant ci-devant chez… et depuis lors chez ses pères et (ou) mère » ou plus explicitement, comme pour Jeanne Métayer, domestique, grosse des œuvres de Pierre, fils de Mathieu. Deslandes, « sortie de chez le dit Deslandes qui l’a mise au dehors de chez lui pour aller chez son père ». 41 % des 58 domiciliations identifiées avec précision.

84 C. Phan, Les amours illégitimes à Carcassonne. 1687-1787, thèse de 3e cycle, Paris, 1980, p. 132.

85 V. Demars-Sion, À la recherche d’un père…, op. cit.

86 B5289, 8-07-1751, procès ouvert contre plusieurs « libertins », Courtilliers.

87 B5289, juillet 1751, affaire Lebreton-Chaloigne, Sablé.

88 Par exemple, B5315, 20-05-1785, affaire Grassin, Solesmes. Affaire de mœurs, attentat à la pudeur ; attouchements exercés sur de jeunes enfants.

89 B5290, 16-08-1752, affaire Lemeunier-Brocherie, Sablé.

90 B5289, 27-05-1751, affaire Houdouin-Cerneau, Sablé.

91 B5281, 26-02-1743, affaire Mauboussin-Guimbert, Sablé. B5281, 20-08-1743, affaire Rezé-Guimbert, Vion.

92 B5278, 14-09-1739, affaire Chaloigne, Sablé. Les exemples sont multiples.

93 B5282, 17-02-1744, affaire Mocquereau-Chaloigne, Sablé.

94 B5278, 16-02-1739, affaire Gautier, Sablé.

95 B5288, lettre du 14-02-1759.

96 B5303, 6-03-1773, affaire Martin, Sablé.

97 B5311, 29-10-1782, affaire Chevron, Précigné, interrogatoire de Pierre Chevron, 63 ans, vigneron.

98 B5317, 5-09-1787, demande en séparation de bien et d’habitation, Sablé.

99 B5314, 18-12-1784, affaire Thébault de Mauhaison, Sablé.

100 B5294, 14-07-1759, affaire Blanche-Beaumier, Sablé.

101 B5286, lettre écrite le 11 octobre 1747, après le siège de la ville de Bergadson en Hollande.

102 B5291, janvier 1754, affaire Dupont, demande de réhabilitation d’un garçon privé de ses droits.

103 Un tableau au total fort éloigné de celui qu’a cru pouvoir dresser E. Shorter, pour la France pré-révolutionnaire dans une analyse souffrant de trop de généralisations : « L’absence de cordialité, la méfiance, l’indifférence et le soupçon sautent aux yeux » (E. Shorter, Naissance de la famille moderne, Paris, Seuil, 1981, p. 288).

104 Y. Castan, Honnêteté et relations sociales…, op. cit., p. 243 : « La famille est le seul corps dont les obligations mutuelles prescrites entre les différents membres empruntent leurs contraintes au droit, à l’opinion et à l’honneur essentiel. » Il s’agit toutefois de solidarités d’intérêt, s’exprimant dans un climat familial fort différent.

105 Sur ce discours, voir la position de M. Segalen, Mari et femme dans la société paysanne, Paris, Flammarion, 1980, p. 171-180. Exemple caractéristique de ce discours folkloriste : Abel Hugo, France pittoresque, Paris, Dellaye, 1835, 3 vol. Sur les représentations des femmes de la campagne sarthoise : t. III, p. 74-75.

106 E. Shorter, Naissance de la famille moderne, op. cit., p. 97. Shorter peut encore évoquer « La nuit noire de la passivité féminine » (p. 92).

107 Sur ces problèmes de méthode, mais aussi sur les limites des sources judiciaires en la matière : A. M. Sohn, « Les rôles féminins dans la vie privée. Approche, méthodologique et bilan de recherche », Revue d’histoire moderne et contemporaine, octobre-décembre 1981, p. 597-623.

108 J. Pitt-Rivers, Anthropologie de l’honneur, Paris, Éditions plurielles, Hachette, 1997, p. 123-124.

109 Au demeurant, les enjeux liés à cette répartition du travail n’ont été que relativement récemment pris en compte par la sociologie de la famille, avec notamment les travaux d’Andrée Michel. A. Michel (dir.), Femmes, sexisme et société, Paris, PUF, 1977. Voir aussi F. de Singly, Fortune et infortune de la femme mariée. Sociologie de la vie conjugale, Paris, PUF, 1987 (rééd. 1990).

110 Voir pour le xvie siècle l’étude de N. Pellegrin, qui critique une historiographie qui raisonne trop en termes d’exclusion, d’espaces d’activités clos, et qui tend à revaloriser la part des femmes dans le travail nécessaire à la pérennité du foyer. N. Pellegrin, « L’androgyne au xvie siècle : pour une relecture des savoirs », D. Haase Dubosc et E. Viennot (dir.), Femmes et pouvoirs sous l’Ancien Régime, Paris, Éditions Rivages, 1991, p. 11-48 et plus particulièrement p. 23-32. Voir aussi dans le même ouvrage O. Hufton, « Les femmes et le travail dans la France traditionnelle », p. 259-275.

111 Voir E. Shorter, Naissance de la famille moderne, op. cit., p. 82-97. Pour le XIXe siècle : M. Segalen, Mari et femme dans la société paysanne, op. cit., p. 87-121.

112 B5275, 30-03-1734, affaire Deroy-Legaigneux, Sablé.

113 B5313, 6-05-1784, demande en séparation de biens.

114 B5317, 5-09-1787, demande en séparation de biens, Sablé.

115 B5294, 10-07-1759, affaire Lemercier-Renault, Sablé.

116 B5317, 12-02-1787, affaire Landeau, Sablé.

117 B5311, 1782, affaire Brossier-Loizeau, Sablé.

118 B5317, 12-02-1787, affaire Landeau, Sablé.

119 B5307, 26-07-1780, affaire Rechin, demande en séparation de biens, Sablé.

120 B5304, mars 1773, affaire Chedan, Sablé.

121 B5303, 29-05-1773, Ruillé.

122 B5317, 19-10-1787, affaire Pommard, Sablé.

123 B5277, 17-02-1739, affaire Masline-Chauveau, Précigné.

124 B5289, juillet 1751, affaire Lebreton-Thiercelin, Sablé.

125 B5319, 21-09-1789, affaire Fourmont, Solesmes.

126 B5299, 28-08-1768, affaire Blanchouin-Nozière, Solesmes.

127 B5287, 22-07-1748, affaire Lemercier-du Verger, Gastines.

128 B5281, 18-06-1742, affaire Danet-Poirier Gastines.

129 B5286, 3-03-1747, affaire Cosnard-Naveau, Sablé.

130 B5317, 19-10-1787, affaire Pommard, Sablé.

131 B5284, 11-01-1745, affaire Palluet-Chanfailly, Saint-Brice.

132 B5317, 22-04-1787, enquête sur la découverte d’un cadavre, Louailles.

133 B5917, 29-09-1787, affaire Gasté, Sablé.

134 B5313, 6-05-1784, demande en séparation de corps et de biens.

135 Le constat n’est pas isolé : M. Segalen, Mari et femme dans la société paysanne, op. cit., p. 87-148. A. Poitrineau, Ils travaillaient la France, Paris, A. Colin, 1992, p. 119-124. N. Pellegrin, « L’androgyne au xvie siècle », D. Haase Dubosc et E. Viennot (dir.), Femmes et pouvoirs sous l’Ancien Régime, op. cit., p. 11-50.

136 Cf. même constat de F. Pitou, Métiers et boutiques à Laval au xviiie siècle, op. cit., p. 728. A. Farge, La vie fragile…, op. cit., p. 135.

137 B5316, 16-08-1786, affaire Guenier, Précigné.

138 B5395, 15-03-1762, affaire Salmon-Bellisle, Sablé.

139 B5291, 8-07-1754, affaire Piot-Couet, Bouessay.

140 B5293, 13-06-1758, affaire Turquais, Brûlon.

141 B5281, 20-08-1743, affaire Rezé-Guimbert, Vion. Jeanne Rezé, femme de métayer, village des Mandières, paroisse de Vion, agressée par sa voisine, pour une querelle d’enfants, se déclare « alitée, hors d’état de pouvoir travailler aux affaires de la campagne ».

142 B5270, 21-06-1730, affaire Leroyer-Peigné, Précigné.

143 B5285, 30-08-1746, affaire Paullet-Péan, Parcé.

144 B5282, 28-11-1744, affaire Edon-Rezé-Miré. B5286, 20-09-1746, affaire Demergeot-Bachelot, Précigné. B586, 8-09-1747, affaire Rezé-Quantin, Solesmes. B5301, 28-10-1771, affaire Derouet-Fourmot, Auvers.

145 B5282, 14-01-1744, affaire Delaunay-Morin, Sablé.

146 B5295, juillet 1762, affaire Hublin-Noyen, Sablé.

147 B5266, 11-03-1725, affaire Tessier-Duval, Sablé.

148 B5286, 18-10-1747, affaire Gandon, Sablé, et B5286, 31-07-1747, affaire Berruyer-Brillet, Sablé.

149 B5316, 3-10-1786, affaire Launay-Peigné, Sablé.

150 N. Castan, « Le public et le particulier », G. Duby et Ph. Aries (dir.), Histoire de la vie privée, t. 3, Paris, Seuil, 1986, chap. 3, p. 417-419. Voir aussi N. Castan, « Condition féminine dans la France méridionale du xviiie siècle », Association des historiens modernistes des universités, xvie-xviie siècles, actes du colloque de 1984.

151 R. Muchembled, La violence au village (xvie-xviie siècles), Belgique, Brépols, 1986, p. 194. Voir aussi R. Muchembled, Violence et société…, op. cit., p. 435-449.

152 R. Muchembled, « La femme au village dans la région du Nord. xviie-xviiie siècles », Revue du Nord, t. LXIII, n° 250, juillet-septembre 1981, p. 585-588.

153 E. Le Roy Ladurie, Montaillou, Village occitan de 1294 à 1324, Paris, Gallimard-NRF, 1975, p. 288-292.

154 Voir à ce propos les analyses de C. Gauvard, « De grace especial »…, op. cit., p. 299-340 et p. 573-603. Voir aussi D. Haase Dubosc et E. Viennot (dir.), Femmes et pouvoirs sous l’Ancien Régime, op. cit. Les auteurs proposent une vision et originale de la place des femmes dans la société d’Ancien Régime, et défendent l’idée que si les femmes n’ont pas le pouvoir, elles n’en ont pas moins du pouvoir : p. 7.

155 L.-S. Mercier témoigne comment, dans le Paris du xviiie siècle, « elles travaillent de concert avec les hommes et s’en trouvent bien ; car elles manient toujours un peu l’argent. C’est une parfaite égalité de fonctions ; le ménage en va mieux » (L.-S. Mercier, Tableau de Paris, Amsterdam, 1791-1788, 12 vol., cité, dans A. Farge, La vie fragile…, op. cit., p. 33). Divers travaux ont souligné, en la matière, l’importance des femmes. E. Le Roy Ladurie, Histoire de la France urbaine, t. 3, Paris, Seuil, 1983 : l’auteur y évoque un monde artisanal « émancipateur de la femme » (p. 418). Voir aussi A. Farge, La vie fragile…, op. cit., p. 134-137, et F. Pitou, Métiers et boutiques…, op. cit., p. 728-730.

156 B5286, 31-07-1747, affaire Berruyer-Langlois, Sablé, déposition de Marie Langlois, suite à la plainte du sieur Berruyer, marchand, contre les dits Brillet pour une somme due.

157 B5272, 1732, affaire Bigot-Cornu : « La femme vint me prier de lui faire avoir un an de temps et que son mary et elle paieraient le dit Cornu ; non contente d’y être venue seule plusieurs fois, elle y amena son mary. Je ne saurais bien me remettre dans la mémoire ce que dit Bigot parce que sa femme lui imposait à tout moment le silence […]. La Bigot concevait fort de payer Cornu […]. Elle me dit et me fit entendre qu’il n’y avait point de moyen dont ils ne se servissent pour s’empêcher de payer Cornu. » Mais plus tard : « Elle me parla sur un tout autre ton qu’auparavant et me dit qu’elle ne devait rien à Cornu. »

158 B5296, 16-06-1764, affaire Doisneau-Baffour, Tacé.

159 B5280, 17-04-1741, affaire Lelasseux-Chaudemanche, Fontenay.

160 B5278, 3-11-1739, affaire Pertué, Pincé.

161 Lettre du 18 janvier 1710, retrouvée dans les minutes de Maître Riffault, LVII, 21.

162 B5310, lettre écrite le 11 mars 1781 : « J’avés vendu un sau de poudre qui devez mettres payés lundy… ils m’ont demandés la feste-dieu donc je ne peux pas leur refusé ainsi monsieur je vous demande le mesme temps. »

163 B5317, 13-02-1787, séparation de biens, Précigné.

164 B5282, 8-05-1774, affaire Gaudin-Lesage, Malicorne.

165 B5282, 8-05-1774, affaire Gaudin-Lesage, Malicorne.

166 B5277, 21-10-1738, affaire Villeneuve-Deschamps, Sablé.

167 B5274, 28-12-1735, affaire Chevron-Dubois, Précigné.

168 B5295, 7-07-1761, affaire Ligier, Cranne.

169 A. Farge, La vie fragile…, op. cit., p. 58 : « Entre l’homme et la femme existe une sorte d’égalité de fait dans leur relation au monde extérieur ; puisque chacun travaille, circule dans la ville, participe pleinement aux fêtes et à la sociabilité quotidienne. » Voir aussi, sur l’atelier et la part des femmes, p. 134-135.

170 N. Castan in Histoire de la vie privée, G. Duby et Ph. Aries (dir.), Paris, Seuil, 1986, p. 421.

171 Disparition du devoir de cohabitation, au sens étroit du terme (devoir conjugal) comme au sens large (logement commun).

172 J. Moutet, Femmes et changement social, op. cit., p. 93.

173 R.-J. Pothier, Traité du contrat de mariage, Paris, Debure, 1768.

174 M. Pigeau, La procédure civile…, op. cit. Pigeau traite de ce problème à deux endroits : 1er vol., livre II, titre 1, chap. 3, p. 67 ; vol. 2, article : « Séparation entre époux », p. 175 sqq.

175 Ibid., vol. 2, p. 180.

176 Un usage qui semble géographiquement et chronologiquement étendu : E. Le Roy Ladurie, Montaillou…, op. cit., p. 295-299. A. Farge, Vivre dans la rue à Paris au xviiie siècle, Paris, coll. « Archives », Paris, Gallimard-Julliard, 1979, p. 225, 227, 230. A. Lottin (dir.), La désunion du couple sous l’Ancien Régime : l’exemple du Nord, Publication de l’université Lille III, 1975, chap. V : « Les divorcés » (p. 113-136) et chap. VII : « Le couple et sa désagrégation » (p. 149-180). A. Collomp, La maison du père…, op. cit., p. 178-179.

177 A. Fillon, Louis Simon, villageois de l’ancienne France, Rennes, Ouest-France, 1996, p. 271.

178 1730-1739 : 1 cas ; 1740-1749 : 4 cas ; 1750-1759 : 2 cas ; 1769-1769 : 11 cas ; 1770-1779 : 3 cas ; 1780-1789 : 10 cas.

179 Toutes les demandes recueillies émanent d’épouses : le recours à la séparation de biens (et de corps) semble bien être l’arme des femmes. A. Farge fait le même constat pour Paris (Vivre dans la rue…, op. cit., p. 233-235). Voir aussi A. Lottin (dir.), La désunion du couple…, op. cit., p. 114 (à Lille, de 1737 à 1791 : 76,4 % de « demanderesses » ; 12,6 % de demandeurs ; 11 % de demandes communes).

180 M. Pigeau, La procédure civile…, op. cit., vol. 2, p. 180.

181 Ibid., vol. 2, p. 175 : l’auteur précise que « la puissance maritale est établie non pas en faveur du mari seulement mais en faveur de la société conjugale donc des deux époux. Ceux qui ont dit que cette puissance était instituée en faveur du mari, et ils sont nombreux, sont tombés dans une grande erreur ».

182 B5315, 31-01-1785, affaire Pilot-Launay, Précigné. En 1781, Marguerite Pilot a épousé le dit Launay avec contrat de mariage passé devant maître Liberge, notaire royal à Précigné, le 30 mai 1781 selon lequel ses père et mère lui donnèrent en dot la somme de 1 200 livres que le mari a touchée suivant une quittance du 20 octobre 1781, « somme employée par le dit Launay en son commerce, la suppliante espérant être dans le cas de les fructifier, mais loin que le dit Launay l’a bien administré, ainsi que ses propres fonds, il se trouve noyé de dettes ».

183 Un seul domestique : B5301, mai 1770, affaire Hamelin-Cadeau-Daumeray. Un « fermier », encore s’agit-il peut-être d’un marchand fermier, l’enquête de témoins ne précisant que ses activités d’échanges de bestiaux et de céréales : B5317, 12 mai 1787, affaire Besnard-Moreau, Tassé.

184 Le même constat a été effectué sur l’échantillon relevant de l’Officialité de Cambrai étudiée par l’équipe de A. Lottin (La désunion du couple…, op. cit., p. 115).

185 138 témoignages : hommes : 64,4 % ; femmes : 35,6 %.

186 B5294, 6-03-1745, affaire Gouabault-Godinier, Souvigné.

187 B5301, mai 1770, affaire Hamelin-Cadeau, Daumeray.

188 B5287, 13-07-1748, témoignage de Michel Epaillard, filassier, 47 ans, affaire Casseroux-Chaslot, Sablé.

189 B5293, 1-04-1747, affaire Bernou-Dupond, Sablé.

190 B5277, 20-12-1738, affaire Gouabault-Godinier, témoignage de Jean Gandon, tissier, 42 ans, paroisse de Souvigné, voisin de Mathurin Godinier et de son épouse.

191 B5294, 30-07-1760, Hamon-Nail, Brûlon.

192 B5277, 20-12-1738, affaire Godinier-Gouabault, Souvigné.

193 B5299, 16-05-1768, affaire Pioger-Couet, Sablé.

194 B5298, 13-04-1767, affaire Lebras-Gasnier, Brûlon.

195 B5305, 8-04-1775, affaire Lefaucheux, Bouessay, témoignage de Gervais Chopin, tisserand, 36 ans.

196 B5301, mai 1770, affaire Hamelin-Cadeau, Daumeray.

197 B5287, 13-07-1748, Casseroux-Chaslot, Sablé, témoignage de Michel Epaillard, filassier, 47 ans.

198 B5314, 7-06-1785, demande en séparation d’entre Anne Janin et Pierre Racin, couvreur de maison et scieurs de bois long, Sablé.

199 B5314, 30-01-1785, Précigné, séparation de biens de Joseph Launay, marchand et Marguerite Pilot, Sablé.

200 B5317, 5-09-1787, demande de séparation de biens d’entre Jean Daugré (boucher) et Marie Richard. Témoignage de la demoiselle Catherine Lottin, veuve, 42 ans (scène de cabaret), Sablé.

201 B5317, 12-05-1787, demande en séparation de biens de Pierre Moreau fermier et Louise.

202 Successivement : B5318, 7-06-1788, affaire Racin (couvreur)-Janin, Sablé ; B5894, 30-06-1760, affaire Deroy (charpentier)-Tarlare, Sablé ; B5287, 13-07-1748, affaire Chaslot (marbrier)-Casseroux, Sablé.

203 B5288, 17-01-1749, séparation de biens d’entre Perrine Riballier et François Gandon, voiturier, Sablé.

204 B5317, 12-02-1782, affaire Auger (marchand corroyeur)-Duchesne, Sablé, témoignage de Pierre Oger, closier, 30 ans : « Le dit Auger rentre quelquefois ivre et sa femme ne peut plus le souffrir. »

205 B5299, 15-06-1768, affaire Gautry (marchand mercier)-Jouan, Sablé. B5313, 6-05-1784, Martin (marchand huilier)-Pellerin, Sablé. B5317, 12-05-1787, affaire Moreau (fermier)-Besnard, Tacé. B5317, 5-09-1787, Daugré (boucher)-Richard, Sablé. B5318, 7-06-1788, affaire Racin (couvreur)-Janin, Sablé.

206 B5317, 12-05-1787, séparation d’entre Louise Besnard et Pierre Moreau, fermier. B5313, 6-06-1784, séparation d’entre Marie Pellerin et François Martin, marchand huilier, Sablé.

207 Bible : Exode 20,14.

208 B5294, 30-07-1760, séparation d’entre Françoise Hamon et René Nail de la Fosse, Brûlon. B5295, 16-09-1763, séparation d’entre Perrine Pommier et Antoine Landry (marchand), Brûlon. B5301, 10-05-1770, séparation d’entre Jeanne Hamelin et Pierre Cadeau (domestique), Daumeray. B5313, 6-05-1784, séparation d’entre Marie Pellerin et François Martin (marchand huilier), Sablé. B5315, 31-08-1785, séparation d’entre Marthe Plessis et Jean Marçais (tonnelier), Sablé. B5317, 5-09-1787, séparation d’entre Marie Richard et Jean Daugré (boucher), Sablé. B5318, 7-05-1788, séparation d’entre Anne Janin et Pierre Racin, couvreur, Sablé.

209 B5315, 31-08-1785, affaire Plessis-Marçais, Sablé.

210 B5299, 16-05-1768, affaire Pioget-Couet (garde-chasse), Sablé.

211 B5294, 30-09-1760, demande en séparation d’entre Françoise Hamon et René Nail, bourgeois.

212 B5314, 31-08-1785, affaire Plessis-Marçais : « Le dit Marçais lui fait subir les traitements les plus indignes ; qu’il lui a passé la main dans le corps et par là l’a délabré au point de lui avoir crevé les intestins si vrai qu’elle pouvait s’asseoir sans avoir un oreiller sous elle. »

213 B5317, 5-09-1787, demande en séparation d’entre Marie Richard et Jean Daugré, boucher, Sablé.

214 B5299, 16-05-1768, affaire Couet (garde-chasse)-Pioger, Sablé.

215 B5318, 7-06-1788, séparation d’entre Anne Janin et Pierre Racin, Sablé.

216 B5301, 10-06-1770, séparation d’entre Jeanne Hamelin et Pierre Cadeau, domestique, Daumeray.

217 B5294, 30-07-1770, demande en séparation d’entre Françoise Hamon et René Nail, Brûlon.

218 B5294, 30-07-1760, séparation d’entre Françoise Hamon et René Nail de la Fosse, Brûlon.

219 B5313, 6-05-1784, affaire Martin-Pellerin, Sablé.

220 Successivement : B5309, 26-07-1780, affaire Guion-Rechin, Précigné ; B5315, 31-08-1785, affaire Macrain-Plessis, Sablé ; B5313, 6-05-1784, affaire Martin-Pellerin, Sablé.

221 B5313, 6-05-1784, affaire Martin-Pellerin, Sablé. La séparation de bien et de corps est prononcée en faveur de Marie Pellerin, avec le droit de récupérer ses deux enfants et de recevoir ses deniers dotaux.

222 Y. Castan, Mentalités rurale et urbaine à la fin de l’Ancien Régime dans le ressort du parlement de Toulouse d’après les sacs à procès criminels, thèse de 3e cycle, Toulouse, 1961, p. 20 sqq. Sur les positions traditionnelles de l’absence d’affection dans le mariage : E. Shorter, Naissance de la famille moderne, op. cit., p. 72-82.

223 B5291, 6-06-1749, déclaration de grossesse de Gabrielle Theulier.

224 M. Segalen, Sociologie de la famille, Paris, A. Colin, 1987, p. 118. Voir aussi les nuances proposées par J.-L. Flandrin dans Les amours paysannes, xvie-xixe siècles, Paris, Julliard, 1975, p. 98-99.

225 C. Gauvard, « De grace especial »…, op. cit., t. II, p. 604.

226 Ce qui ne signifie pas que ce choix se fasse sans un faisceau serré de contraintes. L’époque contemporaine n’y échappe d’ailleurs pas : voir P. Bourdieu, « Les stratégies matrimoniales dans le système de reproduction », Annales Économies, Sociétés, Civilisations, juillet-octobre 1972, n° spécial 4-5, p. 1125.

227 J.-M. Gouesse, « Parenté, famille et mariage en Normandie aux xviie et xviiie siècles », op. cit., p. 1139 sqq.

228 A. Fillon, Louis Simon, étaminier…, op. cit. Voir aussi A. Fillon, Les trois bagues aux doigts…, op. cit. A. Fillon, « Fréquentation, amour, mariage au xviiie siècle dans les villages du sud du Maine », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest (Anjou, Maine, Touraine), t. 93, n° 1 et 2, 1986.

229 A. Fillon, Les trois bagues aux doigts…, op. cit., p. 71-74.

230 B5288, mars 1749, affaire Buon et B5288, août 1749, Sablé. Sur les sommations respectueuses, voir A. Fillon, Les trois bagues aux doigts…, op. cit., p. 87-103 : « Mais au xviiie siècle, la révérence filiale paraît cohabiter avec la volonté de se marier à son gré » (p. 102).

231 B5270, 22-04-1730, affaire Talud-Besnard, Saint-Brice.

232 B5314, mars-avril 1785, affaire Thébault de Monhaison, Sablé.

233 B5294, 30-07-760, demande en séparation de biens d’entre Françoise Hamon et René Nail, Brûlon.

234 B5301, 5-02-1770, affaire de Gastines-Oger, Sablé. B5304, 6-03-1774, affaire Vincent, Sablé.

235 B5317, 13-02-1787, demande en séparation de biens d’entre Anne Duchesne et Pierre Augé, Précigné.

236 Acte de remploi du 16 septembre 1754, 4ELVII, 105.

237 B5286, 28-11-1747, affaire Chevron-Fourmont, Précigné.

238 Pensons qu’il puisse y avoir là un peu de la peine d’un Louis Simon, l’étaminier de La Fontaine-Saint-Martin, bien malheureux quand vint le jour de la séparation, lui qui « avait tant aimé sa chère épouse » : Mémoires de L. Simon, publiés par A. Fillon, Louis Simon, villageois…, op. cit., p. 81.

239 A. Fillon analyse cette dualité du vocabulaire perçue au travers des minutes notariales et des mémoires de Louis Simon : A. Fillon, Les trois bagues aux doigts…, op. cit., p. 127-130.

240 J.-M. Constant : Nobles et paysans en Beauce…, op. cit. J.-M. Constant, « Amitié, système de relations et politique dans la noblesse française aux xvie et xviiie siècles », Actes du colloque de Rouen, Publication de l’université de Rouen, 12-13 novembre 1987, p. 144-153. Pour une synthèse sur l’importance de l’amitié dans la société d’Ancien Régime voir M. Aymard, « Amitié et convivialité », Ph. Ariès et G. Duby (dir.), Histoire de la vie privée, op. cit., t. 3, p. 455-499.

241 M. E. de Montaigne, Essais, livre I, chap. XXVII : « De l’amitié ».

242 Dictionnaire universel français et latin, vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux, édition de 1771.

243 L’expression est aussi utilisée dans les testaments olographes.

244 B5417, registre de déclaration des filles grosses.

245 B5310, 7-06-1788, demande en séparation de biens et de corps d’entre Anne Janin et Pierre Racin, Sablé.

246 B5314, 18-12-1784, affaire Thébault de Monhaisson (lettre envoyée à sa sœur).

247 B5296, la lettre est datée du 18 mai 1764, Baussan du Bignon est notaire à La Suze.

248 B5283, 14-01-1744, affaire Lebel-Morin, Sablé. Le mot est accolé à « coureuze ».

249 Dictionnaire universel français et latin, dit de Trévoux, édition de 1771 : article « Tendresse ».

250 B5294, 30-06-1760, demande en séparation de biens de Françoise Hamon et le sieur René Nail, Brûlon.

251 B5301, 30-05-1770, demande en séparation de biens d’entre Jeanne Hamelin et Pierre Cadeau, domestique, paroisse de Daumeray. Témoignage de Marie Roger, femme de Maréchal, 43 ans, « embrassez donc votre femme, vous ne l’avez pas vue depuis longtemps » […] « je le veux bien, si elle le veut ».

252 B5317, 5-09-1787, demande en séparation de biens de Marie Richard et Jean Daugré, boucher, Sablé.

253 4ELVI, 10, 14-02-1759 : lettre d’un homme retenu à la prison du Fort Lévesque de Paris à sa femme, cabaretière à Sablé. 4ELVII, 18, 18-01-1710, lettre d’un marchand boulanger à sa femme. B5296, 15-05-1764, lettre du notaire Baussan du Bignon, à un ami, praticien à Sablé, à l’occasion de son mariage. B5313, 18-12-1784, lettre d’un négociant à sa sœur chez qui est hébergée son épouse. Sur l’usage des correspondances pour l’histoire du sentiment, voir l’essai de M. Daumas, La tendresse amoureuse, Paris, Librairie académique Perrin, coll. « Pluriel », 1996.

254 Lettre de Pierre Haran, au Fort-Lévesque à Paris et à la suite enrôlé dans la troupe : 4ELVI, 10, 14-02-1759. La lettre envoyée par Guillaume Gillet à sa femme, marchande boulangère à Sablé, dans des circonstances comparables (décès d’un oncle et envoi d’une procuration) présente de nombreuses similitudes. Registre affectueux (« ma chère épouse »), registre de la sollicitude et du sentiment familial : « Je suis, ma chère épouse, votre très affectionné mary », « Dieu merci, notre fille se porte un peu mieux », registre de l’agrément et de la confiance : « Vous me demandez mes pouvoirs afin d’assister à la vente de meubles. Je vous donne non seulement ce pouvoir mais aussi celui de faire le partage sur telle transaction ou accommodement que vous jugerez à propos promettant avoir agréable tout ce que vous ferez » (Maître Riffault, 18-10-1710, 4 ELVII, 17).

255 Quatre occurrences du mot bonheur en 30 lignes.

256 Une enquête sociologique réalisée au début des années 1980 a pu montrer combien, dans notre société contemporaine, dans cette quête du bonheur, le bien-être conjugal et familial restait une composante dominante. J. Stroetzel, Les valeurs du temps présent : une enquête européenne, Paris, PUF, 1981, p. 176.

257 De la même façon, les testaments déjà évoqués soulignent, comme autant de comportements caractéristiques, les attentions, au demeurant réciproques, qui ont toujours régné entre les époux (« bons soins », « concorde »).

258 A. Fillon, Louis Simon, villageois…, op. cit., voir notamment l’étude consacrée à la vie des ménages p. 203-204. Les citations évoquées sont extraites des Mémoires de Louis Simon, publiés en 1re partie de l’ouvrage mentionné ci-dessus, respectivement p. 76, 78 et 81.

259 B5313, 6-05-1784, demande en séparation de biens d’entre Marie Pellerin et François Martin, Sablé.

260 A. Fillon, Les trois bagues aux doigts…, op. cit., p. 389-455.

© Presses universitaires de Rennes, 2005

Licence OpenEdition Books

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search