Origines, formation et carrière avant 1799

1Louis-Marie-Antoine Milet naquit à Toulon le 26 juin 1751, d’un père ingénieur ordinaire du roi, capitaine réformé dans le régiment d’Auvergne, qui établit notamment une carte du comté de Nice. Il entra en 1766 à l’École de Mézières, dont il sortit en 1769 comme lieutenant en second dans le corps du génie. Il obtint le grade de lieutenant en premier deux ans plus tard, puis celui de capitaine le 9 avril 1779.

2Sa carrière jusqu’à la Révolution apparaît relativement obscure, mais il semble qu’il eut la charge de plusieurs places fortes, notamment dans le sud du royaume, comme à Bonifacio en 1786. Le 7 avril 1789, alors qu’il devait prochainement retourner servir en Corse, il fut élu suppléant à la députation de l’ordre de la noblesse dans la sénéchaussée de Toulon. C’est pourquoi il demanda et obtint un congé pour rester à Toulon pendant la durée des États généraux. À la suite de la défaillance du titulaire, Laporpre Vertueux, il devint en 1790 membre de l’Assemblée constituante.

3Le 14 janvier 1791, il fut fait chevalier de Saint-Louis, début d’une longue série d’honneurs et de récompenses qu’il saura obtenir en dépit des incessants changements de régime.

4Il commença sa carrière active le 9 mai 1792, lorsqu’il fut désigné pour l’armée du Var, comme capitaine-adjudant dans le génie. Il fut bientôt attaché au général d’Anselme, commandant en chef de l’armée d’Italie, qui fit en septembre et en octobre la conquête du comté de Nice. Il participa notamment aux reprises de Sospello, de Luceran° et de Berra. Si l’on en croit Milet-Mureau, celui-ci joua un grand rôle dans cette campagne, puisqu’il aurait commandé à la fois l’artillerie et le génie.

5Les commissaires de la Convention dans le Midi le nommèrent le 20 novembre adjudant général, avec le grade de lieutenant-colonel. Il fut confirmé dans ce grade et dans le brevet d’adjudant général le 8 mars 1793 par le Conseil exécutif provisoire.

6Lorsque d’Anselme fut suspendu de son commandement et rappelé à Paris, Milet-Mureau rentra dans la capitale en janvier 1793. Étant sujet depuis longtemps à la goutte, il sollicita un travail de cabinet, car son état de santé s’était aggravé à la suite de la campagne qu’il avait menée. Ayant brigué en vain une place au Comité des fortifications « où ses services peuvent être utiles par la connoissance qu’il a de toutes les places des provinces méridionales », il obtint satisfaction lorsque le ministère de la Marine lui confia la rédaction du voyage de La Pérouse que Fleurieu n’avait pu mener à bien. Grâce à plusieurs congés successifs obtenus auprès du ministère de la Guerre, il veilla, jusqu’au 1^er novembre 1794, à la rédaction des textes et au contrôle du travail des artistes affectés à la publication. Celle-ci, exécutée en lien avec l’Académie des sciences et des personnalités aussi éminentes que Buache ou La Marck, était toutefois loin d’être achevée à cette date, puisqu’elle continua à occuper une partie de l’activité de Milet-Mureau jusqu’à la fin de l’année 17976.

7À la suite de nombreuses démarches, il obtint le droit d’être reclassé dans le corps du génie en qualité de chef de bataillon à compter du 22 septembre 1794 et, le mois suivant, il fut nommé adjoint au département des fortifications à Paris. Devenu un grand spécialiste des réclamations et des demandes de faveur, il sollicita la première direction qui serait vacante, et obtint en juillet 1795 celle des fortifications d’Antibes, accompagnée du grade de chef de brigade.

8Son avancement dans les années qui suivirent fut aussi brusque que continuel, sans que l’on sache s’il faut attribuer ce phénomène à la pénurie d’officiers supérieurs, mobilisés dans les armées en campagne, ou aux utiles relations politiques que Milet-Mureau avait pu nouer, en particulier lorsqu’il fut membre de l’Assemblée constituante. Dès le 7 janvier 1796, il fut nommé général de brigade et, peu après, chef de la 3^e division (artillerie et génie) du département de la Guerre. Il y commit quelques impairs, en particulier à l’égard de Bonaparte, devenu commandant en chef de l’armée d’Italie le 2 mars. Alors que celui-ci avait demandé à l’administration centrale de lui affecter comme aide de camp le chef de bataillon d’artillerie Muiron, Milet-Mureau refusa abruptement par une courte lettre du 31 mars 1796, énonçant que celui-ci avait une comptabilité à mettre en ordre. Milet-Mureau semblait même juger superflue la nécessité d’envoyer à Bonaparte un chef de bataillon d’artillerie.

9Furieux, Bonaparte écrivit à Carnot dans une lettre du 16 avril :

« Le citoyen Milet-Mureau a mis une mauvaise volonté dont je porte spécialement plainte… Je vous envoie la lettre originale que m’a écrite Milet-Mureau ; vous verrez s’il y a quelque chose de plus bête ou de plus malintentionné. De quel droit le citoyen Milet-Mureau donne-t-il contre-ordre à un chef de bataillon, lorsque vous aviez ordonné qu’il vînt ici ? »

10Cela ne lui nuisit pas dans l’immédiat, puisque Milet-Mureau, certainement bien en cour, fut attaché le 14 novembre 1798 au bureau militaire du Directoire exécutif, et qu’il devint même, le 21 février 1799, ministre de la Guerre, succédant à Schérer7.

Action au ministère de la Guerre (1799)

11Milet-Mureau n’apporta pas de bouleversement dans le fonctionnement de son ministère, le rôle et l’autonomie du ministre restant plutôt limités à l’égard du Directoire. Voilà ce qu’il en écrivit dans son rapport de fin d’activité :

« Les opérations militaires appartenant exclusivement au Directoire exécutif, qui les règle et les ordonne pour le plus grand intérêt de la République, le ministre de la Guerre ne doit en parler ni en termes généraux, ni faire connaître son opinion particulière.
Les ordres importans [sic] qu’il donne aux généraux en chef sont toujours au nom du Directoire, qui en approuve et signe d’avance la rédaction. »

12Milet-Mureau s’attacha donc à optimiser les moyens mis à disposition des armées en se concentrant essentiellement sur les aspects logistiques. Il fut toutefois à l’origine du passage sur le Rhin de nombreuses troupes en provenance de Hollande ou du nord et de l’est de la France, et du renforcement de l’armée du Danube. Il proposa aussi à plusieurs reprises de réunir les armées d’Italie et de puiser davantage dans les troupes de l’intérieur, mais sans obtenir satisfaction auprès du Directoire, car celui-ci, écrivit-il, « quoique animé des mêmes principes, était arrêté par des considérations politiques, et craignait d’abandonner l’intérieur aux différens [sic] partis qui l’agitaient ».

13Ce n’était donc pas spécialement son rôle de s’adresser aux armées, mais il tint tout de même en messidor à diffuser massivement un imprimé destiné aux troupes, dans lequel il exaltait les succès passés et leur demandait avec confiance de suivre ces traces glorieuses, avec les renforts nombreux déjà en mouvement, obtenus grâce à la mise en application de la loi du 28 germinal an VII qui prévoyait une levée complémentaire de 30 0000 conscrits. Milet prit aussi de multiples mesures pour arrêter les désertions de conscrits et de réquisitionnaires au sein de l’armée d’Italie. De manière générale, il lutta contre le nombre excessif de demandes en exemption de service en faveur de militaires et de réquisitionnaires rappelés aux armées par la loi du 23 fructidor an VI et délivra très peu de congés de réforme et de dispenses absolues de service.

14Il semble qu’une bonne partie de son activité porta sur l’amélioration du service des subsistances militaires, les compagnies qui en étaient chargées ne donnant pas satisfaction. Il le réorganisa par l’instruction du 19 prairial, et prit aussi des mesures pour faire la chasse aux agents et préposés responsables de fournitures de mauvaise qualité. Il donna également un canevas précis aux approvisionnements des places de guerre avec la circulaire du 29 floréal adressée aux généraux, commissaires de guerre et commandants de places. Il estimait que c’était une de ses principales réussites. Il arrêta aussi un règlement pour restreindre le droit de réquisition de voitures auxiliaires qui exaspérait les populations. Il lutta également contre les abus qui régnaient dans le service des remontes, en désignant des officiers généraux pour inspecter et surveiller les différents dépôts, dont Kellermann.

15En ce qui concerne le service de l’artillerie, il poursuivit l’effort de meilleure connaissance des besoins des arsenaux et des armées et intensifia les commandes d’approvisionnement en fer et en munitions de guerre. Il dut toutefois reconnaître, lorsqu’il établit son bilan, que les stocks étaient inexistants, les magasins épuisés et que beaucoup de matériel de mauvaise qualité avait été produit, en raison de l’intensité de la demande et faute d’ouvriers d’expérience.

16Dans le domaine du génie, qu’il connaissait tout particulièrement, il engagea surtout un travail général de renouvellement du corps. La faiblesse des moyens budgétaires le contraignit à se concentrer sur l’entretien des bâtiments, mais, plus particulièrement soucieux de l’état des places situées sur toutes les frontières, il obtint que des travaux de plus grande envergure leur soient consacrés. Fidèle à son corps d’origine, il s’attacha aussi à rappeler l’autorité en matière de travaux militaires du service du génie sur les commissaires de guerre. Pour ces derniers, il travailla à une nouvelle organisation du corps, déjà commencée par son prédécesseur.

17Concernant le système financier du ministère et des armées, il critiqua l’arrêté du Directoire du 9 brumaire an VI qui chargeait le ministre d’ordonnancer à l’avance, afin de répondre aux demandes des trésoriers qui se plaignaient régulièrement de ne pas avoir assez de fonds pour payer les soldes. Il jugeait en effet cette mesure trop théorique puisqu’il était impossible en temps de guerre de déterminer les effectifs deux mois à l’avance. Il aurait souhaité revenir à l’état antérieur, de façon à ce que la solde soit payée partout où se trouvait la troupe, mais ne parvint pas à l’obtenir.

18Mécontent à son arrivée de la qualité du service de l’habillement, il chercha à stimuler le zèle des fournisseurs et à renforcer les mesures de sévérité envers ceux qui se montraient trop négligents. Cela ne se fit visiblement pas sans peine, car Milet avouait à la fin de son ministère que l’amélioration de la qualité de service des différentes compagnies chargées de la fourniture de l’habillement et de l’équipement des troupes avait constitué l’un de ses soucis majeurs.

19En revanche, il ne s’occupa pas trop de la gendarmerie, sans doute parce qu’il estimait que « ce corps [était] animé du meilleur esprit », tout en déplorant la répartition trop lâche des brigades sur plusieurs points du territoire et l’état affligeant des casernes.

20Milet-Mureau quitta ses fonctions de ministre le 2 juillet 1799, mais obtint, avec le grade de général de division, le droit de siéger au Comité du génie comme inspecteur général des fortifications à partir du 1^er août 1799.

21Il dressa peu après un compte rendu de l’administration du département pendant ses cinq mois de ministère, qu’il présenta aux consuls de la République le 18 novembre 1799, dix jours après le 18 brumaire. Ce document devait comprendre l’état dans lequel il avait trouvé son administration, les changements opérés et leurs motifs, et enfin les défauts et les perfectionnements envisageables. Il produisit cet écrit parce qu’on demandait aux ministres de justifier leurs comptes, tout en estimant que ce n’était pas le point décisif, et qu’il fallait surtout s’assurer de la bonne marche de l’administration. Il écrivit ainsi : « Le vrai compte du ministre de la Guerre, celui d’un bon administrateur, est le compte moral de ses opérations. »

22À dire vrai, il ne sembla pas que celui-ci ait apporté de grandes modifications au ministère de la Guerre. Ainsi, en déclinant son rapport suivant l’organisation de son administration, les attributions des divisions et bureaux qui la composaient, il déclara ne pas l’approuver mais il la laissa pourtant telle qu’il l’avait trouvée. Il se justifiait en arguant que la guerre avait ajourné son projet d’organisation en cinq divisions et qu’il n’avait pas eu le temps de l’appliquer avant son départ. Il conserva donc le système réparti en huit divisions.

Carrière postérieure, fortune et vie privée

23Après son départ du ministère, Milet-Mureau n’en avait pas pour autant totalement fini avec le département de la Guerre, puisqu’il occupa encore les fonctions de ministre par intérim du 14 au 23 septembre 1799, entre Bernadotte et Dubois-Crancé. Mais, comme il le précisa à la fin de son bilan imprimé, il n’a pas « cru devoir pendant cet intervalle, dans la crainte d’embrouiller la comptabilité, signer aucune ordonnance, ni faire aucun acte ministériel susceptible d’un compte particulier ». Le 6 août 1799, il fut nommé à l’emploi d’ingénieur général des fortifications, pour en remplir les fonctions à la première place vacante.

24L’hostilité de Bonaparte le rattrapa lorsque le Consulat succéda au Directoire. Dès le 12 janvier 1800, un décret du Premier consul énonça non sans ironie :

« Le général de division Milet-Mureau n’ayant pas été employé ni comme général de division ni comme général de brigade aux armées actives, il reprendra le grade d’adjudant général et sera employé en cette qualité dans une armée active. Il sera fait général de brigade à la première bataille où il se trouvera. »

25Humilié, Milet-Mureau demanda quelques mois plus tard à pouvoir opter pour le traitement de réforme de général de division, ce qu’il obtint. Sa carrière militaire était presque définitivement terminée, d’autant qu’il n’avait pas obtenu de pouvoir commander le génie de l’armée de l’Ouest, malgré la demande que Bernadotte, commandant en chef de cette armée, avait faite en ce sens le 24 juin 18008. Il semblerait aussi que celui-ci ait demandé à participer à l’expédition de Saint-Domingue, mais sans succès.

26Milet-Mureau parvint tout de même à rebondir lorsque le Premier consul le nomma préfet de la Corrèze le 28 avril 1802. Installé le 18 juillet, il tint cette charge pendant huit ans, sa carrière préfectorale s’achevant le 12 février 18109. Sans qu’il ait démontré dans cette fonction de talent particulier, il fut apparemment très apprécié des Corréziens. Il obtint aussi une solde de retraite militaire le 20 septembre 1809, après avoir demandé en vain à être employé en demi-activité dans le grade de général de division. Il traversa cette période sans trop d’encombres, puisqu’il fut fait chevalier de l’Empire le 2 juillet 1808 et baron le 18 juin 1809. Cela ne l’empêcha pas de se recommander auprès de la famille royale dès les premiers jours de la Restauration, en insistant sur l’hostilité affichée de l’empereur déchu à son égard. Les titres ne tardèrent pas à pleuvoir, puisqu’il fut nommé directeur par intérim du Dépôt de la guerre le 26 avril 1814, puis inspecteur général du génie le 1^er mai. Il fut aussi désigné membre du Comité des fortifications le 5 mai, en qualité d’inspecteur des fortifications.

27Le 11 mai, il se fit envoyer en Corse en tant que commissaire extraordinaire du roi dans la 23^e division militaire, avec la mission de s’assurer de l’absence de révolte dans l’île à la suite du changement de régime. Il y fut aussi chargé de l’inspection des fortifications corses.

28Il réussit également la performance d’être nommé commandeur de la Légion d’honneur le 10 septembre10, tout en devenant commandeur de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis trois mois plus tard.

29Milet-Mureau fut définitivement admis à la retraite le 14 mars 1815, avec une solde de 6 000 francs11. Il mourut le 5 mai 1825, son acte de décès étant établi au nom de Louis-Marie-Antoine Destouff, baron Milet de Mureau, lieutenant-général des armées du roi, inspecteur général du corps royal du génie. Sa fortune était alors estimée à 30 0000 francs. Aujourd’hui, ce ministre est presque oublié, mais son nom est passé à la postérité grâce à La Pérouse, dont il a raconté le tour du monde dans le « Milet-Mureau ».