Version classiqueVersion mobile

Les ministres de la Guerre, 1792-1870

 | 
Édouard Ebel

Première partie. Les ministres de la Guerre de la Première République 1792-1799

Barthélemy-Louis-Joseph Schérer

Ministre de la Guerre, 23 juillet 1797-22 janvier 1799

Vincent Haegele

Texte intégral

Origines, formation et carrière avant 1797

  • 1 Acte de baptême, archives municipales de la ville de Delle.
  • 2 Charles Mullié, Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, (...)

1Né à Delle, petite localité située près de Porrentruy (Jura), le fils du chirurgien Nicolas Schérer, conseiller de la ville et de Catherine Lanos, fut baptisé le 18 décembre 17471. De caractère aventureux, maîtrisant parfaitement la langue allemande, il quitta très jeune la France pour s’engager dans les cadets de l’armée autrichienne, où il fut titulaire du grade d’enseigne dans les années 1760. Il démissionna en 1775 afin de retourner dans sa patrie d’origine. Certains biographes, comme Charles Mullié2, prétendent qu’il aurait déserté, mais cet élément paraît peu probable en regard de ses états de service : il avait rompu son engagement en ayant la certitude de voir sa qualité d’officier reconnue dans l’armée royale. En 1780, il fut admis capitaine au régiment d’artillerie provincial de Strasbourg mais, tenté par l’aventure et goûtant peu la vie de garnison, il intégra en 1785, avec le grade de major, la première brigade de la légion de Maillebois, chargée de soutenir les patriotes contre le pouvoir du stathouder. Schérer se trouvait encore en Hollande lorsque la Révolution française éclata.

  • 3 Épaves des archives Schérer, registre de correspondance du général, AN, 213 AP 1.

2Il avait entre-temps considérablement progressé et obtenu le grade de lieutenant-colonel de l’armée hollandaise : ses états de service le plaçaient dans une catégorie bien particulière, celle des soldats de métier proches du mercenariat, carrière que Schérer aurait poursuivie si la Révolution n’était pas survenue. Démissionnaire de sa brigade en 1790, il rentra en France et se mit en disponibilité. En 1792, la déclaration de la guerre faite au « roi de Bohême et de Hongrie » lui permit de se distinguer et de réintégrer l’armée. Schérer participa à la bataille de Valmy avec le 82e régiment d’infanterie dont il était capitaine. Remarqué pour son courage et ses capacités, il devint l’aide de camp du général de Prez-Crassier, à l’armée du Centre, puis celui du général de Beauharnais, à l’armée du Rhin, qu’il rejoignit en juillet 1793. La valse des généraux, qui prenait de l’ampleur à mesure que les armées françaises accumulaient les déconvenues en Allemagne et dans le Nord, lui offrit l’opportunité de devenir général de brigade en septembre 1793. Quelques mois plus tard, il était placé à la tête d’une division à l’armée du Nord et remportait son premier succès à Mont-Palisel, le 1er juillet 1794. Il obtint ensuite la capitulation de Landrecies, assiégea Valenciennes avec succès et participa à l’engagement victorieux d’Aldenhoven, où il opéra en coordination avec Jourdan. À la fin de l’année 1794, il fut appelé à remplacer brièvement le général Dumerbion à la tête de l’armée des Alpes, avant de prendre le commandement des 12 000 soldats de l’armée des Pyrénées, chargés de repousser les Espagnols qui menaçaient de traverser les Pyrénées-Orientales. Ce fut une campagne dure, qui se solda par une victoire décisive, remportée par Schérer à la Fluvia, le 14 juin 1795. Cette bataille précipita les pourparlers de Bâle entre la Convention et les Espagnols, et Schérer y participa lui-même en hâtant l’échange des prisonniers3. Cette première négociation achevée, le général fut envoyé reprendre le commandement de l’armée des Alpes, entrée en Italie, qu’il rejoignit le 31 août.

3L’armée d’Italie piétinait depuis plusieurs mois en Ligurie. Face à une puissante armée austro-sarde, les Français cherchèrent à dégager Gênes, afin de reconquérir les têtes de pont nécessaires à la possession définitive du Piémont. Le 23 novembre, Schérer prit les devants et remporta un succès inespéré lors d’un engagement meurtrier à Loano. Il fit 6 000 prisonniers et enleva une centaine de pièces d’artillerie. Félicité de toute part, il refusa cependant d’exploiter ce succès, compte tenu de l’état de délabrement de ses troupes et de sa santé vacillante. Le nouveau Directoire décida alors de le remplacer par le jeune général en chef de l’armée de l’intérieur, Bonaparte. Cette succession ne se fit pas sans mal, d’autant que Bonaparte était précédé d’une réputation d’ambitieux insatiable : il fallut tous les talents de diplomate du général Clarke, directeur du cabinet topographique du ministère de la Guerre, pour que les deux hommes ne se croisassent pas dans le camp. Après quelques mois de repos, Schérer fut nommé inspecteur de la cavalerie, avant d’être appelé le 5 thermidor an V (23 juillet 1797) par le directeur Carnot au ministère de la Guerre.

Action au ministère de la Guerre (1797-1799)

4Schérer connut une longévité assez exceptionnelle – un peu moins de deux années – à la tête d’un ministère très exposé durant la période agitée du Directoire. Épargné par le coup d’État de prairial qui vit l’exil de son protecteur, le directeur Carnot, Schérer fit preuve en toute circonstance de loyauté envers le régime. Sa personnalité très peu politisée, ainsi que la place occupée par les ministres dans le système directorial, explique également cette longévité : le ministre de la Guerre n’étant plus qu’un haut fonctionnaire, chargé de la gestion des moyens attribués par l’exécutif.

5Ne se bornant pas aux décisions les plus symboliques prises durant son exercice, parmi lesquelles figure l’instauration définitive du drapeau tricolore, Schérer a laissé un bilan extrêmement détaillé de son action. Sa gestion fit néanmoins l’objet d’un arrêté du Conseil des Cinq-Cents qui souhaitait obtenir des renseignements sur l’exagération des états de présence des six premiers mois de l’an VII (1799) et sur les causes du dénuement du personnel et du matériel lors de la reprise des hostilités avec l’Autriche. Schérer se défendit de ces accusations de façon très classique, en pourfendant la gestion de son prédécesseur.

6Le général avait confié aux soins de son frère, plus tard remplacé par le citoyen Dergaix, le secrétariat général, qui se composait de cinq bureaux particuliers : le bureau secret, le bureau des mutations, le bureau des dépêches, le bureau des lois et les archives. Le ministre contrôlait directement deux bureaux particuliers (les vérifications et le mouvement des troupes) ainsi que les huit divisions ordinaires (subsistances, contrôle des troupes, personnel militaire, vétérans et pensions, solde et prisonniers de guerre, habillement, équipement et gendarmerie). L’organisation du ministère ne fut pas remise en cause au cours de ces deux années. On remarque cependant l’apparent déséquilibre entre les divisions et leur cloisonnement important ; la diffusion des informations depuis le secrétariat général se révéla ainsi parfois problématique.

  • 4 Jean-Baptiste Bernadotte, Compte rendu par le général Bernadotte, ex-ministre de la Guerre, de l’ad (...)

7L’action du ministre se concentra principalement sur deux objets : le personnel et le matériel. On ne le vit pas intervenir en matière de stratégie militaire. Au cours de son exercice, la montée en puissance des chefs d’armée, dont l’exemple le plus flagrant fut celui du général Bonaparte, devint un fait incontournable, motivé notamment par l’impuissance du pouvoir politique à assurer le paiement régulier des soldes. Schérer fut de ce fait cantonné à quelques missions principales : le recrutement, l’acheminement des renforts et la bonne exécution des décrets. Pour le recrutement, c’est à lui que revint la charge de mettre en application la loi du 19 fructidor an VI (5 septembre 1798) rendant obligatoire la conscription ; les levées en masse et le volontariat ne suffisant plus à assurer le recrutement des troupes. Il lui fallut de surcroît lutter contre le phénomène de la désertion, en hausse globale depuis deux ans. L’arrêté ministériel du 3 fructidor (20 août 1798), qui renforçait les règles de la conscription, lui permit d’appeler sous les drapeaux plus de 25 000 hommes. Schérer se prévalut alors d’effectifs portés à 437 000 hommes, chiffre exagéré selon les députés. Dans les faits, l’armée ne comptait qu’environ 387 000 hommes. Bernadotte, devenu ministre quelques mois plus tard, évalua les effectifs des présents sous les armes à quelque 159 000 soldats4. Il apparut alors que Schérer avait délibérément menti.

  • 5 Arrêté du 22 messidor an IV.

8Dans un même temps, le ministre mena une politique qui visait à ramener sur le terrain tous les réquisitionnaires et les déserteurs repentis. De surcroît, tous les délits furent amnistiés par un décret ministériel du 4 fructidor an V (21 août 1797). Le ministre donna des ordres précis pour restaurer l’ordre dans les camps, notamment en étendant les pouvoirs des inspecteurs Chaumont et Tilly, envoyés à l’armée de Sambre-et-Meuse, en proie aux plus graves difficultés internes. Schérer tint enfin à restaurer la sécurité intérieure, et créa 200 brigades de gendarmerie5. Ce chiffre élevé fut finalement ramené à 153, faute de moyens. Dans un même temps, le sort des prisonniers français à l’étranger fut évoqué lors de négociations avec la Grande-Bretagne, faisant espérer le retour de 8 000 hommes sur le front allemand.

9Mais c’est la question des subsistances et des moyens matériels qui mobilisa en permanence les services ministériels : Schérer expérimenta lui-même ces obstacles au cours de ses propres campagnes. La désertion s’expliquait tout autant par le problème des soldes que par celui du comportement de commandants indélicats. Le ministre réclama en vain aux états-majors des comptes tous les dix jours et tenta d’instaurer, pour plus de clarté, des conseils d’administration dans chaque corps. Dans les faits, les revues s’effectuèrent lentement et il fallut recourir aux économies les plus désespérées, comme le licenciement du personnel des remontes. Devant aussi combattre la fraude générale des fournisseurs, Schérer les astreignit à compter les denrées remises par le gouvernement dans leurs magasins, en déduction du prix de leurs propres fournitures et en fonction des taux des mercuriales de chaque arrondissement. Ces mêmes fournisseurs furent contraints de rendre compte des contributions avariées payées en nature. Les marchés passés avec les compagnies Godard et Fourrey furent dénoncés, et le ministre conclut de nouveaux accords avec les entreprises Ouin et Charpentier, profitant au passage de la concurrence féroce que se livraient les compagnies, ainsi que de la dévaluation permanente des crédits. Enfin, en dernière mesure d’économie, tous les parcs d’artillerie furent réunis à Sampigny.

10L’armée d’Italie, bien plus indépendante, fit l’objet d’un traitement particulier, mais le ministère apprécia le fait de n’avoir que peu de comptes à lui rendre et à lui réclamer, ce qui lui permit de garantir le dégagement d’un excédent de 80 millions – en valeurs et non en numéraire – des crédits spéciaux accordés par le Corps législatif. Cette affirmation, relayée par le successeur direct de Schérer, Milet de Mureau, qui tira un bilan plutôt positif de l’action de son prédécesseur, fut largement démentie par les faits (travaux des arsenaux suspendus faute de bois, armements des forteresses insuffisants) et par les assemblées. Schérer donna sa démission le 22 janvier 1799, usé par près de deux années de luttes et par les défaites accumulées en Italie depuis la reprise de la guerre avec l’Autriche. Le bilan sur le terrain était des plus désastreux : les Français étaient sur le point de perdre l’Italie et étaient menacés en Allemagne, alors que le désastre d’Aboukir avait coupé de ses bases l’armée d’Égypte de Bonaparte.

Carrière postérieure, fortune et vie privée

11Schérer, rappelé aussitôt sur le front italien, accumula les déconvenues, tandis que sa gestion au ministère faisait l’objet de sérieuses critiques. Il fut la cible du député Chabert, qui l’avait déjà attaqué le 7 août 1798 sur le trafic des congés et les passations de marchés. La chute de Vérone, puis celles de Crémone et de Brescia le conduisirent à démissionner de son commandement en 1799. De retour à Paris, les accusations se multiplièrent et il ne dut son salut qu’au coup d’État de brumaire, qui provoqua l’annulation des poursuites à son encontre. Il ne fut cependant ni réintégré dans l’armée, ni appelé à siéger dans un Corps législatif. Diminué par les excès et d’une santé précaire, Schérer mourut le 19 août 1804.

12Il avait épousé le 3 mai 1794, lors de son passage à l’armée du Rhin, Marie-Françoise-Henriette Müller. Le couple n’eut pas de descendance.

13Outre son traitement de général et de ministre, Schérer s’était certainement enrichi en touchant diverses commissions lors des passations de marchés avec les fournisseurs. Il avait acquis une propriété dans l’Aisne, à Chauny.

Bibliographie

Sources et bibliographie

Sources manuscrites

Service historique de la Défense

Révolution (série B)

SHD/GR, B12 12 : registres de correspondance du gouvernement ; B13 65-94 : correspondance générale.

Archives administratives (série X)

SHD/GR, XS 5-6, 107, 111, 116, 122, 128, 248 : organisation générale de l’armée et de l’administration centrale.

Archives collectives et individuelles (série Y) SHD/GR, 7 Yd 170 : dossier de Schérer.

Archives nationales

Archives personnelles et familiales (série AP)

213 AP 1 : épaves des papiers Schérer.

Versements des ministères et des administrations qui en dépendent (série F)

F9 53 : affaires militaires, personnel ; F9 63 : affaires militaires, subsistances.

Sources imprimées

Schérer Barthélemy-Louis-Joseph, Règlement pour les subsistances militaires, Paris, Imprimerie nationale, an VI, 9 p.

Schérer Barthélemy-Louis-Joseph, Précis des questions militaires de l’armée d’Italie, depuis le 21 ventôse jusqu’au 7 floréal an VII, Paris, Imprimerie nationale, an VII, 66 p.

Veritas, Le voile déchiré, ou La défense de l’ex-général Schérer, par un conscrit de l’armée d’Italie, sur les inculpations faites contre lui au Corps législatif, Paris, de Mugnier, 1799, 8 p.

Bibliographie

Godechot Jacques, Les institutions de la France sous la Révolution et l’Empire, Paris, PUF, 1951, 688 p.

Kawa Catherine, « Voies nouvelles pour une étude de la bureaucratie révolutionnaire », Annales historiques de la Révolution française, n° 271, 1988, p. 60-75.

Lefebvre Georges, La France sous le Directoire (1795-1799), Paris, Messidor, Bibliothèque du bicentenaire de la Révolution française, 1984, 965 p.

Notes

1 Acte de baptême, archives municipales de la ville de Delle.

2 Charles Mullié, Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, Paris, Poignavant, 1851, 2 vol.

3 Épaves des archives Schérer, registre de correspondance du général, AN, 213 AP 1.

4 Jean-Baptiste Bernadotte, Compte rendu par le général Bernadotte, ex-ministre de la Guerre, de l’administration de ce département, du 15 messidor an VII jusqu’au 29 fructidor suivant, Paris, Imprimerie nationale, an VIII (1800), 114 p.

5 Arrêté du 22 messidor an IV.

Auteur

Archiviste paléographe, conservateur des bibliothèques et directeur des bibliothèques de Versailles. Responsable d’une nouvelle édition de la correspondance de Napoléon et Joseph Bonaparte, il est également l’auteur de Napoléon et Joseph Bonaparte, le pouvoir et l’ambition (Tallandier, 2010), et de Murat, la solitude du cavalier (Perrin, 2015).

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search