Conclusion
p. 229-231
Texte intégral
1Au terme d’un tour d’horizon nécessairement trop bref et lacunaire et d’une plongée dans la longue durée de l’histoire des espaces et des populations des mondes britanniques depuis les temps médiévaux, on perçoit de manière impressionniste plus qu’on ne saisit dans son entièreté l’ampleur et la bigarrure d’un ensemble dont le trait commun a peut-être été, finalement, l’appartenance à une communauté, réelle et imaginaire, une koinè lentement et fortuitement construite de références, de normes, de modes de domination et de régulation, de circulations, d’identités et de contestations spécifiques dans leurs contours, leurs détroits et leurs formes.
2Le premier champ de ces réflexions a finalement porté l’attention sur l’espace britannique lui-même et sa construction à travers les enjeux d’une « mémoire » déjà ancienne et d’une historiographie particulièrement fournies de l’ambivalence de l’identité des îles Britanniques face à l’alternative entre deux improbables : l’espace européen et le destin impérial. Qu’on ne s’y trompe pas : « espace » comme « destin » renvoient bien ici, tous les deux, à l’ordre de l’identité projetée et construite avant que de trouver les manifestations tangibles, les preuves en somme, comme longtemps on a cherché à produire les preuves de l’histoire, d’une quelconque réification. En l’espèce, comme souvent, la chronologie et la géométrie des circulations ont dessiné un espace constamment en évolution avant même que sa fonctionnalité n’en soit arrêtée : comme on l’a ici maintes fois souligné, les mobilités individuelles et collectives ont été centrales dans la construction des espaces gigognes (de la grande île au Commonwealth) de l’Empire britannique. Géographiques, économiques et sociales avant d’être politiques et impériales, les dynamiques à l’œuvre depuis des siècles ont autant fait de l’Empire le creuset des identités que ce dernier a été lui-même été forgé par les individus.
3À ce titre, l’étude des supposés fondements et de la cohérence intrinsèque des mondes britanniques, telle qu’elle nous est notamment proposée par l’élaboration des lois, questionne plus qu’elle ne résout l’idée d’une communauté de normes propres et leur contribution à la construction de cet espace. Ici, presqu’autant que les cadres eux-mêmes, ce furent les lacunes de l’application de la norme et les manquements à celle-ci qui imprimèrent leur marque au régime de la loi impériale dans une irréductible pluralité d’espaces et de formes alternatives. Davantage que l’uniformisation, c’est l’adaptation à cette diversité qu’il faut évoquer, en inversant le régime de la preuve : à bien des égards ce fut l’Empire qui fit la loi et non l’inverse.
4De même, les formes de l’opposition, de la résistance ou de la révolte épousèrent les contours fluctuants d’un ensemble qui, jamais, et en dépit de la légende, patiemment coconstruite par le pouvoir et les populations, d’un monument de cohérence, ne fut un. À ce titre, les formes de la révolte, du refus, de l’évitement de la « loi » impériale ont constitué tout au long des siècles et dans tous les espaces de son expression un puissant ferment de définition des identités locales comme collectives. L’articulation des enjeux majeurs comme les résistances à l’intégration ou l’irréductibilité du local à l’uniformisation des comportements et des visions inspirées par la métropole, constitue autant une possible chronologie de l’Empire qu’elle en éclaire les différentes dimensions. Ces résistances ont en effet contribué à établir les nations, au sens presque médiéval du terme, de et dans ce vaste ensemble, comme elles ont dessiné les contours et les formes de l’adhésion à un ondoyant ethos impérial, ambivalence caractéristique de toute définition d’une identité qui, finalement, ne s’est posée qu’en s’opposant.
5Les incessants parcours dans cet espace en considérable extension, des îles à l’Empire, au cours des périodes moderne et contemporaine, appelle nécessairement à reprendre à nouveaux frais la question des évolutions des identités culturelles dans tous les domaines et ensembles considérés. Si la réflexion est déjà nourrie par l’étude des formes de la contestation des différents modèles politiques projetés – plus qu’effectivement imposés – par la métropole, il s’agit désormais d’appréhender les processus de l’élaboration, plus contrariée qu’on a longtemps voulu le croire, d’une identité propre à ces mondes britanniques. S’il y eut des empires dans l’Empire, il y eut également différents ressorts, politiques, religieux et culturels dans les expressions et les définitions d’une identité impériale pour laquelle le pluriel devrait finalement s’imposer tant les moments et les espaces du sujet considéré furent mouvants. Pas plus que les espaces et les communautés ne furent posés dès le début de la geste impériale, l’État et les acteurs ne furent jamais constamment cohérents : il n’y eut, pour l’Empire britannique, pas plus d’unité de temps que de lieu ni d’action.
6Au moment (septembre 2018) où le Brexit voit bredouiller la grammaire et les ressorts usés d’un Sonderweg britannique, l’appel à tout ce qui pourrait nourrir l’idiosyncrasie dans une œuvre finalement moins « nationale » que culturellement clivante, la prétendue réinvention, selon certains, d’un destin « propre » par le recours aux lieux de mémoires du particularisme national, qu’il soit maritime, libéral ou impérial, l’appel enfin à cette communauté imaginaire qu’est l’Empire face à la réalité de l’Europe nous rappelle que, pour le Royaume-Uni aussi, on ne naît pas impérial, on le devient.
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