Le massacre de Peterloo et le mouvement pour la démocratie en Angleterre au début du XIXe siècle

Robert Poole

Traduit par Clément Martin (trad.)

p. 113-133


Texte intégral

1Le massacre de Peterloo fut l’événement politique le plus sanglant qu’ait connu l’Angleterre au cours du xixe siècle. Le lundi 16 août 1819, des troupes agissant sur ordre des magistrats du Cheshire et du Lancashire attaquèrent et dispersèrent un rassemblement de 50000 à 60000 partisans de la réforme électorale alors présents sur le terrain de St Peter’s Field à Manchester. Vingt minutes plus tard, on comptait environ 650 blessés dont nombre de femmes, et dont beaucoup avaient reçu des coups de sabre ; quinze personnes étaient mortes ou mortellement blessées. La plupart des témoins extérieurs à l’affrontement furent horrifiés car il n’y avait pas eu de perturbations susceptibles de justifier une telle attaque, mais les autorités soutinrent qu’une rébellion avait été évitée. Waterloo, l’ultime victoire des alliés sur la France de l’Empire, avait eu lieu quatre ans auparavant ; désormais, à Peterloo, les troupes britanniques étaient tournées contre leur propre peuple. Des vétérans de Waterloo étaient présents de chaque côté ; l’un d’entre eux, le réformateur John Lees de Oldham, succomba plus tard à ses blessures. Un rassemblement censé proclamer que ses membres étaient des citoyens montra au contraire qu’ils étaient toujours des sujets. Le nombre de victimes était profondément choquant, du moins pour l’Angleterre, tout comme l’était la férocité des autorités locales. Mais quelle histoire politique amena à Peterloo ?

2Le rassemblement de Manchester était perçu comme l’apogée d’une série nationale de grandes manifestations en faveur de la réforme parlementaire. Il eut lieu sous les yeux de la presse nationale. Les correspondants des deux principaux journaux de province (le Liverpool Mercury et le Leeds Mercury) étaient présents, tandis que le reporter en chef du Times de Londres était lui sur la tribune et y fut arrêté. Fait exceptionnel pour un événement provincial de cet acabit, le rassemblement de Manchester avait l’attention de la presse nationale avant même d’avoir eu lieu. Le but du rassemblement était de confronter le gouvernement à l’irrésistible présence de vastes communautés de partisans de la réforme qui s’étaient réunis pour revendiquer le statut de citoyen – comme pour sanctionner la justesse du vers de Shelley : « Ye are many, they are few1. »

3Rien n’aurait pu effrayer davantage les autorités high Tory de Manchester : pour quelle raison légitime des individus non électeurs pouvaient-ils souhaiter se réunir en si grand nombre ? Bien que le rassemblement ait eu lieu dans Manchester, capitale du coton, cette ville ne constituait pas encore une municipalité réformée, pas plus qu’elle n’était représentée au parlement. Quel qu’ait été son statut industriel, le gouvernement local et la politique de Manchester n’avaient rien de moderne. Les partisans de la réforme issus de la classe moyenne et de la classe ouvrière furent unis par leur indignation face à ce massacre, et il sembla pendant plusieurs mois qu’une rébellion armée menaçait l’État. Une longue et tumultueuse enquête et un grand procès très médiatisé révélèrent les détails les plus choquants de ces événements et soumirent la version des autorités à un examen public d’une ampleur inattendue. Cependant, la volonté de ceux qui voulaient élargir la nation politique fut au final vaincue par le pouvoir de l’État2.

4Il faudrait attendre que la question de la réforme suscite une autre crise, en 1829-1832, pour qu’une modeste extension des droits civiques et du suffrage ne survienne. Les quatre élargissements successifs du corps électoral qui suivirent en 1867, 1884-1885, 1918 et 1928, donnèrent naissance à une nouvelle vision de la Grande-Bretagne : celle d’un État innovant ayant été le premier à prôner un modèle de changement politique progressif et, globalement, pacifique. Dans le domaine politique comme dans celui de l’évolution, le gradualisme triompha du catastrophisme. Mais au moment où Peterloo eut lieu, ce modèle du changement progressif n’existait pas encore. Dans les principaux exemples historiques, le changement avait été soudain et révolutionnaire, qu’on prenne celui de la Grande-Bretagne des années 1640 et 1688-1689, des États-Unis entre 1776 et 1783 ou de la France entre 1789 et 1793 ; et potentiellement, un tel changement ne surviendrait qu’au prix d’innombrables vies humaines. Si nous voulons comprendre ce que les radicaux cherchaient à accomplir en 1819 et ce que le gouvernement cherchait à éviter, il nous faut garder en tête la chose suivante : il était impossible de percevoir ces événements dans l’Angleterre de 1819 comme à notre époque, ou même comme ils auraient été perçus dans les années 1790. Le constitutionnalisme n’allait alors pas de pair avec le gradualisme : en effet, la « Glorieuse Révolution », en grande partie pacifique, semblait fournir à l’Angleterre un modèle de révolution plus crédible que les récents soulèvements en France.

5L’objectif de cet article est de replacer le massacre de Peterloo dans son contexte politique, et d’identifier les principales caractéristiques et la stratégie du mouvement radical pour la réforme. Le radicalisme de la « plate-forme de masse3 » était l’héritier des échecs essuyés par la précédente campagne populaire pour la réforme qui avait eu lieu en 1816-1817. Constitutionnalisme et complots avaient fait partie intégrante de ces campagnes : les radicaux de 1819 devaient désormais dépasser cela et créer une nouvelle politique populaire. Nous devons cependant tout d’abord étudier quelques idées reçues qui nous ont jusqu’ici empêchés de mieux comprendre Peterloo.

Perspectives

6Il existe une idée reçue selon laquelle le mouvement pour la réforme parlementaire était un effet secondaire de la détresse économique, et donc le produit de cette grande source de détresse que fut la révolution industrielle. On enseigne habituellement l’histoire du mouvement pour la réforme dans le cadre de cours sur l’histoire sociale ou sur la révolution industrielle, dans lesquels on évoque également la pauvreté, le mouvement luddite et l’urbanisation. Le massacre de Peterloo lui-même eut lieu à Manchester, capitale du coton et des manufactures à vapeur surnommée par Asa Briggs la « ville choc de la révolution industrielle4 » ; il est donc tout naturel de penser que Peterloo fut une conséquence de la révolution industrielle. Sur le diagramme expliquant l’histoire de la classe ouvrière britannique qui est peint dans l’entrée du People’s History Museum de Manchester, la révolution industrielle est montrée comme le « big bang » à l’origine de tout le mouvement (bien que, curieusement, assez peu de flèches ne partent de ce « big bang » pourtant situé au centre du diagramme). Mais bien que l’année 1819 ait effectivement été une période de détresse économique et de chômage importants, l’Angleterre avait déjà connu des périodes semblables qui avaient suscité des réactions différentes : révoltes de la faim (1799-1800), campagnes pour la paix et pour une meilleure protection légale (1808-1809), mouvement luddite (1812), tentatives de pétitions au Parlement et de rébellion armée (1817). La détresse économique et sociale est une condition nécessaire mais non suffisante au soulèvement politique.

7En lien avec cette première idée reçue, il en existe une autre qui veut que les mouvements des premiers temps de la révolution industrielle aient au fond été une version « immature » de la lutte des classes à laquelle on peut s’attendre dans des sociétés industrialisées arrivées à maturité. Ce cadre marxiste fut le mieux développé par John Foster dans son ambitieux ouvrage publié en 1974 : Class Struggle in the Industrial Revolution. Le mouvement de masse pour la réforme qui se dessina après-guerre était bien loin des exigeants standards léninistes de Foster, et il l’évacua en quelques phrases. Dans la théologie de la lutte des classes développée par Foster, bien que les mouvements de 1817 et 1819 aient été « apparemment tout aussi révolutionnaires » que ceux qui vinrent par la suite, leurs participants furent cependant victimes d’une sorte de « fausse conscience », et leurs mouvements s’effondrèrent. Il ne pouvait pas y avoir eu de mouvement ouvrier en tant que tel parce que le capitalisme n’était pas encore assez développé pour en générer un5. Difficile de trouver pire exemple de « condescendance de la postérité ». À cette époque, la société britannique était d’une certaine façon bien plus divisée qu’elle ne l’a jamais été dans l’histoire récente. Mais bien que les notions de classe comme de « détresse » puissent alimenter de profonds ressentiments, elles ne suffisent pas à expliquer en détail le caractère des mouvements populaires6. Il en va de même pour la sociologie historique, qui cherche à la fois à décontextualiser et à expliquer certains événements. Bien qu’utile pour lancer une conversation, elle utilise des typologies qui opèrent nécessairement à un niveau d’abstraction trop éloigné des événements sur le terrain pour pouvoir les expliquer7. Il y a une cinquantaine d’années, un argumentaire semblable fut développé dans le contexte Français par Richard Cobb, dans son livre extraordinaire intitulé The Police and the People. Tout en faisant l’éloge du « grand œuvre » d’Albert Soboul Les Sans Culottes et le Mouvement Sectionnaire (1958), il y voyait néanmoins un « récit assez formalisé des relations entre les classes ». Cobb imaginait Soboul en chorégraphe dirigeant ses sujets indisciplinés dans un ballet historique : « revenez dans le rang, vous faites partie du Mouvement populaire8 ».

8Si le radicalisme d’après-guerre n’était pas une version beta des luttes de classe à venir, il ne s’agissait pas non plus d’une tentative de reproduire l’expérience française. Le consensus historique, à commencer par les travaux de Clive Emsley à la fin des années 1970, a progressivement établi ceci : sur le long terme et malgré un sursaut d’optimisme initial, l’exemple de la Révolution française fit plus de mal que de bien au mouvement réformiste britannique, et les guerres contre la France eurent autant d’influence que la révolution industrielle sur la politique et la société britanniques9. Bien loin d’avoir aidé le mouvement britannique pour la réforme parlementaire, les événements en France semblent y avoir mis un coup d’arrêt10. Le mouvement n’a pas simplement été temporairement remisé pour ressurgir des années après.

9Dans La Formation de la classe ouvrière en Angleterre, E.P. Thompson a développé l’idée d’une interconnexion profonde entre mouvements populaires. Bien que cette idée voie sa pertinence toujours renouvelée, l’argumentaire de Thompson sur une continuité souterraine des organisations révolutionnaires pendant les guerres contre la France s’avère moins convaincant de nos jours11. Dans l’historiographie britannique, on a souvent décrit le patriotisme et le nationalisme (à l’exception notable du cas irlandais) comme des phénomènes opposés à l’histoire ouvrière ou jouant sur un tout autre tableau. Peu d’études ont cherché à réconcilier ces phénomènes, afin d’expliquer les aspects politiques des manifestations en fonction de ceux du patriotisme et vice versa ; mais ceux qui l’ont fait ont pu formuler des interprétations profondément signifiantes12.

10Le radicalisme d’après 1815 différait de celui des années 1790 à cause de l’expérience de la guerre. Le radicalisme d’après-guerre était basé sur une critique de l’ancienne constitution anglaise, qui aurait été corrompue par la guerre. Les idées universalistes de Paine, bien que toujours importantes, furent rejointes par des revendications sur le caractère abusif de l’impôt, et contre la réquisition du système politique par des individus et des groupes d’intérêts ayant tiré profit de la guerre. Alors que les propriétaires terriens étaient protégés par les lois sur les grains (corn laws) et que les classes moyennes et les professions libérales avaient profité dès 1815 de la fin de l’impôt foncier mis en place durant la guerre, la classe ouvrière continuait à payer plus cher des biens de première nécessité comme le sel, le pain ou le cuir, du fait des impôts de guerre indirects et des lois sur les grains. Des appels successifs à la régulation des abus dont souffraient des groupes de travailleurs spécifiques n’avaient rien produit d’autre que des enquêtes, dont le résultat final fut la perte en 1813-1814 des anciennes lois protégeant les salaires et l’apprentissage. C’était là une histoire désormais bien connue au xxe siècle : protectionnisme pour les propriétaires, libre marché pour les autres. Bien loin d’avoir tiré quoi que ce soit de la paix en 1815 (comme cela devait arriver après les guerres mondiales au xxe siècle), les travailleurs semblaient plutôt s’être fait berner par un parlement contrôlé par ceux qui avaient bénéficié de la guerre. Dans un accès de désillusion patriote, l’activiste rural et ancien loyaliste William Cobbett s’allia avec les ouvriers radicaux issus des districts industriels du Lancashire. D’anciens soldats sans emploi faisaient partie des radicaux les plus actifs après la guerre (ainsi que des agents qui les espionnaient), motivés qu’ils étaient par un puissant sentiment de frustration quant à ce qui leur était dû13. Si l’on suit Thompson dans sa conviction que l’expérience et la culture populaire sont les moteurs des mouvements populaires, alors la guerre est peut-être la plus grande expérience à assimiler. Par ailleurs, nous n’avons que récemment commencé à comprendre l’extraordinaire impact de l’éruption du Tambora sur le climat mondial durant cette période14.

11Des études récentes explorant le mouvement radical au prisme de perspectives plus contemporaines comme les notions de patriotisme, de coutume, de scandale et de localité, se sont avérées très fructueuses. En effet, Katrina Navickas a récemment avancé l’argument selon lequel les mouvements populaires demandaient des droits et des réformes fondés sur des « conceptions spécifiques de la notion de lieu, défini à la fois par ses usages et règles coutumiers et par ses habitants, eux-mêmes définis par leur corps de métier, leur genre, leur religion et leur appartenance ethnique. » Ces demandes étaient bien sûr partiellement inspirées par les idéaux des droits de l’homme, mais elles s’appuyaient néanmoins sur un contexte local et communautaire15. Pour arriver à une compréhension plus complète du rassemblement de Peterloo de 1819, nous devons le considérer à la fois dans son contexte local et national, et comme faisant partie d’un mouvement qui, guidé par ses extrémités, essaya de dépasser les anciennes formes de politique populaire.

1817 : de la constitution au complot

12Le mouvement pour la réforme parlementaire fut ranimé durant l’été et l’automne 1816, comme le suggère la création de dizaines de « Hampden Clubs » ou « Union Societies » au niveau local. William Cobbett écrivit d’ailleurs son influent manifeste Address to Journeymen and Labourers à l’automne 1816 :

« En ce qui concerne la cause de notre présent malheur, il s’agit de l’énorme quantité d’impôts que le gouvernement nous force à verser pour payer son armée, ses officiers fraîchement promus, les retraites de ses soldats, etc. Ce poids intolérable découle directement du besoin de réforme parlementaire… on ne saurait trouver un remède ailleurs que dans une telle réforme aux Communes, ou chambre du peuple au Parlement, qui donnerait le droit de vote à toute personne payant un impôt direct, et qui verrait ses membres élus chaque année16. »

13Cobbett demandait là que le droit de vote soit donné à ceux payant l’impôt direct – grosso modo, les propriétaires imposables. Des radicaux avançaient qu’un suffrage représentant véritablement les contribuables devait être un suffrage masculin, puisque tout le monde payait les impôts indirects sur la consommation ; ils rappelaient ainsi le slogan américain « no taxation without representation ». Le major John Cartwright, vétéran de l’opposition patriote des années 1770 et partisan des colons américains, fut un moteur important du mouvement. Cartwright croyait en « l’ancienne constitution » démocratique de l’Angleterre, et sa stratégie constitutionnaliste consistant à faire confiance au peuple fut adoptée par les radicaux de 1816-1817. Bien qu’elles aient été surveillées en tant que sources potentielles de troubles, les union societies passèrent d’abord sous le radar politique des autorités : ces dernières n’y voyaient que de simples associations privées ne se disant représentatives que de l’opinion d’un ensemble d’adhérents souvent assez instable. Un défi plus important se présenta à eux lorsque des partisans de la réforme commencèrent à organiser des rassemblements publics, et affirmèrent être les représentants légitimes des habitants de lieux spécifiques. Il leur fallait tout d’abord qu’un nombre suffisamment important de résidents (householders) cherchent à organiser un rassemblement public pour étudier une question locale (typiquement, la détresse économique et comment y remédier.) Cet avis fut posté dans la municipalité de Manchester :

« Rassemblement public,
Les autorités de Manchester, ayant refusé d’organiser un rassemblement public dans le but d’étudier la profonde et générale détresse actuelle, sa cause principale, et le remède radical à y apporter ; bien qu’un tel rassemblement ait été réclamé par environ quatre cents résidents ; en conséquence de quoi nous, soussignés résidents de Manchester, estimant un tel rassemblement plus que nécessaire, appelons par le présent avis à un rassemblement dans le but mentionné ci-dessus, et ce près de St Peters Church, lundi 8 octobre, 1816, à onze heures en début d’après-midi17. »

14Quelque cinquante résidents signèrent l’avis, et il reçut apparemment le soutien de plus de deux mille personnes. Le rassemblement eut bien lieu, surveillé de près par les autorités. Les participants se réunirent à nouveau le 28 octobre, et ils étaient cette fois entre cinq et dix mille pour fonder la Manchester Union Society for Parliamentary Reform18. Des déclarations similaires et standardisées, avec des blancs laissés pour le lieu où elles étaient adoptées, furent mises en circulation de par la nation19. Le 2 novembre, le London Hampden Club de Londres prit la résolution de préparer une proposition de loi pour la réforme parlementaire : ils y demandaient l’instauration de districts électoraux de taille égale, la tenue annuelle de parlements, et un suffrage « proportionnel à l’imposition » (par quoi ils désignaient l’impôt direct ou l’impôt foncier local – un droit de vote basé sur la propriété, mais bien plus large que l’assemblage de droits alors en vigueur). Le club décida également de mettre sur pied durant l’hiver une campagne nationale de pétitions pour soutenir la proposition de loi ; ils firent circuler des pétitions standardisées via des correspondants locaux, une première pour ce genre de campagne. Le Major Cartwright écrivit également à ses agents et ordonna que dix membres de chaque union society à travers le pays accompagnent leur pétition jusqu’à Londres. Ce nombre fut choisi afin de respecter la lettre de la loi, le 1662 Act Against Tumultuous Petitioning, adopté après la restauration de Charles II dans le but d’éviter que le Parlement ne soit intimidé par des foules. Les pétitions au parlement ne pouvaient être signées par plus de vingt personnes et ne pouvaient y être présentées par plus de dix, bien que le premier point ne soit plus respecté dans les faits.

15La campagne rencontra un problème de calendrier. Le rassemblement hebdomadaire de la Manchester Union Society du 9 décembre reçut une lettre du London Hampden Club signée par le député Sir Francis Burdett et informant l’assemblée que le prince-régent n’accorderait pas d’audience aux meneurs du mouvement pour la réforme avant le 2 mars. D’après un informateur, lorsque le président de séance demanda aux participants « s’ils pouvaient attendre calmement jusqu’à cette date, on cria Non ! Non ! de toutes parts. »« Le peuple de Middleton, » rapporta-t-on, « a décidé de ne pas attendre jusqu’au 2 mars car ils disent que nous serons tous morts de faim avant cette date même avec l’aide de la soupe populaire20 ». Middleton était une agglomération principalement occupée par des tisserands et située à dix kilomètres au nord de Manchester. On choisit d’y rassembler les délégués régionaux la semaine suivante et ceux-ci décidèrent, avec le soutien d’une autre assemblée populaire, de demander au London Hampden Club à ce que la proposition de loi soit traitée en janvier, soit quand le parlement se réunirait à nouveau. Le London Club donna son accord, et appela à un rassemblement des délégués nationaux dans la capitale le 22 janvier, afin de déterminer la formulation exacte de la proposition de loi qu’ils allaient soumettre. Les radicaux de province mirent sur pied leur délégation rapidement, allant parfois jusqu’à utiliser pour cela des fonds d’épargnes locaux rassemblés notamment pour financer des enterrements. Ils le firent car, pour certains, il s’agissait là d’une mission dont dépendait leur survie même lors des mois à venir.

16Jusqu’alors, la nature de la campagne avait été scrupuleusement constitutionnelle : les organisations locales tiraient en effet leur autorité de rassemblements publics locaux qui justifiaient la réforme en la présentant comme une solution à la détresse économique locale. Cependant, les districts industriels du Nord avaient cette fois-ci décidé d’aller plus loin et plus vite, et ils le firent à nouveau le 22 janvier lors du rassemblement des délégués à Londres. William Cobbett soutenait la proposition du Hampden Club en faveur d’un droit de vote donné à ceux payant l’impôt direct. Un amendement soutenu par Henry Hunt et les radicaux du Lancashire appelant au suffrage masculin fut présenté. Cobbett émit des doutes sur la mise en œuvre d’un tel amendement : comment, demanda-t-il, pourrait-on établir un registre électoral ? Samuel Bamford, radical du Lancashire qui s’était lui-même engagé dans la milice locale en 1803, signala que les registres de la milice – ces listes d’hommes susceptibles d’être appelés à la défense du territoire – pourraient servir de registre électoral. Cette version d’une citoyenneté militaire plut à l’ancien loyaliste en Cobbett : il changea son fusil d’épaule et fit ainsi basculer toute l’assemblée en faveur du suffrage masculin21. L’importance de cet épisode a beaucoup été discutée. Dans son très influent Britons, Linda Colley a dépeint une nation britannique patriote qui aurait découvert la citoyenneté en résistant à la menace de l’invasion napoléonienne en 1803-1805. Ce portrait a été remis en question par J. E. Cookson, historien de l’effort de guerre domestique, qui avança que le « patriotisme de défense nationale » de ces années ne se concrétisa pas en un engagement politique loyaliste ou radical, et que le concept de citoyenneté militaire ne fit pas vraiment son chemin22. Quelle qu’ait été la réalité durant la guerre, après 1815, un fort sentiment d’injustice patriotique se reporta sur la solution radicale que constituait la réforme parlementaire.

17La proposition de loi de réforme approuvée par les délégués de Londres fut présentée à l’ouverture du Parlement fin janvier et, de façon prévisible, elle fut rejetée. Le Parlement rejeta en même temps quelque 500 pétitions de soutien à la réforme envoyées de villes et villages à travers le pays, le plus souvent à cause de détails techniques (par exemple : les pétitions étaient imprimées, leurs signataires n’étaient pas clairement identifiés, ou leur ton était irrespectueux). Les assemblées publiques locales qui avaient voté en faveur de la réforme en décembre et janvier se réunirent à nouveau simultanément début février pour recevoir les réponses uniformément décevantes à leurs pétitions. Ils durent alors se décider sur la façon dont ils feraient pression pour faire respecter leurs demandes constitutionnelles – ce que les chartistes appelleraient « des mesures ultérieures ». Dans la région de Manchester, des radicaux optèrent pour une marche massive vers Londres dans le but de contourner la chambre des communes et de protester directement auprès de la couronne en la personne du prince-régent. L’ultime solution pacifique après que leurs pétitions eurent été rejetées fut une « remontrance », inspirée par la « Grande Remontrance » que le Parlement avait soumise au roi avant le début de la guerre civile en 1642. Comme on l’affirmait dans le journal radical Black Dwarf :

« Nos ancêtres… se présentaient à leurs monarques avec des pétitions, c’est vrai ; mais il est aussi vrai qu’ils portaient des armes pour appuyer leurs arguments… Est-ce une pétition qui força Jean à signer la Grande Charte ? Est-ce une pétition qui força Charles à poser sa tête sur le billot ? Est-ce une pétition qui força Guillaume à accepter la Déclaration des droits ? Non ! Non ! Le droit de pétition dont disposaient nos ancêtres désignait le droit de présenter leurs doléances à la plus haute autorité et d’exiger, Par la force si nécessaire, que l’on y prête attention23 ».

18C’est la tentative de marche des « blanketeers », partie de Manchester le 10 mars 1817, qui devait forcer le gouvernement à prêter attention au mouvement24. Près de dix mille personnes se rassemblèrent à St Peter’s Fields pour entendre les orateurs exalter les droits des Anglais à obtenir réparation de la part de la couronne. L’exemple de la révolte paysanne de Wat Tyler en 1381, durant laquelle des rebelles en marche vers la capitale avaient temporairement forcé le roi Richard II à faire des concessions, fut soumis au public25. Plusieurs centaines de personnes, essentiellement de jeunes hommes, se mirent en marche vers Londres avec pétitions, sac à dos et couvertures. La troupe arriva cependant à intercepter la marche très tôt, avant que le mouvement n’ait pu faire boule de neige : il n’y eut qu’une seule victime à déplorer, du reste accidentelle. Malgré les allusions appuyées des meneurs au fait qu’une expédition sans armes n’irait pas bien loin, pas un seul des marcheurs n’avait apporté d’arme. À la tribune comme dans la presse radicale, on avait asséné la même rhétorique et affirmé que le but de cette expédition était de « présenter leurs doléances à la plus haute autorité et d’exiger, par La force si nécessaire, que l’on y prête attention » ; ceux qui furent arrêtés expliquèrent tous qu’ils avaient uniquement l’intention de présenter une pétition au prince-régent puis de rentrer chez eux26.

19Au moment où les blanketeers se mirent mis en route le droit d’habeas corpus avait été suspendu. Ce dernier garantissait aux sujets le droit à un procès en bonne et due forme et sa suspension faisait ainsi entrer en vigueur l’emprisonnement sans autre forme de procès pour les agitateurs. Le mouvement radical fut décapité, laissant l’initiative entre les mains d’une poignée de délégués régionaux parmi lesquels se trouvaient plusieurs espions. Cette marche avortée vers Londres fut suivie au printemps 1817 de plusieurs tentatives de soulèvements armés à Manchester, dans le Derbyshire et dans le Yorkshire. L’un de ceux-ci, le soulèvement de Pentridge, à la frontière entre Yorkshire et Derbyshire, était aux yeux d’E.P. Thompson « l’une des premières tentatives d’insurrection totalement prolétarienne de l’histoire27 ». Ces soulèvements étaient en partie l’œuvre d’espions et d’agents provocateurs28, dont certains semblent avoir été responsables de la rhétorique guerrière rapportée par d’autres. Leur intention principale constituait cependant la suite logique des troubles précédents : répéter la marche sur Londres, mais cette fois-ci en armes. D’après leur plan, le départ de la marche devait être dissimulé par des attaques coordonnées ciblant postes de police, maisons de magistrats et garnisons : l’objectif de ces attaques était de créer une diversion, de se procurer des armes, et de permettre aux marcheurs de s’éloigner avant qu’ils puissent être interceptés. De tels complots furent facilement éventés ; trois exécutions suivirent le meurtre accidentel d’un domestique durant le soulèvement de Pentridge, et des dizaines d’autres personnes furent incarcérées pendant des mois sans le moindre procès. L’usage d’une rhétorique révolutionnaire et mélodramatique était bien plus répandu que la volonté de se soulever. Il faut y voir une stratégie rhétorique visant à mettre sur pied des confrontations rituelles durant lesquelles les autorités ne pourraient que plier face à la force du sentiment populaire29. Ainsi, constitutionnalisme et rébellion allaient de pair. Les constitutionnalistes partisans de Cartwright avaient besoin de la menace de la rébellion pour donner de la force à leurs demandes, tandis que les partisans londoniens de Thomas Spence avaient besoin que les moyens constitutionnels échouent pour légitimer leur rébellion. Le cœur de cette stratégie était cependant d’une part la procédure constitutionnelle de la pétition elle-même, et d’autre part la question de comment contourner le refus d’entendre une pétition. Les partisans de la réforme étaient d’accord sur le principe de réaffirmer des droits perdus via une démonstration de force ; ils divergeaient cependant sur ce qu’on pouvait espérer d’une telle procédure, et quant à leur volonté de faire effectivement usage de la force par la suite30. C’est là le problème que les radicaux de 1819 cherchèrent à dépasser.

1819 : la « plate-forme de masse »

20En 1819 la campagne radicale pour la réforme parlementaire reprit là où elle s’était arrêtée en 1817 : le dépôt de pétition dans le respect des institutions ayant été rejeté, des mesures plus énergiques s’avéraient nécessaires. Les échecs de 1817 avaient appris aux radicaux que leurs complots les rendaient vulnérables aux agissements d’espions. En conséquence, la campagne suivante fut pensée pour être entièrement ouverte et pacifique, rendant ainsi toute infiltration à la fois inutile et impossible. Toute action devrait désormais avoir lieu ostensiblement et être annoncée haut et fort à la nation. Le signal de départ devait être une protestation formelle auprès de la couronne, suivie d’actions de masse qui devaient impressionner le gouvernement et le prince-régent et les forcer à faire retraite. La grande question (comme pour les « mesures ultérieures » du mouvement chartiste par la suite) portait sur le genre de mobilisation extra-parlementaire qui serait à la fois efficace et légale. C’est ainsi que naquit ce que John Belchem appela la campagne de la « plate-forme de masse » de 1819, qui serait menée par l’orateur Henry Hunt et qui prendrait la forme de grands rassemblements à Londres, Bristol, Birmingham et dans beaucoup de villes du Nord de l’Angleterre, en particulier dans la région de Manchester31. Leur stratégie était de mettre les autorités locales comme nationales face au spectacle du peuple réuni en une masse incommensurable pour affirmer leurs droits et leur pouvoir en tant que citoyens, soit d’opposer leur volonté à celle du gouvernement sur la question de la réforme parlementaire32.

21La stratégie de la « plate-forme de masse » fut lancée à Londres en septembre 1818 avec un rassemblement à Palace Yard, Westminster, organisé par les partisans londoniens de Thomas Spence, des ultra-radicaux. Ce groupe avait été sur le devant de la scène durant les événements de 1816-1817 car ils avaient organisé trois grands rassemblements dans le quartier de Spa Fields à Londres, lors desquels l’orateur radical Henry Hunt avait pris publiquement la parole. Avant le second de ces rassemblements, en décembre 1816, un petit groupe avait tenté d’amener la foule à attaquer la Tour de Londres en une nouvelle version de la prise de la Bastille. Plus tard, ce groupe londonien se tenait prêt à accueillir les blanketeers de Manchester : ils avaient en tête une nouvelle tentative de soulèvement qui aurait le renfort des foules venues de province ; celles-ci n’allaient probablement pas prendre le chemin du retour à la fin de la journée33. Le rassemblement de Westminster reprit la stratégie d’une protestation de masse auprès de la couronne, contournant de ce fait le parlement. La remontrance écrite qu’ils soumirent au prince-régent avertissait que la couronne était « un héritage sacré qui n’existait que par l’accord librement donné du peuple et uniquement pour le bénéfice et le bien-être de ce dernier34 ». Un monarque oubliant cet état de fait suivrait le même chemin que Charles Ier et Jacques II. Leur modèle était la confrontation de Runnymede en 1215 durant laquelle le roi Jean fut forcé d’accepter la Magna Carta, le peuple prenant ici le rôle des barons d’alors. Le syndicaliste John Gast harangua les foules de ces mots : « Allez comme les barons de jadis, l’épée dans une main et la Déclaration des droits dans l’autre, et exigez ce qui est votre droit imprescriptible35. » À Londres comme dans l’industrie du coton dans le Lancashire, 1818 fut une année de grèves car les ouvriers cherchaient à compenser les coupes salariales des années précédentes ; leur échec partiel persuada un grand nombre d’entre eux que seul un parlement réformé pourrait leur faire justice36. Mais alors que peu de gens participèrent au rassemblement de Westminster et qu’il n’aboutit à rien, la campagne de la « plate-forme de masse » prit de l’ampleur lorsque Hunt la porta dans le Nord industriel lors de l’hiver suivant.

22En janvier 1819, Henry Hunt s’adressa à un rassemblement de près de 10000 partisans de la réforme à St Peter’s Field, Manchester. Il leur demanda « s’ils allaient à nouveau soumettre une pétition à ceux qui devraient être leurs serviteurs, ou s’ils iraient hardiment protester auprès de la couronne ». « Pas de pétition ! », lui fut-il répondu. « Remontrance ! » Le rassemblement adopta une déclaration et une remontrance similaire à celle de Londres, adressée au prince-régent.

« Nous, habitants des villes de Manchester, Salford et leurs alentours, au nom de nos concitoyens esclaves et opprimés, demandons la permission d’approcher son Altesse Royale et de lui soumettre une déclaration listant nos nombreux griefs, ainsi qu’une remontrance contre les actes cruels, illégaux et inconstitutionnels d’une administration corrompue et mauvaise, qui a été trop longtemps imposée à son Altesse Royale par les grands propriétaires terriens de ce pays37. »

23Cette remontrance affirmait les principes chers à Paine de citoyenneté politique universelle et de droit de résister à la tyrannie, mais les ancrait fermement dans l’histoire britannique.

« D’après l’ancienne constitution d’Angleterre et les lois qui en découlent, il revient à tout homme libre (par lui-même ou au sein d’une délégation) une partie du gouvernement de son pays…
La Couronne est un héritage sacré, qui n’existe qu’avec l’accord librement donné du peuple et uniquement pour le bénéfice et le bien-être de ce dernier.
Lorsque l’exécutif est incapable d’assurer ses devoirs envers la nation, ou cesse de remplir les missions pour lesquelles il a été créé, le contrat social est, de jure, dissous ; le peuple est libéré de son droit d’allégeance et a le droit, s’il le souhaite, soit de former un nouveau gouvernement, soit de retourner à l’état de nature38. »

24Le prince-régent fut averti que la monarchie n’existait que pour le bien du peuple, et pourrait s’effondrer si elle l’abandonnait. Enfin, venaient leurs exigences :

« Si l’on nous demande, qu’est-ce exactement que nous voulons ? Nous répondrons en bref : la mise en accusation et, s’ils s’avèrent coupables, la juste punition des ministres actuels ; un changement des mesures et l’abolition immédiate de l’odieux système de la corruption électorale. Enfin, une réforme suffisamment radicale et complexe pour assurer au peuple le respect du principe irréfutable en vertu duquel tout être humain jouit d’un droit égal à prendre part à l’exercice sacré de la liberté politique, et tout travailleur, manufacturier ou autre, a le droit de récolter les fruits abondants résultant de son Travail vertueux et utile39. »

25Hunt mit en scène plusieurs confrontations symboliques avec les autorités qui renforcèrent le moral des radicaux40. Lors d’un rassemblement à Stockport le mois suivant, une remontrance différente fut adoptée mais on l’appelait plutôt une pétition, ce qui sous-entend une certaine ambivalence quant au fait d’aller droit au soulèvement. Le rassemblement de Stockport vit également éclater une bataille rangée sur la tribune entre les partisans de la réforme d’un côté et la police spéciale appuyée par des troupes volontaires de l’autre, dont l’objet était la possession de drapeaux et de bonnets phrygiens. Les forces de l’ordre connurent une défaite cuisante, au grand dam des autorités qui ne savaient que trop bien à quel point leurs effectifs étaient réduits. Un rassemblement à Royton, place forte des tisserands radicaux située à quelques kilomètres au nord-est de Manchester, adopta une pétition mais déclara : « C’est la dernière fois que nous soumettons une pétition41 ! » La région semblait au bord de la rébellion.

26En mai, il était désormais clair que les remontrances de Manchester et de Stockport ne seraient pas considérées par le prince-régent, ce qui ouvrait la voie à une action de masse destinée à forcer la main du gouvernement sur cette question. Une série de grands rassemblements eut lieu de façon presque hebdomadaire durant tout l’été dans tous les districts du textile du Nord du pays, et le Lancashire était une nouvelle fois en première ligne. Lors d’un des premiers rassemblements, celui d’Oldham au début du mois de juin, on décida de préparer non pas une pétition au Parlement ni une remontrance pour la Couronne, mais une belliqueuse « Adresse au peuple d’Angleterre » :

« Si ces lois sur les grains et les autres limites sur l’importation de produits de l’agriculture ne sont pas abrogées, et si le suffrage universel ainsi que l’élection annuelle du Parlement ne sont pas adoptés afin d’éviter que de telles lois soient à nouveau votées, les membres de cette assemblée sont convaincus que les travailleurs de ce pays ne pourront plus préserver leur existence ; et que s’ils doivent mourir, soit de faim, soit en défendant leurs droits, alors ils n’hésiteront guère avant de choisir cette dernière option42. »

27Cet appel est similaire à celui lancé par ceux qui menaient les émeutes de la faim durant la guerre, et qui proclamaient « Plutôt pendus qu’affamés ! » Ces révoltés de la faim en appelaient à une justice supérieure (et de telles émeutes avaient eu lieu récemment à Manchester, pas plus tard qu’en 1812), ce qui semble avoir donné naissance à la politique de « la liberté ou la mort » après-guerre43. En mai, lors d’un rassemblement public à Ashton-under-Lyne, à l’est de Manchester, on décida d’inviter Henry Hunt à venir dans le Nord pour s’adresser à un grand rassemblement à Manchester. L’invitation fut envoyée formellement par la Manchester Patriotic Union44.

28À ce stade, la stratégie des meneurs radicaux, Henry Hunt inclus, semblait être de créer une succession de grands rassemblements apparemment au bord de l’insurrection, conjurant ainsi une perspective crédible de rébellion sans pour autant l’encourager dans les faits. Les autorités rassemblèrent des preuves de trahison dans les discours proférés depuis plusieurs tribunes, mais de telles preuves ne tiendraient pas devant une cour de justice45. On rapporta à plusieurs reprises que des forgerons produisaient des piques en grand nombre, et que d’importants groupes se livraient à des manœuvres quasi militaires tôt le dimanche matin dans la région autour de Manchester. « Ils prétendent faire cela pour se présenter à Manchester en bon ordre », écrivit un juriste professionnel au Home Office (le ministère de l’Intérieur). « Mais l’insurrection et la rébellion sont leur véritable objectif46. » Certes, il nourrissait des préjugés à l’encontre des suspects, mais peut-être avait-il bien reçu le message : si les radicaux voulaient convaincre le gouvernement qu’ils étaient sérieux, ils avaient réussi. Deux informateurs de la police découverts en train d’espionner la dernière session de ces manœuvres matinales à la veille du rassemblement furent roués de coup, renforçant ainsi l’impression générale d’insurrection en devenir.

29Bien que les partisans radicaux de la réforme se soient ostensiblement livrés à des manœuvres quasi militaires, et bien que les rumeurs selon lesquelles ils forgeaient des piques aient été crédibles et très répandues, on peut douter de leur capacité à mener une rébellion armée. La pique est principalement une arme défensive, qu’on plante dans le sol pour repousser des charges de cavaleries. Les radicaux avaient probablement en tête la déroute de l’expédition des blanketeers deux ans auparavant, qui aurait pu (selon certains) faire boule de neige jusqu’à Londres si elle avait pu partir sans encombre. Ceux qui furent témoins de ces manœuvres entendirent des ordres de faire feu suivis de claquements de main. Il s’agissait cependant de simples manœuvres pour fusiliers dont étaient coutumiers les vétérans menant l’exercice ; qui plus est, personne n’avait de fusil. Aucun des nombreux informateurs sur place n’apporta de preuve de manœuvres pour piquiers. Cette tactique d’intimidation vigoureuse, surnommée par John Belchem « la politique du désordre », avait pour but d’alarmer le gouvernement au point qu’ils accèdent aux requêtes des réformateurs, mais sans jamais rentrer dans l’illégalité. Cela peut sembler optimiste, mais c’est la tactique qui serait plus tard utilisée avec succès par les réformateurs whig de 1831-1832 afin de forcer le passage de la loi de réforme malgré les réticences du Parlement47.

30Hormis se rassembler en toujours plus grand nombre, le seul projet concret était celui de Thomas Wooler, rédacteur en chef du journal radical Black Dwarf, qui souhaitait faire élire des « mandataires législatifs » (Legislatorial Attorneys). Il s’agissait d’une variation sur le thème de la convention constituante, qui avait été violemment combattue quand elle avait fait surface pour la première fois en Écosse en 1793-1794. L’idée était cette fois-ci que ces mandataires législatifs, en fait des députés non officiels, soient élus par acclamation lors des grands rassemblements, et qu’ils iraient à Westminster pour exiger le respect du droit à la représentation de leurs électeurs, et ainsi forcer la main au gouvernement. Idéalement, avec d’importantes foules d’électeurs potentiels derrière eux. Le baronet radical Sir Charles Wolseley, qui aimait à se vanter d’avoir été présent lors de la prise de la Bastille, fut élu mandataire législatif à Birmingham le 12 juillet. De tels représentants étaient aux yeux du gouvernement des « Délégués à la Convention Nationale » calqués sur le modèle révolutionnaire français : en conséquence, on obtint très vite la confirmation par le procureur général du fait qu’élire un député sans l’approbation du roi était illégal. « Lord Sidmouth espère ainsi que si une telle tentative d’élection devait avoir lieu à Manchester, des mesures devraient être prises pour livrer les contrevenants à la justice », conseilla-t-on au magistrat de Manchester James Norris le 17 juillet. Wolseley fut bien arrêté, et par la suite accusé avec succès48. On affirma que la mise en accusation rapide de Wolseley pour sa nomination illégale eut « un effet salutaire » sur les réformateurs de la métropole, et que Hunt, toujours soucieux du respect de la loi, ne manquerait pas d’en prendre note. Le rassemblement fut repoussé du 2 au 9 août et l’avis fut scrupuleusement reformulé : le but du rassemblement n’était pas d’élire un mandataire législatif mais simplement « d’étudier le bien-fondé » d’un tel acte. Les magistrats de Manchester déclarèrent ce rassemblement illégal et diffusèrent des avis prévenant les citoyens qu’ils s’y rendraient « À leurs risques et périls ». Les radicaux demandèrent les conseils d’hommes de loi et repoussèrent à nouveau le rassemblement d’une semaine. Ils abandonnèrent toute référence à un mandataire législatif et reformulèrent l’objectif du rassemblement : il s’agissait désormais de « considérer le bien-fondé de l’adoption des moyens les plus légaux et efficaces d’obtenir une réforme49 ». Hunt insista sur le fait que le rassemblement devait être complètement légal, et incita ceux qui s’y rendirent à n’amener aucune arme, et même à laisser toute canne ou bâton à la maison au cas où ils seraient considérés comme des armes. Il alla jusqu’à se rendre aux magistrats avant le rassemblement pour vérifier qu’il n’y avait rien d’illégal dans la manière dont tout avait été organisé ; il n’en était rien.

31Quel était le but du rassemblement de Manchester le 16 août 1819 ? Il semble qu’il n’y avait ni représentant à élire, ni pétition ou remontrance à soumettre, ni soulèvement à mettre en branle. Même si toute mention d’un « mandataire législatif » avait été évitée lors de la promotion de ce rassemblement, ce dernier aurait tout à fait pu suivre son cours et élire Hunt dans ce rôle afin d’assurer la réforme ; mais cela aurait constitué une entorse à la politique légaliste de Hunt. Dans tous les cas, de quelle circonscription aurait-il été le mandataire ? Pas Manchester : dès le départ, Hunt avait insisté auprès des organisateurs mancuniens pour que le rassemblement attire des participants d’au moins quinze kilomètres à la ronde, comme ce fut effectivement le cas. Le rassemblement ne pouvait pas non plus représenter le comté du Lancashire dans son ensemble. En 1817 encore, les organisateurs suivaient la procédure légale et demandaient la permission d’organiser un rassemblement aux autorités compétentes avant de s’en charger eux-mêmes : de telles manœuvres de diversion avaient été abandonnées. Le rassemblement de St Peter’s Field visait simplement à réunir un aussi grand nombre de travailleurs de la région de Manchester qu’il était physiquement possible de recevoir en un seul lieu, en suivant un principe nouveau et inclusif. En effet, l’assemblée de St Peter’s Field devait faire partie d’une série de rassemblement dans toute l’Angleterre qui à eux tous allait constituer une grande convention constitutionnelle, réunie directement plutôt que via des délégués. Si les blanketeers avaient atteint leur objectif, une importante foule venue de province aurait gagné la capitale en force pour soutenir sa pétition et sa remontrance au prince-régent. Les rassemblements de 1819, répartis dans le temps et l’espace, avaient le même but : ils constituaient un unique acte collectif, porté à l’attention du gouvernement à Londres par le pouvoir de la presse. Des reporters du London Courier et du Times, et des puissants périodiques régionaux tels le Leeds Mercury et le Liverpool Mercury étaient présents, un cas unique pour un rassemblement politique de province. En bref, il s’agissait là d’un exemple du genre de démocratie participative que les réformateurs appelaient de leurs vœux ; en l’organisant à l’échelle régionale, ils espéraient la faire naître à l’échelle nationale.

32Cette stratégie de mobilisation spontanée et ouverte libéra les radicaux, leur permettant de rallier l’ensemble de la communauté et de ses ressources culturelles au mouvement. La forme du rassemblement de Manchester était aussi importante que la rhétorique adoptée. Les marcheurs qui étaient venus des districts de l’industrie textile à plus de quinze kilomètres à la ronde étaient venus planter la banderole de leur communauté autour de la tribune, avant de se reculer pour regarder les discours. Ils ne demandaient pas le suffrage simplement pour eux-mêmes en tant qu’individus, mais pour tous les lieux sous-représentés dont ils venaient. On le voit dans les descriptions écrites comme dans les représentations visuelles du rassemblement : ces dernières prirent la peine d’offrir une vision réaliste de la scène qui rejoint les nombreuses descriptions contemporaines. Ils marchaient en communauté, parfois accompagnés par des membres de leur famille ; on comptait d’ailleurs un nombre important de femmes et même quelques enfants. Ils marchaient en ordre de défilé, dans leurs plus beaux vêtements, avec des groupes de musique, des drapeaux et des banderoles, imitant ainsi la forme et l’esprit des fêtes traditionnelles ou des parades des sociétés amicales, fréquents dans la région durant les mois d’été. Ils occupèrent l’espace public pour mettre en scène l’injustice de leur exclusion, et ils mirent les autorités au défi de les attaquer et d’ainsi révéler leur propre manque de légitimité. En cela, ces partisans de la réforme ressemblent aux foules en campagne pour la démocratie qui, dans le dernier quart de siècle, ont renversé des régimes politiques partout en Europe centrale, en Europe de l’est et au-delà. Le message implicite était qu’ils avaient toutes les caractéristiques de communautés civiques et qu’ils méritaient le vote qui allait avec. L’ironie résidait cependant dans le fait qu’ils paradèrent à Manchester, une ville qui n’était pas réformée, et à laquelle il manquait à la fois statut et représentation parlementaire. Les autorités auxquelles ils s’opposèrent étaient elles-mêmes un parfait exemple de cette « vieille corruption », et elles n’avaient aucune façon légale de refuser aux partisans de la réforme l’utilisation de l’espace urbain, ni aucune manière de les arrêter physiquement à part l’usage de la force.

33Une autre caractéristique frappante des rassemblements de 1819 était l’utilisation du langage et des symboles du patriotisme. Comme l’a montré James Epstein, les bonnets phrygiens arborés représentaient certes un souvenir provoquant de la Révolution française, mais leur symbolisme était d’abord patriotique. Le bonnet phrygien, symbole romain de l’esclave libéré, avait figuré sur le penny britannique jusqu’en 1792. Lorsque la guerre éclata en 1793 il fut remplacé par un trident, laissant le bonnet phrygien à la France révolutionnaire. En 1819, les partisans de la réforme voulurent se réapproprier cette liberté qui était leur héritage national. Celles qui se présentèrent au rassemblement en robe blanche, l’une d’elles dans la calèche d’Henry Hunt et l’autre sur la tribune, semblaient vouloir présenter les orateurs sous des couleurs radicales. De la même manière, des femmes patriotes avaient présenté les couleurs nationales aux troupes dans les rassemblements de volontaires à l’époque des guerres napoléoniennes. La robe de ces femmes avait peut-être rappelé aux autorités la figure révolutionnaire qu’était Marianne, mais leur modèle était bien plutôt Britannia. On pouvait voir sur une des banderoles une figure féminine de la justice, associée à tort par les autorités à la figure de proue révolutionnaire qu’était Marianne ; il s’agissait en fait d’une représentation de la justice avec son épée et sa balance, dont le peuple était familier car elle était présente sur le palais de justice de l’Old Bailey à Londres. Cette même version féminisée du monarchisme populaire referait surface lors de l’agitation irrésistible en faveur de la reine Caroline en 1820-182150. À l’exception de la figure de Britannia cependant, le langage radical portait surtout sur la liberté anglaise, la constitution anglaise, « les droits des Anglais » et l’appel au « Roi d’Angleterre ». On aurait dit que les radicaux avaient souhaité célébrer une forme de patriotisme spécifiquement anglais, contre la Britishness favorisée par l’État et associée aux années de guerre.

*

34S’il est un fait incontestable au sujet de Peterloo, c’est le suivant : un rassemblement pacifique de partisans de la réforme fut attaqué, sans provocation physique de leur part, par des troupes locales d’engagés volontaires – la Manchester Yeomanry – aux ordres des magistrats locaux, et avec l’accord de principe du gouvernement central.

35Les autorités, se voyant incapables de pénétrer ce nouveau réseau ouvert, y virent la preuve que le complot de 1819 était encore plus largement répandu et profondément ancré que celui de 1817, et paniquèrent. Dans ce grand rassemblement de la « plate-forme de masse », ils ne voyaient qu’une foule qui n’était ni limitée par une autorité, ni contenue en un lieu ni réduite à un but, une foule assemblée par les filets des conspirateurs qui souhaitaient importer en Angleterre les bains de sang de la Révolution française. À l’inverse, les réformateurs se voyaient comme des patriotes anglais, des victimes pacifiques de la tyrannie ; ils se voyaient en représentants de leurs familles et de leurs communautés, utilisant la menace de l’agitation sociale et de la force du nombre en bons descendants des patriotes anglais d’antan. Dans une société qui était peut-être plus divisée qu’à tout autre point de son histoire, un gouffre culturel s’était ouvert, et il ne pouvait que déboucher sur la violence. Le fait que la violence physique n’ait été que d’un côté en dit long sur la résilience et l’enracinement profond du mouvement anglais pour la démocratie.

Notes de bas de page

1 « Vous êtes nombreux, ils sont peu », Shelley P. B., The Masque of Anarchy, n. p.

2 Les travaux les plus récents sur Peterloo sont les suivants : Navickas K., Protest and the Politics of Space and Place, 1789-1848, Manchester, Manchester University Press, 2016 ; Poole R. (éd.), Peterloo revisited : Manchester Region History Review, n° 23, 2012, disponible au Manchester Centre for Regional History [http://buyonline.mmu.ac.uk/] ; Poole R., « The march to Peterloo : politics and festivity in late Georgian England », Past & Present, n° 192, 2006, p. 109-153, et « “By the law or the sword” : Peterloo revisited », History, n° 91/2, 2006, p. 254-276 ; Bush M., The Casualties of Peterloo, Lancaster, Carnegie Publishing, 2005, et id., « The women at Peterloo : the impact of female reform on the Manchester meeting of 16 August 1819 », History, n° 89/2, 2004, p. 209-232.

3 L’expression anglaise « mass platform » renvoie à une stratégie visant à rassembler des masses de plus en plus nombreuses pour imposer la réforme électorale. « Platform » peut signifier tribune, mais désigne plutôt ici le programme radical que ses instigateurs essaient d’imposer (N.D.T.).

4 « The shock city of the industrial revolution. »

5 Foster J., Class Struggle in the Industrial Revolution, Londres, Weidenfield & Nicholson, 1974, p. 143, 140-149, 3-7.

6 Il convient de faire la remarque suivante : « Rethinking Chartism », l’essai fondateur de Gareth Stedman Jones principalement connu en tant que chapitre de son livre Languages of Class, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, fut tout d’abord une communication de 1977 dans laquelle il critiquait les modèles de l’offre qui essayaient de dé-corréler troubles populaires et structure de classe. Cette même communication développait des questions soulevées dans une recension du Class Struggle de Foster. Voir Epstein J. et Thompson D. (éd.), The Chartist Experience, Londres, Macmillan, 1982. E. P. Thompson accueillit en Foster « une voix qui requiert notre attention », tout en exprimant des réserves quant à son « idéalisme réductionniste » : Thompson E. P., « Testing class struggle », Times Higher Education (coupure non datée, 1974/5). Pour un réexamen minutieux des preuves de Foster, voir Winstanley M., « Oldham radicalism and the origins of popular liberalism, 1830-1852 », Historical Journal, 36/3, 1993, p. 619-643.

7 Tilly C., Popular Contention in Great Britain 1758-1834, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1995.

8 Cobb R., The Police and the People : French Popular Protest 1789-1820, Oxford, Oxford University Press, 1970, p. 120-121 : « Get back into line, you are part of the Popular Movement. » Le livre de Cobb n’eut pas autant d’influence sur les historiens du mouvement qu’il n’aurait pu, sans doute à cause du mélange unique qu’il incarnait : engagement communiste initial, sympathie pour ceux qui sont dans l’erreur, longue immersion dans les sources, esprit de contradiction très oxonien, et vulgarité à l’avenant.

9 Emsley C., British Society and the French Wars 1793-1815, Londres, Macmillan, 1979 ; Uglow J., In These Times : Living in Britain through Napoleon’s Wars, 1793-1815, Londres, Faber, 2014.

10 Dickinson H. T. (éd.), Britain and the French Revolution, Londres, Macmillan, 1989 ; Dinwiddy J. R., Radicalism and Reform in Britain, 1780-1850, Londres, Hambledon, 1992, chap. 11 ; O’Gorman F., The Long Eighteenth Century, Londres, Bloomsbury, 1997.

11 Thompson E. P., The Making of the English Working Class, 1963, Penguin, 1968, trad. fr. La formation de la classe ouvrière en Angleterre, Paris, Seuil, 1988, chap. 14 ; Dinwiddy J. R., Baxter J. L. et Donnelly F. K., « Debate : the “Black Lamp” in Yorkshire 1801-1802 », Past & Present, n° 64, 1974, p. 113-123.

12 Semmel S., Napoleon and the British, Yale, Yale University Press, 2004 ; Spence P., The Birth of Romantic Radicalism : War, Popular Politics and English Radical Reformism, 1800-1815, Aldershot, Scolar Press, 1996 ; Cookson, J. E., The British Armed Nation, 1793-1815, Oxford University Press, 1997 ; Navickas K., Loyalism and Radicalism in Lancashire 1798-1815, Oxford University Press, 2009 ; Poole R., « French revolution or peasants’ revolt ? Petitioners and rebels from the Blanketeers to the Chartists », Labour History Review, n° 74/1, 2009, p. 6-26 ; Bensimon F., « Radicalisme, contestation et mobilisations populaires en Grande-Bretagne, 1810-1820 », in J.-C. Caron et J.-P. Luis (éd.), Rien appris, rien oublié ? Les Restaurations dans l’Europe post-napoléonienne (1814- 1830), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 65-74.

13 Il s’agit là d’une affirmation un peu impressionniste tirée d’une lecture approfondie des Home Office Disturbances Papers, HO 40 et HO 42, aux Archives Nationales de Kew (The National Archives, TNA par la suite).

14 Wood G. D’A., Tambora. The Eruption that Changed the World, Princeton, Princeton University Press, 2014, chap. 2-3.

15 Rogers N., Crowds, Culture and Politics in Georgian Britain, Oxford, Oxford University Press, 1998 ; Randall A., Riotous Assemblies : Popular Protest in Hanoverian England, Oxford, Oxford University Press, 2006 ; Clark A., Scandal : The Sexual Politics of the British Constitution, Princeton, Princeton University Press, 2004 ; Chase M., 1820 : Disorder and Stability in the United Kingdom, Manchester, Manchester University Press, 2013 ; Navickas, Protest, op. cit., p. 312. La citation originale de Navickas est la suivante : « Particular conceptions of place deffned by both customary rules and usages, and by its inhabitants, who themselves were deffned by trade, gender, religion and ethnicity. »

16 Cobbett’s Political Register, 3 novembre 1816 : « As to the cause of our present miseries, it is the enormous amount of the taxes, which the Government compels us to pay for the support of its army, its placement, its pensioners, & c., and for the payment of the interest of its debt… This intolerable weight has all proceeded from the want of a Parliamentary Reform… remedy consists wholly and solely of such a reform in the Commons’ or People’s House of Parliament, as shall give to every payer of direct taxes a vote at elections, and as shall cause the Members to be elected annually. »

17 « PUBLIC Meeting. The Boroughreeve and Constables of Manchester, having declined to call a Public Meeting, to take into consideration the present deep and general Distress, its primary Cause, and radical Remedy ; although solicited so to do, by about four hundred Inhabitant Householders ; therefore we, the undersigned Inhabitant Householders of Manchester, deeming such a Meeting highly necessary, do hereby appoint a meeting for the above purpose, to take place near St PEter’s church, on monday the 8th day of October, 1816, at Eleven o’Clock in the forenoon » : TNA HO 42/154, fo 501, Thomas Jackson, Manchester, to Home Office, 19 octobre 1816 ; HO 42/155, fo 107.

18 A Report of the Proceedings of the Public Meeting Held in… Manchester… Oct. 28th, 1816, Manchester, 1816, TNA TS 24/3, fo 71.

19 TNA 2/157, fo 308.

20 TNA HO 40/9/4, fo 440-1 : « The People of Middleton […] have determined not to wait till the second of March for they say before that time we shall all be starved to Death even with all the assistance of the Soup Kettle. »

21 Huish R., History of Henry Hunt, Londres, T. Dolby, 1836, p. ii, 26-42 ; Cobbett’s Weekly Political Pamphlet, 22 février 1817 ; Manchester Political Register, 1er février 1817 ; Bamford Samuel, Passages in the Life of a Radical (1839-1841, éd. 1844), éd. W. H. Chaloner, Londres, Cass, 1967, chap. 6, traduction française : Épisodes dans la vie d’un radical, Paris, Éditions sociales, à paraître en 2018.

22 Colley L., Britons. Forging the Nation, 1707-1837, New Haven, Yale University Press, 2005, p. 318-319 ; Cookson J. E., The British Armed Nation, 1793-1815, Oxford, Oxford University Press, 1997, chap. 8.

23 Black Dwarf, 10 février 1817 : « Our ancestors… approached their monarchs with petitions, it is true ; but then they carried arms in their hands to support them… Was John petitioned to sign Magna Charta : – Was Charles petitioned to lay down his head upon the block : – was James petitioned to abdicate his throne ? Or was William petitioned to accept the Bill of Rights ? No ! No ! The right of petitioning with your ancestors meant the right of laying their grievances before the highest authority, and demanding, or Enforcing an attention to their wrongs. »

24 Les blanketeers tirent leur nom de la couverture (blanket) ou du manteau roulé qu’ils portent.

25 Poole, « French revolution », art. cité, p. 13-15.

26 « The right of petition », Black Dwarf, 12 février 1817 ; « Blanketeers’ lists and questionnaires », National Archives, HO 42/164 et HO 42/172.

27 Thompson, Making, op. cit., p. 733 : « One of the ffrst attempts in history to mount a wholly proletarian insurrection. »

28 En français dans le texte.

29 Poole R., « “To the last drop of my blood” : politics and melodrama in early nineteenth-century England », in K. Newey, J. Richards et P. Yeandle (éd.), Performance, Politics and Popular Culture in Nineteenth-Century Britain, Manchester, Manchester University Press, 2016, p. 21-43.

30 Une conférence intitulée « Transnational Cultures of Petitioning » qui a eu lieu à l’université de Manchester en 2015 fera prochainement l’objet d’un numéro de Social Science History, 2017. Voir « The Transformation of Petitioning in the Long Nineteenth Century (1780-1914) », Social Science History, n° 43/2, à paraître en 2019.

31 Belchem J., “Orator” Hunt : Henry Hunt and English Working-Class Radicalism (1985), Londres, Breviary Stuff Publications, 2012.

32 Belchem J., « Republicanism, popular constitutionalism and the mass platform in early nineteenth-century England », Social History, n° 6/1, 1981, p. 1-32.

33 Chase M., The People’s Farm (1988), Londres, Breviary Stuff Publications, 2010, chap. 4.

34 « A sacred trust and inheritance held only by the free consent and for the sole welfare and benefft of the people. »

35 « Go forth as the Barons of old with a Sword in one hand and the Bill of Rights in the other and demand your Birthrights » : Belchem, « Orator » Hunt, op. cit., p. 66-67 ; Prothero I., Artisans and Politics in Early Nineteenth-Century London, Folkestone, Dawson, 1979, chap. 6.

36 Hall R. G., « Tyranny, work and politics : the 1818 strike wave in the English cotton district », International Review of Social History, n° 34/3, 1989, p. 433-470 ; Aspinall C. (éd.), The Early English Trade Unions, Londres, Batchworth, 1949. Le recueil de documents des Archives Nationales de Kew édité par Aspinall est précieux mais oublie de nombreux points importants, et malgré l’excellent travail de Hall une histoire complète de cet épisode reste à écrire.

37 Manchester Observer, 23 janvier 1819, réimprimé dans Read D., Peterloo : The “Massacre” and its Background, Manchester, Manchester University Press, 1958, annexe A : « We, the inhabitants of the towns of Manchester, Salford and their vicinity, in the name and on behalf of ourselves and our oppressed and enslaved fellow-countrymen, beg leave to approach your Royal Highness with a Declaration of our manifold grievances, and a Remonstrance against the cruel, illegal and unconstitutional acts of the corrupt and wicked administration, that has so long been imposed on your Royal Highness by the great and the overwhelming Borough Proprietors of this Country. »

38 Ibid. : « That according to the ancient Laws and Constitution of England, every Freeman (either in his own Person or by delegation) is entitled to a share, in the Government of his Country… That the Crown is a sacred trust and inheritance, held only by the free consent and for the sole welfare and benefft of the People. That whenever the executive branch is incapable of discharging its duties to the nation, or ceases to fulffl the objects for which it was created, the social compact is, de jure, dissolved ; the People are released from their allegiance, and have a right, if it pleases them, either to form a new Government or return to a state of nature. »

39 Ibid. : « If we be asked, what is it we want ? we answer briefly, the impeachment, and if found guilty, the condign punishment of the present Ministers – A change of measures, and in immediate abolition of the odious and accursed Boroughmongering system – a radical, and such a complex Reform, as will secure to the People the exercise of that great and incontrovertible principle, that every human being is entitled to an equal participation in the sacred blessings of political freedom ; and every industrious labourer, manufacturer and mechanic, has a right to reap the ample and substantial fruits of his virtuous and useful toil. »

40 Manchester Observer, 30 janvier-13 février 1819.

41 Belchem, Orator Hunt, op. cit., p. 69-74 : « This is the last time that we will petition ! »

42 Manchester Observer, 12 juin 1819, réimprimé dans Read, Peterloo, op. cit., annexe B : « That if these Corn Laws and other restraints on the importation of agricultural produce be not repealed, and Universal Suffrage, and Annual Parliament be not adopted to prevent their recurrence, this Meeting is convinced, that the labouring part of the people of this country, cannot long preserve their existence : and if they must die, either by starvation, or in defence of their rights, they cannot hesitate to prefer the latter. »

43 Bohstedt J., The Politics of Provisions, Farnham, Ashgate, 2010, p. 224.

44 Manchester Observer, 29 mai 1819.

45 Manchester Observer, 12 juin, 19 juin, 3 juillet 1819.

46 HO 42/191 fo 203, Norris à Sidmouth, 12 août 1819 : « They affect to say that it is for the purpose of appearing at Manchester in better order […] Insurrection and rebellion is their ulterior object. »

47 Belchem, “Orator” Hunt, op. cit., chap. 4 ; Mitchell L. G., « The Whigs, the people, and reform », in T. Blanning et P. Wende (éd.), Reform in Britain and Germany 1750-1850, Oxford, Oxford University Press, 1999, p. 25-41. Belchem utilise l’expression « the politics of disorder ».

48 TNA HO 79/3 part 3, fo 422, Hobhouse à Byng, 8 juillet 1819 ; HO 41/4, p. 358, Hobhouse à Norris, 17 juillet 1819 : « Lord Sidmouth therefore hopes that if such an election should be attempted at Manchester, measures will be taken for bringing the offenders to justice. »

49 TNA HO 79/3 part 3, fo 447 Hobhouse à Hay, 23 juillet 1819 : « To consider the Propriety of adopting the most LEGAL and effectual means of obtaining a reform. »

50 Mather R., « These Lancashire women are witches in politics’ : female reform societies and the theatre of radicalism », in R. Poole (éd.), Return to Peterloo, Lancaster, Carnegie Publishing, 2014, p. 49-64, et id., « “The same power that scourged us is now oppressing you” : The Queen Caroline affair in North-West England, 1820-1821 », Transactions of the Historic Society of Lancashire and Cheshire, n° 162, 2013, p. 137-158. Voir également Poole R., Peterloo : the English Uprising, Oxford, Oxford University Press, à paraître en 2019.


Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.