Introduction à la première partie
p. 19-20
Texte intégral
1Appréhender les universités au moment de leur création permet de saisir d’emblée la très grande diversité des formes possibles de manifestation spatiale d’une telle présence dans la ville. Il ne s’agit pas ici de revenir sur les différents modèles architecturaux qui existent ou ont pu exister dans le monde et de les comparer, mais d’illustrer, à travers l’histoire singulière de cinq universités, combien, dans chaque cas, le processus de constitution d’un espace universitaire est complexe et progressif, et même souvent chaotique (et comme le montreront les parties suivantes, jamais achevé).
2La chose ne surprend guère pour la période médiévale où l’enseignement s’est souvent développé avant que les pouvoirs publics n’aient pu esquisser une politique de contrôle des institutions ou des hommes – l’acte de fondation entérine alors une activité déjà effective – et, surtout, sans que ces pouvoirs n’aient eu les moyens de remodeler en profondeur des lieux déjà investis. En se limitant aux cas présentés ici, on l’observe à Bologne durant tout le Moyen Âge : l’université est avant tout faite d’hommes et s’accommode d’une dissémination des lieux de vie et d’étude dans un quartier, sans disposer de siège ou même de bâtiment phare qui manifeste dans la pierre l’existence de l’institution. De ce fait, la présence universitaire reste longtemps diffuse, réduite à un quartier à la morphologie peu spécifique qui se distingue avant tout par ses caractéristiques sociales avec la concentration des étudiants et des professeurs.
3Ces traits perdurent largement à la période moderne et même au-delà, y compris dans les cas où le développement de l’université répond à une forte volonté politique. Ainsi à Strasbourg pendant le xvie siècle, où malgré le soutien marqué de la municipalité l’argent manque toujours pour bâtir à neuf et où le Gymnase de Sturm réinvestit le couvent dominicain. En dépit de la double rupture pédagogique et confessionnelle, le poids des héritages reste alors prégnant. Si les espaces académiques sont ensuite progressivement adaptés, on notera que la promotion du gymnase en académie habilitée à délivrer les grades (1566) et enfin en université (1621) ne correspond à aucun aménagement nouveau, démontrant, au moins à Strasbourg dans la première modernité, la dissociation des fondations officielles et des franches ruptures spatiales ou matérielles. De même, l’université de Göttingen, fondée ex nihilo en 1734 par l’électeur de Hanovre dans une petite ville, commence également par s’installer dans un ancien couvent dominicain devenu école illustre au temps de la Réforme. Si celui-ci fait bien office de siège officiel, il ne permet pas d’identifier l’institution à un lieu unique puisque dans les décennies qui suivent est construite une série hétéroclite de bâtiments liés à l’université (manège, maison de professeur, auberge, observatoire, logements étudiants) et disséminés dans la ville. L’exemple de la faculté des sciences de Lille, créée en 1854 et installée dans les murs du lycée jusqu’à la fin des années 1880, comme celui de l’université de Messine, toujours éclatée après la reconstruction consécutive à la table rase du séisme de 1908, montreraient enfin que ces remarques se vérifient parfois jusqu’au xxe siècle.
4On ne conclura pas pour autant à l’indifférence de l’institution universitaire aux espaces qu’elle occupe. Si les exemples qui viennent d’être évoqués montrent la capacité de l’institution à naître et croître dans des bâtiments ou des quartiers qui ne sont pas spécifiquement universitaires, la création d’espaces nouveaux qui lui sont dédiés conduit ailleurs ou à d’autres moments à une transformation complète de la nature et du fonctionnement universitaire. Ainsi la construction de l’Archiginnasio de Bologne en 1562, en plus de la concentration des activités académiques dans un bâtiment unique et emblématique, réalise la mise au pas de l’institution voulue par la papauté qui en avait la tutelle et consacre l’effacement définitif d’un pouvoir étudiant longtemps dominant dans cette université. La construction des nouveaux bâtiments de l’université de Strasbourg, devenue allemande après 1871, qui répond à un programme à la fois scientifique, politique et urbanistique, apparaît dans cette perspective comme une véritable refondation. Dans ce dernier cas, tardif, l’université est véritablement conformée par les lieux qui l’abritent tout en constituant un outil de transformation de la ville.
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