Le SO gaulliste s’organise au printemps 1947 de manière désordonnée et inefficace

1Si dans la presse d’opposition les premières mentions du SO gaulliste remontent à la fin avril 1947 (soit deux semaines seulement après le lancement du RPF)1, la première circulaire émanant de la direction du Rassemblement et concernant le service d’ordre à l’échelle nationale date seulement du 4 août 1947 (circulaire n° 32). À cette date, le secrétaire général Jacques Soustelle, encore installé au 81 de la rue Taitbout, indique par ordre de mission, que « Monsieur de Rancourt » est chargé de « l’organisation et de la coordination des éléments du service d’ordre sur le plan national2 ». La note précise que son adjoint se nomme « Monsieur Sambon ». Il semble donc que le Rassemblement n’ait pas disposé pendant les premiers mois de son histoire (d’avril à juillet) d’un véritable appareil de sécurité si ce n’est quelques groupes informels et locaux3. Début juillet déjà, l’important département de la Seine dispose d’une équipe SO dirigée par le même tandem Rancourt-Sambon. Mais rien de vraiment structuré à l’échelle nationale4. La plupart des notes, rapports et circulaires conservés débutent à partir du printemps 1948, reflet sans doute de l’état embryonnaire du SO gaulliste dans ses premiers mois5.

2Rappelons au demeurant que si le RPF est lancé à la mi-avril 1947, le Rassemblement ne se structure véritablement qu’à partir de l’été. Le comité exécutif se réunit pour la première fois le 17 juillet au 40 de la rue Lapérousse tandis que le secrétariat général (dont dépend le SO) doit attendre le 13 novembre pour voir son rôle défini par « instruction ». Le retard avec lequel est mis en place l’appareil de sécurité n’a donc rien d’exceptionnel au regard de la lenteur globale avec laquelle se construit administrativement le parti. Les premiers incidents sérieux avec le PCF n’éclatent qu’après le discours offensif du Général à Rennes le 27 juillet 1947 au cours duquel il qualifie les communistes de « séparatistes ». Jusqu’à cette date, les accrochages restent limités et les gaullistes n’ont donc pas à souffrir de l’absence d’un vrai service d’ordre. La désinvolture avec laquelle ce dernier se met en place au mois d’août n’en reste pas moins étonnante. Alors que pendant quatre mois, la direction du parti a pris le temps de définir dans une trentaine de circulaires les moindres détails de son organisation, allant jusqu’à préciser la couleur dans laquelle doivent être peintes ou repeintes les permanences de ses fédérations départementales, le problème de la sécurité n’a pas été véritablement envisagé.

3Du reste, la fonction de responsable SO ne figure pas en tant que telle dans les premiers organigrammes nationaux et locaux du RPF. Dans la pratique, la charge incombe au sein des groupements départementaux et des comités de canton ou d’arrondissement au « chef des équipes de propagande » à qui les circulaires demandent fin juin de « prendre la direction du service d’ordre des réunions ». Dans la mesure où ces « équipes » composées essentiellement de jeunes doivent déjà et principalement s’occuper des tâches de propagande (organisation des permanences, tenue des réunions, collages d’affiches, distribution de tracts et surtout vente du journal), les considérations relatives à la sécurité ne constituent pas leur priorité. En combinant propagande et sécurité, le RPF s’inscrit dans un modèle militant hérité des ligues nationalistes de la fin du xix^e siècle (des « commissaires » de Déroulède aux « camelots » de l’Action française) prolongé dans l’entre-deux-guerres par les Jeunesses patriotes et les Croix-de-Feu. Fin août 1947, le secrétariat général tire une première fois le bilan des déficiences observées en matière de service d’ordre. Jacques Soustelle attire l’attention des responsables de la propagande « sur la nécessité de constituer un service d’ordre discret, sérieux mais efficace ». Les secrétaires départementaux sont invités à indiquer le nom de leur responsable sécurité respectif, qui se verra préciser « les règles précises de l’organisation des réunions privées ou publiques6 ». Le service d’ordre commence à se structurer.

4Alors que le Rassemblement a été lancé dans un contexte de guerre froide et qu’il dispose d’anciens de la Résistance et de la France libre aptes à monter rapidement un service d’ordre, le sujet de la sécurité ne paraît pas avoir été jugé prioritaire par l’entourage du Général. La direction se concentre surtout sur la seule protection du président du Rassemblement qui bénéficie à son domicile comme dans ses déplacements militants d’une sécurité rapprochée doublant le dispositif policier et militaire offert par le gouvernement (et maintenu jusqu’à l’automne 1948). Faut-il y voir le résultat d’un manque d’expérience militante dans ce domaine ? Le PCF, dépositaire d’une culture d’autorité et de clandestinité comme d’un dispositif de sécurité interne bien rodé remontant aux combats de l’entre-deux-guerres puis de l’Occupation, n’a pas négligé ces questions. Il part donc dans la bataille avec une longueur d’avance7. La direction gaulliste se contente pour sa part de parer au plus pressé dans un esprit d’amateurisme. Le RPF allait payer durement son imprévoyance. Jusqu’à la fin 1947, les échecs répétés lors de heurts avec les communistes dans la banlieue rouge comme en province révéleront les limites politiques du Rassemblement : ce dernier a réussi une percée foudroyante aux municipales d’octobre mais ne tient pas la rue.

Léon Derancourt : un collaborateur et un escroc à la tête du service d’ordre gaulliste !

5Qui est celui que le secrétaire général du département de la Seine, Henri Ulver, appelle dans une circulaire du 30 juillet 1947 « Léon de Rancourt » ? Il est difficile de trouver des éléments biographiques sur le premier patron du service d’ordre du RPF. Loin de posséder une particule comme le pensait Henri Ulver, l’intéressé s’appelle plus modestement Léon Derancourt. Il s’agit d’un simple garagiste qui se fit passer à la Libération pour un héroïque résistant blessé au combat alors qu’il avait collaboré économiquement avec la Wehrmacht… Les pièces concernant cet imposteur ayant opportunément disparu des archives du RPF, ce sont les archives de la police et la presse d’opposition de l’époque (qui couvrit l’affaire Derancourt de 1948-1949) qui permettent de reconstituer son étonnant parcours8. Lors du procès Derancourt qui s’ouvre le 4 avril 1949 devant la première cour de justice de la Seine (l’instruction ayant été close en juin 1948), le public découvre le passé de celui qui est présenté dans les journaux communistes comme « le chef de la garde personnelle du général de Gaulle et organisateur du service d’ordre aux manifestations du RPF ».

6Propriétaire d’un garage rue Rémusat, Léon Derancourt entre durant l’Occupation en relation avec le GBK (General Bevollmächtige für das Kraftfahrwesen), service chargé de réquisitionner des véhicules pour l’armée allemande. Le Français se spécialise dans les boulangeries tractées qu’il prend d’autorité aux usines Fouga ou aux chantiers de la jeunesse pour les attribuer à la Wehrmacht. S’étant enrichi rapidement, il achète plusieurs propriétés dont la dernière est située à Loches, en Indre-et-Loire. C’est dans ce département qu’en juillet 1944, il fonde tardivement le réseau de résistance Jupiter. Il en profite pour détourner encore des fonds destinés aux combattants de l’ombre à la faveur d’un parachutage. S’étant autoproclamé capitaine et ayant rédigé lui-même le texte de ses citations, Léon Derancourt obtient du chef départemental des FFI, le capitaine Balzac, d’être proposé pour la croix de guerre à titre de blessé de la Résistance (alors que sa blessure était accidentelle9). Une des figures parisiennes de la Résistance, le colonel Gabriel Warluzel (maire du 16^e arrondissement à la Libération), accepte d’intégrer Derancourt dans une promotion concernant ses hommes. En décembre 1944 pourtant, la commission d’Indre-et-Loire lui retire son grade sans que l’on sache si c’était son casier judiciaire (condamnation pour chèque sans provision, abandon de famille et exercice illégal de la profession d’administrateur de sociétés) qui avait motivé cette décision ou des soupçons sur ses activités durant l’Occupation.

7Même si de nombreux collaborateurs de second rang parviennent à donner le change à la Libération en se prévalant d’illusoires titres de Résistance, il est étonnant qu’un pareil individu ait pu se voir confier la responsabilité du service d’ordre gaulliste10. Pourtant, Léon Derancourt assure avec d’autres la protection du Général dès l’année 1946 et se rend fréquemment à Colombey. L’année suivante, il devient chef du service de sécurité, percevant à ce titre la somme de 35 000 francs par mois. Le garagiste est encore de la délégation SO qui accompagne de Gaulle en Algérie le 12 octobre 1947 à l’occasion des municipales. Avec les autres figures de la sécurité du Rassemblement (Claude Dumont, René Serre, Alfred Sambon et le policier Deforge), il se rend à Oran. Pourtant, le 19 novembre, Jacques Soustelle diffuse une note indiquant pudiquement que M. de Rancourt cesse « d’exercer les fonctions de chef des GP à la date du 19 novembre pour raisons de santé ». M. Sambon se voit confier la fonction par intérim, à charge pour lui de « se présenter sans délai » au colonel Rémy (responsable des voyages du Général et des grands meetings du RPF). Le motif invoqué pour expliquer ce remplacement à la tête des GP (groupes de protection, autre appellation en 1947 du service d’ordre) n’est évidemment pas le bon. Que s’est-il passé ?

8Selon Patrice Chairoff, celui qu’il appelle imparfaitement « le colonel de Rancourt » est « contraint de démissionner en décembre 1948 pour détournement de fonds11 ». La triple erreur sur le nom, le grade et la date fragilise cette thèse portée qui plus est par un auteur douteux. Il est plus probable que la direction du RPF, mise au courant des agissements douteux du garagiste durant l’Occupation par ses propres services de renseignement (le SO étant aussi un SR) ou grâce à ses entrées dans la police, ait souhaité épurer discrètement la structure. La rue de Solférino évite ainsi le scandale et gagne quelques mois précieux avant l’ouverture de l’instruction concernant Léon Derancourt au printemps 1948. Quand le prévenu se présente au tribunal, le Rassemblement, qui a exclu l’intéressé à temps, peut se présenter en victime. Des responsables RPF viennent d’ailleurs à la barre rappeler que leur parti a participé à l’enquête ayant permis de démasquer l’imposteur. Comme attendu, la presse communiste n’accepte pas cette défense et laisse entendre que de Gaulle a recruté Léon Derancourt en toute connaissance de cause. Cette affaire, qui s’inscrit dans une série d’autres scandales touchant alors des responsables du service d’ordre gaulliste (affaire Georges Davoine en avril 1948, affaire Jacques Chavannes en novembre 1948, affaire Jean-Louis Lamoure en septembre 1949), permet de discréditer le RPF au travers de son appareil de sécurité. Elle valide le discours communiste sur le parti gaulliste violent et factieux, repaire de « nervis » armés au passé trouble et à la solde de « l’aspirant dictateur12 ». S’y retrouve la lecture marxiste d’un capitalisme finissant, incapable de s’opposer aux masses si ce n’est en s’alliant avec le fascisme et ses hommes de main.

9Le scandale intéresse aussi le PCF en ce qu’il lui permet de disqualifier le Rassemblement comme autre parti de la Résistance. Le retentissement donné par les communistes à l’affaire Derancourt est lié aux polémiques alors en cours sur le statut de résistant. Ce statut a représenté dans la France de l’immédiat après-guerre un enjeu politique de mémoire et donc de controverse entre gaullistes et communistes13. L’ordonnance du 3 mars 1945, qui ouvre un droit à réparation financière et définit les critères du combattant volontaire de la Résistance, avait été précisée par la loi du 15 mai 1946. Celle-ci défendait la vision gaulliste d’une lutte armée par des forces régulières au détriment d’une lecture communiste exaltant le caractère civil et populaire du combat clandestin. Dès l’exclusion du gouvernement des ministres PCF, le débat fait rage entre les tenants d’une conception extensive de la Résistance comme phénomène politique de masse répondant à l’appel du CNR et débouchant sur l’insurrection révolutionnaire de la Libération, et ceux qui défendent une approche plus restrictive et structurée de la Résistance privilégiant celle des réseaux et des FFL. La crise éclate à l’occasion de la loi du 25 mars 1949 modifiant le statut des CVR dans un sens défavorable aux anciens FTP proches du parti communiste. Le procès Derancourt qui s’ouvre un mois à peine après la difficile adoption de la loi, offre au PCF l’occasion de réaffirmer son identité exclusive de parti des fusillés en dévalorisant le RPF sur ce même registre. Relatant le parcours de faux résistant de Léon Derancourt, le journaliste de L’Humanité conclut d’ailleurs son propos par cette remarque pleine de sous-entendus : « cela éclaire mieux sans doute les raisons qu’a l’aspirant dictateur de réclamer le coup d’éponge au profit des traîtres et de s’apitoyer sur le sort de Pétain14 ».

10Avant de se traduire juridiquement par l’instruction de 1948 et le procès de 1949, l’affaire ébranle en interne le service d’ordre gaulliste à l’hiver 1947. De nombreux adjoints de Léon Dérancourt, qui n’ont pas été mis dans la confidence pour ne pas ébruiter le scandale, sont choqués de voir leur patron évincé à leurs yeux injustement. Le 8 décembre, le commandant de Bonneval, qui appartient au secrétariat particulier du Général, reçoit une pétition de protestation remise par « l’ancien groupe du colonel Derancourt ». Il préfère ne pas la communiquer à de Gaulle et l’envoie « pour toutes fins utiles » à Dominique Ponchardier, le nouveau patron du SO avec le colonel Rémy. Quelques jours plus tard, le colonel Ponchardier remercie l’officier d’ordonnance en l’informant de l’ambiance délétère que ce scandale a installée au sein du service d’ordre. Avant de conclure dans le style direct qui est le sien : « J’espère que ces emm… sont à peu près terminés15. »

11Selon Claude Paillat (informé par Claude Dumont qui fait déjà partie du SO gaulliste en 1947), l’affaire ne s’arrête pas là. De Gaulle doit intervenir pour imposer ses vues et ramener la sérénité dans son appareil de sécurité. « Cette éviction de D… avait causé une vive émotion chez les membres du SO où on avait dit : “C’est une saloperie.” » Aussi Claude Dumont et des chefs de secteur du SO décident de se rendre à Colombey pour voir le Général. Ils sont reçus par le capitaine de gendarmerie Gérard et le lieutenant Paître qui consentent à transmettre une lettre à M^me de Gaulle. Le texte de la missive, rédigé dans un bistrot du village, était signé par Dumont or ce dernier avait été, lors du voyage du Général à Alger en 1947, le garde du corps de « Tante Yvonne ». La réponse est donc positive. Dumont est reçu par le Général dans son bureau. « Désormais, dit-il, si vous restez au SO, vous obéirez à Ponchardier que j’ai nommé. » Avant de donner congé à Dumont, il lui tend une poignée de cigares. Les chefs du SO s’inclinent16. » Cette anecdote souligne au sujet du service d’ordre de cette époque plusieurs caractéristiques qui devaient se vérifier par la suite : rapports hiérarchiques d’obéissance attendus d’une structure militarisée mais en même temps proximité « affective » des gros bras avec le chef et son entourage immédiat qui tolèrent des écarts de comportement, code de virilité propre à cet univers masculin marqué par l’empreinte de la guerre.

Alfred Sambon : un intermède médiocre à l’automne 1947

12Qui est celui qui, à la mi-novembre 1947, prend la direction du SO gaulliste par intérim ? Appartenant à une dynastie d’antiquaires célèbres17, Alfred Sambon se différencie en tout point de Jean Derancourt. Fin et cultivé, vivant dans l’aisance bourgeoise du quai Voltaire, cet homme de 46 ans rapidement inscrit au Rassemblement (carte n° 651) peut afficher d’authentiques actes de résistance même si ces derniers restent tardifs. Ayant rejoint début mars 1944 le maquis de la Tour d’Auvergne dans la Vienne comme lieutenant-adjoint au commandant, il a ensuite participé aux combats de la Libération. Comme l’établit le général Dejussieu-Pontcarral (délégué général des FFCI) dans une citation du 28 juillet 194718, le lieutenant Alfred Sambon a accompli des missions périlleuses de transports d’armes pour les FFI, hébergé en août 1944 des réfractaires, participé à des destructions de voies ferrées puis à des combats de rue. Il a été blessé d’une balle à la jambe lors de la libération de Tours début septembre 1944. Son engagement dans la Résistance lui a valu la croix de guerre avec étoile de bronze. De septembre à décembre 1944, il est affecté à la caserne Baraguay qui héberge l’état-major FFI puis à la caserne Meunier qui sert de compagnie de dépôt. Ayant souscrit un prolongement d’engagement pour la durée de la guerre, il part comme volontaire au bataillon Demenois libérer la poche de Saint-Nazaire.

13Si les états de service durant la guerre semblent irréprochables, la personnalité pose problème. Alors que la direction d’un service d’ordre nécessite le sens de l’autorité, un certain charisme et la capacité à garder le secret, Alfred Sambon paraît dépourvu de ces qualités. Lors du stage que l’intéressé accomplit en janvier 1945 à l’École des cadres de Cholet, le chef d’escadron Lair qui assure les cours du premier degré, rend un rapport mitigé sur le compte du futur responsable du SO. L’examinateur apprécie certes la « valeur morale » et « l’instruction générale » d’Alfred Sambon, mais déplore ensuite le faible niveau des connaissances militaires de son élève qualifié de « vieux soldat » (sic). Sa médiocre aptitude physique (« passable, à 43 ans ne peut faire un chef de section ») et surtout son inaptitude au commandement (« moyenne, mais ses cheveux gris lui donnent une certaine autorité ») conduisent le lieutenant-colonel Blanche, directeur de l’école, à écarter Alfred Sambon des stages d’élève-officier. Il conclut avec une certaine ironie : « À employer tel qu’il est. Parle anglais. Très bavard, il tient une conversation sur n’importe quel sujet… »

14Comment un homme à l’évidence aussi peu apte à exercer la direction du SO gaulliste a pu être désigné pour la fonction ? Ses bonnes relations avec André Malraux (très impliqué dans le domaine de la sécurité) expliquent peut-être ce choix déconcertant. Alfred Sambon, qui, à un niveau subalterne, donne satisfaction lors des voyages du Général dans le Nord (29 juin), le Sud-Ouest (6-8 septembre), à Autun (21 septembre), en Bretagne (26-27 septembre) et en Algérie (12 octobre), révèle vite ses limites à la tête de l’appareil de sécurité. Impossible de lui confier la protection d’un événement aussi considérable que le rassemblement géant de Vincennes début octobre. Pour ces grandes occasions, le colonel Rémy (qui reçoit déjà depuis l’été 1947 un double de tous les courriers concernant le SO) prend le relais. Autre signe de la mise à l’écart progressive d’Alfred Sambon, alors que ce dernier a été chargé par Jacques Soustelle le 8 décembre 1947 de superviser le service d’ordre de la manifestation de Saint-Étienne du 4 janvier 1948, il est relevé de cette tâche qui échoit au commandant Thamys, ancien officier de la Légion étrangère. La nouvelle équipe Rémy-Ponchardier s’installe… Alfred Sambon continue quelque temps à s’occuper de sécurité chez les gaullistes, mais en se limitant à garantir celle du siège du RPF. Dans son édition du 13 avril 1948 qui porte notamment sur la protection de Maurice Thorez et du général de Gaulle, Police hebdo évoque rue Taitbout cet « homme distingué et cultivé, véritable gentleman : Alfred Sambon ». Après le boxeur Germain Libine qui avait veillé sur la sécurité du Général à Alger, c’était désormais lui qui en cas de danger fait venir en un quart d’heure par autocar les troupes de choc du Rassemblement. « Un antiquaire millionnaire a remplacé une armoire à glace pour protéger de Gaulle. » Avec une efficacité limitée à en croire le titre de l’enquête : « Thorez et de Gaulle en cas d’attentat ont 90 % de risques d’être tués… »

15Alfred Sambon reste un militant actif du Rassemblement, assistant notamment aux grands meetings et conférences de presse du Général de 1948 à 1952. La direction du parti continuera de faire appel à ses services mais dans un autre domaine tout aussi sensible et pour lequel il manifestera peut-être plus de compétence : le financement19. Quand les problèmes de trésorerie du RPF commencent à devenir alarmants après la déconvenue des législatives de 1951 puis les premiers signes d’éclatement (défection des députés de l’URAS en mars 1952), l’Upang (association destinée à trouver des fonds privés pour soutenir l’action du Général) est relancée. Des mécènes connus pour leur engagement gaulliste sont sollicités et Alfred Sambon assiste à une réunion privée tenue par de Gaulle en personne rue de Solférino le 25 septembre 1952. L’aide apportée est significative puisque l’antiquaire reçoit le 13 janvier 1953 une lettre de remerciement personnalisée du chef du Rassemblement. Ce soutien financier se poursuit l’année suivante, ce qui vaut à Alfred Sambon de recevoir une photographie dédicacée du Général. Une fois revenus au pouvoir en 1958, les gaullistes n’oublieront pas Alfred Sambon qui décorera plusieurs ambassades françaises à l’étranger…

Face aux communistes fin 1947, réussite de Vincennes mais échec du premier Japy

16En matière de sécurité, les gaullistes restent sur une position défensive face au PCF jusqu’à la fin de l’hiver 1947 avant qu’une efficace réorganisation du SO ne permette de renverser la tendance début 1948. Pendant près de six mois, la plupart des réunions publiques du RPF sont perturbées par les communistes qui ont souvent le dessus notamment durant l’hiver 1947 marqué par les grèves violentes orchestrées ou soutenues par le PCF et la CGT20. Bricolé dans l’urgence par le tandem improbable d’un garagiste escroc et d’un antiquaire bavard, le SO du RPF n’est pas à la hauteur du défi. Seuls les meetings où intervient personnellement le général de Gaulle et qui bénéficient à ce titre d’une protection officielle renforcée sur le plan militant par une équipe de gardes du corps dépêchés de Paris, se déroulent sans trop d’incidents21. Pour les petites réunions où prennent la parole de simples orateurs nationaux du Rassemblement et des délégués départementaux ou régionaux du parti, la violence verbale mais aussi de plus en plus physique est presque toujours présente. « Dès l’automne 1947, sièges, tables et micros commencèrent à valser » note Pierre Lefranc dans ses mémoires, avant de « rendre hommage aux orateurs qui commençaient des discours sans jamais pouvoir placer leur péroraison en raison du formidable tintamarre déclenché dès leur première phrase et de la pluie d’objets divers qui s’abattait sur la tribune22 ».

17La presse de l’époque comme les mémoires d’anciens RPF ou PCF sont pleins de récits épiques relatant la « bonne raclée » infligée aux « factieux » ou la « résistance héroïque » face aux « séparatistes » selon la tonalité politique du journal ou de l’auteur. Rapporter rapidement quelques-uns de ces moments permet d’apprécier le degré de tension de cette première période. Dans la mesure où certains de ces accrochages donnent lieu à une « revanche » de la part des gaullistes au cours de l’année 1948 dans une logique de représailles, il n’est pas inutile non plus de présenter la première phase du face-à-face. Enfin certains de ces affrontements (tel Japy), à force d’être relatés et répétés rue de Solférino (siège du RPF), se constituent dès cette époque en lieux de mémoire chez les gaullistes. Cette « sacralisation » d’une bataille, même perdue, lui confère une dimension exemplaire. Héroïsant le vaincu, la geste gaullienne retourne à son avantage ces premiers revers…

18Le 12 novembre, le face-à-face dégénère à Marseille23. Protestant contre l’arrestation et le jugement de métallos communistes qui refusent de payer le tramway pour dénoncer la hausse des prix du transport, 15 000 manifestants (rejoints par de nombreux dockers et marins du port mis en grève par la CGT) investissent le palais de justice avant de se diriger vers la mairie. Celle-ci est tenue par l’avocat gaulliste Michel Carlini depuis les municipales d’octobre. Alors que la séance du conseil est déjà houleuse (des conseillers communistes avaient été bastonnés par des gros bras mobilisés par le maire24), la tension augmente quand les manifestants envahissent la salle. Des ouvriers agressent le maire qui, molesté, est à deux doigts d’être défenestré. L’ancien maire communiste, Jean Cristofol, pour (selon lui) calmer la foule, annonce au balcon la démission de Maître Carlini pendant que ses sympathisants vandalisent la salle du conseil. Dans la soirée, des groupes de jeunes se dirigent vers le quartier de l’Opéra pour se livrer à la mise à sac des cabarets tenus par une pègre locale soupçonnée d’entente avec la mairie RPF. Un coup de feu, parti d’un de ces établissements, tue Vincent Voulant, ouvrier des Aciéries du Nord25. L’événement est abondamment exploité par la presse communiste le lendemain qui dénonce « les gangsters du RPF » (avant de mettre plus tard en avant les frères Guerini proches des socialistes…), accusation relayée dans les jours suivants par les parlementaires PCF au Palais-Bourbon. De son côté, le journal gaulliste met en garde l’opinion contre les « tactiques hitlériennes des gangsters staliniens profitant de la complicité des CRS communistes26 ».

19Début décembre 1947, Olivier Guichard, nommé délégué régional pour le Sud-Ouest, organise une rencontre politique dans la petite ville de Fumel (Lot-et-Garonne) avec l’orateur national du RPF Enfière (ancien des Brigades internationales) et Gaston Palewski. La salle, entièrement composée d’ouvriers communistes de l’usine métallurgique locale, se révèle vite très hostile. Renonçant à se faire entendre « au milieu des hurlements », ils préfèrent quitter la salle, embarquant avec eux la seule personne du public qui leur est favorable, la vieille actrice Marguerite Moreno qui menace les perturbateurs communistes de son parapluie27… Dans sa biographie du Général, Jean Lacouture rapporte enfin le témoignage de Roger Frey confié en octobre 1984. Alors délégué pour le Languedoc, ce dernier arrive en retard dans une petite ville de l’Ariège choisie pour un meeting. Avisant la salle pleine et ignorant que le public est constitué exclusivement de communistes locaux, il s’exclame : « Quelle salle, quel succès ! » Moins d’un quart d’heure plus tard, il est jeté par la fenêtre et malmené au point d’être conduit à l’hôpital28.

20En quoi ces revers répétés de l’automne-hiver 1947 face aux communistes posent problème à la direction du RPF ? Chargé de l’animation, Jacques Baumel préconise de fonder la « communication » du Rassemblement sur l’idée d’une montée en puissance progressive mais irrépressible du mouvement. Des meetings géants dans les grandes villes de province comme des petites réunions publiques dans les bourgs de campagne, relayés à chaque fois par la presse, doivent donner l’impression d’une vague irrésistible. Excellent organisateur doté du sens du spectacle, l’ex-producteur de cinéma, le colonel Rémy (avec l’aide de Louis Vallon et de Christian Fouchet), accentuera cet effet d’image par un décorum à la mesure du Général, avec croix de Lorraine géante, teinture tricolore, oriflammes et haut-parleurs. Le lyrisme grandiloquent d’André Malraux achèvera de transformer ces grandes messes gaullistes en « usines à rêve, la seule riposte mythique qu’ait suscitée le stalinisme français » pour reprendre l’heureuse formule de Jean Lacouture29. Dans ces conditions, les échecs répétés face aux « nervis » communistes qui expulsent les orateurs gaullistes de leurs meetings et les empêchent de porter la contradiction dans ceux du PCF, mettent à mal cette stratégie politique et cette campagne de communication. En fondant le RPF, de Gaulle avait voulu rompre ce que Pierre Lefranc appelle « le charme maléfique qui paralysait la vie publique en de nombreuses régions, la prédominance et la réputation d’invulnérabilité du parti communiste30 ». Si l’appareil de sécurité n’est pas capable de permettre au RPF de rétablir rapidement le débat démocratique et par là même de préserver la République, le pari gaullien sera perdu et l’aventure du Rassemblement s’arrêtera avant même d’avoir commencé…

21Alors que les incidents du gymnase Japy à Paris le 2 septembre n’atteignent pas le niveau de violence observé deux mois plus tard à Marseille, ils ont paradoxalement plus compté pour les gaullistes dans l’immédiat et dans le souvenir de cette tension de l’automne-hiver 1947. Il s’agit d’abord de la capitale avec un enjeu politique particulier lié à la proximité du pouvoir. Les gaullistes, encore interdits de séjour à cette date dans la banlieue rouge, ne peuvent se permettre d’être défaits dans la cité même en ce début de campagne des municipales. De ce premier accrochage sévère, remporté nettement par les communistes, découle la prise de conscience à la tête du RPF de la nécessité d’une réorganisation du SO, dans sa direction comme dans ses modalités d’action. Enfin l’évocation enlevée de cet événement dans les mémoires des gaullistes qui y participent (René Serre et Pierre Lefranc), récit repris ensuite par d’autres acteurs du RPF (Olivier Guichard, Jacques Baumel) et historiens de ce mouvement (Jean Lacouture), l’élève au rang de moment fondateur et référentiel…

22Le 2 septembre 1947, le RPF organise un meeting au gymnase Japy dans le 11^e arrondissement de Paris31. Cette salle, qui abrite des manifestations sportives (notamment de boxe32), est parfois louée (dès l’entre-deux-guerres) par des mouvements politiques pour y tenir des réunions. Elle constitue avec la Mutualité, le Vel d’Hiv ou la salle des sociétés savantes l’un des grands lieux de meeting politique de la capitale. Plusieurs orateurs gaullistes sont inscrits dont André Malraux et Louis Vallon. Encore inexpérimenté, le SO n’a pas pris soin de filtrer et de fouiller le public. Dominique Ponchardier et Claude Dumont n’ont pas non plus « verrouillé » la salle en plaçant des éléments sûrs devant la tribune mais aussi au milieu des rangées de spectateurs pour intervenir rapidement en cas d’incident. Dans quelques mois, cet ABC de la sécurité militante (déjà connu de l’adversaire) sera parfaitement maîtrisé. Venus en nombre, armés de frondes et de bâtons, les communistes exploitent ces failles dans le dispositif de sécurité. À peine Louis Vallon a-t-il commencé à prendre la parole qu’une volée de boulons part du fond de la salle en direction la tribune. Sans se démonter, l’orateur affirme que « la liberté n’a pas peur des boulons » et continue son discours. Sous la mitraille, les gros bras entourant le pupitre s’écroulent les uns après les autres le visage en sang. André Malraux s’empare du micro pour déclarer que « la France n’acceptera jamais la dictature de la force » mais ses propos se perdent dans un brouhaha général quand les communistes prennent d’assaut la tribune à coups de poing et de clés à molette. Les gens du SO parviennent de justesse à extraire les orateurs gaullistes avant que la situation ne devienne incontrôlable. Telle une relique, Pierre Lefranc conservera dans les caves de la rue de Solférino le pupitre qui servit ce jour-là. En contreplaqué, il était transpercé en plusieurs endroits. Ce souci de garder une trace de cet événement est significatif de la place de la violence militante dans la manière dont les gaullistes se représentent leur propre histoire.

23Plus que l’affrontement même, c’est ce qui l’entoure qui retient l’attention. En amont, le choc entre RPF et PCF a été précédé pour la première fois d’un rituel de mise en garde qui se répétera dans les deux ans à venir. La notion de « bastion » géographique et politique y tient une place essentielle. L’irruption de l’adversaire dans un espace considéré comme « naturellement acquis » en raison de traditions politico-culturelles et/ou de considérations sociologiques, est perçue comme une provocation. Selon un véritable code d’honneur, il faut « purifier » par une violence considérée comme légitime l’espace souillé par la présence de l’autre et permettre ainsi le retour à une géographie politique « normalisée ». Le témoignage de Pierre Lefranc confirme cette analyse anthropologique de la bataille. Selon lui, ayant appris que les gaullistes entendent faire de la propagande dans la ceinture rouge, les communistes « firent savoir qu’ils n’accepteraient pas notre intervention, qu’elle qu’en fût la forme, dans leurs fiefs, c’est-à-dire pratiquement dans les villes qui entouraient les vingt arrondissements de la capitale. Naturellement, nous ne pouvions accepter cette interdiction et les bagarres commencèrent. Ce ne fut pas une plaisanterie. La bataille se livrait commune par commune et fut longtemps incertaine33 ».

24En aval, la réaction gaulliste à cette première défaite s’inscrit elle aussi dans une lecture militaire d’un affrontement pourtant politique et dans cette ritualisation du choc marquée par les notions d’honneur et de bastion. À la fin de la première semaine de septembre 1947, André Malraux convoque une « réunion d’état-major » dans son bureau du boulevard des Capucines pour tirer les leçons de Japy. L’encadrement et les méthodes du service d’ordre doivent être revus selon lui. « Il faut effacer cette défaite. Japy est devenu notre Douaumont. Pas d’autre moyen que de quadriller la salle face aux brigades de choc communistes. Le service d’ordre, c’est de l’enfantillage. Il doit être réorganisé, développé. Rendez-vous pour le prochain Japy34. » Poussé par la direction du RPF dans une logique de représailles et de surenchère, le SO engage ce que Pierre Lefranc appelle de manière significative « la bataille de la banlieue ». En se soldant cette fois-ci par une rapide victoire gaulliste symbolisée par la revanche de Japy (26 avril 1948), elle révélera le tandem Rémy-Ponchardier. Notons sur un terrain où on ne l’attend pas a priori (même si les questions de propagande, dont il est chargé, et de sécurité sont alors très liées), la présence, le rôle et l’influence d’André Malraux. Si passé le printemps 1948, l’écrivain suivra moins ces questions de service d’ordre, il s’y implique beaucoup à l’automne-hiver 1947. Sans doute parce que l’ancien des Brigades internationales, de la Résistance et des combats de la Libération a gardé une certaine fascination pour la violence dont témoignent d’ailleurs ses premiers romans. Aussi parce qu’André Malraux, persuadé comme de Gaulle à la même époque qu’une troisième guerre mondiale contre les communistes est possible sinon imminente, vit le choc militant avec le PCF comme la répétition à petite échelle du grand conflit à venir.

25Un mois après l’échec du premier Japy, le grand meeting de Vincennes du 5 octobre 1947 est l’occasion de noter les premières améliorations apportées au SO gaulliste suite au recadrage d’André Malraux. Une semaine avant le premier tour des municipales, le RPF entend frapper l’opinion en organisant le plus grand rassemblement politique depuis la Libération, manière de prouver une légitimité populaire supérieure à celle de l’autre grand parti de masse. Les instances du Rassemblement convient donc « la population de Paris, de la Seine, de la Seine-et-Oise et de la Seine-et-Marne » à rejoindre l’hippodrome de Vincennes pour y écouter le Général. La direction mobilise 5 000 bénévoles pour assurer la sécurité de l’orateur et d’un public très dense (au moins 20 0000 personnes)35. René Serre, ancien garde du corps du Général et figure du service d’ordre, a rapporté dans ses mémoires la part prise par les gens du SO dans la préparation de cet événement. Son témoignage précis et enlevé36, confirmé par d’autres acteurs comme Jacques Baumel, permet de mesurer combien la réussite de ce grand meeting, un temps menacé par l’opposition communiste, a tenu en grande partie au dévouement et à l’ingéniosité des gros bras du RPF.

26Le récit de René Serre témoigne du haut degré de professionnalisme des hommes du SO. Installés sur place depuis huit jours, les gens du service d’ordre organisent trois repérages consécutifs sur le site afin que chacun intègre bien sa mission. Des dispositions spéciales sont prises pour faciliter l’arrivée et le départ d’une foule massive, mais également l’évacuation sanitaire rapide de toute personne prise d’un malaise. Des gardes volontaires, qui ont dormi sur place pour protéger le quadrilatère de toute tentative de sabotage communiste, sont relevés à 6 h du matin par une autre équipe. Le patron du SO vient sur place à la même heure pour inspecter les différents cordons de sécurité. Lorsque enfin sont découverts les dizaines de milliers de clous jetés par les communistes sur les routes avoisinantes de manière à empêcher l’accès des Parisiens à l’hippodrome, la direction du SO prend rapidement la bonne décision. Ramasser les clous à la main prenant trop de temps, annuler le meeting étant impensable, il faut utiliser les voitures-balais de la ville de Vincennes. Le chef du SO se rend à la préfecture de police (encore bien disposée à cette date) qui contacte le directeur de la police municipale qui lui-même fait pression sur le chef de la voirie pour que son matériel soit mis à la disposition de la sécurité gaulliste. Craignant que les cantonniers locaux connus pour leur sympathie communiste ne fassent preuve de nonchalance, les gens du SO les « pilotent » jusqu’à la fin de leur tâche. Le patron du SO effectue une dernière tournée d’inspection avant l’installation devant la tribune des « durs » de la sécurité, l’équipe dite « des bouledogues ». On va enfin chercher de Gaulle qui attend à 15 km dans une maison gardée secrète, avant de l’installer (après avoir frayé un chemin dans la foule à coup de « bourrades amicales ») dans une pièce au bas de la tribune. L’accès en est interdit même à des proches comme André Diethelm, Gaston Palewski, Jacques Soustelle, Marc Jacquet, le général Koenig et le général de Monsabert.

27Comment expliquer pareille efficacité de la part du médiocre Léon Derancourt alors encore en fonction pour un mois à la tête des groupes de protection ? C’est qu’en réalité, celui dont René Serre protège encore l’identité sept ans plus tard en l’évoquant dans son récit sous la formule sibylline du « patron », n’est autre que Dominique Ponchardier. Si le colonel Rémy a été chargé de l’organisation générale du meeting, la sécurité de ce dernier a été confiée à Dominique Ponchardier37. Venu inspecter le dispositif le matin même pour le compte du Général, Louis Vallon (alors responsable pour la région parisienne du RPF), impressionné par la qualité des préparatifs et la réactivité du tandem face à l’adversité, vante les mérites de Dominique Ponchardier et du colonel Rémy. À la fin de l’année, les deux hommes reprennent en main l’appareil de sécurité gaulliste pour en faire le plus puissant SO de France. Le meeting de Vincennes a joué le rôle de galop d’essai et convaincu de Gaulle de la nécessité de confier ses gros bras à des responsables à la hauteur de l’enjeu.