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Pour l'histoire de la médecine

 | 
Michel Lagrée
, 
François Lebrun

Deuxième partie. Où va l'histoire de la médecine ?

Au cœur de l'histoire : la santé

Jacques Poirier

Texte intégral

  • 1 - J. Léonard, Archives du corps. La santé au xixe siècle, Rennes, Ouest-France, 1986.
  • 2 R. Mandrou, Introduction à la France moderne 1500-1640, Paris, Albin Michel, 1989.
  • 3 M. Le Glay, J.L. Voisin, Y. LE Bohec, Histoire romaine, Paris, PUF, 1991.
  • 4 J. Carpentier et F. Lebrun (SOUS la direction de), Histoire de France, Paris, Le Seuil, 1987.

1Dans l'Introduction de son ultime ouvrage1, Jacques Léonard notait avec le discernement qui lui était habituel : « Peut-être parce qu'elle touche à l'essentiel, la santé n'occupe pas dans les livres d'histoire la place qu'elle tient dans les préoccupations des gens.  » Il existe certes quelques exceptions ; Robert Mandrou2, par exemple, impliqué dans « le combat mené pendant un demi-siècle par Lucien Febvre pour engager ses collègues, ses disciples, ses amis, à orienter leurs efforts vers une histoire ouverte aux sciences humaines nouvelles : économie, sociologie, psychologie... », a consacré deux chapitres (soit 46 pages sur 408) de son Introduction à la France moderne à la santé et à la maladie : le premier est dévolu à L'homme physique : l'alimentation et l'environnement, le deuxième à L'homme physique : santé, maladies, « peuplade ». Mais dans l'ensemble, et sans doute encore plus lorsqu'il s'agit d'ouvrages destinés aux étudiants ou au grand public, la place de la santé dans les livres d'histoire est effectivement réduite, voire inexistante. Une récente Histoire romaine destinée aux étudiants du premier cycle des universités3 accomplit la prouesse de ne laisser apparaître dans la table des matières aucune allusion à la santé ou à la médecine et de ne faire figurer dans l'index ni Hippocrate, ni Celse, ni Galien. La si précieuse Histoire de France récemment publiée dans la Collection Points-Histoire aux éditions du Seuil, sous la direction de Jean Carpentier et de François Lebrun4, mérite, compte tenu de sa qualité, de sa diffusion et de la notoriété de leurs auteurs, une analyse plus détaillée. Premier point : « L'orientation bibliographique », qui occupe huit pages et est riche de plus d'une centaine de références touchant non seulement à l'histoire générale, mais aussi au peuple français, à la ville, à la campagne, à la culture, à l'enseignement, aux aspects linguistiques, littéraires et artistiques, ne comporte aucune indication d'une quelconque histoire de la santé ou de la médecine ; pour les seuls temps modernes et pour le xixe siècle, deux ouvrages bien classiques, sérieux, reconnus — et dont on ne saurait douter que les auteurs les connussent ! —, auraient pu, par exemple, être cités : Médecins, Saints et sorciers aux 17e et 18e siècles, par François Lebrun (Paris, Messidor Temps Actuels, 1983) et La médecine entre les savoirs et les pouvoirs. Histoire intellectuelle et politique de la médecine française au xixe siècle, par Jacques Léonard (Paris, Aubier-Montaigne, 1981). Deuxième point : les annexes contiennent une chronologie comparative (en France et hors de France) couvrant toute l'histoire — de l'épipaléolithique à la réunification de l'Allemagne le 3 octobre 1990 — en 19 pages ; les deux seules mentions médicales sont : en 165 « Début d'épidémie » et en 1348-1350 « Peste noire » ; ainsi la période moderne est assainie : plus de syphilis ! Le xviiie siècle est épuré : plus de variole, d'inoculations et de vaccine ! Le xixe est désinfecté : plus de choléra, plus de tuberculose ! Par contre, on retrouve avec plaisir la « révolte de Florus et de Sacrovir » en l'an 21, la « mort de saint Dominique»  en 1221, « le Mystère de la passion » d'Arnoul Gréban en 1452, « la distribution des aigles » de David en 1810, « la chaudière tubulaire » de Marc Seguin en 1827, tous personnages et événements autrement déterminants pour l'histoire des Français que Claude Bernard, Pasteur, la vaccination jennérienne, la découverte des rayons X ou de la pénicilline ! Troisième et dernier point enfin, - sous réserve de courts passages qui auraient pu m'échapper - le texte lui-même : les allusions médicales se résument à 14 lignes sur la peste noire de 1348 (pages 150—151), 25 lignes sur la mortalité infantile et 12 lignes sur la peste et la famine aux xve-xviie siècles (pages 158—159), 7 lignes sur le recours des malades aux saints guérisseurs et aux sorciers, à la même époque (page 163), et enfin 10 lignes sur la diminution des grandes famines et des épidémies au cours du xviiie siècle (page 219).

  • 5 M. Agulhon, La République de 1880 à nos jours, Paris, Hachette, 1991.
  • 6 W.I.B. Beveridge, « The chronicle of influenza epidemics» , in History and Philosophy of the Life (...)
  • 7 J.M. Mayeur, Les débuts de la IIIe République 1871-1898, Paris, Seuil, 1973.
  • 8 Ibid., p. 90-91.
  • 9 Ibid., p. 160.
  • 10 Pasteur apparaît dans la « Chronologie sommaire », p. 223, en face de 1885 : « Pasteur inocule le (...)

2Les meilleures preuves de cette exclusion si judicieusement relevée par Jacques Léonard se situent certainement dans les histoires de l'époque contemporaine et tout particulièrement dans celles de la IIIe République. Le monumental ouvrage que Maurice Agulhon a consacré à la République de 1880 à nos jours5, n'inclut, dans son analyse historique si acérée et pénétrante, aucun élément touchant de près ou de loin à la santé et à la médecine, au point que ne figurent dans l'index ni Pasteur - dont l'œuvre ne laissa pourtant pas ses contemporains indifférents - ni la grippe espagnole6, qui fit à travers le monde, en moins d'un an, d'avril 1918 au début de 1919, environ 20 millions de morts (deux fois plus que la guerre de 1914-1918). Dans la même ligne, Jean-Marie Mayeur évacue de sa IIIe République débutante toute connotation médicale ou sanitaire : sur les 254 pages de son ouvrage7, la médecine occupe neuf lignes consacrées à la profession médicale et à ses bénéfices électoraux secondaires : « Médecin dans les Charentes, Emile Combes s'assura par la médecine gratuite la sympathie des électeurs. Il triomphera ainsi des bonapartistes au conseil général puis au Sénat. »8 et deux lignes faisant allusion aux « expériences de Charcot sur les hystériques de la Salpêtrière »9 Certains grands noms de la science médicale n'apparaissent que de façon indirecte, par raccroc, pourrait-on dire ; ainsi Claude Bernard, dont la seule occurrence, page 100, vient à propos du domicile de la famille de Paul Bert : « La famille Bert vit à Auxerre dans un ancien couvent de dominicains acquis sous la Révolution par l'arrière grand-père, commerçant en bois, du collaborateur de Claude Bernard. » Quand on sait ce que ses funérailles nationales ont représenté pour la France de 1878, on est pour le moins surpris du sort réservé à Claude Bernard. Il n'est indiqué nulle part que Paul Bert (cité six fois) était médecin, pas plus d'ailleurs que Littré (cité deux fois) ou Clémenceau (cité 14 fois) ; on ne l'apprend de Paul Brousse que parce qu'il est désigné page 98 comme « le docteur Brousse ». Alors que Van Gogh, Sisley, Bouguereau, Vincent d'Indy, Verdi, Sully—Prudhomme, Labiche, Tolstoï, Dostoïevski, et tant d'autres écrivains, peintres ou musiciens - français ou étrangers - ont droit de cité dans les débuts de la IIIe République, l'index reste vierge des Bourneville, Brouardel,Théophile Roussel, Raspail et autres Pasteur10 ; les-quels ont fait le plus pour la République  ?

  • 11 J. Léonard, « Le corps médical au début de la IIIe République », in Médecine et philosophie à la f (...)
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  • 14 « Même s'il ne s'agit pas d'une stratégie concertée, les résultats obtenus par les médecins de cet (...)
  • 15 J. Poirier et J.L. Signoret, sous la direction de, De Bourneville à la sclérose tubéreuse, un homm (...)
  • 16 J. Lalouette, « Le citoyen Bourneville, militant républicain et libre-penseur », in De Bourneville (...)

3Et pourtant, Jacques Léonard11 a bien montré l'importance12, le prestige13 et l'influence14 du corps médical au début de la IIIe République. Pour illustrer cette intrication étroite entre médecine et politique sous la IIIe République, je m'arrêterai un instant sur le parcours de Désiré Bourneville (1840-1909)15. Il naquit le 20 octobre 1840, à Garencières, dans l'Eure. Ses parents étaient de petits propriétaires terriens. En 1860, il commença ses études de médecine à Paris et fréquenta le service de Delasiauve à Bicêtre. Nommé à l'Externat, puis à l'Internat des Hôpitaux de Paris (1865), il soutint sa thèse de doctorat en médecine (Etudes de Thermométrie clinique dans l'hémorrhagie cérébrale et dans quelques autres maladies de l'encéphale) en 1870. Installé comme médecin praticien, il fit également fonction d'assistant de Charcot à la Salpêtrière de 1871 à 1879 ; de 1876 à 1880, il assura la rédaction de l'Iconographie photographique de la Salpêtrière. Son rôle fut majeur dans la description de l'hystéro-épilepsie ainsi que dans l'édition des Leçons et des Œuvres complètes de Charcot. En 1873, il créa Le Progrès Médical, périodique appelé à jouer un rôle majeur dans la diffusion d'une nouvelle médecine, et à être le support d'une véritable maison d'édition. Bourneville fut élu en 1876 conseiller municipal dans le 5e arrondissement de Paris ; il remplira cette fonction avec efficacité jusqu'en 1883, date à laquelle il démissionna après avoir été élu député de la Seine. Pendant ces mandats successifs, il développa activement une politique hospitalière cohérente : laïcisation des hôpitaux, création des écoles d'infirmières, instauration du corps des accoucheurs des hôpitaux de Paris et du concours des médecins-aliénistes. Nommé en 1879 médecin titulaire du Service des Aliénés, à l'Hospice de Bicêtre, où il fera toute sa carrière, Bourneville fut chargé du secteur incluant adultes et enfants épileptiques et « idiots », qu'il transforma en dix ans en un service modèle où il put développer son traitement médico-pédagogique. Ses travaux proprement scientifiques furent également importants : il identifia et décrivit la sclérose tubéreuse qui, depuis, porte son nom ; il rattacha le myxoedème congénital à l'absence de corps thyroïde et décrivit l'idiotie mongolienne. Bourneville mourut en 1909. Selon sa volonté, son corps fut autopsié, ses obsèques furent civiles et il fut incinéré au cimetière du Père-Lachaise - en 1897, il était devenu Président de la Société française pour la propagation de la crémation. Libre-penseur, franc-maçon, républicain, anti-clérical, anticolonialiste, Bourneville resta toute sa vie proche des radicaux, refusa la tentation boulangiste et se manifesta comme un dreyfusard actif. Son œuvre scientifique, médicale, sociale, éducative, philanthropique, s'inscrit intégralement dans son itinéraire politique et réciproquement. Pour Bourneville, être républicain et être médecin, c'était tout un. Après avoir reconstitué avec infiniment de talent l'itinéraire idéologique et politique du Docteur Désiré Bourneville, Jacqueline Lalouette met en évidence la multiplicité des parcours similaires et en fait « une illustration évidente du rôle joué par bon nombre de médecins durant la IIIe République, tout au moins jusqu'en 1914. Convaincus de faire pénétrer les pratiques hygiéniques dans les masses - « gouverner c'est hygiéniser » comme le proclamait un italien, Filipe Monlau, au congrès médical international de Florence en 1869 — ils joignirent relativement souvent des idées politiquement avancées, des idées de progrès au sens où l'entendaient les Lumières, à cette conviction professionnelle. Bon nombre d'entre eux se placèrent ainsi à un confluent important : celui de l'action médico-sociale et de l'action sociopolitique et idéologique.  »16.

  • 17 J. Léonard, La médecine entre les savoirs et les pouvoirs. Histoire intellectuelle et politique de (...)

4L'œuvre de Brouardel17 est également exemplaire du rôle-clef qu'un médecin a pu jouer dans la Cité, au cours des premières décennies de la IIIe République, en faisant de l'hygiénisme une idéologie triomphante. Né le 13 février 1837 à Saint-Quentin, Paul Brouardel gravit jusqu'au sommet les échelons de la carrière médicale : externe, interne, docteur en médecine, médecin des hôpitaux et professeur agrégé, professeur de médecine légale, membre de l'Académie de médecine et de l'Académie des Sciences, doyen de la Faculté de médecine de Paris de 1887 à 1901. Il présida l'Association Générale des Médecins de France et fut membre puis président, de 1884 à 1902, du Comité Consultatif d'Hygiène Publique. Outre son œuvre proprement médico-légale, en particulier la création de l'Institut Médico-Légal et du Laboratoire de Toxicologie rattaché à sa chaire, Brouardel consacra beaucoup d'énergie à faire triompher ses convictions hygiénistes et pastoriennes : assainissement urbain, hygiène des cimetières, hygiène alimentaire, hygiène industrielle, épidémiologie. Conseiller des gouvernements républicains qu'il éclairait et soutenait, il joua un rôle déterminant dans l'élaboration et, en tant que Commissaire du Gouvernement, dans l'adoption par le Parlement de la loi du 30 novembre 1892 sur l'exercice de la médecine et la répression du charlatanisme et de la loi du 15 février 1902 sur la santé publique (obligation de la vaccination et de la revaccination, déclaration obligatoire des maladies contagieuses, désinfection obligatoire, etc). Paul Brouardel succomba à la tuberculose le 23 juillet 1906.

  • 18 J. Léonard, « Histoire des sciences médicales et histoire des mentalités », in Médecins, malades e (...)
  • 19 G. Canguilhem, « Le rôle de l'épistémologie dans l'historiographie scientifique contemporaine », i (...)
  • 20 J. Léonard, « L'Historien et le philosophe. A propos de Surveiller et Punir. Naissance de la priso (...)

5Pourquoi les histoires de la IIIe République font-elles l'économie de la médecine, des médecins, des malades, de la maladie, de la santé ? Je n'aurai pas l'outrecuidance de faire un procès aux grands historiens que j'ai cités ; c'est justement parce qu'ils représentent le meilleur de l'historiographie française contemporaine qu'il est éclairant de scruter leurs écrits. Ce n'est évidemment pas parce qu'ils ignoreraient le poids de la santé et de la médecine dans l'histoire qu'ils ne la prendraient pas en compte ; c'est probablement plutôt qu'ils la tiennent à part, comme un secteur réservé qui se situerait en dehors ou pour le moins aux marges de l'Histoire, de la vraie Histoire, de l'Histoire politique et économique, et même de l'Histoire culturelle. Un des problèmes de base, une fois encore bien repéré par Jacques Léonard18, est que, lorsqu'il est question de médecine, doutant si l'on a affaire à une science ou à un art, on ne sait qui convoquer, de l'historien des sciences, de celui des arts ou encore de celui des techniques. L'incertitude est d'autant plus grande, et suggère d'autant plus de se tenir à l'écart, qu'en France le statut de l'histoire des sciences n'est pas net : est-ce réellement un domaine de l'histoire ou bien — épistémologie ou philosophie des sciences - ne s'agirait-il pas d'un secteur protégé de la philosophie, comme pourrait le laisser penser l'œuvre de Georges Canguilhem19, de François Dagognet, de Claire Salomon-Bayet ou encore de Michel Foucault, accusé avec malice par Jacques Léonard lui-même de venir piétiner les platebandes de l'historien20. La santé des personnes, les médecines auxquelles les gens recourent (qu'elles soient académiques ou populaires, scientifiques ou irrationnelles, religieuses ou magiques) seraient-elles pour l'historien une Terre étrangère et étrange sur laquelle il serait indiscret - voire inconvenant - de s'aventurer, un domaine flou, incertain, dangereux, où des interpellations trop intimes mettraient en péril la respectabilité de l'Histoire ? L'Histoire aux historiens, la santé aux médecins. A qui l'histoire de la santé et de la médecine  ?Aux médecins ou à quelques rares historiens de métier qui s'en seraient fait une spécialité exclusive à l'intérieur de laquelle les profanes de l'histoire n'auraient pas le droit de s'aventurer ? A cette dernière question, la réponse est négative : la Santé n'est pas à côté de l'Histoire, elle est au cœur de celle-ci.

  • 21 J. Lacan, Ecrits, Paris, Le Seuil,1966, p. 620.
  • 22 P. Goubert, Initiation à l'histoire de la France, 1 vol., Paris, Fayard-Tallandier, 1984.
  • 23 J. Léonard, « Histoire des sciences médicales et histoire des mentalités » in Médecins, malades et (...)
  • 24 J. Le Goff, Préface à Histoire de France, par J. Carpentier et F. Lebrun (sous la direction de), P (...)

6S'il est urgent de décloisonner l'Histoire, de désenclaver l'Histoire de la médecine et de la santé, encore faut-il le faire avec tact et efficacité. Il ne saurait être question de décerner des satisfecits, de délivrer des autorisations, de procéder à des légitimations aussi abusives qu'arbitraires, de marquer des territoires. L'Histoire de la médecine, si elle concerne chacun, n'appartient à personne : médecins, philosophes, ethnologues, anthropologues, démographes, sociologues, littéraires, historiens (qu’ils soient des sciences, des techniques, des religions, des mentalités, des cultures, ou autres) doivent s'y considérer chez eux : « Ne nous arrêtons pas aux étiquettes des tiroirs, bien que beaucoup les confondent avec le fruit de la science »21. Le problème majeur est bien de réintroduire — ou plutôt d'introduire, d'insérer - l'Histoire de la médecine et de la santé dans l'Histoire en général, de donner du Corps à l'Histoire, donc de « médicaliser » l'Histoire plutôt que d'historiciser la médecine. Pierre Goubert22, traitant des temps modernes, met en exergue les quatre moteurs fondamentaux de l'histoire - « les quatre cavaliers de l'Apocalypse », écrit-il - que sont, à ses yeux, la guerre, les famines, les épidémies et les impôts. Même si elle est un tant soit peu désabusée et pessimiste, cette façon de voir n'en est pas moins éclairante et convaincante ; elle montre bien, au moins pour les trois premiers cavaliers, que ce sont la vie ou la santé des gens qui sont fondamentalement en question dans l'Histoire, qu'en faire l'économie risque de conduire à la production d'une Histoire théorique, abstraite, sèche, propre, aseptisée, mais déréelle, désincarnée, déshumanisée. Sans doute faut-il laisser du temps au Temps, car, comme l'a écrit Jacques Léonard, s'il est « un domaine où la coordination des efforts des historiens des sciences et des historiens des mentalités requiert patience et prudence », c'est bien celui des « croyances traditionnelles relatives au corps, à la santé et au guérissage  »23. En tout état de cause, pour donner à la santé, à la médecine, aux médecins, aux maladies, aux malades leur juste place dans l'Histoire, gardons en mémoire la formule lapidaire de Jacques Le Goff : « l'histoire, qui n'est rien si elle n'est pas tout »24.

Notes

1 - J. Léonard, Archives du corps. La santé au xixe siècle, Rennes, Ouest-France, 1986.

2 R. Mandrou, Introduction à la France moderne 1500-1640, Paris, Albin Michel, 1989.

3 M. Le Glay, J.L. Voisin, Y. LE Bohec, Histoire romaine, Paris, PUF, 1991.

4 J. Carpentier et F. Lebrun (SOUS la direction de), Histoire de France, Paris, Le Seuil, 1987.

5 M. Agulhon, La République de 1880 à nos jours, Paris, Hachette, 1991.

6 W.I.B. Beveridge, « The chronicle of influenza epidemics» , in History and Philosophy of the Life Sciences, 1991, vol. 13, n° 2, p. 223-235.

7 J.M. Mayeur, Les débuts de la IIIe République 1871-1898, Paris, Seuil, 1973.

8 Ibid., p. 90-91.

9 Ibid., p. 160.

10 Pasteur apparaît dans la « Chronologie sommaire », p. 223, en face de 1885 : « Pasteur inocule le premier vaccin contre la rage ».

11 J. Léonard, « Le corps médical au début de la IIIe République », in Médecine et philosophie à la fin du xixe siècle, sous la direction de J. Poirier et J.L. Poirier, Cahier N°2 de l'Institut Universitaire d'Histoire de la Connaissance, des Idées et des Mentalités, Université Paris-XII, 1978.

12 « 1871-76 : 33 médecins députés, 1876-77 : 43 médecins députés, 1877-81 : 56 médecins députés, 1881-85 : 62 médecins députés, 1885-89 : 50 médecins députés, 1889-93 : 59 médecins députés », Ibid, p. 15.

13 « Le prestige du corps médical est en effet célébré par des indications concordantes : érection de monuments à la mémoire des grands savants du siècle, attribution de noms de médecins dévoués et populaires à des rues, des places, des hôpitaux ou des écoles, admission de nombreux praticiens civils dans l'ordre de la Légion d'honneur, éloges nécrologiques officiels, funérailles de Claude Bernard « aux frais de l'Etat », le 16 février 1878, jubilé solennel de Pasteur à la Sorbonne, le 27 décembre 1892...  », Ibid, p. 20.

14 « Même s'il ne s'agit pas d'une stratégie concertée, les résultats obtenus par les médecins de cette époque s'agencent en un bilan particulièrement satisfaisant. Une première série de mesures concerne la protection sanitaire de la population (...). A l'origine des décisions les plus remarquables, se trouvent presque toujours des médecins : des médecins qui siègent à la Chambre et au Sénat assurément, mais aussi des médecins de l'Académie de Médecine, du Comité Consultatif d'Hygiène Publique ou du Conseil supérieur de l'Assistance publique, des médecins de la Société Française d'Hygiène ou de la Société de Médecine Publique et d'Hygiène Professionnelle - l'une et l'autre fondées en 1877 -, des médecins de la Société Protectrice de l'Enfance ou des sociétés de protection des apprentis, des médecins de la Fédération Nationale Antialcoolique créée en 1872, des médecins de la Ligue Antituberculeuse lancée en 1889, etc », Ibid., p.16-17.

15 J. Poirier et J.L. Signoret, sous la direction de, De Bourneville à la sclérose tubéreuse, un homme, une époque, une maladie, Paris, Flammarion, 1991.

16 J. Lalouette, « Le citoyen Bourneville, militant républicain et libre-penseur », in De Bourneville à la sclérose tubéreuse, un homme, une époque, une maladie, sous la direction de Jacques Poirier et de Jean-Louis Signoret, Paris, Flammarion, 1991.

17 J. Léonard, La médecine entre les savoirs et les pouvoirs. Histoire intellectuelle et politique de la médecine française au xixe siècle, Paris, Aubier-Montaigne, 1981.

18 J. Léonard, « Histoire des sciences médicales et histoire des mentalités », in Médecins, malades et sociétés dans la France du xixe siècle, Paris, éditions Sciences en Situation, 1992, p.241-248

19 G. Canguilhem, « Le rôle de l'épistémologie dans l'historiographie scientifique contemporaine », in Idéologie et rationalité dans l'histoire des sciences de la vie, 2e éd. revue et corrigée, Paris, Librairie philosophique Vrin, 1981.

20 J. Léonard, « L'Historien et le philosophe. A propos de Surveiller et Punir. Naissance de la prison, in Médecins, malades et société dans la France du xixe siècle, Paris, Sciences en Situation, 1992, p. 197-215.

21 J. Lacan, Ecrits, Paris, Le Seuil,1966, p. 620.

22 P. Goubert, Initiation à l'histoire de la France, 1 vol., Paris, Fayard-Tallandier, 1984.

23 J. Léonard, « Histoire des sciences médicales et histoire des mentalités » in Médecins, malades et société dans la France du xixe siècle, Paris, Sciences en Situation, 1992.

24 J. Le Goff, Préface à Histoire de France, par J. Carpentier et F. Lebrun (sous la direction de), Paris, Le Seuil, 1987.

Auteur

Professeur des Universités - Praticien Hospitalier
Groupe de Recherche en Epistémologie et en Histoire de la Médecine
(GREHM, Université Paris-XII)

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