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Cent ans d'aller au cinéma

 | 
Francis Bordat
, 
Michel Etcheverry

Introduction : Publix, ou le succès par les salles

Douglas Gomery
Traduction de Francis Bordat

Texte intégral

  • 1 Motion Picture News, 31 juillet 1926, p. 396 ; Motion Picture Herald, 5 novembre 1932, p. 9-10 ; V (...)

1Pendant les années vingt, de grands circuits de salles de cinéma se sont constitués à travers les Etats-Unis, et sont rapidement devenus la base de la richesse et du pouvoir hollywoodiens. C’est la chaîne de cinémas Publix qui prit la tête de ce mouvement. Fondée par Sam Katz à l’automne 1925, elle était en 1930 la plus puissante du pays. Katz avait alors acquis plus de 1 000 salles, devenant ainsi le premier exploitant de films au monde. Au faîte de sa gloire pendant les mois grisants qui précédèrent la Grande Dépression, Publix dominait le spectacle cinématographique dans deux vastes secteurs géographiques : le premier de la Caroline du Nord à la Nouvelle Orléans, le second de Chicago à New York. Grâce à Famous Players Canada, Sam Katz contrôlait également la première chaîne de cinéma canadienne1.

2Sam Katz avait conçu Publix sur le modèle des géants de la vente de détail. C’est lui qui importa dans l’industrie du cinéma les méthodes élaborées par les experts de la Business School de l’université de Harvard, déjà répandues dans d’autres secteurs commerciaux. Particulièrement spectaculaires furent ses innovations en matière de publicité : il ne suffisait plus de coller des affiches à proximité des cinémas ; il fallait adopter des techniques modernes pour attirer les foules. En cela, Publix fut un pionnier.

  • 2 Douglas GOMERY, Shared Pleasures : A History of Movie Presentation in the United States, Madison, (...)

3J’ai eu l’occasion de montrer dans d’autres ouvrages quelle avait été l’importance de Publix dans la construction de cette gigantesque entreprise qu’on appelle Hollywood2. Je voudrais surtout, en introduction à cet ouvrage, insister sur la façon dont cette compagnie a construit les bases d’un système publicitaire fondé sur la promotion des salles plus que sur celle des films.

  • 3 Alfred D. CHANDLER, The Visible Hand : The Managerial Revolution in American Business, Cambridge, (...)

4Sam Katz n’a rien inventé. Il a adapté au cinéma des méthodes déjà appliquées avec succès dans les grands magasins de l’époque. C’est dès les années précédant la Première Guerre mondiale que des chaînes de magasins de détail étaient apparues aux Etats-Unis. Elles prirent vite une importance grandissante dans l’économie nationale. En couvrant tout le territoire américain, elles augmentaient leur volume de vente, mettaient en place des services de livraison plus rapides, renforçaient la standardisation et la fiabilité des produits, organisaient des campagnes de promotion nationales. Elles s’assuraient ainsi des parts de marché et des profits croissants3.

  • 4 Walter S. HAYWARD & Percival WHITE, Chain Stores, 3e édition, New York, McGraw Hill, 1928, p. 1-14

5Grâce à la réduction de leurs frais généraux (les frais fixes couvraient un nombre multiplié d’opérations et un même bureau central gérait l’ensemble des commandes et des inventaires), les sociétés pionnières faisaient des bénéfices largement supérieurs à ceux de leurs concurrents isolés, ce qui les amenait très vite à dominer le marché. Pour tirer tous les avantages de ces économies d’échelle, elles avaient recours à ce qu’on venait de baptiser scientific management. Des spécialistes formés à l’université étudiaient en permanence l’évolution de l’industrie et proposaient des moyens de minimiser les coûts et maximiser les profits. D’autres experts étaient embauchés pour promouvoir les produits à l’échelon national, pour obtenir au meilleur prix des espaces publicitaires, et pour toucher le plus grand nombre de clients solvables. Les chaînes mirent ainsi sur pied de véritables départements de recherche pour étudier les marchés et élaborer les campagnes4.

  • 5 CHANDLER, op. cit. p. 233237 ; Thomas C. COCHRAN, 200 Years of American Business, New York, Delta, (...)

6Les propriétaires et directeurs de salles ne suivirent que tardivement cette révolution du commerce de détail, mais au milieu des années vingt, ils travaillaient d’arrachepied à combler leur retard en copiant à tout va les méthodes de leurs homologues. Le premier à les adopter dominerait l’industrie du film : c’est Publix qui sortit vainqueur de ce sprint crucial5.

  • 6 GOMERY, op. cit. p. 40-56.

7La formule choisie par Katz et son associé Balaban dès 1917 à Chicago fut de donner davantage à leurs clients que seulement une belle histoire et des stars pour rêver. Ils inaugurèrent un spectacle type en cinq parties (ouverture, attractions de music-hall, actualités, courts métrages, grand film) qui assurait une fréquentation régulière aux salles même lorsque le long métrage était de qualité médiocre. Leur chaîne devint ainsi la plus rentable de l’industrie dès 1924. Leur stratégie reposait sur deux principes essentiels : il fallait que les salles ne soient pas trop éloignées du lieu d’habitation des spectateurs, et il fallait que leur cadre et leur programme sortent de l’ordinaire : le cinéma devait être une véritable cathédrale du divertissement, et proposer des prestations uniques, inaccessibles ailleurs à l’homme de la rue. C’est cette redéfinition du spectacle qui fit la fortune de la chaîne pendant les « années folles »6.

  • 7 Exhibitors Herald, 19 juillet 1926, p. 50.
  • 8 Variety, 22 septembre 1922, p. 1 ; 14 juin 1923, p. 21 ; 31 janvier 1924, p. 21 ; 11 mars 1925, p. (...)

8Née avec son premier palace de Chicago, le Central Park, ouvert le 27 octobre 1917, la chaîne de Balaban et Katz rencontra aussitôt un succès foudroyant. Elle ne comptait en 1924 qu’une dizaine de cinémas, mais leur capacité était énorme (4 000 fauteuils par salle en moyenne). Leurs sites avaient été choisis avec le plus grand soin : les clients ne devaient pas mettre plus d’une demi-heure (par les transports en commun) pour venir au spectacle. Il fallait que les bâtiments soient visibles à des kilomètres à la ronde. D’où la hauteur de leurs « tours », et la puissance de leurs enseignes lumineuses, si intenses selon des témoins qu’on pouvait sentir leur chaleur à cinquante mètres. « Chaque ampoule amène son client », commentait une publication professionnelle7. Les cinémas de Balaban et Katz devinrent si populaires que les spectateurs s’y rendaient même sans savoir quel film on y projetait. Il leur arrivait, en revanche, de se faire rembourser si pour une raison ou une autre le spectacle « live » était annulé8.

9Balaban et Katz avaient décidé de traiter leurs clients comme des rois et des reines. Entre autres services, leurs cinémas proposaient des garderies (nurseries), des fumoirs, des foyers (lobbies) décorés d’œuvres d’art, et des divertissements musicaux pour la foule qui faisait la queue sur le trottoir. Dans le sous-sol de chaque cinéma, il y avait des salles de jeux, et des moniteurs pour s’occuper des jeunes enfants pendant que les parents assistaient au spectacle. Les placeurs en uniforme surveillaient le bon fonctionnement de l’établissement.

10Lors des fortes et brutales chaleurs de l’été à Chicago, la compagnie offrait à ses clients une prestation unique : la climatisation. C’est le Central Park Theater qui fut le premier cinéma au monde doté de cet équipement. Les publicités de Balaban et Katz n’omettaient pas d’ailleurs de mentionner (avec des dessins de stalactites sous le cadre des annonces) que leurs salles étaient les seules où l’on pouvait passer un moment au frais pendant la canicule.

  • 9 Motion Picture News, 10 mai 1924, p. 2085 ; 14 février 1925, p. 708 ; 14 mars 1925, p. 1150 ; Vari (...)

11Au milieu des années vingt, Balaban et Katz étaient les plus célèbres et les plus admirés des exploitants américains. Leurs bénéfices faisaient l’envie de toute l’industrie. Chacun les voulait pour alliés. En 1925, le plus puissant des nababs hollywoodiens, Adolph Zukor, les sollicita pour assurer l’intégration verticale de sa compagnie. L’alliance qui s’ensuivit entre la Famous Players-Lasky et les deux exploitants (sous le nouveau nom de Paramount-Famous-Lasky) associa le premier des studios hollywoodiens avec la plus rentable des chaînes de cinémas9.

  • 10 Motion Picture News, 9 janvier 1926, p. 203 ; Publix Opinion, 24 avril 1927, p. 1 ; 1er mai 1927, (...)

12Sam Katz étendit ses méthodes à l’ensemble des salles Paramount, et nomma l’opération « Publix ». Deux ans plus tard, Publix était le plus vaste, le plus rentable, et le plus imité des réseaux de salles au monde. Quelque deux millions et demi de spectateurs y étaient accueillis quotidiennement en 193010.

13Katz y fit installer partout l’air conditionné. Il organisa simultanément un circuit de grands spectacles sur scène. Ils étaient spécialement créés dans les studios de Long Island City avant de tourner dans un circuit régulier de picture palaces, de New York à Chicago et de St. Louis à Atlanta. Pas moins de seize shows fonctionnaient ainsi simultanément dans les cinémas de la chaîne, avec des titres comme Way Down South, Stone Age Follies, Under the Brooklyn Bridge ou Opera versus Jazz

  • 11 Publix Opinion, 30 avril 1927, p. 2.

14Tout le pouvoir de la compagnie était centralisé dans le bureau de Katz, au dernier étage de l’immeuble Paramount de Times Square à New York. Ses assistants et lui décidaient de la moindre chose, depuis le dessin des tapis et la couleur des rideaux jusqu’aux partitions des orchestres et au choix des films présentés. De ce fait, Katz eut sans doute plus d’influence sur l’évolution du spectacle cinématographique que n’importe quel autre exploitant américain. Ses ordres étaient exécutés à la lettre, sa conception du scientific management ne tolérant aucun écart : « Rien n’arrive jamais accidentellement, répétait-il, mais tout arrive quand on utilise au mieux ce dont on dispose11. »

  • 12 Exhibitors Herald, 12 septembre 1925, p. 8-9 ; Moving Picture World, 26 mars 1927, p. 32-33 ; Publ (...)

15Katz organisa des cours de formation pour les directeurs de ses salles. Les enseignements étaient pour moitié théoriques, pour moitié pratiques (des stages dans les salles Paramount de New York). Chaque classe de 50 étudiants était entraînée à vendre au mieux les spectacles (par exemple en rédigeant des publicités pour la presse), tout en respectant des budgets serrés. Sam Katz savait que la bonne marche de son système dépendait de la compétence et de la docilité de ses subordonnés12.

  • 13 Publix Opinion, 27 avril 1929, p. 1.

16L’arrivée du son ne remit pas en cause le fonctionnement commercial de la chaîne. Des sketches filmés – de courts enregistrements des meilleurs numéros de vaudeville de l’époque – furent simplement substitués aux (plus coûteux) divertissements de scène. Publix Opinion, la publication interne de la compagnie, y trouva un nouvel argument publicitaire : « De formidables numéros sonores élèvent les cinémas Publix au sommet de leur catégorie13. »

17Promotion et publicité redoublèrent d’ailleurs avec le parlant... et la crise. Dans les classes de formation des directeurs, des panneaux affichaient les meilleures annonces, découpées dans les journaux du pays. Le cours consacré à la publicité assignait à cette dernière des fonctions précises :

  • 14 Publix Opinion, 11 mai 1929, p. 10.

C’est la publicité qui fait vendre. Elle concerne, dans le domaine du cinéma, des activités commerciales innombrables. C’est votre travail de contrôler toutes ces activités, en comprenant bien leurs possibilités et leurs limites. Car chacune peut faire entrer des dollars dans les caisses de votre cinéma14.

  • 15 Publix Opinion, 8 mai 1927, p. 1, et HAYWARD & WHITE, op. cit. p. 152-168 et p. 198-236.

18A cause du système de distribution imposé par les « majors » (qui assignait des prix d’entrée déterminés aux cinémas d’exclusivité et de reprise), on ne pouvait jouer sur le prix du billet pour attirer les clients. Il fallait convaincre le spectateur de payer la somme maximale (jusqu’à un dollar) pour accéder aux meilleurs spectacles sur le marché : ceux que seul Publix pouvait offrir à ses clients. Aussi Katz dépensait-il beaucoup d’argent pour la publicité. Mais la compagnie ne faisait jamais appel au service d’agences extérieures : c’étaient ses propres experts newyorkais qui, des mois à l’avance, préparaient les campagnes nationales, et il revenait ensuite aux directeurs locaux d’adapter et affiner ces campagnes selon la nature et les besoins spécifiques de leur clientèle15.

19Cinq orientations gouvernaient la politique publicitaire :

  • 16 Publix Opinion, 22 décembre 1928, p. 4 ; RICKETSON, Frank H., Jr., The Management of Motion Pictur (...)

201. Publix s’efforçait d’abord de « placer » des articles élogieux sur ses spectacles dans les deux principaux médias de l’époque : les journaux et les magazines. Ces présentations, rédigées par des spécialistes, étaient vendues aux journaux par les attachés de presse de la compagnie. A l’annonce de la sortie d’un nouveau film, le journal passait un portrait de la star ou un reportage « exclusif » sur les coulisses du tournage16.

21A défaut de vendre des articles, la chaîne achetait des espaces publicitaires dans la presse. Pendant la semaine, on se contentait d’annoncer les programmes et les horaires des salles ; le weekend, période de plus forte fréquentation, on achetait des pages pour présenter les films. La règle était que Publix dépense ainsi pour la publicité entre 5 et 10 % des recettes de ses salles.

  • 17 Moving Picture World, 26 mars 1927, p. 309, 348 et 422 ; Publix Opinion, 25 août 1928, p. 5 et 22 (...)

222. Publix répandit la pratique des campagnes d’affiches. Le poster, hérité du vaudeville et du théâtre, existait certes depuis longtemps, mais Publix en généralisa et en diversifia l’usage : les formats variaient de l’affichette (window card) au panneau géant (twenty four sheet) : certaines campagnes alignaient jusqu’à 10 000 affiches de toutes tailles sur l’ensemble du pays, imprimées en série à bas prix17.

  • 18 Publix Opinion, 8 mai 1927, p. 1 ; 22 décembre 1928, p. 4 ; 25 mai 1929, p. 4-5.

233. Publix développa les animations publicitaires (stunts). Si le film se passait à l’étranger, on habillait les placeurs dans le costume du pays. S’il avait rapport avec les trains, une locomotive de carton grandeur nature était installée près du guichet. Les patrons de Publix recommandaient de faire coïncider la sortie des films avec des événements scolaires ou sportifs, ou avec des fêtes : cérémonies de fin d’année, vacances, matchs de base-ball, fête des Pères etc. Publix offrait d’ailleurs des récompenses substantielles (par exemple plusieurs centaines de dollars ajoutés à leur paye hebdomadaire) aux directeurs de salles qui imaginaient les animations les plus efficaces18.

  • 19 Publix Opinion, 7 novembre 1927, p. 1 ; 22 décembre 1928, p. 4 ; 5 janvier 1929, p. 5 ; 16 février (...)

244. Publix tira le meilleur parti du dernier né des médias américains : la radio. Pour l’ouverture en novembre 1927 des nouveaux cinémas de Denver, Fort Worth et Birmingham, la direction new-yorkaise fit diffuser des enregistrements réalisés aux avant-premières des films. A la fin de l’émission, il était demandé aux auditeurs de téléphoner à leur journal local pour signaler leur écoute. En 1929, Paramount, devint actionnaire du jeune réseau CBS. A partir de cette date, des versions radiophoniques des films furent couramment diffusées sur les ondes, comme celle de The Virginian avec Gary Cooper19.

  • 20 Publix Opinion, 22 décembre 1928, p. 4 ; Howard T. LEWIS, Cases in the Motion Picture Industry. Ne (...)

255. Publix répandit enfin l’usage alors peu courant des bandes annonces (trailers). Ses salles pouvaient présenter sans frais des extraits des films à venir devant un public captif. Sam Katz attachait tant d’importance à ces annonces qu’il les faisait lui-même réaliser, les bandes fournies par les studios ne lui donnant pas satisfaction20.

  • 21 Motion Picture News, 31 juillet 1926, p. 396 ; Moving Picture World, 26 mars 1927, p. 309 ; Variet (...)

26A l’aube des années trente, Publix dépensait plus d’argent en publicité et promotion que dans n’importe quel autre secteur. La compagnie fournissait ses propres dossiers de presse, là encore par manque de confiance envers les produits fournis par les studios. Le press kit standard de la chaîne contenait des dessins et des photographies à expédier aux journaux locaux, des suggestions d’annonces pour la radio, et des idées d’animations. Pour la réalisation de ces « kits », Katz employait des professionnels expérimentés, débauchés des grandes firmes publicitaires de Madison Avenue : rien cependant ne sortait des bureaux new-yorkais sans son accord personnel21.

  • 22 Moving Picture World, 26 mars 1927, p. 309 ; Variety, 7 août 1929, p. 2-8 et 189 ; KENNEDY, op. ci (...)

27Le noyau dur de la politique de Publix était la publicité institutionnelle, cette dernière visant moins à vendre des films particuliers qu’à orienter et augmenter la demande pour le produit Publix en général. Dans les magazines nationaux et dans les quotidiens des grandes villes, la compagnie annonçait : « Vous n’avez pas besoin de savoir ce qui se joue dans les cinémas Publix : c’est forcément ce qu’il y a de mieux en ville. » Les illustrations montraient un picture palace de rêve, avec des spectateurs et des placeurs élégants, des intérieurs luxueux, des sièges confortables, des scènes et écrans gigantesques... entourés de glaçons. Des millions étaient ainsi dépensés dans des magazines comme Saturday Evening Post, Ladies Home Journal ou Cosmopolitan22.

  • 23 Publix Opinion, 5 juin 1927, p. 1.

28Les experts de la compagnie surveillaient avec le plus grand soin la diffusion des organes utilisés pour la promotion de leurs salles. Evoquant une campagne, Publix Opinion révélait ainsi que dix millions de personnes avaient été touchées, détaillant ensuite par quel support, et concluant qu’un Américain sur dix avait reçu le message23.

29Sam Katz suivait à la lettre les principes des publicistes de l’époque : promouvoir les qualités spécifiques de son produit. Il vantait donc la dimension et le confort de ses salles. Il attirait l’attention sur l’efficacité et la courtoisie du personnel. Il énumérait les attractions exclusives présentées dans les cinémas de la chaîne. Tels étaient bien les atouts particuliers du circuit.

30A la fin des années vingt, il lança aussi chaque été des campagnes exceptionnelles pour promouvoir l’air conditionné. Des centaines d’articles répétaient en 1928 que Publix était le plus gros acheteur au monde d’appareils de climatisation.

31Publix Opinion, fondé en avril 1927, était la voix de la compagnie. Katz insistait que cet organe était la propriété de la Publix Theaters Corporation, et que son contenu était confidentiel. Il était interdit d’en citer des extraits, a fortiori de les tronquer ou de les altérer. C’était surtout le moyen de faire circuler les idées dans la maison.

32L’année publicitaire commençait en automne, après Labor Day. Comme le font aujourd’hui les networks, Publix inondait alors le marché d’annonces pour lancer la saison cinématographique. Une campagne typique fut ainsi celle de septembre 1927, intitulée, « le mois de la moisson chez Publix » (on ciblait les citadins nostalgiques de leurs racines rurales). Une fois la campagne nationale engagée, on s’attela à la promotion particulière de chaque picture palace. Les directeurs des salles furent incités à trouver parmi les beautés locales une « Reine des moissons ». Des meules de blé et des cornes d’abondance apparurent sous les marquises et dans les lobbies. Des trailers ressortissant de la même imagerie furent distribués à tous les cinémas. L’abondance devint plus palpable encore lorsque des fans chanceux reçurent des cadeaux luxueux de leurs stars préférées : des boutons de manchettes d’Adolphe Menjou ou des montres en or de Bebe Daniels...

  • 24 Publix Opinion, 19 septembre 1927, p. 1 ; 26 septembre 1927, p. 1 ; 3 octobre 1927, p. 1 ; 10 octo (...)

33Cette débauche publicitaire fut couronnée de succès. D’Atlanta à Boston, du Texas à l’Iowa, les cinémas Publix enregistrèrent des records d’affluence. On associe généralement cette année 1927 à la sortie (et au succès populaire) du Jazz Singer, mais Publix, avec ses grands films muets comme Underworld, The Way of All Flesh et Romance, ou ses spectacles « live », ses orchestres et son personnel en uniforme continuait d’attirer le gros des foules24.

  • 25 Publix Opinion, 11 octobre 1927, p. 1.
  • 26 Barrons, 28 octobre 1929, p. 15 ; 7 novembre 1932, p. 16 ; Motion Picture Herald, 5 novembre 1932, (...)

34Publix avait ouvert une nouvelle ère de l’industrie du film, en installant Hollywood au cœur de toutes les grandes et moyennes villes des Etats-Unis. Mais si puissant que fût Sam Katz au tournant des années vingt, la grande Crise eut raison de lui. Au début d’octobre 1929, après des années de gros titres euphoriques, Publix Opinion notait « une chute sévère des entrées dans tous les cinémas du circuit le premier jour de la semaine25 » et demandait des mesures immédiates de redressement. Katz était ainsi un des premiers à pressentir les effets de la Dépression. Mais il ne les identifiait pas comme tels : comme si la prospérité devait être éternelle, il continua à emprunter pour prolonger la croissance de son empire. En 1932, la dette de Publix s’élevait à plusieurs centaines de millions de dollars, et les actionnaires de la Paramount Publix Corp. obligèrent Katz à démissionner. Ainsi s’achevait la première grande période de l’histoire du spectacle cinématographique aux Etats-Unis26.

35Mais l’héritage de Publix ne disparut pas pour autant : les cinémas importants restèrent propriété de chaînes ; les programmes continuèrent à être composés dans les bureaux new-yorkais ; les campagnes publicitaires furent toujours décidées et conçues au sommet. La Dépression avait eu raison de Publix, mais pas de ses méthodes. Elles fleurissent aujourd’hui encore, à une échelle élargie par le développement des nouveaux médias, et conditionnent plus que jamais toute l’industrie du film.

Notes

1 Motion Picture News, 31 juillet 1926, p. 396 ; Motion Picture Herald, 5 novembre 1932, p. 9-10 ; Variety, 7 août 1929, p. 3.

2 Douglas GOMERY, Shared Pleasures : A History of Movie Presentation in the United States, Madison, University of Wisconsin Press, 1992, p. 57-61.

3 Alfred D. CHANDLER, The Visible Hand : The Managerial Revolution in American Business, Cambridge, Harvard University Press, 1977, p. 209-284 ; Richard S. TEDLOW, New and Improved : The Story of Mass Marketing in America, New York, Basic Books, 1990, p. 1-21.

4 Walter S. HAYWARD & Percival WHITE, Chain Stores, 3e édition, New York, McGraw Hill, 1928, p. 1-14.

5 CHANDLER, op. cit. p. 233237 ; Thomas C. COCHRAN, 200 Years of American Business, New York, Delta, 1977, p. 116-117 ; TEDLOW, op. cit. p. 186-214.

6 GOMERY, op. cit. p. 40-56.

7 Exhibitors Herald, 19 juillet 1926, p. 50.

8 Variety, 22 septembre 1922, p. 1 ; 14 juin 1923, p. 21 ; 31 janvier 1924, p. 21 ; 11 mars 1925, p. 39-40 ; Motion Picture News, 31 juillet 1926, p. 395-396 ; Joseph P. KENNEDY (dir.), The Story of Films, Chicago, A. W. Shaw, 1927, p. 276-277.

9 Motion Picture News, 10 mai 1924, p. 2085 ; 14 février 1925, p. 708 ; 14 mars 1925, p. 1150 ; Variety, 14 janvier 1925, p. 21 ; 2 septembre 1925, p. 33 ; 4 novembre 1925, p. 29 ; 16 décembre 1925, p. 29 ; 7 avril 1926, p. 24-28 ; Motion Picture News, 31 juillet 1926, p. 96.

10 Motion Picture News, 9 janvier 1926, p. 203 ; Publix Opinion, 24 avril 1927, p. 1 ; 1er mai 1927, p. 1 ; 12 mars 1928, p. 5.

11 Publix Opinion, 30 avril 1927, p. 2.

12 Exhibitors Herald, 12 septembre 1925, p. 8-9 ; Moving Picture World, 26 mars 1927, p. 32-33 ; Publix Opinion, 28 janvier 1928, p. 2 ; 4 février 1928, p. 1 ; 29 mai 1929, p. 5.

13 Publix Opinion, 27 avril 1929, p. 1.

14 Publix Opinion, 11 mai 1929, p. 10.

15 Publix Opinion, 8 mai 1927, p. 1, et HAYWARD & WHITE, op. cit. p. 152-168 et p. 198-236.

16 Publix Opinion, 22 décembre 1928, p. 4 ; RICKETSON, Frank H., Jr., The Management of Motion Picture Theatres, New York, McGraw Hill, 1938, p. 216-221.

17 Moving Picture World, 26 mars 1927, p. 309, 348 et 422 ; Publix Opinion, 25 août 1928, p. 5 et 22 décembre 1928, p. 4.

18 Publix Opinion, 8 mai 1927, p. 1 ; 22 décembre 1928, p. 4 ; 25 mai 1929, p. 4-5.

19 Publix Opinion, 7 novembre 1927, p. 1 ; 22 décembre 1928, p. 4 ; 5 janvier 1929, p. 5 ; 16 février 1929, p. 1 ; 1er novembre 1929, p. 1-2.

20 Publix Opinion, 22 décembre 1928, p. 4 ; Howard T. LEWIS, Cases in the Motion Picture Industry. New York, D. Van Nostrand, 1933, p. 242-245.

21 Motion Picture News, 31 juillet 1926, p. 396 ; Moving Picture World, 26 mars 1927, p. 309 ; Variety, 7 août 1929, p. 10.

22 Moving Picture World, 26 mars 1927, p. 309 ; Variety, 7 août 1929, p. 2-8 et 189 ; KENNEDY, op. cit. p. 280 ; Harold B. FRANKLIN, Motion Picture Management, New York, George H. Doran Company, 1927, p. 242-245 ; LEWIS, op. cit. p. 516-518.

23 Publix Opinion, 5 juin 1927, p. 1.

24 Publix Opinion, 19 septembre 1927, p. 1 ; 26 septembre 1927, p. 1 ; 3 octobre 1927, p. 1 ; 10 octobre 1927, p. 1 ; 17 octobre 1927, p. 1 ; 24 octobre 1927, p. 1.

25 Publix Opinion, 11 octobre 1927, p. 1.

26 Barrons, 28 octobre 1929, p. 15 ; 7 novembre 1932, p. 16 ; Motion Picture Herald, 5 novembre 1932, p. 9-10.

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