1Forte de plus de quarante musées portant sur le Débarquement1, la Bataille de Normandie ou un de leurs aspects, la Basse-Normandie est une des régions de France les plus denses en musées d’histoire de la Seconde Guerre mondiale2. Elle constitue ainsi un terrain privilégié pour s’interroger sur la représentation de l’événement « Jour J ». Pour autant, ces musées n’ayant pas suscité jusqu’à ce jour de travaux scientifiques, le Centre de recherche d’histoire quantitative a initié en 2013-2014 une vaste enquête de terrain3. Celle-ci a permis de circonscrire dans le temps et l’espace notre corpus d’étude, de mettre en exergue quelques caractéristiques propres. Il s’agira aussi de nous interroger sur l’histoire telle qu’elle y est relatée (est-elle en adéquation avec la connaissance historique ?) et sur la fonction du musée : s’inscrit-il dans une démarche historique, mémorielle, touristique ou tout cela à la fois ?

2Si les limites géographiques et temporelles ont été facilement établies – les trois départements bas-normands, la Manche, le Calvados et l’Orne formant le vaste théâtre des opérations du 6 juin au 25 août 19444 – il n’en est pas de même pour l’objet-même de l’étude dont la définition recouvre des réalités extrêmement diverses. Il est judicieux de s’arrêter sur celle proposée par l’ICOM (International Council of Museums) en 2007 :

« Le musée est une institution permanente sans but lucratif au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’études, d’éducation et de délectation. […] Le musée doit s’efforcer de s’assurer que les informations données dans les présentations et les expositions sont honnêtes et objectives et qu’elles ne perpétuent pas de mythes ou de stéréotypes. »

3Trois aspects propres au musée sont ici mis en exergue : il est assimilé à une collection, il a une vocation sociale d’éducation et joue un rôle scientifique quant à l’étude de ses collections. Cette définition est une référence internationale, mais il n’en reste pas moins que de nombreux lieux qui se baptisent « musée » ont un projet sensiblement éloigné des préoccupations de l’ICOM. Peu de musées normands seraient ainsi retenus tant la définition est exigeante. Aussi l’étude de terrain s’est attachée à une définition beaucoup plus large afin d’y inclure la plupart des lieux s’identifiant à un « musée », à un « mémorial » ou à un « centre » :

• un lieu ouvert à la visite du public (quelles que soient les plages d’ouverture, de quelques semaines en été à l’ensemble de l’année) ;
• des expôts5 présentés au public ;
• la présence de panneaux explicatifs, aussi modestes soient-ils, qui permettent l’interprétation : titres, textes, cartels (notices explicatives des objets). Sur ces critères, quarante-deux musées ont été visités. Afin d’avoir une

4visite la plus objective possible, un guide de visite a été établi, très inspiré des travaux du programme de recherche « Les présents du passé6 ». Chaque visite a bénéficié d’un reportage photographique et d’un rapport de visite. Celui-ci porte sur l’environnement extérieur (signalétique, intégration dans les programmes des offices de tourisme, présence d’objets-phares) et un volet sur la gestion du musée (personnel employé, formation, nombre de visiteurs, budget, statut juridique). La muséographie est l’aspect le plus développé de l’enquête (présence de cartels, de textes explicatifs, de mannequins), de médias audiovisuels (documents sonores, films etc.), thèmes abordés (les chefs politiques et militaires, les soldats allemands ou alliés, les événements retenus, le déroulé des batailles, le sort des populations civiles, le contexte national et international de l’événement relaté). Les sites Internet des musées, leurs documentations (guides de visite, dépliants publicitaires, livrets pédagogiques) ont été analysés ainsi que les articles de la presse locale qui leur sont consacrés aux années de création des musées et aux périodes d’anniversaire du 6 Juin7.

Un secteur économique en expansion

Concentrés sur les plages

5Un travail de recherche mené en 20108 avait permis de constater que les zones de combat et les édifices militaires étaient un bon terreau pour faire pousser les musées. Les champs de bataille de 1939-1940 (Picardie, Somme, Alsace-Lorraine), les fortifications françaises et allemandes (ligne Maginot, mur de l’Atlantique) et les régions de maquis (Vercors) accueillent de nombreux musées. La Normandie n’échappe pas à la règle mais, en y regardant de plus près, il apparaît que ces musées sont inégalement répartis sur le territoire régional. En effet, alors que les combats les plus meurtriers et les plus longs se déroulent dans l’intérieur des terres (bocage de la Manche, plaine de Caen, poche de Falaise), la carte située à la fin du cahier couleur montre que les musées se concentrent dans le périmètre des plages et celui des zones de parachutage du 6 juin 1944.

6Là encore, force est de constater que l’implantation montre la préférence accordée à l’événement « 6 juin 1944 » plutôt qu’à la Bataille de Normandie. La présence de ces musées au plus près du lieu historique assure leur bien-fondé : « Ça s’est passé ici », comme le stipule le Centre Juno Beach « qui s’est établi sur la plage historique du débarquement canadien du 6 juin », ou le Mémorial de la Liberté retrouvée à Quinéville d’où « vous pourrez scruter la plage d’Utah Beach à partir d’un authentique blockhaus ». Qui plus est, bon nombre de musées sont eux-mêmes des objets d’histoire, tels ceux installés dans les points d’appui du mur de l’Atlantique9.

7Ces zones historiques étaient, bien avant l’été 1944, des zones de forte fréquentation touristique. Les côtes du Calvados n’avaient en effet cessé de développer le tourisme balnéaire depuis la fin du xix^e siècle. Après Cabourg et Deauville, toutes les communes de la côte de Nacre avaient ainsi élargi l’offre propre aux touristes. Ce public captif ne demande qu’à se promener et enrichir ses connaissances les jours pluvieux ; ils ont été naturellement dirigés vers les sites historiques qui, dès la fin de la guerre, se sont projetés comme lieux touristiques et ont cherché à accroître leur fréquentation. Ce phénomène a contribué à accentuer la concentration des musées sur la frange littorale. À cet égard, il est significatif que l’un des derniers musées créés, Overlord Museum, s’est installé à Colleville-sur-Mer, à proximité des quatre autres musées présents sur le secteur d’Omaha Beach et du cimetière américain qui drainent plus d’un million de visiteurs par an.

L’explosion des années 1980

8Bien que, dès 1945, le Comité du Débarquement ait prévu dans ses statuts que « ses moyens d’action consistent dans l’organisation de cérémonies, de conférences, d’expositions, l’établissement de musées, de monuments et tous autres moyens appropriés », aucun musée n’est construit avant le 10^e anniversaire. Quelques projets sont lancés en 1948 et 1949, mais les dévastations causées par la guerre et la lenteur de la reconstruction ralentissent leur réalisation. Ce n’est pas avant 1953 que le musée d’Arromanches ouvre ses portes10. En 1954, le Musée de la Libération à Cherbourg et le musée Juin 44 à L’Aigle sont inaugurés. Comme partout en France, les années 1960 ne sont pas favorables : seuls deux musées, situés dans la Manche, sont inaugurés : le Musée du Débarquement à Sainte-Marie-du-Mont en 1962 et le musée Airborne à Sainte-Mère-Église en 1964. À l’occasion du 35^e anniversaire est inauguré le Musée de la Bataille de Tilly-sur-Seulles.

9Les années 1980 sont, en revanche, plus significatives. Sept musées sortent de terre, et pas des moindres : le Musée-Mémorial de la Bataille de Normandie (1981) à Bayeux, le musée de la Batterie de Merville (1982) à Merville-Franceville-Plage, le Mémorial de Caen et le Grand Bunker (1988) à Ouistreham. L’effervescence de créations, agrandissements, refontes et rénovations des musées en Normandie est à apprécier dans une plus large perspective. Ce mouvement est général pour l’ensemble des musées, quel que soit leur sujet (histoire, sciences ou beaux-arts), dans un contexte de démocratisation de la culture, de développement de l’industrie touristique et de l’économie du divertissement. Localement, il est accentué par l’engouement commémoratif qui touche la société française en général et la Normandie en particulier. L’allure de la courbe de création des musées est similaire à celle des plaques, stèles et monuments commémoratifs qui s’implantent en Normandie : on en dénombre plus de 800 dans le Calvados dont les trois quarts sont mis en place à partir des années 198011.

10Depuis les années 1990, la croissance muséale ne ralentit pas, même si les musées créés sont de moindre importance et privilégient un champ spécifique permettant ainsi de jouer la complémentarité et de limiter les effets concurrentiels12.

Un paysage hétéroclite

11Quel que soit le critère de comparaison retenu, l’offre muséale est extrêmement variée. Les plages d’ouverture se modulent ainsi du « dimanche après-midi en période estivale » à sept jours sur sept, sachant que la plupart ne sont ouverts que de mai à septembre. La nature et la surface d’exposition varient également de manière considérable, entre « la salle à côté de la mairie » et la plateforme de 400 m². La fréquentation est aussi à la hauteur des moyens de communication de chacun et détermine les « poids lourds » des « petits musées ».

12Au total, en année ordinaire, les musées enregistrent entre 1,5 et 1,8 million de visites. En année de commémoration décennale, le chiffre est supérieur de 40 à 50 %. En 2014, le succès ne se dément pas. Ainsi, le Mémorial de Caen, le Musée du Débarquement à Arromanches et le Visitor Center de Colleville-sur-Mer sont à classer parmi les plus importants, ils comptabilisent, à eux seuls, près de 1,3 million de visites13. Sept autres musées, de moyenne envergure, drainent ensemble 1,42 million de visites, soit une moyenne de 200 000 visiteurs annuels. Enfin, une vingtaine de musées oscillent entre 1 000 et 90 000 visiteurs chacun, soit un ensemble de 550 000 visites. Certains ne sont ouverts que quelques jours par semaine en été et, par conséquent, le nombre de visiteurs ne dépasse pas le millier. En très grande majorité, les musées sont payants ; plus le musée est grand, plus le prix est élevé. Les plus petits musées sont gratuits ou demandent une modeste contribution. L’opération « Overlord » ayant impliqué un très grand nombre de pays (États-Unis, Royaume-Uni, Pays du Commonwealth tels que le Canada et la Nouvelle-Zélande) et d’Européens exilés en Grande-Bretagne (Polonais, Belges, Néerlandais, Luxembourgeois, Norvégiens, Tchécoslovaques, etc.), il en découle une autre spécificité des musées normands. Les étrangers y viennent en grand nombre comme au Musée du Débarquement à Arromanches où ils représentent la moitié des visiteurs, parmi lesquels 20 % sont britanniques14.

13Il semble que, dans l’ensemble, les musées se portent bien. Dans l’état actuel de la recherche15, cinq musées ont fermé leurs portes : le musée Août 44 à Falaise, le musée de la Percée d’Avranches, le musée du Général de Gaulle à Bayeux, le musée Pegasus à Bénouville (transféré à Ranville dans de nouveaux espaces), le musée Leclerc à Alençon, les causes de fermeture n’étant pas nécessairement une question financière. Certains constituent une véritable manne financière pour leurs propriétaires, particuliers, associations ou collectivités territoriales. Les chiffres d’affaires ne sont pas connus, mais les musées qui emploient au total plus de 200 personnes participent au développement touristique et économique de la région. L’objectif économique prévaut d’ailleurs sur l’objet pédagogique : peu d’historiens ou de conservateurs de musée en sont les directeurs. Il est significatif qu’un seul conservateur de musée soit à la tête d’un musée de guerre en Normandie, à Cherbourg. Un seul responsable (celui du Musée de Montormel) a une formation d’historien. Les métiers et les formations les plus divers mènent à la tête d’un musée : anciens militaires, commerciaux, chargés de communication, professionnels du tourisme, de l’édition ou de la presse qui revendiquent à un moment ou un autre être « passionné d’histoire », « né ici » ou « collectionneur depuis toujours ».

De l’initiative locale… au projet international

14En France, en ce qui concerne les musées de la Seconde Guerre mondiale et mis à part les musées régimentaires dépendant de l’Armée, seuls le Mont-Valérien, le camp du Struthof, le musée du Vercors et le musée de Gaulle aux Invalides relèvent de l’État. Cependant, la création d’un label « Musée de France », en 2002, a permis d’apporter le soutien de l’État aux institutions soucieuses de répondre à la déontologie évoquée dans la définition de l’ICOM (cf. supra). En Normandie, quatre musées sont estampillés « Musée de France » : le Musée du Débarquement (Arromanches), le Musée de la Bataille de Tilly-sur-Seulles, le Mémorial de Caen et le Musée de la Libération de Cherbourg16.

15De même, les collectivités territoriales sont en retrait dans la gestion de la plupart d’entre eux. Elles étaient en première ligne, à l’époque des trente glorieuses, à Cherbourg ou à L’Aigle. Depuis, la crise étant passée par là, elles délèguent la gestion à des structures associatives ou semi-publiques. Le Mémorial de Montormel, édifié par le conseil général de l’Orne, est dorénavant géré par une association qui a reçu une délégation de service public. Le Mémorial de Caen, initié par le maire de la ville, est géré par une Société d’économie mixte (SEM). Le plus souvent, c’est l’initiative privée qui domine. Près de la moitié des musées relèvent du droit privé et ne bénéficient d’aucune aide, ni à leur création, ni pour leur fonctionnement. Quinze musées sont gérés par des associations loi 1901, dont un par le Comité du Débarquement fondé par Raymond Triboulet. Le Musée Pegasus à Ranville, né d’une situation conflictuelle avec l’ancien musée situé à Bénouville, est géré par le Comité comme l’avait été le Musée du Débarquement à Arromanches, désormais confié à la municipalité d’Arromanches sous la forme d’un groupement d’intérêt public en 2007. L’association est une forme de gestion souple qui permet aussi de recevoir des subventions des municipalités17 pour de nombreux musées ouverts sous l’impulsion de bénévoles particulièrement impliqués dans l’histoire locale. La plupart des musées installés dans les blockhaus allemands se sont créés à l’huile de coude des volontaires qui ont dégagé de la terre et des ronces des bâtiments à l’abandon18.

16En revanche, peu de musées en France rencontrent un soutien aussi important de nations étrangères, à l’époque alliées. Pour beaucoup de vétérans britanniques, américains, canadiens et polonais, la Normandie est la terre de l’aventure de leur vie et de leur jeunesse, celle où reposent leurs camarades tués au combat. Surtout, les libérateurs et ceux qu’ils ont libérés partagent une mémoire commune qui vient se greffer au récit historique. Cela explique la présence exceptionnelle des nations alliées dans les musées, par le biais des États, des associations ou des vétérans à titre personnel. Ainsi, dès l’immédiat après-guerre, le projet de Musée de la Libération à Cherbourg a été largement soutenu par l’ambassade des États-Unis. De même, lorsque le Comité du Débarquement crée le Musée du Débarquement, c’est avec le soutien sans faille des associations britanniques de vétérans qui avaient participé à la construction du port artificiel. La fabrication de la fameuse maquette simulant le port artificiel en 1944 a été financée par les entreprises qui avaient construit l’original. Dans les années 1980, la ville de Caen a lancé un appel aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni pour créer des comités de soutien au projet de création du Mémorial pour la paix19. Ils facilitèrent l’accès à la documentation, les achats de collection, les dons et les dépôts d’archives. Et encore aujourd’hui, l’agrandissement du musée Airborne à Sainte-Mère-Église est financé, en partie, par diverses associations ou fondations américaines. L’État canadien est de son côté partie prenante dans l’élaboration à Courseulles-sur-Mer du Centre Juno Beach, initié par l’association des anciens combattants canadiens. Le centre d’interprétation (Visitor Center) situé à proximité du cimetière américain de Colleville-sur-Mer et celui de la pointe du Hoc, à Cricqueville-sur-Mer, ont été conçus et créés par l’American Battle Monuments Association sur des terrains concédés par l’État français au gouvernement américain. Plusieurs associations de vétérans alliés ont été ou sont encore impliquées dans la création et la gestion des musées comme au musée America Gold Beach à Ver-sur-Mer ou au Memorial Pegasus. Enfin, bon nombre de musées (tels The Big Red One Assault Museum ou The Dead Man’s Corner Museum), s’enorgueillissent d’avoir en exposition des objets donnés par des vétérans ayant participé au Débarquement ou à la libération du village.

Des musées pour qui ? Pour quoi ?

17Comme toute recherche visant à catégoriser ses objets d’étude, le classement des musées en catégories est forcément réducteur. Mais les uns et les autres s’apparentent néanmoins à trois différents courants muséographiques.

Du cabinet de curiosités… au musée de collection

18Comme le stipulent les dépliants, le musée est ici le lieu de présentation d’une collection d’objets liés à l’histoire des combats. En règle générale, la collection privée préexiste à la création du musée. Son propriétaire en devient le directeur. Ce rapport étroit entre collectionneur et responsable d’institution est toujours présent. Des bourses de militaria sont organisées à proximité du musée, la boutique du musée vend des objets d’époque, comme au Centre historique des parachutistes à Saint-Côme-du Mont ou au Musée de la Libération à Sainte-Marie-du-Mont.

19Aussi, le musée s’organise et axe sa communication autour de la collection. Le Musée mémorial Omaha Beach à Saint-Laurent-sur-Mer déclare rassembler « une importante collection d’objets personnels, de véhicules, d’uniformes et d’armes ». Le Musée Overlord à Colleville-sur-Mer, ouvert en 2014, annonce disposer d’« une collection unique en Europe, 10 000 pièces, plus de 35 véhicules, chars et canons20 » constituée pendant « 40 années de recherches et de passion ». Le Centre historique des parachutistes indique pour sa part que « le trésor sans pareil » a été accumulé par trois passionnés. À Vierville-sur-Mer, le Musée Omaha présente au public « 30 ans de recherche et de récupération », celui d’Utah Beach insiste sur une « très riche collection d’objets, de véhicules et de matériels ». Autant d’exemples qui démontrent que ce qui importe ici est l’objet d’époque.

20L’inaliénabilité des collections, leurs inventaires, leurs descriptions et leurs classements, démarches propres aux institutions publiques, ne sont pas ici prioritaires. Les notices des objets sont rares et ne disent rien de la provenance des pièces (mis à part lorsqu’il s’agit d’un don de vétéran). Les « doublons » peuvent faire l’objet de transactions et d’échange21. Ces musées privés ne disposent pas (ou peu) de réserves car l’objectif est de montrer tout ce qui a été rassemblé. Lorsque la collection est trop importante, le parti pris est d’agrandir le musée et non pas de sélectionner les objets. Proches, dans l’esprit, des cabinets de curiosité de l’époque moderne puis des collections privées du xviii^e siècle, les vitrines présentent des uniformes ou pièces d’uniformes (casques, chaussures), des insignes et des décorations, des armes de poing (poignards, pistolets, mitraillettes, etc.), des munitions mais aussi des objets de la vie quotidienne du soldat (cigarettes, briquets, etc.). Ceux disposant d’espaces adéquats présentent des véhicules militaires (jeeps, camions, blindés).

21Le musée cherche l’exhaustivité dans un domaine et expose des casques de toutes nationalités, des paquets de cigarettes de toutes les marques, des insignes de tous les régiments d’une nation, etc. Il recherche aussi la rareté, l’objet incongru. La collection se construit dans cet esprit. L’espace muséal s’organise autour des objets et non pas autour d’un récit. « La dictature de la collection22 » est la ligne directrice. Les objets rassemblés sont d’une richesse exceptionnelle car les acquisitions ne sont nullement le fruit du hasard. Elles s’inscrivent dans une démarche précise visant à rassembler tous les objets témoignant d’un aspect de la guerre. Pour autant, le collectionneur, qui a une connaissance exceptionnelle des objets, en fait rarement part au visiteur : les textes et les cartels sont peu fréquents dans les vitrines.

22Ces musées privilégient le diorama23. Les scènes, représentées à l’échelle 1, permettent le récit visuel d’objets mis en scène. Un ou plusieurs mannequins sont mis en situation, revêtus d’uniformes, armés jusqu’aux dents, entourés d’une multitude d’objets liés à l’univers de la guerre24. Plutôt démodée, peu appréciée des conservateurs, cette forme de représentation rencontre cependant toujours l’agrément du public. La scène est imaginaire mais vraisemblable, car inspirée par des photographies d’époque25. Reconstituer une scène de guerre n’est-il pourtant pas un projet vain ? Comment représenter la réalité de la guerre ? Comment représenter le quotidien du soldat au combat, c’est-à-dire la peur, la violence et la mort qui sont pourtant le quotidien d’un combattant ?

23L’exposition ne répond pas nécessairement à une trame narrative, elle est un prétexte pour présenter les expôts. Le Musée-mémorial Omaha, à Saint-Laurent-sur-Mer, est une succession de scènes26 dont le clou sonorisé est le débarquement sur Omaha Beach. Ici, le diorama s’organise chronologiquement de la vie des civils « avant l’arrivée des Allemands » jusqu’aux scènes de bataille à Omaha Beach et de liesse entre soldats et civils. Sur la plage, à Omaha, est représenté un soldat mort, dans une autre scène des soldats allemands blessés et prisonniers, enfin des femmes militaires et des soldats noirs. Certes, la scène du débarquement donne lieu à une représentation chronologique très précise qu’expliquent la localisation et le thème du musée. Le choix de présenter des minorités (femmes et soldats noirs) ou d’évoquer la mort sont par ailleurs louables, mais à aucun moment les dioramas ne sont prétexte à histoire : le visiteur ne saura rien du nombre de femmes engagées sous l’uniforme en Normandie, pas plus que le nombre et le rôle des soldats noirs au sein de l’armée américaine.

24La pièce d’époque prévaut dans ces musées. Pour autant, on y trouve des expôts de natures très différentes. Une vitrine peut contenir, pêle-mêle, des objets d’époque comme des photographies récentes, une peinture actuelle du général Eisenhower, ou encore des plaques commémoratives, sans distinguer l’intérêt documentaire et la valeur historique des uns ou des autres. Le musée-collection présente aussi des objets trouvés sur le site où s’est installé le musée afin de renforcer sa légitimité. Soucieux de « mettre en exergue les traces du passé » et d’apporter la preuve que « ça s’est passé ici », ces pièces sont rassemblées dans une vitrine ou un espace autonome. Ces traces de la guerre peuvent être l’objet même du musée. Ainsi, le propriétaire du Musée des Épaves sous-marines à Commes, qui avait eu une concession en bonne et due forme de l’État, a pris le parti d’exposer des objets sortis de la mer délaissés par les ferrailleurs après la guerre. D’une nature sensiblement différente, le Musée de la Libération à Berjou, dans l’Orne, dont le propriétaire a enquêté auprès des personnes âgées de sa région pour connaître précisément les lieux des combats, arpente le champ de bataille avec un détecteur de métaux. Il ne présente que des « objets qui portent en eux une part d’histoire en restant parfois les derniers témoins de ces horribles combats ».

De la salle d’honneur

25Salles d’honneur ou musées de tradition font partie de la culture militaire. Ils permettent à chaque arme, chaque corps de troupe, de sanctuariser un espace dont la fonction est multiple. Il perpétue la mémoire des camarades tués au champ d’honneur. Il conserve les traces d’un passé glorieux qui fédère les hommes, des anciens combattants aux recrues fraîchement incorporées. Enfin, de plus en plus souvent, il s’ouvre vers le public, notamment les plus jeunes, afin de faire connaître et comprendre les spécificités du combat, celui des troupes de marine, des parachutistes ou des légionnaires.

26Le Comité du Débarquement comprend très vite que la terre normande est aussi une terre de pèlerinage. Aussi s’emploie-t-il, par diverses expositions et manifestations, à attirer, dans un premier temps, les anciens combattants et leurs familles et développer ce qui n’est pas encore le « tourisme de mémoire » grâce à un « accélérateur27 » : la commémoration. La première est organisée dès le 6 juin 1945, bien avant l’installation des musées.

27La plupart des sites où s’érigent les musées ont été des lieux de combats et sont donc aussi des lieux du souvenir : au pont de Bénouville, à Sainte-Mère-Église, à la batterie de Merville, les vétérans s’y recueillent et y déposent les poppies ou quelque relique. Soucieux d’accueillir au mieux leurs libérateurs, des liens forts se sont noués au fil du temps : la commune réserve toujours le meilleur accueil aux anciens combattants. Aussi le musée local reçoit naturellement les objets personnels des combattants, d’une grande valeur puisqu’ils sont porteurs d’une histoire intrinsèque. Le dépliant du Musée Airborne rappelle que « Sainte-Mère-Église n’a jamais oublié que la Liberté est venue du ciel et que ce fut au prix d’un lourd tribut payé par les parachutistes des 82^e et 101^e divisions aéroportées américaines, le Jour J ». Depuis cette date, la mémoire collective a intégré ce souvenir de génération en génération. De même, le Musée Pegasus situé à Ranville, dans la zone de parachutage britannique, « est dédié aux soldats de la 6^e division aéroportée britannique » et revendique son statut de « musée de la 6^th Airborne ». Le Musée des Rangers est, à ce titre, un autre exemple significatif. Il fait référence à un exploit du Débarquement. La pointe du Hoc, située entre les deux plages du secteur américain, est une défense allemande d’importance disposant d’une batterie menaçante pour les zones de Débarquement. Le 2^e bataillon de rangers est chargé de la neutraliser. Des 225 hommes partis à l’assaut à l’aube, seuls 90 sont encore aptes au combat au soir du 6 juin. Ronald Reagan y organise une cérémonie commémorative en 198428. En 1990, les vétérans demandent à la municipalité de Grandcamp-Maisy de mettre à leur disposition une salle d’exposition. Inauguré la même année, le musée devient, aux dires même des rangers, « la maison des Rangers ». Une salle modeste est constituée de panneaux historiques bilingues conçus et écrits par le vétéran-historien américain, Louis Risko, et de vitrines qui accueillent les objets personnels des anciens soldats. Le musée devient de facto un sanctuaire : les objets comme les nombreuses photographies, ont « appartenu à ces glorieux combattants29 ».

28La mise en musée des objets personnels constitue pour les vétérans un honneur, une reconnaissance de leur vécu. Les présenter, lorsque l’on connaît, que l’on a connu les hommes ou leur famille, lorsque les explications entourent les conditions du don ou l’histoire de l’objet, transforme le statut de cet objet ; il n’est plus seulement un symbole ou une illustration évoquant tel ou tel événement historique. L’histoire du soldat suscite l’empathie et les objets deviennent autant de reliques dont le déplacement ne peut même pas être envisagé sans soulever tourment et inquiétude de la part des vétérans. Le musée devient ainsi peu à peu un lieu « destiné à conserver, à perpétuer le souvenir ».

29Ainsi, ces musées répondent à une double fonction. Celle de musée : on y raconte l’histoire du corps de troupe, de la division, et plus généralement l’histoire du 6 Juin ou d’un événement lié au Débarquement. Ils sont aussi perçus par les vétérans comme lieu de mémoire et de recueillement. Ainsi, le Musée de Montormel, dans l’Orne, construit sur le lieu des combats meurtriers de la fermeture de la poche de Falaise, présente un espace où une sculpture artistique évoque la souffrance des soldats dans la guerre. Il n’est pas rare d’y voir quelques croix de bois surmontés de coquelicots déposés par des visiteurs. Les cérémonies commémoratives s’y déroulent, les vétérans y ont un statut particulier : invités d’honneur, ils sont accueillis, avec chaleur, par le maire, les habitants et les enfants de la commune. Ils sont invités à un déjeuner et hébergés dans les familles. Les musées en sont quelques fois la pierre angulaire et participent aux manifestations. À Montormel, une messe en plein air y est donnée à chaque anniversaire en la mémoire des soldats et devient naturellement le lieu sur lequel s’implante le musée. Un engagement moral – « honorer nos libérateurs » – lie les uns et les autres, illustrant ainsi la fonction sociale du musée dans son environnement local.

30L’histoire se raconte ici à hauteur des exploits et des faits d’armes. Le discours oscille entre l’hagiographie « des héros », des « soldats glorieux », des « exploits hors du commun », des « assauts inimaginables » et le souci d’inscrire une histoire individuelle dans l’épopée du Débarquement. Dans ces lieux, les responsables des musées entretiennent souvent des liens personnels et amicaux avec les vétérans. Il leur est alors difficile d’avoir une approche critique, propre à la discipline scientifique, comme l’illustre le cas du Musée de la Big Red One. Tout à l’éloge des soldats de la 1^re division d’infanterie américaine qui tombèrent sur la plage d’Omaha à l’aube du D-Day, le responsable du musée a écrit le texte sur le lieutenant Edmund dont les objets personnels sont présentés :

« [Il] prit instantanément le commandement de la compagnie et, n’écoutant que son courage, mena ses hommes dans un secteur plus protégé à travers un champ de mines. Ignorant l’intensité des tirs de mitrailleuses lourdes et d’artillerie ennemie, il se déplaça de nombreuses fois d’un endroit périlleux à un autre et regroupant des Gi’s séparés de leurs unités et les dirigea vers leurs secteurs respectifs… »

Le musée d’histoire : le « musée froid » ?

31Il reste enfin les musées qui mettent véritablement l’histoire au cœur de leur préoccupation30. Trois musées ont fait le choix muséographique de présenter la Seconde Guerre mondiale : Le Mémorial de Caen, le Musée de la liberté retrouvée à Quinéville et Juin 44 à L’Aigle. Les expositions sur le Débarquement et la Bataille de Normandie s’inscrivent ainsi dans un discours historique beaucoup plus large. Le parcours est généralement conçu par un historien, un groupe d’historiens, ou encore de bons connaisseurs de la Seconde Guerre mondiale31.

32Dans les musées d’histoire, le discours historique s’inscrit dans une démarche pédagogique où le musée remplit pleinement ses missions : apporter au visiteur la connaissance nécessaire à la compréhension de l’événement. Ils se préoccupent du public et notamment des plus jeunes en développant une muséographie adaptée, des visites et des guides qui leurs sont destinés. Ils sont à même de relater l’événement de différents points de vue en inscrivant, par exemple, le discours d’un chef militaire en relation avec le témoignage d’un combattant. Les textes ne sont pas seulement la relation de l’événement, la description de ce qui s’est passé, il s’agit aussi de comprendre la portée de l’événement et d’en apprécier l’enjeu. L’accent est mis sur le contexte de l’événement « Jour J ». Ce peut être la genèse de l’opération « Overlord » (à Bayeux), l’histoire de la nation des combattants (à Courseulles-sur-Mer), ou encore le contexte de l’occupation de la France comme au Musée de la percée du Bocage à Saint-Martin-des-Besaces32.

33La plupart de ces musées se démarquent des précédents par une certaine distance prise avec l’objet. Dans les musées présentant des collections, celles-ci sont généralement conservées dans des réserves et font l’objet de mesures de préservation, de conservation et de restauration. Les dons et achats sont inscrits dans des registres afin d’en garantir la pérennité et l’inaliénabilité au sein de l’institution. Leur présence dans la scénographie du musée fait l’objet d’une réflexion, d’un choix scientifique sur différents critères : l’état du document ou de l’objet, le sens qu’il apporte au propos général. L’expôt est présenté au public pour apporter la preuve au texte, il opère comme une affirmation, une illustration ou un symbole. En tenant ainsi à distance la mémoire de l’événement au profit de son histoire, le musée d’histoire entretient avec le témoin une relation moins intime. Dans les musées anglo-saxons (les deux Visitor Centers et le Centre Juno Beach) qui s’inspirent de l’esprit des centres d’interprétation, le visiteur est peu confronté à l’objet. À la pointe du Hoc, le musée ne présente par exemple qu’un seul objet qui a uniquement valeur de symbole : un grappin. Il n’est d’ailleurs pas d’époque, il est celui utilisé par les soldats à l’heure actuelle.

Et l’Histoire dans tout ça ?

34Force est de constater que, mis à part la douzaine de musées d’histoire évoquée supra, bon nombre d’entre eux (plus des deux tiers) entretiennent la mythologie du « Jour J ». Soucieux de ne pas entretenir de concurrence et de jouer la complémentarité, l’approche micro-historique est privilégiée. D’une façon générale, il n’a pas été noté d’erreurs historiques dans les textes et les cartels, les personnes en charge des parcours étant d’excellents connaisseurs du sujet qu’ils exposent. Ces musées s’attachent à écrire l’histoire d’un homme (musée Patton), d’un corps de troupe, d’un régiment ou d’une division (N^o 4 commando, 6^th Airborne, 101^st Airborne), d’une plage (Omaha, Utah, Gold), d’un type d’objets (musée des épaves, musée de la Radio, Normandy Tank museum). L’objet retenu est restitué dans sa dimension événementielle. Les textes rapportent la chronologie dans une succession de dates et d’événements cantonnés à la journée du 6 Juin. Le visiteur est à même de dérouler heure par heure, sur chaque plage, le film du Débarquement. Il apprend le nom des unités, des régiments et des divisions, il découvre les armes et les véhicules utilisés. Les références historiques citées, publiées en leur temps par Eddy Florentin et le général Jean Compagnon, sont celles d’une histoire-bataille circonscrite à l’événement33.

35Le renouveau de l’histoire militaire qui, depuis les années 1990, s’attache à souligner les fondements et le dénouement de la bataille, les analyses stratégiques et tactiques, les enjeux psychologiques, philosophiques des hommes face à l’ennemi et à la mort, n’est pas pris en compte. D’une façon générale, le travail de l’historien n’est pas mis en œuvre. Les dimensions spatiales de l’événement « Débarquement » qui nécessiterait – par une simple carte – de montrer les fronts de la guerre (le débarquement d’Afrique du Nord, de Sicile et d’Italie, ainsi que le front de l’Est) permettraient de restituer le 6 Juin dans la stratégie internationale. De même, la dimension temporelle et la genèse de l’événement sont la plupart du temps occultées. Le raid sur Dieppe en août 1942, la conférence de Téhéran, la mise en œuvre d’opérations terrestres, maritimes et aériennes coordonnées seraient autant de perspectives qui aideraient à comprendre ce qu’a été le Débarquement. Le paradigme retenu n’est jamais pensé dans un contexte social, culturel, politique ou militaire plus large qui redonnerait à un aspect du Débarquement une valeur d’exemple ou d’exceptionnalité. Pas plus que la genèse, les musées de militaria n’informent le visiteur sur la suite de la guerre : pas ou peu de bilan des pertes militaires, ni du nombre de victimes civiles34. Même les musées consacrés à un régiment ou à une division spécifique n’expliquent pas tous leur devenir jusqu’au 8 mai 1945. De même, évoquer les chefs de gouvernement alliés, les états-majors d’Eisenhower, de Montgomery ou de Leigh-Mallory permettrait de souligner les lignes politiques quelquefois fragiles quant aux différentes options stratégiques de la bataille. Très peu d’informations – mais c’est aussi le cas de l’historiographie – restituent l’histoire du 6 Juin à travers celle de l’ennemi d’alors, les chefs militaires impliqués dans la bataille de Normandie : von Rundstedt, Rommel ou Dollman ne sont pratiquement jamais présentés.

36Plus encore, aucun musée ne tente de restituer au public les causalités du Débarquement et de la Bataille. S’agit-il de considérer que le public visiteur a acquis suffisamment de connaissances à ce sujet pour le taire ? S’agit-il ici de ne pas froisser le touriste allemand ? Quoi qu’il en soit, la portée idéologique de la Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire, en Europe de l’Ouest, la lutte des démocraties contre le nazisme, est quasi absente du discours. Sans prétendre que les soldats alliés portent haut la démocratie et que derrière chaque soldat allemand se cache un nazi, il serait souhaitable que le visiteur connaisse la réalité de l’Occupation : les persécutions raciales, les déportations politiques, le rationnement alimentaire permettraient de comprendre à la fois l’appréhension de la guerre et le soulagement d’être libérés de la dictature.

37Les partis pris de la construction scénographique et muséologique sont, eux aussi, souvent datés. Faute de moyens sans doute, rares sont les musées qui font entrer le multimédia dans le parcours de visite. L’objet domine l’exposition, la photographie y a quelquefois une bonne place. On notera cependant des initiatives intéressantes lorsqu’un ensemble d’objets donnés par un vétéran est présenté en regard de son témoignage audiovisuel (Centre historique des parachutistes). Le film documentaire est peu fréquent et délaissé au profit des grandes sagas fictionnelles : Le Jour le plus long, Il faut sauver le soldat Ryan et Band of Brothers ont inspiré plusieurs scénographies et contribuent à glorifier les faits d’armes, à sanctuariser le soldat allié et, au final, à faire du Débarquement une épopée…

38Soucieux d’augmenter leurs fréquentations, des musées favorisent la médiation fictionnelle et émotionnelle afin d’offrir au visiteur « une expérience inoubliable », à la façon des parcs d’attractions. Ils développent de nouvelles animations qui doivent « susciter l’émotion » et « plonger le visiteur dans un déluge de fer », telles que prendre place dans un avion de transport de troupes, faire un parcours dans un véhicule militaire ou encore entrer dans un espace confiné pour y être confronté aux bruits et à la fumée. L’objet d’étude – la guerre – peut-il s’accommoder de telles expériences peu crédibles et quasi ludiques ? Aideront-elles à comprendre la réalité de la guerre ? La portée pédagogique de telles propositions est limitée. Des retours d’expérience démontrent qu’elles peuvent susciter, chez les adolescents, une bonne partie de rigolade.

Histoire et mémoire, fonction sociale du musée

39Dans un contexte territorial particulièrement prégnant, marqué par la présence de nombreux cimetières, de plaques commémoratives, de noms de rue donnés aux libérateurs, voire d’objets phare disséminés aux carrefours des villes, les musées du Débarquement et de la Bataille de Normandie jouent un rôle d’importance. Bien avant que les musées n’y soient implantés, les plages, les bunkers et les communes libérées sont devenues, dans l’immédiat après-guerre, une terre de recueillement pour les soldats, un lieu de pèlerinage pour les veuves et les orphelins. Qu’ils s’appuient sur un discours historique construit ou non, ces musées ont une fonction sociale forte, véritable lien intergénérationnel entre les vétérans et leurs familles d’un côté, les populations locales de l’autre côté. On ne cessera de s’interroger sur les relations entre mémoire et histoire si on souligne que même les musées d’histoire n’échappent pas à l’emprise mémorielle. Ainsi les deux Visitor Centers sont implantés l’un au cimetière américain, l’autre à la pointe du Hoc. De même, le Centre Juno Beach s’entoure d’un mur des noms et le Mémorial de Caen s’est doté aux alentours de lieux mémoriels constitués de jardins et de diverses plaques commémoratives. Il a accueilli, le 6 juin 2004, le président Jacques Chirac et le chancelier Gerhard Schröder pour la première cérémonie commémorative franco-allemande. En 2014, le président François Hollande rend hommage aux victimes civiles du Débarquement et de la Bataille devant l’esplanade du musée. La même année, le Musée de la bataille de Tilly-sur-Seulles et le musée d’Utah Beach se sont associés pour initier la première cérémonie mémorielle en l’honneur d’une minorité oubliée, les Comanche Code Talkers, une tribu indienne dont les ancêtres ont participé aux combats en Normandie. Et chaque année, de nombreux musées organisent avec les communes diverses manifestations (camps de reconstitution militaire, ventes de militaria), faisant du musée un point de ralliement des festivités.

40Délaissés par l’État et les collectivités territoriales, les musées du Débarquement et de la Bataille de Normandie participent pourtant fortement à l’attractivité de la région. Chacun à sa manière, ils ont contribué depuis les années 1950 à sauvegarder des sites et des objets qui font désormais partie de notre patrimoine. Les musées jouent aussi un rôle social d’importance, assurant le lien entre libérateurs et libérés et confortant ainsi la Normandie comme terre de mémoire. Acteurs dynamiques du tourisme, ils peinent cependant pour bon nombre d’entre eux à se doter de la rigueur scientifique nécessaire à inscrire le Débarquement et la Bataille de Normandie dans un discours historique pédagogique afin d’offrir à leur public – et notamment aux plus jeunes – la connaissance de l’Histoire sans laquelle, à l’heure où les vétérans se font rares, nulle mémoire ne peut s’inscrire durablement.