Introduction à la cinquième partie
p. 173-174
Texte intégral
1Tout en travaillant à une ultime édition, chez Furne, de ses œuvres complètes, Augustin Thierry consacre les dernières années de son existence – après la mort de sa femme en 1844, il est hébergé chez la fantasque princesse de Belgiojoso1 – aux travaux commandités par Guizot sur le tiers état, charge rémunérée qui lui avait permis de revenir à Paris, et de bénéficier de l’aide de secrétaires appointés par le ministère.
2L’œuvre, relativement méconnue aujourd’hui, a un statut fort étrange, que ce soit par rapport à ses circonstances de production ou à sa réception. Financées par le gouvernement Guizot à partir de 1834, ces recherches sur la formation du tiers état s’étalent sur une petite vingtaine d’années, et ne sont publiées (en partie) qu’au début des années 1850. Ce projet traverse difficilement la succession des régimes : la Deuxième République demande ainsi compte à Thierry des fortes sommes dépensées par l’État. Censée conforter le soubassement idéologique de la monarchie de Juillet, en légitimant le lien retrouvé entre la monarchie et le peuple, cette histoire du tiers état tombe donc à contretemps, lorsqu’un nouveau César a mis fin à l’expérience éphémère d’une République qui a elle-même enterré le régime du roi des Français. Thierry peine à suivre l’évolution de son temps, qui pour lui semble marcher à rebrousse-poil de l’histoire en renouant avec les démons de l’autoritarisme et les dérives des premières tentatives républicaines. S’il désapprouve fortement la révolution de 1848, on ne peut le compter au nombre des ralliés de l’Empire : pour lui, le « soleil de Juillet » (Michelet) avait bel et bien abouti au régime idéal, garant des libertés individuelles et publiques. D’ultimes amendements marquent toutefois une certaine prudence par rapport au nouveau régime impérial2. Et c’est pourtant cette dernière œuvre qui suscite l’admiration de Marx, qui, dans une lettre à Engels, voit dans Thierry le « père de la lutte des classes3 ». Il regrette toutefois que l’historien n’ait pas prolongé sa réflexion en étudiant la lutte qui divise le tiers état, entre bourgeoisie et prolétariat.
Notes de bas de page
1 Voir à ce sujet les écrits de son petit-neveu, Augustin-Thierry Augustin, Augustin Thierry d’après sa correspondance et ses papiers de famille, Paris, Plon-Nourrit, 1922 et Une héroïne romantique : la princesse Belgiojoso, Paris, Plon-Nourrit, 1926.
2 Voir Déruelle Aude, introduction aux Lettres sur l’histoire de France, p. 28.
3 Marx Karl, lettre à Engels du 27 juillet 1854, Correspondance, éd. Gilbert Badia et Jean Mortier, Paris, Éditions sociales, t. IV, 1974, p. 148.
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