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    Plan détaillé Texte intégral La défaite de 1983, une cassure dans la configuration politique trégorroise ? Une conflictualité sociale sans précédent (1984-1985) Notes de bas de page Auteur

    Les années Mitterrand, 1984-1988

    Ce livre est recensé par

    • Gilles Candar, Histoire Politique, mis en ligne le 28 avril 2022. URL : https://journals.openedition.org/histoirepolitique/1250 ; DOI : https://doi.org/10.4000/histoirepolitique.1250
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    Table des matières

    La gauche en conflits

    Entre mouvements sociaux, divergences idéologiques et repli électoral. Bretagne, 1984-1985

    François Prigent

    p. 263-274

    Texte intégral La défaite de 1983, une cassure dans la configuration politique trégorroise ? La désunion des gauches Les causes sociales de la défaite La discorde scolaire à gauche Scrutin local, enjeux nationaux Une conflictualité sociale sans précédent (1984-1985) Genèse d’un mouvement social (printemps 1984-hiver 1984) Luttes de crise, crises des luttes (hiver 1984-hiver 1985) La sortie du conflit (printemps 1985-été 1985) Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1En 1959-1961, sous l’impulsion de Pierre Marzin1, en lien avec René Pleven, président du conseil général des Côtes-du-Nord (1948-1976) et figure influente du Comité d’études et de liaison des intérêts bretons (CELIB), le Centre national d’études des télécommunications (CNET) s’installe à Lannion2, suivi en 1965 de l’implantation industrielle d’une usine des Lignes télégraphiques et téléphoniques (LTT) puis de la création, en 1969, d’un Institut universitaire de technologie (IUT). Très spécifique, l’espace trégorrois3 concentre une main-d’œuvre ouvrière et une densité de cadres ou ingénieurs, rassemblant 2300 emplois au début des années 1980 (dont 950 au CNET et 560 à la LTT). Avec une main-d’œuvre ouvrière féminine (75 %), la LTT est dominée au plan syndical par la Confédération française démocratique du travail (CFDT) avec une Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) résiduelle, alors que Thomson s’affirme d’emblée comme un bastion de la Confédération générale du travail (CGT)4.

    2Entre septembre 1984 et mai 1985, les conflits sociaux secouent la région de Lannion à LTT et à Thomson autour de la défense de près de 400 emplois. Ces 8 mois de luttes sociales se singularisent de par la portée économique de ces fermetures d’usines, l’intensité des mobilisations et le renouvellement des pratiques militantes, du répertoire des moyens d’action. Sur fond de recompositions syndicales et politiques, ces mouvements sociaux prennent une résonance particulière après le tournant de la rigueur et la confrontation douloureuse à l’expérience du pouvoir5.

    3Outre les sources mobilisées lors de notre thèse sur les réseaux socialistes en Bretagne au xxe siècle, plusieurs types d’archives particulières, impliquant pour l’historien d’expliciter d’où il parle, ont été exploitées. Des archives familiales d’abord, mon propre père, responsable syndical et politique, ayant été un acteur du dossier, tout comme nombre de ses amis et voisins proches (Alain Riou, Yvon Ollivro, Luc Verveur). De plus, mon meilleur ami, Julien Prigent, s’appuyant sur un dépouillement systématique de la presse locale et une multiplicité d’entretiens oraux, a rédigé un mémoire de maîtrise, sous la direction de Claude Geslin, évoquant une partie de sa propre trajectoire familiale6.

    La défaite de 1983, une cassure dans la configuration politique trégorroise ?

    4Le cycle d’Épinay (1971-1981) renvoie à des recompositions et dynamiques à gauche, principalement de 1967 à 1978, produisant une inversion des gauches dans le rapport de force entre Parti communiste français (PCF) et Parti socialiste (PS). Le parcours de Pierre Jagoret, devenu conseiller général (1976), maire (1977) et député (1978), reflète l’émergence électorale du PS, en capacité d’attirer les classes moyennes urbaines et périurbaines salariées, mais aussi de conserver les filières laïques traditionnelles tout en intégrant les trajectoires influentes (têtes de réseaux) des chrétiens de gauche. Loin d’être un cas isolé, le tournant de la rigueur7, en 1983, brise cette séquence favorable à la gauche socialiste, localement.

    La désunion des gauches

    5Les municipales de mars 1983 à Lannion révèlent des recompositions fines, au-delà d’un simple repli des gauches percutées par le choix politique de la rigueur. En mars 1977, la liste d’union de la gauche conduite par Pierre Jagoret l’emporte face à celle du sénateur-maire sortant, Pierre Marzin. Pierre Jagoret devient le premier maire socialiste de Lannion, alors qu’en 1971, seuls 2 PSU siégeaient dans l’opposition municipale (Antoinette Le Gall et Alain Gouriou). Disposant d’un ancrage local puissant, ses adjoints étaient Alain Gouriou (premier adjoint, PS), Jean-Paul Brélivet (PS), Jean-Louis Le Mée (Union démocratique bretonne-UDB), Jean Tazé (PCF) et Marcel Guéguen (PCF).

    6En mars 1983, la liste d’union de la gauche enregistre une courte défaite (39 voix) au second tour face au bloc des droites, liste conduite par Yves Nédélec, responsable du Rassemblement pour la République (RPR). Au premier tour, la liste d’union de la gauche (PS, PCF, UDB) talonne avec 42,9 % des voix la liste de droite (43,8 %). Mais la surprise provient d’une troisième liste, indépendante, menée par Alain Gouronnec qui recueille 13,2 %. Ingénieur Alcatel, ce responsable CFDT8 attire à lui différents réseaux sur sa liste, brouillant le clivage gauche/droite lors de ce scrutin local sur fond de mécontentements divers à gauche (questions sociales et économiques, échec d’un grand service public unifié de l’Éducation nationale). Rassemblant principalement la composante centriste multiforme, rétive à la culture RPR, cette liste s’ouvre à une frange des gauches qui se détachent de la liste d’union des gauches (PS-PCF-UDB). C’est surtout le cas du milieu UDB, avec le docteur Jean-Louis Le Mée et Jean-Yves Callac. Cette troisième liste se maintient au second tour (7,4 %), permettant la courte victoire de la droite (46,5 %) face à la liste du député-maire (46.07). Ainsi, cette défaite repose sur des logiques partiellement différentes du basculement, limité, à droite des agglomérations de plus de 10 000 habitants (Brest, Nantes, Pontivy, Saint-Malo). Dans le Trégor, d’ailleurs, une petite poussée de la gauche locale correspond à une réplique de l’émergence politique de la génération 1977 (Plouguiel, Plestin-lès-Grèves).

    7En outre, la fragilisation de la liste d’union de la gauche résulte d’un faisceau de petites fêlures. Un règlement de compte interne des gauches, indéniable, solde des tensions politiques de différente nature. Chrétien et communiste, la personnalité de Marcel Guéguen (PCF exclu puis réintégré en 1982) cristallise les réticences, à la fois dans les milieux militants communiste et socialiste. Le choix des candidats et leurs positions sur la liste témoignent aussi des luttes internes de courant au PS, entre rocardiens (centre de gravité militant de la section) et mitterrandiens (Pierre Jagoret, maire sortant). L’union difficile entre partenaires socialiste et communiste fait ressurgir la guerre des gauches, après des élections sénatoriales extrêmement tendues en 1980, permettant aux droites de conserver 2 sièges. Enfin, PS comme PCF entretiennent des relations difficiles avec le Mouvement des radicaux de gauche, au sein duquel la personnalité clivante de Yann Marzin, petit-fils d’une figure de la résistance communiste locale, joue un rôle central.

    8Ces failles partisanes profitent indéniablement à une droite locale, désemparée et reprise en main par le courant RPR, en quête de revanche après le choc du 10 mai 1981. La gauche prête le flanc aux accusations d’une distance au territoire local, la presse se faisant écho de ces candidats parachutés, ou en tout cas ne résidant pas sur la commune de Lannion, dont Luc Verveur (Louannec, suppléant du candidat PCF lors des législatives de 1981), secrétaire de la section du PCF après Yvon Ollivro ; Alain Gouriou (figure émergente du PS, dont la maison se situe à Ploubezre, voire Fanch Kerrain (UDB, professeur au lycée Saint-Joseph, influent dans les milieux culturels, résidant à Tonquédec).

    Les causes sociales de la défaite

    9La moindre imbrication à gauche des filières associatives et syndicales interpelle également. L’assèchement générationnel des viviers militants catholiques progressistes, significatif avec la retraite politique de Jacques Gautier9, prive assurément la gauche de relais influents dans des milieux catholiques mobilisés, à droite, par le retour de la question laïque. La présence des syndicalistes CGT, sur le quota PCF (dont Françoise Loarer ou Glaz, ouvrière CGT-LTT), témoigne du lien maintenu entre milieux syndicaux et politiques. Plus qu’une cassure, qui s’opère plus tard, il faut parler d’une distanciation, significative au regard de la dévitalisation des passerelles CFDT-PS, en dehors du parcours de Denis Mer, nouvel arrivant dans le paysage militant10.

    10L’optimisme béat des candidats contribue aussi à délaisser des dossiers locaux (bretelle Nord-Est, décharge de Toulalech, réactions face aux mesures d’étatisation concernant les policiers municipaux) qui pèsent sur le scrutin.

    11L’analyse par bureaux des résultats électoraux révèle une désaffection nette dans les quartiers populaires (Pen-an-ru, ZUP). La retombée des aspirations de l’espoir de 1981 et son slogan « changer la vie » se lit à l’aune de l’abstention différenciée de ces milieux populaires, dont les motifs relèvent de logiques nationales.

    12L’agrégation de causes multiples précipite la courte défaite des gauches, d’autant que l’union des droites, plus étroite en raison de la domination du RPR face à l’Union démocratique française (UDF), est facilitée par le choix de candidats positionnés sur des réseaux très mobilisés (milieux catholiques, petits commerçants, professions libérales) et actifs auprès de l’électorat de la droite traditionnelle. À noter la présence de François Floch, conseiller municipal (1983-1989) de Servel, qui incarne une nouvelle droite dure. En 1984, ce fils d’un professeur de dessin lié à l’abbé Perrot, démissionne du RPR pour rejoindre le Front national (FN) dont il est le candidat systématique aux législatives depuis la seconde moitié des années 198011.

    La discorde scolaire à gauche

    13La question scolaire, vue de Lannion, apparaît comme une clé de lecture cruciale pour saisir les enjeux de la période. Les sources syndicales de la Fédération de l’éducation nationale (FEN) montrent l’intensité des oppositions en 1982-1983. Classique, le contrat d’association signé par la mairie de Lannion, suscite un tollé dans les milieux laïques, au point qu’une tentative avortée de liste municipale laïque est même un temps envisagé. Réactivant le clivage frontal gauche/droite, cette question du contrat, aussi simple dans la forme qu’épineuse sur le fond, éloigne les laïcards (PS, PCF) des cathos de gauche (moins présents politiquement que dans les années 1970, en dehors d’Alain Gouriou), tandis que les déçus de l’enseignement privé (Fédération enseignement privé de la CFDT) prennent de la distance avec le PS12. Au contraire de la démobilisation politique de ce vote professionnel, Yves Nédélec mobilise pleinement les filières de l’OGEC, les réseaux gravitant autour de l’enseignement privé et de l’Église, au cœur de sa liste. Des clivages sur l’école qui se prolongent en 1984 avec les manifestations pour et contre le projet Savary13.

    Scrutin local, enjeux nationaux

    14Le facteur personnel, avec l’impopularité de Pierre Jagoret14 dans certains milieux militants, pointant aussi une certaine usure politique et une dissonance générationnelle, reste minoré dans un contexte d’essor continu des gauches depuis le milieu des années 1970.

    15L’amplification de cette défaite électorale locale à l’heure du tournant de la rigueur, est suivie d’une vive conflictualité sociale dans la région de Lannion, ce qui correspond à une tendance nationale. Identifié à la date de 1983, le tournant de la rigueur correspond en réalité à une série de virages libéraux successifs. Dès l’hiver 1981, l’appel à la pause dans les réformes autour de Jacques Delors préfigure les étapes, de juin 1982 à juillet 1984, qui conduisent à une conversion au social-libéralisme (départ des ministres PCF, échec de la loi Savary, démission du gouvernement Mauroy). Ce choix politique majeur, avec en toile de fond la montée en puissance des experts et technocrates d’une part, de la dimension européenne d’autre part, s’opère en 4 temps : plan de rigueur, juin 1982 ; choix du SME en mars 1983 ; plan acier en mars 1984 ; cassure des gauches en juillet 1984. Cette révolution de la culture politique et économique du PS se heurte (et attise) à une conflictualité sociale vive et une série de sanctions électorales jusqu’en 1986. En 1984-1985, Pierre Jagoret, ramené au rang de simple conseiller municipal d’opposition mais parlementaire incarnant cette gauche de gouvernement, est pris à partie à plusieurs reprises15, sur fond d’une puissante colère ouvrière, par les responsables syndicaux dans les conflits sociaux de la LTT et de Thomson.

    Une conflictualité sociale sans précédent (1984-1985)

    16En parallèle et dans la continuité des mobilisations sociales autour de l’école, l’irruption de la question sociale s’invite dans le débat politique local. Avivée par les mécontentements, à gauche, à l’encontre du pouvoir socialiste, une conflictualité sociale majeure émerge entre radicalité et dynamiques unitaires brouillant les équilibres politiques locaux.

    Genèse d’un mouvement social (printemps 1984-hiver 1984)

    17Les premières manifestations (fin mai-fin octobre 1984) témoignent de la puissance de ces luttes sociales, dans un territoire largement dépourvu de tradition de luttes depuis le Front populaire. Le 24 mai 1984, 1200 personnes se rassemblent à Lannion contre le risque de fermetures des sites industriels, dont la décision est confirmée le 30 juin 1984 par Jacques Imbert pour le CNET (185 suppressions) et le 28 septembre 1984 pour Thomson (189 suppressions). Le 12 octobre 1984, une manifestation monstre, intitulée « région morte », rassemble 8000 personnes, réunissant les 3 principaux groupes d’élus locaux : PCF, PS, RPR. Le 25 octobre 1984, les Trégorrois, menacés d’une perte de 600 emplois à Lannion, Tréguier et Guingamp, sont très présents dans la manifestation pour la défense de l’emploi de Saint-Brieuc (5000 personnes), dans un cortège majoritairement composé de fonctionnaires.

    18Ce premier temps des mobilisations met en lumière des pratiques syndicales qui s’articulent à la fois dans une logique de négociations et d’actions collectives. En octobre 1984, la CGT remet ses contre-propositions aux parlementaires trégorrois (Pierre Jagoret, Maurice Briand16 et Yves Le Cozannet17), formulant notamment l’idée d’un possible basculement des activités vers le système de centralisation des alarmes de réseaux (ASPECT), alors en projet.

    19Dans le même temps, des actions plus radicales se multiplient à l’image de l’interdiction d’usine, le 31 octobre 1984, opposée au directeur Meulin et à Mme Le Penven, directrice du personnel, pour « leur montrer ce que c’est d’être mis à la porte ».

    20Après s’être rendus à Paris le 7 novembre 1984, signe d’un déplacement vers l’échelle nationale des actions pour empêcher ces fermetures de sites industriels, les militants ciblent la sous-préfecture de Lannion, occupée le 9 novembre 1984 (par 70 ouvriers) puis à nouveau le 17-18 décembre 1984 (par 35 militants CGT de Thomson). De plus, le 18 novembre 1984, les ouvriers bloquent un avion affrété par le RPR. Il s’agit d’une délégation de 44 élus et cadres du parti, principalement du Finistère, qui se rendent aux assises de Grenoble, à partir de l’aéroport de Lannion jouxtant la zone industrielle du CNET. Outre l’opposition au parti chiraquien et à ses options libérales ou à ses réseaux prégnants à Force ouvrière (FO), cette action vise à attirer le regard des médias et de l’opinion publique régionale sur ce conflit social en cours.

    Luttes de crise, crises des luttes (hiver 1984-hiver 1985)

    21À l’hiver 1984-1985, le mouvement continue à se construire selon une double logique de mobilisations pour la défense de l’emploi et de propositions d’un autre développement économique et industriel local. Le 22 novembre 1984, un débrayage est organisé contre l’offre d’emploi que représente Kérellec, sous-traitance de Thomson Brest, avec la perspective d’un reclassement pour 10 femmes (agents de fabrication des cartes et sous-ensembles électroniques).

    22En novembre 1984, Pierre Jagoret avance l’idée de faire du CNET et de la LTT les acteurs centraux du futur réseau de vidéocommunication (visioconférences). Vite déçu, cet « espoir industriel », illusoire, n’est abandonné qu’en mai 1985 seulement.

    23Après l’inauguration par Laurent Fabius, Premier ministre, le 24 novembre 1984 du site Ymar (250 emplois), en Seine-Maritime, la CGT est à l’origine d’une réinauguration, le 9 décembre 1984, dénonçant le choix politique, au détriment de la région trégorroise, présenté comme un acte de clientélisme électoral dans l’ancienne circonscription du nouveau chef du gouvernement, stigmatisé pour ses orientations social-libérales. Face à ces militantes créatives et frontales de la CGT, le projet porté par la CFTC, aux contours généraux, consiste à mettre l’accent sur la décentralisation des activités et des pôles de décision, en renforçant le lien et le rôle avec l’IUT.

    24En décembre 1984, les ouvriers, qui reçoivent le soutien d’une délégation de Thomson Brest largement composée de militants communistes (CGT-PCF), organisent des réveillons dans les usines. Ces actes de solidarité militante s’accompagnent d’une inventivité répétée pour répercuter les actions dans l’espace public, à l’instar de la démarche de 80 employés qui mettent 100000 francs pour les « impôts locaux sur comptes bloqués ».

    25Le 6 décembre 1984, la venue du ministre des PTT au Radôme de Pleumeur-Bodou offre l’occasion à Charles Josselin, président du conseil général des Côtes-du-Nord depuis 1976, d’intercéder en faveur des acteurs de la contestation locale. Cet acte, isolé, démontre en réalité la faible implication du conseil général, exécutif départemental contrôlé par le PS depuis 1976, dans ce domaine. S’inscrivant dans un refus assumé politiquement du tournant de 1983, l’opposition communiste s’exprime par la voix de Félix Leyzour, conseiller général de Callac (1970-2008) et futur sénateur (1989-1997) puis député (1997-2002) PCF de Guingamp. Le rôle d’interlocuteur de Pierre Jagoret, et à un degré moindre d’Alain Gouriou18, dans une perspective de médiatisation dans le conflit social, s’avère intense en décembre 1984-janvier 1985. L’option privilégiée consiste à aller vers une diversification industrielle (volonté de montée en gamme des activités, pour attirer une nouvelle population d’ingénieurs et de techniciens supérieurs), en favorisant les liens avec Kérellec, le groupe norvégien Tandberg ou Avi-Peschard implanté en Ille-et-Vilaine, IDO basé à Guingamp, ainsi que la LTT (pôle de Dinard19). L’exploration de ces perspectives de reconversion, repositionnement et reclassement industriels, induisant une part de mobilité, est jugée inconcevable pour les ouvriers et ouvrières concerné·e·s. La presse locale souligne d’ailleurs le décalage de qualification, nettement supérieure, des nouveaux emplois envisagés (380, dont 83 ingénieurs, 151 agents techniques, 146 agents de fabrication) par rapport aux profils ouvriers lannionais. Un autre problème, très concret, renvoie à la question du temps écoulé entre ces suppressions (300 prévues pour 1985) et ces perspectives de nouveaux emplois, repoussées à 1987.

    26Le 14 décembre 1984, 500 personnes (CGT, CFDT) bloquent les entrées de la ville. Après le meeting improvisé, une délégation obtient une promesse de rendez-vous avec Jean-Claude Hirel (directeur de cabinet de Louis Mexandeau) et la direction de Thomson. Fissurant l’union sacrée autour du mouvement, au sein du personnel politique local, le maire RPR, Yves Nédellec, prend clairement ses distances avec le mouvement, dénonçant le 17 décembre 1984, des manifestations qui entravent « la liberté de travail, la libre-circulation », impactent « le petit commerce » et révèlent « le laxisme des pouvoirs publics ».

    27Cette lame de fonds qui répercute de vives exaspérations sociales se matérialise aussi par un renouvellement des pratiques militantes, signe d’une inventivité de la radicalité politique, prolongement la vague d’insubordination ouvrière, soulignée à l’échelle nationale pour la décennie précédente20. Le 13 janvier 1985, une journée « portes ouvertes » est initiée dans les usines, attirant plusieurs milliers de personnes, tandis qu’est érigé un chapiteau sur les pelouses du CNET, en présence de dirigeants nationaux de la CGT. L’initiative suscite la désapprobation du PS, qui insiste sur le non-respect de la loi de ces actes politiques dans l’espace public.

    28Après l’officialisation le 18 janvier 1985, du transfert de 185 postes vers Dinard, le répertoire d’action militante prend une tournure plus axée sur la confrontation. Le 25 janvier 1985, des violences ont lieu entre manifestants et CRS, après la prise de contrôle, temporaire, de la tour du CNET (par 30 puis 200 personnes). La journée est aussi marquée par un dépôt de plainte au commissariat pour « vol d’emplois, détournement de fonds publics ; atteinte à la dignité », mobilisant le registre de la satire politique la plus caustique. Le commissaire Grizot accepte et enregistre les plaintes de 150 ouvriers, 3 par 3, comme le rapporte la presse locale, signe d’une vague de sympathie locale face à ce mouvement social qui présente, dans le même temps, un visage très dur.

    29Le 28 janvier 1985, les ouvriers de la LTT déménagent les bureaux du maire et du député, en usant de la force et en renvoyant dos à dos les élus PS et RPR, jugés incapables d’interrompre ce processus de désindustrialisation sur fonds d’acception du libéralisme politique par les partis de gouvernement. Le 31 janvier 1985, à l’initiative de la CGT LTT, un blocage de la ville est organisé, suscitant la réprobation indignée de la CFDT, ce qui démontre la rupture du front syndical uni, face aux moyens à employer au regard de la destruction des emplois industriels.

    30Signe de la coexistence paradoxale de l’action et de la négociation comme modes d’action, le 9 février 1985, un vote est organisé, à l’initiative de la CFDT, qui appuie, par 426 voix sur 528 suffrages exprimés, la nécessité d’une négociation du plan industriel.

    La sortie du conflit (printemps 1985-été 1985)

    31La fin des luttes continue à s’inscrire dans cette double logique initiale, préparation d’ultimes actions militantes fortes et recherches de projets pour sauver ou redéployer le site industriel. Il s’agit prioritairement de luttes reprenant des militances traditionnelles : rassemblements, manifestations, occupations. Le 22 février 1985, 400 ouvriers bloquent un train spécial du PS pour le meeting de Mitterrand à Rennes, pendant 45 minutes en gare de Guingamp21. Le 20 mars 1985, une occupation du centre de météorologie a lieu. Le 26 mars 1985, les Thomson de Lannion se joignent à la manifestation nationale devant la Bourse, lors du comité central de l’entreprise.

    32Plus original, certaines pistes sont explorées. Maire de Trégastel en 1983 et responsable fibre optique au CNET, Georges Le Noane se révèle très actif au sein du Syndicat intercommunal pour le développement industriel de la région de Lannion (SIDIRL), qui plaide pour un développement de la Recherche/développement, en direction de la fibre optique. Disposant de ressources suffisantes en « matière grise », ce technopôle, esquissé dans un livre blanc en mars 1985, serait dual, avec un pôle de recherche et une structure industrielle de production. La CGT soutient d’ailleurs cette idée d’un développement de la partie câblerie optique. En 1985, la structure associant élus, chercheurs et entrepreneurs, devient l’Agence pour le développement industriel du Trégor (ADIT), préfigurant le technopôle d’Anticipa, véritablement actif sur la décennie suivante (1989-1996).

    33Le 10 avril 1985, 600 salariés se rassemblent en soutien aux délégués syndicaux (FEN22, CFTC, CGT) qui rencontrent le ministère, en présence de Pierre Jagoret. Mais à partir de la fin du printemps 1985, l’essoufflement militant fait entrer le mouvement dans sa phase finale. Le 16 avril 1985, la procédure de licenciements, enclenchée, se matérialise par l’envoi des premières lettres. Si 33 postes sont proposés pour un transfert, à Dinard, peu acceptent cette mutation forcée. Le 18 avril 1985, l’intersyndicale rencontre Pierre Jagoret dans un contexte de vives tensions. En effet, même si peu de cantons sont soumis au renouvellement dans le Trégor, le poids des défaites de la gauche lors des cantonales de mars 1985 témoigne de la défiance subie notamment par les élus du PS (défaites des parlementaires Yves Dollo et René Régnault, victoires étriquées de Charles Josselin et Didier Chouat), associés aux choix de politiques économiques et industrielles de la majorité présidentielle.

    34Le 20 avril 1985, la présentation du plan Schwartz égrène un catalogue de mesures compensant la réduction des unités industrielles (de 500 à 100) et affirmant l’évolution de la téléphonie vers l’informatique. Dans le cadre d’une politique d’aménagement du territoire qui réagit à un déménagement industriel, l’État propose ainsi l’installation d’une école d’ingénieurs et la transformation du radôme de Pleumeur-Bodou en annexe du Palais de la Découverte. Le 25 avril 1985, la manifestation organisée simultanément à Guingamp et Lannion, rassemble les gauches locales (UDB23, PCF, PS), tandis que la droite, en dehors du mouvement, cible l’inefficacité des pouvoirs publics. Espace central de l’opération camping, le chapiteau permanent, symbole de l’occupation avec ses crêpes syndicales, est aussi source de tensions entre ingénieurs et ouvriers du CNET. Le 27 avril 1985, le chapiteau accueille un fest-noz en solidarité avec le mouvement social. Ces temps solidaires, signe d’un renouvellement des pratiques militantes, contribuent à souder les milieux actifs dans un mouvement social qui conserve la sympathie et le soutien de la société locale jusqu’à ce temps de crispations sociales. Si le rassemblement du 1er mai 1985 maintient l’unité syndicale, le climat devient pesant. Le 3 mai 1985, la permanence commune de Pierre Jagoret et Alain Gouriou, mise à sac, regorge d’insultes à l’égard des élus socialistes (« traîtres », « vendus », « SS »).

    35Le 7 mai 1985, une seconde série de lettres de licenciements arrive dans les boîtes aux lettres. Le 29 mai 1985, les premiers reclassements sont dénoncés par la CGT (postes en CDD de 3 mois), qui met l’accent sur la nécessité de formation pour la reconversion professionnelle, ce qui démontre une translation dans le champ des combats syndicaux.

    36Ainsi, l’issue brutale du conflit (fermeture de l’usine Thomson, câblerie LTT transférée à Dinard) ouvre une période de recompositions industrielles, jusqu’à la fin des années 1990. Matérialisée par l’installation en octobre 1986 de l’École nationale supérieure de sciences appliquées et technologies (ENSSAT), la reconversion du bassin lannionnais se traduit par l’arrivée d’une nouvelle main-d’œuvre très qualifiée (1100 ingénieurs au début des années 1990) qui se substitue à une main-d’œuvre ouvrière, avec des conditions de travail dures dans les start-up (Optronics, Highwave). Cette deuxième vague de décentralisation industrielle, dans les années 1980, se traduit par une désyndicalisation et un déclin de la CGT. De ce fait, les conflits sociaux à Alcatel, en 1996, surviennent dans un contexte très différent.

    *

    37Ce travail pose les jalons d’une histoire à défricher, non sans faire écho aux bouleversements de la globalisation depuis le début du xxie siècle. La configuration trégorroise (et bretonne) montre le décalage entre le mouvement de désindustrialisation de la civilisation européenne et l’implantation dans la région d’industries nouvelles (ère Guichard), à leur tour en crise dans les années 198024. La territorialisation de cette enquête historique questionne en filigrane les enjeux de mémoires et d’identités plurielles dans un contexte d’effacement des paysages industriels, de mise à distance de la conflictualité sociale, voire de patrimonialisation des luttes ouvrières.

    38L’épreuve douloureuse du pouvoir pour la gauche engage une mutation durable du PS qui tourne en partie le dos à son socle populaire, attaché au modèle socio-économique forgé en 1944-1945 (intervention de l’État dans l’économie, État-providence au plan social) pour se convertir à une pratique social-libérale, éloignée des racines du mouvement social, d’obédience social-démocrate ou de culture communiste25.

    Notes de bas de page

    1 Pierre Marzin (1905-1994) est sénateur (1971-1980) et maire de Lannion (1971-1977). Fils d’un industriel constructeur de machines agricoles, scolarisé au collège de Lannion, il exerce comme ingénieur polytechnicien dans l’administration des Postes et télécommunications (PTT). Résistant, il devient en 1946 directeur du service des recherches et de contrôle technique de l’administration des PTT, ancêtre du CNET mis sur pied en 1953 à Issy-les-Moulineaux. En 1959, il le délocalise à Lannion, suivi en 1961 du Centre national des télécommunications spatiales (CNTS) à Pleumeur-Bodou, inauguré en octobre 1962 par Charles de Gaulle. Membre de la Gauche démocratique, secrétaire du Sénat (1976-1977) et rapporteur du budget des postes et télécommunications (1973- 1979), il spécialise son travail parlementaire sur les enjeux de la téléphonie et la modernisation des postes principalement.

    2 Jean-Jacques Monnier, « Pierre Marzin et la révolution lannionaise (1954-1974) », in Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, t. 102-2, 1995, p. 87-96.

    3 Yvon Rochard, « Lannion, la saga des télécoms », in Ar Men, n° 124, septembre 2001.

    4 Il faut souligner, à la LTT, la prégnance d’un autre monde catholique de gauche, articulé autour d’une triple identité militante : PCF-CGT- Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC).

    5 Aalin Bergounioux et Gérard Grunberg, L’ambition et le remords. Les socialistes français et le pouvoir (1905-2005), Paris, Fayard, 2005, 610 p.

    6 Julien Prigent, Les difficultés sociales à Lannion (septembre 1984-mai 1985). La lutte pour l’emploi sur la zone industrielle, maîtrise, Rennes 2, 2002, 51 p.

    7 Le tournant libéral de la rigueur en 1983 s’oppose à la politique de redistribution et de relance d’inspiration keynésienne qui figure au cœur des 110 propositions du programme Changer la vie (relèvement des bas salaires, fiscalité différenciée, nationalisations, planification démocratique et décentralisée, politiques de soutien aux secteurs industriels modernes, investissements productifs).

    8 Conseiller municipal de Lanmodez (1971-1977) puis de Lannion (1983-1995), Alain Gouronnec évolue vers le centre-droit, occupant les fonctions de maire de Lanmodez (2001-2014) et président de la communauté de communes.

    9 Pharmacien, Jacques Gautier (1914-2004), militant du Mouvement républicain populaire (MRP) puis de l’Action travailliste (AT) en 1956, est conseiller municipal (1953-1977) puis adjoint (1977- 1983) de Lannion. Militant associatif et humaniste, figure de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et du noyau local de Témoignage chrétien, il évolue vers la gauche dans les années 1960. Lors des cantonales de 1964 (10,3 % au 1er tour), il se désiste en faveur de Pierre Jagoret, élu conseiller général. Mais ses demandes d’adhésion à la SFIO et au PSU sont refusées en raison de la prédominance des réflexes anticléricaux dans ces filières socialistes. Resté proche de Pierre Marzin, il rejoint le PS via Objectif 72 et contribue au basculement de Lannion à gauche en 1977 à une voix de majorité. Adjoint aux affaires sociales, il s’éloigne du PS dans les années 1980 et rejoint les Verts en 1995.

    10 Dessinateur industriel puis ingénieur, Denis Mer, né en 1944, élu municipal en 1989, est conseiller général de Lannion (2001-2015). Responsable JOC à Nantes, autodidacte, il est muté à Lannion en 1966. En 1967, il fait partie des fondateurs du syndicat CFDT à la SLE, une des entreprises fraîchement installée sur la nouvelle zone industrielle de Lannion, étant délégué syndical jusqu’en 1971. Conseiller prud’hommal à Guingamp dans le collège des techniciens (1982-1989), il est présidant du conseil FCPE de l’école du quartier populaire de Pen Ar Ru. En 1982, il s’engage en politique par l’intermédiaire du trésorier du PS Jean Claude Riou, qui travaille comme lui sur le plateau industriel lannionnais. Rapidement, il remplace Jean-Claude Bourrachot, un ingénieur du CNET qui quitte la région, au poste de secrétaire de section (1984-1989).

    11 L’autre figure locale du FN est Raymond Blanc (71 ans en 2016), ingénieur à Alcatel. Secrétaire départemental du FN, candidat en 1989 à Saint-Brieuc, il est conseiller régional (1992-1998), rejoignant le Mouvement national républicain de Bruno Mégret jusqu’en 2012.

    12 François Prigent, « Chrétiens de gauche, chrétiens à gauche ? Plongée dans les réseaux socialistes des mondes chrétiens en Bretagne (1945-2004) », in En Envor, Revue d’histoire contemporaine en Bretagne, n° 6, 2015, 30 p.

    13 Le rôle national de Didier Chouat, député PS de Loudéac (1981-2002) reflète le caractère crucial de cette question dans les réseaux socialistes bretons.

    14 Issu de milieux populaires, Pierre Jagoret (1928-2015), résistant FTP, présente un parcours syndical (CGT puis FO) et associatif fort. Conseiller général (1964-1967), évoluant de la SFIO au PSU en 1966, il rejoint le nouveau PS dès 1969 (2 adhérents en 1971). Candidat suppléant du PS en 1973, conseiller général en 1976, maire en 1977 et député en 1978, contexte de succession de Pierre Bourdellès (1951-1956, 1958-1978), il incarne l’émergence politique du PS à Lannion, interrompue en 1983

    15 Relayée par Alain Gouriou aux cantonales en 1982, battu aux municipales en 1983, écarté des listes PS aux législatives en 1986, cette figure tutélaire du socialisme lannionnais, positionné sur le courant mitterrandien minoritaire, localement, connaît une fin de carrière brutale.

    16 Avocat né en 1949, Maurice Briand, issu des filières LDH, incarne l’émergence fulgurant du PS dans un espace dominé par le PCF depuis 1945. Adjoint (1977-1983), puis maire (1983-1989) et conseiller municipal (1989-2008) de Guingamp, il succède au communiste François Leizour (conseiller général en 1976, maire en 1977, député en 1978) en tant que député de Guingamp (1981-1986 et 1988-1993). Il siège également au conseil régional entre 1986 et 1988, signe des replis de cadres du PS sur ces nouveaux mandats, en période de reflux électoral.

    17 Sénateur UDF (1980-1989), élu grâce à la division PS/PCF, Yves Le Cozannet (1927-2004) est maire de Minihy-Tréguier (1959-1995), conseiller général (1976-1988) et vice-président de la Chambre d’agriculture. C’est le fils de Yves Le Cozannet, député (1930-1932, 1951-1955), maire de Minihy-Tréguier (1930-1959), figure du syndicalisme agricole et président de la Chambre d’agriculture. Dans cette période de vive conflictualité sociale dans le Trégor, il se signale par son travail parlementaire en 1984 sur la question des télécommunications (enjeu des emplois), plaidant pour l’équipement systématique de cabines téléphoniques en milieu rural.

    18 Ce dernier, qui accompagne à plusieurs reprises Pierre Jagoret à l’Élysée et dans des entretiens avec Louis Mexandeau, est convaincu de façon précoce de la mutation structurelle du bassin d’emploi, à accompagner, avec la montée en puissance des classes moyennes supérieures et des techniciens qualifiés au détriment des milieux ouvriers de production.

    19 Figure des droites bretonnes très présentes dans le champ national, Yvon Bourges, président du nouveau conseil régional en 1986, est enraciné politiquement à Dinard.

    20 Xavier Vigna L’insubordination ouvrière dans les années 1968. Essai d’histoire politique des usines, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007.

    21 Les archives de l’Institut François-Mitterrand (IFM) montrent les difficultés de cette tournée présidentielle dans une région touchée par une forte conflictualité sociale. Patrick Gourlay, « Un outil politique : le voyage présidentiel en province : Deux visites du président Mitterrand dans le Finistère (1981, 1985) », in Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, n° 4, t. 112, 2005, p. 85-115.

    22 Qui joue un rôle essentiel dans la fabrication puis le maintien de l’unité syndicale.

    23 L’UDB, représenté par Jean-Jacques Monnier, défend l’idée d’un contrat plan État-région pour valoriser le potentiel industriel local, sous le contrôle des travailleurs.

    24 Laurent Jalabert et Christophe Patillon, Mouvements ouvriers et crise industrielle dans les régions de l’Ouest Atlantique des années 1960 à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, 188 p. L’étude de cas trégorroise serait à comparer avec les espaces britanniques qui connaissent une seconde implantation industrielle (évolution du Pays de Galles des industries lourdes vers les industries d’équipement ou d’automobiles), voire les transformations des industries portuaires liées à l’État ou à la construction navale.

    25 Fabien Conord, Les gauches européennes au xxe siècle, Paris, A. Colin, 2012, 271 p. Alain Bergounioux et Daniel Cohen (dir.), Le socialisme à l’épreuve du capitalisme, Paris, Fayard/ Fondation Jean Jaurès, 2012, 384 p.

    Auteur

    • François Prigent
      Docteur en histoire contemporaine, professeur de l’enseignement secondaire, chercheur associé à
      Tempora, EA 7468
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    1 Pierre Marzin (1905-1994) est sénateur (1971-1980) et maire de Lannion (1971-1977). Fils d’un industriel constructeur de machines agricoles, scolarisé au collège de Lannion, il exerce comme ingénieur polytechnicien dans l’administration des Postes et télécommunications (PTT). Résistant, il devient en 1946 directeur du service des recherches et de contrôle technique de l’administration des PTT, ancêtre du CNET mis sur pied en 1953 à Issy-les-Moulineaux. En 1959, il le délocalise à Lannion, suivi en 1961 du Centre national des télécommunications spatiales (CNTS) à Pleumeur-Bodou, inauguré en octobre 1962 par Charles de Gaulle. Membre de la Gauche démocratique, secrétaire du Sénat (1976-1977) et rapporteur du budget des postes et télécommunications (1973- 1979), il spécialise son travail parlementaire sur les enjeux de la téléphonie et la modernisation des postes principalement.

    2 Jean-Jacques Monnier, « Pierre Marzin et la révolution lannionaise (1954-1974) », in Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, t. 102-2, 1995, p. 87-96.

    3 Yvon Rochard, « Lannion, la saga des télécoms », in Ar Men, n° 124, septembre 2001.

    4 Il faut souligner, à la LTT, la prégnance d’un autre monde catholique de gauche, articulé autour d’une triple identité militante : PCF-CGT- Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC).

    5 Aalin Bergounioux et Gérard Grunberg, L’ambition et le remords. Les socialistes français et le pouvoir (1905-2005), Paris, Fayard, 2005, 610 p.

    6 Julien Prigent, Les difficultés sociales à Lannion (septembre 1984-mai 1985). La lutte pour l’emploi sur la zone industrielle, maîtrise, Rennes 2, 2002, 51 p.

    7 Le tournant libéral de la rigueur en 1983 s’oppose à la politique de redistribution et de relance d’inspiration keynésienne qui figure au cœur des 110 propositions du programme Changer la vie (relèvement des bas salaires, fiscalité différenciée, nationalisations, planification démocratique et décentralisée, politiques de soutien aux secteurs industriels modernes, investissements productifs).

    8 Conseiller municipal de Lanmodez (1971-1977) puis de Lannion (1983-1995), Alain Gouronnec évolue vers le centre-droit, occupant les fonctions de maire de Lanmodez (2001-2014) et président de la communauté de communes.

    9 Pharmacien, Jacques Gautier (1914-2004), militant du Mouvement républicain populaire (MRP) puis de l’Action travailliste (AT) en 1956, est conseiller municipal (1953-1977) puis adjoint (1977- 1983) de Lannion. Militant associatif et humaniste, figure de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et du noyau local de Témoignage chrétien, il évolue vers la gauche dans les années 1960. Lors des cantonales de 1964 (10,3 % au 1er tour), il se désiste en faveur de Pierre Jagoret, élu conseiller général. Mais ses demandes d’adhésion à la SFIO et au PSU sont refusées en raison de la prédominance des réflexes anticléricaux dans ces filières socialistes. Resté proche de Pierre Marzin, il rejoint le PS via Objectif 72 et contribue au basculement de Lannion à gauche en 1977 à une voix de majorité. Adjoint aux affaires sociales, il s’éloigne du PS dans les années 1980 et rejoint les Verts en 1995.

    10 Dessinateur industriel puis ingénieur, Denis Mer, né en 1944, élu municipal en 1989, est conseiller général de Lannion (2001-2015). Responsable JOC à Nantes, autodidacte, il est muté à Lannion en 1966. En 1967, il fait partie des fondateurs du syndicat CFDT à la SLE, une des entreprises fraîchement installée sur la nouvelle zone industrielle de Lannion, étant délégué syndical jusqu’en 1971. Conseiller prud’hommal à Guingamp dans le collège des techniciens (1982-1989), il est présidant du conseil FCPE de l’école du quartier populaire de Pen Ar Ru. En 1982, il s’engage en politique par l’intermédiaire du trésorier du PS Jean Claude Riou, qui travaille comme lui sur le plateau industriel lannionnais. Rapidement, il remplace Jean-Claude Bourrachot, un ingénieur du CNET qui quitte la région, au poste de secrétaire de section (1984-1989).

    11 L’autre figure locale du FN est Raymond Blanc (71 ans en 2016), ingénieur à Alcatel. Secrétaire départemental du FN, candidat en 1989 à Saint-Brieuc, il est conseiller régional (1992-1998), rejoignant le Mouvement national républicain de Bruno Mégret jusqu’en 2012.

    12 François Prigent, « Chrétiens de gauche, chrétiens à gauche ? Plongée dans les réseaux socialistes des mondes chrétiens en Bretagne (1945-2004) », in En Envor, Revue d’histoire contemporaine en Bretagne, n° 6, 2015, 30 p.

    13 Le rôle national de Didier Chouat, député PS de Loudéac (1981-2002) reflète le caractère crucial de cette question dans les réseaux socialistes bretons.

    14 Issu de milieux populaires, Pierre Jagoret (1928-2015), résistant FTP, présente un parcours syndical (CGT puis FO) et associatif fort. Conseiller général (1964-1967), évoluant de la SFIO au PSU en 1966, il rejoint le nouveau PS dès 1969 (2 adhérents en 1971). Candidat suppléant du PS en 1973, conseiller général en 1976, maire en 1977 et député en 1978, contexte de succession de Pierre Bourdellès (1951-1956, 1958-1978), il incarne l’émergence politique du PS à Lannion, interrompue en 1983

    15 Relayée par Alain Gouriou aux cantonales en 1982, battu aux municipales en 1983, écarté des listes PS aux législatives en 1986, cette figure tutélaire du socialisme lannionnais, positionné sur le courant mitterrandien minoritaire, localement, connaît une fin de carrière brutale.

    16 Avocat né en 1949, Maurice Briand, issu des filières LDH, incarne l’émergence fulgurant du PS dans un espace dominé par le PCF depuis 1945. Adjoint (1977-1983), puis maire (1983-1989) et conseiller municipal (1989-2008) de Guingamp, il succède au communiste François Leizour (conseiller général en 1976, maire en 1977, député en 1978) en tant que député de Guingamp (1981-1986 et 1988-1993). Il siège également au conseil régional entre 1986 et 1988, signe des replis de cadres du PS sur ces nouveaux mandats, en période de reflux électoral.

    17 Sénateur UDF (1980-1989), élu grâce à la division PS/PCF, Yves Le Cozannet (1927-2004) est maire de Minihy-Tréguier (1959-1995), conseiller général (1976-1988) et vice-président de la Chambre d’agriculture. C’est le fils de Yves Le Cozannet, député (1930-1932, 1951-1955), maire de Minihy-Tréguier (1930-1959), figure du syndicalisme agricole et président de la Chambre d’agriculture. Dans cette période de vive conflictualité sociale dans le Trégor, il se signale par son travail parlementaire en 1984 sur la question des télécommunications (enjeu des emplois), plaidant pour l’équipement systématique de cabines téléphoniques en milieu rural.

    18 Ce dernier, qui accompagne à plusieurs reprises Pierre Jagoret à l’Élysée et dans des entretiens avec Louis Mexandeau, est convaincu de façon précoce de la mutation structurelle du bassin d’emploi, à accompagner, avec la montée en puissance des classes moyennes supérieures et des techniciens qualifiés au détriment des milieux ouvriers de production.

    19 Figure des droites bretonnes très présentes dans le champ national, Yvon Bourges, président du nouveau conseil régional en 1986, est enraciné politiquement à Dinard.

    20 Xavier Vigna L’insubordination ouvrière dans les années 1968. Essai d’histoire politique des usines, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007.

    21 Les archives de l’Institut François-Mitterrand (IFM) montrent les difficultés de cette tournée présidentielle dans une région touchée par une forte conflictualité sociale. Patrick Gourlay, « Un outil politique : le voyage présidentiel en province : Deux visites du président Mitterrand dans le Finistère (1981, 1985) », in Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, n° 4, t. 112, 2005, p. 85-115.

    22 Qui joue un rôle essentiel dans la fabrication puis le maintien de l’unité syndicale.

    23 L’UDB, représenté par Jean-Jacques Monnier, défend l’idée d’un contrat plan État-région pour valoriser le potentiel industriel local, sous le contrôle des travailleurs.

    24 Laurent Jalabert et Christophe Patillon, Mouvements ouvriers et crise industrielle dans les régions de l’Ouest Atlantique des années 1960 à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, 188 p. L’étude de cas trégorroise serait à comparer avec les espaces britanniques qui connaissent une seconde implantation industrielle (évolution du Pays de Galles des industries lourdes vers les industries d’équipement ou d’automobiles), voire les transformations des industries portuaires liées à l’État ou à la construction navale.

    25 Fabien Conord, Les gauches européennes au xxe siècle, Paris, A. Colin, 2012, 271 p. Alain Bergounioux et Daniel Cohen (dir.), Le socialisme à l’épreuve du capitalisme, Paris, Fayard/ Fondation Jean Jaurès, 2012, 384 p.

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    Prigent, François. « La gauche en conflits ». In Les années Mitterrand, 1984-1988, édité par Sylvie Ollitrault et Gilles Richard. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2018. https://doi.org/10.4000/books.pur.165417.
    Prigent, François. « La gauche en conflits ». Les années Mitterrand, 1984-1988, édité par Sylvie Ollitrault et Gilles Richard, Presses universitaires de Rennes, 2018, https://doi.org/10.4000/books.pur.165417.

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    Ollitrault, S., & Richard, G. (éds.). (2018). Les années Mitterrand, 1984-1988 (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.165227
    Ollitrault, Sylvie, et Gilles Richard, éd. Les années Mitterrand, 1984-1988. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2018. https://doi.org/10.4000/books.pur.165227.
    Ollitrault, Sylvie, et Gilles Richard, éditeurs. Les années Mitterrand, 1984-1988. Presses universitaires de Rennes, 2018, https://doi.org/10.4000/books.pur.165227.
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