1La place octroyée à la jeunesse par le PCF a fait l’objet de quelques études parmi lesquelles celle de Ludivine Bantigny. Celle-ci analyse la place laissée à la jeunesse dans les années 19701. Dans les discours et la pratique militante du Parti communiste, les jeunes sont posés en « victimes toute désignées du système capitaliste. […] Ils sont les premiers exposés au chômage, leurs droits politiques sont bafoués ». Ce statut de victime reconnu à la jeunesse ne conduit pas le Parti Communiste des années 1970 à « flatter » les jeunes générations comme cela peut être le cas dans les organisations gauchistes. Insistant sur les frontières sociales qui traversent cette jeunesse, les communistes se refusent à en faire un groupe social à part entière. Conscients du caractère de force combative décisive de la jeunesse, le PCF l’érige néanmoins en « objet de campagne » dans la période post 1968.

2Le début du premier septennat de François Mitterrand porte l’attention des champs médiatiques et politiques sur la jeunesse des grands ensembles. Tout en insistant sur le statut de victime de cette jeunesse, le PCF condamne fermement, les violences urbaines. Venu voir les jeunes du quartier des Minguettes, le secrétaire national du PCF Georges Marchais déclare : « Les patrons aiment les jeunes couchés et ils aiment bien les loubards ; les uns et les autres laissent le champ libre pour opprimer2. » En outre, la mainmise du concurrent socialiste sur le mouvement naissant, notamment à travers SOS Racisme, n’est pas de nature à susciter le soutien du PCF à la jeunesse des grands ensembles. Le PCF se montre en revanche coopératif dans l’élaboration d’un état des lieux de la situation dans les grands ensembles au niveau local et dans la mise en œuvre de propositions. Les maires PCF participent ainsi à la commission des maires qui élabore le célèbre « rapport Bonnemaison » en 1982. Louis Bayeurte maire communiste de Fontenay-sous-Bois dans le Val-de-Marne se porte volontaire pour des actions pilotes dans sa ville en matière de police, de justice et d’action sociale en direction de la jeunesse des grands ensembles3.

3Cette pluralité de regards portés par le PCF sur la jeunesse des années 1970 et du début des années 1980 convainc de l’intérêt d’approfondir la réflexion sur les liens entre le PCF et la jeunesse à travers une étude des discours et des pratiques politiques du PCF dans sa direction. Il s’agit d’approfondir la réflexion sur les représentations de la jeunesse au sein du PCF en déplaçant le regard sur la période postérieure, les années 1984-1988, durant lesquelles l’organisation communiste se voit déliée de toute allégeance au PS. Comment sa vision de la jeunesse se distingue-t-elle alors de celle du PS et plus généralement des représentations dominantes dans les champs politiques, médiatiques voire scientifiques ?

4Raisonner à l’échelle municipale, semble, pertinent dans le cadre d’une étude des discours et pratiques en direction de la jeunesse. En effet, les efforts de l’État sont alors portés sur la résorption de la violence et sur l’insertion professionnelle des jeunes et non sur une politique globale de la jeunesse, laquelle est laissée à l’initiative des municipalités. L’espace municipal est donc à la fois le territoire où se déploient les politiques nationales en matière d’insertion de la jeunesse-faisant des maires les témoins des insuffisances de celles-ci – et l’espace dans lequel celles-ci sont complétées par les politiques municipales de la jeunesse. Patricia Loncle écrit que les communes sont « les véritables creusets de l’intervention publique en matière de jeunesse4 ».

5Il s’agit de resserrer la focale sur la banlieue rouge val-de-marnaise et plus spécifiquement sur la commune de Villejuif. Ville communiste depuis 1925, elle est dirigée en 1984-1988 par le maire Pierre-Yves Cosnier depuis 1977 qui succède alors à Louis Dolly. Si le PCF développe au niveau national une ligne de conduite sur la question de la jeunesse, une perspective sociohistorique5 amène à postuler de multiples déclinaisons de celles-ci selon les réalités locales. Qu’en est-il quand le PCF se trouve aux commandes de la commune ?

6 En raison de l’étroitesse des relations existant alors entre la majorité municipale et la section villejuifoise du PCF, il semble pertinent de se pencher sur l’action et les discours de ces deux entités pour mieux comprendre les représentations dominantes et secondaires de la jeunesse produites dans l’espace communiste villejuifois. Le choix a donc été fait d’explorer tant des documents émanant de la municipalité communiste de Villejuif que les documents produits par la fédération PCF du Val-de-Marne, de la section et des cellules de Villejuif. Le travail sur l’hebdomadaire communiste Nouvelles val de Marne et sur les tracts de la section PCF de Villejuif a donc été complété par l’étude de la revue des élus municipaux PCF de Villejuif : Union élu. Notre analyse prend également en considération, les témoignages d’habitants, de militants et d’élus communistes de la ville de Villejuif. Enfin, l’ouvrage de Jacqueline Darmont-Gelly publié en 1988 qui recense de nombreux témoignages d’habitants et d’élus municipaux villejuifois a constitué une source complémentaire intéressante6.

7L’exploration amène à parler d’une ambivalence dans l’appréhension de la jeunesse. Idéalisée et accompagnée par le PCF quand elle se mobilise notamment contre le chômage et la précarité de l’emploi, la jeunesse est également l’objet de stigmatisation et de rejet de la part des communistes quand elle se fait l’auteur de faits de délinquance. Les jeunes des HLM et les jeunes chômeurs en lutte semblent les deux figures phares des discours et pratiques des communistes villejuifois des années 1984 à 1988. Après avoir exploré la figure du jeune délinquant villejuifois véhiculée par le PCF dans un contexte national de forte stigmatisation médiatique et politique de la jeunesse auteure de violences urbaines, il s’agira ensuite de porter l’attention sur la figure du jeune mobilisé construite par le PCF villejuifois et érigée en potentiel « sujet historique » de la lutte que le PCF entend mener contre les gouvernements en place. Enfin, il conviendra d’aller au-delà de cette prise en compte conjoncturelle de certains segments de la jeunesse pour se pencher plus globalement sur la place laissée à la jeunesse dans les projets municipaux.

Une jeunesse à contrôler

8Le Val-de-Marne connaît depuis la fin des années 1970 des phénomènes de violence et d’insécurité largement dénoncés par la droite à l’occasion des élections municipales de 1983. Les jeunes habitants des grands ensembles constituent la principale cible de ces accusateurs. Sur le territoire villejuifois, des témoignages récoltés entre 1985 et 1988 évoquent des agressions le soir. « Même les mômes de 12-13 ans s’y mettent7 » témoigne une habitante. On rapporte des vols d’argent par des bandes de jeunes, des regroupements nocturnes et une multitude de petites incivilités : ces jeunes sonnent aux portes, frappent aux volets dans la cité des Lozaits, mais aussi dans la cité Robert Lebon, la cité Delaune ou la cité du 8 mai8. Les structures municipales sont également l’objet de nombreux actes de délinquances. La maison de la jeunesse et de la culture Gérard Philipe est l’objet de nombreux vols sur la période 1981-1987. Un magnétoscope est volé à la maison pour tous Jules Vallès en 1984. Un début d’incendie est contrôlé à la maison pour tous Alexandre Dumas en 19869.

La jeunesse coupable : représentations et revendications conformistes

9Les communistes villejuifois dénoncent précocement les périls liés au phénomène d’insécurité. La question de la sécurité des biens et des personnes est abordée en conseil municipal en 1978 et est suivie de plusieurs initiatives dont une manifestation sur le mot d’ordre « ici nous voulons un commissariat10 ». L’État considérant que le taux de criminalité est moins élevé à Villejuif qu’ailleurs, cette exigence reste lettre morte. La question de l’insécurité demeure néanmoins présente dans les discours de la municipalité comme dans les publications militantes. On en trouve ainsi des traces dans le bulletin de la section du PCF : « Ces derniers temps la tranquillité des habitants de la cité Robert Lebon a souvent été remise en cause par les agissements d’une minorité d’individus. La cité Robert Lebon n’est pas un cas. Ces mêmes agissements ont lieu dans d’autres groupes d’habitations. Et si les causes de l’insécurité riment avec chômage, misère matérielle et morales, il n’en reste pas moins que ces actes sont inexcusables11. »

10Notre enquête de terrain donne à voir combien les communistes sont alors largement implantés dans les grands ensembles tels que les cités Robert-Lebon, Lamartine ou les Lozaits12. Si les communistes villejuifois connaissent bien les violences et les dénoncent c’est qu’ils en subissent eux-mêmes les conséquences en tant qu’habitants des grands ensembles de la commune. On note néanmoins une réticence initiale à faire le lien entre insécurité et jeunesse : l’insécurité demeure longtemps dans les discours des élus communistes un phénomène désincarné. On note ici le souci de la municipalité de ne pas stigmatiser une frange de ses administrés et de se distinguer des représentations véhiculées par les droites. La montée en puissance de la thématique d’insécurité sur le territoire de la commune va néanmoins changer la donne. Les années 1984 à 1986 voient se développer un discours communiste villejuifois sur la jeunesse délinquante et la recherche de solutions semble s’imposer aux élus. La délinquance est dès lors explicitement liée à la jeunesse dans les représentations communistes. Interrogés sur les incivilités les élus évoquent alors spontanément « les jeunes13 ». Interpellée par les habitants sur la délinquance au sein de la cité Jacques Duclos en 1985, la municipalité fait une tentative de « réunion jeunes-adultes14 ». La responsabilité de la délinquance est attribuée à des adolescents et des jeunes adultes. On trouve ici divers indices d’une vision générationnelle du phénomène. En revanche, dans un contexte de stigmatisation des jeunes de la « deuxième génération » orchestrée par les médias, les droites et les extrême-droites, on peut relever le souci des communistes villejuifois de ne pas ethniciser la question de la délinquance. À la différence de ce qui a pu être relevé dans les discours ou les pratiques d’élus communistes ailleurs15, nulle mention de l’origine ethnique des auteurs de violences urbaines n’est perceptible dans les écrits ou les discours des communistes villejuifois disponibles. Le PCF se distingue en cela des interprétations de la délinquance des droites villejuifoises.

11Si les communistes villejuifois résistent à une ethnicisation ambiante des représentations de la délinquance juvénile, leurs « pronostics16 » sécuritaires sont en revanche assez conformes à ceux promus par les droites locales. La prise en considération de l’ampleur du phénomène se traduit par l’adhésion à des campagnes sécuritaires. Les communistes villejuifois sont pleinement investis dans les campagnes exigeant davantage de moyens policiers pour la commune. Initiés dans les quartiers, des collectifs d’habitants réclament la sécurisation de leurs espaces de vie. Ainsi dans le quartier R. Lebon-Lamartine la mobilisation rassemble des militants associatifs, les paroissiens de l’Église Sainte-Colombe et les militants communistes17. La municipalité se montre tout à fait prompte à soutenir ces revendications Le maire P.-Y. Cosnier déclare : « Je me félicite que les habitants comme à la cité Delaune se rassemblent pour avoir demain deux îlotiers dans le quartier. Là comme toujours il est fait appel à la population pour exiger de véritables mesures de sécurité18… »

12Si durant les années 1978-1984 la municipalité accompagne ce mouvement citoyen exigeant la sécurisation de leurs quartiers, la municipalité est ensuite véritablement à l’initiative des actions de revendications de moyens en matière de sécurité. La lecture du bulletin municipal montre bien l’implication directe de la municipalité : « Samedi 1^er décembre 1984, une foule nombreuse était réunie à l’appel de Pierre-Yves Cosnier dans les locaux de l’ancienne caserne de pompiers. Agir pour l’installation d’un commissariat à Villejuif était le but de ce rassemblement qui a marqué un point important dans cette bataille […]. Les élus communistes et apparentés sans jouer les apprentis sorciers en ont fait un de leurs soucis majeurs19. »

13On distingue ici le choix des élus communistes de jouer sur des divisions internes aux classes populaires pour consolider leur légitimité locale. Doit-on néanmoins analyser ce soutien des communistes aux exigences sécuritaires comme la preuve d’une représentation de la jeunesse des logements sociaux comme des délinquants ?

Nuances et revirements du PCF

14L’exigence de l’installation d’un commissariat et de la présence d’îlotiers témoigne au moins autant de la prise en compte d’une représentation des villejuifois comme d’un peuple apeuré que d’une croyance dans le caractère délinquant de la jeunesse villejuifoise. Ceci est perceptible dans les déclarations de Pierre-Yves Cosnier : « Un commissariat pourquoi faire ? Nous n’avons pas besoin d’une police dont l’action serait la chasse aux jeunes et la répression des travailleurs en lutte. Nous avons besoin d’une police au service de la population pour la protéger et protéger ses biens ; d’une police dans les quartiers qui ait une action de prévention et de dissuasion de la délinquance20. »

15Si l’exigence d’un commissariat est similaire à celle que l’on retrouve dans nombre de communes dans lesquelles les maires entendent devenir des garants de l’ordre public, le sens donné à cette demande et les attentes sont différentes. La mise à l’agenda de la question de l’insécurité liée à une jeunesse turbulente semble essentiellement liée aux attentes des citoyens lesquels surestiment les pouvoirs du maire en matière de sécurité conformément à ce qu’identifie Jean de Savigny dès les années 1970.21 P.-Y. Cosnier semble néanmoins se conformer aux attentes des citoyens de la commune en exigeant des moyens supplémentaires en matière de sécurité publique. Cette mobilisation des années 1985-1986 aboutira à la pose de la première pierre du commissariat de Villejuif le 9 avril 1988.

16Si le soutien des élus communistes au projet de commissariat est continu de 198 à 1988, les actions policières sont également dénoncées sur la période 1986-1988. Les années 1986-1988 sont pour les communistes val-de-marnais celles d’une remise en cause de la stigmatisation médiatique, politique et surtout policière de la jeunesse. L’arrivée de la droite au gouvernement en 1986 amène le PCF local à se distinguer toujours plus d’une représentation délinquante de la jeunesse. La présence de la police suscite ponctuellement le rejet, notamment de la part des populations jeunes, lequel est appuyé par les communistes villejuifois. La dénonciation de la « pasquamania » fait partie des leitmotiv de la propagande communiste durant la période 1986-1988. Alors qu’un jeune fontenaysien meurt sous les balles d’un policier en septembre 1986, la presse communiste locale dénonce une politique répressive et un racisme anti-jeune : « Après le drame de Fontenay-sous-Bois, légitime colère. Émotion et colère dans la population après la mort d’un jeune motard. La politique répressive de Chirac, Pasqua, Pandraud a armé les bras du policier22 » ; « Pasquamania non merci. Des milliers de jeunes ont manifesté contre le racisme anti-jeune23. »

17Ces écrits témoignent de la non-adhésion du PCF à une vision délinquante de la jeunesse villejuifoise. On note une certaine euphémisation de la violence des jeunes, la violence étant souvent assimilée à des enfantillages. Quelque peu turbulente, la jeunesse villejuifoise se doit d’être canalisée mais également d’être aidée. La représentation d’une jeunesse délinquante est indissociable de l’image d’une jeunesse en difficulté qui prédomine dans les discours et les pratiques des communistes de Villejuif. Parfois coupables, les jeunes des années d’alternance sont, comme la jeunesse des années 197024, victimes du système capitaliste et des mesures gouvernementales. Une publication de la municipalité communiste rappelle ainsi : « La pauvreté s’installe dans les foyers. Ce ne sont pas là les conditions pour faire régresser la délinquance25. »

18La délinquance est en partie analysée comme le résultat de l’insécurité sociale dont sont particulièrement victimes les jeunes générations populaires. Il convient de se pencher ici sur le regard porté par les communistes villejuifois sur les jeunes exclus du monde du travail.

Des jeunes en difficulté à mobiliser

19Face à cette jeunesse en difficulté et conformément aux représentations dominantes de la classe ouvrière26, les discours et les pratiques de la municipalité oscillent entre misérabilisme et mobilisation.

20Les jeunes chômeurs et les jeunes précaires occupent une place de choix dans les lectures communistes de la crise données à voir durant les années d’alternance. Le PCF villejuifois n’en finit pas de comptabiliser les jeunes chômeurs de la commune. Le chiffre de « 1000 jeunes chômeurs » est régulièrement rappelé dans la presse de la majorité municipale et dans les déclarations du maire P.-Y. Cosnier : « Mille [jeunes] sont sans emploi et des centaines d’autres sont en situation de précarité et ce n’est pas spécifique à Villejuif qui a même un taux de chômage inférieur à la moyenne nationale (8 % à Villejuif, 10 % en France. C’est tout à fait dramatique27 ! » Ces chiffres annoncés sonnent comme ceux d’un lourd bilan. Et ceux qui sont comptabilisés sont bien des victimes. Les Nouvelles Val de Marne dénoncent : « Dans le département 52 000 chômeurs, 20 000 ne sont pas indemnisés, un quart ont moins de 25 ans. Comment s’étonner que la misère grandisse qu’on ne mange pas à sa faim, que la viande disparaisse des tables des familles en difficulté, que les saisies, les expulsions se multiplient, que des enfants victimes de graves carences aient des troubles de vue, que des cas de rachitisme apparaissent dans les PMI28. »

21Le PCF diffuse des clichés stéréotypés sur les chômeurs dépossédés. Les jeunes chômeurs sont bien souvent les socles de la communication du PCF villejuifois sur la misère des chômeurs ou des précaires. Il convient d’inscrire cette représentation misérabiliste des jeunes chômeurs dans un cadre discursif plus large sur l’appauvrissement des travailleurs. Julian Mischi analyse le misérabilisme des discours PCF des années 1980 qui « diffuse une image archaïque de la misère des travailleurs29 ». La municipalité multiplie les actions d’aide aux jeunes chômeurs notamment par le biais d’actions caritatives mais aussi par l’adoption de mesures de nature à favoriser l’autonomie et l’insertion des jeunes.

22Aider les jeunes à lutter constitue l’une des premières missions que se donne le PCF villejuifois à l’égard d’une jeunesse toujours plus en difficulté. La lutte contre le chômage des jeunes et plus spécifiquement contre les Travaux d’utilité collective (TUC) – dispositif créé par le gouvernement de L. Fabius en 1984 – occupe l’essentiel des actions des communistes villejuifois à l’égard de la jeunesse précaire des années d’alternance. À en croire la presse communiste, les actions des jeunes chômeurs et des jeunes bénéficiant d’un TUC sont largement diligentées par le Parti communiste, le Mouvement des jeunes communistes et plus particulièrement par la municipalité communiste villejuifoise. À propos de mobilisations des jeunes chômeurs et ou bénéficiaires de TUC, la presse locale communiste déclare : « Les missions locales ne seront pas des fabriques de tucards. Tout était prévu sauf que les principaux intéressés, jeunes chômeurs tucards, viennent à l’initiative de la Jeunesse Communiste donner leur avis30. »« Avec le maire, les jeunes chômeurs ripostent31. »

23Si le rôle central des communistes est rappelé, ces récits de lutte tendent aussi à sortir les jeunes exclus de leur condition d’assisté. Si il est misérable, le jeune chômeur est aussi organisé et « en colère ». Ce n’est pas seulement le jeune chômeur comme cas individuel mais les chômeurs comme collectif organisé que le PCF donne à voir dans une période où les luttes des jeunes chômeurs cantonnées aux espaces locaux sont ignorés des médias. En faisant le récit des actions des jeunes chômeurs, les publications communistes val-de-marnaises et villejuifoises sortent symboliquement les jeunes chômeurs de l’isolement et de l’apathie dans lesquelles la vision dominante tend à les enfermer. Les jeunes exclus, dépeints dramatiquement, se trouvent alors mués en un collectif conscient et organisé. La place centrale donnée aux jeunes « tucistes » en lutte dans les discours et l’action de la municipalité villejuifoise doit être mise en regard d’une valorisation plus globale des jeunes en lutte. Ce ne sont pas seulement les luttes de la jeunesse laborieuse mais aussi celles la jeunesse scolarisée qui se trouvent au centre des préoccupations communistes. La municipalité soutient largement le mouvement étudiant et lycéen contre la loi Devaquet en 1986. Les Nouvelles Val de Marne publient un numéro spécial le 5 décembre 1986. À cette occasion, Pierre-Yves Cosnier s’illustre dialoguant avec les lycéens du lycée Darius Milhaud du Kremlin-Bicêtre32.

24Loin de l’image alors dominante d’une jeunesse apathique, les communistes villejuifois donnent à voir une jeunesse encline à la mobilisation. Quelque peu dénigrée dans les années 1968, la jeunesse mobilisée des années 1984-1988 n’est pas seulement encouragée, elle est aussi largement « flattée » dans les discours communistes des années 1984-1986. En montrant la jeunesse travailleuse et scolarisée mobilisée, et en s’illustrant à ses côtés, les élus communistes s’emploient à délégitimer la politique gouvernementale et à légitimer leur assise locale. Dans une période de désindustrialisation et de moindre combativité de la classe ouvrière, la mobilisation de la jeunesse constitue pour les communistes villejuifois une manière de donner à voir leur insatisfaction face aux politiques des socialistes puis de la droite au pouvoir. Dans les discours communistes villejuifois, la jeunesse devient, si ce n’est le nouveau « sujet historique », au moins un élément clé de l’opposition aux gouvernements. À rebours des analyses qui décrivent la distanciation des gauches et des jeunes générations des classes populaires33, notre étude montre la valorisation de cette jeunesse, le travail politique du PCF dans cette direction et les réussites relatives de celui-ci.

Une jeunesse encadrée et choyée

25Ces focalisations sur l’appréhension des jeunes agités des grands ensembles et sur les jeunes chômeurs de la commune peuvent être prolongées par une réflexion plus générale sur les politiques de jeunesse mises en œuvre par la municipalité au-delà des volets insertion et dissuasion policière de la délinquance. La municipalité ne développe pas uniquement des discours et des pratiques en direction des jeunes qui posent problème mais plus généralement en direction d’une jeunesse villejuifoise diversifiée.

26Le communisme municipal se distingue historiquement par le « modèle social de la colonie de vacances et des structures d’encadrement de la jeunesse et d’éducation populaire34 ». La commune de Villejuif ne fait pas exception. Les jeunes villejuifois séjournent durant les années 1960 et 1970 dans les colonies de Saint-Hilaire-en-Riez et de Griselles, une « fête de la jeunesse » est organisée par les sections villejuifoises des Jeunesses Communistes de France dès 195835 et une « maison des jeunes et de la culture Gérard Philipe » ouvre ses portes rue Youri Gagarine (anciennement rue de la croix rouge) en 197036. Il s’agit donc de porter le regard sur les prolongements, au cœur des années 1980, de cette politique de jeunesse. Le soutien aux luttes des jeunes villejuifois semble effectivement se doubler d’une aide plus quotidienne et moins ciblée de la municipalité communiste qui vise à asseoir son assise politique et à fidéliser la jeunesse. J.-P. Coulaudon, adjoint au maire exprime cet intérêt porté à la jeunesse pensée au plurielle ce qui n’est pas sans remettre en cause une grille de lecture classiste du monde social : « Bien sûr les aspirations sont diverses selon que nous nous adressons à des étudiants à des travailleurs, à des chômeurs, à des jeunes des HLM ou des quartiers pavillonnaires mais nous nous occupons de tous37. »

27Parmi les décisions prises par la municipalité communiste en faveur de la jeunesse, on peut relever le vote en conseil municipal de la réservation de 25 % des logements sociaux pour les jeunes de la commune.38 Le service municipal de la jeunesse de Villejuif se donne à voir comme un service de proximité. À la rentrée 1988, une campagne « Lycéens sans bahut » est mise en œuvre : les jeunes sans affectation sont pris en charge par la municipalité qui leur trouve des places dans des établissements scolaires à proximité39.

28Si le service municipal de la jeunesse prend en charge la gestion des problèmes, il s’agit aussi d’une organisation tournée vers le bien-être de la jeunesse. La culture et le loisir sont au cœur des politiques de jeunesse de la ville de Villejuif. Interrogé sur les villejuifois, Pierre-Yves Cosnier met en avant les jeunes générations de la commune en insistant sur leur encadrement au sein des structures municipales : « La jeunesse, trois mille jeunes font du sport à Villejuif ; 1200 font de la musique, de la danse, du théâtre, de la peinture ou de la sculpture dans nos équipements, c’est bien40. »

29Les jeunes villejuifois bénéficient de tarifs préférentiels pour accéder au théâtre municipal et la municipalité envisage en 1988 de créer des salles de répétition pour les jeunes. Des initiatives festives dont la jeunesse est la principale destinataire sont ponctuellement organisées par la municipalité. « La quinzaine de la jeunesse » s’étend ainsi du 8 au 19 mars 198841. Concernant les vacances, outre les traditionnelles colonies de vacances à destination des plus jeunes qui demeurent centrales au milieu des années 198042, la mairie de Villejuif organise ainsi des « bourses aux projets vacances autonomes ». Il est proposé aux jeunes de réaliser leurs projets de vacances avec eux. L’octroi des financements par la municipalité tient compte non seulement de la faisabilité du projet de vacances mais aussi du caractère solidaire des aventures envisagées. Cette valorisation de la solidarité se donne également à voir dans l’organisation par le service municipal de la jeunesse de projets de coopération internationale. En 1986, des jeunes se rendent ainsi au Nicaragua pour aider à la construction d’une école. Le travail de réflexion organisé avec les jeunes villejuifois autour de ces voyages montre que le service municipal de la jeunesse ne se veut pas simplement un pourvoyeur de fonds et de services. Il tient à distiller les valeurs d’entraide et de solidarité dans chacune de ses actions. Cette volonté du service municipal de la jeunesse de ne pas devenir un simple guichet conduit à voir dans le contrat un mode de gestion de la jeunesse. « Soyez autonomes mais pas tous seuls » semble être le mot d’ordre de la municipalité communiste Villejuifoise à l’égard de la jeunesse. On trouve ici une vision assez infantilisante de la jeunesse qu’il convient de mettre en relation avec une tendance plus globale des politiques de la ville à reposer sur du « participatif contrôlé43. »

30Néanmoins, ces politiques locales donnent à voir la foi placée dans la jeunesse. Cette dernière n’est pas seulement un problème, elle est également un atout pour la société et pour la commune en particulier. Cet investissement dans la jeunesse et ces politiques dispendieuses ne sont pas dénuées de tout calcul politique. L’étude des archives internes et des publications du PCF villejuifois et val-de-marnais des années 1984 à 1988 montre combien le vote de la jeunesse est l’objet de convoitises de la part du PCF. Alors que le PCF tend à se détourner de son public traditionnel – la classe ouvrière – ce qui est perceptible notamment à travers la désouvriérisation des discours44, on note dans le Val-de-Marne et notamment à Villejuif un intérêt nouveau pour la jeunesse. Peu présente dans les tracts du PCF à l’occasion des élections présidentielles 1981 et des élections municipales de 1983, les jeunes figurent en tête des priorités du PCF villejuifois à l’occasion des élections législatives de 1986. Des directives internes pressent les secrétaires de sections et les militants de ne pas oublier ce public. Dans un meeting organisé par le Mouvement des Jeunes Communistes destiné aux jeunes villejuifois, Jacques Perreux, secrétaire national du mouvement déclare : « Avec le vote communiste, votez pour vous45. » Ce disant les dirigeants communistes s’octroient une fonction de représentation de la jeunesse jusque-là assez peu présente.

31Si la jeunesse trouble, inquiète et parfois désespère le PCF, elle est aussi une source d’espoir pour une organisation dont la base sociale traditionnelle est de plus en plus introuvable. Si la jeunesse n’est pas élevée au rang de classe sociale capable de remplacer une classe ouvrière moribonde, certains écrits communistes d’alors donnent à voir la jeunesse comme un groupe social capable d’initier des mutations à l’échelle de la société ou au moins de maintenir l’emprise du PCF sur la commune de Villejuif d’où toutes les attentions dont elle est l’objet.

32Comprendre l’appréhension de la jeunesse par le PCF villejuifois – entre stigmatisation et éloge – implique une multiple contextualisation. Il s’agit de prendre en compte les caractéristiques de la jeunesse locale – largement touchée par le chômage et la précarité – mais ce sont bien les politiques nationales qui sont montrées du doigt pour expliquer ces situations. L’opposition aux gouvernements en place dans l’appréhension de la jeunesse se fait différenciée selon leurs couleurs politiques mais aussi selon les thématiques. La dénonciation communiste de la précarité juvénile s’appuie ainsi essentiellement sur la mise à l’index des contrats précaires mis en œuvre par le gouvernement Fabius, pour orchestrer la mobilisation de la jeunesse contre la précarité. La stigmatisation communiste de la jeunesse délinquante des années 1984-1986 est conforme aux représentations politico-médiatiques alors dominantes ; on note en revanche un revirement dans les discours communistes des années 1986-1988 qui se situent clairement dans l’opposition aux représentations d’une jeunesse délinquante par essence véhiculées par le gouvernement de J. Chirac et notamment par son ministre de l’Intérieur Charles Pasqua.

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33Si certains discours et certaines pratiques communistes villejuifois conjoncturels et ou discontinus révèlent ou constituent des prises de positions à l’endroit des majorités gouvernementales, on trouve aussi dans les visions de la jeunesse et les politiques villejuifoises mises en œuvre des logiques qu’il convient de relier à une « culture partisane46 » communiste en mutation durant ces années d’alternance. Si l’investissement dans la culture et les loisirs constitue une constante du communisme municipal depuis des décennies, la priorité donnée aux luttes de la jeunesse durant les années d’alternance doit être mise en regard du détournement du PCF de son groupe social de référence, la classe ouvrière. Dans une période de déclin numérique des ouvriers, le PCF procède à un élargissement de son public-cible en y intégrant notamment d’autres groupes sociaux comme les Ingénieurs Techniciens et Cadres (ITC)47. L’attention portée à la jeunesse semble procéder de la même logique de repeuplement de son groupe social de référence. Cette hypothèse gagnerait à être étayée par l’exploration de la place faite à la jeunesse dans une commune communiste encore largement dominée par le monde ouvrier au milieu des années 1980.