1Lorsque l’on s’intéresse aux évolutions électorales d’un pays ou d’une région, il est bien difficile de se cantonner à une période aussi courte que celle des années d’alternance 1984-1988, du moins si l’on veut saisir les dynamiques à l’œuvre sur un temps plus long. Supposant connu le contexte politique, économique et social des années 1980, notre analyse va se concentrer sur les principales séquences électorales de 1981 à 1989 de nature et aux enjeux différents (nationaux, régionaux ou locaux) dans le cadre d’une Bretagne historique à cinq départements, c’est-à-dire avec la Loire-Atlantique. Incluant deux élections présidentielles, trois élections législatives, deux élections municipales, deux scrutins européens, trois élections cantonales et la première élection régionale au suffrage universel, cette décennie qui correspond au premier septennat de François Mitterrand et au début de son second semble marquée par une poussée de la gauche en Bretagne et un enracinement du Parti socialiste (PS) issu du congrès d’Épinay, à peine freinés par l’alternance gouvernementale de 1986.

2Quelles sont les lignes de force qui se dégagent d’un système partisan en pleine recomposition dans les années 1980 et comment évolue le rapport des forces politiques électoralement ? Quels sont les partis dominants dans un moment où le « quadrille bipolaire » à son apogée en France en 1978 vole en éclats du fait de la montée en puissance du Front national (FN) à l’extrême droite en 1984 et des Verts à gauche, surtout aux élections municipales de 1989, alors que les partis du mouvement régionaliste breton, essentiellement l’Union démocratique bretonne (UDB), ne parviennent pas à décoller électoralement1 ? Y a-t-il comme au temps du gaullisme triomphant (1958-1969) un décalage entre le vote national et le vote local ? Afin de prendre la mesure de la mutation politique en cours dans les années 1980, il faut rappeler que lors de la naissance de la V^e République en 1958, il n’y avait plus un seul député de gauche (PCF, SFIO, PSA) sur 33 en Bretagne, et deux seulement en 1962 alors que l’Union pour la Nouvelle République (UNR) gaulliste obtenait 16 députés et 28,6 % des voix au 1^er tour. Les partis de la gauche divisée ne recueillaient alors qu’environ un quart des voix (26,5 % en 1958)2. En juin 1981, la « vague rose » déferle sur la Bretagne puisque le PS y enlève 19 sièges de députés ; il en conservera 15 sur 36 en 1986 et en aura 16 en 1988. Sans vouloir nier le poids des événements et de la conjoncture qui contribuent à orienter le vote ou l’abstention dans les années 1980 (espoirs déçus de l’alternance de 1981, difficultés économiques et montée du chômage, restructurations industrielles et contestations agricoles, réactivation de la question scolaire en 1984, victoire de l’opposition de droite en 1986), nous avons choisi d’analyser ensembles les élections comparables (présidentielles, législatives, élections locales).

Les élections présidentielles de 1981 et 1988 : de minoritaire, la gauche devient majoritaire en Bretagne

3Sans remonter aux élections présidentielles de décembre 1965 quand le général de Gaulle avait réuni 48,5 % des voix au premier tour contre 26,5 % à François Mitterrand et 19,7 % au centriste Jean Lecanuet et l’avait aisément emporté au second avec 62,6 %, Valéry Giscard d’Estaing avait lui aussi été nettement majoritaire dans la région en mai 1974. En effet, au premier tour il avait recueilli 40,7 % des suffrages, devançant François Mitterrand, à nouveau le candidat unique de la gauche, 37,1 % (43,3 % en France) et le gaulliste Jacques Chaban-Delmas, 13,5 %. Au second tour, Valéry Giscard d’Estaing a été confortablement élu avec 57,9 % des suffrages exprimés (plus de 60 % en Ille-et-Vilaine et dans le Morbihan). Mais pour la première fois sous la V^e République, le département des Côtes-du-Nord a accordé une légère majorité (50,2 %) au candidat de l’Union de la gauche. En 1974, la Bretagne catholique conserve donc son image de région de droite.

4Mais dans les années post-Mai 68, les mutations démographiques (rajeunissement de la population, exode rural, urbanisation), économiques (industrialisation relative), sociales (prolétarisation de la main-d’œuvre, montée d’une classe moyenne éduquée), religieuses (ébranlement de l’Église catholique et baisse de la pratique religieuse) et culturelles (revival de la culture bretonne) nourrissent de nombreux conflits sociaux (dans l’agro-alimentaire, au Joint-Français à Saint-Brieuc ou lors de la « grève du lait » en 1972) et écologiques (combat antinucléaire) ainsi qu’une aspiration à « vivre et travailler au pays ». En outre, la fin des Trente Glorieuses et les débuts de ce l’on nomme la Crise, avec la rapide montée du chômage, ainsi que l’aspiration à un renouvellement générationnel des élus changent la donne politique. Elle se traduit par une remise en question des notables gaullistes (RPR) et de la droite libérale (Union pour la démocratie française, UDF) et des progrès électoraux de la gauche, surtout favorables au Parti socialiste, aux élections cantonales de 1976 et aux municipales de 1977.

5Néanmoins, aux élections présidentielles d’avril-mai 1981, sorte de match retour de 1974 dans un contexte différent, Valéry Giscard d’Estaing reste majoritaire en Bretagne le 10 mai avec 50,8 % des suffrages exprimés au second tour (voir le tableau 1), soit 2,6 % de plus que sa moyenne nationale. Placé en tête au soir du premier tour (un quart des inscrits, 3,1 % des exprimés de plus que dans le pays), le président sortant a perdu près de 100000 voix depuis 1974, 9,8 %3, et il est talonné par François Mitterrand, cette fois candidat du seul PS.

Tableau 1. – Les résultats des principaux candidats aux élections présidentielles en Bretagne en 1981 et en 1988 (en suffrages exprimés).

6À l’issue du premier tour, avec 52,3 % des voix (3,5 % de plus que leur moyenne nationale), les candidats de la droite sont toujours majoritaires en Bretagne mais le gaullisme présidentiel, longtemps dominant, connaît un sévère affaiblissement. Jacques Chirac ne fait pas mieux que sa moyenne nationale et les trois candidats se réclamant de ce courant politique, en ajoutant Michel Debré et Marie-France Garaud, n’obtiennent que 21,3 %. Entre les deux partis de la gauche désormais désunie, comme au niveau national le rapport des forces s’est inversé : François Mitterrand a gagné 2,3 % sur les résultats des candidats du PS aux élections législatives de 1978 alors qu’avec seulement 10,2 % des voix Georges Marchais en a perdu 3,9 %, en retrait de 5,2 % sur sa moyenne nationale4. Le PCF ne résiste vraiment que dans son fief des Côtes-du-Nord (16,2 %). Un peu supérieur à son résultat national, le score du candidat écologiste Brice Lalonde n’est pas négligeable : sans doute est-ce là le résultat des fortes mobilisations contre les marées noires (naufrage de L’Amoco Cadiz en 1978), la construction d’une centrale nucléaire à Plogoff dans le Finistère et de la critique du productivisme du « modèle agricole » breton. Aspiration au changement, au second tour, François Mitterrand bénéficie du bon report des voix communistes et écologistes, de l’affaiblissement du vote communiste dans la région et d’une hausse de la participation de 4,6 % qui joue surtout en sa faveur. Il l’emporte dans 18 circonscriptions sur 33 et dans les grandes villes dirigées par l’Union de la gauche depuis 1977 (57,5 % à Nantes, 56,2 % à Rennes). Certes, Valéry Giscard d’Estaing a gagné dans quatre départements sur cinq mais l’écart a été de moins de 1000 voix en Loire-Atlantique et il n’a eu que 51 % dans le Finistère alors qu’il tombait à 44,5 % dans les Côtes-du-Nord. Le 10 mai 1981, les changements à l’œuvre en Bretagne se traduisent sur le plan électoral et ils vont s’amplifier aux élections législatives de juin.

7Les élections présidentielles de 1988, qui interviennent après deux années de cohabitation et de fortes tensions entre les deux pôles de l’exécutif (réforme Devaquet en 1986, crises des otages du Liban et de Nouvelle-Calédonie…), confirment les évolutions politiques en Bretagne puisqu’avec 55 % des suffrages, le président sortant est largement réélu au second tour le 8 mai (54 % en France). Il obtient 59,3 % dans les Côtes-du-Nord et même 52,9 % dans le Morbihan. La majorité sortante de 1986 a volé en éclats puisque le Premier ministre RPR Jacques Chirac a affronté au premier tour Raymond Barre, l’ancien Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing qui représente la droite libérale et les centristes unis depuis 1978 dans l’UDF et qui compte trois ministres sortants, les députés Pierre Méhaignerie (CDS-UDF) de Vitré et Alain Madelin (PR-UDF) de Redon ainsi que le centriste finistérien Ambroise Guellec. Raymond Barre (19,4 % des voix) recueille trois points de plus que sa moyenne nationale talonnant Jacques Chirac qui, avec 20,1 %, dépasse de peu son résultat dans le pays mais a perdu 1,2 % sur le score des trois candidats gaullistes de 1981. Le gaullisme présidentiel n’existe plus en Bretagne, ce vote étant au mieux stabilisé à un votant sur cinq.

8Avec 36,5 % (2,6 % de plus que dans le pays), et une progression de 9,5 % depuis 1981, François Mitterrand a largement mordu dès le 1^er tour sur l’électorat giscardo-centriste qui s’est effondré depuis 1974 (baisse de 21 %) retombant au niveau de Jean Lecanuet en 1965. Si les résultats départementaux du candidat de l’UDF sont assez homogènes, la baisse est forte dans les traditionnels bastions blancs de la droite : Morbihan, partie orientale de l’Ille-et-Vilaine et même dans le Léon finistérien, territoires dans lesquels le président sortant a progressé. Certes, une partie de cet électorat s’est reportée sur le candidat d’extrême droite du Front national (FN) Jean-Marie Le Pen qui obtient 9,9 % des voix en Bretagne, 4,5 % de moins que sa moyenne nationale. Il atteint 12,9 % dans le Morbihan, son département de naissance, en particulier sur le littoral et dans certaines villes. Effet retraités aisés ?

9En 1988, après sa participation au gouvernement et son refus de rester dans le gouvernement Fabius en 1984, la gauche communiste est mal en point car elle présente deux candidats : André Lajoinie, candidat officiel du PCF qui n’obtient que 4,5 % des voix dans la région (7,9 % dans les Côtes-du-Nord), soit un recul de 5,7 % par rapport à 1981, et Pierre Juquin, rénovateur exclu du PCF qui ne capte que 2,3 % des suffrages autant qu’Arlette Laguiller (LO). Le PCF est en voie de marginalisation en Bretagne : en un septennat, il a perdu près de 10 % de voix dans ses bastions de Guingamp et du Trégor (Lannion et Morlaix). Quant à Antoine Waechter (les Verts), il maintient le score écologiste de 1981.

10Au soir du 24 avril, en dépit de l’affaiblissement du PCF, le total des voix des candidats de gauche a progressé depuis 1981 alors que celui des droites et de l’extrême droite a perdu la majorité absolue. Le second tour est sans appel : François Mitterrand bénéficie d’un nouveau transfert de l’électorat centriste, surtout en Ille-et-Vilaine et dans le Morbihan, d’une partie des voix du FN et des trois quarts du vote écologiste. Dans les années 1980, le vote de gauche en faveur de François Mitterrand a fortement progressé aux élections présidentielles, est-ce le cas aux élections législatives ?

Les évolutions législatives de 1981 à 1986 et 1988 : succès du PS et relative résistance de la droite et du centre

11Après l’entrée de François Mitterrand à l’Élysée et la dissolution de l’Assemblée nationale, la « vague rose » déferle sur la Bretagne comme sur le pays lors des élections législatives de juin 1981. La gauche qui était minoritaire en sièges en 1978 (7 PS et 1 PCF, François Leizour à Guingamp) face à la domination des droites (14 RPR, 10 UDF dont 4 centristes et un non-inscrit) se retrouve avec 19 députés socialistes (voir le tableau 2) dont les trois ministres du premier gouvernement de Pierre Mauroy, reconduits au gouvernement5. Le 14 juin, au soir du 1^er tour, le PS sans les radicaux de gauche ni le PSU a rassemblé 38,4 % des voix, gagnant 13,7 % sur 1978 tandis que le PCF tombait à 9 % perdant lui 5,1 % (voir le tableau 3). Son unique député sortant a été devancé à Guingamp par Maurice Briand. Le PS réalise le « grand chelem » dans les Côtes-du-Nord : 5 députés sur 5. Charles Josselin, qui avait battu René Pleven à Dinan en 1973 et fait basculer le conseil général des Côtes-du-Nord à gauche en 1976, mais avait été battu par René Benoit (UDF-PR) en 1978, retrouve un siège de député. Pierre Jagoret est réélu à Lannion ; Yves Dollo reprend Saint-Brieuc perdu en 1978 et Didier Chouat enlève Loudéac où Marie-Madeleine Dienesch (ex-MRP passée à l’UDR), députée depuis 1945, ne se représentait pas. Les résultats sont aussi bons dans le Finistère où le PS (39,3 % au 1^er tour) passe de 2 à 6 élus sur 8. Sur cinq sortants, il ne reste que deux députés RPR dans leurs fiefs catholiques léonards, Charles Miossec et Jean-Louis Goasduff. Marie Jacq est réélue à Morlaix, l’ancien fief de Tanguy Prigent ; des nouveaux venus s’imposent comme Bernard Poignant qui prend Quimper, la base gaulliste d’Edmond Michelet puis de Marc Bécam, ancien ministre de Giscard d’Estaing entré au Sénat. De même, à Douarnenez, le catholique de gauche Jean Peuziat fait mordre la poussière au sortant RPR Guy Guermeur, l’homme qui avait fait voter la loi en faveur de l’enseignement privé confessionnel en 1977.

12En Loire-Atlantique, le PS passe de trois à quatre députés contrôlant désormais les trois circonscriptions nantaises6 en plus de son bastion de Saint-Nazaire où le rocardien Claude Évin a été élu en 1978. Nouveauté en Ille-et-Vilaine, l’agglomération rennaise élit deux socialistes : Edmond Hervé qui devient ministre délégué auprès du ministre de l’Industrie et Jean-Michel Boucheron. Dans le Morbihan, outre Jean-Yves Le Drian élu en 1978, la région lorientaise envoie un deuxième député du PS au Palais-Bourbon.

13Les deux partis de droite sont les grands perdants de cette « vague rose », surtout le RPR qui voit sa représentation divisée par deux (de 14 à 7 députés) alors qu’il n’a perdu que 1 % des voix (24,7 %) au premier tour depuis 1978. Seuls les « barons » du parti et les anciens ministres de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d’Estaing résistent bien dans leur fief : Michel Cointat à Fougères et Jean Hamelin, le successeur d’Yvon Bourges à Saint-Malo, ou Olivier Guichard à Guérande-La Baule et Lucien Richard dans le pays de Retz. Victime du glissement d’une fraction du vote centriste vers le PS, l’UDF est aussi très touchée perdant quatre sièges et près de 4 % des voix (22,8 %). Les caciques du Parti républicain (PR) sont facilement réélus : l’indéracinable Raymond Marcellin à Vannes, député depuis 1946, Christian Bonnet, ancien ministre de l’Intérieur de Giscard d’Estaing, à Auray et le jeune Alain Madelin à Redon. Le leader national du Centre des démocrates sociaux (CDS) Pierre Méhaignerie, lui aussi ancien ministre, fait le meilleur score : 72,4 % à Vitré au 1^er tour.

14L’épreuve du pouvoir va-t-elle faire de cette poussée du PS un feu de paille dans une région de conquête récente ? Les élections législatives du 16 mars 1986, au scrutin de liste départemental à la proportionnelle et avec trois sièges supplémentaires à pourvoir, apportent la réponse. Quels sont les effets de l’alternance attendue et qu’en est-il de la récente percée du Front national ? Aux élections européennes de juin 1984, le FN n’a recueilli que 7 % des voix en Bretagne (10,95 % en France) et en 1986 il est à 5,4 % contre 9,8 dans le pays, ce qui témoigne d’une bonne résistance de la région au vote frontiste. Sans surprise, aux élections législatives de 1986, les listes des droites redeviennent majoritaires en voix (48,7 % pour les listes unies RPR-UDF et même 54,7 % avec les listes dissidentes et divers droite) et en sièges (21 députés contre 15 au PS). Mais en voix, atteignant juste leur moyenne nationale, les deux grands partis de droite n’ont pas regagné leur supériorité des années 1960 quand ils obtenaient plus de 66 % des suffrages en 1962 et 1967 et même 68 % en 1968. N’ayant que 45,2 %, les candidats de gauche ont perdu près de 6 points depuis 1981 retombant à leur niveau de 1978. La gauche n’est plus majoritaire que dans les Côtes-du-Nord et elle est tombée à 40,4 % dans le Morbihan. Parti de gouvernement, avec 36 % des voix, le PS a plutôt bien résisté (5,4 % de plus que sa moyenne nationale)7, le PCF poursuivant sa chute à 6,4 % (11,6 dans les Côtes-du-Nord).

15Le nouveau mode de scrutin a assurément limité la casse en sièges pour le PS même si dans ses départements de force, il a perdu des députés sortants moins bien placés sur la liste pour des raisons de rapport de force entre les courants et de géographie électorale8. Mais en Ille-et-Vilaine, avec 34,8 % des voix, le PS obtient un troisième député, Clément Théaudin, le suppléant d’Edmond Hervé. Et il y avait pourtant une liste dissidente. De même, le Morbihan conserve ses deux députés sortants. En 1986, le renouvellement des hommes est très limité. Notons seulement l’élection à Nantes du maire de Saint-Herblain, le jeune Jean-Marc Ayrault qui conduit la liste et prend la succession de François Autain, entré au Sénat en 1983.

16À droite, la situation est compliquée car des listes d’union n’ont été constituées que dans quatre départements ; en Ille-et-Vilaine, le RPR (un élu, Michel Cointat) et l’UDF ont préféré se présenter séparément (trois élus dont le CDS Yves Fréville à Rennes qui reprend le flambeau de son père). Mais la composition des listes a aussi provoqué deux listes RPR dissidentes : dans les Côtes-du-Nord, Bertrand Cousin, un « parachuté » parisien n° 3 du groupe Hersant par ailleurs adjoint au maire de Brest est élu, et dans le Finistère où le sénateur-maire de Quimper Marc Bécam revient à l’Assemblée. En Loire-Atlantique, Élisabeth Hubert rejoint les sortants. Au total, en 1986, le RPR gagne deux sièges (9 députés) mais la principale gagnante est l’UDF, 12 députés (6 PR, 6 CDS). Dans ce parti, des battus de 1981 reviennent au Palais-Bourbon (René Benoit, PR, et Sébastien Couépel, CDS, dans les Côtes-du-Nord) et des nouveaux font leur entrée (Jean-Yves Cozan dans le Finistère et Monique Papon à Nantes). Trois femmes sur 36 élus y siègent. Jacques Chirac choisit trois ministres bretons dans son gouvernement de cohabitation. En 1986, la Bretagne semble revenue à droite mais le PS a, comme au niveau national, plutôt bien résisté.

17La réélection aisée de François Mitterrand, suivie d’une nouvelle dissolution, provoque de nouvelles élections législatives les 5 et 12 juin 1988 dont les résultats en Bretagne sont plutôt en demi-teinte. On revient au scrutin d’arrondissement majoritaire dans des circonscriptions redécoupées par Charles Pasqua. Le premier tour est marqué par une forte abstention (31,7 %). Le rapport des forces évolue peu : 20 sièges pour la nouvelle opposition de droite dénommée l’Union du Rassemblement et du Centre (URC) contre 16 au PS9. Le renouvellement des députés est limité (5 sur 36).

18En voix la gauche est à 49,5 %, plus 0,3 % pour les candidats écologistes, ce qui montre que plus de 5 % des voix centristes qui s’étaient portées sur François Mitterrand sont revenues vers l’UDF. Avec plus de 42 % des voix au 1^er tour (46 % dans les Côtes-du-Nord), le PS devient hégémonique à gauche alors que le PCF se stabilise à 7 % (13,2 % dans les Côtes-du-Nord). Le PS réalise un nouveau « grand chelem » dans les Côtes-du-Nord où Pierre-Yvon Trémel succède à Yves Jagoret, conserve quatre députés sur huit dans le Finistère – Bernard Poignant est réélu à Quimper – et deux dans le Morbihan, mais en perd un en Ille-et-Vilaine et un en Loire-Atlantique10.

Tableau 3. – Résultats comparés en % Bretagne/France du 1^er tour des élections législatives de 1978 à 1988.

19Du fait de la présence du FN (5,3 %, deux fois moins que dans le pays), l’Union de la droite retombe à 44,8 %, près de 10 points de moins qu’en 1986 et 1978. Après les deux années d’exercice du pouvoir par Jacques Chirac, le RPR perd deux sièges ne gardant que ses grands notables11. En revanche, l’UDF progresse : 13 députés dont sept pour le CDS. Ambroise Guellec est élu de justesse à Douarnenez alors que René Couanau l’emporte plus facilement à Saint-Malo. En 1988, le rapport gauche/droite est relativement équilibré en Bretagne, la décennie ayant vu un net progrès de la gauche socialiste. La construction de réseaux et de relais locaux n’y a pas été pour rien.

Les élections locales : résistance des droites, progrès de la gauche

20L’implantation partisane et l’accession à des carrières parlementaires et ministérielles s’appuient le plus souvent sur un ancrage local. Le basculement à gauche en 1976 du conseil général des Côtes-du-Nord, présidé par le centriste René Pleven depuis 1949, est le premier signal des évolutions en cours. En mars 1977, la dynamique unitaire du programme commun de la gauche ainsi que la politisation des élections municipales au détriment de notables locaux modérés, parfois usés, sans oublier les divisions de la majorité UDF-RPR, induisent d’importants changements dans la France de l’Ouest12. En Bretagne, une nouvelle génération de candidats socialistes conduit des listes d’Union de la gauche (PS-PCF-PSU-UDB) qui enlèvent neuf des onze villes de plus de 30000 habitants sauf Vannes. La gauche désunie ne perd que Quimper prise par le député RPR Marc Bécam. De justesse, à Nantes, Alain Chénard bat le sénateur-maire sortant André Morice (77 ans) tout comme Francis Le Blé à Brest l’emporte dès le 1^er tour face à une droite divisée. À Rennes, le retrait d’Henri Fréville13 facilite la victoire d’Edmond Hervé (55 % au second tour). La gauche conserve Lorient, Saint-Nazaire et Saint-Brieuc où Yves Le Foll est même réélu à la tête d’une liste PS-PSU contre celles du PCF et de la droite. Le PS gagne des petites villes (Saint-Malo, Saint-Herblain, Lannion, Pontivy) et des maires communistes sont élus (ou réélus) à Douarnenez, Concarneau, Carhaix, Guingamp, Lanester, Hennebont. Cette génération des maires de 1977 va marquer l’histoire de la Bretagne dans les 30 années suivantes.

21En mars 1983, les élections municipales se déroulent dans un contexte difficile pour les municipalités de gauche sortantes (tournant de l’austérité, montée du chômage, divisions, réactivation de la « question scolaire » très sensible en Bretagne avec la préparation de la loi Savary). Le refus d’accorder des subventions à l’enseignement privé catholique fait perdre plusieurs municipalités à la gauche dans le Finistère et le Morbihan (Pontivy). Si la gauche perd cinq villes dont Nantes gagnée par le sénateur RPR Chauty, à cause du tramway, et Brest prise par le RPR Jacques Berthelot dès le 1^er tour, ainsi que Saint-Malo, Lannion et Pontivy, elle en gagne deux, Fougères et Redon. Elle conserve dix villes importantes dont Saint-Brieuc où Claude Saunier succède à Yves Le Foll en union de la gauche. À Rennes, Edmond Hervé est réélu au second tour (52,8 %) contre la liste écologiste d’Yves Cochet et celle de la droite de Claude Champaud (RPR). Quelques mairies passent du PCF au PS dont Guingamp et Concarneau. L’UDB obtient deux maires et 80 conseillers municipaux. La droite et le centre (CDS) conservent sept villes14 et restent solidement ancrés dans les communes rurales. Incarné par la perte de Nantes et de Brest, le reflux de la gauche aux élections municipales de 1983 n’entame pas une implantation du PS qui va se poursuivre en 1989.

22Dans le contexte de la crise politique déclenchée contre le vote de la loi Savary15, de percée du FN et de recul confirmé du PCF, les élections européennes de 1984 sont favorables à la droite. La liste UDF-RPR conduite par Simone Veil oscille entre 48 et près de 52 % dans quatre des cinq départements bretons ne faisant que 43,3 % dans les Côtes-du-Nord. La liste de Lionel Jospin (PS) est à 23-24 % (moins de 20 % dans le Morbihan), trois points de plus que sa moyenne nationale, alors que celle du PCF se situe entre 6 et 8 % des voix selon les départements (12,6 % dans les Côtes-du-Nord). Le FN est à 5-6 %, deux fois moins que son score national, sauf dans le Morbihan (9,1 %). Le reflux aux municipales de 1983 et surtout aux européennes de 1984 se fait sentir aux élections cantonales de 1985 dans le seul département tenu par la gauche. Dans les Côtes-du-Nord, la majorité de Charles Josselin (38 sièges sur 52 depuis 1982, majorité absolue pour le PS) est réduite de huit unités, le PS et le PCF perdant chacun quatre conseillers généraux. Signal fort, le député socialiste Yves Dollo est battu à Saint-Brieuc tout comme le sénateur socialiste René Régnault à Dinan. Les difficultés économiques (crise chez Chaffoteaux et dans la métallurgie à Saint-Brieuc, téléphonie dans le Trégor, instauration de quotas laitiers) ont pesé.

23Au plus bas aux Européennes, la gauche va se redresser lors des élections législatives de 1986 qui se tiennent le même jour que les élections régionales. Dans une région de forte identité régionale, elles sont l’occasion de mesurer si un vote régionaliste existe et donc un décalage entre les enjeux nationaux et les enjeux régionaux. Le 16 mars 1986, 41 listes départementales sont en lice dans les cinq départements bretons sachant que la Loire-Atlantique appartient à la région des Pays de la Loire. Pour les principales formations politiques, l’écart entre les résultats aux élections législatives et aux élections régionales est très faible, moins de 1 % pour le PCF (6,6 %), l’UDF-RPR (47,7 %), et le Front national (5,1 %). En revanche, avec 33 %, le PS est en retrait de 3 points. Cela s’explique par la présence en Ille-et-Vilaine d’une liste dissidente Gauche démocratique et régionaliste conduite par deux socialistes, Louis Chopier, l’ancien maire de Saint-Malo, et Michel Phlipponneau, ancien premier adjoint d’Edmond Hervé, et d’une liste des radicaux de gauche. Présents dans quatre départements sur cinq, les écologistes obtiennent 2,6 % des voix (3,5 % en Loire-Atlantique). Même si elles ont pu prendre quelque voix au PS, les listes Convergence bretonne n’attirent que 1,5 % des votants (2,39 % dans les Côtes-du-Nord). Elles sont pourtant soutenues par les autonomistes bretons de l’UDB et une partie de l’extrême gauche (PSU, Ligue communiste révolutionnaire, des écologistes). Défendant un projet autonomiste et révolutionnaire16, elles ne font guère recette montrant la faiblesse d’un vote régionaliste en Bretagne17. Aux élections régionales de 1986, le rapport des forces droite/gauche est de 54,1 % contre 43,2 % si bien qu’à la région Bretagne, désormais présidée par le sénateur Yvon Bourges (RPR), la droite et le centre disposent de 45 conseillers (24 UDF, 16 RPR, 5 Div. D.), la gauche de 34 (30 PS, 4 PCF) et le FN de deux. Ce sont presque tous de grands élus, députés, ex ou futurs députés ou ministres, maires des grandes villes avec seulement trois femmes.

24Quelques mois après la réélection de François Mitterrand et l’exercice du gouvernement Rocard, dans un contexte de montée de l’abstention (30,4 %), les élections municipales de mars 1989 sont marquées par le succès du PS mais aussi la poussée du vote en faveur des Verts, ce qui témoigne d’une certaine insatisfaction dans l’électorat de gauche urbain et de mauvaises relations avec le PS, un parti qui est souvent en conflit localement avec le PCF. Le 13 mars 1989, au soir du 1^er tour, Ouest-France titre sur « un rééquilibrage en faveur de la gauche ». Elle l’emporte en effet dans 132 villes de plus de 30000 habitants contre 97 à la droite. En Bretagne, le PS reprend Nantes, Brest et Lannion à une droite divisée. À Nantes, Jean-Marc Ayrault l’emporte dès le premier tour (50,2 %), sans les Verts (4,4 %), du fait de la politique culturelle du maire sortant contestée (suppression des subventions). À Brest, où la majorité sortante a explosé, Pierre Maille reprend facilement la cité du Ponant (63,7 %). Le PS gagne des petites villes depuis longtemps ancrées à droite : Didier Chouat à Loudéac, Jean-Pierre Thomin à Landerneau ou Nicole Buron à Châteaubriant où elle bat le député-maire Xavier Hunault. Bernard Poignant qui a refusé un accord avec le PCF enlève de peu Quimper à Marc Bécam alors que les Verts obtiennent 13,4 %.

25Cette poussée du vote écologiste dans des villes de gauche est en effet la nouveauté de 1989. À Rennes, Edmond Hervé est réélu dès le 1^er tour contre la liste de droite de Gérard Pourchet (26,5 %) et celle des Verts d’Yves Cochet (14 %). Se maintenant au second tour, les scores des écologistes sont élevés à Saint-Brieuc (22,2 %), Lorient (20,4 %) et Saint-Nazaire (11,3 %). La division PS-PCF a fait perdre plusieurs villes (Morlaix, Guingamp, Plérin). La droite conserve ses cités mais une liste Alternatifs-Verts obtient 21,2 % à Vannes. Et Yvon Bourges est battu à Dinard par un autre candidat de droite du fait de son absentéisme. En 1989, la poussée de la gauche est nette en Bretagne, forte dans le Finistère et en Loire-Atlantique, mais si le PS en sort renforcé il est provisoirement contesté par la poussée des Verts dont les électeurs viennent de la gauche.

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26Sensibles aux oscillations politiques nationales, les résultats électoraux des années 1980 montrent un enracinement du vote en faveur de la gauche lors des élections présidentielles et législatives. Toujours puissantes, les forces de droite et du centre perdent leur supériorité des années 1960-1970. C’est le résultat des transformations économiques et sociales des années 1960-1970 et du militantisme engagé dans les années 1968. Captant cet électorat, le PS s’implante solidement à partir de 1977-1981. Bénéficiant de l’affaiblissement continu du PCF depuis 1978, le PS impose son hégémonie à gauche, même si les Verts semblent en mesure de la contester en 1989. Comme le montrent les résultats de 1986, l’exercice du pouvoir n’affaiblit que partiellement ce parti qui peut s’appuyer sur ses maires de la génération 1977, un socialisme municipal solide dans ses bastions les plus anciens (Saint-Nazaire, Lorient, Saint-Brieuc) et qui s’étend à partir des villes et de multiples réseaux associatifs18. Intégré dans l’UDF et allié à la droite libérale, le centre (CDS) n’a pas été absorbé par le PS comme on le dit parfois, conservant lui aussi de solides bases locales (municipalités, conseils généraux et élus régionaux). Au moment de l’alternance de 1986, la droite redevient même majoritaire en Bretagne. Mais en son sein, à part quelques barons, c’est le RPR gaulliste qui pâtit le plus de la nouvelle donne alors qu’émergent de nouvelles forces politiques, le FN encore faible dans la région, et les Verts grâce à quelques personnalités comme Yves Cochet. Les résultats électoraux du PS n’en sont pas moins tributaires des enjeux nationaux : en 1993, il tombe à cinq députés en Bretagne pour remonter à 20 en 1997.