1Les années 1970 ont été une période de renouveau et de dynamisme important du mouvement breton, dont les préoccupations et revendications se diffusent pour la première fois de manière relativement large dans la population et auprès des principales forces sociales et politiques. Évoquons ainsi une culture bretonne dépoussiérée et en phase avec la société, avec le retour en grâce de la musique et des danses bretonnes. Alan Stivell réinvente la musique bretonne, les festoù-noz (fêtes traditionnelles bretonnes) connaissent un succès populaire fort. L’image de la langue bretonne est réhabilitée auprès de la population, et notamment auprès des jeunes, une génération après la rupture de la transmission générationnelle. Mentionnons aussi la revendication croissante d’un pouvoir politique régional, avec le succès du slogan « Vivre et travailler au pays », porté notamment par le Parti socialiste unifié (PSU) et la Confédération française démocratique du travail (CFDT), particulièrement dynamiques en Bretagne, puis approprié par la majorité du spectre politique breton. Un parti politique autonomiste, l’Union démocratique bretonne, semble même pour la première fois pouvoir percer électoralement : en 1977, l’UDB comptabilise 35 conseillers municipaux et revendique près de 2000 adhérents en 1980 ; Le Peuple breton, son journal, tire à 15000 exemplaires en 19781.

2Par contraste, les années 1980 sont souvent décrites comme le creux de la vague. La dynamique semble s’étioler. Les mémoires militantes en gardent un souvenir de grande déprime. Le cœur de mon propos va être de souligner que, contrairement à ces impressions, les années 1980 sont une période très importante dans l’histoire du mouvement breton. Le cycle commencé dans les années 1960, voire dans les années 1950, prend certes fin à ce moment-là, d’où une certaine amertume et le sentiment de remises en cause douloureuses. Mais un nouveau cycle commence, cycle qui n’est pas terminé aujourd’hui.

La fin d’un cycle

3Au cours des années 1970, le Parti socialiste en Bretagne avait travaillé à porter de manière de plus en plus convaincante la question bretonne, que ce soit sur la langue ou les institutions, rompant ainsi avec le jacobinisme traditionnel de la SFIO. Il avait mis en place une structure de coordination et de réflexion régionale en 1972, le BREIS (Bureau régional d’études et d’information socialiste), participait au Front culturel progressiste breton à partir de 1977, et utilisait même la notion de « peuple breton », par exemple dans le Manifeste régional socialiste breton (1978)2. François Mitterrand, lui-même, avait fortement valorisé la dimension « régionaliste » de son projet au cours de sa campagne électorale de 1981. Le 14 mars 1981, à Lorient, il assurait ainsi :

« C’est blesser un peuple au plus profond de lui-même que de l’atteindre dans sa langue et sa culture. Nous proclamons le droit à la différence. Il est indigne de la France qu’elle rejette ses richesses, qu’elle soit le dernier pays d’Europe à refuser à ses composantes les droits culturels élémentaires, reconnus dans les conventions internationales qu’elle a elle-même signées. […] Le temps est venu d’un statut des langues et cultures de France3. »

4Les promesses étaient fortes et ambitieuses. Il y a donc une vraie attente de la part des Bretons sur la question régionale quand François Mitterrand est élu.

5Des réformes sont assez rapidement mises en place, répondant à certaines des principales revendications du mouvement breton. Une licence de breton est créée en 1982, puis un CAPES de breton en 1985 (qui ne prend toutefois effet qu’en 1991) et enfin un DEUG de breton en 1989. De même, une filière bilingue émerge dans l’éducation nationale à partir de 1982. Enfin, le chantier de la décentralisation est lancé dès juillet 1981 et aboutit notamment à la mise en place de régions démocratiques, au conseil régional désormais élu au suffrage universel et doté de compétences et budgets renforcés (loi du 2 mars 1982).

6Mais le mouvement breton est globalement déçu. Ce n’est pas le changement paradigmatique qu’il appelait de ses vœux. Le gouvernement refuse l’intégration des écoles Diwan – écoles en breton par immersion – dans l’éducation nationale. Le breton garde une place marginale à la télévision et dans la vie publique. La Bretagne n’est pas réunie (le mouvement breton et une bonne partie de la population revendiquent le rattachement du département de Loire-Atlantique à la région administrative de Bretagne). La réforme de décentralisation est loin d’avoir l’ampleur espérée et la Bretagne n’obtient aucun statut particulier, contrairement à la Corse.

Crise et désarroi à l’UDB

7Ces espoirs, déceptions et interrogations traversent l’UDB. D’autant plus que depuis 1977 le petit parti autonomiste avait commencé à intégrer les institutions en alliance avec le PS, qu’il avait soutenu sans réserve le Projet commun et appelé à voter François Mitterrand au second tour de l’élection présidentielle en 1981.

8Si la crise d’identité de l’UDB éclate alors au grand jour, elle trouve ses racines en 1978. Alors que l’UDB pensait enfin percer électoralement lors des élections législatives de 1978, elle ne réalise au final que 1,87 % des voix et n’obtient aucun élu. Jean-Jacques Monnier explique : « Le choc est rude et toute la vision optimiste que les succès des années 1976-1977 avaient pu développer se trouve remise en cause4. » C’est le début de huit années de conflits internes.

9Lors du Congrès de 1980 (Saint-Nazaire), la direction sortante, marxisante, est mise en minorité par une motion défendant la nécessité de l’autonomie politique de l’UDB vis-à-vis des deux grands partis de la gauche hexagonale. Cette sensibilité est menée notamment par Loïc Cauret, Marc Andro et Herri Gourmelen, ce dernier devenant alors le nouveau porte-parole.

10Mais ce changement de majorité ne suffit pas. À partir de 1980, l’UDB connaît une hémorragie militante. Si certains abandonnent le militantisme ou se recentrent sur l’engagement associatif ou syndical, d’autres rejoignent le PS, notamment en 1981-1982, estimant que ce parti est désormais la principale force de changement et que c’est en son sein que doit être mené le combat5. Parmi ces derniers se trouve Ronan Leprohon, le leader charismatique de l’UDB depuis 20 ans. Dès lors, alors que le parti revendiquait 2000 adhérents en 1980, il n’en compterait plus que 500 en 1984 et 300 en 1987. À cette vague de départs s’ajoute une crise financière, causée notamment par une baisse forte du nombre d’abonnés du Peuple breton, qui passe de 3500 à 1500 entre 1980 et 1983. Les salariés sont licenciés, certains militants doivent même hypothéquer leur maison pour que le parti puisse continuer d’emprunter aux banques6.

11La dépression gagne l’UDB7, alimentée par le sentiment que « l’UDB sème, le PS récolte8 », et par des résultats électoraux qui continuent à être très mauvais. L’atmosphère en interne du parti devient délétère. Lors du Congrès de Lorient en 1984, la crise éclate au grand jour. La ligne officielle de soutien critique au PS est rejetée par une partie croissante des militants. Les fédérations de Brest et du Léon font scission et vont créer en 1985-1986 Frankiz Breizh sur une ligne plus nationaliste.

12Le parti n’arrive même pas à tirer parti de la nouvelle structure des opportunités politiques ouverte par la décentralisation et par l’instauration de la proportionnelle aux législatives. Lors de l’élection régionale de 1986, l’UDB présente une liste conjointe avec le PSU et des représentants de la gauche alternative et du mouvement culturel. Les moyens financiers sont faibles, la campagne ne prend pas. C’est l’échec, avec seulement 1,5 % des suffrages. Pour les législatives de 1986, c’est encore pire. Le parti ne présente qu’une seule liste, dans le Morbihan, sans succès avec seulement 1,2 % des suffrages. Bref, en 1986, l’UDB touche le fond du trou avec une scission, une hémorragie militante, une dette énorme, des résultats électoraux catastrophique. Le parti est menacé dans son existence même.

Essoufflement du mouvement culturel et transformations de l’action directe

13Il n’y a toutefois pas que l’UDB qui rentre dans une spirale négative dans la première moitié des années 1980. La musique et la culture bretonnes ne font plus recette. Les festoù-noz attirent de moins en moins de public. Beaucoup d’artistes quittent la scène. D’autres, comme Glenmor ou Gilles Servat, s’orientent vers des textes plus poétiques et sont contraints de se satisfaire d’un public plus modeste9. D’autres enfin doivent continuer leur carrière à l’étranger, en jouant en Allemagne, en Hollande ou en Belgique une partie de l’année, voire aux États-Unis, comme Dan ar Braz10.

14De même, les associations culturelles sont pour la plupart en crise, et notamment celles qui étaient les plus militantes dans la décennie précédente. Le Bleun Brug disparaît. D’autres comme Ar Falz ou Skol an Emsav perdent leurs militants et leur dynamisme. Alors qu’Ar Falz était très proche du PS, elle connaît les mêmes désillusions que l’UDB, ce qu’exprime un éditorial de son journal en 1984 faisant un bilan des trois premières années de la présidence de François Mitterrand : « Il faut croire qu’aujourd’hui, à Paris, les jacobins tiennent plus que jamais le haut du pavé11. »

15L’action directe aussi se transforme. Dès le 4 août 1981, une loi d’amnistie large est votée concernant notamment les « infractions commises en relation […] avec des incidents d’ordre politique ou social » (art. 2.4.). Les 19 militants du FLB-ARB alors emprisonnés sortent de prison12. Certes, dès 1983 les attentats reprennent, et dureront jusqu’en 2000. Mais ils n’atteindront jamais la même intensité ni le même impact médiatique que dans les années 1970.

16L’activisme extra-légal direct a pris une nouvelle forme dans les années 1980, sous le sigle de SAB (Stourm ar brezhoneg, qui signifie « lutte de, ou pour, la langue bretonne »). SAB est une scission radicale de Skol an Emsav fin 1983, qui décide de durcir son militantisme en faveur de la langue bretonne par l’action directe. L’organisation s’explique dans un communiqué qu’elle diffuse le 21 mars 1984 : « L’action légaliste patine et s’enlise dans tous les domaines : le bilinguisme routier, la radio, la télé, l’enseignement officiel, la vie administrative. Nous avons décidé d’entrer en résistance13. »

17SAB milite principalement pour l’officialisation de la langue bretonne – son principal slogan est « Brezhoneg, yezh ofisiel » (« Breton, langue officielle ») – et notamment sa présence visible dans l’espace public et médiatique. À partir de 1984, SAB décide de lancer une campagne de barbouillage au coaltar des panneaux directionnels pour obtenir l’installation de panneaux bilingues. Entre 1984 et 1996, 20 000 panneaux routiers auraient été coaltarés en Bretagne14, témoignant de l’efficacité d’un réseau de petites cellules locales autonomes. SAB subit une forte répression, avec 12 procès et 19 militants condamnés à de la prison et à de fortes amendes. Néanmoins, SAB atteint pour partie ses objectifs : les coûts de nettoyage ou de remplacement des panneaux endommagés sont bien plus lourds que la mise en place d’une signalisation bilingue15. En 1986, le département des Côtes-du-Nord adopte le principe de la mise en œuvre d’une signalétique bilingue sur l’ouest du département (la partie bretonnante) après deux années d’expérimentation, suivi quelques années plus tard par le Finistère (1990)16. Ainsi, « le mélange de radicalisme et de modération de SAB fait passer le nationalisme à la fois du niveau central au niveau local et des revendications maximalistes aux demandes négociables17 ».

Restructuration et réinvention d’un mouvement breton modernisé

18Les années 1980 sont donc une période difficile pour le mouvement breton, comme pour d’autres mouvances activistes dynamiques des années 1970 (extrême gauche, écologie, féminisme… )18. Néanmoins, c’est en touchant le fond que le mouvement se réinvente et pose de nouvelles bases à son développement.

La recomposition du mouvement politique breton

19Les animateurs de l’UDB n’étaient pas restés passifs face à la crise de leur parti. Dès 1980, la nouvelle majorité avait commencé à inventer une nouvelle base stratégique et théorique pour le parti, autour notamment du concept de « bloc progressiste » inspiré de Gramsci, selon lequel l’UDB doit rassembler toutes les catégories sociales qui souffrent du capitalisme et/ou du centralisme19. Mais il faut attendre le congrès de novembre 1986 (Mûr-de-Bretagne) pour que soit défini et adopté le nouveau paradigme idéologique de l’UDB. Le centralisme démocratique et l’ancrage marxiste sont abandonnés. De même l’analyse « Bretagne = colonie » est écartée au profit d’une nouvelle approche faisant de la Bretagne une région affectée par un moindre développement. La défense de l’environnement est clairement intégrée à l’action de l’UDB. Enfin, le parti inscrit plus explicitement son combat dans un cadre européen, ce qui aboutit notamment à un rapprochement avec l’Alliance libre européenne20, dont l’UDB devient membre en 1987.

20Au niveau stratégique également, le parti travaille à se réinventer et à s’ouvrir aux gauches alternatives. À partir du congrès de 1984, les militants expriment une volonté croissante d’alliances hors du PS et du PCF. Ils le font avec le PSU tout d’abord à partir des élections législatives de 1981, mais le parti ne représente plus grand-chose dans les années 1980. Logiquement, l’UDB soutient la candidature de Pierre Juquin à l’élection présidentielle de 1988, campagne qui se révèle toutefois décevante pour l’UDB, les revendications régionalistes étant globalement passées sous silence. En 1989, à l’occasion des élections municipales à Lorient, la liste An Oriant Écologie, liste d’union entre les Verts et l’UDB, connait un succès remarqué avec 15,11 % des voix au premier tour, 20,44 % au second tour et l’élection de 5 conseillers municipaux d’opposition. C’est la première expérience de collaboration électorale entre l’UDB et les Verts, qui annonce la nouvelle préférence stratégique de l’UDB en faveur de l’écologie politique. Celle-ci s’épanouira tout particulièrement dans les années 200021.

21Le nationalisme traditionnel de droite se réinvente également au cours des années 1980. Strollad ar Vro, dernier avatar du Mouvement pour l’organisation de la Bretagne (MOB), avait disparu en 1977. Son journal, L’Avenir de la Bretagne, est toutefois relancé dès 1980. En 1982 est créé le Parti pour l’organisation d’une Bretagne libre (POBL), avec Yann Fouéré et Patrick Montauzier pour principaux animateurs22. Le POBL affiche une idéologie explicitement nationaliste, se revendiquant de tout l’héritage du mouvement breton, n’hésitant pas, y compris, à rendre hommage à Olier Mordrel et Célestin Lainé, deux leaders nationalistes bretons des années 1930 particulièrement actifs dans la collaboration avec les Nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Si le parti se revendique « ni gauche ni droite, Breton », ses référents idéologiques et ses pratiques l’ancrent clairement à la droite de l’échiquier politique23.

22De l’autre côté du spectre politique, Emgann naît au cours de l’été 1983, largement issu de Kuzul an distaoliadeg (KAD), les comités pour l’amnistie des prisonniers du FLB. Comme le POBL, Emgann « recycle » plusieurs anciens membres du FLB, à l’instar de Yann Puillandre24, mais sur une option idéologique et militante radicalement différente. Emgann s’affirme indépendantiste, nationaliste et socialiste autogestionnaire. Partisans de l’action directe, ce sont souvent des militants d’Emgann qui animent l’ARB reconstituée de même que SAB. Si comme POBL, Emgann reste groupusculaire (le parti revendique 200 membres dans les années 1990), sa base sociologique est bien plus jeune et populaire (chômeurs, ouvriers, étudiants).

La professionnalisation du mouvement associatif

23Le mouvement politique breton se réinvente donc dans les années 1980, sur les bases qui existent encore aujourd’hui. Le mouvement associatif se reconfigure également, en s’institutionnalisant et se professionnalisant, à l’exemple d’ailleurs de ce qui se passe au même moment dans la mouvance environnementaliste25.

24Dans le monde de la musique, si la médiatisation est moindre qu’au cours de la décennie précédente, la formation des jeunes se renforce. « Les années quatre-vingt sont des années studieuses » explique Jean-Pierre Pichard26. Ainsi, à la fin de la décennie, plus de 120 structures forment des milliers de jeunes chaque année. Comme l’écrit Michel Nicolas : « Succédant à une période de forte médiatisation, la musique bretonne traverse en fait une période de maturation, préparant l’explosion qui se produit un peu plus tard, dans la décennie 199027. »

25De fait, les fruits de cette maturation arrivent assez vite, avec le retour en vogue de la musique bretonne. En 1993, Dan ar Braz fait un retour remarqué avec L’Héritage des Celtes, spectacle qui associe des artistes des divers pays celtiques des deux côtés de la Manche. Son succès marque le retour en force de la musique bretonne dans l’espace public. Au même moment, les festoù-noz connaissent une nouvelle dynamique, portée par les jeunes formés dans les années 1980, avec des groupes comme Ar Re Yaouank et Carré Manchot.

26Dans le monde de la langue bretonne, Skol an Emsav peut professionnaliser son activité grâce à des subventions. Elle perd progressivement son caractère d’organisation militante pour se centrer sur les cours du soir et l’édition, publiant en particulier le magazine d’information Bremañ, à partir de 1980. Ar Falz également se recentre sur l’édition (Skol Vreizh). De nouvelles structures naissent, comme l’éditeur An Here, en 1983, qui devient rapidement le principal éditeur de livres en breton, à destination notamment des jeunes.

27Mais l’énergie des militants de la langue bretonne se focalise sur la question de l’enseignement dans les années 1980, et tout particulièrement au service du développement de Diwan. Ce réseau d’écoles en breton par immersion (c’est-à-dire que l’ensemble des cours est donné en breton, à l’exception des cours de français) créé en 1977 prend alors son essor, passant de 1 école et 5 élèves en 1977 à 20 écoles, 1 collège et 630 élèves en 1990. Les militants travaillent toutefois d’arrache-pied pour se faire accepter par la population et par les pouvoirs publics, mais aussi pour atteindre l’équilibre financier. Les difficultés financières sont en effet permanentes, jusqu’à l’obtention du statut d’école privée sous contrat d’association en 1994. Le succès de Diwan suscite la création de classes bilingues publiques en 1982-1983 (le réseau Div Yezh) puis de classes bilingues privées en 1990 (le réseau Dihun).

28Mais la professionnalisation du monde culturel breton est plurielle, et favorisée par la création en 1982 de l’Institut culturel de Bretagne. Celui-ci, produit de la Charte culturelle bretonne28, a pour objet de promouvoir la culture bretonne et de coordonner ses acteurs. Il est largement financé par le conseil régional de Bretagne, et est très actif notamment dans le soutien de l’édition en Bretagne. L’ICB, explique Yann Fournis, maximise les espaces offerts par l’indifférence des principaux élus régionaux qui, sous la présidence de Raymond Marcellin puis d’Yvon Bourges, se soucient peu de mettre en place une politique spécifique à cet égard29.

29Grâce à la libéralisation des ondes à partir de 1981 enfin, deux radios associatives bretonnantes sont créées en 1983, Radio Kreiz Breizh et Radio Bro Gwened. Elles complètent l’offre de Radio Bretagne Ouest, créée en 1982, et où la langue bretonne avait une place non négligeable.

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30La sortie des années 1970 est douloureuse pour le mouvement breton dans son ensemble, mais pas plus (voire plutôt moins) que pour d’autres mouvances militantes. De fait, c’est au cours de cette décennie des années 1980 qu’est réinventé le mouvement breton contemporain.

31Les trois grandes familles politiques du mouvement breton se cristallisent très clairement à ce moment-là : une branche autonomiste de centre-gauche, autour de l’UDB, la seule vraiment présente dans les institutions ; une branche nationaliste de droite se revendiquant héritière de l’Emsav traditionnel, représentée aujourd’hui par le Parti breton ; enfin, une branche indépendantiste d’extrême-gauche, très activiste, portée aujourd’hui par Breizhistance (qui a remplacé Emgann à partir de 2009). Pour la première fois, chacune de ces familles a présenté une liste à l’élection régionale des 6 et 13 décembre 2015 : respectivement la liste Oui la Bretagne (6,71 %), la liste Notre chance l’indépendance (0,54 %) et la liste Bretagne en lutte – Breizh o stourm (0,62 %).

32Que ce soit musicalement ou au niveau de la langue, les années 1980 sont également une décennie de maturation et de consolidation des réseaux, qui transforment nombre d’engagements militants en investissements professionnels et institutionnels sur la longue durée. Mentionnons par exemple la trajectoire de Lena Louarn, militante à Skol an Emsav dans les années 1970, présidente de Skol an Emsav et directrice de la revue Bremañ à partir des années 1980, présidente de l’Office de la langue bretonne depuis 1999, et vice-présidente du conseil régional de Bretagne en charge de la politique linguistique à partir de 201030.

33Finalement, loin de l’image dépressive véhiculée par certains acteurs, on se rend compte sur la longue durée, que les années 1980 sont probablement la décennie où les avancées les plus substantielles pour le mouvement breton se sont réalisées, à la fois grâce à la maturation des militants formés au cours des années 1970 et grâce aux nouvelles opportunités institutionnelles et financières offertes par la charte culturelle tout d’abord, à partir de 1977, ensuite par la décentralisation (1982-1986) qui renforce les capacités budgétaires et d’initiative politique des collectivités territoriales et enfin par un climat politique plus ouvert aux revendications culturelles.