Chapitre VIII. En Corse : la piève, le clan et la vendetta
p. 215-238
Texte intégral
La piève : christianisation et territoire
1La Corse entra dans le monde romain à partir du iiie siècle av. J.-C. Au ier siècle apr. J.-C., Pline l’Ancien note que le territoire de l’île était divisé en trente-trois civitates1, sans qu’il soit possible aujourd’hui de dire à quelle réalité territoriale correspondait cette division. Les historiens reconnaissent d’ailleurs que l’histoire de la romanisation de la Corse n’en est aujourd’hui qu’à ses débuts, même s’ils relèvent que les conquérants se heurtèrent sans doute rapidement à des difficultés. Ils notent, entre autres choses, que le paysage accidenté de l’île n’était « pas bien adapté aux grands travaux agricoles et (qu’) une partie de ses habitants autochtones (était) restée relativement fermée au monde extérieur2 ». Les deux évêchés les plus anciens de la Corse sont cependant issus des deux plus grandes villes romaines, Aléria et Mariana, et à la fin du vie siècle l’île dépendait directement de Rome pour l’organisation de la vie religieuse3. Mais c’est seulement quelques siècles plus tard qu’apparaît une circonscription territoriale qui jouera un grand rôle dans l’histoire de l’île : la pieve.
Les origines
2Le mot pieve (ci-dessous piève) vient du latin plebs, qu’on traduit le plus souvent par « peuple » ou par « communauté ». La piève s’enracine probablement dans la constitution de Milan, prise sur l’initiative de l’empereur d’Occident Honorius en 398, en vue de répondre aux problèmes posés par la conversion au christianisme dans certaines parties de l’Empire d’Occident. Dans l’esprit de l’empereur et de la papauté, il s’agissait de créer une circonscription qui tiendrait compte à la fois des traditions culturelles des groupes ethniques, et des difficultés rencontrées par les évêques pour contrôler leur territoire épiscopal, « dans des régions non encore civilisées4 ». Le principe en était l’établissement d’une paroisse rurale « gérée de façon autonome par un collège de prêtres », celui-ci étant encadré par « un évêque qui n’était pas rattaché à une cité mais qui avait en charge l’ensemble des paroisse5 ». L’initiative eut un succès assez limité en dehors de l’Armorique et d’une partie de la péninsule italique. En Armorique, la plebs fut adoptée au ve siècle pour achever la christianisation des populations en majorité bretonnes, et en vue de « susciter à l’intérieur de chaque communauté rurale une élite de clercs qui évangéliseront les leurs6 ». C’était une réponse à une situation d’urgence, sans doute prise sous l’influence de l’évêque d’Auxerre Germain (380-448), en particulier parce qu’une partie des habitants de l’Armorique était des migrants et des personnes déplacées, et que les anciennes circonscriptions gallo-romaines n’étaient plus en mesure de les contrôler. Les auteurs donnent à la plebs (devenue plou- dans la toponymie) de la future Bretagne armoricaine une superficie moyenne de 80-100 km7, correspondant à une circonscription de 5-6 km de rayon, c’est-à-dire dont le centre était en principe accessible en une journée aller-retour de marche depuis la périphérie.
3Les besoins étaient sans doute à peu près les mêmes en Italie septentrionale, une contrée dans laquelle la christianisation semble avoir été surestimée à la fin de l’Antiquité et au haut Moyen Âge8, et où les pièves apparaissent avec clarté dans les textes à partir de la fin du viie siècle. Sur le versant italien des Alpes, où la piève résista au morcellement jusqu’au xiiie siècle, ses origines semblent avoir répondu assez directement aux intentions de la constitution de Milan. Les vallées du Cadore, dans les Dolomites, formèrent longtemps autant de communautés ou sociétés locales autonomes relevant à l’origine d’une piève unique, placée sous l’autorité du patriarcat d’Aquilée. Au xive siècle, le Cadore était divisé en dix « centaines » et disposait de ses propres institutions : l’instance suprême était le Conseil général qui réunissait dans la « capitale », Pieve di Cadore, une trentaine de représentants de chaque centaine. Lorsque Venise prit possession de la contrée en 1420, les vallées du Cadore obtinrent une autonomie officielle au sein des États de Terre Ferme, et ce statut resta en vigueur jusqu’à la chute de la Sérénissime en 17979.
4Cinzio Violante définissait la piève comme une « église publique, appartenant d’office à l’évêque […]10 ». Mais en Italie septentrionale et centrale, le même auteur notait une possible correspondance entre la vaste zone des pièves et l’aire d’extension initiale du pagus romain11. Il supposait ainsi une possible continuité dans les formes d’encadrement et les modes d’occupation de l’espace, entre la période romaine et le haut Moyen Âge, ce qui semble pouvoir se vérifier pour le Cadore. De son côté, Jean Gaudemet signalait aussi le double aspect religieux/officiel et civil/indigène de la piève, en posant implicitement le problème de l’antériorité de l’un par rapport à l’autre :
« Elle groupe autour d’une “église-mère” plusieurs “églises sujettes” qui ne jouissent pas de l’intégralité des droits paroissiaux. Certaines de ces “pieve” sont considérables, groupant sous l’autorité de l’église baptismale plusieurs dizaines de paroisses. Ces communautés paroissiales rurales sont l’expression d’un sentiment communal répandu dans les campagnes comme en ville. Dans les villages, qui s’organisent en commune, les habitants, vicini ou parrochiani, forment un corps qualifié de vicinitas, communitas, parochia, universitas. Ils participent au choix de leur pasteur et à l’administration paroissiale de même qu’ils élisent leur magistrat et contrôlent la gestion administrative12. »
5Les vicini ou parrochiani étaient donc des habitants qui disposaient de leurs pleins droits juridiques et constituant le corps civil de la piève. En Italie centrale, le contexte géographique de la piève était celui d’un habitat dispersé « avec des maisons isolées ou des groupes de maisons13 », et les fonctions de la vicinitas dépassaient sans doute l’aspect proprement religieux de la circonscription. Sur ce plan, la situation en Corse au début du Moyen Âge reste obscure : l’habitat dispersé était majoritaire, mais l’on n’identifie clairement aucun corps civil constitué dans les textes14. Le problème de la continuité des pièves avec des circonscriptions antérieures a été posé. Certains auteurs n’ont pas hésité à voir dans les douze « tribus » de la Corse, dont parle le géographe Claude Ptolémée au iie siècle, les territoires d’où seraient issues les pièves du premier Moyen Âge15. Mais celles-ci étaient bien plus nombreuses, tandis que le nombre des « tribus » corses de Ptolémée au iie siècle se rapprochait davantage de celui des évêchés, qui s’élevait à six au haut Moyen Âge. Philippe Pergola signale aussi que les sites d’installation des églises piévanes indiqueraient l’existence d’une circonscription sans rapport avec les édifices de culte antérieurs16.
Des cathédrales dans le désert ?
6Pour cet auteur en effet,
« bien qu’il soit établi que les “pievi” se trouvaient en général au centre d’une série d’habitats dispersés, ces monuments apparaissent plutôt comme des “cathédrales dans le désert”. On ne rencontre aucune trace de structure à leurs abords immédiats, et ces églises, prévues pour être des centres administratifs et religieux, semblent végéter et être réduites bien rapidement au rôle de sanctuaire secondaire par rapport aux églises paroissiales17 ».
7Le contraste apparaît ici flagrant avec l’installation des structures religieuses dans d’autres contrées de l’Europe à la même époque, y compris insulaires. En Irlande, nous l’avons vu, les évêchés se fondirent sans grande difficulté aux ve-vie siècles dans la principale circonscription existante, le tuath, et il ne fut pas nécessaire d’adopter un découpage spécifiquement religieux du territoire. Mais la création des lointains évêchés irlandais s’effectua sans l’accord ni l’intervention de la papauté, qui n’avait pas les moyens de peser sur l’installation du réseau épiscopal de l’île. La situation présentait toutefois quelques analogies avec celle de la Corse. Malgré sa proximité géographique avec l’île, le Latran dut compter longtemps avec l’absence d’une autorité civile permanente in situ pour l’aider à établir le maillage religieux du territoire. En 1077, après une succession de souverainetés liées de plus ou moins près à l’Église, le pape Grégoire vii inféoda la Corse à la cité marchande de Pise, avec une ambition clairement missionnaire : celle de « réformer les structures politiques et religieuses de l’île18 ». Le résultat se fit rapidement sentir pour les églises piévanes, puisque la plupart d’entre elles furent édifiées dans la première moitié du xiie siècle19. À cette époque, le petit diocèse de Nebbio situé au nord-ouest de l’île comprenait les cinq pièves de Nonza, Canari, San Quilico, Rosolo et Santo Pietro (fig. 17)20.
Fig. 17. – Les pièves du diocèse de Nebbio au xiiie siècle.

8Les enjeux de l’installation des pièves relevèrent d’une politique missionnaire générale. Les deux premiers diocèses de Corse furent installés dans les deux petites villes d’Aléria et Mariana, situées sur la côte orientale, et ils sont mentionnés à la fin du vie siècle et au début du viie siècle21. L’apparition beaucoup plus tardive des pièves, sans doute depuis l’Italie centrale22, refléta à la fois les difficultés des autorités ecclésiastiques à encadrer les communautés territoriales de base, et leur volonté d’adapter la circonscription aux traditions culturelles de l’île, comme dans le cas du Cadore. De plus, à partir du xe siècle, les canons conciliaires précisèrent que tout fidèle devait être attaché localement à une église, non seulement pour y faire baptiser ses enfants, « mais aussi et surtout pour payer la dîme et inhumer ses morts23 ». C’est l’ensemble de ces fonctions que dut remplir l’église piévane24. « Lieu central » pour l’accomplissement complet de l’itinéraire terrestre du chrétien, elle était pourvue de la cuve baptismale et entourée du cimetière, destiné à devenir le lieu par excellence de la fixation de la mémoire chrétienne et collective du groupe. Et le même chemin qui accompagnait le baptisé ou le défunt depuis la maison ou le hameau jusqu’à l’église était parcouru aussi pour la perception des dîmes. Car les textes montrent également que la hiérarchie catholique se souciait de la distance du lieu de résidence des fidèles à l’église25. Dans une île dépourvue de villes à l’intérieur et où l’habitat rural était largement dispersé, les églises piévanes n’étaient donc pas des « cathédrales dans le désert » : leur isolement fréquent soulignait paradoxalement la « centralité » proprement religieuse du territoire26.
9Sur le temps long, la relative stabilité territoriale des pièves corses confirme d’ailleurs le rôle des déplacements et de l’équilibre temps-moyens de transport dans leur dessin. En 1730, l’île comptait 68 pièves pour une superficie de 8 569 km2. Leur nombre avait connu des variations, mais l’échelle d’ensemble resta à peu près la même au fil des siècles : il en existait 53 en 153027 mais probablement entre 70 et 80 au début du xiie siècle28. Le diocèse de Nebbio comptait six pièves du xiiie au xve siècle et sept en 1730, au sein des mêmes limites territoriales : deux pièves avaient été démembrées pour en créer une troisième29 (fig. 18). À cette date, la superficie des pièves corses s’étendait de 100 à 300 km2, mais leur superficie moyenne (126 km2) cachait une différence importante entre la Corse du Nord-Est, qui correspondait dans l’ensemble à la Corse schisteuse de l’En-deçà-des-Monts, plus riche et plus peuplée, et le reste de l’île qui incluait l’ensemble de l’Au-delà-des-Monts. Dans la première les pièves dépassaient rarement 100 km2, tandis que dans l’Au-delà-des-Monts elles s’étendaient fréquemment au-delà des 200 km2. Parmi les plus grandes, celle d’Ornano atteignait près de 280 km2. L’échelle de 100 à 300 km2 était compatible avec un découpage du territoire correspondant au temps mis pour se rendre à l’église piévane lors des grandes célébrations de la vie chrétienne30, sans dépasser une journée de marche aller et retour. La piève corse aurait-elle donc été originellement une circonscription « d’en haut », un pays religieux sans rapport avec un découpage antérieur du territoire ?
Fig. 18. – Les pièves en Corse en 1730.

La piève entre régime féodo-seigneurial et influences italiennes
10La question se pose en effet de savoir si l’espace et le temps du marcheur n’auraient pas répondu à d’autres fonctions. Une première donnée semble aller dans ce sens. Dans certains textes du xve siècle, la piève était parfois nommée valle31, et cette substitution métonymique recouvrait à la fois le morcellement géographique de la Corse et le genre de vie majoritaire de ses habitants. La piève répondait à une économie paysanne dont la transhumance était un élément majeur, et qui assurait le lien territorial entre ses différentes parties. Au xviiie siècle encore, malgré une diversification parfois déjà ancienne des terroirs et des types de production dans certaines parties de l’île, et le rôle important joué depuis longtemps par les paroisses dans la vie économique et sociale corse, beaucoup de pièves s’organisaient toujours autour d’une vallée. Les parties basses et moyennes de celle-ci étaient en général dévolues à l’habitat et aux activités agro-pastorales annuelles, et les parties supérieures aux pâturages d’altitude estivaux.
11Mais dans les documents des xie-xiie siècles, d’autres éléments ressortent aussi de l’apparition à peu près concordante des structures et fonctions de la piève avec celle des églises piévanes. La construction de chapelles (capelle) à partir de la fin du xie siècle et surtout au xiie siècle32, répondit au souci d’adapter le maillage religieux du territoire au type d’habitat dominant dans l’île. Tandis que l’église piévane restait affectée aux cérémonies les plus importantes, les capelle allaient assurer les offices religieux réguliers. Derrière l’édification des capelle s’esquissait le réseau des paroisses et des églises paroissiales, qui commence à s’éclairer dans les textes du Deçà-des-Monts à partir du xiiie siècle33. À peu près en même temps que l’apparition des capelle, les textes mentionnent aussi des casamenta ou des casa, c’est-à-dire des unités d’habitat. Dans le Nebbio des xie-xiie siècles, le casamentum pouvait « englober plusieurs lieux habités » et il était « doté d’un territoire34 ». Les historiens associent l’émergence de ces mots à celle du régime seigneurial, mais l’habitat dispersé était antérieur à celui-ci. Les casa – des maisons ou ensembles de maisons – étaient le plus souvent occupées par les colons ou les serfs qui appartenaient au domaine du seigneur (curtis)35. En retour, la multiplication de ces noyaux d’habitat à côté des capelle favorisa aussi, à terme, la fixation du réseau paroissial. Une troisième structure, sans doute la plus significative du nouveau régime, vit aussi le jour : la multiplication de forteresses, liée à l’émergence dans le Nord de l’île de lignages féodaux d’origine étrangère ou insulaire dès le début du xiie siècle36.
12L’apparition de ces catégories d’édifices n’eut rien de spécifique à la Corse. Mais derrière la féodalisation partielle de l’île et l’affinement du contrôle religieux du territoire qu’ils impliquaient, une réalité plus proprement insulaire se dessinait. Aux xiie-xiiie siècles, dans la Corse de l’En-deçà des Monts, la plus accessible aux influences extérieures et sur laquelle nous sommes le mieux renseignés, les institutions piévanes étaient largement étrangères à la seigneurie et à la féodalité. Une charte de 1124 signale que les fidèles de l’église San Tommaso di Marinca, dans le Nebbio, « formaient une collectivité unique puisque le mot populus, qui les désignait, était employé au singulier (totius populi ipsius ecclesie)37 ». Il est difficile de savoir quelles étaient la composition et les attributions de ce populus à cette époque, et s’il se réunissait – ou si on le réunissait – autrement que pour entendre les décisions épiscopales. Mais à partir de 1230 les informations deviennent plus précises sur les assemblées du Nebbio, et l’on voit leur hiérarchie suivre nettement la structure territoriale de la piève. Au premier niveau, il existait des assemblées locales avec au-dessus d’elles des assemblées de pièves (ou comunale de la plebe), et au niveau suprême la communauté du Nebbio38. On ignore le nom et les fonctions exactes des premières, mais l’on sait qu’elles étaient composées de boni homines, une expression qu’on retrouve dans les textes d’une bonne partie de l’Europe catholique médiévale, et qui désignait des non-nobles mais des hommes libres et de bonne réputation39. Le comunale de la plebe avait à sa tête un officier nommé gonfalonier (confalonerius plebarii), qui présidait un tribunal jugeant des différends entre les habitants de la piève. Cette structure a été nommée « piève civile » par certains auteurs pour la différencier de la piève religieuse, mais elle exerçait son autorité sur le même territoire40. En dernier lieu, le comunale du Nebbio était dirigé par un bayle (bailiadore) assisté de gonfaloniers (confaloneri), de consuls (consuli) et de capitaines (capitanei). En outre, chacun des gonfaloniers qui était à la tête d’une piève du Nebbio participait aussi au comunale, et assistait le bayle. Les textes ne nous informent pas sur toutes les compétences du comunale du Nebbio : l’on sait qu’il jugeait les affaires fiscales et civiles, celles en particulier qu’il traitait en appel du comunale de la plebe, mais nous n’avons pas d’informations sur la justice criminelle ni sur les pouvoirs de police des officiers qui dépendaient de lui41. La concordance chronologique relative entre l’apparition des églises piévanes dans la première moitié du xiie siècle, et celle des assemblées de pièves dans les textes, laisse toutefois supposer qu’il exista une structure civile de concertation dans les valle avant le découpage du territoire en pièves.
13Malgré les apparences, une même conclusion pourrait être tirée de l’étude des noms des officiers et des assemblées. La plupart des noms d’officiers mentionnés ci-dessus se retrouvaient dans les villes de l’Italie du Nord à la même époque, notamment à Gênes, où ils avaient des attributions assez proches. Le terme aringo, mentionné dans le Nebbio au xve siècle42 pour désigner à la fois les assemblées locales et les assemblées de pièves43, était aussi en usage dans de nombreuses villes italiennes au Moyen Âge (arengo) avec le même sens d’« assemblée du peuple ». À Venise, l’arengo était réunie au moins depuis le ixe siècle pour approuver l’élection du doge. Cette fonction lui fut toutefois retirée entre 1143 et 1172 au profit du Conseil des Sages (Consiglio dei Savi), puis du Petit Conseil. Mais s’il est à peu près certain que le nom de l’assemblée et celui des officiers de la piève furent une importation d’origine italienne, l’aringo corse était une assemblée essentiellement rurale, et le rôle des boni homines aux xiie-xiiie siècles ne se réduisait pas à une simple fonction de représentation. Il n’existait d’ailleurs pas d’autres instances que les assemblées de piève pour gérer les conflits liés aux activités paysannes, y compris ceux qui touchaient aux terres communes – essentiellement les pâturages – et qui représentaient sans doute une partie non négligeable des affaires traitées par ces assemblées44.
14Un autre exemple de l’influence italienne est l’expression a popolo e a commune que Giovanni della Grossa emploie dans sa Cronica au milieu du xve siècle, pour nommer le régime politique d’une partie de la Corse45. Mais tandis que la commune désignait dans l’Italie du Nord des xiiie-xive siècles un mouvement encadré par les élites urbaines contre les seigneurs du contado, c’est-à-dire la partie campagnarde du territoire urbain46, les assemblées corses étaient issues des communautés locales. Antoine Casanova pensait d’ailleurs que le régime a popolo e a commune aurait existé dans l’île dès l’an mil, c’est-à-dire à la fois bien avant l’émergence du mouvement communal dans les villes d’Italie du Nord, et la construction de la majorité des églises piévanes47. Dès le xiiie siècle en tout cas, l’importance de la composante populaire de ces assemblées apparaît dans le mode de désignation du bayle du Nebbio. Celui-ci n’était pas nommé par l’évêque ou par une autorité seigneuriale, mais il exerçait probablement sa charge en vertu d’une délégation de pouvoir de l’assemblée du Nebbio48. Comme celle-ci était en majorité composée des chefs de feux des pièves, il est probable que son existence ait précédé à la fois l’apparition de la circonscription religieuse et celle du régime féodo-seigneurial.
Noblesse corse et traditions indigènes
Les chefs-seigneurs et les pièves
15La marque seigneuriale n’apparaît en effet pas clairement dans les assemblées de pièves au xiie siècle et au début du siècle suivant, et si elle se manifesta par la suite certaines spécificités accompagnèrent aussi cette évolution. Antoine Casanova avait noté que certaines familles de notables indigènes (principali), bien pourvues en terres et en bétail, s’étaient transformées en lignages de chefs-seigneurs au cours des xie-xiie siècles, partiellement en usurpant les pouvoirs issus de la chefferie rurale élective des pièves49. Ce passage de la chefferie à la seigneurie, qui avait été aperçu par Marc Bloch, ne fut pas la conséquence en Corse d’une transformation radicale des modes de productions paysans. Au contraire, le chef se transforma plutôt en seigneur parce que ces derniers avaient peu évolué. À la fin du Moyen Âge, le pouvoir seigneurial s’appuyait toujours sur l’agro-pastoralisme indigène, en partie communautaire et visant largement à l’auto-suffisance50. Dans le détail, cette situation explique que l’aringo était à la fois l’assemblée des chefs de feu des pièves et un tribunal de première instance de la justice seigneuriale au xve siècle, au moins dans certaines parties de l’île51. Et elle rend compte plus généralement de l’assez grande complexité des pouvoirs et des relations sociales, qu’Antoine Casanova avait soulignée dans le Nebbio du xiiie siècle :
« Les pouvoirs seigneuriaux et ecclésiastiques coexistent avec les magistrats populaires ; ces derniers, qui représentent piève et groupes de piève, rendent la justice, mènent la guerre, se réunissent en assemblées générales qui ont capacité à dépécher des ambassades auprès de Pise ou du pape et à en appeler à des puissance du “mal governo” des comtes et seigneurs. Seigneuries laïques, seigneuries ecclésiastiques, magistrats et institutions des communautés rurales et des groupes de piève ont ainsi d’équivalentes et coexistentes capacités et personnalités politico-juridiques52. »
16Certains seigneurs tentèrent de rompre l’équilibre à leur profit. À la fin du xiiie siècle, toujours dans le Nebbio, un nommé Giovanninello de Loreta issu d’un lignage indigène, prétendit « accaparer une part des biens communaux ou acquérir sur eux un certain nombre de droits au détriment des communautés53 ». Un acte du 20 juillet 1289 dressait ainsi « la liste des droits de Giovanninello, mentionnant entre autres ceux sur les eaux, les pêches, les chasses, les pâturages, les bois54 ». Mais la tentative échoua, et les pièves du Nebbio purent conserver leurs possessions communes. Au début du xvie siècle, l’historien considère que la contrée était encore une terre de petits propriétaires fonciers55, c’est-à-dire de paysans ou de notables libres présents ou représentés dans les assemblées, et qui avaient réussi à maintenir leurs biens et privilèges à l’écart de la pression féodale ou de celle des chefs-seigneurs. L’on trouve d’ailleurs d’autres exemples de la résistance des communautés de piève face à la noblesse, tout au long des Temps modernes. Vers 1770, celles de la piève d’Ornano et de Talavo refusaient encore toute participation à la jouissance des biens communaux cultivables à la puissante famille d’Ornano56.
Le comte, la trappa et le Lago Benedetto
17Au-delà de la piève, l’on possède aussi des témoignages du maintien de traditions indigènes dans les faits et gestes des chefs-seigneurs issus de lignées corses. Du xiiie au xve siècle, plusieurs membres des grandes familles issues principalement du sud de l’île prirent le titre de comte de Corse, parmi lesquels le célèbre Guidice della Cinarca (1221-1306 ou 1312). À cette époque l’Au-delà-des-Monts accusait un retard par rapport à l’En-deçà-des-Monts à peu près dans tous les domaines57, et l’on a attribué à ce décalage les traits d’archaïsme relevés dans le mode et le rituel d’intronisation des comtes corses. Ces derniers étaient élus par une assemblée générale nommée parlamento ou veduta, à laquelle participaient les principaux seigneurs de l’île, mais aussi les notables campagnards qui représentaient les communautés rurales des pièves et des villages. Une partie des membres des parlamenti ou vedute assistaient donc aussi aux assemblées locales et aux comunali de la plebe, qui géraient les affaires communes et les conflits au sein de la piève. Le lieu privilégié de la réunion de la veduta était le Lago Benedetto, où le comte était élu par acclamation58. L’aspirant au pouvoir, tel Gian Palo di Leca en 1487, y prononçait un long discours où il justifiait sa candidature. Élu et proclamé comte par les auditeurs qui « battaient des mains », on lui remettait alors une bachetta, un bâton de commandement, lequel, « selon une liturgie venue du début du Moyen Âge et encore en vigueur à la fin du xve siècle, (était) un rameau d’oranger appelé trappa59 ».
18En quoi consistait ce pouvoir de commandement comtal, qui ne fut jamais héréditaire ? Des traits d’archaïsme se dissimulent en effet dans le titre comtal et dans les relations entre le comte et ses sujets. Pour Antoine Casanova, le premier aurait été moins le maître des hommes, des biens et des choses, qu’un délégué « dans la fonction d’administration de la justice60 ». En ce sens, les comtes auraient été les héritiers des chefs élus des communautés rurales de piève61, et comme ceux-ci les « médiateurs de justice nécessaires et sacrés » que symbolisait la trappa d’oranger, leur bâton de commandement62. Au niveau local, ces chefs auraient été les « régulateur(s) et instaurateur(s) d’un ordre fécond en tous les niveaux du réel : ordre juste dans les familles, les villages, la pieve, ordre avec les forces célestes63 ». Même si ce rôle d’intermédiaire entre le réel et l’idéel, entre puissance matérielle et exercice de la justice, est difficile à prouver, il est incontestable que l’action des comtes s’inscrivait dans un contexte symbolique partagé par l’ensemble de la société corse. À côté des attributs végétaux du pouvoir, l’on peut y inclure les assemblées réunies au Lago Benedetto (le lac béni) situé près de l’ancienne ville romaine de Mariana, et qui fut longtemps le siège d’un évêché éponyme. Outre l’élection des comtes, le lac apparaît à plusieurs reprises dans l’histoire de l’île, à l’occasion de cérémonies considérées comme importantes pour le destin collectif de celle-ci et de ses habitants. C’est au Lago Benedetto qu’une veduta réunie en 1450 formula le vœu de la « nation » de se soumettre à la République de Gênes64, et qu’en 1553 le célèbre Sampiero Corso, désireux de prendre en main les destinées de la Corse, fut acclamé par ses partisans. Le Lago Benedetto posséda donc longtemps quelques caractéristiques d’un « lieu central », au moins dans les représentations mentales, comme la forêt des Carnutes chez les Gaulois et l’assemblée de Marklo chez les Saxons. Mais ces traits indigènes n’étaient pas limités à la seigneurie.
Des chefs-seigneurs aux chefs de clans ?
19Au milieu du xve siècle, la complexité de la société corse – avec notamment l’existence d’assemblées populaires, une noblesse en partie issue des chefs ou des notables des pièves, et le pouvoir « central » gênois qui venait de se doter d’une institution, la Casa di San Giorgio, pour tenter d’imposer son autorité sur l’île –, avait été bien perçue par le chroniqueur Giovanni della Grossa. L’emploi dans sa Cronica d’une terminologie affichant les liens hiérarchisés d’appartenance à un groupe – amici, sequaci et aderenti à côté des parenti65 –, montre que cette société était partiellement organisée en factions. Dès le xve siècle, les parenti étaient eux-mêmes subdivisés en trois groupes : les parenti stretti (la famille nucléaire), les parenti carnali (englobant les parenti stretti mais aussi les cousins en ligne paternelle directe et les bâtards), et les parenti au sens large représentés par l’ensemble des parents par alliance66. Les comtes, comme les nobles de moindre envergure, disposaient d’accompagnants armés recrutés parmi l’ensemble de ces groupes, et Francis Pomponi interprétait les parents, les amis, les « suiveurs » et les « adhérents », dont les noms rappellent les parientes, les sodales et les clientes romains, comme une preuve que la structure « clanique » et la structure féodale coexistaient sans se confondre67.
20D’autres éléments témoignent aussi de cette coexistence, ou de la transition entre les institutions indigènes et les institutions féodo-seigneuriales. En échange des fonctions et services que les chefs des « communautés rurales de piève » assuraient, et des bienfaits qu’ils rendaient, Antoine Casanova relevait que les paysans leur versaient une contribution volontaire appelée accato68. À nouveau, il est difficile de situer cette période dans le temps du Moyen Âge corse, d’identifier les chefs des « communautés rurales de piève », comme d’affirmer que la situation décrite valait pour l’ensemble de l’île. Et il serait tout aussi inexact de voir dans la société corse pré-féodo-seigneuriale un exemple d’harmonie des rapports sociaux. Mais dans le Nebbio des xive-xvie siècles, l’accato avait été accaparé par les caporali, des nobles d’origine locale qui justifiaient leurs exactions auprès des autorités génoises ou milanaises, en présentant l’accato comme un simple cadeau volontairement versé par leurs parents et amis69. La situation prolongeait celle des xie-xiie siècles, lorsque certaines familles de principali indigènes s’étaient transformées en lignées de chefs-seigneurs féodaux, et essayaient de s’emparer des biens collectifs des pièves. Poussant l’interprétation plus loin, Francis Pomponi notait que l’accatto était devenu un tribut arbitrairement imposé par son bénéficiaire, et avait évolué vers un système mafieux : « De l’accatto au racket le passage se fit lorsque les chefs de clan se constituèrent en pouvoir parallèle au sein de l’appareil d’État en détournant à leur profit personnel les exigences publiques70. » Peut-être un peu rétrospective, l’appréciation n’en soulignait pas moins le lien structurel entre les caporali ou les capipopoli, ces chefs largement issus de la société indigène qui se disputèrent des positions et des portions de territoire du xve au xviiie siècle, et les « chefs de clan » postérieurs. Mais avant de revenir sur ce sujet et sur le thème de la vendetta qu’il contient, il nous faut retourner un temps au monde rural.
Pièves, villages, et structures territoriales (xve-xxe siècle)
21Au milieu du xve siècle, la Cronica de Giovanni della Grossa montre encore que « La régulation des activités fondamentales se fait au niveau de la piève : qu’il s’agisse de l’organisation dans l’espace des relations entre agriculture et élevage (des ovins et des caprins), ou de l’organisation du fonctionnement (entre pieve ; entre villages de la même pieve) des droits d’usage sur les bois, les eaux, les pâturages […]71 ». Les assemblées de pièves ont toujours les moyens de régler les conflits d’usage à l’intérieur des pièves et entre les pièves, même et surtout si les conflits sont violents comme celui qui intervient entre la piève du Nebbio et la pieve d’Orto à propos des pacages et étangs72. Autrement dit, à la fin du Moyen Âge, la piève regroupait encore l’essentiel des fonctions d’une UTE : un espace agro-pastoral avec les structures de gestion et de concertation qui lui étaient liées. Elle restait aussi une unité de découpage religieux du territoire d’« en haut », et dans une certaine mesure politique à l’échelon des seigneuries, puisque les historiens constatent « une coïncidence des frontières des circonscriptions religieuses et politiques73 ». Cette situation évolua-t-elle par la suite et comment ?
Les prese
22Au second Moyen Âge (xie-xve siècle), une nouvelle structure agraire fondée sur des soles de cultures de taille diverse, les prese, est mentionnée dans les textes. Il s’agit de parcelles cultivées par des familles vivant le plus souvent dans un village ou un hameau proche. Antoine Casanova pense que les prese auraient été précédées par des méthodes plus extensives d’exploitation du sol et de parcours des animaux, liées à des modes de coopération également différents entre les habitants74. Mais les prese favorisèrent la mise en place d’un assolement régulier sur les mêmes terres, peut-être inconnu auparavant, en même temps qu’elles représentèrent une tentative pour mieux assurer la coexistence entre élevage et agriculture, sur des territoires exploités par les mêmes communautés. En Balagne et dans le Cap Corse par exemple, où les pièves étaient de taille plutôt modeste, le bétail était cantonné aux xiiie-xive siècles dans l’une des parties du terroir (appelée reghione), tandis qu’une autre partie était réservée « aux grandes soles à céréales, les prese comunale75 ». Aux xvie-xviiie siècles, dans ces deux contrées, la répartition de l’espace agro-pastoral visait toujours à garantir l’élevage extensif contre les risques de réduction des terrains de parcours, tout en veillant à limiter les dommages causés aux cultures par les bêtes, et « en répondant à la nécessité de faire reposer le sol ensemencé en céréales76 ».
23Mais le système des prese ne peut être comparé aux grandes restructurations que connurent de nombreuses campagnes d’Europe occidentale aux xie-xiiie siècles, y compris dans l’Italie des pièves. En témoigne surtout la longue conservation de traits archaïques dans les pratiques agricoles insulaires. Dans le nord de la Corse, où les prese sont attestées au moins du xie siècle au xixe siècle77, les travaux agricoles étaient fréquemment effectués en commun, et les familles pratiquèrent longtemps la redistribution périodique des parcelles. À Belgodere en Balagne, au début du xviie siècle, il existait deux prese comunale, alternativement cultivées et non cultivées deux ans de suite : elles étaient composées de parcelles familiales appelées lenze, qui étaient devenues ici propriété privée entière78. Mais dans d’autres pièves comme celles du Nebbio, du Taravo et de l’Ornano, certaines lenze faisaient encore l’objet de redistributions périodiques entre les exploitants aux xviie et xviiie, voire xixe siècle79. Une comparaison avec la Sardaigne s’impose ici, car dans de nombreuses contrées de cette île les terres étaient partagées entre un espace cultivé, le vidazzone, et un espace en jachère paturée, le pabarile80. Or ce système d’exploitation communautaire s’accompagna très longtemps de la propriété collective du sol, et les paysans sardes ne connurent guère la propriété individuelle de la terre avant l’édit des clôtures de 182181.
24Comme les prese n’étaient viables que si un nombre suffisant d’exploitants étaient groupés pour les exploiter sans avoir à se déplacer excessivement, l’on peut penser que leur apparition eut un lien avec l’introduction partielle de la seigneurie et de la féodalité dans certaines parties de l’île. Parallèles à la construction de châteaux sur des sites rocheux, des exemples de regroupement de l’habitat au xiiie siècle et peut-être avant sont bien attestés, en particulier dans le Nord de la Corse82. Ils ne semblent toutefois pas avoir beaucoup altéré à cette époque le rôle des pièves dans l’organisation de l’espace rural.
Pièves « paysannes » et pièves « villageoises »
25Après leur victoire contre les Pisans à la bataille de la Meloria, en 1284, les Génois entamèrent la difficile soumission directe de l’île. Les historiens considèrent que l’acte qui marqua l’apparition d’une première forme d’État dans l’île fut la décision prise par Gênes de faire administrer directement la Corse par l’Office de Saint-Georges, en 145383. Vannina Marchi van Cauvelaert a souligné les transformations qui en résultèrent aux xve-xvie siècles pour l’ensemble de la Corse. L’essor des villes (essentiellement Bastia et Ajaccio) entraîna le transfert d’une partie de la propriété foncière vers la bourgeoisie citadine et la privatisation des terres communes autour des premières84. Dans les campagnes, ce mouvement se traduisit par le développement du village et l’essor de la paroisse face à la piève, tandis qu’au plan de la structure agraire l’organisation des terroirs évolua avec le développement d’une ceinture de cultures autour du village, et la multiplication des enclos privés85. Il en aurait résulté une concurrence nouvelle entre pastoralisme et agriculture, et le déclin du rôle économique de la piève (l’auteure parle de « système piévan ») au profit du « système villageois86 ». Pour parvenir à ce résultat, le déplacement forcé de certaines communautés villageoises de la montagne vers la plaine releva à la fois de l’opportunité économique et de la contrainte politique de l’État génois.
26Ces changements entraînèrent-ils la disparition des cadres territoriaux et des modes d’exploitation antérieurs ? La réponse doit être largement négative. L’extension des villages et de l’économie villageoise au détriment du rôle agricole de la piève ne signifia pas la disparition de celle-ci. Antoine Franzini signale qu’une répartition s’était dessinée au xve siècle entre des pièves qu’il qualifie de « villageoises », au sein desquelles « les populations étaient déjà rassemblées pour l’essentiel dans des villages87 », et des pièves « paysannes », c’est-à-dire antérieures aux précédentes et caractérisées par un habitat dispersé ; et il explique l’apparition des premières par la « transformation des paysans en villageois88 ». Dans cette terminologie, les « paysans » étaient par conséquent les Corses qui vivaient essentiellement du genre de vie agro-pastoral dans les pièves « paysannes ». Au début du xxe siècle, la répartition entre les deux catégories de pièves était encore nettement perceptible dans la classification des genres de vie en Corse effectuée par Raoul Blanchard. Le grand géographe avait identifié un genre de vie de « type méditerranéen », orienté vers la céréaliculture, l’élevage et les arbres fruitiers (oliviers et agrumes), et dans lequel la population était sédentaire. Il était répandu en Balagne, dans le Nebbio, au Cap Corse, sur la façade extérieure des montagnes orientales et dans le Sud, autour de Bonifacio. À côté, Raoul Blanchard avait dégagé un genre de vie de « type transhumance », dans lequel l’habitant, mi-pasteur, mi-cultivateur, passait l’hiver dans les plaines côtières et à la « plage », et l’été dans les pâturages de la montagne, avec une halte au printemps et à l’automne au village permanent, situé à mi-chemin89. Ce système agro-pastoral était pratiqué dans toute la zone montagneuse entre 500 et 1 000 mètres, et notamment dans la Castagniccia. Le « type méditerranéen » était caractérisé aussi par des villages concentrés placés à mi-pente au-dessus de cultures en terrasses, et on pouvait l’associer à la fois aux pièves « villageoises » et aux progrès agricoles relevés par Vannina Marchi van Cauvelaert aux xve-xvie siècles. Dans le « type transhumance » au contraire, l’habitat était constitué par des maisons de villages et de hameaux souvent séparées de leurs voisines par une distance qui pouvait varier de quelques mètres à 100 mètres, voire plus comme dans le Niolo où « chaque maison (était) comme une petite forteresse isolée des autres90 ». Et dans les déplacements pastoraux, l’on reconnaissait encore le territoire de la piève parcouru à pied par le berger-agriculteur accompagnant son troupeau, et recoupant celui qui était emprunté dès le xie siècle par les fidèles de la valle lorsqu’ils se rendaient à l’église piévane. Le lien était toujours visible entre l’église piévane, lieu « central » établi par l’autorité ecclésiastique pour faire venir à lui les fidèles, et l’espace indigène traversé longitudinalement par les bergers-agriculteurs.
27Les transformations impulsées par l’État génois ne parvinrent donc pas à faire disparaître le système agro-pastoral indigène, dont la survie est illustrée au fil des siècles sous d’autres aspects. À la fin du xviiie siècle, notait encore Antoine Casanova, l’économie rurale de l’île était toujours essentiellement fondée « sur l’association d’une agriculture extensive (très faiblement pourvue d’engrais) et d’un élevage sans fourrage, qui prédomin(ait) depuis le haut Moyen Âge91 ». Et l’élevage ovin et caprin était encore le mode quasi unique de mise en valeur des 42 % d’espace inculte et incultivable de l’île92. Dans bon nombre de cas, les forêts et pâturages indispensables au système restaient la propriété de la communauté de piève, à l’usage des paroisses qui en faisaient partie93. En outre, bien que la grande propriété aristocratique ait été fortement présente dans les contrées où dominait le système agro-pastoral, c’est aussi dans ces dernières que la classe des petits propriétaires ruraux (lavoratori dei propi beni) était la plus élevée : elle représentait peut-être 40 % dans les villages montagneux comme ceux de la province de Vico, et 38 % dans la piève de Rogna au centre-est de la Corse94. Peu avant la Révolution française, la Corse n’était donc que très partiellement entrée dans le monde 3 d’Alain Testart.
La piève : territoire d’« en bas » et territoire d’« en haut »
28Par son rôle de longue durée dans « la gestion des moyens de production aussi décisifs que les forêts, les pâturages ainsi que (longtemps) celle d’une partie des terres cultivables95 », la piève conserva des fonctions qui étaient celles des villages-paroisses dans une partie de l’Europe occidentale, depuis le milieu du Moyen Âge jusqu’à la fin des Temps modernes et même au-delà. L’existence des prese et l’inachèvement d’une « civilisation des villages » – du moins dans le sens de celle qui émergea dans plusieurs contrées de l’Europe méditerranéenne au Moyen Âge – en représentèrent des éléments majeurs. Des restes de cette situation étaient encore perceptibles jusqu’à une époque récente dans la morphologie des villages. Georges Ravis-Giordani, en partant du Niolo, relevait ainsi le contraste entre le village provençal du xxe siècle et le village corse :
« Ce qui frappe dans le village provençal c’est son caractère urbanisé, ses rues bien alignées, toutes pourvues d’un nom et d’une plaque, ses places plus ou moins vastes, mais toujours bien délimitées […]. Bref, un ensemble de traits qui révèlent une structure centralisée et urbanisée et, au sens originel, une municipalisation de la vie du village.
Rien de tel en Corse. Dans sa contexture matérielle, chaque village se présente comme une agglomération de maisons, d’appentis, de rues et de petites places […]. Dans un village provençal chaque maison compte peu dans l’espace bâti global. Ici, au contraire, à l’échelle du village, chaque maison compte, intégrée comme elle l’est, d’habitude à un pâté de maisons allongé, carrughju, doté d’un nom particulier96. »
29Le carrughju du Niolo n’était pas individualisé en tant que bâtiment ou bloc de bâtiments habité par une seule famille, mais par un groupe familial. Georges Augustins notait aussi qu’en Corse il n’existait pas de « maison individuelle clairement identifiable, abritant des familles conjugales aux droits exclusifs (mais) de vastes unités d’habitation, composées de maisons accolées les unes aux autres, occupées par des personnes cohabitant à des degrés divers97 », et le plus souvent apparentées. Le village du Niolo était donc moins un rassemblement de citoyens inégaux mais participant d’une façon ou d’une autre à la vie municipale, qu’une accumulation de groupes de parenté plus ou moins rivaux autour de leurs chefs, et sans vraie conscience municipale. L’absence de la notion de voisinage en Corse98 appartient sans doute à ce contexte. Le voisin tendait dans une certaine mesure à se confondre avec le parent, et les relations d’amitié et de clientèle introduisaient des formes sélectives de solidarité au sein des groupements d’habitat, qu’on retrouvait jusque dans les intérêts contradictoires défendus par les uns et les autres au sein des pièves.
30Si la piève ne compensa pas ce déficit d’organisation civique, elle resta longtemps un rouage institutionnel « d’en bas », à côté de son rôle majeur dans l’organisation de la vie rurale. Elle eut ses représentants auprès du gouverneur génois, les podestats, jusqu’à la fin de la domination de la République99, et le gouvernement de Pascal Paoli (1755-1769) amplifia cette fonction, qui transforma la piève en unité électorale de base du nouveau régime. Entre la chute de celui-ci et la Révolution française, il exista encore des assemblées de pièves où l’ensemble des chefs de feux étaient représentés, même si les nobles et les notables les dominaient. Mais les différents gouvernements avaient aussi partiellement converti la piève en une circonscription civile d’« en haut », en pays. À la fin du xviiie siècle, sous la monarchie française, elle était devenue l’unité territoriale de base pour plusieurs aspects du contrôle social et économique, en relation avec les activités paysannes. C’est en effet au niveau de la piève et non du village que s’effectuait la collecte de l’impôt direct : prélevé en nature, celui-ci était converti sur place en argent par les adjudicataires qui le versaient ensuite au trésor royal100. Le cas échéant, la piève était également le siège du prélèvement seigneurial par l’intermédiaire des pressoirs banaux101.
31Au xixe siècle, l’administration française établit les limites de nombreux cantons corses à partir de celles des pièves. Il n’y aurait certes rien d’étonnant à relever que les dimensions de ces derniers coïncidaient dans l’ensemble avec la taille moyenne des cantons continentaux (178 km2 en 1801)102, car l’Assemblée constituante avait aussi intégré dans ses réflexions le temps de déplacement individuel pour la fixation du chef-lieu103. Mais tandis que le découpage continental des cantons s’était le plus souvent réalisé sans lien avec les circonscriptions d’Ancien Régime, la Corse représente le seul territoire français en Europe où il était et reste possible de lire une continuité entre une UTE (et peut-être aussi une « unité de civilisation »), et une unité moderne et étatique de découpage du territoire. Et une preuve plus récente que l’échelle territoriale de la piève reste toujours pertinente pour l’aménagement du territoire insulaire est son adoption pour la création des communautés de communes (à partir de 1992), dont certaines ont même gardé le nom de l’ancienne circonscription.
32Le maintien tardif de la piève comme unité de gestion des moyens de production paysans, mais aussi, au fil du temps, sa transformation en circonscription d’« en haut » et élément de l’administration « centrale », montre qu’elle était pour tous ces aspects un relais incontournable du village-paroisse corse. Ces relations verticales entre le village et la piève s’accordent dans l’ensemble avec le schéma que proposait José Gil pour rendre compte de la dynamique ethno-historique de la société corse aux xixe et xxe siècles104. En s’inspirant du modèle de la société Nuer, l’auteur avançait que les communautés corses se caractérisaient par une dynamique de fission-fusion impliquant des segments sociaux et territoriaux parallèles, qui s’élargissaient depuis la famille, le village, la pieve et pour finir la nation (corse). L’on peut ajouter que l’obligation de la vendetta contribuait à définir le périmètre de la parenté, puisque son exercice était impossible entre parents rapprochés105.
La vendetta ou les élites entre le popolo et l’État
La vendetta et les parenti
33Dans la seconde partie du Moyen Âge, l’émergence des chefs-seigneurs issus de lignées locales et l’affirmation du groupe des parenti signalent l’emboîtement entre la structure « clanique » et la structure féodo-seigneuriale. Elles évoquent parallèlement l’apparition d’une classe ou d’une catégorie de notables qui survécut jusqu’au xxe siècle, évoluant entre traditions indigènes et allégeance à l’État. Entre « le seigneur insulaire (qui) ne part pas en guerre en mobilisant le ban et l’arrière-ban de ses vassaux, (mais) s’y rend avec ses seguaci qui forment bande autour de lui106 », et le chef de partitu des xixe-xxe siècles décrit par Georges Ravis-Giordani, les coïncidences ne sont pas fortuites : « Chaque partitu est un agrégat de groupes plus restreints, familiaux, lignagers, ou “claniques” (ensemble de partisans regroupés autour d’un maire influent à l’échelle d’un canton ou même d’une ou deux communes). La famille et la parentèle du capi partitu sont toujours présentes et actives en tant que telles dans la vie politique107 ».
34L’analogie avec la gens romaine et le clann écossais n’aura pas échappé, et la description recoupe, dans une certaine mesure, deux des trois éléments principaux qui définissent le lignage selon Alain Testart : une structure d’autorité autour d’un chef, et une solidarité juridique et politique vis-à-vis de l’extérieur, celle-ci, pour le chef de partitu des xixe-xxe siècles, tendant parfois à s’affirmer au sein de l’éventail politique hexagonal en vue de conforter une position locale (aspect politique), mais en utilisant en partie des codes propres à la société locale (aspect juridique). La société corse des xixe-xxe siècles n’était toutefois pas une société lignagère, comme l’indique en particulier le périmètre familial de la vendetta. Celle-ci engageait en effet la parenté bilatérale de la victime ou du meurtrier jusqu’au troisième degré inclus (cousins issus de germains), l’ensemble constituant les parenti. Au sein de ces derniers, comme dans le derbfhine irlandais du haut Moyen Âge, la vendetta était impossible ou non reconnue et pour la même raison : le conflit sanglant était alors considéré comme une « séparation de soi avec soi108 ». Gérard Lenclud relevait certes que « le terme de sangue désignait la communauté des consanguins jusqu’au septième degré en filiation indifférenciée, le comptage s’effectuant sur le mode commun109 », mais il était possible d’entrer en vendetta à partir des enfants des cousins issus de germains, suivant le principe que « ceux avec qui je ne dois plus me solidariser sont ceux avec qui je peux me battre110 ».
35La profondeur généalogique des parenti était liée au système d’héritage, qui était lui aussi bilatéral. Cette particularité a conduit Anne Knudsen, s’appuyant principalement sur la situation du xixe siècle, à refuser d’assimiler le « clan » corse à un groupe de parenté, lui préférant le terme de « faction111 ». Il n’empêche que la bilatéralité avait un lien avec le règlement de la vendetta. Comme en Albanie du Nord ou au Monténégro à la même époque, nous y reviendrons, tous les individus mâles et adultes du groupe des parenti étaient susceptibles de venger un familier assassiné et d’être corrélativement victime de la vengeance à défaut du meurtrier, même si la vendetta ne se traduisait pas toujours par des exécutions112. Quoi qu’il en soit, les parenti étaient solidaires pour la compensation du meurtre qui devait être prélevée sur leurs biens communs ou mis en commun pour l’occasion, et c’est ici qu’apparaissait sans doute au mieux le lien entre système d’héritage et profondeur généalogique des parenti. Dans la première moitié du xixe siècle encore, la meilleure façon de terminer une vendetta était que les parenti du meurtrier donnent à marier un homme à la parenté de la victime, et participent à la dot de ce dernier113. Avec ce wergeld, la vendetta devenait impossible au sein du nouveau groupe familial constitué.
36Mais la combinaison de la vendetta étendue et de son étalement potentiel sur plusieurs générations, y compris jusqu’à une époque tardive, pouvait compliquer le règlement des hostilités. Toujours au xixe siècle, les conflits entre les familles de notables pour l’accès au pouvoir local furent un facteur du dépassement des trois degrés de parenti habituellement concernés par la vendetta. Celle-ci devint ainsi un élément de la bipolarité de la vie politique corse dans la République française, noté par de nombreux auteurs114. Dans la piève de Tallano par exemple, en Corse du sud, un conflit opposa deux groupes de parenti notables tout au long du xixe siècle : d’un côté les Poli, les Giocanti et les Quilichini, et de l’autre les Giacomoni et les Santalucia115. Il entraîna plusieurs meurtres, et l’un de ses protagonisles les plus fameux fut le prêtre Sanseverino Giacomoni. Représentant sa famille dans les principales affaires litigieuses, il fut accusé d’être particulièrement querelleur, de se promener armé, de jouer à des jeux d’argent, et d’entretenir des relations avec des femmes.
La vendetta et l’État
37La vendetta corse ne peut être comparée à la forme de vendetta qui existait en Toscane à la fin du Moyen Âge. D’un côté, celle-ci était encadrée par les textes juridiques116 : la loi florentine des xive-xve siècles l’autorisait, mais elle interdisait à la partie lésée de se venger sur une tout autre personne que celle du meurtrier117. Cette vendetta restreinte, du moins en principe, était aussi essentiellement aristocratique et urbaine, associée à des cités dans lesquelles les familles rivales et leurs factions dominaient la vie sociale et politique. Trevor Dean a souligné aussi le contraste entre les cités-États toscanes et les États « despotiques » comme Milan au temps des Sforza, d’un côté, et les cités à gouvernement républicain fort comme Venise de l’autre, où « un tel factionnalisme était étouffé, et avec lui la vendetta118 ». Celle-ci fut d’ailleurs interdite en Toscane dès le xvie siècle, avec le développement de l’État des Médicis. Aux Temps modernes et après, la vendetta corse s’opposait sur presque tous les points à la vendetta toscane : de type étendu, elle pouvait franchir les générations, touchait l’ensemble de l’échelle sociale, était à la fois rurale et urbaine, et resta toujours coutumière.
38Pourquoi l’arrivée de l’État en Corse ne produisit-il pas un résultat comparable à celui des cités-États italiennes ? Car si l’accompagnement militaire et la vendetta n’étaient pas incompatibles avec les habitus féodaux adoptés par les chefs-seigneurs insulaires, l’un et l’autre pouvaient nuire à l’autorité génoise. La République de Saint-Georges élimina le pouvoir intermittent des Comtes au sud de l’île, en faisant disparaître Rinuccio della Rocca en 1511119, mais elle décida parallèlement d’associer les notables, nommés caporali (chefs de village) dans le Deça des Monts et principali dans le Delà, au contrôle du territoire et du popolo120. Sous ce régime, nommé l’« État territorial » par certains historiens, Gênes conserva la plupart des institutions corses, en particulier la veduta generale qui élisait autrefois le comte. Celle-ci réunissait toujours les notables et les représentants des communautés paysannes, et elle servait désormais d’instance de dialogue avec les officiers génois121. Mais la République ne supprima pas la vendetta : elle choisit seulement de l’arbitrer en créant des pacificateurs (paceri) officiels à côté des pacificateurs privés. Les premiers sont mentionnés dès 1587 à Ajaccio où ils étaient élus par les magistrats municipaux de la ville, et en 1730 le gouvernement génois rappelait que l’office des paceri devait fonctionner aussi dans les villages122. Ces mesures ont été jugées rétrospectivement peu efficaces par les juristes, qui ont souligné qu’elles valaient reconnaissance officielle de la vendetta123. Alors pourquoi Gênes procéda-t-elle à cette reconnaissance ? Comme la vendetta appartenait aussi à la culture des notables dont ils étaient le plus souvent les médiateurs officieux, mieux valait leur donner un rôle officiel dans cette fonction plutôt que de s’attaquer à la cause du mal. La mise en œuvre d’une telle action eût d’ailleurs été bien coûteuse et ses résultats incertains, tandis que l’officialisation de la vendetta permettait associer davantage les notables au contrôle du popolo.
39Mais cette politique devait rester contenue dans certaines limites, que les notables devaient accepter. La méthode que l’autorité génoise imposa pour la poursuite du meurtrier marque assez bien la limite entre le souci de l’ordre public, incluant ici le contrôle du territoire, et le règlement de la vendetta. Les pièves ou les paroisses sur le territoire desquelles le meurtre avait été commis, ou sur celui où s’était caché le meurtrier, devaient régler tous les frais de procédure et de poursuite si les parents de ce dernier ne le pouvaient pas, au cas où elles n’auraient pas fait sonner les cloches et organiser des battues pour l’arrêter124. La mesure, qui pourrait montrer que la République n’ignorait pas la division plus ou moins marquée des pièves et des paroisses en factions, se rapprochait de celle que les souverains germaniques et polonais du haut Moyen Âge, ou russes des xie-xiie siècles, nous y reviendrons, avaient appliquée avec succès au temps de l’installation des pouvoirs d’État. Les communautés paysannes devaient signaler et livrer le meurtrier au tribunal, au risque dans le cas contraire d’avoir à payer elle-même le wergeld aux parents de la victime, et l’amende publique au prince pour la violation de la paix. Mais si la République s’efforçait bien de maintenir son autorité sur les communautés, elle laissait le soin aux paceri, officiels ou officieux, d’aider à régler le wergeld entre les familles. C’était l’inverse de la traditio in potestatem dans le Liber Iudiciorum du roi wisigoth Recceswinth au milieu du viie siècle, qui donnait le droit à la famille de la victime d’exécuter la décision du tribunal public. La violence, pour reprendre la définition d’Alain Testart, n’était donc pas vraiment organisée à part du reste de la société, car la cité de Saint-Georges, en légitimant la vendetta par l’intermédiaire des paceri officiels125, s’efforçait seulement d’en garder un contrôle indirect. Cette forme de régulation de la violence s’apparentait à celle d’un indirect rule colonial.
40Favorable à la suppression de la vendetta, Paoli n’en continua pas moins la politique de Gênes durant les quatorze années de son exercice : chaque village dut élire deux paceri pour conduire chaque parti à la paix, et chaque piève des Amichevoli Compositori, dont les fonctions étaient complétées par des Arbitri criminali126. Les notables servaient toujours d’intermédiaires entre le pouvoir et le popolo. Au siècle suivant, « en confiant aux éminences claniques le rôle de courroie de transmission », l’État français appliqua une méthode voisine et dut assumer les mêmes risques que l’État génois avant lui : il contribua ainsi, suivant la formule de Gérard Lenclud, « sans le savoir tout en le sachant pourtant, à organiser un peu la résistance contre lui-même127 ». Il est vrai que l’île risquait moins d’engloutir ses énergies qu’elle ne l’avait fait d’une cité de Saint-Georges déclinante aux xviie-xviiie siècles.
41La longue durée de la piève est l’une des plus grandes originalités de l’histoire corse. Unité d’administration religieuse puis civile du territoire, autrement dit pays, élaborée sans doute à partir d’une division indigène s’articulant sur un genre de vie, une UTE, elle montre la permanence jusqu’à nos jours d’une unité territoriale initialement fondée sur le déplacement de l’usager ou du producteur. On peut la rapprocher du tuath irlandais et du hrepp islandais, territoires dont l’origine s’enracinait aussi dans la pratique d’un genre de vie agro-pastoral, et qui servirent de cadre à des circonscriptions d’« en haut ». Avec certaines contrées balkaniques montagneuses, dont le genre de vie reposait en partie sur la transhumance ou le semi-nomadisme (chap. xii et xiii), la Corse fut aussi la dernière contrée européenne où la vendetta subsista jusqu’au xxe siècle en milieu traditionnel. Mais les premières, contrairement à la Corse, étaient restées libres de toute domination extérieure directe jusqu’à la création des États balkaniques. Comment expliquer alors que près de dix siècles de dominations foraines dans l’île (papauté, Pise, Gênes, État français) ne parvinrent pas à éliminer la vendetta étendue ? En Corse, l’association de la vendetta avec la parenté bilatérale, et la longue pratique d’un agro-pastoralisme dont les pièves fournirent parfois longtemps le cadre territorial, étaient des traits d’« en bas ». À ceux-ci, l’on doit ajouter l’existence des assemblées de piève au second Moyen Âge et aux Temps modernes, qui supposait celle d’une importante catégorie d’hommes libres, et le maintien tardif dans certaines contrées de la petite propriété paysanne. La résistance de ces traits indigènes s’enracina en partie dans les conditions de la christianisation. L’implantation des églises piévanes, en apparence « au milieu de nulle part » et à une époque (xie siècle) à laquelle l’île était en principe depuis longtemps chrétienne, révéla les difficultés des autorités ecclésiastiques, privées du support d’une autorité civile permanente durant tout le haut Moyen Âge, à trouver l’échelle territoriale adéquate pour encadrer la population rurale. Cette dissociation ou discontinuité entre christianisation, pouvoirs civils et autorités religieuses, trouvait en face d’elle un système agro-pastoral indigène fortement territorialisé, peut-être depuis longtemps. Tout comme celui-ci orienta le dessin des pièves, l’apparition de « chefs-seigneurs » féodaux à peu près en même temps que celle des églises piévanes, fut peut-être l’intermédiaire essentiel par lequel la vendetta étendue se perpétua au fil des siècles suivants. Issus de l’élite locale et vivant en grande partie de l’économie agro-pastorale, ils devinrent les interlocuteurs des pouvoirs supérieurs, sans que ceux-ci exigent d’eux de renoncer aux comportements et valeurs qu’ils partageaient avec les paysans des pièves.
42Un dernier point doit être souligné. Les dernières contrées européennes qui pratiquèrent la vendetta étendue partageaient avec l’île la prédominance des groupes de parenté dans la vie sociale, et la responsabilité collective de ces derniers pour les crimes commis par leurs membres masculins. Mais si la vendetta étendue s’appliquait partout au meurtrier comme à tout autre homme adulte mâle de son groupe de parenté, l’exemple corse rappelle que la première n’était pas toujours associée à des groupes patrilinéaires, comme c’était le cas au Monténégro et en Albanie du Nord et dans les pays islamiques étudiés en introduction. Dans les Balkans, les chercheurs ont établi un lien entre l’agro-pastoralisme et les structures familiales conjugant patrilinéarité, patrilocalité et patriarchie, et entre ces dernières et la vendetta étendue, nous y reviendrons, mais ils hésitent davantage à rapprocher celle-ci de l’agro-pastoralisme. Si l’exemple de la Corse relativise le premier rapprochement, et ne montre pas un lien direct entre la vendetta étendue et le genre de vie agro-pastoral, il atteste au moins une corrélation ancienne entre l’une et l’autre, comme dans certaines sociétés balkaniques des Temps modernes et du xixe siècle.
Notes de bas de page
1 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, livre III. XII (VI).
2 Corsi Cristina et Vermeulen Frank, « La ville romaine de Mariana (Corse) et son urbanisme », Mélanges de l’École française de Rome – Antiquité (en ligne), 127-1 | 2015, mis en ligne le 3 juin 2015, consulté le 4 octobre 2018, [http://journals.openedition.org/mefra/2758] ; [DOI:10.4000/mefra.2758].
3 Istria Daniel (dir.), Le Moyen Âge en Corse, Centre régional de documentation pédagogique de Corse, s. l., 2012, p. 21.
4 Kerneis Soazick, « Les premières plebes d’Armorique. Le soin des âmes et l’administration des corps », in Bernard Merdrignac, Daniel Pichot, Louisa Plouchart et Georges Provost, La Paroisse, communauté et territoire. Constitution et recomposition du maillage paroissial, Rennes, PUR, 2013, p. 219-233, p. 228.
5 Ibid., p. 229.
6 Ibid., p. 228.
7 Voir Tonnerre Noël-Yves, Naissance de la Bretagne, Angers, Presses universitaires d’Angers, 1994, p. 178, note 2.
8 Kerneis Soazick, « Pieve d’Italie et plou d’Armorique. Paganisme et christianisation au Bas-Empire », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 76, 1998, p. 397-437, p. 400.
9 Mouthon Fabrice, « Les communautés alpines et l’État (milieu xiiie-début xvie siècle) », Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, 34e congrès, Chambéry, 2003, Montagnes médiévales, p. 151-178, p. 173.
10 Violante Cinzio, « L’organizzazione ecclesiastica per la cura d’anime nell’Italia settentrionale e centrale », in Cosimo Damiano Fonseca et Cinzio Violante, Pievi e parrochie in Europa dal Medioevo all’Età contemporánea, Galatina, Congedo Editore, 1990, p. 203-224, p. 214.
11 Ibid., p. 218.
12 Gaudemet Jean, « La vie paroissiale en Occident au Moyen Âge et dans les Temps modernes », Recueils de la société Jean Bodin, XLIII, 1984, p. 65-86, p. 73.
13 Violante Cinzio, « L’organizzazione ecclesiastica per la cura d’anime nell’Italia settentrionale e centrale », art. cité, p. 217.
14 Pergola Philippe, « La “pieve” de San Ghjuvan Battista di Cinarca (Corsica) », Revue des Études ligures, XLVIe année, no 1-3, janv.-sept. 1980, p. 221-235, p. 235.
15 Jehasse Jean et Laurence, « La Corse antique, la Corse romaine », in Paul Arrighi (dir.), Histoire de la Corse, Paris, Privat, 1971, cité dans Gil José, La Corse entre la liberté et la terreur, Paris, Éditions La Différence, 1991, note p. 75.
16 Pergola Philippe, « La Corse », in Alle origini della parrocchia rurale (iv-viii sec.). Atti della giornata tematica dei Seminari di archeologia cristiana, 19 mars 1998, Cité du Vatican, 1999 (Sussidi allo studio delle antichità cristiane, 12), p. 205-213.
17 Id., « La “pieve” de San Ghjuvan Battista di Cinarca (Corsica) », art. cité, p. 235.
18 Istria Daniel (dir.), Le Moyen Âge en Corse, op. cit., p. 41.
19 Id., « Le château, l’habitat et l’église dans le Nord de la Corse aux xiie et xiiie siècles », Mélanges de l’École française de Rome, Moyen Âge, t. 114, no 1, 2002, p. 227-301, p. 235.
20 Broc Damien, Dynamiques politiques, économiques et sociales dans la Corse médiévale : le Diocèse de Nebbio (xie siècle-c. 1540), thèse d’histoire, dir. Jean-André Cancellieri et Jean-Paul Boyer, université Pascal-Paoli, 2014, p. 52.
21 Ibid., p. 33.
22 Pergola Philippe, « Une pieve rurale corse: Santa Mariona di taleini. Problèmes d’archéologie et de topographie médiévales insulaires », Mélanges de l’école française de Rome, 91-1, année 1979, p. 89-111, p. 91.
23 Lauwers Michel, Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terres des morts dans l’Occident médiéval, Paris, Aubier, 2005, p. 270-271.
24 Pergola Philippe, « Une pieve rurale corse: Santa Mariona di taleini », loc. cit.
25 Lauwers Michel, Naissance du cimetière, op. cit., p. 271.
26 Pergola Philippe, « Une pieve rurale corse: Santa Mariona di taleini », art. cité, p. 91-92.
27 Casanova Antoine, « Évolution historique des sociétés et voies de la Corse », in Antoine Casanova, Georges Ravis-Giordani et Ange Rovere, La chaîne et la trame. Ethnologie et histoire de la Corse, Ajaccio, Albiana, 2005a, p. 239-265, p. 241.
28 Istria Daniel, « Le château, l’habitat et l’église dans le Nord de la Corse aux xiie et xiiie siècles », art. cité, p. 234.
29 Broc Damien, Dynamiques politiques, économiques et sociales dans la Corse médiévale, op. cit., p. 591 et 592.
30 Bons exemples dans Salvarani Renata, « Le pievi dell’area gardesana e della Valsabbia », in G. Andenna (dir.), A servizio del Vangelo. Il cammino storico dell’evangelizzazione a Brescia, I : L’età antica e medievale, Brescia, La Scuola, 2010, p. 343-372.
31 Marchi van Cauvelaert Vannina, La Corse génoise. Saint-Georges vainqueur des « tyrans » (milieu xve-début xvie siècle), Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 105-106.
32 Istria Daniel, « Les marquis Obertenghi dans le nord de la Corse (fin du xie siècle-milieu du xive siècle). La mise en place d’un réseau de fortifications », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, t. 112, no 1, 2000, p. 225-258, p. 249.
33 Id., « Le château, l’habitat et l’église dans le Nord de la Corse aux xiie et xiiie siècles », art. cité, p. 278, note 178.
34 Broc Damien, Dynamiques politiques, économiques et sociales dans la Corse médiévale, op. cit., p. 120.
35 Istria Daniel, « Le château, l’habitat et l’église dans le Nord de la Corse aux xiie et xiiie siècles », art. cité, p. 238-240.
36 Ibid., p. 241.
37 Broc Damien, Dynamiques politiques, économiques et sociales dans la Corse médiévale, op. cit., p. 76.
38 Ibid., p. 76-77.
39 Ibid., p. 77.
40 Ibid.
41 Ibid., p. 78-80.
42 Ibid., p. 110.
43 Marchi van Cauvelaert Vannina, La Corse génoise, op. cit., p. 198.
44 Casanova Antoine, « Révolution féodale, pensée paysanne et caractères originaux de l’histoire sociale de la Corse », in Antoine Casanova, Georges Ravis-Giordani et Ange Rovere, La chaîne et la trame. Ethnologie et histoire de la Corse, Ajaccio, Albiana, 2005b, p. 173-202, p. 186.
45 Ibid., p. 178.
46 Franceschi Franco et Taddei Ilaria, Les villes d’Italie du milieu du xiie siècle au milieu du xve siècle. Economies, sociétés, pouvoirs, cultures, Paris, Bréal, 2004, p. 70-71.
47 Casanova Antoine, « Évolution historique des sociétés et voies de la Corse », art. cité, p. 252.
48 Broc Damien, Dynamiques politiques, économiques et sociales dans la Corse médiévale, op. cit., p. 78-79.
49 Casanova Antoine, « Évolution historique des sociétés et voies de la Corse », loc. cit.
50 Marchi van Cauvelaert Vannina, La Corse génoise, op. cit., p. 81-133.
51 Ibid., p. 198.
52 Casanova Antoine, « Pensée paysanne, histoire sociale et récit des chroniqueurs (le cas du Corse Giovanni Della Grossa) », Les genres et l’histoire, xviiie-xixe siècles (II), Annales littéraires de l’université de Besançon, Paris, Les Belles Lettres, 1981, p. 81-130, p. 95.
53 Broc Damien, Dynamiques politiques, économiques et sociales dans la Corse médiévale, op. cit., p. 86.
54 Ibid.
55 Ibid., p. 324.
56 Casanova Antoine, Identité corse, Outillages et Révolution française, Paris, Éditions du CTHS, 1996, p. 290-291.
57 Id., « Pensée paysanne, histoire sociale et récit des chroniqueurs », art. cité, p. 96.
58 Istria Daniel, « Le château, l’habitat et l’église dans le Nord de la Corse aux xiie et xiiie siècles », art. cité, p. 234, note 26.
59 Casanova Antoine, « Pensée paysanne, histoire sociale et récit des chroniqueurs », art. cité, p. 97.
60 Ibid.
61 Casanova Antoine, « Évolution historique des sociétés et voies de la Corse », art. cité, p. 179.
62 Ibid., p. 180.
63 Ibid., p. 186.
64 Abbé de Germanes, Histoire des révolutions de Corse, depuis ses premiers habitans jusqu’à nos jours, t. I, Paris, Hérissant, 1771, p. 126.
65 Pomponi Francis, « À la recherche d’un invariant historique : la structure clanique dans la société corse », in Pieve et paesi. Communautés rurales corses, Paris, CNRS Éditions, 1977, p. 7-30, p. 8.
66 Marchi van Cauvelaert Vannina, La Corse génoise, op. cit., p. 437-438.
67 Pomponi Francis, « À la recherche d’un invariant historique », loc. cit.
68 Casanova Antoine, « Évolution historique des sociétés et voies de la Corse », art. cité, p. 252.
69 Broc Damien, Dynamiques politiques, économiques et sociales dans la Corse médiévale, op. cit., p. 399.
70 Pomponi Francis, « À la recherche d’un invariant historique », art. cité, p. 12.
71 Casanova Antoine, « Pensée paysanne, histoire sociale et récit des chroniqueurs », art. cité, p. 90-91.
72 Ibid.
73 Istria Daniel, « Les marquis Obertenghi dans le nord de la Corse (fin du xie siècle-milieu du xive siècle), art. cité, p. 246.
74 Casanova Antoine, « Évolution historique des sociétés et voies de la Corse », art. cité, p. 249.
75 Ibid., p. 246.
76 Ibid., p. 248.
77 Ibid.
78 Ibid., p. 250.
79 Ibid., p. 250, note 33.
80 Le Lannou Maurice, Pâtres et paysans de Sardaigne, Tours, Arrault, 1941, p. 113.
81 Ibid., p. 118.
82 Istria Daniel, « Le château, l’habitat et l’église dans le Nord de la Corse aux xiie et xiiie siècles », art. cité, p. 263.
83 Marchi van Cauvelaert Vannina, La Corse génoise, op. cit., p. 39.
84 Ibid., p. 99.
85 Ibid., p. 54 sq.
86 Ibid., p. 105, 457.
87 Franzini Antoine, La Corse du xve siècle. Politique et société, Ajaccio, Alain Piazzola, 2005, p. 489.
88 Ibid.
89 Blanchard Raoul, « Les genres de vie en Corse et leur évolution », Recherches et Travaux de l’Institut de Géographie Alpine, II, 1914, p. 187-238, p. 190.
90 Méjean Paul, « Notes sur la maison corse », Revue de géographie alpine, t. 20, no 4, 1932, p. 655-676, p. 665.
91 Casanova Antoine, Identité corse, Outillages et Révolution française, op. cit., p. 42.
92 Ibid., p. 46.
93 Ibid., p. 245-246.
94 Ibid., p. 281.
95 Ibid., p. 246.
96 Ravis-Giordani Georges, Bergers corses, les communautés villageoises du Niolu, Ajaccio, Albiana, 2001, p. 177.
97 Augustins Georges, Comment se perpétuer ? Devenir des lignées et destins des patrimoines dans les paysanneries européennes, Nanterre, Société d’ethnologie, 1989, p. 309-310.
98 Je dois cette information à une communication orale de Georges Ravis-Giordani, que je remercie ici.
99 Traduction des statuts civils de l’isle de Corse, faite sur un exemplaire italien, imprimé à Bastia en 1694, par M. Serval, avocat en Parlement, A Toulon, de l’imprimerie de la Veuve de J. L. Mallard, imprimeur du Roi, 1769, p. 13.
100 Casanova Antoine, Identité corse, Outillages et Révolution française, op. cit., p. 306.
101 Ibid., p. 311-312.
102 Ozouf-Marignier Marie-Vic et Verdier Nicolas, « Le canton d’hier à aujourd’hui : étude cartographique d’un maillage », in Yann Lagadec, Jean Le Bihan et Jean-François Tanguy (dir.), Le canton, un territoire du quotidien, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 281-295, p. 291.
103 Ozouf-Marignier Marie-Vic, La formation des départements, Paris, Éditions de l’EHESS, 1989, p. 27.
104 Gil José, La Corse entre la liberté et la terreur, op. cit., p. 68-73.
105 Lenclud Gérard, En Corse. Une société en mosaïque, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2012, p. 184.
106 Pomponi Francis, « À la recherche d’un invariant historique », art. cité, p. 8.
107 Ravis-Giordani Georges, « L’alta pulitica et la bassa pulitica: valeurs et comportements politiques dans les communautés villageoises corses (xixe-xxe siècles) », in Antoine Casanova, Georges Ravis-Giordani et Ange Rovere, La chaîne et la trame. Ethnologie et histoire de la Corse, Ajaccio, Albiana, 2005, p. 317-337, p. 325.
108 Lenclud Gérard, En Corse, op. cit., p. 184.
109 Ibid.
110 Ravis-Giordani Georges, « Introduction générale », in Jean-Luc Alberti, Antoine Marchini, Joëlle Padaviana, Georges Ravis-Giordani et Félicienne Ricciardi-Bartoli, L’Ile-familles, familles et parenté dans la société corse moderne et contemporaine, Paris, Mission du patrimoine ethnologique/A.D.E.C.E.M., Centre d’Études Corses, 1994, p. 1-7, p. 4.
111 Knudsen Anne, « Corsican vendetta: a structured catastrophe », Folk, 27, 1985, p. 65-87.
112 Busquet Jacques, Le droit de la vendetta et les paci corses, Paris, Éditions du CTHS, 1994 (éd. originale, 1920, A. Pedone), p. 103-104 ; Tihanyi Catherine, Violence on the rebound: a semiotic of justice, feud, colonialism and self in and around the Corsican chronicles, thèse, Burnaby (Canada), Simon Fraser University, 1998, p. 50.
113 Gil José, La Corse entre la liberté et la terreur, op. cit., p. 113.
114 Voir notamment Lenclud Gérard, En Corse, op. cit., p. 164 sq.
115 Wilson Stephen, Feuding, Conflicts and Banditry in nineteenth-century Corsica, Cambridge, Cambridge University Press, 1988, p. 25-31.
116 Marchi van Cauvelaert Vannina, La Corse génoise, op. cit., p. 365.
117 Dean Trevor, « Marriage and mutilation: vendetta in Late Medieval Italy », Past and Present, 157 (1), 1997, p. 3-36, p. 7.
118 Ibid., p. 22.
119 Marchi van Cauvelaert Vannina, Rinuccio della Rocca (vers 1450-1511), vie et mort d’un seigneur corse à l’époque de la construction de l’État moderne, Ajaccio, Colonna, 2005.
120 Pomponi Francis, « À la recherche d’un invariant historique », art. cité, p. 14.
121 Marchi van Cauvelaert Vannina, La Corse génoise, op. cit., p. 170.
122 Busquet Jacques, Le droit de la vendetta et les paci corses, op. cit., p. 254.
123 Ibid., p. 262.
124 Ibid., p. 168.
125 Gil José, La Corse entre la liberté et la terreur, op. cit., p. 67.
126 Busquet Jacques, Le droit de la vendetta et les paci corses, op. cit., p. 291.
127 Lenclud Gérard, En Corse, op. cit., p. 239-240.
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