Chapitre II. Territoires et société en Gaule celtique (ier siècle av. J.-C.)
p. 65-90
Texte intégral
1Parler des territoires et de la société en Gaule au temps de la conquête romaine revient à parler largement de cette dernière et de ses conséquences plus ou moins directes. Contrairement à la Rome monarchique et primo-républicaine, dans laquelle les sources qui décrivent la société et le territoire sont postérieures aux premiers siècles de Rome, les sources que nous possédons sur la Gaule celtique sont presque toutes contemporaines ou proches du temps de la conquête. Mais elles sont aussi moins abondantes que les premières, et d’une nature qu’on pourrait qualifier d’essentiellement ethnographique. Ainsi, ce que nous savons de la société gauloise au ier siècle av. J.-C. provient surtout des notations du De Bello Gallico (BG) de Jules César, en marge des évènements militaires qui constituent l’essentiel du récit. Les textes de Poséidonios d’Apamée, ceux de Strabon, Tacite et quelques autres ajoutent assez peu d’éléments sur l’organisation de la société et du territoire en Gaule. Plusieurs conséquences en résultent pour le choix des thèmes à étudier. La lecture de BG ne donne pas d’informations sur l’existence de la vendetta, ni sur l’organisation du territoire à petite échelle chez les Gaulois. Il est par conséquent impossible de savoir s’il existait des communautés de voisinage en Gaule au temps de la conquête romaine, et les données archéologiques ne sont évidemment d’aucun secours pour combler ces lacunes. En revanche, le contexte des campagnes militaires a conduit César à une reconnaissance du territoire. Il a incité aussi le génie stratégique du conquérant à percer le jeu des alliances et des allégeances chez les principaux peuples gaulois et entre leurs chefs, en remontant parfois, pour les besoins de la cause, aux années ayant précédé son entrée en Gaule. Enfin, plus ou moins au hasard des pages, César a consigné parmi les mœurs ou coutumes gauloises celles qui contrastaient le plus avec celles des Romains ou leur étaient inconnues, même si certaines notations s’inspirent de celles de Poséidonos.
2De ces données, l’on peut extraire plusieurs grandes catégories d’informations sur la Gaule et la société gauloise. En premier lieu, pour la première fois dans l’histoire de l’Europe, BG rend possible l’étude d’unités supérieures et moyennes du territoire dans une contrée conquise et jusque-là assez peu pénétrée de l’extérieur. Comme leurs prédécesseurs, les chercheurs d’aujourd’hui continuent d’ailleurs à utiliser les mots employés par César pour décrire les principaux traits du territoire gaulois, que des recherches récentes, liées surtout aux progrès de l’archéologie, permettent aujourd’hui de mieux appréhender. En second lieu, les éléments que donne l’auteur sur les relations entre les grandes unités territoriales, et les informations qu’il fournit sur leurs élites dirigeantes, permettent dans une certaine mesure d’aborder le régime politique de la Gaule. Croisées avec plusieurs traits rapportés par le conquérant sur les mœurs et coutumes des indigènes, ces données informent aussi, en troisième lieu, sur certaines pratiques sociales qu’il est possible de relier à la conception que les Gaulois se faisaient du pouvoir. Enfin, certains auteurs ont tenté d’extraire de BG des données sur la famille, la parenté, et l’alliance en Gaule.
Civitates et pagi en Gaule
3César applique à la Gaule plusieurs mots en usage dans les territoires romains de son époque pour désigner les divisions territoriales. Il emploie beaucoup civitas, moins pagus, plus rarement encore factio, et pas du tout tribus1. Cela pourrait correspondre à une tombée en désuétude de ce mot ou peut-être à la conscience de son inadéquation à la réalité gauloise, car moins de cent-cinquante ans auparavant Caton l’Ancien avait parlé des 112 tribus des Boïens de Cisalpine2. Les auteurs d’aujourd’hui se sont interrogés sur la signification exacte de ces mots appliqués au contexte gaulois, alors même que le sens de certains d’entre eux avait évolué depuis la Rome monarchique et primo-républicaine. Pour Michel Tarpin,
« le problème des auteurs antiques n’était pas de décrire précisément l’organisation tribale celtique, mais de trouver des mots latins susceptibles d’évoquer la stratification complexe de ces peuples. Tribus qui désigne une subdivision (territoriale) de la cité romaine permet un parallèle efficace, tout comme pagus, qui désigne une subdivision (territoriale) des cités italiennes. Il était alors possible d’opérer le glissement du pagus subdivision de la civitas territoriale italienne vers le pagus subdivision de la civitas tribale gauloise3 ».
4Comme la hiérarchie civitas – pagus était conforme à l’usage au milieu du ier siècle av. J.-C., elle permettait à César d’identifier les deux plus grandes divisions territoriales de la Gaule, dont le conquérant et ses lieutenants combattaient le plus souvent les chefs et leurs troupes. Elle donnait en même temps un repère aux lecteurs de BG. Mais César n’ignorait pas que le vocabulaire transposé était en porte-à-faux par rapport aux divisions ethniques, tribales, ou administratives de la Gaule, sur lesquelles il reste d’ailleurs assez peu explicite. Quelques décennies plus tard, cet exercice d’interpretatio romana aurait d’ailleurs été inutile puisque les divisions romaines du territoire avaient été officiellement introduites en Gaule. Au ier siècle apr. J.-C., la civitas était l’unité inférieure à la provincia, dirigée par un Sénat et des magistrats, et le pagus une entité territoriale plus grande que le fundus, c’est-à-dire le domaine foncier, « mais plus petite que la cité, utilisée pour l’enregistrement des biens fonciers dans le cadre du cens4 ». Mais la question de savoir comment les administrateurs gallo-romains avaient délimité les pagi rejoint dans une certaine mesure la démarche adoptée par César, plusieurs décennies auparavant, pour identifier les territoires gaulois. Michel Tarpin note en effet que « l’administration romaine a sans doute souvent opté pour la facilité et inscrit des territoires communautaires (préexistants) directement dans les nouveaux cadres administratifs5 ».
Les grandes civitates : des terres mouvantes ?
5La relation civitas-pagus doit être précisée. César indique qu’il existait une soixantaine de civitates en Gaule, le plus souvent pourvues d’une capitale qu’il nomme oppidum, et 300 pagi. Le territoire des civitates les plus grandes pouvait atteindre les 20 000 km2, c’est-à-dire plus de dix fois l’ESM de Colin Renfrew, tandis que le territoire moyen des pagi avoisinait les 1 500 km2, soit une taille équivalente à celle que cet auteur donne de l’ESM6. Mais certaines civitates étaient encore plus petites que ces pagi moyens, ce qui pose notamment le problème de la formation des grandes cités. BG ne nous aide guère dans l’explication de ces différences, car la taille des civitates n’intéressait pas vraiment César. À travers le repérage de celles-ci, il souhaitait surtout identifier les protagonistes de la guerre. Ce contexte a donné lieu à des interprétations diverses, les auteurs inclinant tantôt à considérer les plus grandes civitates comme le résultat d’une agglomération de pagi, tantôt, à l’inverse, à voir dans les premières des unités territoriales sui generis répondant à la recherche d’un équilibre interne.
6Jean-Louis Brunaux se rapproche de la première interprétation, puisqu’il considère les pagi comme des territoires qui auraient plus ou moins fusionné pour former les civitates :
« Les peuples étaient […] composés de plusieurs tribus (généralement trois ou quatre) qui s’étaient associées autrefois. Elles conservaient une certaine réalité dans l’occupation du territoire divisé en autant de pagi (« pays » attribués à chaque tribu), dans la composition des armées – chaque tribu avait son propre corps de guerriers […]. Ces tribus ou pagi gardaient donc leur autonomie à la guerre, lors des migrations, et il arrivait que certaines se détachassent des peuples dont elles étaient pourtant partie intégrante7. »
7Le mot tribu n’est évidemment pas à entendre ici au sens romain du terme – une division territoriale de la cité – mais se rapproche de celui que lui donne Maurice Godelier : une société locale. Jean-Louis Brunaux interprète le chiffre de soixante grandes unités territoriales et d’environ 300 unités inférieures comme la preuve d’un processus de centralisation en cours ou inachevé au moment de la guerre des Gaules. Pour Stephan Fichtl, le canevas d’ensemble aurait été à peu près identique mais l’auteur y ajoute un échelon supplémentaire : la civitas aurait été une fédération de pagi divisés en tribus, ce qui signifie que le nombre des secondes aurait été supérieur à celui des premiers, et que la civitas aurait compté trois niveaux d’organisation territoriale8. Mais ce chercheur pense aussi que « les termes utilisés par César désignent en général, non pas des territoires, mais uniquement des “groupements d’hommes” et plus précisément des “hommes en armes”9 ». Cette interprétation peut s’appuyer sur le fait que le conquérant avait surtout affaire à des combattants et à leurs chefs, mais elle ne contredit pas l’idée que certaines civitates auraient constitué autant de peuples divisés en tribus ou en pagi ayant conservé une certaine autonomie. C’était probablement le cas de la cité des Petrocorii, c’est-à-dire « la quadruple armée10 » qui a donné son nom au Périgord actuel, et pourrait indiquer une dispersion originelle des composantes de la tribu ou du peuple. La coutume pour un rameau d’un peuple gaulois d’émigrer chez un autre était en outre relativement répandue, et pouvait même représenter un facteur de recomposition partiel du territoire de la cité. Un pagus Carnutenus inscrit dans la civitas des Redones portait ainsi le nom des Carnutes11, un peuple installé plus à l’Est (fig. 3).
Fig. 3. – Les cités gauloises au ier siècle av. J.-C.

8Pour Michel Tarpin, ce pagus pourrait avoir été « un lambeau d’ancien territoire carnute intégré à un moment indéterminé dans le territoire riédon, ou l’attestation d’un rameau carnute émigré, ou un canton riédon, accordé aux Carnutes à titre de revenu extérieur, selon un procédé bien attesté par ailleurs12 ». Cet exemple atteste la permanence de mouvements de population ou de prestations sous forme de cession de territoires entre les civitates, peu avant l’arrivée des conquérants. Il montre aussi que les pagi pouvaient correspondre à des entités ethniques peut-être assimilables à des « unités de civilisation ». Les déplacements pouvaient avoir aussi pour origine un conflit. Après la défaite d’Ambiorix contre César en 53, certains groupes d’Éburons quittèrent leur pays « et se confièrent, corps et biens, à des régions tout à fait étrangères » (BG VI, 31). Et le fait que plusieurs grandes civitates étaient elles-mêmes composées de plusieurs entités (tribus, rameaux détachés de tribus ou de peuples), pour certaines autrefois indépendantes, ajoute aux superpositions que pouvaient entraîner les accords ou sujétions diverses, nous y reviendrons, entre les civitates.
La migration des Helvètes
9Un déplacement d’une ampleur bien plus considérable inaugure toutefois le récit de César. Il s’agit de la migration des Helvètes en 58 av. J.-C., qui servit de prétexte à l’intervention du conquérant en Gaule. Sous l’impulsion d’un puissant personnage nommé Orgétorix, les Helvètes décidèrent de s’installer dans la cité des Santons, à l’autre bout de la Gaule, parce qu’ils trouvaient la leur trop petite (BG I, XXX)13. César indique que les Helvètes possédaient une douzaine de villes (oppida) et 400 villages (vici) (BG I, V), et que leur territoire était divisé en quatre pagi. D’après des tablettes écrites en grec et trouvées dans leur camp au moment de leur défaite, César évalue le seul nombre des Helvètes migrants à 263 000 personnes, combattants, enfants, vieillards et femmes inclus (BG I, XXIX), et au total à 368 000 individus puisque la migration comprenait aussi des Latovices, des Boïens, des Rauraques et des Tulinges. L’une des finalités de ce recensement était de prévoir la réinstallation des combattants et de leurs familles à l’arrivée. Mais l’aventure fut arrêtée par les armées romaines et les Helvètes, ceux du moins qui avaient réchappés du combat, durent retourner chez eux et reconstruire leur cité.
10Cette migration pose évidemment de nombreux problèmes, et en premier lieu celui de l’attitude des Santons à son égard, dont César ne dit mot. Comme la cité des Helvètes avait une superficie d’environ 20 000 km2, elle aurait compté environ 13,15 habitants au km2 si l’on accepte les chiffres donnés par César, et si tous les Helvètes avaient bien quitté leur territoire. Il s’agissait donc d’un pourcentage très faible, pour une superficie probablement supérieure au territoire de la cité des Santons, et qui rend d’autant plus problématique les raisons du départ des Helvètes. Parallèlement, le contraste entre la décision d’émigrer et la bonne mise en valeur du territoire helvète affichée par César, qui déclare que la cité helvète était « en pleine prospérité » (BG I, XXX), interroge encore plus. La prospérité semble en tout cas sous-jacente dans les préparatifs du départ rapportés par le conquérant : les Helvètes mettent deux ans à peaufiner leur entreprise, ils ensemencent toutes leurs terres cultivables afin de s’assurer du blé dans leur marche (BG I, III), et
« dès qu’ils se sont estimés prêts pour l’entreprise, ils mettent le feu à toutes leurs villes […], à leurs villages […] et aux maisons isolées qui restent ; ils brûlent tout le blé qu’ils n’avaient point l’intention d’emporter, afin qu’en s’enlevant l’espoir de retourner chez eux, ils fussent mieux préparés à affronter tous les périls ; ils donnent l’ordre à chacun d’emporter de la farine pour trois mois (BG, I, V) ».
11En outre, s’il est peu probable que la cité des Santons fût restée indemne de l’arrivée des Helvètes, les dangers qu’il pouvait y avoir à laisser en même temps un vaste territoire vide de tout ou partie de sa population pouvaient légitimement inquiéter les Romains, dont la Province, créée au sud de la Gaule en 118 av. J.-C., commençait aux portes de la cité helvète. L’on peut certes admettre, avec certains historiens14, que trois chefs ambitieux, Orgétorix pour les Helvètes, Dumnorix pour les Éduens, Casticos pour les Séquanes, souhaitaient unifier la Gaule, et que la migration des Helvètes fût un premier pas dans ce projet, mais l’on ne voit guère comment ce dernier pouvait s’articuler avec un plan plus général.
12L’épisode est toutefois encore plus étonnant d’un autre point de vue. L’un des pagi des Helvètes était celui des Tigurins, le mieux connu du conquérant parce que « c’était ce seul pagus qui, ayant quitté (la cité des Helvètes), au temps de nos pères, avait tué le consul Lucius Cassius, et fait passer son armée sous le joug » (BG I, XII). L’assimilation du pagus à un corps de combattants montre que pour César le groupe humain l’emportait sur le territoire, et elle valide l’idée que certaines cités étaient des territoires tribaux qui auraient été progressivement agglomérés15. Mais elle montre surtout le caractère encore mouvant de certains pagi et civitates à l’arrivée du conquérant. Le détachement provisoire des Tigurins de la cité des Helvètes, une génération avant la conquête, n’est en effet pas très éloigné d’un autre épisode rapporté plus tard par Tacite. Cet historien raconte que les Helvètes résidaient autrefois entre la Forêt hercynienne – que César situe autour de la haute vallée du Danube, le Rhin et le Main –, avant de se déplacer vers le territoire qu’ils occupaient au temps de la conquête16. La migration de 58 av. J.-C. aurait donc représenté le dernier grand épisode des mouvements de peuples gaulois, qui fut interrompu par l’intervention romaine. Mais ces deux migrations, rapprochées dans le temps, signifient aussi que les Helvètes constituaient une unité politique indépendante du territoire qu’ils occupaient, ce qui illustrerait ici la formule d’Alain Testart : « le territoire ne sert d’abord qu’à circonscrire la communauté sur laquelle s’exerce le pouvoir ». Quelles que furent les raisons exactes du départ des Helvètes et l’interprétation qu’en donne César, il faut comparer cet exemple aux résultats de certaines recherches qui se sont intéressées aux territoires gaulois.
Les grandes civitates : des ensembles fortement territorialisés ?
13Pour le géographe Xavier de Planhol, certaines grandes civitates de la Gaule centrale auraient été des ensembles volontairement diversifiés. Le paradigme en aurait été la civitas des Bituriges Cubi, dont le nom et les limites se retrouvèrent plus tard dans la province du Berry. Elle était composée d’une formation centrale calcaire, la Champagne berrichonne, entourée de marges moins favorisées identifiées par les géographes dès le xixe siècle : Pays Fort, Boischaut du Nord et Sologne au Nord, Brenne à l’Ouest, Boischaut du Sud et Val de Germigny au Sud, et Sancerrois à l’Est17 (fig. 4). Dans un contexte géographique différent, la cité des Arvernes, devenue à peu près l’Auvergne de l’Ancien Régime, présentait une configuration assez proche. Cette civitas était articulée autour de la vallée de l’Allier et des plaines de Limagne où se situent les villes principales, Clermont-Ferrand et Riom, entourées de secteurs montagneux à l’Est (Livradois, Bois Noirs, Monts du Forez), à l’Ouest et au Sud-Ouest (Chaîne des Puits, Mont-Dore, Artense, Cézallier, Cantal)18. La cité des Séquanes, qu’on retrouve approximativement dans le territoire de la Franche-Comté actuelle, aurait témoigné d’une autre configuration évoluée mais différente : elle était divisée en deux grands ensembles territoriaux parallèles avec la plaine de la Saône à l’Ouest et le Jura à l’Est19.
Fig. 4. – La cité des Bituriges : éléments géologiques et géomorphologiques.

14La difficulté que pose cette analyse résulte en partie de l’incertitude où nous sommes de l’aspect volontaire de ces assemblages, et de leurs motivations initiales. Le caractère mouvant de la cité des Helvètes s’oppose ainsi totalement à la lecture que fait Xavier de Planhol des civitates citées. Celle-ci n’est pourtant pas complètement remise en cause par les recherches les plus récentes, influencées par l’entrée de la modélisation géographique dans l’interprétation des données archéologiques. Dans la civitas des Bituriges, elles confirment la dense occupation de la Champagne berrichonne liée au développement de son agriculture, mais elles relativisent la richesse de ses sols par rapport à ceux des régions périphériques, et elles soulignent les modalités différentes du développement de ces dernières. En Brenne et dans les deux Boischaut, elles relèvent ainsi l’existence de secteurs miniers, de zones forestières et d’espaces agricoles20, mais elles retiennent toujours, dans l’ensemble, l’idée d’une complémentarité entre ces contrées et la zone centrale. Pour la cité des Arvernes, les chercheurs notent une organisation plutôt centrifuge du territoire, dont le cœur « est la zone de peuplement la plus dense et le lieu d’un oppidum central », c’est-à-dire la Limagne, mais « non relayé par des oppida satellites, si ce n’est peut-être dans les zones périphériques et isolées21 ». Mais ils signalent parallèlement que les vastes périphéries montagneuses de la cité étaient délimitées de façon précise et qu’elles étaient contrôlées par la « place centrale22 », même si, comme pour les autres exemples cités, il reste parfois difficile de dire aujourd’hui en quoi consistait au juste la « centralisation », ou même la « centralité », des civitates.
15À quand remonterait cette structuration régionale et comment l’expliquer ? L’agglomération qui deviendra Bourges est déjà importante aux vie-ve siècles av. J.-C., mais elle ne s’affirme comme capitale des Bituriges Cubi que dans le courant du iie siècle av. J.-C.23. Pour la cité des Arvernes, qui apparaît pour la première fois dans le récit que Tite-Live donne de la seconde guerre punique, en 207 av. J.-C., il n’y aurait eu d’agglomérations d’envergure assimilables à des places centrales qu’au ier siècle av. J.-C.24. La différence dans le temps est on le voit bien réduite avec la cité des Bituriges Cubi. Au total, c’est seulement au cours des quelques décennies qui précédèrent la conquête romaine que les élites des Bituriges Cubi, des Arvernes, et sans doute d’autres cités du centre de la Gaule comme celles des Pictons, des Lemovices, et des Éduens, seraient parvenus à structurer au moins partiellement de grands ensembles à territoires diversifiés et complémentaires. Dans la plupart de ces cités, les découvertes archéologiques montrent que les oppida ne prirent des allures urbaines et n’acquirent « toutes les fonctions de places centrales25 » que lors de la dernière période de La Tène (ier siècle av. J.-C.). Ce contexte rendrait compte de décalages possibles entre les civitates, il expliquerait mieux aussi la migration des Helvètes et le maintien de contre-pouvoirs ruraux dans certaines cités. À l’arrivée de César, beaucoup de chefs traditionnels vivaient encore dans les aedificia, c’est-à-dire des ensembles ruraux dont certains furent les ancêtres des villae gallo-romaines26. Et c’est seulement la romanisation territoriale de la Gaule, avec la mise en place de la triade fundus-pagus-civitas, qui aurait achevé le contrôle définitif du territoire de la civitas par sa ville-capitale27.
16Pour expliquer cette évolution, historiens et archéologues ont souligné les liens possibles entre la formation de ces grandes cités et les contacts qu’elles avaient précocement établis avec le monde méditerranéen, et plus tard avec la Province romaine. Mais quelles forces exactes y aurait-il eues derrière ce mouvement ? La taille des grandes civitates gauloises variait de 10 000 à 20 000 km2, soit un rayon de 56 à 79 km autour du centre. Cela pouvait représenter une distance considérable pour l’établissement de liaisons permanentes entre ces territoires, surtout dans le cas d’ensembles accidentés ou irréguliers comme ceux des Arvernes ou des Séquanes. Et le modèle du « bon pays central et espaces périphériques répulsifs » des Bituriges Cubi, proposé par Xavier de Planhol28, supposait un contrôle « central » du territoire sur lequel l’auteur est resté discret. Ce modèle pourrait être tout aussi fragile que celui, inverse, d’une « centralité » acquise à partir d’une agrégation rapide de tribus voisines devenues les pagi d’un seul et même ensemble. Mais si aucune des deux hypothèses ne rend parfaitement compte de la cristallisation des grandes cités de la Gaule centrale quelques décennies avant l’arrivée de César, l’idée d’une « mise en réseau » du territoire par une élite partiellement dégagée des liens tribaux semble s’accorder, nous y reviendrons, avec le régime politique d’une partie de la Gaule au temps de la conquête. On la reconnaîtrait dans l’évolution probable de la cité des Bituriges Cubi :
« La disposition des principaux oppida à l’intérieur de la civitas, montre un espacement moyen d’environ quarante kilomètres. Ce maillage de sites d’une taille à peu près équivalente nous laisse penser que ce réseau était assez évolué et bien établi au moment de la Conquête […]. Ces agglomérations ont pu d’abord constituer les centres de pagi plus ou moins indépendants […]29. »
17Cette configuration correspondrait assez bien aussi à l’évolution vers la « civilisation » que propose Colin Renfrew : un groupement de « places centrales autonomes qui, au début du moins, n’entrent pas dans une (simple) juridiction unifiée ». L’autonomie originelle des pagi rendrait compte aussi de la situation des Tigurins au sein de la cité des Helvètes, et du côté encore mal territorialisé de celle-ci au début de la conquête. Le pagus des Tigurins montrerait que certains pagi auraient été à l’origine plus des sociétés locales autonomes ou de petites « unités de civilisation », que des unités inférieures de contrôle du territoire de type pays. Et l’exemple de la cité des Bituriges signale aussi qu’ils se rapprochaient des TPE.
18Les destinées ultérieures des grandes cités gauloises sont connues : beaucoup donnèrent leur cadre territorial à des civitates gallo-romaines puis à des cités épiscopales, et pour certaines à de grandes formations féodales, plus tard comtés ou duchés et provinces d’Ancien Régime. On retrouve même plusieurs d’entre elles dans les contours de certaines Régions de la cinquième République, comme la Bourgogne (Éduens), la Franche-Comté (Séquanes), l’Auvergne (Arvernes), et le Limousin (Lemovices). Cette continuité montre que beaucoup de ces grandes divisions avaient atteint une sorte d’équilibre territorial, en partie fondé sur les moyens traditionnels de déplacement et de contrôle du territoire. Elle explique aussi que ces dernières rassemblaient plusieurs traits de grandes « unités de civilisation », dont certains étaient peut-être déjà en germe dès l’antiquité gauloise : les coutumes juridiques30, les parlers31, et même certains éléments des techniques paysannes traditionnelles32.
Les pagi et les petites civitates
19Comme les civitates, les pagi ont été très étudiés par les spécialistes français de la Gaule et des périodes postérieures. Cet intérêt, dont les motivations ont été soigneusement scrutées33, trouve en partie son origine dans les relations entre les premiers et les pays de la France rurale et paysanne des Temps modernes et des débuts de la période contemporaine. Aujourd’hui, l’intérêt des historiens et des archéologues pour la « mise en réseau » territorial permet de revisiter le rapprochement entre les pagi et les pays. À partir de l’exemple de la civitas des Suessions, Patrice Brun réinvestit le cheminement étymologique qui relie le mot latin à son dérivé français, et propose une interprétation d’ensemble du pagus gaulois et du pays de la France traditionnelle. Pour cet auteur, le pagus des Suessions34 (fig. 3), « comme beaucoup d’autres, existe encore aujourd’hui. Il s’agit des vieux “pays”, ces territoires polarisés par une agglomération centrale de marché et où l’on ne se trouvait jamais éloigné de la place centrale de marché de plus d’une journée de marche aller et retour35 ». À l’appui de sa comparaison, Patrice Brun utilise l’atlas économique régional de Picardie, qui « offre une carte des principaux centres commerciaux actuels et où se trouvent délimitées les aires d’attraction dominante sur la clientèle rurale de chacun d’eux36 ». Pagus et pays auraient donc été des territoires très proches au-delà des siècles, à travers la fonction d’attraction ou de polarisation exercée par la petite agglomération « centrale » sur les espaces ruraux environnants. Et dans cette hypothèse, les pagenses n’auraient plus désignés les membres d’une société locale à l’image des Tigurins, mais une communauté paysanne dépendant d’une petite agglomération capitale préexistante pour assurer en partie sa survie. Xavier de Planhol soulignait pourtant déjà les limites de la vision du pays comme espace économique centripète plus ou moins autoconstruit. Il lui opposait l’idée d’un territoire centrifuge construit par l’autorité politique, rejoignant à peu près le pagus de la Rome royale ou primo-républicaine :
« L’étendue du pays doit être appréciée en fonction des activités non du paysan, mais du citadin. Or celui-ci, représentant de l’autorité, agent du fisc ou de la force publique localisée dans la ville, est, dans la société traditionnelle, toujours monté. Le pays correspond à l’espace qu’il peut normalement atteindre en une journée, avec retour à son point de départ urbain après avoir accompli sa mission, et sans changer de cheval. C’est l’espace du cavalier. C’est, pour la ville, un espace d’intervention, et non d’attraction37. »
20L’interprétation peut s’appuyer sur la superficie des 300 pagi gaulois du temps de César qui variait entre 1 200 et 2 000 km2, en formant des cercles de 20 à 30 km de rayon. Les pagi auraient donc été des territoires « d’en haut », plus politiques qu’économiques. Cette hypothèse n’est pas contredite par le cas des Tigurins, dont la présence dans BG relève avant tout du facteur politique. Elle est confortée aussi par le mode de dénombrement des pagi effectué par César, car parmi les 300 circonscriptions inférieures qu’il identifia, il compta non seulement les territoires subordonnés aux grandes civitates mais également les petites civitates sans divisions internes ou supposées telles. De son côté, Xavier de Planhol définissait le pagus gaulois comme le territoire des « tribus (gauloises) élémentaires38 ». De fait, les exemples de tribus-pagi ne manquent pas à côté des grandes civitates de la Gaule centrale. Dans les cités de l’actuelle Normandie occidentale ou de la plus grande partie de la Gascogne d’aujourd’hui, alors aquitaine et non gauloise, il était difficile de parler de « places centrales » ou de recherche d’un équilibre territorial. Au temps de la conquête, les civitates armoricaines des Unelles, Baiocasses, Viducasses et Abrincates étaient à la fois petites, peu urbanisées, et « n’avaient pas constitué d’entités territoriales vraiment cohérentes39 », même si chacune d’elle possédait un oppidum qu’on retrouve pour la plupart de ces civitates dans le nom d’une petite ville actuelle : Bayeux, Vieux et Avranches (fig. 3). Très loin de là, les territoires de la bordure pyrénéenne correspondant au Béarn (civ. Benarnensium), à la Bigorre (< Bigerriones), au Comminges (civ. Convenarum), et au Couserans (< Consorani), présentaient un état d’organisation territoriale et sociale sans doute encore moins avancé (fig. 3). Malgré leur petite taille, certaines de ces cités semblent même avoir résulté de synécismes imposés aux sociétés pyrénéennes après la conquête romaine40. À nouveau, nous retrouvons le problème des relations entre l’« unité de civilisation » et l’intervention de l’autorité dans la formation des petites civitates et des pagi de la Gaule indépendante.
21Cet aspect apparaît aussi dans les unités territoriales qui succédèrent aux pagi, dont les destinées furent souvent parallèles à celles des unités territoriales qui prirent au niveau supérieur la place des civitates. Les circonscriptions administratives royales de base à la fin du Moyen Âge et sous l’Ancien Régime – baillages, sénéchaussées, élections etc. –, étaient des espaces d’intervention du pouvoir dont le nombre dépassait les 400 en 178941. Xavier de Planhol rapprochait ce nombre de celui des coutumes juridiques locales qui s’élevaient à plus de 200 au xviiie siècle, auxquels s’ajoutaient plus de 500 coutumes ou statuts particuliers42. L’origine de ces circonscriptions administratives était très différente de celle des coutumes, mais la codification de ces dernières avait relevé d’une décision « d’en haut » : celle de la monarchie, dès avant le début des Temps modernes, en vue d’aider les magistrats royaux à mieux connaître et contrôler les usages locaux pour le règlement des conflits. Les historiens d’aujourd’hui reconnaissent que « le processus de rédaction des coutumes a contribué […] à l’émergence du territoire comme élément nécessaire et structurant du pouvoir monarchique, c’est-à-dire à lui donner un statut politique43 ». Dans ce processus, la circonscription « d’en haut » aurait utilisé l’« unité de civilisation » pour contribuer à asseoir le territoire de la monarchie. Une dialectique proche fut peut-être à l’œuvre dès la fin de la période de l’indépendance gauloise ou un peu plus tard, si l’on admet que parallèlement à l’évolution de la civitas gauloise vers la civitas gallo-romaine, le pagus/pays ne serait devenu un véritable territoire « d’en haut » qu’à partir de la période gallo-romaine.
Les relations entre les civitates
22Les tentatives d’appréhension des civitates gauloises du ier siècle av. J.-C. doivent prendre en compte un autre aspect largement décrit par César, et qui pose autrement le problème de la centralité des civitates gauloises : celui des relations d’alliances et de dominations que certaines de ces dernières avaient établies entre elles. L’exemple des Éduens est encore le mieux connu sur ce plan, car César emploie la plus grande diversité de mots pour qualifier leurs relations avec les membres d’autres cités. En premier lieu, Stefan Fichtl détache de BG la catégorie « frères de sang44 ». Pour César, les Ambarres sont « étroitement liés » aux Éduens et de « même sang » (consanguinei, BG 1, 11, 4), mais il donne aussi à ces derniers le titre de fratres consanguineosque (BG 1, 33, 2) des Romains, bien que, suivant l’auteur, « la formule “amis de Rome” revienne le plus fréquemment45 ». Il n’est pas sûr toutefois que les deux exemples soient équivalents. Le syntagme employé par César dans le premier extrait – necessarii et consanguinei Haeduorum – laisserait davantage penser à l’existence d’une origine ethnique commune des Éduens et des Ambarres qu’à un affrèrement proprement dit, c’est-à-dire un engagement réciproque des deux peuples garanti par une cérémonie ou un rituel. Dans ce cas, c’est plutôt la formule adoptée par César pour qualifier les relations entre les Romains et les Éduens qui mériterait une explication.
23Moins ambigu est l’emploi du mot clientes. Les Ségusiaves, Ambivarètes, Aulerques Brannovices et Blannovii appartenaient aux clientes des Éduens (BG VII, 75, 2)46. Parmi ces peuples ou ethnies, Stefan Fichtl distingue même trois types de clients :
« Dans le premier cas, comme avec les Ségusiaves, les clients étaient maîtres de leur territoire mais subordonnés au niveau politique et économique. Dans le second cas [c’est-à-dire pour les Ambivarètes, Aulerques Brannovices et Blannovii], même leur territoire ne leur était sans doute pas propre, et il faut imaginer que ces peuples étaient installés au milieu même du territoire de leur cité-patronne47. »
24Cette situation rappellerait un peu la société libyenne du xxe siècle dans laquelle, nous l’avons vu, il existait chez les Bédouins de Cyrénaïque un clivage statutaire opposant l’ensemble des tribus Sa’âdî, tribus « nobles, libres », aux groupes de mrâbtîn, dont certains étaient clients des premières. Mais il n’est pas sûr que les liens de clientèle aient été pérennes chez les Éduens, et leur aspect religieux reste incertain. En troisième lieu, dans le passage où il raconte l’arrivée de l’armée de secours à Alésia (BG VII, 75, 2), César mentionne à côté des clients des Éduens bien individualisés, les Bituriges, les Sénons et les Bellovaques, qu’il qualifie de civitates in fide des Éduens. Stefan Fichtl note que le terme in fide indique clairement une forme de subordination de ces civitates aux Éduens, mais d’un autre ordre que le clientélisme. L’auteur suppose « l’existence d’un lien confédéral avec domination des Éduens », et rappelle que « la relation était connue en Italie sous la forme deditio in fidem48 ». Aucune de ces catégories n’était propre aux Éduens, même la seconde et sans doute la plus originale : celle des peuples ou rameaux de peuples installés sur le territoire d’une cité « patronne » qui, nous le savons, se rencontrait ailleurs.
25Les catégories « frères de sang » et civitates in fide se retrouvent à peu près aussi dans la cité des Suessions, assez bien documentée dans BG et qui fournit un autre exemple des relations complexes entre les civitates gauloises. Patrice Brun note que « les Suessions peuvent constituer successivement : 1) une entité confédérale des Belges, au début de la guerre des Gaules ; 2) un peuple étroitement lié, de longue date, à celui des Rèmes ; 3) une civitas politiquement autonome ; 4) un pagus correspondant au Soissonnais actuel49 ». Les relations entre les Suessions et les Belges illustrent l’importance du temps court, et de la conjoncture régionale, dans les configurations territoriales gauloises contemporaines de la conquête romaine. Le même auteur signale que le Belgium n’est pas la Belgique : il qualifie cette dernière de « notion générale » et adopte le terme « entité » pour nommer le premier50. Le Belgium fut en effet un regroupement conjoncturel de peuples et de territoires voisins des Suessions et sous leur direction – les Bellovaques, les Ambiens et les Atrébates –, qui prit forme peu de temps avant l’arrivée de César en Gaule. Le conquérant précise d’ailleurs qu’« à l’époque de l’âge d’or des Suessions, leur roi, Diviciacos, commandait à tous ces peuples (BG II, 4, 7)51 ». La nature des liens évoqués entre ces civitates reste obscure, mais ils semblent « constituer un réseau complexe, où se côtoient des relations bilatérales et des regroupements plus larges52 ».
26Un autre exemple de ces liens est justement fourni par les relations entre les Rèmes et les Suessions que Stefan Fichtl qualifie de « civitates coalisées53 ». César indique que les deux peuples se considèrent comme « frères de race […], vivent sous les mêmes lois […], ont les mêmes chefs de guerre, (et) même magistrat » (BG II, 3, 5). Cette relation paraît proche de celle de consanguinei individualisée pour les Éduens et les Ambarres, même s’il s’agissait d’une situation inégale et provisoire, et bien que César n’emploie pas l’expression consanguinei pour désigner la relation entre les Rèmes et les Suessions. L’intervention des Romains provoqua d’ailleurs une inversion du lien, car tandis que les Suessions dominaient les Rèmes avant l’arrivée du conquérant, ces derniers profitèrent de celle-ci pour se ranger dans le camp romain et retourner la situation en leur faveur54.
27Ces relations à la fois complexes, hiérarchisées et changeantes, au sein d’un espace lui-même vaste et contrasté, n’empêchaient pas l’existence d’assemblées au-dessus des civitates, composées de délégués de tout ou partie de l’espace gaulois. Suivant une interprétation récente, le célèbre conseil de druides mentionné par César (BG VI, 13), dirigé par un chef suprême et qui se réunissait une fois l’an dans la forêt des Carnutes (forêt d’Orléans), était une assemblée qui « remplissait une fonction de cour d’appel pour les individus (et) une sorte de tribunal international [sic] pour les peuples gaulois55 ». Mais on trouvait aussi des assemblées territorialement plus restreintes et plus politiques, comme celles qui réunissaient régulièrement des délégués des Gaulois Belges et des Gaulois Celtes, et qui auraient attesté l’existence d’« un ensemble politique gaulois » rassemblant la Celtique et la Belgique56. Si le mot « peuple » remplace souvent le mot « tribu » sous la plupart des plumes d’aujourd’hui, lorsqu’elles décrivent les habitants des grandes civitates gauloises, elles hésitent davantage pour donner un nom aux configurations territoriales plus vastes, notamment à celle qui était représentée par le conseil des druides. Ainsi, il n’est pas sûr que l’expression « tribunal international » ait exprimé au mieux la réalité de ce dernier. Il rappelait plutôt la lôya jirga afghane dans les fonctions juridiques et judiciaires qu’elle possédait à l’égard des assemblées inférieures, et dans son rôle de reconnaissance ethnique et territoriale de l’ensemble pachtoune puis afghan. Mais à l’arrivée de César, aucun chef n’avait transformé le conseil des druides en une instance « nationale » en vue de la formation d’un unique État gaulois. Ce constat pose indirectement le problème du régime politique des civitates gauloises.
Le régime politique des civitates
Démocratie primitive, démocratie étatique, ou autre régime ?
28Jean-Louis Brunaux parle de « petits États gaulois » pour les « 60 peuples57 » ou les 60 « petites entités ethniques, territoriales et administratives » qui divisaient la Gaule, réunissant dans un même ensemble habitants, territoires et formes de gouvernement. Cette définition s’accorde avec les notions de « mise en réseaux » et de « places centrales » développées par les historiens et les archéologues d’aujourd’hui. Mais le cas de la cité des Helvètes, rappelons-le, montre que la notion d’équilibre territorial restait fragile, et que l’un des fondements de l’État, la stabilité du territoire, n’était peut-être pas encore complètement acquis dans le monde gaulois.
29Les rares sources disponibles ne permettent pas de caractériser sans hésitations le régime politique des grandes civitates gauloises. Dans la plupart de celles mentionnées par César, les monarchies avaient disparu depuis un temps plus ou moins long à l’exception des Suessions (BG II, 4) et des Sénons (BG V, 54, 2), chez lesquels le conquérant mentionne des reges. Il existait aussi des assemblées représentatives, qu’on a mises en relation avec l’atténuation ou la disparition des liens tribaux dans l’organisation de la société et du territoire. Les Éduens sont d’ailleurs souvent cités pour illustrer l’avènement d’un régime « représentatif ». Pour Alain Testart rappelons-le, les deux traits qui caractérisent une « organisation semi-étatique » sont l’existence d’« une assemblée populaire et souveraine, au moins en ce qu’elle décide de la guerre et de la paix », et l’autre celle de « chefs chargés (officiellement) de conduire la guerre, mais qui l’organisent avec leurs propres moyens, c’est-à-dire des moyens privés58 ». Certains travaux récents sur les institutions de la Gaule indépendante soulignent le rôle politique des assemblées d’hommes libres. Elles avaient « la capacité de ratifier la décision de guerre contre Rome59 », et leur caractère « populaire » apparaît dans le fait qu’elles tenaient à la fois des assemblées ordinaires de type civique, et des « assemblées de guerriers » ou concilia armata60. Mais dans les secondes, certains historiens voient surtout l’effet d’un infléchissement conjoncturel des compétences des premières, lié à la conquête romaine. Pour le deuxième trait qu’Alain Testart associe aux « organisations semi-étatiques », les exemples de chefs chargés de conduire la guerre et acclamés par les assemblées populaires sont fréquents dans BG, en particulier pour le plus célèbre d’entre eux : « l’ensemble des participants exprime son avis avec la voix ou en entrechoquant les armes, comme pour la ratification en assemblée du pouvoir accordé à Vercingétorix61 ». Du rapprochement entre l’existence d’assemblées populaires et souveraines, et celle d’armées privées, Alain Testart avait conclu dans ses Éléments de classification des sociétés que la forme d’organisation semi-étatique propre à la Gaule indépendante était proche de la démocratie primitive62. Mais dans Avant l’histoire, il avançait que « tout, chez les Gaulois, indique déjà l’existence d’États […]63 ». Plus précisément, pour qualifier le régime politique en vigueur, l’auteur proposait l’expression de « démocratie étatique », fondée sur « des assemblées souveraines aux décisions parfaitement contraignantes, c’est-à-dire avec une majorité qui impose sa loi à une minorité […]64 ».
30La prise en considération d’au moins trois éléments nouveaux dans le second ouvrage pourrait partiellement rendre compte de cette évolution. Il s’agit en premier lieu de l’existence du service militaire. D’après les informations données par César, Alain Testart soulignait qu’il était sans doute obligatoire en Gaule, sans qu’on puisse forcément l’attribuer à l’arrivée du conquérant, et même si « l’importance des troupes privées (clients, endettés, soldurii), pour ne pas dire des armées privées65 », interdit de voir dans son universalité un véritable service « civique ». En second lieu, toujours dans Avant l’histoire, l’auteur attirait l’attention sur la mauvaise situation du bas peuple gaulois qui, d’après César, « consulté sur rien, accablé de dettes, écrasé d’impôts, en butte aux vexations des grands, y avait le rang d’esclave66 ». Cette situation contrastait vivement avec l’identification antérieure par l’auteur de la « démocratie primitive » en Gaule, renforçant l’idée d’une division de la société gauloise en deux catégories principales : les puissants et le peuple. En troisième lieu, à côté du service militaire, l’existence de l’impôt obligatoire – pourtant non pris en compte dans les Éléments de classification des sociétés pour contribuer à qualifier une société d’étatique – devenait l’argument majeur pour affirmer désormais que « tout, chez les Gaulois, indique déjà l’existence d’États […]67 ». Alain Testart rappelait que l’aristocrate éduen Dumnorix, l’un des personnages principaux de BG et le plus farouche opposant du conquérant, avait acquis à vil prix « la ferme des douanes et de tous les autres impôts des Éduens68 », parce que personne n’osait enchérir contre lui. L’extrait permettait à l’auteur d’affirmer que « la ferme d’impôt est tout à fait incompatible avec l’absence d’État69 », même s’il est impossible de savoir si le produit de l’impôt représentait autre chose que des taxes collectées au bénéfice des chefs les plus aisés.
31D’autres données peuvent toutefois être jointes au dossier. La présence dans plusieurs civitates d’un Sénat, composé de notables et de magistrats chargés de conduire la vie politique et l’administration de la civitas, à côté de l’assemblée populaire70, suggère qu’elles possédaient un appareil d’État. Cet élément en faveur d’une démocratie étatique apparaît mieux encore dans les débats qui accompagnèrent la conquête. Dans certaines cités, l’existence de tensions entre le Sénat et l’assemblée populaire au sujet de l’attitude à adopter face au conquérant romain, clairement attestées aussi dans les civitates hispaniques des iie-ier siècles av. J.-C.71, témoignerait d’une certaine pratique représentative, signifiant notamment que les hommes libres de basse et moyenne condition pouvaient s’opposer aux puissants. Et les tensions qui existaient au sein même de l’élite aboutirent parfois à la création d’une charge dont Alain Testart ne parle pas, et qui fut exercée un temps par Dumnorix lui-même : celle de vergobret.
Le vergobrétat et ses limites
32Comme le consul romain, le vergobret était un magistrat suprême élu pour un an par l’aristocratie et les Sénateurs72. Son titulaire exerçait un pouvoir absolu, « en particulier dans la conduite des affaires extérieures et dans le règlement des causes de justice73 ». L’origine du vergobret pourrait être rapprochée de celle du podestat des villes d’Italie du Nord aux xiie-xiiie siècles. Cette charge était née d’un conflit « entre l’aristocratie consulaire en place (et) le populus, composé d’hommes nouveaux qui aspir(ai)ent à obtenir une part du pouvoir politique conforme à leur importance économique74 ». Si le contexte politique était bien différent en Gaule, l’émergence du phénomène « hommes nouveaux » qu’illustre Dumnorix semble avoir été bien réel, et il fut peut-être favorisé par les transformations que connurent quelques grandes civitates aux iie-ier siècles av. J.-C. Le caractère récent du vergobrétat75 à l’arrivée de César a d’ailleurs été souligné. Laurent Lamoine y voit un produit parmi d’autres de « la romanisation en cours dans le monde gaulois76 », c’est-à-dire au moins dans les grandes civitates – les Éduens, les Lixoviens, les Santons, les Bituriges, les Lémovices et les Vellaves77 – où la fonction est mentionnée dans les sources. Le vergobrétat équivalait à confier la direction des affaires de la cité à une seule personne, comme dans les cités italiennes du Nord au milieu du Moyen Âge, en vue de limiter les conflits de pouvoir entre les familles dirigeantes. Une différence de taille existait cependant entre le podestat et le vergobret : le premier était choisi à l’extérieur de la ville et de son contado, mais le second était membre des familles les plus puissantes de la cité. Cette situation résultait peut-être moins de l’immaturité politique de ces dernières, et du caractère nouveau des conflits oligarchiques en leur sein, que d’une volonté du Sénat d’exercer un contrôle sur les représentants des plus puissantes d’entre elles. Le vergobret était en effet surveillé par ses pairs aristocrates, et des précautions étaient prises pour cantonner son action. Chez les Éduens, il ne pouvait pas quitter le territoire durant sa charge, ce qui lui interdisait « de mener des expéditions dans les territoires voisins pour soutenir son propre prestige78 ». L’on pourrait donc interpréter le vergobrétat en partie comme une tentative de diminuer ou de neutraliser l’entourage du magistrat, car « tout au long de la vie d’un Vergobret, aucun membre de sa famille n’avait le droit d’être en fonction, ni même d’être élu au Sénat, et cela dans le but évident de s’assurer que ce haut poste ne puisse servir à augmenter la puissance d’une dynastie79 ».
33La charge était pourtant convoitée, et l’élection du vergobret donnait parfois lieu à une véritable lutte entre représentants de ces familles, comme celle entre Convictolitavis et Cotos à l’occasion de l’élection de 52 av. J.-C. chez les Éduens80. Toujours chez ces derniers, l’action de Dumnorix montre aussi que l’équilibre des pouvoirs entre les grandes familles pouvait être rompu au profit de l’une d’entre elles, indiquant ainsi les limites du pouvoir vergobrétal. Car même si son argumentation est orientée, César signifie que Dumnorix était en train d’établir une puissance transfrontalière en Gaule centrale :
« [Il] avait non seulement un grand pouvoir sur son pays, mais encore sur les états voisins ; en vue du pouvoir, il avait fait épouser à sa mère un des hommes les plus nobles et les plus puissants de chez les Bituriges ; lui-même avait pris femme chez les Helvètes [il avait épousé la fille du chef Orgétorix] ; il avait marié sa sœur du côté maternel et ses parents dans d’autres états […]81. »
34Ces faits nous permettent-ils de mieux préciser le régime politique des civitates de la Gaule centrale ? Rappelons que la plupart d’entre elles présentaient les caractéristiques de la « civilisation » telle que la définit Colin Renfrew. D’autre part, l’existence du service militaire et de l’impôt, d’une assemblée aristocratique à côté d’une assemblée populaire, et d’une magistrature suprême plus ou moins contrôlée par celle-là, étaient incontestablement des signes extérieurs de l’existence de l’État. Mais le profil de chefs ambitieux disposant de moyens importants et exerçant leur influence en-deçà et au-delà des limites de leur civitas, comme Dumnorix et d’Orgétorix, évoque aussi l’existence d’une oligarchie transfrontalière, en mesure de fragiliser les institutions mal stabilisées des cités, et de provoquer des changements importants dans leur équilibre territorial. C’est d’ailleurs l’un de ces changements, à proximité de la frontière des possessions romaines, qui fournit à César le prétexte qu’il cherchait pour déclencher la guerre : le conquérant prétendit qu’Orgétorix avait essayé d’entraîner Dumnorix et d’autres chefs de parti ou de faction, comme le Séquane Casticus, à la conquête de toute la Gaule (BG I, III ; XXX). L’action d’Orgétorix montre que ni le Sénat, ni l’assemblée populaire, ni le vergobret s’il existait chez les Helvètes, n’étaient toujours en mesure de contrer efficacement des initiatives prises par les plus puissants, notamment parce que ces derniers disposaient d’armées ou de suites privées. Nous retrouvons ici l’un des éléments qu’Alain Testart met en avant pour expliquer les conditions d’apparition de l’État despotique en Afrique : le rôle des fidélités personnelles et des « hommes du roi82 ». C’est aussi pourquoi l’expression « démocratie étatique » ne décrit sans doute pas correctement le régime politique de ces grandes cités gauloises.
35En outre, l’emballement politique qui caractérisa la première moitié du ier siècle av. J.-C. dans certaines parties de la Gaule, avec la succession d’évènements en apparence contradictoires – la suppression un peu partout de la monarchie, l’introduction du vergobrétat dans les grandes cités au contact du monde romain, l’émergence de puissantes familles dirigeantes en mesure de prendre en main les destinées de ces dernières, etc., ne doit pas cacher un fait essentiel : les relations à l’œuvre dans cette accélération relevaient surtout du registre de l’honneur et de la fidélité, de la réciprocité ou de l’allégeance. Les notions de « frères de race », de « frères de sang », de civitas in fide, et le clientélisme, relevés par César, et que sous-tendaient ces valeurs et comportements, traversèrent ou épaulèrent les transformations politiques de cette période. Les relations entre les civitates continuaient à fonctionner sur le mode des relations interpersonnelles, et elles soulignent l’absence clairement identifiable de séparation entre une sphère publique et une sphère privée, ce qui contribuerait à expliquer les initiatives prises par Dumnorix, Orgétorix et quelques autres, dans leurs civitates respectives et dans les voisines. Le régime politique des grandes civitates gauloises ne semble donc pas avoir été dissociable des « pratiques sociales ordinaires ».
Régime politique et pratiques sociales ordinaires
36Le tableau que donne César des différentes catégories sociales de la Gaule est probablement biaisé, nous l’avons suggéré, car ses origines sociales l’ont conduit à insister davantage sur les privilégiés, qu’il assimile à des catégories romaines : les principes et les equites à côté des druides83. Mais s’il est plus discret sur les catégories inférieures, les historiens admettent que le conquérant n’a pas fondamentalement trahi ou déguisé la réalité sociale de la Gaule. Il mentionne chez les Gaulois les deux catégories de dépendants qui existaient à Rome à côté des esclaves : les clientes et les obaerati (BG VI, 19, 4). Pour ces derniers, un extrait décrit de façon assez précise le processus de leur chute dans la condition de client, montrant qu’il s’agissait à l’origine d’hommes libres victimes de la violence des rapports sociaux : « La plupart, quand ils se voient accablés de dettes, écrasés d’impôts, en butte aux violences de gens plus puissants, se mettent au service des nobles, qui ont sur eux les mêmes droits que les maîtres sur ses esclaves » (BG VI, 13). Un processus proche fut probablement à l’œuvre lors de la constitution des gentes dans la Rome archaïque, mais l’on sait que les clientes, qui incluaient à Rome les artisans et les agriculteurs dépendants des privilégiés, restaient des hommes libres. Le seul mot gaulois employé dans BG pour désigner une catégorie de personnes dépendantes, les ambacti84, est utilisé dans le contexte du service militaire85, et les historiens voient dans ces derniers « les suivants d’armes du chef, son escorte guerrière86 ». Les ambacti ne seraient donc pas plus à confondre avec les clientes qu’avec les sodales de la Rome primo-républicaine, qui étaient aussi des hommes libres. Et l’existence des premiers aurait relevé d’un contexte totalement étranger aux mœurs et coutumes romaines au temps de César.
Des « morts d’accompagnement » ou des « suicides d’accompagnement » ?
37Deux extraits célèbres de BG montrent aussi que César fut confronté à une autre réalité sans équivalent dans la société romaine contemporaine : la présence, pour reprendre l’expression d’Alain Testart, de la pratique des « morts d’accompagnement87 ». Le premier extrait fait allusion aux funérailles : « Les funérailles, eu égard à la civilisation des Gaulois, sont magnifiques et somptueuses ; tout ce que l’on pense que le défunt a chéri pendant sa vie est porté au bûcher, même les animaux ; il y a peu de temps encore, quand la cérémonie funèbre était complète, on brûlait avec lui les esclaves et les clients qui lui avaient été chers (BG VI, 19) ». Comme le relève Alain Testart, la formule « il y a peu de temps encore » est à prendre avec précaution. César fait sans doute moins allusion ici à une coutume qui avait cessé peu avant son arrivée, qu’il rapporte un écho d’une cérémonie qui n’était peut-être plus pratiquée depuis longtemps en Gaule88. Il n’empêche qu’il ne l’a sans doute pas inventée, et la formulation qu’il emploie montre que les défunts dont il parle étaient des membres masculins de l’élite sociale.
38L’autre extrait est plus précis puisqu’il touche à un épisode de la conquête. En Aquitaine, le jeune général Publius Crassus est confronté à Adiatuanus, le chef suprême du peuple aquitain des Sontiates, qui tente une sortie de la principale place forte de ces derniers, assiégée par les Romains. Il est entouré de « 600 hommes dévoués à sa personne, de ceux qu’ils appellent des soldurii », et dont César décrit la condition : « Ils jouissent de tous les biens de la vie avec ceux auxquels ils se sont unis par les liens de l’amitié ; si leur chef périt de mort violente, ils partagent le même sort en même temps que lui, ou bien se tuent eux-mêmes ; et, de mémoire d’homme, il ne s’est pas encore trouvé personne qui refusât de mourir quand l’ami auquel il s’était dévoué était mort (BG III, 22). »
39Parmi les nombreux commentaires auxquels cet extrait a donné lieu, Alain Daubigney met en avant les notions de devotio et de fides dans les relations entre les civitates, pour caractériser les relations entre ces dépendants et leurs chefs, et il rapproche les soldurii des ambacti89. Pour lui, les ambacti et les soldurii seraient deux catégories sociales dont la situation aurait évolué au fil des siècles. Elles auraient trouvé leur commune origine dans les « entoureurs » militaires de l’ancienne aristocratie celtique des ive-iiie siècles, c’est-à-dire les compagnons armés des chefs. Ils seraient devenus « un type de clients dont la dépendance était inscrite dans la fidélité qu’ils devaient au chef en retour de son charisme d’abord puis surtout de sa “protection” sociale et politique ensuite90 ». Mais Alain Daubigney part surtout de l’analyse des rapports sociaux de production dans la société gauloise, et sa perspective tend à réduire les notions de devotio et de fides à un rapport patron-colon, qui ne rend pas complètement compte de l’accompagnement du chef dans la mort par ses fidèles. L’auteur utilise toutefois deux extraits de BG pour appuyer son interprétation : d’un côté celui dans lequel César mentionne la familia du chef helvète Orgétorix, qui comprenait dix mille hommes venus l’aider dans des circonstances difficiles (BG I, 4), et de l’autre l’épisode des comites et familiares d’Ambiorix qui le défendent dans son aedificium contre un lieutenant du conquérant (BG VI, 30)91. Mais ces épisodes ne mentionnent pas le sacrifice suprême des fidèles à leur chef. Il est vrai que l’hypothèse finale d’Alain Testart sur le rôle des fidélités personnelles dans les États naissants n’intègre pas les « morts d’accompagnement », après que l’auteur en eût pourtant relevé des témoignages convaincants dans différentes parties du monde et à diverses périodes de l’histoire :
« Nous pensons que dans tout État naissant, dans tout État insuffisamment bureaucratisé ou encore dans tout État qui n’a pas fait naître l’idée de service public ou de vertu civique, qui n’a pas développé une certaine idée de l’obéissance fondée sur l’idée de mission ou de fonction, dans tous ces cas, le pouvoir du souverain s’appuie sur des fidélités personnelles92. »
40Cette légitime prudence, qui dissocie les fidélités personnelles des « morts d’accompagnement », s’expliquerait-elle par la difficulté à faire coïncider cette dernière pratique avec la problématique de la formation de l’État ? Il y aurait en effet un risque à formuler l’idée que dans tout État naissant les fidèles seraient systématiquement mis à mort avec leur chef, parce que l’idée de service public ou de vertu civique n’existe pas encore93. Mais l’exemple de la Gaule permet peut-être de penser le problème autrement. L’on a dit que le suicide chez les Gaulois pouvait revêtir une forme particulière de dévotion à autrui94, dont certaines circonstances avaient déjà interpellé Mauss : « un noble, au terme d’un échange de dons et de contre-dons qui l’ont amené à la ruine n’hésite pas à se faire donner la mort en public pour offrir, en contrepartie, de nouveaux cadeaux à ses proches95 ». Le sacrifice des soldurii d’Adiatuanus pourrait avoir eu un fond commun avec telle démarche. Il correspondrait assez bien aux notions de devotio et de fides justement relevées par Alain Daubigney, tout en permettant de nuancer – ou de faire disparaître – l’aspect « socialement obligatoire » du suicide des soldurii à la suite de la mort de leur chef, que lui donne l’auteur. Il n’y aurait alors plus aucune raison de vouloir interpréter le mot amicitas, employé par César pour qualifier les liens qui relient Adiatuanus à ses hommes, autrement que dans son sens romain.
41Laurent Lamoine envisage sans doute le problème d’une façon voisine, lorsqu’il voit la présence d’un possible substrat idéologique gaulois dans le suicide collectif des hommes de Sacrovir après celui de leur chef, prince gaulois et officier de l’armée romaine sous l’empereur Tibère96. En outre, les notions de « frères de sang » et surtout de civitas in fide, que César utilise pour qualifier les relations entre les civitates, sont trop proches des notions de devotio et de fides attachées aux suicides individuels et collectifs, pour qu’on puisse penser qu’elles appartenaient à un même ensemble mental ou idéologique, étranger tant à la mentalité romaine au temps de César qu’à la thématique des rapports sociaux de production, et à celle de la formation de l’État. Il s’agit peut-être de la grande différence qui sépare les « morts d’accompagnement » d’Alain Testart des soldurii d’Adiatuanus, qu’il faudrait sans doute mieux qualifier de « suicidés d’accompagnement ». Cette différence interdirait peut-être aussi de considérer les civitates gauloises comme de véritables États. Plus généralement, l’absence clairement identifiable de séparation entre une sphère publique et une sphère privée, d’une part, liée à un mode de relations entre les individus et les groupes, mais aussi probablement entre les civitates, fondé sur l’engagement et le respect de la parole donnée, d’autre part ; l’aspect enfin relativement « banal » du suicide chez les Gaulois, en relation probable avec un ensemble de croyances reliant l’individu au surnaturel, constituaient des habitus bien éloignés de « l’idée de service public ou de vertu civique », relevée par Alain Testart mais aussi chère aux Romains.
Famille, parenté, alliance
42La continuité – ou la confusion – entre privé et public chez les Gaulois, explique peut-être l’humour rétrospectif attribué depuis longtemps à l’une des plus célèbres formules de BG (VI, 11, 3) : « En Gaule, non seulement toutes les cités, tous les cantons et fractions de cantons, mais même, peut-on dire, toutes les familles sont divisées en partis rivaux97. » Cela n’empêchait pas les individus de pratiquer diverses formes de devotio et de fides les uns envers les autres, à l’image des modes de relations que les cités entretenaient entre elles. Si le suicide était la forme suprême de la devotio, il faut toutefois le séparer de l’autre pratique extrême en usage à Rome, déjà mentionnée et probablement bien connue de César : la vitae necisque potestas. Dire que le suicide était chez les Gaulois la forme suprême du dévouement à un obligé, et le meurtre du fils par le père à Rome la forme suprême du dévouement de ce dernier à l’État, traduirait peut-être au mieux l’absence de la double séparation privé/public et individuel/civil chez les Gaulois, en soulignant a contrario sa forte présence chez les Romains. Parallèlement, lorsque César rapporte que les Gaulois « ont droit de vie et de mort sur leurs femmes, comme sur leurs enfants » (BG XIX, 3), cet acte, comme le note Yann Thomas98, ne peut être qu’étrangeté ou même monstruosité pour les Romains contemporains de César. Car à l’époque la société romaine avait transformé depuis longtemps en crime tout meurtre domestique sans rapport avec la continuité de l’État. Et l’on peut opposer sans grand risque l’autorisation ou même l’obligation pour le père romain de tuer son fils au cas où celui-ci trahit la République, mais dans aucune autre circonstance, à la liberté dont semble bénéficier le père gaulois pour tuer le sien dans l’univers domestique, sans en rendre compte à une quelconque autorité. La non-criminalisation des meurtres domestiques est sans doute la meilleure preuve de la non-émergence de la lex et du maintien du jus en Gaule, et indirectement de l’absence de monopole de la violence par une autorité supérieure.
43Le droit de vie et de mort reconnu au père de famille sur sa femme et sur ses enfants pourrait toutefois contredire une évolution de la société gauloise mise en avant par Serge Lewuillon. Pour cet auteur, après avoir été longtemps patrilinéaire, celle-ci aurait évolué vers « la filiation indifférenciée99 ». Quels éléments peut-on réunir en faveur de cette hypothèse ? La résidence virilocale semble avoir été universellement répandue chez les Gaulois, et la filiation était ou restait patrilinéaire dans les catégories élevées de la société100. Pourtant, le fait encore souligné par César que les époux mettaient en communauté des apports dont le montant était égal, et que le conjoint survivant héritait pour le tout avec les intérêts du capital constitué (BG VI, 19, 1-2), vaut argument en faveur d’une certaine égalité entre les conjoints. L’existence de cette communauté économique témoignerait en faveur d’une société où l’investissement était pratiqué au sein du noyau conjugal, et elle s’enchaînerait avec l’opinion de Serge Lewuillon sur la notion de clan, qu’il juge avoir été « archaïque et en voie de disparition à la période gauloise101 ». L’exemple du chef Dumnorix, qui avait établi des alliances de haut niveau dans les civitates proches sans privilégier sa parenté paternelle, et marié sa propre mère avec un noble biturige (BG I, 18), confirmerait que les catégories sociales dirigeantes de certains peuples n’avaient pas, ou n’avaient plus, de prescriptions et de préférences en matière de mariage, hors la recherche d’alliances socialement avantageuses, et qu’ils avaient peut-être même levé des interdits antérieurs en matière de liens matrimoniaux.
Parenté et affinité
44Les chercheurs sont en général réservés sur le chapitre de la parenté en Gaule, et se limitent à parler de lignages et de patrilignages. Au-delà cependant, Serge Lewuillon avait tenté une approche de la parenté et de l’affinité, essentiellement à partir de BG et des Histoires de Tacite. Pour l’auteur, lorsque César parle de la familia gauloise, il avait sans doute en tête moins le sens latin du mot, c’est-à-dire « les groupes d’alliés et amis, ainsi que les clientes et les obaerati », que le premier cercle du groupe de parenté102. Il aurait compris ego, ses frères et sœurs, et ses parents (agnati). Les propinqui auraient regroupé un ensemble plus large commençant au quatrième degré latin, celui des cousins germains (consobrini). Au-delà, le troisième cercle aurait été celui des consanguinei sur lequel Serge Lewuillon restait prudent, car « dans la mesure où les degrés les plus proches ont déjà leur appellation, on peut formuler l’hypothèse que les consanguinei se situent au-delà du quatrième degré : comme des cousins issus de germains, par exemple103 ». Au-delà encore, la cognatio aurait été un terme générique regroupant les propinqui et les consanguinei, autrement dit la parenté « qui s’étend depuis les cousins ou peut-être même les oncles et qui finit là où commence l’alliance : à l’adfinitas104 ». C’est peut-être entre les propinqui et les consanguinei que se serait articulé auparavant le lien entre la famille étendue et le lignage, puisque le groupe des propinqui semble avoir constitué le tribunal familial ordinaire, notamment pour les cas d’adultère simple ou pour celui qu’on soupçonnait compliqué de meurtre105.
45Il est toutefois hasardeux de mettre cette reconstitution en relation avec ce que nous savons de l’espace gaulois et de son évolution. Serge Lewuillon pensait que les « nombreuses formules d’alliances » répandues chez les Gaulois constituaient « une des conditions de la cohésion des bandes celtiques en perpétuelles migrations », mais que c’est seulement vers la fin de l’âge du fer – c’est-à-dire peu de temps avant la conquête romaine – que la société gauloise aurait franchi une étape décisive avec « la triple articulation du territoire, de la parenté et de l’alliance106 ». La définition est cependant trop abstraite. D’un côté, elle se rapproche de celle que Maurice Godelier donne de la tribu, qui associe aussi parenté, organisation de la vie sociale et territoire. Mais les exemples ci-dessus, et à nouveau celui de Dumnorix (BG I, 18) s’appropriant « à vil prix » les péages et autres impôts des Éduens contre d’autres enchérisseurs, entretenant à ses frais une nombreuse cavalerie et ayant contracté des alliances familiales avantageuses chez les peuples voisins, confirme que la notion de tribu s’était effacée ou avait disparu, au moins dans certaines des grandes civitates. Parallèlement, si l’on inclut dans la définition de Serge Lewuillon les principales données que nous pouvons dégager de BG et des découvertes archéologiques récentes – l’apparition de « places centrales » de taille plus ou moins importante dans certaines civitates, et la centralisation relative de certains territoires (mais à nouveau : qu’est-ce qui était au juste centralisé ?) –, cette définition recouvre encore mal la réalité. Le terme d’« alliance » est en outre trop vague pour inclure les liens de devotio et de fides dont les chefs ou les oligarques pouvaient disposer pour s’assurer la plus vaste suite possible de clientes ou d’obligés. Enfin, au-delà de ces réserves, « la triple articulation du territoire, de la parenté et de l’alliance » n’aurait été au mieux vérifiable que pour les quelques cités de la Gaule centrale sur lesquelles nous sommes le mieux renseignés.
Une société en transition ?
46Plusieurs éléments permettent d’affirmer que certaines civitates gauloises se rapprochaient de la définition d’un État au temps de la conquête des Gaules, ou peu avant : 1) l’existence de magistrats suprêmes en lieu et place d’anciens rois, 2) celle d’assemblées représentatives : assemblée populaire et Sénat, 3) celle d’une capitale de la civitas, l’oppidum, 4) l’émission de monnaies dont la distribution spatiale correspond souvent au territoire d’une civitas, 5) la recherche et la possible mise au point d’une nouvelle échelle spatiale, plus ou moins centralisée, dans le contrôle du territoire, et 6) l’existence probable de ce qu’on peut appeler un service militaire obligatoire. Ces éléments en faveur d’une « centralisation » politique et administrative, et dans une certaine mesure économique, auxquelles on peut associer la recherche d’une possible complémentarité entre les territoires de certaines cités, accréditeraient aussi l’idée de l’affaiblissement ou de la disparition de l’appartenance tribale. D’autre part, la survie du territoire d’assez nombreuses civitates à travers les circonscriptions postérieures, comme celle de nombreux chefs-lieux urbains, montreraient que les Gaulois étaient parvenus à trouver un certain équilibre dans l’aménagement et le contrôle de l’espace, qui bénéficia durant de nombreux siècles aux formations politiques postérieures.
47Sur d’autres plans, les sources disponibles semblent attester une situation de transition. L’individualisation de certaines pratiques économiques au sein du couple, et le comportement d’un Dumnorix, iraient dans le sens de l’émergence d’une catégorie de privilégiés détachée des liens familiaux élargis. Les textes ne permettent pas de savoir si la vendetta familiale restreinte ou étendue était pratiquée en Gaule, et a fortiori quelles personnes étaient concernées et jusqu’à quel degré de parenté107. Mais les historiens semblent admettre qu’« aux vengeances individuelles ou collectives se substituèrent des procès ritualisés108 », dont ils attribuent la paternité aux druides. Au plan politique, l’existence de tensions entre le Sénat et l’assemblée populaire, mais aussi entre les factions des puissants et les assemblées, seraient les preuves d’une situation complexe et évolutive. La tentative d’Orgétorix d’entraîner plusieurs chefs de parti ou de faction à la conquête de toute la Gaule se heurta au « tribunal » des Helvètes et au frère de Dumnorix, Diviciacos, ami des Romains. L’épisode confirmerait toutefois que le monopole de la violence légitime et la souveraineté une et indivisible n’étaient encore guère assurés dans les civitates les plus évoluées de la Gaule du ier siècle av. J.-C., malgré l’existence d’une certaine centralisation et d’institutions représentatives. Les valeurs et comportements fondés sur les notions de devotio et de fides, partagés au moins par l’élite de la population masculine, jouaient probablement le même rôle dans les modes de gouvernement de certaines civitates que celui qui apparaît clairement sous la plume de César pour expliquer les relations entre ces dernières. Enfin, l’impossible séparation privé/public que ces valeurs et comportements véhiculaient, et l’inexistence d’une sphère civile autonome, notée avec le suicide pour autrui et la possibilité pour le père de famille de tuer sa femme et ses enfants, écartent encore les civitates gauloises des deux principales caractéristiques qu’Alain Testart et d’autres chercheurs associent à l’État.
Notes de bas de page
1 César, De Bello Gallico, VI, 11, 3 : « in Gallia, non solum in ciuitatibus atque in omnibus pagis partïbusque, sed paene etiam in singulis domibus factiones sunt ».
2 Tarpin Michel, « Les pagi romains : héritiers des communautés celtiques ? », in Dominique Garcia et Florence Verdin (dir.), Territoires celtiques. Espaces ethniques de agglomérations protohistoriques d’Europe occidentale, Paris, Éditions Errance, 2002b, p. 199-204, p. 199-200.
3 Ibid., p. 200. L’extrait souligne la proximité entre la tribus et le pagus romains ; il suggère aussi, à l’inverse, toute la distance entre la tribus romaine et la tribu des ethnologues contemporains.
4 Ibid., p. 202.
5 Ibid., p. 203.
6 Planhol Xavier de, Géographie historique de la France, op. cit., p. 24-25.
7 Brunaux Jean-Louis, Nos ancêtres les Gaulois, Paris, Seuil, 2008, p. 69.
8 Fichtl Stephan, Les peuples gaulois, iiie-ier siècles av. J.-C., Paris, Éditions Errance, 2004, p. 17.
9 Ibid., p. 8 ; Büchsenschütz Olivier, Colin Anne, Gruel Katherine et Ralston Ian, « Approche du territoire au second âge du fer », in Alain Daubigney (dir.), Fonctionnement social de l’âge du Fer. Opérateurs et hypothèses pour la France, actes de la table-ronde de Lons-le-Saunier, octobre 1990, Lons-le-Saunier, Cercle Girardot – Centre Jurassien du Patrimoine, 1993, p. 247-258.
10 Sergent Bernard, Les Indo-Européens. Histoire, langues, mythes, Paris, Payot, 1995, p. 205.
11 Autour de la commune actuelle de Chartres-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine). Les Carnutes ont donné leur nom à la ville de Chartres.
12 Tarpin Michel, « Les pagi romains : héritiers des communautés celtiques ? », art. cité, p. 203.
13 Les extraits qui suivent sont issus de l’édition de Rat Maurice, La Guerre des Gaules, Paris, Garnier-Flammarion, 1964.
14 Thévenot Émile, Les Éduens n’ont pas trahi. Essai sur les relations entre les Éduens et César au cours de la guerre des Gaules et particulièrement au cours de la crise de 52, Bruxelles, coll. Latomus, vol. L, 1960, p. 18.
15 Les historiens discutent encore pour savoir si les Tigurins était un pagus des Helvètes, comme le prétend César, où s’ils formaient un peuple à part. Un pagus Tigurinus est néanmoins mentionné dans les environs de Nyons après la Guerre des Gaules (Tarpin Michel, « Les Tigurins étaient-ils des Helvètes ?, Prélude à l’histoire de la Suisse », in Philippe Curdy, Laurent Flutsch et Gilbert Kaenel (dir.), D’Orgétorix à Tibère (colloque A.R.S., Porrentruy, 1995), Lausanne, A.R.S, 1997, p. 11-20, p. 14).
16 Kolendo Jerzy, « Les “déserts” dans les pays barbares. Représentation et réalités », Dialogues d’histoire ancienne, vol. 17, no 1, 1991. p. 35-60, p. 56.
17 Planhol Xavier de, Géographie historique de la France, op. cit., p. 200-201.
18 Ibid., p. 207.
19 Ibid., p. 213.
20 Gandini Cristina, Des campagnes gauloises aux campagnes de l’Antiquité tardive : la dynamique de l’habitat rural dans la cité des Bituriges Cubi, thèse d’histoire, dir. Françoise Dumazy, université Paris I, 2006, vol. 1, p. 69.
21 Trément Frédéric, « Aux origines de la cité arverne », in Daniel Martin (dir.), L’identité de l’Auvergne. Mythe ou réalité historique. Essai sur une histoire de l’Auvergne des origines à nos jours, Nonette, Créer, 2002, p. 167-193, p. 175.
22 Ibid., p. 173, 179.
23 Gandini Cristina, Des campagnes gauloises aux campagnes de l’Antiquité tardive, op. cit., p. 49.
24 Trément Frédéric, « Aux origines de la cité arverne », art. cité, p. 173.
25 Büchsenschütz Olivier, « Major settlements in European Iron Age society », in Bettina Arnold et D. Blair Gibson (dir.), Celtic chiefdom, Celtic state. The evolution of complex social systems in prehistoric Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 53-63, p. 61.
26 Ibid., p. 62.
27 Ibid., p. 63.
28 Planhol Xavier de, Géographie historique de la France, op. cit., p. 198.
29 Ralston Ian, « Fortifications, oppida, résidences aristocratiques », in Christophe Batardy, Olivier Buschenschutz et Françoise Dumasy, Le Berry antique, Atlas 2000, Supplément 21 à la Revue Archéologique du Centre de la France (RACF), 2001, p. 76. Voir aussi Büchsenschütz Olivier, « Les Celtes et la formation de l’Empire romain », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2004/2 (59e année), p. 337-361.
30 Pistes intéressantes dans Kerneis Soazick, « Lois et coutumes dans l’Empire romain. À propos du droit vulgaire », in Johannes J. Hallebeek, Martin Schermaier, Roberto Fiori, Ernest Metzger et Jean-Pierre Coriat, Inter cives necnon peregrinos: essays in honour of Boudewijn Sirks, Göttingen, V & R unipress, 2014, p. 367-384.
31 Felixbeger Josef, « Sub-, Ad und Superstrate und ihre Wirkung auf die romanischen Sprachen: Galloromania/Substrats, adstrats et superstrats et elur influence sur les langues romanes : la Galloromania », Romanische Sprachgeschichte/Histoire linguistique de la Romania, 3. Teilband/tome 3, Berlin/New York, De Gruyter, 2008, p. 594-605.
32 Ces éléments peuvent se recouper mais ne coïncident qu’exceptionnellement, car ils mettent en œuvre des dynamiques différentes et possèdent chacun une chronologie propre. Pierre Bonnaud mettait ainsi en garde contre « la confusion entre province historique et domaine ethnique et dialectal » (Bonnaud Pierre, Terres et langages, peuples et régions, Clermont-Ferrand, Auvernhà Tarà d’Oc, 1981, II. Atlas et annexes, p. 114). Voir aussi Jean-René Trochet, « Éléments de géographie historique des techniques agraires en Gaule, d’après le lexique français d’origine gauloise », Géographie et cultures, 14, 1995, p. 31-42.
33 Voir notamment le célèbre article de Jean-Claude Chamboredon : Chamboredon Jean-Claude, « Carte, désignations territoriales, sens commun géographique : les “noms de pays” selon Lucien Gallois », Études rurales, vol. 109, no 1, année 1988, p. 5-54.
34 Patrice Brun désigne en réalité sous le mot pagus le territoire de la civitas des Suessions, c’est-à-dire, nous y reviendrons, une acception qui ne se développe pas avant le Bas-Empire.
35 Brun Patrice, « Territoire et agglomérations chez les Suessiones », in Dominique Garcia et Florence Verdin (dir.), Territoires celtiques, Paris, Éditions Errance, 2002, p. 306-314, p. 308.
36 Ibid., p. 309.
37 Planhol Xavier de, Géographie historique de la France, op. cit., p. 219.
38 Ibid., p. 24.
39 Ibid., p. 204.
40 Ibid., p. 210.
41 Ibid., p. 188.
42 Ibid., p. 219.
43 Grinberg Martine, Geoffroy-Poisson Simone et Laclau Alexandra, « Rédaction des coutumes et territoires au xvie siècle : Paris et Montfort-L’Amaury », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 59-2, no 2, 2012, p. 7-55.
44 Planhol Xavier de, Géographie historique de la France, op. cit., p. 219.
45 Ibid.
46 Fichtl Stephan, Les peuples gaulois, iiie-ier siècles av. J.-C., op. cit., p. 125-126.
47 Ibid, p. 126.
48 Ibid, p. 127.
49 Brun Patrice, « Territoire et agglomérations chez les Suessiones », art. cité, p. 306.
50 Fichtl Stephan, Les peuples gaulois, iiie-ier siècles av. J.-C., op. cit., p. 138.
51 Ibid.
52 Ibid., p. 139.
53 Ibid., p. 133-134.
54 Ibid., p. 136.
55 Arbabe Emmanuel, Du peuple à la cité. Vie politique et institutions en Gaule chevelue, depuis l’indépendance jusqu’à la fin des Julio-Claudiens, thèse d’histoire, dir. François Chausson, université Paris 1, 2013, p. 162.
56 Fichtl Stephan, Les peuples gaulois, iiie-ier siècles av. J.-C., op. cit., p. 142.
57 Brunaux Jean-Louis, Nos ancêtres les Gaulois, op. cit., p. 68.
58 Testart Alain, Éléments de classification des sociétés, op. cit., p. 106.
59 Garcia-Riaza Enrique et Lamoine Laurent, « Les réunions politiques des Gaulois », in Clara Berrendonner, Mireille Cébéillac-Gervasonni et Laurent Lamoine (dir.), Le quotidien municipal dans l’Occident romain, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2008, p. 129-146.
60 Ibid., p. 141.
61 Ibid.
62 Testart Alain, Éléments de classification des sociétés, op. cit., p. 107.
63 Id., Avant l’histoire. L’évolution des sociétés, de Lascaux à Carnac, op. cit., p. 485.
64 Ibid., p. 486.
65 Id., Éléments de classification des sociétés, op. cit., p. 107.
66 Id., Avant l’histoire. L’évolution des sociétés, de Lascaux à Carnac, op. cit., p. 483.
67 Ibid., p. 485.
68 BG I, 18, cité par Testart Alain, Avant l’histoire. L’évolution des sociétés, de Lascaux à Carnac, op. cit., p. 485.
69 Ibid., p. 486.
70 Garcia-Riaza Enrique et Lamoine Laurent, « Les réunions politiques des Gaulois », art. cité, p. 137-139.
71 Ibid., p. 140.
72 Lamoine Laurent, « La pratique du vergobret : le témoignage de César confronté aux inscriptions », Cahiers du Centre Gustave Glotz, 17, 2006, p. 81-104, p. 85.
73 Ibid., p. 92.
74 Menant François, « Podestats et capitaines du peuple d’origine crémonaise », in Jean-Claude Maire Vigueur (dir.), I podestà dell’Italia comunale, I : Reclutamento e circolazione degli ufficiali forestieri (fine xii sec. – metà xiv sec.), Rome, 2000, p. 75-105 (Collection de l’École française de Rome, 268 – Istituto Storico Italiano per il Medio Evo. Nuovi Studi Storici, 51), p. 78.
75 L’expression est de Laurent Lamoine.
76 Lamoine Laurent, « La pratique du vergobret : le témoignage de César confronté aux inscriptions », art. cité, p. 92-93.
77 Ibid., 85.
78 Cunliffe Barry, La Gaule et ses voisins. Le grand commerce dans l’Antiquité, Paris, Picard, 1993, p. 109.
79 Lamoine Laurent, « La pratique du vergobret : le témoignage de César confronté aux inscriptions », art. cité, p. 92.
80 Verger Stéphane, « Société, politique et religion en Gaule avant la Conquête. Éléments pour une étude anthropologique », Pallas. Revue d’Études antiques, 80/2009, p. 61-82.
81 BG I, XVIII, p. 24.
82 Testart Alain, Éléments de classification des sociétés, op. cit., p. 116.
83 Dunham Sean B., « Caesar’s perception of Gallic social structures », in Bettina Arnold et D. Blair Gibson (dir.), Celtic chiefdom, Celtic state, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 110-115.
84 Daubigney Alain, « Reconnaissances des formes de la dépendance gauloise », Dialogues d’histoire ancienne, vol. 5, 1979, p. 145-189, p. 148 sq.
85 Dunham Sean B., « Caesar’s perception of Gallic social structures », art. cité, p. 113.
86 Kerneis Soazick et Poly Jean-Pierre, « Proto-féodalité. Vassaux et fiefs avant la société féodale », in Jean-Pierre Poly et Eric Bournazel, Les féodalités, Paris, PUF, 1998, p. 17-109, p. 25.
87 Testart Alain, Les morts d’accompagnement. La servitude volontaire I, op. cit., p. 159-162.
88 Ibid., p. 161.
89 Daubigney Alain, « Reconnaissances des formes de la dépendance gauloise », art. cité, p. 161 sq.
90 Ibid., p. 168.
91 Ibid.
92 Testart Alain, Les morts d’accompagnement. La servitude volontaire I, op. cit., p. 232.
93 Alain Testart ne revient d’ailleurs pas sur les « morts d’accompagnement » dans sa dernière grande synthèse sur l’évolution des sociétés préhistoriques et proto-historiques (Testart Alain, Avant l’histoire. L’évolution des sociétés, de Lascaux à Carnac, op. cit.).
94 Lewuillon Serge, « Affinités, parentés et territoires en Gaule indépendante : fragments d’anthropologie », Dialogues d’histoire ancienne, 16-1, 1990, p. 287-357, p. 325.
95 Mauss Marcel, « Sur un texte de Posidonius, le suicide, contre-prestation suprême », Revue celtique, no 42, 1925, p. 324-329 ; cité dans Brunaux Jean Louis, « Visage de la mort et du mort en Gaule celtique, ou la philologie et l’archéologie peuvent-elles faire bon ménage ? », Revue archéologique de Picardie, no 1-2, 1998, table ronde de Ribemont-sur-Ancre (Somme) les 4 et 5 décembre 1997: Les rites de la mort chez les Celtes du Nord/Les sépultures à l’incinération laténiennes d’Allonne (Oise) p. 257-269, p. 258.
96 Lamoine Laurent, Le pouvoir local en Gaule romaine, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2009, p. 103-104.
97 Cité par Lewuillon Serge, « Affinités, parentés et territoires en Gaule indépendante », art. cité, p. 331.
98 Thomas Yann, « Vitae necisque potestas. Le père, la cité, la mort », art. cité, p. 502.
99 Lewuillon Serge, « Affinités, parentés et territoires en Gaule indépendante », art. cité, p. 332-333.
100 Brun Patrice, « From chiefdom to state organization in Celtic Europe », in Bettina Arnold et D. Blair Gibson (dir.), Celtic chiefdom, Celtic State, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 13-25, p. 18.
101 Lewuillon Serge, « Affinités, parentés et territoires en Gaule indépendante », art. cité, p. 335.
102 Ibid., p. 345-346.
103 Ibid., p. 344.
104 Ibid., p. 345.
105 Ibid., p. 343.
106 Ibid., p. 353.
107 Les idées « panceltiques » d’Henri Hubert sur la vendetta et la compensation ne sont plus guère reprises aujourd’hui : « Les torts ne comportent que la vengeance privée ou la compensation. Le droit celtique repose sur l’arbitrage, la composition, la saisie. Le système de composition a été particulièrement codifié et développé par l’établissement de tarifs fixés et coordonnés selon la qualité des personnes ayant droit au paiement des dommages et la nature des fautes et offenses » (Hubert Henri, Les Celtes depuis l’époque de la Tène et la civilisation celtique, Paris, Albin Michel, 1932, p. 238-239).
108 Brunaux Jean-Louis, Nos ancêtres les Gaulois, op. cit., p. 160.
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