1Plusieurs études sur les lotissements ont porté sur la formation du tissu urbain en mettant en avant les différents processus de composition de la forme urbaine sur des terrains vierges ou non, en étudiant notamment les découpages, les recompositions parcellaires et leurs acteurs. Nous faisons référence plus particulièrement aux deux thèses sur le Paris intra-muros d’Annie Térade, sur le quartier de l’Europe, et d’Amina Sellali, sur les lotissements privés du 20^e arrondissement1.

2Nous nous intéresserons ici à la formation du parcellaire en banlieue parisienne de première et deuxième couronne à travers les exemples de deux lotissements créés au cours des années 1860. Le premier est engagé à partir de 1862 sur la Prairie Saint-Jean, entre l’ancien bourg de Corbeil et celui d’Essonnes. Le second, le « Nouveau Village de la Garenne de Colombes », est créé en 1865 sur la commune de Colombes2. Ils se différencient d’abord par leur situation et leur contexte : le premier s’inscrit dans une ville de sous-préfecture, à fort développement industriel, et le second s’apparente aux lotissements dit de « villégiature » développés en banlieue parisienne dans des paysages peu urbanisés à partir des années 1820. Ils se distinguent aussi par leur taille : à Corbeil le lotissement initial comprend six rues et son agrandissement en 1886 une dizaine supplémentaires3, alors qu’à La Garenne de Colombes, une vingtaine de voies sont ouvertes d’emblée sur un territoire beaucoup plus vaste. Cependant, l’un comme l’autre sont à l’origine créés sur un vaste terrain appartenant à un seul propriétaire, ce qui facilite la réalisation du projet et l’implantation de tracés réguliers.

3Les deux lotissements s’inscrivent dans un processus d’extension suburbaine particulier. Si celui de la Prairie amorce la liaison entre deux villes qui fusionneront au xx^e siècle en une seule municipalité, Corbeil-Essonnes, le second engendre une petite ville nouvelle qui obtiendra son autonomie communale, sous le nom de La Garenne-Colombes, au début du xx^e siècle et sera englobé progressivement dans la densification de la première couronne parisienne. Notons également ici, sans l’étudier davantage, que la création du chemin de fer facilite la réalisation de ces deux grands lotissements4.

4L’étude comparative des contextes et temporalités, dans lesquels ils ont été créés, dévoile un certain « art du découpage parcellaire » en lotissement qui se développe à Paris et au-delà de l’octroi sous la Restauration5. Leur plan initial fait effectivement apparaître des découpages réguliers à partir d’axes principaux, voire même d’une séquence monumentale dans le cas de la Garenne de Colombes. Nous observerons si ce découpage premier a été respecté lors de la réalisation des lotissements et comment il s’est modifié. Nous y associerons également l’étude des caractéristiques typologiques de bâtiments permettant d’identifier les catégories sociales des destinataires : pour Corbeil, les habitants s’installent de manière durable, avec une mixité allant jusqu’aux ouvriers des usines locales, tandis qu’à la Garenne-Colombes, la population d’origine est bien une clientèle de villégiature6.

La genèse des deux lotissements : de la Restauration au Second Empire

Le lotissement de la Prairie Saint-Jean à Corbeil

5Corbeil se distingue des nombreuses petites villes situées autour de Paris par son rôle administratif : sous-préfecture du département de Seine-et-Oise, elle présente au début du xix^e siècle tous les attributs d’une ville du point de vue de ses équipements ; c’est aussi un bourg industriel en plein développement parmi les plus importants de la région parisienne avec un port à la confluence de la Seine et de l’Essonne. L’inauguration du chemin de fer de Paris à Corbeil, le 17 septembre 1840, encourage un certain dynamisme, mais c’est surtout le prolongement de la ligne vers Melun au début des années 1860 et le déplacement de la gare initiale plus près du bourg d’Essonnes qui accélèrent l’urbanisation et enclenche le projet d’un plan d’extension. Le transfert des terres provenant de l’aménagement de la nouvelle ligne ferroviaire permettra de remblayer la Prairie de Saint-Jean et facilitera son nivellement7 (figure 1).

Fig. 1. – Extrait du Plan général d’assemblage des traverses de la ville de Corbeil, 1852, AN-F¹⁴10229, avec les noms des principaux lieux cités rajoutés par l’auteur.

6L’idée d’urbaniser cette prairie est cependant antérieure, puisque l’actuelle rue Louis-Ernest Feray, tracée dans le prolongement du pont sur la Seine, apparaît dans le plan d’alignement discuté et approuvé au cours des années 18408. Mais cette voie ne sera pas ouverte alors et, de fait, les terrains situés entre les deux communes de Corbeil et d’Essonnes restent libres jusqu’au début des années 1860.

7En avril 1862, un traité concernant l’ouverture de nouvelles rues dans la prairie Saint-Jean est passé avec Feray, industriel, et sa sœur, la baronne de Champlouis, héritiers des terrains désignés également sous le nom de « la Prairie de Corbeil9 ». Ce traité prévoit la construction par la municipalité de Corbeil de trois ponts sur la rivière de l’Essonne, destinés à faciliter les liaisons entre le bourg et la Prairie Saint-Jean10, ainsi que la rétrocession à la ville des terrains nécessaires à l’ouverture de quatre voies dans cette prairie11. Les deux principales, qui structurent le projet, ont 12 m de large, et seront agrémentées d’arbres de plantation : ce sont les actuelles rues de Feray et de Champlouis qui se coupent en rond-point sur la place Salvandy ; les deux autres voies n’ont que 9 m de large, les rues Galignani (actuelle rue Jean-Jacques Rousseau) et Vigier. Une cinquième voie sera rapidement rajoutée : la rue Cullion. Les îlots ainsi créés sont divisés de manière à offrir des parcelles régulières pour la construction de maisons. Des terrains sont réservés pour l’implantation d’équipements publics, le long de la rue Feray (pour la Prison et l’asile associé à l’école communale de Filles) et sur la rue de Champlouis (pour la Gendarmerie). Le tribunal et la Caisse d’épargne déménageront du centre ancien pour s’installer sur la place Salvandy dans des locaux plus vastes, renforçant ainsi la monumentalité urbaine de l’extension en lien avec la future gare et la ville d’Essonnes.

8Le traité est corrigé deux ans plus tard et les rues du lotissement modifiées entre la rue de Champlouis et la rivière de l’Essonne pour mieux rentabiliser le découpage des îlots. La future rue Galignani est ainsi légèrement déplacée et prolongée vers le nord jusqu’à la rue Feray, s’arrêtant à la rue Culion, nouvelle rue projetée. D’autres voies apparaissent sur la Prairie, comme l’actuelle rue Carnot (ancienne rue Tandou ou chemin vicinal n^o 6), qui deviendra le support de nouvelles parcelles à bâtir et sera prolongée au sud, de l’autre côté de la rivière de l’Essonne, sur le site dit de la Prairie de Nagis. Ce projet sera complété après 1870 par l’ouverture d’autres voies publiques et privées, notamment de part et d’autre des allées Saint-Jean, entre la rivière de l’Essonne et la rue Feray prolongée, ainsi que sur la commune d’Essonnes, dans la Prairie de l’Indienne dont la famille Tandou était le principal propriétaire12.

Le lotissement de la Garenne de Colombes

9La commune de La Garenne-Colombes est née principalement d’un unique lotissement, créé en 1865 sur une « garenne » de 345 arpents (118 ha 2 a), située au sud du bourg de Colombes, sur un territoire jouxtant Courbevoie et délimité à l’ouest et à l’est par les deux anciennes routes de Paris à Bezons et de Colombes à Courbevoie. Il s’agissait de l’un des derniers terrains libres dans la première couronne parisienne à être urbanisé.

10Toutefois, l’idée de lotir cette garenne est antérieure : en 1820, le domaine avait été vendu par Jean-Noël Corvisart13, médecin de Napoléon, à Adelaïde Rubichon, principale acquéreur, et à son frère pour le reste ; en 1825, tous deux fondèrent une société, dite Société du Parc de la Garenne de Colombes, à l’origine d’un premier projet. Les actes de la société furent déposés chez M^e Étienne Prosper Vasseur-Desperrier, notaire à Paris14, stipulant notamment que des routes, rues et places publiques seraient ouvertes sur le domaine, et que des équipements y seraient érigés (église, presbytère, mairie, corps de garde et abreuvoir) : une taxe prélevée sur la vente des terrains devait en financer la construction15. Un plan conservé au cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale montre le dessin des voies et l’emplacement des bâtiments édilitaires16. Il est signé par l’architecte Constantin qui a participé à plusieurs projets et réalisations de lotissements, notamment la Nouvelle-Athènes, les quartiers Poissonnière et de Saint-Georges à Paris, et Maisons-Laffitte en banlieue17. Au centre du domaine, s’inscrivait une place ronde d’où partaient dix voies rayonnantes, de largeurs différentes, et sur laquelle donnaient les équipements aux façades symétriques. La place était doublée d’une voie circulaire délimitant l’arrière de ces bâtiments, suivant un dispositif analogue à celui de Maisons-Lafitte et que l’on retrouvera sous le Second Empire, à une bien plus grande échelle, sur la place de l’Étoile à Paris. L’anneau était redoublé par une voie serpentine. Deux voies tangentielles au nord et au sud de la place, à peu près parallèles entre elles, reliaient les anciennes routes de Paris à Bezons et de Colombes à Courbevoie.

11Le plan de ce premier projet signé par l’architecte Constantin n’indique pas de parcellaire ; mais dans le procès-verbal concernant la liquidation de la société en 183118, se trouve un autre plan signé Charles Rohaut-de-Fleury19 qui reprend le principe de celui de Constantin, tout en le simplifiant, supprimant les voies circulaires et serpentines, ainsi que les placettes situées aux principaux carrefours. Il ne conserve que quatre voies rayonnantes sur la place principale où se dressaient les bâtiments construits à l’initiative de Rubichon. Sur ce second plan figure en revanche un découpage de la propriété en îlots, constitués de bandes de parcelles parallèles, sauf pour celles rayonnantes bordant la place centrale et, au sud-ouest, le château (figure 2).

Fig. 2. – Plan d’une propriété […] appelée la Garenne de Colombes dessiné par Charles Rohault, AN-mc-XV [425].

12S’agit-il du plan parcellaire initial ou bien d’un projet postérieur fait par Rohault de Fleury pour la vente en lots ? Le texte qui l’accompagne ne le précise pas, et ce découpage ne fut pas appliqué à la suite de la liquidation de la société et à l’acquisition du domaine en 1832 par Pierre-Urbain Sartoris, banquier à Londres20. À la mort de sa veuve, ses six enfants en héritent et le conservent en indivision jusqu’en 1867. En 1865, ils reprennent le projet de lotissement qui prend alors le nom de « Nouveau village de la Garenne ». Le cahier des charges du projet est déposé chez Gustave Robin et son collègue, notaires à Paris. Le plan nouvellement proposé diffère de celui dessiné par Constantin, toutefois l’idée d’une place centrale circulaire organisatrice des tracés est conservée, mais elle est déplacée plus au sud et seulement huit voies y convergent de façon symétrique. La place-carrefour oriente un axe majeur qui commande plus au nord une place en deux exèdres semi-circulaires autour de l’église. De la place-carrefour part également une double diagonale de larges voies (boulevard de la République et rue de l’Aigle) reliant le lotissement aux communes proches. La superposition de ces diagonales sur la trame viaire orthogonale des voies secondaires génère des îlots sensiblement carrés, rectangulaires et triangulaires. Six « quartiers » composent alors ce nouveau village : de Colombes au nord, de Courbevoie au sud, de Plaisance à l’est, de Charlebourg à l’ouest et de l’Église et du Centre au centre.

13Cette structure rayonnante assez classique s’inscrit dans la filiation des lotissements de la Restauration – comme celui du Quartier de l’Europe à Paris ou ceux de la Plaine de Passy et du Village de Billancourt. Mais la construction de maisons individuelles est ici essentiellement envisagée – sauf au niveau des axes principaux (boulevard de la République et rue Voltaire) et des carrefours importants, où des petits immeubles collectifs seront édifiés.

Le découpage des îlots, la forme et la taille des parcelles

Un essai de rationalisation des parcelles : la prairie Saint-Jean à Corbeil

14Le découpage régulier d’îlots fait partie d’un savoir-faire qui s’est transmis en France depuis les bastides, les villes royales, jusque dans les extensions en lotissements de la Restauration ou du Second Empire, comme ceux de Beaugrenelle, de la Plaine de Passy, des Sablons ou de la Plaine Monceau.

15À Corbeil, plusieurs plans de lotissement ont été dressés par le géomètre J.-E. Barthélémy. Le plus précis est sans doute celui de 1866, qui accompagne l’acte de donation à la ville des terrains sur lesquels sont ouvertes les rues21. Si les îlots ne sont pas toujours homogènes, ils offrent une gamme de parcelles avec des constantes géométriques et de dimensionnement en façade bien que de tailles différentes (voir cahier couleur, ill. II).

Ill. II. – Prairie Saint-Jean : plan géométrique des rues et place ouvertes par suite des donations faites par M. Feray et par M^me la baronne de Champlouis et par M^r Tandou, oct. 1866. Barthélémy géomètre, AMCE, Oi 216, 4^e liasse.

16Entre la rue de Champlouis et la rivière de l’Essonne, deux rues de 9 m de largeur redécoupent le secteur. L’îlot parfaitement rectangulaire qui en résulte, entre la rue de Champlouis et la rue dite n^o 5, est fractionné dans le sens de la longueur en deux surfaces identiques ; chacune de ces parties est elle-même redivisée : du côté de la rue de Champlouis en quatre parcelles semblables d’une superficie équivalente (965 et 966 m²), et sur la rue secondaire de 9 m de large, ce sont huit parcelles qui sont proposées, d’une superficie égale de moitié (entre 482 et 483 m²). Sur cet îlot, les parcelles font 26,75 m de large en façade sur la rue de Champlouis, et la moitié, soit 13,375 m, sur la rue n^o 5, pour une profondeur approximativement de 36 m. La rue principale (de Champlouis) vise a priori une clientèle plus aisée que celle des rues secondaires et représente une meilleure adresse.

17Si l’on s’intéresse toujours à cette voie n^o 5, on trouve un groupe de 14 parcelles régulières sur le côté ouest qui se répartit en trois ensembles : l’un de huit parcelles (de 482 ou 483 m²) ; le second de quatre parcelles (de 459 ou 458 m²) ; le troisième en comportant deux de taille légèrement différentes (respectivement de 419 m² et 500 m²). L’angle donnant sur la rue Feray est occupé par une plus grande de 1 211 m². Du côté est de cette même voie n^o 5, nous relevons un ensemble de six parcelles quasiment identiques (de 615 ou 616 m²), ainsi qu’un autre groupe de quatre de 1 061,50 m² chacune.

18L’îlot triangulaire bordé par les rues Feray, de Champlouis et Tandou, est quant à lui découpé en « arêtes de poisson » selon le modèle utilisé dans les lotissements de la Restauration à Paris, comme celui du quartier de l’Europe ou de la Plaine de Passy. La géométrie du parcellaire des îlots triangulaires répond au double principe de l’orthogonalité à l’alignement des voies et de la délimitation des fonds par les bissectrices de chaque angle. Même dans le cas de largeurs de façade similaires, les superficies des parcelles varient en raison des profondeurs. Les parcelles d’angle sont atypiques, étant en général biseautées et non découpées par la bissectrice. Elles épousent une forme pentagonale irrégulière, leur superficie le plus souvent moindre, est compensée par un plus grand développé en façade.

19On retrouve ce principe à Corbeil avec des largeurs de parcelles plus grandes sur les voies de 12 m et plus petites sur celles de 9 m, à l’exception de l’actuelle rue Jules Lemaire (rue n^o 4) menant à la rivière de l’Essonne. Les superficies varient de 617 à 1 764 m², les plus vastes étant situés au centre de l’îlot, sur les rues de Champlouis et Feray, les plus petits aux angles des rues. Entre la rue Féray et le canal de Chateaubourg, les parcelles sont plus importantes et varient de 1 196 à 3 639 m².

20Le découpage parcellaire finalement réalisé comporte de nombreuses modifications par rapport à ce plan initial, telles qu’elles apparaissent sur les plans plus tardifs, le cadastre actuel et les actes notariés. Des redivisions ou agrandissements de lots ont souvent été pratiqués : les largeurs en façade sont beaucoup plus variées que dans le plan de 1866, allant de 7 m environ à plus de 20 m, la majorité se déclinant autour de 10 et 15 m.

21De nouvelles parcelles à bâtir sont offertes lors de l’ouverture des nouvelles voies dans le prolongement du lotissement initial, à partir des années 1870. Elles sont dans l’ensemble assez homogènes, de formes rectangulaires et bien que les superficies s’échelonnent entre 495 m² et 2 566 m², et en moyenne autour de 700 m².

De la figure idéale à sa réalisation pragmatique : le nouveau village de la Garenne de Colombes

22Comparé au lotissement de Corbeil, la Garenne de Colombes présente une figure urbaine plus remarquable avec un tracé dominant en étoile sur une grille de voies secondaires. Le soin donné à la régularité des îlots apparaît avec plus d’évidence. La superposition des deux géométries radiales et à grille a généré trois types d’îlot : un îlot approximativement « carré », un îlot « rectangulaire » qui constitue en fait la moitié du précédent, et un îlot « triangulaire » (figure 3).

Fig. 3. – Plan général du village de la Garenne, […] dressé par Lafolie, géomètre, juin 1879, AN, mc, XV [2256].

23Les îlots « carrés » et « rectangulaires » tendent à constituer une grille régulière22. Pour l’îlot triangulaire, le découpage, orthogonal par rapport aux rues, s’appuie également sur le principe de la bissectrice des angles comme à Corbeil : les limites de fond de parcelle sont donc biaises par rapport aux façades sur rues.

24Les dimensions de l’îlot carré sont de 140 × 150 m ; l’îlot est redécoupé en quatre avec une division de parcelles « en épi » à partir de chaque angle. Les façades étant de largeur à peu près similaire (20 ou 25 m), la superficie des parcelles augmente depuis les angles vers le milieu de l’îlot dans une progression géométrique et arithmétique. L’îlot-type carré propose ainsi 24 parcelles d’une superficie de 600 m² à 1 500 m². Le découpage parcellaire est standard, avec des largeurs, profondeurs et superficies récurrentes et à mesures rondes : 20 ou 25 m de large, 30, 40, 60 ou 75 m de profondeur et 600, 800, 1 000 ou 1 500 m² de superficie. Les petites parcelles d’angle ont systématiquement 20 m de large. Cet îlot idéal ne se trouve en fait que dans le quartier de Plaisance, ainsi que dans le quartier de l’Église. Les îlots situés sur les côtés extrêmes du lotissement, comme ceux le long de la route de Paris à Argenteuil, de la rue des Voies du Bois, ou la rue Haute de Bezons se déforment pour s’adapter à la forme du terrain initial, mais conservent, si possible, la même largeur de parcelles, la profondeur étant alors un élément d’adaptabilité.

25L’îlot rectangulaire-type a 140 m de largeur pour une profondeur de 69 m. On le trouve principalement dans les quartiers de Charlebourg et de Courbevoie. La majorité des parcelles situées sur les grands côtés de l’îlot ont une largeur de 20 m pour une profondeur de 35,66 m ou de 33,32 m, soit des superficies analogues entre 713,20 et 666,40 m². On en repère quatre ou cinq par côté. Les faces latérales du rectangle sont parfois découpées en quatre parcelles d’une même largeur et de même profondeur. Néanmoins cet îlot-type s’adapte selon la géométrie de certaines voies atypiques : ainsi, les deux îlots se situant de chaque côté et au nord de l’église sont tronqués par l’arrondi des rues Saint-Urbain et Sainte-Cécile (actuelle rue Hérold). D’autres îlots rectangulaires homogènes, mais de largeur différente, se trouvent à l’ouest et au sud du lotissement, avec une largeur constante de 140 m mais une profondeur plus importante.

26Les îlots triangulaires sont le résultat du tracé des deux principales voies en diagonale sur la trame orthogonale des voies secondaires. Ils sont tous en triangle rectangle, mais aucun n’est totalement identique aux autres (en raison des largeurs différenciées des deux voies). Le principe du découpage à partir de la bissectrice engendre des parcelles symétriques par rapport à celle-ci avec des tailles semblables deux à deux suivant une progression arithmétique. Si la largeur en façade peut être constante, les profondeurs varient offrant ainsi une diversité de surfaces très importante (de 255 m² à 1 464 m² environ). Quelques-uns de ces îlots triangulaires sont tronqués, par exemple, sur l’angle arrondi de la place du marché.

27Les modifications apportées dans le découpage parcellaire initial, à la Garenne de Colombes comme à Corbeil, ne concernent pas les principes géométriques mais sont le résultat de regroupement ou de redivisions en fonction des opportunités offertes aux acquéreurs. À la Garenne de Colombes, le nouveau cahier des charges de 1879 redécoupe plusieurs lots pour les proposer à la vente. Notamment les parcelles d’angle jugées trop grandes et trop coûteuses par la clientèle ciblée, sont redivisées. Comme à Corbeil de grandes parcelles sont redécoupées et revendues par l’acquéreur.

28Dans les deux lotissements étudiés, le principe du tracé des voies et du découpage en îlots ne répond pas à une intention identique : à la Garenne de Colombes, l’emplacement des voies est déterminé par le choix d’un quadrillage et le principe de répétition d’un îlot idéal, tandis qu’à Corbeil, la forme des îlots découle du tracé des deux axes principaux, les rues Ferray et Champlouis, puis de l’inscription de voies orthogonales sur les espaces restants.

Commercialisation et destination sociale

La mise en vente des parcelles

29Les deux cas montrent des stratégies commerciales différentes par leur phasage dans l’espace et le temps. Si pour Corbeil l’achat des terrains s’accomplit à la parcelle selon l’emplacement choisi par les acquéreurs (en fonction de leur disponibilité, de leur taille, de leur prix et de leur emplacement sur un type de voie), au Nouveau Village de la Garenne, l’offre est contrainte par une stratégie de ventes par tranches de lots contigus sur une voie (toutes les parcelles d’un même îlot ne sont pas concernées par la même tranche).

30À Corbeil, les cinq premières parcelles passent devant le notaire Charles Jozon à la fin décembre 1862. Les ventes vont s’étendre jusqu’à la fin des années 1880 à des rythmes plus ou moins réguliers : de cinq à huit cessions par an au cours des années 1860, contre une ou deux au cours des années 1870. Les ventes démarrent sur la Prairie Saint-Jean, avant qu’un autre propriétaire, Tandou, n’offre au cours des années 1860 des terrains plus au sud, sur la Prairie de Nagis, de l’autre côté de la rivière de l’Essonne, le long d’une voie prolongée qui porte son nom, puis à partir des années 1870, au nord-ouest, cette fois dans la Prairie de l’Indienne, de l’autre côté des allées Saint-Jean.

31Pour La Garenne de Colombes les ventes sont passées devant Maître Robin, notaire à Paris, et s’effectuent à l’origine par tranches successives, de 1865 jusqu’en 1879. Dans les premières années, les ventes de lots groupés sont régulières : il y en a deux par mois, pour une quinzaine de parcelles en moyenne, qui sont pratiquement toutes cédées en une seule fois. Vers 1868, le rythme ralentit et la majorité des lots n’est toujours pas vendue. Après la guerre de 1870, les ventes reprennent lentement. Les premières ventes ont lieu dans le quartier de Colombes situé au nord de la voie de chemin de fer de Paris à Saint-Germain. Elles s’étendent successivement au quartier de Plaisance (à proximité du chemin de fer), puis à ceux de Courbevoie et de Charlebourg. Une affiche publicitaire, dont nous ne connaissons pas la date exacte23, est éditée après la vente de 448 lots (sur les 1 212 lots initiaux) et donne un plan de situation24 : ils occupent principalement les franges du grand lotissement25.

32Le 3 juin 1879, un nouveau cahier des charges relance la commercialisation et précise que les ventes seront faites à l’amiable (les 22 juin et 4 juillet 1879, les 103^e et 104^e adjudications sont réalisées)26. Sur le plan qui accompagne le nouveau cahier des charges sont dessinés 1 253 lots avec, en grisé, les 181 parcelles restant à vendre, principalement situées le long de l’actuel boulevard de la République qui accueillera des immeubles en collectif27. Un plan de la fin des années 1880 présente les constructions achevées avec un certain nombre de parcelles encore vides, notamment sur cet axe. Par contre, dans celui de 1897-1900 l’ensemble du centre s’est enfin urbanisé.

33Contrairement à Corbeil, où les nouvelles voies sont rétrocédées à la ville trois ans après le début du lotissement, celles du Nouveau Village de la Garenne de Colombes sont restituées à la commune de Colombes une fois l’ensemble vendu, soit plus de vingt ans après le début des premières ventes.

Type de bâti – entre maisons de villégiature et résidences suburbaines permanentes

34Que ce soit à Corbeil ou à la Garenne de Colombes, le type d’édifices présents aujourd’hui ne correspond pas exactement aux typologies courantes de maisons de villégiatures telles que représentées dans les ouvrages sur les constructions privées – sauf en ce qui concerne quelques habitations individuelles. On observe un décalage dans le temps, notamment à la Garenne de Colombes : les immeubles collectifs s’y construisent entre la toute fin des années 1890 et les années 1920.

35À Corbeil, le lotissement de la Prairie se couvre progressivement de constructions comme le montrent les plans successifs retrouvés dans les archives municipales de Corbeil-Essonnes28. On y trouve des maisons isolées sur leur parcelle, c’est-à-dire non mitoyennes et en retrait de l’alignement, sur les axes principaux, notamment rue Feray et sur le côté est de la rue Tandou. D’autres sont également non mitoyennes mais à l’alignement de la rue, c’est-à-dire sans jardinets devant, comme sur les rues de Champlouis et Galignani. Toutefois dans l’extension du lotissement, on observe des maisons « contigües ou organisées en série », avec un léger retrait à l’alignement et des matériaux similaires, notamment rues Carnot et Oberkampf, ainsi des maisons jumelées par deux ou trois, en meulière à petit joint rocaille, décor de plâtre en linteaux des fenêtres. Vers la fin du xix^e et le début du xx^e siècle, les maisons deviennent plus populaires, comme sur la rue Widmer où des petits collectifs sont érigés pour répondre à la forte demande en logement des employés des usines de Corbeil (figure 4).

Fig. 4. – Plan général des lotissements des terrains de la Prairie-Saint-Jean, de la Prairie de l’Indienne et de la Prairie de Nagis – 1886, AMCE, VO, 6^e liasse.

36À La Garenne de Colombes, le plan de 1870 renseigne sur les premières constructions de type « maison individuelle » qui sont implantées soit à l’alignement ou soit en retrait de quelques mètres, et avec un faible recul sur les mitoyens latéraux. Dans quelques cas, les maisons sont bâties sur le mitoyen arrière. Un petit guide édité en 1872 décrit ces petites maisons de fond de jardin :

« La villégiature entre de plus en plus dans nos mœurs. Quand le mois de juin arrive, il n’est pas de petit commerçant, de petit employé qui ne tienne à aller se mettre au vert dans un des gras pâturage de Puteaux, de Bondy ou des Batignolles29. »

37De là, on peut imaginer que des commerçants et autres petits employés ont acheté sur leurs économies un modeste terrain pour y construire « un petit chalet de bois blanc », ou une baraque, remplacée par la suite par une construction plus importante. Seules deux constructions du type « maison de plaisance » sont identifiables. L’une de type néo-classique est située rue Voltaire, derrière un bâtiment plus récent, et semble tirée du recueil établi par MM. Duval, Kaufmann, Renaud et autres architectes30 (1853) ; la seconde, à toit mansardé, reprend l’un des modèles de César Daly dans son livre Villas Suburbaines de troisième classe31. On assiste à des substitutions aux premières constructions dans un processus de densification. Les services de l’Inventaire ont un dossier sur neuf maisons anciennes et onze immeubles collectifs datant de la fin du xix^e siècle, du début du xx^e siècle et des années 1920-193032. Parmi ces constructions, une seule porte la mention « maison de campagne » et elle est assez modeste. Ainsi dans le processus de densification de la banlieue, de nombreux bâtiments d’origine ont été remplacés par des « pavillons de banlieue » et autres petits collectifs identiques à ceux existants dans d’autres zones suburbaines.

38L’étude des professions des acquéreurs de lots dans les deux lotissements fait apparaître, pour Corbeil, une majorité d’acheteurs habitant dans la ville ou les communes proches (Essonnes ou Saint-Germain-lès-Corbeil). Ce sont essentiellement des commerçants, des artisans ou des « propriétaires » rentiers33.

39À la Garenne de Colombes, la majorité des acquéreurs habitent Paris ou les communes avoisinantes. L’échantillon étant plus important34, le nombre de professions est naturellement plus varié et plus étendu. Les artisans, commerçants et « propriétaires » sont représentés de façon majoritaire, également des petits rentiers, employés, entrepreneurs, quelques architectes ainsi que des journaliers et des garçons de magasin. Le nombre de marchands de vins est important ainsi que celui des concierges mais il semble que ces derniers aient agi comme mandataires, notamment d’un des héritiers Sartoris qui s’est porté acquéreur de plusieurs parcelles.

40Au-delà de cette étude sur le parcellaire, on pourrait s’interroger, comme le fait Isabelle Rabault-Mazières à partir du grand parc de Saint-Maur (1859)35, sur la coïncidence qui existe, lors du peuplement de la banlieue parisienne, entre la villégiature et l’industrialisation « qui stimule en même temps la croissance suburbaine ». Le lotissement de la Garenne de Colombes, conçu initialement comme un lotissement de villégiature, s’est trouvé rapidement inséré dans la première couronne parisienne en plein développement et à proximité de zones industrielles qui s’y implantent au début du xx^e siècle, notamment à l’ouest et à proximité du chemin de fer, ce qui a pu contribuer à l’installation d’une population plus modeste sur un parcellaire densifié. Alors qu’à Corbeil, le lotissement de la Prairie Saint-Jean se développe dès l’origine comme une extension résidentielle permanente avec la construction de maisons de ville. À partir des années 1880, la densification stimulée par l’industrialisation s’accélère entre Corbeil et Essonnes et confirme cette première orientation.

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41Cette étude sur deux lotissements contemporains de la seconde moitié du xix^e siècle laisse entrevoir la complexité de la formation de la banlieue parisienne. Héritière d’une architecture urbaine de composition, les voies ouvertes ont complété la structure ancienne faite de routes royales et de chemins ruraux, offrant ainsi un panel de gabarits adaptés au nouveau tissu urbain.

42L’étude du découpage parcellaire et des typologies montre la grande adaptabilité de ces lotissements aux programmes à construire et révèle le décalage chronologique entre le dessin du plan, la mise en vente des parcelles et leur construction, voir leur reconstruction. Un approfondissement de ces mécanismes offrirait une meilleure compréhension des processus réels de fabrication de la forme urbaine, à l’exemple de la banlieue.