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Écrire l’histoire environnementale au xxie siècle

 | 
Stéphane Frioux
, 
Renaud Bécot

Troisième partie. Temporalités, acteurs et objets de l’histoire des interactions sociétés/environnement

Agriculture, agronomie et environnement en perspective historique

Pierre Cornu

Texte intégral

  • 1 Hénin Stéphane, « Les acquisitions techniques en production végétale et leurs applications », Écono (...)
  • 2 Le terme « agronomie » recouvre deux acceptions : la première est celle de la discipline agronomiqu (...)
  • 3 Drouin Jean-Marc, L’écologie et son histoire, Paris, Flammarion, 1993.
  • 4 Pour une mise en perspective de l’agronomie française et de ses principaux jalons historiographique (...)
  • 5 La DATAR est créée en 1963. Lacour Claude et Delamarre Aliette, 50 ans d’aménagement du territoire, (...)
  • 6 Debatisse Michel, La révolution silencieuse. Le combat des paysans, Paris, Calmann-Lévy, 1963. Mich (...)
  • 7 Lyautey Margot, Humbert Lena et Bonneuil Christophe (dir.), Histoire des modernisations agricoles a (...)
  • 8 Bonneuil Christophe et Thomas Frédéric, Gènes, pouvoirs et profits, recherche publique et régimes d (...)
  • 9 Noël Gilbert, « La Politique Agricole Commune. Ruptures et continuités dans l’histoire de l’Europe (...)

1« L’agronomie est une écologie appliquée à la production des peuplements des plantes cultivées et à l’aménagement des terrains agricoles », écrit en 1967 Stéphane Hénin (1910-2003)1, directeur de recherche en agronomie et, depuis un an seulement, chef du département d’Agronomie à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra)2. Une définition qui semble aller de soi tant elle est simple dans sa formulation, mais qui représente néanmoins un coup de force épistémologique considérable, mobilisant de manière inédite une discipline écologique alors insignifiante en France3 et à mille lieues des préoccupations des agronomes « en bottes » ou « en blouse blanche4 ». Quant à la référence à l’aménagement, si elle se limite prudemment aux « terrains agricoles », elle n’en résonne pas moins très clairement avec le mot d’ordre de l’aménagement du territoire qui domine alors les politiques publiques, et que les agronomes n’entendent pas abandonner aux urbanistes ou aux experts de la toute nouvelle Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR)5. En revanche, le décalage est certain entre la conception de l’agronomie portée par Stéphane Hénin et la demande adressée à la recherche publique par le monde agricole dans le contexte de la « révolution silencieuse6 », caractérisée par une dynamique d’intensification de la production par le recours massif au machinisme, à la sélection variétale et aux intrants chimiques7, portant la menace d’un effacement de la spécificité épistémologique de l’agronomie, science appliquée à la charnière du biologique et du technique. Si, de fait, le puissant département de Génétique et d’Amélioration des plantes de l’Inra est fortement investi dans la modernisation de l’agriculture nationale dans les décennies d’après-guerre8, au titre de l’ambition française de s’affirmer comme le « grenier » de la nouvelle Europe9, il n’en va pas de même des agronomes stricto sensu, personnages en quête d’auteur, et surtout d’une autre pièce à jouer.

2C’est à comprendre comment cette dernière s’est écrite, dans les désillusions de la modernisation agricole, comment l’environnement en est devenu l’intrigue centrale, dans une conception nouvelle du « pilotage du vivant » nourrie d’une pensée de la flèche du temps, et enfin pourquoi, malgré un intérêt de plus en plus anxieux pour l’analyse diachronique des systèmes anthropisés, l’historien comme coauteur n’est arrivé qu’au dernier acte de la pièce, que nous nous proposons de consacrer le développement qui suit.

L’agronomie comme voie de subversion de l’horizon industrialiste de l’agriculture

  • 10 Carson Rachel, Silent Spring, Boston, Houghton Mifflin Company, 1962.
  • 11 Selon l’expression du professeur à l’École d’agronomie de Paris René Dumont, alors en plein virage (...)
  • 12 Aussi bien l’Institut national d’agronomie de Paris que l’Inra gardent des liens forts avec les anc (...)

3Jusqu’alors « science de synthèse » nourrie de physique et de chimie et servant de guide à une ingénierie des conduites de production, la science agronomique française, telle que professée dans les institutions publiques, se découvre, dans ces années 1960 pourtant bien peu propices à l’hétérodoxie, mais au cours desquelles commence à poindre une conscience inquiète de l’envers de la modernité, que ce soit dans le laboratoire agro-industriel du Midwest10 ou dans une Afrique déjà « mal partie11 », un espace d’autonomie possible dans la saisie de ce que cultiver veut dire. À la fois inscrite dans le champ de la biologie et dans celui des sciences sociales, et se nourrissant volontiers d’expériences issues des « suds » postcoloniaux12, cette agronomie-là va ouvertement à l’encontre de la tendance à la division du travail scientifique qui domine à cette époque, marquée par la conception fordiste et industrialiste du devenir de l’agriculture. En se situant volontairement sur la charnière délicate de la relation entre mondes sociaux et réalités biologiques, et en faisant du « fait technique » et de sa rationalisation par l’expérimentation scientifique son principal levier d’action, l’agronomie de Stéphane Hénin cherche un espace d’autonomie non dans la production de régularités mesurables, mais dans l’établissement de schèmes et de typologies opérationnels. Menacée d’un côté par la fondamentalisation de la biologie, de l’autre par la formalisation croissante de l’économie, l’agronomie scientifique est en effet en grand danger d’obsolescence. Seuls quelques chaires d’écoles d’agronomie et les laboratoires de l’Inra de Versailles maintiennent alors une ambition scientifique significative, avec les moyens expérimentaux nécessaires.

  • 13 La technique nécessite simplement l’usage d’un engin agricole pour réaliser une tranchée permettant (...)

4C’est à la lumière de ce défi qu’il convient d’ajouter à la définition de l’agronomie produite par Stéphane Hénin, et au positionnement qu’elle induit, ce qui fut la principale innovation méthodologique de ce chercheur, la lecture du « profil cultural » des sols, art de la lecture « en coupe » des terrains cultivés, mis au point au tournant des années 196013, et pratiqué avec enthousiasme par les premiers disciples du maître. L’introduction du machinisme, mais également des amendements chimiques à haute dose dans les parcelles, ont en effet un fort impact sur les sols, produisant des effets de tassement, de lessivage ou de mutation des comportements de la microfaune. Procédant par imitation de la méthode stratigraphique des géologues, mais ajoutant à cette dernière une dimension de diagnostic et de préconisation, la lecture du profil cultural des sols cultivés invite de fait à une analyse de type archéologique de la superposition pluriannuelle des cultures et des techniques mobilisées, permettant de déterminer lesquelles favorisent et lesquelles au contraire en appauvrissent la fertilité. Dans un contexte où les analyses physico-chimiques d’une part, et les calculs de rentabilité d’autre part, paraissent suffire à guider l’agriculteur dans ses choix, cette technique toute simple, mais qui mobilise tout le capital d’expérience de la discipline, et qui trouve un allié précieux dans l’agriculteur connaisseur de ses propres sols, apparaît comme l’ultime possibilité de maintenir ouvert un questionnement intrinsèquement agronomique sur le pilotage du vivant dans la durée, et d’empêcher la dissolution de l’agronomie dans une ingénierie de type industriel.

5Stéphane Hénin n’est certes pas un révolutionnaire, et les outils de régénération de la méthode agronomique qu’il propose alors sont essentiellement destinés à défendre la performativité de sa discipline dans l’épreuve de la rencontre avec les exploitants agricoles, trop vite séduits par les conseillers agricoles et les marchands d’outils et d’intrants développés par la « recherche et développement » privée. À ses élèves, à ses jeunes assistants, il transmet l’exigence d’une science finalisée modeste mais rigoureuse, capable de résister à la tentation d’une conception « hors-sol » et univoquement réductionniste de l’agronomie, qui considérerait que l’amélioration des plantes et le recours à la chimie de synthèse pourraient suffire à assurer la productivité du travail agricole. Mais en deçà de ce pragmatisme, c’est bien un doute fondamental qui travaille l’agronomie française de cette période, un doute sur la rationalité générale elle-même, dont elle était pourtant censée accompagner l’avènement dans le dernier bastion de résistance à ses lois, à savoir la production agricole.

  • 14 Deffontaines Jean-Pierre, « Analyses de situation dans différentes régions de France : freins à l’a (...)
  • 15 Au sens de l’épistémologie de Ludwik Fleck, qui postule que la dynamique des styles scientifiques s (...)
  • 16 Hénin Stéphane, Essai sur la méthode en agronomie, Paris, Laboratoire des sols/Versailles, ministèr (...)
  • 17 Cochet Hubert, L’agriculture comparée, Versailles, Quæ, 2011.
  • 18 Les Farming systems studies constituent à partir des années 1970 un champ original et dynamique de (...)

6De deux choses l’une, en effet : soit c’est l’agronome qui se trompe d’époque, la terre est devenue une ressource comme une autre, et il doit céder la place à une ingénierie de type « minier », soit c’est l’industrialisation de l’agriculture qui constitue une impasse, et il revient à l’agronome de la contourner pour inventer une autre modernisation et un autre développement, susceptibles de requalifier sa propre expertise. « L’analyse de système met ainsi en lumière le fait que les dossiers techniques des innovations proposées sont souvent partiels et insuffisants ; elle révèle les informations qui font défaut », écrit le géoagronome (et élève de Stéphane Hénin) Jean-Pierre Deffontaines en 197314. Toute innovation doit donc être questionnée dans son inscription temporelle et spatiale. C’est ainsi, d’une certaine manière, un questionnement géohistorique qui travaille l’agronomie française, préscientifique dans sa conception15, certes, mais d’ores et déjà inscrit dans un horizon épistémologique ambitieux, bien éloigné du simple souci érudit de raconter l’histoire d’une discipline et de ses interfaces. Rien d’étonnant, au reste, si l’on rappelle que Stéphane Hénin, chercheur en pédologie réduit à l’impuissance par la captivité en 1940, puis par la destruction de son laboratoire, se tourna vers Gaston Bachelard à la fin de la guerre pour réaliser sous sa direction une thèse sur l’épistémologie de l’agronomie. Restée à l’état de manuscrit16, mais transmise par l’enseignement, cette thèse, nourrie d’histoire et de réflexivité sur ce qu’il advient de la scientificité quand elle se donne l’action pour finalité, dans des contextes où, par principe, l’aléa ne peut être supprimé, constitue de fait, conjointement avec l’agronomie comparée théorisée et promue par René Dumont17, le socle de la réinvention scientifique de l’agronomie française, puis de sa rencontre avec l’espace international des farming systems studies dans la seconde moitié du xxe siècle18.

7Or, que dit au juste Stéphane Hénin de la « rationalité » de l’agriculture dans le contexte du triomphe du fordisme aux champs ? Qu’elle doit se lire non dans le temps court du cycle cultural, mais dans le temps long de l’histoire de la fertilité du sol. Plus encore, sa validation ne saurait s’opérer seulement par le bilan annuel et purement comptable du coût des intrants et du profit des récoltes, mais elle doit prendre en compte d’une part l’état dynamique du substrat biologique et physique des espaces de culture, soit l’analyse écologique de la parcelle, et, d’autre part, l’adéquation entre le projet de l’agriculteur et les conséquences des techniques qu’il mobilise en termes d’aménagement, et donc de viabilité de son exploitation.

  • 19 Commissaire européen à l’Agriculture et « père de la PAC », Sicco Mansholt publie en décembre 1968 (...)
  • 20 Valceschini Egizio et Cornu Pierre, « L’Inra face au tournant libéral de la Politique agricole comm (...)
  • 21 L’Inra et l’environnement. Inventaire des recherches, Inra, rapport dactylographié, 1972, 98 p. Sté (...)
  • 22 Jollivet Marcel, « Un exemple d’interdisciplinarité au CNRS : le PIREN (1979-1989) », La revue pour (...)

8Dans une agriculture française à base familiale, inquiète de voir l’intégration industrielle des productions primaires déposséder l’exploitant de la maîtrise de son devenir, comme l’illustre la crise de la réception du rapport du commissaire européen à l’Agriculture Sicco Mansholt en 196819, ce discours agronomique éveille de puissants échos, enrichis jusqu’à la polyphonie dans l’après-Mai 68 et son doute systémique sur l’instrumentalisation de la rationalité générale par le capital. Que ce soit à l’« Agro » de Paris ou dans les centres de recherche agronomique en région parisienne ou dispersés dans les différentes régions métropolitaines, le « moment 68 » a en effet un impact non marginal, singulièrement à l’Inra où cohabitent marxismes hétérodoxes, christianisme social et positivisme pétri du sens de l’intérêt général20. Et même si la direction de l’institut publie en 1972 un rapport sur l’environnement qui est bien loin de saisir l’entièreté de la question, et notamment des questions posées à l’agronomie21, le levain de la pensée critique est bien présent dans la pâte. De fait, les chercheurs sont nombreux, qui dans des expériences de coopération, qui dans les programmes pluridisciplinaires de la DGRST, à faire lever les questionnements sur la santé des écosystèmes et sur la viabilité du modèle intensif22.

  • 23 Un rapport publié en 1979 par le service d’expérimentation et d’information de l’Inra, compilation (...)
  • 24 Tamian Loïc, Genèse du Rapport Hénin et émergence de la préoccupation environnementale dans la pens (...)

9Dans les années qui suivent, Stéphane Hénin lui-même développe son intuition initiale jusqu’à questionner non plus seulement l’écologie de la parcelle, mais celle du bassin versant, en pointant l’impact de l’usage des intrants sur la qualité des eaux des nappes phréatiques, débouchant sur la nécessité d’une modification de la trajectoire de l’intensification agricole. Les recherches alors disponibles sur ce sujet sont toutefois bien lacunaires23, motivant en 1978 le Comité national de l’eau à porter auprès du gouvernement le vœu d’un rapport scientifique sur la question des effets induits de l’intensification agricole. Celui-ci reçoit un avis favorable et débouche sur la constitution en 1979, sous l’autorité conjointe des ministères de l’Agriculture et de l’Environnement et sous la direction de Stéphane Hénin, d’un groupe de travail « Activités agricoles et qualité des eaux », qui associe la profession agricole, les agences de l’eau et la recherche agronomique. Le rapport issu des travaux et débats du groupe, et qui aura mobilisé et sensibilisé toute une nouvelle génération d’agronomes, est remis au gouvernement à la fin de l’année 1980, marquant un tournant dans la prise en compte des externalités négatives de l’agriculture intensive24.

  • 25 Deffontaines Jean-Pierre et Osty Pierre-Louis, « Des systèmes de production agricole aux systèmes a (...)
  • 26 Sebillotte Michel, « Itinéraires techniques et évolution de la pensée agronomique », Comptes rendus (...)
  • 27 École nationale supérieure des sciences agronomiques appliquées.
  • 28 Pays, paysans, paysages dans les Vosges du sud. Les pratiques agricoles et la transformation de l’e (...)
  • 29 Teissier Jean-Henri, « Relations entre techniques et pratiques », Bulletin de l’Inrap, no 38, 1979, (...)

10Pour ce qui est des disciples de Stéphane Hénin, enseignants ou chercheurs, exerçant en France métropolitaine, dans l’Outremer ou dans les instituts de coopération, ils explorent pour leur part bien d’autres voies, notamment celle de la « systémique25 », approche holiste des questions agricoles et rurales inspirée des cybernéticiens américains et des épistémologies constructivistes, qui commencent alors à contester la toute-puissance du réductionnisme aussi bien en physique et en chimie qu’en biologie. Saisie par la complexité des effets et rétroactions des choix techniques, l’entrée systémique s’efforce de produire une pensée de l’agronomie qui inclut l’agriculteur comme « décideur » et les cultures comme « itinéraires techniques », selon le concept forgé par Michel Sebillotte26, professeur à l’Institut national agronomique de Paris, produisant des réalités à la fois sociales et paysagères, irréductibles au calcul économique stricto sensu, mais non à une analyse économique humaniste nourrie de sciences cognitives. C’est la démarche que développe Michel Petit, professeur d’économie à l’ENSSAA27 de Dijon dans un partenariat au long cours avec les agronomes de l’Inra, et notamment avec Jean-Pierre Deffontaines, dans le cadre de projets interdisciplinaires dans des espaces en marge du « modèle dominant » de l’intensification et de la spécialisation agricoles. Leur compagnonnage se traduit notamment par l’initiation d’une observation et d’un accompagnement dans la durée des acteurs de l’agriculture de pente dans les montagnes des Vosges, menacées par la déprise agraire. L’ouvrage qui en résulte affiche son rejet du grand récit de la modernisation agricole dans un titre-manifeste, « Pays, paysans, paysages28 », ouvrant sur une perspective historique longue du système agraire vosgien, croisant dynamique des paysages cultivés et bouleversements issus de l’affirmation extérieure du modèle industriel. Mais aucun historien n’est associé à l’entreprise, de même qu’aucun écologue. Le temps historique et les relations entre les hommes et la montagne sont pensés au prisme d’une matrice ingénieriale et d’une conception « ménagère » de l’agriculture, par opposition à la logique « minière » des agricultures industrielles. Rejetant aussi bien les analyses marxistes que les lectures libérales en termes de rapports de production, cette approche entend faire de la saisie diachronique du « fait technique », théorisé par le zootechnicien Jean-Henri Teissier29 à partir de l’anthropologie des techniques d’André Leroi-Gourhan, la pierre de touche de la compréhension de la dynamique des systèmes agraires inscrits dans la durée historique, môles de résistance à l’industrialisation du monde.

  • 30 L’AUBRAC, t. 1 : Géographie-Agronomie. Sociologie économique, Paris, CNRS Éditions, 1970.
  • 31 Béranger Claude et Lacombe Philippe, « La recherche agronomique et la révolution agricole de la sec (...)
  • 32 Constitué en 1969 le groupe ne produit que tardivement une publication de synthèse : Gras Raymond e (...)
  • 33 L’Inra et la montagne, Versailles, Inra, 1975, 2 vol.

11Une nébuleuse hétérodoxe se forme dans ce contexte, à la jonction d’écoles d’agronomie, d’unités de recherche de l’Inra et de laboratoires de sciences sociales du CNRS, méditant notamment l’expérience de l’observation fondatrice de la société aubracienne dans les années 1964-1966 dans le cadre de la la recherche coopérative sur programme (RCP) Aubrac du CNRS et du musée des Arts et traditions populaires30. Réunis en collectifs à géométrie variable, les chercheurs impliqués dans ce mouvement enquêtent sur les mondes agricoles rétifs à l’adoption des « paquets technologiques » de la modernisation31, interrogeant les limites de la monoculture dans le cadre du « groupe de recherche non-sectoriel » dirigé par l’agronome Raymond Gras32 ou se mettant au chevet des agricultures de montagne33. Les agronomes français qui s’inscrivent dans les pas de Stéphane Hénin sont ainsi parmi les premiers à saisir que la critique environnementale de la modernité ne constitue pas un frein au développement agricole et rural, mais une opportunité pour le penser autrement, non plus de manière descendante, mais dans une logique de construction partagée avec les acteurs ; non plus en concurrence frontale avec les agricultures industrielles des nouveaux mondes, mais dans une stratégie distinctive, fondée sur la montée en qualité scientifique des procédés. Regardée avec défiance par les cadres scientifiques de l’Inra, cette approche finit toutefois par susciter l’intérêt de Jacques Poly, directeur scientifique de l’institut, alarmé par la dépendance de l’agriculture française aux intrants venus d’outre-Atlantique.

  • 34 Cornu Pierre, La systémique agraire à l’Inra. Histoire d‘une dissidence, Versailles, Quæ, 2021.
  • 35 Landais Étienne et Deffontaines Jean-Pierre, « Les pratiques des agriculteurs. Point de vue sur un (...)

12Cofondateurs du département de recherche de l’Inra « Systèmes agraires et développement » en 197934, les deux principaux héritiers de Stéphane Hénin, Jean-Pierre Deffontaines et Michel Sebillotte, respectivement directeur de recherche en agronomie à l’Inra et titulaire de la chaire d’agronomie de l’Institut national d’agronomie de Paris, devenu INA-PG après sa fusion avec l’École d’agriculture de Grignon, sont les premiers, aux côtés du généticien animal Bertrand Vissac, à faire recruter des écologues à l’Inra, et les premiers également à considérer l’enquête historique comme partie prenante de l’analyse des systèmes de production et de l’heuristique de leur régénération. « Le temps d’une pratique, c’est d’abord l’instant de sa mise en œuvre. Ce n’est qu’à cet instant, dûment daté (dans le “temps long” de l’histoire de l’exploitation) et situé (dans le “temps rond” du calendrier de travail de l’agriculteur), que son opportunité peut s’apprécier », écrivent ainsi Jean-Pierre Deffontaines et Étienne Landais en 1988, faisant explicitement référence à Stéphane Hénin. « La mise en œuvre des pratiques agricoles entraîne, à des degrés variés, des modifications matérielles des éléments des systèmes considérés. L’histoire des pratiques s’inscrit dans le matériel biologique […]. Elle peut, dans une certaine mesure, être reconstituée à partir de l’observation de leurs traces : l’analyse du profil cultural, l’analyse du paysage illustrent ce type de démarche35. »

  • 36 Bertrand Georges, « Pour une histoire écologique de la France rurale », in Georges Duby et Armand W (...)
  • 37 Massard-Guilbaud Geneviève, « Historiens et géographes français et relation de l’homme au milieu : (...)
  • 38 Fondée en 1971 par Raymond Laurans, ancien directeur de la Bergerie nationale de Rambouillet.
  • 39 Fondée en 1974.
  • 40 Mathieu Nicole et Jollivet Marcel (dir.), Du rural à l’environnement. La question de la nature aujo (...)
  • 41 Bonneuil Christophe, Mettre en ordre et discipliner les tropiques : les sciences du végétal dans l’ (...)
  • 42 Bonneuil Christophe, Denis Gilles et Mayaud Jean-Luc (dir.), Sciences, chercheurs et agriculture. P (...)
  • 43 Cornu Pierre et Valceschini Egizio, « Environnement et agronomie. Essai d’analyse historique d’une (...)

13Proches du géographe toulousain Georges Bertrand, héraut de l’écologisation du regard géographique36, ces chercheurs hétérodoxes réalisent, sur leurs « chantiers de recherche », qu’ils préfèrent aux laboratoires et aux essais en serre, son vœu d’une histoire écologique de la France rurale, qui intègre les mondes minéraux, végétaux et animaux au grand récit de la domestication et du pilotage des écosystèmes37. Mais quand bien même certains d’entre eux croisent des historiens ruralistes à la Société d’ethnozootechnie38 ou encore à l’Association des ruralistes français (ARF)39, voire même dans des instances de gouvernance de la recherche au cours du second mandat de François Mitterrand (1988-1995) puis dans les années du gouvernement Jospin (1997-2002), cela ne débouche sur aucun dialogue scientifique véritable. Qu’il faille incriminer les différences de cultures entre mondes de l’ingénierie et des sciences humaines et sociales, ou encore des échelles d’observation et des niveaux de discours incompatibles, le fait est là : d’un côté, on fait de l’histoire agraire sans historiens, et de l’autre, de l’histoire des systèmes de production sans référence aux savoirs de la pratique en tant quel tels. De manière symptomatique, le colloque de l’ARF « La nature et le rural », tenu à Strasbourg en décembre 1986, n’accueille aucun historien, quand bien même les débats ne cessent de poser la question du sens que prend le surgissement de la nature dans la trajectoire de la modernisation agricole et rurale40. Et si des historiens des sciences commencent à s’intéresser à la recherche agronomique sous les tropiques ou en métropole dans les années 199041, il faut attendre les années 2000 pour qu’une rencontre véritablement scientifique entre agronomes et historiens s’opère et prospère, cette fois largement, autour de la question environnementale42. Elle aboutit, entre autres, au présent texte, rédigé par un historien des mondes ruraux en situation d’observation participante au long cours dans le monde de la recherche agronomique – immergé dans ses archives, sa mémoire orale, et sa passion singulière pour la mise en perspective diachronique de sa propre trajectoire et de ses objets et partenaires d’étude et d’action43.

14La question n’est pas d’établir les torts dans cette relation longtemps manquée, mais d’en interroger le sens : que nous dit la difficulté à rendre commensurables les temporalités de l’agronomie systémique et de l’histoire agraire sur les conditions d’émergence de la question environnementale en France, vieille nation agricole profondément marquée par une conception domesticatrice et ménagère de la relation à la nature ? Et que nous apprend-elle, dans le même temps, sur l’originalité des conditions de l’émergence de l’histoire environnementale en France, étonnamment peu « ruraliste » ?

La recherche historique au défi de l’écologisation de la « question agraire »

15De fait, l’agriculture, l’agronomie et l’environnement, que l’on pourrait considérer comme intimement liés en tant qu’objets historiques, du moins dans la recherche française et, plus largement, européenne, ont connu des aventures historiographiques bien distinctes jusqu’à une date très récente. Et si c’est aujourd’hui très clairement l’environnement comme « problème » qui induit une interrogation rétrospective sur le rôle de l’agronomie comme science appliquée normative dans l’évolution « problématique » de l’agriculture, notamment à travers la critique de son rôle dans la modernisation agricole de la seconde moitié du xxe siècle, il importe, pour comprendre comment l’historien peut apporter sa contribution à ce champ de questionnements, de bien saisir comment ces trois objets sont « entrés en histoire », et surtout par quels biais ils se sont interconnectés à la fois sur le plan des pratiques de recherche et sur celui des émergences épistémologiques liées à la question environnementale.

  • 44 Depuis le livre fondateur de Marc Bloch en 1931 : Bloch Marc, Les caractères originaux de l’histoir (...)
  • 45 Robin Paul, Aeschlimann Jean-Paul et Feller Christian (dir.), Histoire et agronomie entre ruptures (...)

16Si la discipline historique peut en effet se prévaloir d’une longue tradition d’exploration de la « question agraire44 », dans une approche essentiellement économique et sociale tout d’abord, puis ouverte aux aspects culturels et politiques à partir des années 1970, elle a longtemps laissé le soin aux agronomes ou aux praticiens des sciences sociales des institutions agronomiques, économistes et sociologues principalement, de raconter leur propre histoire45, et il a fallu que l’environnement soit déjà bien structuré comme questionnement scientifique, sociétal et politique pour que les historiens s’en emparent, plus tardivement encore dans les études rurales françaises d’ailleurs. Or, qu’elles soient réussies ou manquées, symétriques ou dissymétriques, les rencontres historiographiques s’inscrivent dans l’histoire, parfois font l’histoire, et il importe de les documenter finement pour en comprendre le sens et la portée, à plus forte raison quand elles dessinent une trajectoire qui va de la marginalité à la centralité, comme c’est le cas aujourd’hui de la question de la gouvernance du vivant.

17Est-il toutefois légitime de questionner la jonction entre histoire agraire, histoire des sciences, et retour des communautés épistémiques des biosciences appliquées et des études environnementales de tous types sur leurs propres histoires, comme nous le faisons ici, tout en étant partie prenante de ce développement depuis une vingtaine d’années, qui plus est depuis une trajectoire marginale issue des études rurales ? Nous oserons dire que la réponse ne peut être que positive, tout d’abord parce que l’idée même d’extériorité est devenue problématique au regard de l’extension prise par la question environnementale dans notre monde contemporain, ensuite parce que c’est justement le propre de ce chantier de recherche que de faire vivre une intense réflexivité à la fois interdisciplinaire et transdisciplinaire, c’est-à-dire ouverte non seulement aux chercheurs, mais également aux acteurs impliqués dans l’analyse à la fois rétrospective et prospective de la trajectoire des socioécosystèmes agraires et alimentaires. Tard venu dans la réflexion sur le lien entre sciences, marché, politiques publiques et crise environnementale, l’historien se doit, aussi bien à titre individuel que générique, d’apporter sa compétence distinctive pour la production de récits capables d’englober le plus grand nombre d’éléments et d’en pondérer justement les rôles ; et, pour cela, de se mettre à l’écoute de l’ensemble des parties prenantes passées et présentes de la question, lui-même compris.

18Dans l’objet qui nous préoccupe ici, cela implique notamment d’interroger dans la durée la relation entre agronomie et agriculture, mais également la manière dont l’environnement s’est imposé comme sujet pour l’une comme pour l’autre, et enfin comment cet « événement » a modifié le schème historiciste du « progrès » jusqu’alors prédominant – dans la conception des agronomes de leur discipline, dans la conception des agriculteurs de leur « réalisation » comme profession, et, il faut bien le dire, dans la conception que les historiens avaient du « temps de la modernité », avant que celui-ci ne se brise sur les obstacles systémiques du dernier tiers du xxe siècle.

  • 46 Bachelard Gaston, Le nouvel esprit scientifique, Paris, PUF, 1934.
  • 47 Altieri Miguel, Agroecology: the scientific basis of alternative agriculture, Boulder, Westview Pre (...)

19Au total, c’est ni plus ni moins à une refondation de la « question agraire » que nous invite la crise à la fois environnementale et épistémologique que nous traversons – non pas deux crises superposées, mais une seule et même crise, à la fois cognitive et pratique, qui au fond est celle des Lumières, berceau à la fois de l’historicisme et de la scientifisation de l’exploitation de la nature domestique. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, avec ses planches extraordinairement détaillées sur l’agriculture et l’élevage, n’illustre-t-elle pas de la manière la plus convaincante cette passion domesticatrice de la modernité européenne ? Et à l’autre borne de la période ainsi embrassée, que dire de l’émergence de l’objet « agroécologie », oxymore d’objectivité et de projectivité46, venu des suds en dissidence vis-à-vis de l’évangile de la modernisation agricole, notamment dans l’Amérique andine47, et depuis le tournant des années 2010, légitimé à la fois dans les politiques publiques de l’agriculture et jusque dans la programmation scientifique d’un organisme comme l’Inra ? Une vaste histoire dialectique du pilotage du vivant se dessine ainsi, dans laquelle la question environnementale constitue à la fois un englobant et un englobé, un objet et un point de vue.

  • 48 Sörlin Sverker et Warde Paul (dir.), Nature’s End. History and the Environment, Londres, Palgrave M (...)
  • 49 Tout en s’inscrivant dans la réflexion ouverte par Grégory Quenet sur la réponse des historiens à l (...)

20Le postulat sur lequel nous fondons notre réflexion, et qui rejoint le souci de dépassement de l’assignation thématique porté par les promoteurs de l’histoire environnementale en France48, est ainsi que l’approche critique des biosciences appliquées ne doit pas devenir une « niche » historiographique, mais une position depuis laquelle réinterroger l’ensemble du processus de rationalisation des bioressources. En ce sens, la « mise en histoire » de l’agronomie sensu lato comme discours et comme ensemble de pratiques ayant contribué à la « modernisation » agricole et à ses effets environnementaux négatifs, ne saurait constituer un simple projet historiographique, mais doit être considérée comme un objet historique en soi, inscrit dans le pas de temps de la crise des Lumières. Pour ce faire, il convient d’inclure dans le périmètre de l’étude à la fois l’historien comme acteur, l’histoire comme objet transactionnel, et jusqu’à l’historicité comme système de sens, tant celle-ci perd de son évidence au fil de l’aggravation de la crise environnementale elle-même. Toute relecture des « grandes thèses » d’histoire rurale des années 1960-1970 frappe en effet par le hiatus entre l’évidence du grand récit de la modernisation qui les habite, et notre propre incrédulité. Pour autant, il n’y a pas de prime de lucidité automatique à écrire un demi-siècle plus tard, et l’adhésion comme la non-adhésion à toute forme d’historicisme constituent des objets nécessaires de l’analyse historique. Notre démarche appelle donc une vigilance critique toute particulière sur les conditions de la convocation des discours sur la temporalité dans l’arène constituée par les parties prenantes du débat sur la trajectoire des mondes agricoles et des systèmes alimentaires, incluant les formes de récits les plus récentes, structurées par les approches environnementales des relations entre sociétés et bioressources49.

  • 50 Cornu Pierre, « El giro sistémico en los estudios rurales franceses », Ayer. Revista de historia co (...)

21Par là même, nous souhaitons explorer l’hypothèse que l’histoire environnementale appliquée au pilotage scientifique et technique du vivant n’est pas, ou ne devrait pas être seulement un élargissement thématique de l’entreprise historienne, comme ce fut le cas dans les premières expériences nord-américaines, mais peut et doit constituer une expérience de recherche d’un type nouveau, produisant une science de la temporalité au second degré, c’est-à-dire une enquête à la fois sur l’historicité et sur la mise en histoire de la « question agraire » comme problème soulevé à nouveaux frais par le surgissement de la question environnementale, rejoignant ainsi l’approche diachronique des agronomes systémiciens, et construisant un espace interdisciplinaire original50. La finalité d’une telle entreprise n’est pas de générer une nouvelle couche sédimentaire historiographique, encore moins de « faire la leçon » a posteriori aux agronomes ou aux agriculteurs – ni même aux historiens –, mais de déclencher un phénomène métamorphique plus profond, susceptible de renouveler ce que « faire de l’histoire » veut dire – en société, mais également « en biosphère », s’il est permis de s’exprimer ainsi, et en considérant que la crise environnementale actuelle ne constitue pas un contexte singulier dont il faudrait chercher à s’extraire, mais notre nouvelle « normalité », ou, pour le dire autrement, la totalité dans laquelle il nous revient de produire une intelligence historique partagée.

  • 51 Voir le succès de la European Rural History Organisation (Eurho), fondée en 2002, et de ses confére (...)

22Comme tout questionnement historiographique, celui sur la rencontre entre agriculture, agronomie et environnement pose des problèmes d’échelle et de périmètre de pertinence. Malgré son caractère global et interconnecté, il est évident que la crise environnementale de ce début de xxie siècle s’exprime de manière très contrastée selon les lieux, à la fois dans ses aspects écosystémiques et sociosystémiques. Dans le cas de l’Europe qui nous intéresse ici, il nous semble que la dimension agraire de la crise environnementale y prend un relief tout particulier, d’une part en raison de l’importance de l’empreinte des pratiques agrosylvopastorales accumulées pendant plusieurs millénaires dans cette partie du monde, et d’autre part en raison de l’importance des paysages, des produits et des pratiques liées à la question agraire dans les dynamiques sociales, politiques et culturelles des territoires concernés. L’historiographie ruraliste française et ouest-européenne témoigne de cette passion collective pour la question agraire51, avec des nuances et une intensité variable d’un pays à l’autre bien entendu, mais dans une forme d’attachement assez universelle à la dimension infra-économique du rapport aux espèces végétales et animales domestiquées et à leurs produits, dimension la plus immédiatement connectée à la fois aux paysages et aux imaginaires, et donc susceptible de fonder une cosmogonie – ou d’en dire la crise.

  • 52 Considérer, par exemple, l’importance des écomusées dans l’histoire de ce champ de la recherche.
  • 53 Cornu Pierre et Mayaud Jean-Luc [dir.], Au nom de la terre. Agrarisme et agrariens en France et en (...)

23Si la recherche ruraliste a produit des efforts constants depuis l’Entre-deux-guerres pour se détacher de tout irrationalisme agrarien, il est toutefois impossible de nier la stimulation qu’a représenté la persistance d’une pensée de l’exceptionnalisme de l’agriculture dans l’histoire générale de la modernisation. En France notamment, l’attraction pour l’analyse économique hétérodoxe, qu’elle dérive du « jeune Marx », de Tchayanov ou de Herbert Simon, mais aussi le tropisme anthropologique des études rurales, avec un attachement jamais démenti pour le concept de « fait technique52 », témoignent avec éloquence d’une incapacité à se satisfaire des schèmes classiques d’explication de la rationalisation du monde par le développement du genre homo œconomicus. La jonction entre autonomisation de l’agronomie, lecture environnementale de la question agraire et réflexion critique sur l’histoire de la modernisation s’inscrit ainsi dans un contexte européen très particulier, en l’occurrence celui de sociétés qui se sont industrialisées sur un substrat agraire mal enfoui, et qui, à partir des années 1960 surtout, montrent des difficultés croissantes à donner un sens positif à l’industrialisation de l’agriculture et de l’alimentation par leur réduction technoscientifique. Ce contexte est favorable à la requalification, souvent dans des formes appauvries, d’un ensemble éclectique de schèmes de pensée – antimodernes, agrariens, romantiques, phénoménologiques, écologistes… –, tous plus ou moins fondus dans une critique « environnementale » de la modernité, et qui nourrissent un remords historique profond et douloureux53. De toute évidence, cette rumination inquiète, voire anxieuse, a constitué la plus puissante instance de convocation en même temps que d’auto-saisine des agronomes, mais aussi des géographes, des sociologues et in fine des historiens eux-mêmes sur la question environnementale.

24Certes, l’autocritique fait partie des usages solidement implantés dans la communauté des historiens, et le retard de cette dernière à prendre en compte la dimension environnementale des questions agricoles, alimentaires et bioscientifiques a fait l’objet d’un travail de réflexion salutaire, ouvrant sur un renouveau appréciable de l’approche critique des objets impensés ou invisibilisés par la production socialement déterminée des sources de l’historien. L’histoire environnementale a acquis droit de cité dans la recherche française et européenne, et irrigue aujourd’hui fortement les historiographies plus anciennes des mondes ruraux, des food studies ou des science studies. Mais cette autocritique s’arrête généralement aux niveaux méthodologique et axiologique, délaissant les considérations épistémologiques qui, en l’occurrence, s’avèrent autrement plus déstabilisantes, mais qui constituent un passage obligé pour qui veut dépasser les apories du dialogue entre historiens de l’agriculture et sciences agronomiques soucieuses de la durée.

  • 54 Les recherches pionnières de Donald Worster notamment ont certes connu une ample diffusion, mais l’ (...)
  • 55 Smout Christopher, Exploring Environmental History: Selected Essays, Édimbourg, Edinburgh Universit (...)

25Depuis qu’elle est entrée dans le champ des disciplines à visée scientifique, soit depuis l’âge du positivisme, l’histoire a en effet connu deux modes principaux de renouvellement historiographique : en premier lieu, celui du discours de la méthode, généralement lié à un discours sur les sources, et en second lieu, celui de la diversification thématique, le plus souvent lié à une stimulation externe ou à tout le moins à une attention spécifique pour un phénomène extérieur au monde académique – crise, question émergente ou commande publique invitant les historiens à s’emparer de nouveaux territoires – mais intériorisée par un effort de traduction scientifique et de translation temporelle. Bien entendu, les innovations méthodologiques et les explorations de nouveaux fonds archivistiques ouvrent aisément sur des entrées thématiques originales et, réciproquement, la quête de nouveaux objets implique de repenser les sources et leur lecture. À chaque phase du développement de l’historiographie, c’est ainsi une synthèse variable de questionnements et de curiosité ou de formes d’engagement pour des objets empiriques nouveaux qui s’opère et qui produit une « école » ou un « champ » de la recherche historique. C’est de cette manière que l’ouverture de l’histoire aux questionnements géographiques et anthropologiques dans l’entre-deux-guerres a permis de développer, entre autres, le domaine de l’histoire rurale, s’efforçant par là même de répondre à la question du destin historique de la civilisation agraire européenne dans le contexte de l’observation inquiète de son délitement. Mais si cette attention nouvelle aux archives du commerce des hommes avec la terre, en France notamment, mais également au Royaume-Uni, en Italie, et plus tardivement en Espagne, a profondément renouvelé le matériau et la méthodologie de l’histoire, ouvrant notamment sur une intelligence diachronique de la « civilisation matérielle », elle n’est pas allée jusqu’à remettre en cause la frontière entre sciences de l’homme et de la nature, laissant le temps du sol, des eaux et du règne vivant aux disciplines dérivées de la physique, de la chimie et de la biologie – bref, à l’ancienne « histoire naturelle ». Seule l’historiographie nord-américaine, précocement confrontée à l’effondrement de la wilderness sous les coups de boutoir d’une pratique minière de l’exploitation des bioressources, a opéré de manière précoce une jonction entre analyse historique des systèmes productifs et écologie dans les années 197054. En Europe, il faut attendre l’essor de l’histoire environnementale à la charnière des années 1990-2000 pour que la recherche historique se pose la question des limites de son domaine et de l’efficacité de sa méthodologie, face à la dynamique propre de la biosphère et à ses rétroactions sur les activités humaines au temps de l’anthropocène55. Nourri à la fois d’un souci de retour à la capacité de l’histoire d’expliquer les processus globaux, par la reconquête de la matérialité biophysique du monde, et d’exploration de questions touchant à l’artificialisation et à l’exploitation des ressources physiques et biologiques du globe, ce tournant environnemental de la recherche historique s’inscrit de fait dans un effort de régénération à la fois épistémologique et thématique, explorant non pas un segment du devenir des sociétés, mais la capacité explicative de l’hypothèse de la prévalence des enjeux environnementaux dans la production ou la remise en cause de ce devenir.

26La constante de la dynamique historiographique de l’historicisme réside en effet dans l’étonnante capacité du monde de la recherche historique à produire, envers et contre toutes les remises en cause internes et externes ayant agité la discipline, de l’époque du positivisme à celle des postmodernismes, une rhétorique de l’autonomie absolue de ses choix et orientations, que ceux-ci soient méthodologiques ou thématiques. Certes, au sein de la discipline, on ne méconnaît pas les « effets de contexte », qu’ils produisent encouragements ou censure de la recherche ; et l’on ne craint pas non plus de poser la question de la tension entre l’engagement et la légitimité du discours de l’historien, la réflexion développée sur ce dernier aspect à propos de la « questions sociale » s’étant assez naturellement prolongée au débat sur l’engagement associatif ou politique des historiens dans la « question environnementale ». Quoi qu’il en soit de ces accommodements avec le monde, on considère toutefois, dans la doxa disciplinaire, que le cœur de la scientificité de l’histoire ne peut ou ne devrait jamais être atteint par les soubresauts du temps historique, et encore moins du temps de la nature, pour un motif qui tient à la spécificité de la méthode historique : le décentrement temporel, qui épargnerait tout effet de soumission à un contexte unique. L’historien serait autonome parce que n’appartenant pas tout à fait à son temps, ou étant capable d’en relativiser les déterminations dans l’espace maîtrisé de son « atelier », symboliquement situé dans un hors lieu neutre. À ce titre, l’agronomie apparaît comme un partenaire potentiel doublement impur, à la fois parce que tournée vers l’action, et parce que normative dans son identité même. Mais n’est-il pas intéressant de se regarder malgré tout dans ce miroir, et de se demander pourquoi l’histoire s’interdit de penser l’action et répudie le nomos dans son saint des saints épistémologique ? La question n’est pas de nier les vertus du décentrement historique, puisque c’est précisément ce que nous opérons en ouvrant cette réflexion historiographique, mais d’en interroger les fondements épistémologiques ou, si l’on peut dire, les fonctionnements cognitifs et les effets performatifs.

27De fait, c’est justement la crise environnementale, que nous avons analysée ici comme une généralisation de la crise agraire, qui constitue, pour la temporalité issue des Lumières (que l’on peut aussi, avec les anthropologues, analyser comme le temps de la cosmogonie du naturalisme occidental), la première remise en cause véritable de l’épistémologie de l’histoire comme discours sur l’œuvre de la raison dans le temps. Dès lors, il s’avère assez vain de maintenir une fiction de l’autonomie de la méthode historique, et sans doute salutaire d’accepter une hétéronomie non subie, mais choisie avec lucidité : oui, la crise environnementale est porteuse d’une interrogation sur sa propre historicité ; oui, l’agriculture constitue un « fait total » de la relation entre sociosystèmes et écosystèmes, au sein duquel la ligne de partage entre les rationalités biophysiques et les intentionnalités socioculturelles a depuis longtemps cessé d’être lisible, faisant de ce monde de pratiques un cas exemplaire d’observation de l’instabilité et de l’indécidabilité du « monde anthropocène » ; et oui enfin, l’agronomie comme épistémologie embarquée dans la gouvernance des écosystèmes cultivés a de bonnes raisons de prétendre à coproduire un discours historique pertinent à partir de la critique de son passé et de sa jonction nouvelle avec les sciences issues de l’histoire naturelle, l’écologie au premier rang. Aux historiens d’en entendre l’appel et d’en partager résolument le questionnement.

28La recherche agronomique et les mondes agricoles ont fait beaucoup de chemin depuis l’époque où Stéphane Hénin leur proposait de penser en termes écologiques et diachroniques leur relation. Les objets, les échelles, les méthodes, tout ou presque a changé. Mais l’intuition initiale est restée, qui a produit, sur la ligne de couture des mondes de la recherche et de l’action, l’une des voies par lesquelles histoire naturelle et histoire sociale se sont réencastrées après deux siècles de divergence. Et contrairement à d’autres voies pour lesquelles ce sont essentiellement l’augmentation de l’empreinte humaine sur les ressources et ses effets disruptifs qui ont motivé une réunification dans l’urgence du physique et du social, celle de la question agraire offre l’intérêt particulier d’avoir éveillé progressivement et comme insensiblement un questionnement à la fois environnemental et historique, fondé principalement sur la prise de conscience in situ et dans la pratique des rétroactions des effets de rationalisation encapsulés dans le pilotage du vivant sur les socioécosystèmes agraires. Parvenus à un certain point de pression, ces derniers ont commencé à révéler de manière douloureuse leur dimension indissolublement physique, technique, sociale et, oserons-nous ajouter, morale. Car au fond, c’est de cela qu’est porteuse l’histoire de la crise de l’agronomie : la question du rôle des intentionnalités et de leur métabolisation dans le processus d’avènement d’une faune et d’une flore tout entières engagées dans une vulnérabilité systémique coextensive à celle des sociétés contemporaines, les inscrivant sur un mode anxieux dans la « question anthropocène ».

  • 56 Hubert Bernard et Mathieu Nicole (dir.), Interdisciplinarités entre natures et sociétés, Bruxelles, (...)

29Il serait de toute évidence prématuré de tirer des conclusions sur la façon dont agriculture, agronomie et environnement se sont trouvés intriqués dans l’historiographie européenne récente et dont ils ont renouvelé l’approche de l’histoire. Au reste, rien n’est encore stabilisé dans ce champ de la recherche, et il serait regrettable de figer des jugements épistémologiques quand le dialogue entre porteurs de compétences praxéologiques, biotechniques et historiques commence seulement à porter ses fruits, et que les concepts mobilisés pour dire la crise du temps historique – durabilité, soutenabilité, transition, adaptation… – sont encore en voie de définition56. Mais ce que l’on peut d’ores et déjà avancer en guise de proposition à la communauté des historiens de l’environnement, à partir de l’exemple de la relation entre agronomie, agriculture et environnement, c’est la validité du pari heuristique d’une coconstruction à la fois « embarquée » et « impliquée » de l’analyse historique, dans un dialogue méthodique et réflexif avec les parties prenantes et les instances porteuses de la mémoire des mondes agricoles d’une part, et des institutions de la recherche agronomique d’autre part, sans négliger tous les acteurs du monde social bien plus vaste qui est concerné par la manière dont la « question agraire » s’est métamorphosée dans la « question environnementale » et qui, eux aussi, ont à écrire et à penser cette histoire.

Notes

1 Hénin Stéphane, « Les acquisitions techniques en production végétale et leurs applications », Économie rurale, 1967, p. 31-44.

2 Le terme « agronomie » recouvre deux acceptions : la première est celle de la discipline agronomique stricto sensu, ici mobilisée par Stéphane Hénin, la seconde étant celle de l’ensemble des sciences appliquées au développement agricole. L’ambivalence du terme est fondatrice à la fois de la plasticité épistémologique de la discipline elle-même, et de l’instabilité de la configuration de ses relations avec la science du sol, la génétique, les approches phytosanitaires ou encore l’économie rurale.

3 Drouin Jean-Marc, L’écologie et son histoire, Paris, Flammarion, 1993.

4 Pour une mise en perspective de l’agronomie française et de ses principaux jalons historiographiques sur le demi-siècle écoulé, voir Doré Thierry et al. (dir.), L’agronomie aujourd’hui, Versailles, Quæ, 2006.

5 La DATAR est créée en 1963. Lacour Claude et Delamarre Aliette, 50 ans d’aménagement du territoire, 6e éd., Paris, La Documentation française, 2013.

6 Debatisse Michel, La révolution silencieuse. Le combat des paysans, Paris, Calmann-Lévy, 1963. Michel Debatisse est alors le secrétaire général du Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA), fer de lance de la modernisation de l’agriculture française.

7 Lyautey Margot, Humbert Lena et Bonneuil Christophe (dir.), Histoire des modernisations agricoles au xxe siècle, Rennes, PUR, 2021.

8 Bonneuil Christophe et Thomas Frédéric, Gènes, pouvoirs et profits, recherche publique et régimes de production des savoirs de Mendel aux OGM, Versailles, Quæ, 2009 ; Cornu Pierre, Valceschini Egizio et Maeght-Bournay Odile, L’histoire de l’Inra entre science et politique, Versailles, Quæ, 2018.

9 Noël Gilbert, « La Politique Agricole Commune. Ruptures et continuités dans l’histoire de l’Europe rurale », Histoire et sociétés rurales, no 8, 2e semestre 1997, p. 121-145 ; Fouilleux Ève, La PAC et ses réformes. Une politique à l’épreuve de la globalisation, Paris, L’Harmattan, 2003.

10 Carson Rachel, Silent Spring, Boston, Houghton Mifflin Company, 1962.

11 Selon l’expression du professeur à l’École d’agronomie de Paris René Dumont, alors en plein virage critique de la modernisation agricole mondiale. Dumont René, L’Afrique noire est mal partie, Paris, Le Seuil, 1962.

12 Aussi bien l’Institut national d’agronomie de Paris que l’Inra gardent des liens forts avec les anciennes colonies françaises du Maghreb notamment dans les années 1960-1970, que ce soit via des « élèves » placés à la tête des nouvelles institutions indépendantes (exemple de l’Institut Hassan II au Maroc) ou par l’entremise d’organismes publics chargés de diffuser la science agronomique française à l’extérieur, comme l’Orstom. Martone Lisalou, « L’Inra et l’international. Opportunités, apprentissages et tâtonnements stratégiques (de la fondation de l’Institut aux années 1970) », Histoire de la recherche contemporaine, t. VI, no 2, 2017, p. 145-162.

13 La technique nécessite simplement l’usage d’un engin agricole pour réaliser une tranchée permettant d’observer la structuration du sol sur une certaine épaisseur. Le reste est affaire de coup d’œil, pour repérer les traces des usages anciens. Hénin Stéphane et al., Le profil cultural, principes de physique du sol, Paris, Éditions SEIA, 1960.

14 Deffontaines Jean-Pierre, « Analyses de situation dans différentes régions de France : freins à l’adoption d’innovations techniques », Études rurales, no 52, 1973, p. 86.

15 Au sens de l’épistémologie de Ludwik Fleck, qui postule que la dynamique des styles scientifiques se développe à partir d’éléments hétéroclites puisés dans les mondes de la pratique, puis disciplinés par le travail des collectifs scientifiques. Fleck Ludwik, Entstehung und Entwicklung einer wissenschaftlichen Tatsache (1935). Traduction française par Nathalie Jas : Genèse et développement d’un fait scientifique, Paris, Les Belles Lettres, 2005.

16 Hénin Stéphane, Essai sur la méthode en agronomie, Paris, Laboratoire des sols/Versailles, ministère de l’Agriculture, 1944. Restée inédite un demi-siècle durant, cette thèse sera publiée par les disciples de Stéphane Hénin en 1999. Hénin Stéphane, De la méthode en agronomie, Paris, L’Harmattan, 1999.

17 Cochet Hubert, L’agriculture comparée, Versailles, Quæ, 2011.

18 Les Farming systems studies constituent à partir des années 1970 un champ original et dynamique de la recherche agronomique internationale, centré sur l’approche comparée des agricultures « familiales ». Cerf Marianne et al., Cow up a tree. Knowing and learning for change in agriculture. Case studies from industrialised countries, Paris, INRA, 2000.

19 Commissaire européen à l’Agriculture et « père de la PAC », Sicco Mansholt publie en décembre 1968 un rapport qui acte la condamnation à moyen terme de la structure familiale de l’agriculture européenne et envisage d’en accompagner la mue vers un modèle proche du travail salarié, seul moyen à ses yeux de garantir l’équité de conditions de vie et de revenus avec les autres secteurs économiques. Sous l’impulsion du syndicalisme agricole, bientôt suivi par le monde politique, la réception française est particulièrement houleuse.

20 Valceschini Egizio et Cornu Pierre, « L’Inra face au tournant libéral de la Politique agricole commune : les chemins d’une acculturation (1978-1992) », Économie rurale, 372, 2020, p. 43-66.

21 L’Inra et l’environnement. Inventaire des recherches, Inra, rapport dactylographié, 1972, 98 p. Stéphane Hénin n’a pas contribué à ce volume.

22 Jollivet Marcel, « Un exemple d’interdisciplinarité au CNRS : le PIREN (1979-1989) », La revue pour l’histoire du CNRS, 4, 2001, mis en ligne le 20 juin 2007, [http://journals.openedition.org/histoire-cnrs/3092], consulté le 18 mars 2020.

23 Un rapport publié en 1979 par le service d’expérimentation et d’information de l’Inra, compilation des données existantes, traduit toutefois la prise de conscience du problème : L’Inra, l’eau et la production agricole, SEI CNRA, Versailles, 1979.

24 Tamian Loïc, Genèse du Rapport Hénin et émergence de la préoccupation environnementale dans la pensée agronomique française, mémoire de master en histoire contemporaine, université Lyon 2, 2008.

25 Deffontaines Jean-Pierre et Osty Pierre-Louis, « Des systèmes de production agricole aux systèmes agraires », L’Espace géographique, no 3, 1977, p. 195-199.

26 Sebillotte Michel, « Itinéraires techniques et évolution de la pensée agronomique », Comptes rendus de l’Académie d’Agriculture de France, 1978, vol. 1416, p. 906-913.

27 École nationale supérieure des sciences agronomiques appliquées.

28 Pays, paysans, paysages dans les Vosges du sud. Les pratiques agricoles et la transformation de l’espace, Paris, Inra, 1977.

29 Teissier Jean-Henri, « Relations entre techniques et pratiques », Bulletin de l’Inrap, no 38, 1979, 13 p.

30 L’AUBRAC, t. 1 : Géographie-Agronomie. Sociologie économique, Paris, CNRS Éditions, 1970.

31 Béranger Claude et Lacombe Philippe, « La recherche agronomique et la révolution agricole de la seconde moitié du xxe siècle : l’exemple de la prairie », Histoire de la recherche contemporaine, t. 3, no 2, 2014, p. 167-179.

32 Constitué en 1969 le groupe ne produit que tardivement une publication de synthèse : Gras Raymond et al., Le fait technique en agronomie. Activité agricole, concepts et méthodes d’étude, Paris, INRA/L’Harmattan, 1989.

33 L’Inra et la montagne, Versailles, Inra, 1975, 2 vol.

34 Cornu Pierre, La systémique agraire à l’Inra. Histoire d‘une dissidence, Versailles, Quæ, 2021.

35 Landais Étienne et Deffontaines Jean-Pierre, « Les pratiques des agriculteurs. Point de vue sur un courant nouveau de la recherche agronomique », Études rurales, no 109, 1988, p. 125-158.

36 Bertrand Georges, « Pour une histoire écologique de la France rurale », in Georges Duby et Armand Wallon (dir.), Histoire de la France rurale, t. 1 : Des origines au 14e siècle, Paris, Le Seuil, 1976, p. 37-113.

37 Massard-Guilbaud Geneviève, « Historiens et géographes français et relation de l’homme au milieu : de Vidal de la Blache aux programmes de recherches interdisciplinaires de la fin du 20e siècle », in Chenorkian Robert et Robert Samuel (dir.), Les interactions hommes-milieux : questions et pratiques de la recherche en environnement, Versailles, Quæ, 2014, p. 77-96.

38 Fondée en 1971 par Raymond Laurans, ancien directeur de la Bergerie nationale de Rambouillet.

39 Fondée en 1974.

40 Mathieu Nicole et Jollivet Marcel (dir.), Du rural à l’environnement. La question de la nature aujourd’hui, Paris, ARF/L’Harmattan, 1989.

41 Bonneuil Christophe, Mettre en ordre et discipliner les tropiques : les sciences du végétal dans l’empire français 1870-1940, thèse de doctorat, université Paris 7, 1997.

42 Bonneuil Christophe, Denis Gilles et Mayaud Jean-Luc (dir.), Sciences, chercheurs et agriculture. Pour une histoire de la recherche agronomique, Versailles/Paris, Quæ/L’Harmattan, 2008 ; Bonneuil Christophe et Thomas Frédéric, Gènes, pouvoirs et profits, recherche publique et régimes de production des savoirs de Mendel aux OGM, Versailles, Quæ, 2009.

43 Cornu Pierre et Valceschini Egizio, « Environnement et agronomie. Essai d’analyse historique d’une mise en convergence », in Guy Richard et al. (dir.), Une agronomie pour le 21e siècle, Versailles, Quæ, 2019, p. 18-40.

44 Depuis le livre fondateur de Marc Bloch en 1931 : Bloch Marc, Les caractères originaux de l’histoire rurale française, Paris, Armand Colin, 1931. Pour un bilan de ce champ de recherche à la veille de l’essor de la question environnementale, voir Brunel Ghislain et Moriceau Jean-Marc (dir.), « L’histoire rurale en France. Actes du colloque de Rennes (6-8 octobre 1994) », Histoire et sociétés rurales, no 3, 1er semestre 1995, p. 11-260.

45 Robin Paul, Aeschlimann Jean-Paul et Feller Christian (dir.), Histoire et agronomie entre ruptures et durée, Paris, IRD/ORSTOM, 2007.

46 Bachelard Gaston, Le nouvel esprit scientifique, Paris, PUF, 1934.

47 Altieri Miguel, Agroecology: the scientific basis of alternative agriculture, Boulder, Westview Press, 1987.

48 Sörlin Sverker et Warde Paul (dir.), Nature’s End. History and the Environment, Londres, Palgrave Macmillan, 2009 ; Locher Fabien et Quenet Grégory, « L’histoire environnementale : origines, enjeux et perspectives d’un nouveau chantier », Revue d’histoire moderne & contemporaine, vol. 56-4, 2009, p. 7-38.

49 Tout en s’inscrivant dans la réflexion ouverte par Grégory Quenet sur la réponse des historiens à la question de l’anthropocène, notre argumentation laisse volontairement de côté l’enjeu de la périodisation, non qu’il soit secondaire, mais justement parce qu’il nous semble ne pouvoir être traité sans réaliser au préalable un travail sur le contenu nouveau des périodes historiques. Quenet Grégory, « L’Anthropocène et le temps des historiens », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2017/2, 72e année, p. 267-299.

50 Cornu Pierre, « El giro sistémico en los estudios rurales franceses », Ayer. Revista de historia contemporánea, vol. 120, no 4, 2020, p. 83-112.

51 Voir le succès de la European Rural History Organisation (Eurho), fondée en 2002, et de ses conférences internationales, initiées en 2010 à Brighton [https://www.ruralhistory.eu/].

52 Considérer, par exemple, l’importance des écomusées dans l’histoire de ce champ de la recherche.

53 Cornu Pierre et Mayaud Jean-Luc [dir.], Au nom de la terre. Agrarisme et agrariens en France et en Europe du 19e siècle à nos jours, Paris, Éditions La boutique de l’histoire, 2007, 464 p.

54 Les recherches pionnières de Donald Worster notamment ont certes connu une ample diffusion, mais l’apparente singularité du « modèle américain » en termes de développement agricole a singulièrement délayé les travaux sur les impacts environnementaux de l’agriculture en Europe. Worster Donald, Dust Bowl. The Southern Plains in the 1930’s, New York, Oxford University Press, 1979.

55 Smout Christopher, Exploring Environmental History: Selected Essays, Édimbourg, Edinburgh University Press, 2009.

56 Hubert Bernard et Mathieu Nicole (dir.), Interdisciplinarités entre natures et sociétés, Bruxelles, Peter Lang, 2016.

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