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Écrire l’histoire environnementale au xxie siècle

 | 
Stéphane Frioux
, 
Renaud Bécot

Troisième partie. Temporalités, acteurs et objets de l’histoire des interactions sociétés/environnement

Les hectares fantômes de l’industrialisation britannique et la forêt laurentienne, 1793-1900

Stéphane Castonguay et Jim Clifford

Texte intégral

  • 1 Wackernagel Mathis et Rees William, Notre empreinte écologique, Montréal, Les Éditions Écosociété, (...)
  • 2 Krausman Fridolin, « A City and its Hinterland: Vienna’s Energy Metabolism 1800-2006 », in Simron J (...)
  • 3 Selon Warde Paul, « Trees, Trade and Textiles: Potash Imports and Ecological Dependency in British (...)
  • 4 Pomeranz Kenneth, The Great Divergence: China, Europe, and the Making of the Modern World Economy, (...)
  • 5 Ibid.
  • 6 Borgstrom Georg, The Hungry Planet, The Modern World at the Edge of. Famine, New York, Macmillan Co (...)
  • 7 Remarquons, depuis Eric Williams et son Capitalism and Slavery (1944), que la production américaine (...)
  • 8 Belich James, Replenishing the Earth. The Settler Revolution and the Rise of the Anglo-World, 1783- (...)

1Formulée dans les années 1990 pour évaluer la pression qu’exerce la société sur son environnement, la notion d’empreinte écologique est saisie depuis peu par les historiens pour comprendre les transformations environnementales concomitantes aux prélèvements de ressources dans des espaces périphériques1. Si l’utilisation de bilans énergétiques permet notamment d’analyser les rapports que des pays ou des villes entretiennent avec ces espaces périphériques, qu’il s’agisse des colonies de métropoles impériales ou de l’hinterland de centres urbains2, nous ne saurions limiter notre compréhension des conséquences environnementales de ces rapports aux seuls flux de matières et d’énergie3. Ainsi, des historiens ont révélé de nouvelles dimensions environnementales de l’industrialisation britannique, en soulignant que c’est grâce à des ressources, notamment cotonnières, mais aussi céréalières et forestières, extraites à l’extérieur de ses frontières, que la Grande-Bretagne a pu briser le verrou écologique que constituait la saturation de son territoire, et s’engager dans une nouvelle phase de croissance économique4. L’espace extra-frontalier duquel la Grande-Bretagne a importé ces ressources nécessaires à son décollage industriel forme ce que l’historien Kenneth Pomeranz a nommé des « hectares fantômes5 ». Proposée en 1965 par le biologiste et géographe Georg Borgstrom pour désigner l’espace nécessaire à la satisfaction des besoins alimentaires d’une population, puis reprise plus récemment par les historiens Eric Jones et Kenneth Pomeranz pour expliquer, tantôt le « miracle européen », tantôt la « grande divergence », soit la puissance du décollage industriel de l’Europe au xixe siècle et sa domination subséquente sur l’économie mondiale, la notion d’hectare fantôme renvoie à la possibilité pour un pays de surmonter les limites écologiques de son territoire immédiat en s’approvisionnant de ressources extraites sur les territoires de ses colonies et de ses partenaires commerciaux6. Pomeranz souligne ainsi comment l’essor de l’industrie textile de la Grande-Bretagne est impensable sans la mobilisation de grandes surfaces dans le sud des États-Unis pour l’importation de coton7. Des historiens ont également utilisé la notion d’hectares fantômes pour analyser les conditions de croissance de la production textile, l’apport différentiel du bois et de l’acier au processus d’industrialisation, l’exploitation durable de la forêt prussienne, ou la transition nutritionnelle de la population urbaine du xixe siècle8.

  • 9 L’écoumène renvoie ici à l’espace transformé et habité par les colons européens dans la vallée laur (...)

2Observer les conditions entourant l’extraction et la circulation de certaines ressources naturelles peut donc s’avérer fortement instructif pour comprendre comment des sociétés occidentales se sont industrialisées. Aussi souhaitons-nous, par l’étude du commerce à longue distance de marchandises tirées de l’exploitation forestière, dégager certaines dimensions environnementales cruciales, mais pourtant négligées, du décollage économique de la Grande-Bretagne. Dans cette étude du commerce du bois dans l’Empire britannique durant le long xixe siècle, nous recourons à la notion d’hectares fantômes pour saisir les conditions sous lesquelles des arbres extraits d’un écoumène9 en pleine expansion dans une colonie distante sont introduits dans une société engagée dans un processus accéléré d’industrialisation et d’urbanisation. Nous nous intéressons aux forêts des colonies britanniques de l’Amérique du Nord, et plus spécifiquement de la vallée laurentienne, un territoire couvrant le bassin du fleuve Saint-Laurent et des Grands Lacs (carte 1 et tableau 1) et que nous désignerons également par l’expression « Province du Canada » dans la suite du texte. Ce territoire correspond aux frontières des colonies du Bas-Canada et du Haut-Canada, unies en 1842 dans la Province du Canada, qui sont devenues les provinces du Québec et de l’Ontario sous le régime de la Confédération canadienne de 1867.

Carte 1. – La vallée laurentienne et ses régions forestières.

Carte 1. – La vallée laurentienne et ses régions forestières.

Source : D’après Gaudreau Guy, L’exploitation des forêts publiques au Québec 1842-1905, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, 1986, hors-texte ; Gaudreau Guy, Les récoltes des forêts publiques au Québec et en Ontario : 1840-1900, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1999, p. 126.

Tableau 1. – Les agences forestières de la province du Canada.

Agence forestière

Moyennes des superficies exploitées (1855-1890)

Rive sud du Saint-Laurent

1 552 698 ha

Saguenay

1 437 443 ha

Saint-Maurice

2 221 950 ha

Laurentides (Outaouais inférieur)

1 388 493 ha

Outaouais québécois

4 839 910 ha

Outaouais ontarien

1 702 917 ha

Belleville

1 545 705 ha

Nord ontarien

1 760 674 ha

Source : Gaudreau Guy, Les récoltes des forêts publiques au Québec et en Ontario : 1840-1900, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1999, p. 127.

  • 10 Cette perspective s’inscrit dans une longue tradition que reprennent les travaux plus récents en hi (...)
  • 11 Lower Arthur Reginald Marsden, Great Britain’s Woodyard: British America and the Timber Trade, 1762 (...)
  • 12 Barbier Edward B., Scarcity and Frontiers Scarcity and Frontiers: How Economies Have Developed Thro (...)

3Pour les spécialistes de l’histoire économique, l’approvisionnement en bois a constitué une priorité de l’Empire britannique au début du xixe siècle pour les activités de ses chantiers navals ainsi que pour le commerce de biens et de denrées. Ils évoquent cependant rarement les rôles spécifiques du bois dans l’industrialisation et l’urbanisation de la Grande-Bretagne10. Quant aux historiens canadiens, principalement intéressés par les fluctuations des prix des marchandises exportées, ainsi que par l’impact des tarifs douaniers britanniques sur l’économie coloniale, leurs travaux tiennent bien compte des quantités de bois exportées, mais ils ne cherchent pas à saisir comment celles-ci se répercutent sur le couvert forestier et sur le marché britannique11. Les études sur le commerce impérial du bois nous fournissent des données sur les exportations canadiennes de bois qui, converties en superficie, peuvent illustrer l’espace forestier extra-frontalier que mobilise la Grande-Bretagne, mais ce tableau peut être enrichi pour révéler certaines dimensions environnementales de l’industrialisation britannique au xixe siècle et en considérer les conséquences sur le commerce impérial. À cette fin, nous élargissons notre compréhension de la notion d’hectare fantôme par-delà la délimitation d’une superficie, pour inclure les perturbations écosystémiques résultant de l’exploitation forestière. Ces perturbations ont également des conséquences commerciales dont nous rendons compte, en nous attardant sur les produits introduits sur le marché britannique en fonction des essences de bois disponibles à la suite de décennies d’exploitation. En effet, les relations commerciales sont un phénomène bidirectionnel et leur étude doit aussi considérer comment l’approvisionnement, fondé sur la rareté ou l’abondance de ressources naturelles, exerce une influence sur les besoins et les usages d’une société en mutation12.

4Après un survol de l’histoire du commerce impérial des produits du bois unissant la Grande-Bretagne à ses colonies d’Amérique du Nord, nous analysons l’intensité et la spatialité des activités d’extraction dans la forêt laurentienne, ainsi que leurs conséquences sur le couvert forestier. Dans un premier temps, nous dressons un portrait du commerce de bois entre la vallée laurentienne et la Grande-Bretagne à partir de données douanières canadiennes et britanniques. Pour affiner ce portrait du commerce transatlantique, nous identifions les régions d’exploitation forestière selon les produits du bois exportés et recoupons ces informations avec des travaux en écologie historique sur l’état de la forêt avant le début de son exploitation commerciale. C’est là l’occasion de discuter des limites de la notion d’hectares fantômes, mais aussi d’en envisager la valeur heuristique pour construire une histoire écologique de l’industrialisation britannique.

Les exportations de bois laurentiens13

  • 13 Notons que dans le cadre de cet article nous insistons sur les importations britanniques de bois la (...)
  • 14 Ce paragraphe et le suivant puisent abondamment dans l’interprétation classique de l’exploitation f (...)
  • 15 Dechêne Louise, « Les entreprises de William Price », Social History/Histoire sociale, vol. 1, no 1 (...)
  • 16 Castonguay Stéphane et Flamand-Hubert Maude, « Québec », in David Brownstein et Graeme Wynn (dir.), (...)

5Le commerce du bois figure de façon privilégiée dans l’historiographie canadienne, puisqu’il constitua un produit de base qui permit le développement économique et social de la colonie britannique, notamment en encourageant l’entrée de devises et la colonisation de nouveaux territoires14. Si, à l’époque de la Nouvelle-France, soit jusqu’à la conquête britannique que scella le traité de Paris de 1763, les armateurs français se désintéressaient du bois de mâture et des produits de la forêt canadienne en général, il en fut autrement quand, devenue colonie britannique, la vallée laurentienne dut approvisionner une Grande-Bretagne soumise au blocus continental ordonné par Napoléon. Privée d’un accès aux ports de la mer Baltique, sa source traditionnelle d’approvisionnement en bois, la métropole se tourna vers ses colonies nord-américaines pour la poursuite des activités de ses chantiers maritimes. Les effets du blocus furent immédiats sur la quantité de bois laurentiens exportés vers la Grande-Bretagne : les exportations de chêne et de pin, sous forme de mâts et de pièces équarries, triplèrent en 1807 par rapport aux années précédentes, puis décuplèrent à la fin de la décennie15. Les répercussions de ce blocus se firent aussi sentir sur l’expansion de l’écoumène laurentien. Parce que les colonies d’Amérique du Nord bénéficiaient d’une préférence sur le marché britannique, les marchands de bois cessèrent de craindre la perte de leurs investissements outre-mer dans l’éventualité d’une levée du blocus, et certains entrepreneurs s’installèrent dans des régions éloignées de la zone de peuplement initial pour exploiter des pinèdes demeurées intactes, en dépit de la présence plurimillénaire de populations algonquines et des multiples incursions liées au commerce de fourrure16. De la vallée immédiate du Saint-Laurent, les activités extractives s’engouffrèrent le long de nombreux tributaires, notamment à l’ouest de la colonie du Bas-Canada, autour de la rivière des Outaouais et de ses propres tributaires, comme les rivières Gatineau et La Lièvre. Dès 1806, des radeaux de bois furent mis à l’eau depuis les hauteurs de ce bassin hydrographique jusqu’au port de Québec, où le bois fut chargé sur des navires à destination de la Grande-Bretagne. Une fois le blocus terminé, l’exploitation forestière dans la colonie d’Amérique du Nord s’intensifia grâce au maintien de tarifs élevés sur les bois importés de la mer Baltique, ainsi que l’établissement de grandes scieries à proximité du port de Québec.

  • 17 « Forsyth & Bell’s Annual Circular and Prices Current of Timber, Deals, &c. for 1847 », The Morning (...)
  • 18 Gaudreau Guy, Les récoltes des forêts publiques au Québec et en Ontario : 1840-1900, Montréal, McGi (...)

6Les débats sur la libéralisation du commerce en Grande-Bretagne – qui trouvèrent leur apogée dans l’abrogation des Corn Laws en 1846 – secouèrent l’économie forestière laurentienne. Ils encouragèrent notamment les entrepreneurs forestiers à extraire davantage de bois dans la perspective d’un abaissement des tarifs, puis de leur élimination graduelle entre 1846 et 1866, menant les firmes exportatrices à accumuler des inventaires invendables dans les anses autour de la ville de Québec et dans les ports de Glasgow, Liverpool et Londres17. Outre les aléas propres à la vie politique britannique, les fluctuations du commerce international et de l’activité économique en Grande-Bretagne contribuèrent à déprimer ou stimuler l’industrie forestière dans la province du Canada et son commerce d’exportation. Si le marché britannique s’approvisionna largement à partir de la mer Baltique dans la seconde moitié du xixe siècle, de nouveaux pans de la forêt laurentienne furent mobilisés, surtout en aval du port de Québec, de part et d’autre du Saint-Laurent. Les entrepreneurs forestiers s’attaquèrent à des essences d’arbres peu communes sur le marché britannique mais très répandues dans la forêt laurentienne, comme l’épinette. Également, le sicage devint la principale activité de transformation, l’exportation outre-Atlantique de planches et de madriers dominant celle de pièces de bois équarris. Ce commerce florissant perdura jusqu’à la Grande Dépression de 1873. Par la suite, le boom immobilier en Grande-Bretagne au cours de la dernière décennie du xixe siècle redynamisa l’industrie du bois de sciage de la vallée laurentienne18. À travers ses cycles, l’économie de la Grande-Bretagne et, surtout, la construction navale, ferroviaire et résidentielle, exercèrent constamment une pression sur la forêt laurentienne tout au long du xixe siècle et ce, jusqu’à la Première Guerre mondiale.

7Pour évaluer l’empreinte environnementale de l’importation britannique de bois laurentien, un premier enjeu est de déterminer les sources appropriées et commensurables qui permettraient d’abord de déterminer la quantité de bois exporté depuis la vallée laurentienne. Puisque trois régimes politiques se succèdent durant cette période, nous devons composer avec autant d’administrations qui rassemblent chacune à leur manière les données d’exportations dans différentes publications : le « Rapport général sur les exportations », puisé dans les appendices du Journal de la Chambre de l’Assemblée législative du Bas-Canada (ci-après JCALBC, 1793-1841) et des Documents de la session de la Province du Canada (ci-après DSPC, 1842-1867), ainsi que les « Tableaux du commerce et de la navigation », puisés dans les Documents de la session du Dominion du Canada (ci-après DSDC, 1868-1889). Comme les expéditions à destination de la Grande-Bretagne cessent d’être clairement identifiées à partir de 1890 dans cette dernière source, nous recourons à d’autres sources discutées plus loin pour caractériser le commerce du bois laurentien.

  • 19 McCalla Douglas, Planting the Province: The Economic History of Upper Canada, 1784-1870, Toronto, U (...)
  • 20 Outre les travaux de Gaudreau (Les récoltes des forêts publiques au Québec et en Ontario, op. cit.) (...)
  • 21 Lower Arthur Regimbald Mardsen, Lumbering in Eastern Canada, op. cit., p. 604. Max Endres (Handbuch (...)

8Ces différentes sources emploient des unités qui diffèrent à l’occasion pour mesurer des marchandises dont le format commercial lui-même n’est pas normalisé. Par exemple, le bois équarri est vendu sous forme de « pièces », mais la taille de celles-ci varie d’une essence à l’autre : 1,98 mètre cube (70 pieds cubes) en moyenne s’il s’agit de pin blanc, et 0,96 mètre cube (34 pieds cubes) en moyenne s’il s’agit de chêne19. De même existe-t-il différents standards pour la vente de madriers sur le marché britannique. Pour ramener sous un dénominateur commun l’ensemble de ces marchandises, nous avons procédé à la conversion en mètres cubes des données d’exportation à partir de coefficients fournis dans les publications sectorielles et repris dans l’historiographie20. Dans le cadre de cette analyse, nous nous limitons à trois produits forestiers commercialisés en Grande-Bretagne : les grumes de bois équarris, les madriers et les planches de bois sciés. Des recherches ultérieures nous permettront d’évaluer les quantités de bois rattachées au commerce des pièces taillées pour la construction navale, comme les espars ou les anspects, les cendres (potasse ou perlasse) produites après les défrichements et destinées principalement à l’industrie textile, de même que le bois de chauffage. Enfin, les quantités exprimées en mètres cubes portent uniquement sur les volumes des produits exportés et ne tiennent pas compte des chutes qui, dans le cas de l’équarrissage par exemple, peuvent atteindre le tiers du volume de l’arbre21.

9Pour saisir l’intensité du commerce du bois, un premier graphique (fig. 1) présente les quantités annuelles des principaux produits forestiers exportés, le bois équarri et le bois scié (planches et madriers), sur une période de près de 100 ans. Ce portrait du bois expédié depuis le port de Québec (jusqu’au premier tiers du siècle, l’unique port responsable des exportations de cette marchandise) et celui de Montréal vers la Grande-Bretagne reprend une présentation classique en histoire économique. Il s’agit de démontrer les fluctuations du commerce, affecté par l’imposition de tarifs douaniers et par les cycles économiques. Nous constatons une hausse quasi-régulière des quantités de bois équarris exportés entre 1806 et 1860, et de bois sciés entre 1814 et 1880. Dans le dernier quart du siècle, les quantités de bois annuellement exportées diminuèrent, et cette diminution toucha davantage le commerce du bois équarri que celui du bois scié qui connut une croissance abrupte dans le troisième quart du xixe siècle.

Fig. 1. – Le commerce du bois laurentien : volume du bois exporté vers la Grande-Bretagne.

Fig. 1. – Le commerce du bois laurentien : volume du bois exporté vers la Grande-Bretagne.

Source : DSPC, JCALBC, DSDC (années concernées).

  • 22 Il s’agit d’un coefficient fourni par Theodoridis Dimitrios, The ecological footprint of early-mode (...)

10Un second graphique (fig. 2) nous permet une première évaluation des hectares fantômes de l’industrialisation britannique, du moins de la superficie que représenterait le volume de bois canadiens importés annuellement en Grande-Bretagne. La conversion de la quantité de bois en mètres cubes en équivalent hectares de forêt se fonde sur une récolte moyenne de 2,5 m3 par hectare par année22. Ces hectares fantômes correspondent à l’espace que la Grande-Bretagne put consacrer à des fonctions autres que la production sylvicole en tablant sur l’exploitation forestière outre-Atlantique, dans la vallée laurentienne. La Grande-Bretagne, dont la forêt était d’une étendue fortement réduite depuis le déboisement médiéval, n’avait pas à immobiliser dans le temps long pareille superficie pour garantir une cueillette régulière des arbres nécessaires à l’approvisionnement de ses industries. Un second axe de ce graphique présente la proportion du territoire de la Grande-Bretagne à laquelle correspond cette superficie forestière hypothétique et qui put être mise en culture pour l’alimentation des populations humaines et animales.

Fig. 2. – Les hectares fantômes : superficie équivalente du bois laurentien exporté vers la Grande-Bretagne.

Fig. 2. – Les hectares fantômes : superficie équivalente du bois laurentien exporté vers la Grande-Bretagne.

L’axe vertical à la droite du graphique présente la proportion du territoire britannique que représente annuellement cette forêt fantôme récoltée dans la vallée laurentienne. Source : DSPC, JCALBC, DSDC (années concernées).

  • 23 Whitney Gordon, From Coastal Wilderness to Fruited Plain: A History of Environmental Change in Temp (...)

11Cette première évaluation des hectares fantômes de l’industrialisation britannique demeure prudente puisque les facteurs de conversion utilisés correspondent à une superficie requise pour une exploitation forestière intensive recourant à des cycles de rotations, des cueillettes sélectives et un travail de reboisement pour le maintien d’une récolte annuelle de grands volumes de bois dans le temps long. Le mode extensif de récolte exercé en Amérique du Nord était toutefois aux antipodes de la sylviculture pratiquée dans plusieurs pays européens au xixe siècle. L’exploitation de la forêt laurentienne fut sélective parce qu’elle cibla les plus grands spécimens de pins et de chênes, mais elle ne visa aucunement la régénération d’une ressource ligneuse alors considérée comme inépuisable. Elle reposa sur le déplacement continu du front pionnier, entraînant constamment dans son sillage de nouvelles superficies forestières pour l’abattage des arbres de commerce. Si, comme le démontrent les travaux en écologie historique aujourd’hui, la forêt laurentienne ne fit pas l’objet d’une exploitation abusive à l’époque coloniale, elle ne fit pas non plus l’objet de traitements sylvicoles qui auraient participé à un mode d’exploitation intensif et durable, où une même superficie pouvait fournir régulièrement une quantité de bois nécessaire à l’approvisionnement du commerce et des industries de la colonie britannique. Au contraire, ces travaux soulignent que l’extraction sélective des plus grands spécimens, ordinairement les semenciers, empêcha la régénération de la ressource ligneuse et une exploitation durable de la forêt23.

  • 24 En l’absence de données sur la densité forestière au xixe siècle dans la vallée laurentienne, nous (...)

12Ces observations nous mènent à considérer le volume cumulatif des quantités de bois exportées depuis les ports de la Province du Canada à destination de la Grande-Bretagne au xixe siècle pour tenir compte des superficies exploitées successivement, au fur et à mesure du déplacement du front pionnier. Plutôt que de présenter la conversion des exportations en superficies sur une base annuelle, nous procédons à leur addition tout au long du xixe siècle (1793-1900) et obtenons une quantité totale de bois exportés équivalant à 54 082 401 mètres cubes, soit, pour une densité moyenne de 54 m3 de bois par hectare24, une superficie forestière de près de 1 001 525 hectares. Cette superficie, qui correspond à près du dixième du territoire forestier laurentien sous concessions dans la seconde moitié du xixe siècle (8,6 % d’une superficie moyenne annuelle de 11 590 713 ha entre 1870 et 1897. Voir carte 1), équivaut à près de 5 % (4,78 %) du territoire de la Grande-Bretagne (20 933 100 hectares). Ici encore il s’agit d’une évaluation prudente qui ne tient compte ni des arbres coupés mais abandonnés en forêt (entre autres à cause de la présence d’imperfections qui diminuaient le potentiel marchand de ces arbres), ni de l’inefficacité des méthodes de coupe employées et du gaspillage généré par les méthodes d’équarrissage, ni du volume particulier des arbres d’une forêt ancienne dont l’âge des spécimens atteignait plusieurs centaines d’années. L’exploitation extensive d’une forêt de ce type par coupes sélectives, et non par des coupes à blanc, entraîna sur le long terme une recomposition lente d’un écosystème forestier qui avait atteint un stade de successions avancé. Nous aborderons les caractéristiques de cette recomposition et de ses conséquences commerciales dans la dernière section de ce chapitre.

  • 25 La circulaire fournit également l’inventaire des produits du bois dans le port de Québec, ainsi qu’ (...)

13Ces données ne constituent qu’un portrait partiel des changements de la forêt laurentienne. Deux autres sources nous permettent d’enrichir notre compréhension des impacts environnementaux du commerce impérial en distinguant les produits du bois. À compter de 1844, le marchand de bois Forsyth Bell publia une circulaire annuelle dans un quotidien, le Quebec Morning Chronicle, puis dans le rapport annuel de la Chambre de commerce de Québec. La circulaire fournit les quantités de bois exportés du port de Québec à destination de la Grande-Bretagne en fonction des essences d’arbre et du degré de transformation des produits du bois, équarri ou scié en planches ou en madriers (fig. 3)25. Pour la période précédente, nous utilisons le « Rapport général sur les exportations » qui fournit les données relatives aux essences de bois équarris exportés depuis le port de Québec à compter du début de l’année 1807 ; celles relatives aux bois sciés ne sont pas distinguées en fonction des essences d’arbre. Nous présentons ici l’équivalent superficie des quantités de bois extraits de la forêt laurentienne en vue de leur consommation sur le marché britannique.

Fig. 3. – Les exportations de bois laurentiens en Grande-Bretagne : les hectares fantômes et leurs essences.

Fig. 3. – Les exportations de bois laurentiens en Grande-Bretagne : les hectares fantômes et leurs essences.

Les données pour le chêne comprennent le bois équarri et le bois fendu. Les données pour le pin comprennent les madriers ainsi que les pins blancs et les pins rouges équarris. Source : Forsyth Circular (1844-1900) ; DSPC et JCALBC (années concernées).

14Ces données sur les essences d’arbres nous permettent d’entreprendre la caractérisation des hectares fantômes de la Grande-Bretagne extraits de la vallée laurentienne en distinguant à l’intérieur de cette surface abstraite et indifférenciée les différentes géographies et écologies qui la composent. Par exemple, l’équivalent d’une pinède d’environ 700 000 hectares fut acheminé vers la Grande-Bretagne au xixe siècle, soit près des deux tiers de la forêt fantôme britannique extraite de la vallée laurentienne. Cette forêt fantôme était principalement composée de pins blancs, et dans une moindre mesure, de pins rouges. D’autres espèces comme le chêne et l’épinette, et dans une moindre mesure l’orme, formèrent ensemble près de 250 000 hectares supplémentaires.

  • 26 Une agence forestière est une division administrative du commissaire des Terres de la Couronne. Le (...)
  • 27 Gaudreau Guy en fait une évaluation exhaustive dans L’exploitation des forêts publiques au Québec 1 (...)
  • 28 Voir McCalla Douglas, « Forest products and Upper Canadian Development », art. cité, p. 166-170.

15Pour approfondir notre compréhension des impacts écologiques liés au commerce du bois impérial, l’identification des différentes essences forestières nous permet également de spécifier les zones d’exploitation forestière commerciale. Pour ce faire, nous recourons aux rapports annuels des mesureurs du bois qui, en vue de percevoir les droits de coupe sur les terres de la Couronne, mesuraient les quantités de bois extraits dans les différentes agences forestières du Québec (carte 1)26. Bien qu’elles concernent les bois destinés tant à la Grande-Bretagne qu’aux États-Unis, ces données procurent un ordre de grandeur de la provenance des différentes essences mises sur le marché27. Pour les quantités de bois provenant du Haut-Canada dans la première moitié du siècle, les données proviennent des rapports annuels des douaniers postés dans les ports responsables de contrôler le commerce et la navigation intérieure28.

  • 29 Albion Robert Greenhalgh, Forests and sea power: the timber problem of the Royal Navy, 1652-1862, H (...)
  • 30 « An Account of all the rafts of timber cut within the American Lines », 21 février 1821, British P (...)
  • 31 Vallières Marc, « Un grand port au centre d’un commerce florissant », in Marc Vallières (dir.), His (...)

16Jusqu’aux années 1820, les principaux produits d’exportation étaient des chênes de bonne taille en partie importés des États-Unis, mais provenant également du Haut-Saint-Laurent, entre Montréal et le sud du Haut-Canada, et de la région des Grands Lacs, à l’ouest de la vallée laurentienne. Bien qu’elle comptât sur les forêts des îles britanniques pour l’approvisionnement en chêne de ses chantiers navals, l’Amirauté britannique dut importer de grandes quantités de ce bois depuis ses colonies d’Amérique du Nord au lendemain de la guerre d’indépendance américaine et de l’imposition du blocus napoléonien29. La demande était telle que les marchands du port de Québec comptèrent sur les États-Unis pour s’approvisionner, du moins jusqu’au début des années 1820, lorsque la Grande-Bretagne imposa des mesures tarifaires à ce bois « étranger » exporté de sa colonie nord-américaine30. Par la suite, la région située entre le lac Érié et la rive occidentale de la rivière des Outaouais devint le principal lieu d’approvisionnement pour les exportations laurentiennes de chêne vers la Grande-Bretagne31.

  • 32 Ibid.

17Exporté sous forme de pièce équarrie ou de madrier, le pin fut le bois de prédilection pour le commerce transatlantique tout au long du siècle. Après le défrichage de la zone de peuplement initial sous le régime français, la vallée de l’Outaouais fut la seule région dotée d’un couvert végétal propice à la croissance de pins, du moins pour les spécimens de grande taille. Pendant une courte période, la vallée du Saint-Maurice et le Haut-Saint-Laurent fournirent quantité de pins exportés depuis Québec, mais la vallée de l’Outaouais continua de dominer très largement ce commerce, procurant entre 60 et 80 % du total des bois de pin blanc pendant les années 1840 et entre 70 et 90 % pour les années 1850 et 1860. Quant au pin rouge, environ 95 % des exportations du port de Québec provinrent de la vallée de l’Outaouais jusqu’à la fin des années 1850 ; le Haut-Saint-Laurent fournit 10 à 20 % des envois par la suite32.

  • 33 Gaudreau Guy, Les récoltes des forêts publiques au Québec et en Ontario, op. cit., p. 49-50.
  • 34 Castonguay Stéphane et Flamand-Hubert Maude, « Québec », in David Brownstein et Graeme Wynn (dir.), (...)

18La vallée de l’Outaouais destina la majorité des madriers de pin au marché britannique, mais cette contribution diminua dans les années 1850 au profit des forêts du Saint-Maurice, du Saguenay et du Bas-Saint-Laurent33. De plus, les forêts de ces régions, richement dotées en épinettes, contrairement à la vallée de l’Outaouais, devinrent les principales sources d’approvisionnement du marché britannique lorsque la consommation de cette essence sous forme de madriers augmenta au cours de la dernière moitié du siècle. Nous n’avons pas de source pour distinguer les essences de bois pour les madriers exportés avant 1844, principalement produits à partir de pins ou d’épinettes. Nous savons néanmoins que l’exportation des épinettes prit vraiment son envol à partir de la fin des années 1830, lorsque les bûcherons furent autorisés à pénétrer dans les forêts de l’est de la vallée laurentienne, dans la partie supérieure de la rivière Saint-Maurice et dans la vallée de la Saguenay. Jusque-là, ces territoires appartenaient à deux monopoles, celui des Forges du Saint-Maurice pour la production de fer des marais et celui de la Compagnie de la Baie d’Hudson pour le commerce des fourrures, et étaient donc inaccessibles à l’exploitation forestière34.

L’écologie forestière des hectares fantôme britanniques

  • 35 Gillis Sandra J., The timber trade in the Ottawa Valley, 1806-1854, Parks Canada, Department of Ind (...)

19Si la refonte de la géographie forestière au xixe siècle met en lumière certaines conditions dans lesquelles les arbres furent extraits de différents bassins versants de la vallée laurentienne et introduits sur le marché britannique, déterminer l’origine géographique des produits du bois n’expose qu’en partie les transformations des écosystèmes de la forêt laurentienne. De plus, le calcul des hectares fantômes n’est pas nécessairement une mesure satisfaisante de l’empreinte écologique du commerce du bois lorsque nous considérons les conditions d’extraction de la ressource ligneuse pour approvisionner le marché britannique. En effet, en vue de la production du bois de sciage, les entrepreneurs forestiers installèrent leurs chantiers sur des parterres exploités auparavant pour l’abattage de grands spécimens pour la production de bois équarris. Sur ces mêmes parterres, des bûcherons retournèrent pour la coupe d’arbres qui, depuis leurs premiers passages, avaient maintenant atteint une taille appropriée pour l’équarrissage. Par exemple, exploitée pour le pin blanc équarri depuis les années 1810 et 1820, la forêt de la rivière Gatineau fut la première à accueillir de nouveau des équipes de bûcherons à compter des années 1840, à la fois pour recueillir du bois destiné aux moulins à scie, ainsi que pour abattre des arbres négligés lors d’un premier passage pour leur permettre d’atteindre une taille respectable35. Ainsi, la même superficie était soumise à plusieurs passages pour la coupe des arbres et la production de différents produits du bois : une première fois pour la coupe de grands spécimens à équarrir, et une seconde fois pour approvisionner les scieries locales responsables de la production de madriers de pins.

  • 36 Terrail Raphaël, Arseneault Dominique, Fortin Marie-Josée, Dupuis Sébastien et Boucher Yan, « An ea (...)

20La prise en compte de la superficie cumulée des espaces forestiers effectivement rasés chaque année pour calculer les hectares fantômes réels nous incite à examiner de plus près la composition de la forêt préindustrielle et les changements qu’elle subit à la suite des activités de coupe. En plus de nous fournir des outils pour affiner le calcul des surfaces forestières mobilisées par l’industrialisation britannique, cette connaissance fine des transformations des écosystèmes forestiers laurentiens nous permet de cerner les incidences de l’exploitation forestière sur le commerce du bois avec la Grande-Bretagne. Pour ce faire, nous utilisons des inventaires forestiers du xixe et du début du xxe siècle qui documentent l’état de la forêt préindustrielle. Ils nous renseignent sur les espèces compagnes qui ont prospéré dans la forêt laurentienne et nous permettent de décrire les impacts écologiques des coupes forestières. Produits par des arpenteurs, des agents de l’État canadien responsables d’évaluer le potentiel forestier et de délimiter les superficies que l’État loue à des exploitants depuis le milieu du xixe siècle, ainsi que par des détenteurs de permis de coupes forestières sur des terres de la Couronne au début du xxe siècle, ces inventaires énumèrent les principales essences d’arbres, en termes de dominance ou d’abondance (la position qu’une espèce occupe sur une ligne d’inventaire pour une zone donnée) et de fréquence (le nombre de fois qu’une espèce apparaît sur une ligne d’inventaire pour une zone donnée). Bien que les arpenteurs s’intéressent principalement aux essences commerciales et qu’ils omettent parfois de spécifier les espèces en énumérant simplement le genre des arbres (par exemple, pin ou Pinus spp., au lieu du pin blanc et du pin rouge, ou Pinus strobus ou Pinus robusta resinosa ; il en va de même pour les épinettes, les bouleaux et les érables), le contenu des inventaires est considéré comme suffisamment fiable pour offrir un portrait robuste des forêts préindustrielles en écologie historique36.

  • 37 Simard Hélène et Bouchard André, « The precolonial 19th century forest of the Upper St Lawrence reg (...)

21Dans la région des Grands Lacs et du Haut-Saint-Laurent, les forêts furent largement exploitées pour la production de chêne équarri au cours des premières décennies du xixe siècle, malgré la faible abondance de cette espèce. Dans les années 1820, seules les douves, des planchettes employées en tonnellerie, purent être produites à partir des spécimens encore disponibles, considérant leur petite taille37. Les activités de coupe ciblèrent ensuite le pin blanc, plus abondant que le chêne, mais également exploité jusqu’à l’épuisement à la fin des années 1840. Par la suite, l’agriculture occupa la plupart des terres et de petites parcelles boisées furent exploitées pour le bois de chauffage vendu sur les marchés locaux. L’abondance de conifères comme les pins, mais aussi les mélèzes et les pruches abattus pour approvisionner les industries domestiques, diminua au profit de feuillus comme l’érable à sucre et le peuplier, en partie aidés également par les défrichements agricoles.

  • 38 Mauri Ortuno Eduard, Les archives d’arpentage : témoins de l’état du pin blanc et du pin rouge au 1 (...)

22Dans la vallée de l’Outaouais, les espèces d’arbres les plus abondantes de la forêt préindustrielle étaient le pin, le sapin baumier et le bouleau. Malgré son abondance dans la forêt préindustrielle, le pin blanc – l’essence la plus souvent notée en premier par les arpenteurs – connut à la fin du xixe siècle une forte diminution de fréquence (de 47 à 26 %) et d’abondance (de 43 à 30 %). L’abattage de pins n’était pas forcément excessif, mais la coupe sélective draina hors des forêts les semenciers matures et encouragea la reproduction du sapin baumier, l’espèce compagne du pin la plus commune dans cet écosystème. Le sapin baumier, espèce tolérante à l’ombre et produisant une grande quantité de semences, mais sans grande valeur commerciale jusqu’à l’avènement de l’industrie des pâtes et papiers, augmenta sa fréquence. Enfin, des feuillus (érable à sucre et hêtre d’Amérique) se multiplièrent en plusieurs endroits à travers le territoire38.

  • 39 Barrette Martin et Bélanger Louis, « Reconstitution historique du paysage pré industriel de la régi (...)
  • 40 Mauri Ortuno Eduard, Les archives d’arpentage, op. cit.

23La vallée de Saint-Maurice fut principalement exploitée pour ses peuplements d’épinette, le résineux le plus abondant de la forêt préindustrielle39. Pendant une courte période, dans les années 1850 et 1860, le pin blanc fit aussi l’objet d’un abattage intensif. Bien qu’inférieure à celle rencontrée dans la vallée de l’Outaouais (45 %), la fréquence de cette essence dans le tronçon moyen du Saint-Maurice (28 %, soit le pourcentage de site étudié où l’essence est visible) encouragea la province du Canada à financer la construction de barrages et de glissoires pour le flottage du bois à compter de 185240. Une fois la population de pin blanc décimée, l’ensemble du bassin fit l’objet d’une exploitation intensive pour la coupe de l’épinette blanche, puis du sapin baumier quand cette essence atteignit une valeur commerciale pour la production papetière au début du xxe siècle.

  • 41 Boucher Yan, Arseneault Dominique et Sirois Luc, « La forêt préindustrielle du Bas-Saint-Laurent et (...)
  • 42 Dupuis Sébastien, Arseneault Dominique et Sirois Luc, « Change from pre-settlement to present-day f (...)

24Dans la région du Bas-Saint-Laurent, enfin, les essences de fin de succession (épinette blanche, sapin baumier, cèdre blanc) prédominaient dans la forêt avant le début de son exploitation commerciale, particulièrement dans les basses terres, près des rivières Rimouski et Matane, des territoires appropriés pour bénéficier du flottage du bois. L’exploitation forestière dans cette région commença vers 1820 pour alimenter les moulins destinés à la production de bardeaux et de madriers. La coupe sélective élimina rapidement les pins, initialement rares (fréquence de 5 %) par rapport aux autres résineux41. L’épinette blanche, une espèce déjà abondante, profita des ouvertures de la canopée et s’étendit, tout comme le sapin baumier, l’espèce compagne de l’épinette la plus commune dans cet écosystème forestier. Enfin, comme dans d’autres régions de l’est de l’Amérique du Nord, l’érable à sucre et l’érable rouge accrurent leur fréquence et leur abondance grâce à leur capacité de croissance dans des conditions de sol et de luminosité difficiles, ainsi qu’à la multiplication de plantules42.

  • 43 « Forsyth Timber Circular », The Morning Chronicle, 18 décembre 1875. Nous traduisons : « The manuf (...)

25L’exploitation sélective et intensive de diverses essences entraîna donc une recomposition du couvert forestier dans les différentes régions. Si la forêt put maintenir sa superficie en dépit de décennies d’exploitation, le jeu de la concurrence interspécifique entraîna un réagencement des équilibres entre les essences forestières. La recomposition du couvert forestier se répercuta sur la disponibilité de certaines essences et sur la taille de certains spécimens, ce qui eut pour conséquence l’acheminement vers le marché britannique de produits du bois autrement négligés. Ainsi, l’inflexion observée dans la quantité de pin exporté à la fin du siècle (fig. 3) fut en partie tributaire de la rareté de spécimens de bonne taille pour former des grumes, alors que le ralentissement des exportations de pin équarri ne put être compensé par les exportations de madriers de pin. Le marchand Forsyth Bell, responsable de la publication d’une circulaire éponyme, le constata d’ailleurs en 1875 lorsque dans son bilan annuel, il remarqua : « Les exploitants forestiers considèrent qu’il est devenu impossible de produire des pièces de bois d’une qualité équivalente comme ils pouvaient le faire il y a quelques années, les arbres étant plus dispersés, et les nouvelles concessions propres à fournir le bois recherché étant plus coûteuses à exploiter et dans certains cas, presqu’inaccessibles43. » Il faut remarquer toutefois que, comme leurs compétiteurs des ports de la Baltique, les marchands de bois du port de Québec furent confrontés à la concurrence des États-Unis qui inondèrent le marché britannique de pins des marais, le pitch pine (Pinus palustris).

  • 44 Par exemple, voir dans le Timber Trades Journal, « Our Annual review. General Summary », 20 janvier (...)

26Cette diminution de la taille des arbres influença le type de marchandises que les marchands de bois sous-traitèrent auprès des entrepreneurs forestiers dans la vallée laurentienne. Les plus petits chênes, ne pouvant pas être vendus comme bois équarris, furent transformés d’abord en douves pour la tonnellerie et l’empaquetage de marchandises, puis en lattes pour la construction de chariots et de wagons de chemin de fer. Les pins de plus petite taille furent également sciés pour être vendus comme madriers. Tout en illustrant la nouvelle composition de la forêt laurentienne, la transformation et l’acheminement de ces produits du bois en Grande-Bretagne reflétèrent aussi des changements sur le marché britannique. Dans la seconde moitié du siècle, les industriels britanniques de plusieurs secteurs furent de plus en plus enclins à importer des bois sciés sur mesure, plutôt que de recourir aux scieries locales à qui ils reprochaient les coûts exorbitants exigés pour la transformation des produits forestiers importés44.

  • 45 Nolet Philippe, Forget Éric, Bouffard Daniel et Doyon Frédérik, Reconstitution historique du dynami (...)
  • 46 « Forsyth & Bell’s Annual Circular & Prices Current, for 1849 », The Morning Chronicle, 21 décembre (...)
  • 47 « Spruce », Timber Trades Journal, 12 juin 1886, p. 470. Voir aussi Lower A. R. M., Great Britain W (...)

27Outre la disparition des arbres de grande taille, la recomposition du couvert forestier se refléta sur la disponibilité de certains produits du bois pour le marché britannique. Dans la première moitié du xixe siècle, le prix du pin blanc sur le marché britannique était moins élevé que celui du pin rouge qui, disait-on, ressemblait au pin de Norvège, avec lequel l’industrie et le commerce avaient développé une familiarité certaine. Le pin rouge était également moins abondant que le pin blanc dans la partie inférieure de l’Outaouais, alors que cette essence était très présente dans la partie supérieure du bassin45. À partir des années 1850, lorsque l’exploitation forestière se déplaça en amont, dans la partie supérieure des rivières Gatineau et La Lièvre, le pin rouge devint plus facilement accessible et disponible pour le marché britannique. Il fut aussi victime de la commercialisation du pin des marais, jusqu’à perdre sa meilleure réputation et son prix plus élevé46. Enfin, le déplacement des chantiers forestiers se répercuta sur la disponibilité des madriers pour le marché britannique. Dans les dernières décennies du xixe siècle, quand l’abattage et le transport des pins vers le port de Québec devinrent très coûteux pour les exploitants forestiers de l’Outaouais supérieur, ces derniers optèrent pour écouler leur bois également sur le marché américain. Le potentiel commercial des madriers d’épinette des forêts de l’est du Québec s’accrut parallèlement, dans la mesure où l’industrie britannique de la construction modifia son appréciation de cette essence47. La disponibilité de certaines espèces d’arbres revêtit ainsi des dimensions à la fois commerciales, écologiques et géographiques, et l’impact de la coupe sélective se fit sentir à la fois dans la forêt laurentienne et sur le marché britannique.

Conclusion

28Telle qu’elle est présentée et utilisée dans l’historiographie, la notion d’hectare fantôme décrit abstraitement le processus de prélèvements extra-territoriaux de ressources naturelles. Si elle nous fournit un premier portrait de l’ampleur du commerce du bois et de l’impact de l’industrialisation sur la forêt laurentienne, elle demeure une illustration hypothétique de l’empreinte écologique laissée par une métropole sur le territoire de ses dépendances. Alors que l’historiographie se contente de mentionner la surface (de la forêt, des champs de coton ou de blé, etc.) que les industries britanniques ont « consommée » à l’étranger, nos données nous permettent de distinguer certains écosystèmes forestiers qui sont spécifiquement impactés par le commerce impérial du bois, fournissant ainsi une analyse plus fine des transformations environnementales provoquées par l’essor industriel et urbain de la Grande-Bretagne au xixe siècle. En effet, le commerce impérial du bois s’appuie sur des régions d’extraction distinctes à travers la vallée du fleuve Saint-Laurent et des Grands Lacs, dont les tributaires du bassin de drainage n’offrent pas les mêmes possibilités forestières. Il touche un marché et une société aux besoins changeants et confrontés à des produits forestiers sur lesquels ils ont peu de prise.

  • 48 Pomeranz Kenneth, The Great Divergence, op. cit., p. 19, 56, 219. Dans An Essay on the Principle of (...)
  • 49 Hazareesingh Sandip, « Interconnected synchronicities: The production of Bombay and Glasgow as mode (...)

29Plutôt que de limiter notre compréhension des hectares fantômes à une seule superficie forestière, nous avons cherché à opérationnaliser cette notion en reconstituant les réseaux d’échanges de matières premières, depuis le site d’extraction jusqu’à leur destination, pour identifier les changements environnementaux qui résultent de leur insertion dans les circuits économiques impériaux. Pour traiter de la question du rôle du bois laurentien dans l’industrialisation britannique, nous devons nous interroger sur les usages auquel il était destiné à différentes époques, selon la dynamique de l’exploitation forestière et des transformations du couvert forestier en Amérique du Nord, ainsi que des rythmes de croissance de la socioéconomie britannique. L’historiographie est toutefois silencieuse sur ce point : elle insiste sur la baisse de volume de bois exporté depuis la colonie laurentienne vers la Grande-Bretagne, qui reste néanmoins considérable en termes absolus, sans envisager les usages et les besoins qui se différencient dans le temps. Lorsque nous examinons l’évolution de la consommation britannique de bois tout au long du xixe siècle, nous voyons poindre des changements, de la construction navale à l’approvisionnement des industries ferroviaires et minières, puis à la construction résidentielle. C’est un enjeu que nous souhaitons documenter, d’autant plus que, dans son ouvrage phare, Pomeranz se réfère trois fois aux quatre nécessités malthusiennes48, tout en ne faisant porter ses recherches que sur la nourriture, l’habillement et l’énergie, et en laissant de côté le logement – la quatrième nécessité. Révéler la dynamique de ce secteur nous permettrait d’apprécier la synchronicité des changements environnementaux à travers l’Empire britannique, par la mise en relation des transformations des paysages forestiers de la vallée laurentienne et celles des paysages urbains et industriels de la Grande-Bretagne49. En connaissant, pour différentes périodes et différentes régions, les volumes de bois extraits en fonction des essences d’arbres, la reconstitution et la description des hectares fantômes nous mèneraient ainsi à présenter les paysages de l’industrialisation britannique comme le produit d’une coconstruction basée en partie sur l’exploitation forestière laurentienne et les contraintes qu’elle exerce sur le façonnement de la société industrielle suivant la disponibilité des produits du bois.

Notes

1 Wackernagel Mathis et Rees William, Notre empreinte écologique, Montréal, Les Éditions Écosociété, 1999.

2 Krausman Fridolin, « A City and its Hinterland: Vienna’s Energy Metabolism 1800-2006 », in Simron J. Singh, Helmut Haberl, Martin Schmid, Michael Mirtl et Marian Chertow (dir.), Long Term Socio-Ecological Research: Studies in Society-Nature Interactions Across Spatial and Temporal Scales, New York, Springer, 2013, p. 247-268 ; Henriques Sofia Teives et Warde Paul, « Fuelling the English breakfast: hidden energy flows in the Anglo-Danish trade 1870-1913 », Regional Environmental Change, vol. 18, no 4, 2018, p. 965-977 ; Magalhães, Nelo, Fressoz Jean-Baptiste, Jarrige François, Le Roux Thomas, Levillaine Gaëtan, Lyautey Margot, Noblet Guillaume et Bonneuil Christophe, « The physical economy of France (1830-2015). The history of a parasite? », Ecological Economics, vol. 157, 2019, p. 291-300 ; Kim Eun Hye et Barles Sabine, « The energy consumption of Paris and its supply areas from 18th century to present », Regional Environmental Change, vol. 12, no 2, 2012, p. 295-310.

3 Selon Warde Paul, « Trees, Trade and Textiles: Potash Imports and Ecological Dependency in British Industry, c. 1550-1770 », Past & Present, vol. 240, no 1, 2018, p. 81 : « Histories of organic intermediary goods as crucial components of a wider ecological history remain, for the most part, to be written. »

4 Pomeranz Kenneth, The Great Divergence: China, Europe, and the Making of the Modern World Economy, Princeton, Princeton University Press, 2000.

5 Ibid.

6 Borgstrom Georg, The Hungry Planet, The Modern World at the Edge of. Famine, New York, Macmillan Company, 1965 ; Jones Eric, The European Miracle: Environments, Economies and Geopolitics in the History of Europe and Asia, 3e éd., Cambridge, Cambridge University Press, 2003 (1981) ; Pomeranz Kenneth, The Great Divergence, op. cit.

7 Remarquons, depuis Eric Williams et son Capitalism and Slavery (1944), que la production américaine du coton, comme la révolution industrielle britannique, sont tout aussi impensables sans la prise en compte du travail des esclaves africains. Voir aussi Inkori Joseph E., Africans and the Industrial Revolution in England A Study in International. Trade and Economic Development Cambridge, Cambridge University Press, 2002.

8 Belich James, Replenishing the Earth. The Settler Revolution and the Rise of the Anglo-World, 1783-1939, Oxford, Oxford University Press, 2009 ; Beckert Sven, Empire of cotton: A Global History, New York, Alfred A. Knopf, 2014 ; Warde Paul, « Trees, Trade and Textiles », art. cité ; Clifford Jim, « London’s Soap Industry and the Development of Global Ghost Acres in the Nineteenth Century », Environment and History, Fast track, 2020, [https://doi.org/10.3197/096734019X15463432086982], consulté le 15 octobre 2020 ; Iriarte Goñi Iñaki et Ayuda Maria Isabel, « Not only Subterranean Forests. Wood consumption and economic development in Britain (1850-1938) », Ecological Economics, vol. 77, 2012, p. 176-184 ; Daheur Jawad, « La sylviculture allemande et ses “hectares fantômes” au tournant des xixe et xxe siècles », Revue forestière française, vol. 69, no 3, 2017, p. 227-239 ; Henriques Sofia et Warde Paul, « Fuelling the English breakfast », art. cité.

9 L’écoumène renvoie ici à l’espace transformé et habité par les colons européens dans la vallée laurentienne. Voir Brunet Roger, Ferras Robert et Théry Hervé, Les mots de la géographie, dictionnaire critique, Paris, La Documentation française, 1992, p. 179.

10 Cette perspective s’inscrit dans une longue tradition que reprennent les travaux plus récents en histoire économique de la Grande-Bretagne : Saul Samuel Berrick, Studies in British Overseas Trade, 1870-1914, Liverpool, Liverpool University Press, 1960 ; Davis Ralph, The Industrial Revolution and British Overseas Trade, Leicester, Leicester University Press, 1979 ; Floud Roderick et Johnson Paul (dir.), The Cambridge Economic History of Modern Britain, vol. 1 : Industrialisation, 1700-1860, Cambridge, Cambridge University Press, 2004.

11 Lower Arthur Reginald Marsden, Great Britain’s Woodyard: British America and the Timber Trade, 1762-1867, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1974 ; Hamelin Jean et Roby Yves, Histoire économique du Québec 1851-1896, Montréal, Fides, 1971, p. 207-227 ; Ouellet Fernand, Histoire économique et sociale du Québec 1760-1850. Structure et conjoncture, Montréal, Fides, 1966 ; Marr William L. et Paterson Donald G., Canada: an Economic History, Toronto, MacMillan, 1980 ; McCalla Douglas, « Forest Products and Upper Canadian Development, 1815-46 », Canadian Historical Review, vol. 68, no 2, 1987, p. 159-195 ; Norrie Kenneth et Owram Douglas, A History of the Canadian Economy, Toronto, Harcourt, Brace Jovanovich, 1991.

12 Barbier Edward B., Scarcity and Frontiers Scarcity and Frontiers: How Economies Have Developed Through Natural Resource Exploitation, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.

13 Notons que dans le cadre de cet article nous insistons sur les importations britanniques de bois laurentiens, mais que le commerce avec les États-Unis s’emballe à partir de la seconde moitié du xixe siècle. À compter de 1905, le marché américain accueille plus de la moitié des exportations de l’industrie forestière canadienne.

14 Ce paragraphe et le suivant puisent abondamment dans l’interprétation classique de l’exploitation forestière au Canada, soit celle fournie par Lower Arthur Reginald Marsden, Great Britain’s Woodyard. op. cit., et tirée de sa thèse de doctorat, Lumbering in Eastern Canada. A Study in Economic and Social History, thèse d’histoire, Harvard University, 1928.

15 Dechêne Louise, « Les entreprises de William Price », Social History/Histoire sociale, vol. 1, no 1, 1968, p. 16-52.

16 Castonguay Stéphane et Flamand-Hubert Maude, « Québec », in David Brownstein et Graeme Wynn (dir.), Canada’s Forests: A Long, Wide View, vol. 1 : Regional Perspectives on Forests and their Use, Canberra, Australian National University Press, 2021.

17 « Forsyth & Bell’s Annual Circular and Prices Current of Timber, Deals, &c. for 1847 », The Morning Chronicle, vol. 1, no 165 (8 décembre 1847) ; « Forsyth, Bell & Co.’s Annual Prices Current of Timber, Deals, &c. », The Morning Chronicle and Commercial and Shipping Gazette, vol. 8, no 2080 (30 décembre 1854). Lower Arthur Reginald Marsden, Great Britain’s Woodyard. op. cit., p. 93.

18 Gaudreau Guy, Les récoltes des forêts publiques au Québec et en Ontario : 1840-1900, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1999, p. 91.

19 McCalla Douglas, Planting the Province: The Economic History of Upper Canada, 1784-1870, Toronto, University of Toronto Press, 1993, p. 258.

20 Outre les travaux de Gaudreau (Les récoltes des forêts publiques au Québec et en Ontario, op. cit.), une source utile pour convertir les différentes unités de marchandise en volume de bois est Stevens Robert White, On the Stowage of Ships and their Cargoes, 7e éd., Londres, Longmans and Green, 1894.

21 Lower Arthur Regimbald Mardsen, Lumbering in Eastern Canada, op. cit., p. 604. Max Endres (Handbuch der Forstpolitik mit besonderer Berücksichtigung der Gesetzgebung und Statistik, Berlin, J. Springer, 1905, p. 581) a proposé plusieurs facteurs de conversion pour évaluer l’équivalent en bois brut des produits forestiers mis en marché. Ainsi, un mètre cube de bois provenant d’un résineux équivaut à 2,08 m3 de bois brut et un mètre cube de bois provenant d’un arbre à feuillage caduc équivaut à 2,78 m3 de bois brut.

22 Il s’agit d’un coefficient fourni par Theodoridis Dimitrios, The ecological footprint of early-modern commodities Coefficients of land use per unit of product, Göteborg Papers in Economic History, 2017, p. 21, qui lui-même se fonde sur Wackernagel Mathis et Rees William, L’Empreinte écologique, op. cit., ainsi que sur les travaux de Smil Vaclav et de l’Office of Technology Assessment des États-Unis. Sur le calcul des hectares fantômes et l’utilisation de coefficients pour différentes ressources naturelles, voir Theodoridis Dimitrios, Warde Paul et Kander Astrid, « Trade and overcoming land constraints in British industrialization: an empirical assessment », Journal of Global History, vol. 13, no 3, 2018, p. 328-351.

23 Whitney Gordon, From Coastal Wilderness to Fruited Plain: A History of Environmental Change in Temperate North America, 1500 to the Present, Cambridge, Cambridge University Press, 1994.

24 En l’absence de données sur la densité forestière au xixe siècle dans la vallée laurentienne, nous employons la densité moyenne de la forêt ancienne du mid-ouest américain (Wisconsin et Michigan). Voir Tyrrell Lucy E. et Crow Thomas R., « Structural Characteristics of Old-Growth Hemlock-Hardwood Forests in Relation to Age », Ecology, vol. 75, no 2, 1994, p. 370-386.

25 La circulaire fournit également l’inventaire des produits du bois dans le port de Québec, ainsi qu’un aperçu sur l’état du marché britannique quant aux essences désirées et au cycle économique, de même que sur la disponibilité de la ressource forestière dans la vallée laurentienne.

26 Une agence forestière est une division administrative du commissaire des Terres de la Couronne. Le territoire de l’agence correspond ordinairement à un bassin hydrographique.

27 Gaudreau Guy en fait une évaluation exhaustive dans L’exploitation des forêts publiques au Québec 1842-1905, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, 1986.

28 Voir McCalla Douglas, « Forest products and Upper Canadian Development », art. cité, p. 166-170.

29 Albion Robert Greenhalgh, Forests and sea power: the timber problem of the Royal Navy, 1652-1862, Hamden, Archon Books, 1965.

30 « An Account of all the rafts of timber cut within the American Lines », 21 février 1821, British Parliamentary Papers.

31 Vallières Marc, « Un grand port au centre d’un commerce florissant », in Marc Vallières (dir.), Histoire de Québec et de sa région, t. 2 : 1792-1939, Québec, Presses de l’université Laval, 2008, p. 709.

32 Ibid.

33 Gaudreau Guy, Les récoltes des forêts publiques au Québec et en Ontario, op. cit., p. 49-50.

34 Castonguay Stéphane et Flamand-Hubert Maude, « Québec », in David Brownstein et Graeme Wynn (dir.), Canada’s Forests: A Long, Wide View, op. cit.

35 Gillis Sandra J., The timber trade in the Ottawa Valley, 1806-1854, Parks Canada, Department of Indian and Northern Affairs, Manuscript Report no 153, 1975.

36 Terrail Raphaël, Arseneault Dominique, Fortin Marie-Josée, Dupuis Sébastien et Boucher Yan, « An early forest inventory indicates high accuracy of forest composition data in pre-settlement land survey records », Journal of Vegetation Science, vol. 25, 2014, p. 691-702.

37 Simard Hélène et Bouchard André, « The precolonial 19th century forest of the Upper St Lawrence region of Quebec: a record of its exploitation and transformation through notary deeds of wood sales », Canadian Journal of Forest Research, vol. 26, 1996, p. 1670-1676 ; Brisson Jacques et Bouchard André, « In the past two centuries, human activities have caused major changes in the tree species composition of southern Quebec, Canada », Ecoscience, vol. 10, 2003, p. 236-246.

38 Mauri Ortuno Eduard, Les archives d’arpentage : témoins de l’état du pin blanc et du pin rouge au 19e siècle en Moyenne-Mauricie, projet réalisé en partenariat entre l’Agence Parcs Canada, l’Institut québécois d’aménagement de la forêt feuillue et l’université Laval, 2012.

39 Barrette Martin et Bélanger Louis, « Reconstitution historique du paysage pré industriel de la région écologique des hautes collines du Bas-Saint-Maurice », Canadian Journal of Forest Research, vol. 37, no 7, 2007, p. 1147-1160.

40 Mauri Ortuno Eduard, Les archives d’arpentage, op. cit.

41 Boucher Yan, Arseneault Dominique et Sirois Luc, « La forêt préindustrielle du Bas-Saint-Laurent et sa transformation (1820-2000) : implications pour l’aménagement écosystémique », Le Naturaliste canadien, vol. 133, no 2, 2009, p. 61.

42 Dupuis Sébastien, Arseneault Dominique et Sirois Luc, « Change from pre-settlement to present-day forest composition reconstructed from early land survey records in eastern Québec, Canada », Journal of Vegetation Science, vol. 22, no 4, 2011, p. 564-575.

43 « Forsyth Timber Circular », The Morning Chronicle, 18 décembre 1875. Nous traduisons : « The manufacturers of all kinds of Timber find it an impossibility to produce the same class of wood as they were able to do some years ago, the trees are more scattered, the new Limits which furnish most of the choice Timber more expensive to work, and in some cases almost inaccessible. »

44 Par exemple, voir dans le Timber Trades Journal, « Our Annual review. General Summary », 20 janvier 1877, p. 303 ; « Canadian Hardwoods for Carriage Building », Supp. 1er octobre 1887 p. 8 ; « Annual Review. London », 27 février 1892, p. 232.

45 Nolet Philippe, Forget Éric, Bouffard Daniel et Doyon Frédérik, Reconstitution historique du dynamisme du paysage forestier du bassin de La Lièvre au cours du 20e siècle, Ripon, Institut québécois d’aménagement de la forêt feuillue, 2001 ; Mauri Ortuno Eduard, Doyon Frédérik et Jean D., Distribution historique du pin blanc et rouge en Outaouais – Phase 2, Ripon, Institut québécois d’aménagement de la forêt feuillue, 2010.

46 « Forsyth & Bell’s Annual Circular & Prices Current, for 1849 », The Morning Chronicle, 21 décembre 1849.

47 « Spruce », Timber Trades Journal, 12 juin 1886, p. 470. Voir aussi Lower A. R. M., Great Britain Woodyards, op. cit., p. 188.

48 Pomeranz Kenneth, The Great Divergence, op. cit., p. 19, 56, 219. Dans An Essay on the Principle of Population, l’économiste britannique Thomas Robert Malthus (1766-1834) se préoccupait des problèmes qui résulteraient d’une croissance démographique compte tenu de la disponibilité des ressources nécessaires à satisfaire les besoins vitaux de la population.

49 Hazareesingh Sandip, « Interconnected synchronicities: The production of Bombay and Glasgow as modern global ports, c. 1850-1880 », Journal of Global History, vol. 4, no 1, 2009, p. 7-31.

Table des illustrations

Titre Carte 1. – La vallée laurentienne et ses régions forestières.
Légende Source : D’après Gaudreau Guy, L’exploitation des forêts publiques au Québec 1842-1905, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, 1986, hors-texte ; Gaudreau Guy, Les récoltes des forêts publiques au Québec et en Ontario : 1840-1900, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1999, p. 126.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/164763/img-1.jpg
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Titre Fig. 1. – Le commerce du bois laurentien : volume du bois exporté vers la Grande-Bretagne.
Légende Source : DSPC, JCALBC, DSDC (années concernées).
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/164763/img-2.jpg
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Titre Fig. 2. – Les hectares fantômes : superficie équivalente du bois laurentien exporté vers la Grande-Bretagne.
Légende L’axe vertical à la droite du graphique présente la proportion du territoire britannique que représente annuellement cette forêt fantôme récoltée dans la vallée laurentienne. Source : DSPC, JCALBC, DSDC (années concernées).
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/164763/img-3.jpg
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Titre Fig. 3. – Les exportations de bois laurentiens en Grande-Bretagne : les hectares fantômes et leurs essences.
Légende Les données pour le chêne comprennent le bois équarri et le bois fendu. Les données pour le pin comprennent les madriers ainsi que les pins blancs et les pins rouges équarris. Source : Forsyth Circular (1844-1900) ; DSPC et JCALBC (années concernées).
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/164763/img-4.jpg
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Auteurs

Stéphane Castonguay est professeur titulaire en histoire à l’Université du Québec à Trois-Rivières et membre du Centre interuniversitaire d’études québécoises.
Jim Clifford est professeur agrégé en histoire environnementale de la Grande-Bretagne à University of Sasktachewan.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

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