1Les zones humides européennes, littorales ou continentales, occupent une place singulière dans l’histoire environnementale et ce tant au niveau de leurs trajectoires biogéographiques, sociales et culturelles, qu’à celui des sources, méthodes et pratiques mises en œuvre pour les reconstituer1. Comme les autres écosystèmes, elles ont connu et connaissent toujours une évolution permanente selon les conditions climatiques et biophysiques, en interface avec le développement et l’emprise des activités humaines. Certaines ont fait l’objet d’assèchement en vue de drainage ou d’irrigation, d’autres au contraire ont été créées pour augmenter des ressources, d’autres encore ont été abandonnées, ce qui induit des situations très variées, du nord au sud de l’Europe, empêchant toute approche univoque du sujet. Ces configurations dans le rapport des sociétés aux zones humides ne manquent pas d’ailleurs de se répondre, de s’éclairer mutuellement dans le temps et dans l’espace. Elles interrogent tout à la fois la quantité, la qualité et la complémentarité des ressources, le cumul et la concurrence des usages, les conflits liés à des formes d’organisation socio-politique ainsi que leur traduction environnementale.

2Et cela d’autant plus qu’il faut compter avec la diversité des formes de zones humides que rappelle à juste titre la Convention de Ramsar, traité international pour la conservation et l’utilisation durable des zones humides adopté le 2 février 1971, qui vise à enrayer leur dégradation en reconnaissant leurs fonctions écologiques ainsi que leur valeur économique, culturelle, scientifique et récréative. Le texte les définit comme suit : « Des étendues de marais, de fagnes, de tourbières ou d’eaux naturelles ou artificielles, permanentes ou temporaires, où l’eau est stagnante ou courante, douce, saumâtre ou salée, y compris des étendues d’eau marine dont la profondeur à marée basse n’excède pas six mètres2 ». L’expression zones humides est un terme technique, une nouveauté sémantique qui brouille bien souvent la longue histoire dont ces milieux sont chargés. En France, depuis la loi sur l’eau du 3 janvier 1992, elle fait l’objet de multiples définitions répondant aux conflits d’usages entre les protecteurs de la nature et les tenants d’une utilisation plus intensive des milieux3. Quoiqu’il en soit, cette terminologie récente, traduite de l’anglais wetlands, occulte la richesse des mots de la documentation ancienne évoquant marais, marécages, paluds, roselières, étangs, mouille, etc. en fonction des niveaux d’eau, de la végétation, des usages.

3Depuis la fin du xix^e siècle, et plus que la forêt, la montagne ou tout autre écosystème, ce sont d’abord des milieux qui ont connu des mutations très rapides. Les marais continentaux ou littoraux ont vu leur superficie réduite des deux-tiers et beaucoup, du fait des interventions anthropiques prométhéennes, ne vivent plus que dans le souvenir de l’eau. Cette éradication fait prendre conscience du décalage, en France du moins mais pas seulement, entre les enjeux des périodes préindustrielles et ceux de la période industrielle généralement considérée comme l’entrée dans une nouvelle ère, l’Anthropocène. Elle pose question : quelles aménités réelles attendait-on pour lancer une telle bataille envers les zones humides ? Quelles représentations, issues tout à la fois de la perception négative de l’humide dans l’imaginaire judéo-chrétien, des premiers errements scientifiques de l’hygiénisme et d’une conception mécanique du Modernisme ont été mobilisées ? Quels glissements, quelles convergences concrètes ou inconscientes ont assuré le maintien d’une pensée aménagiste tournée contre les zones humides pendant plus de deux siècles, et ce au mépris de l’ensemble des services écosystémiques fournis par les lieux d’eau, et alors même que les différents stades de la Révolution industrielle présentent des configurations homme-nature très dissemblables ?

4Les zones humides retracent aussi une histoire environnementale marquée par une demande sociale et politique complexe, par l’émergence de nouveaux regards, de nouveaux acteurs au fil des siècles (ingénieurs, industriels, médecins…). Cela s’explique d’abord par l’ampleur des moyens financiers, techniques et humains qu’il s’agit de mettre en œuvre pour « bonifier », c’est-à-dire assécher les territoires de l’eau. Et si les sources retraçant cette épopée dessicatrice sont nombreuses, car soigneusement consignées, renseignées et toutes au service de l’action des élites, bien plus lacunaires, éparses et diversifiées sont au contraire les sources locales montrant la farouche opposition des gens de l’eau, du microcosme de l’humide, à l’assèchement de leurs marais et à la destruction de leurs sociétés. En ceci, l’histoire des zones humides est aussi une histoire politique et sociale.

Les zones humides : un objet historique complexe, un laboratoire interdisciplinaire

5Qu’il s’agisse de tourbières, de zones humides littorales, de vallées alluviales ou encore de plaine, les milieux humides ne sont pas, contrairement à ce que l’on a longtemps pensé, des milieux figés, d’origine systématiquement naturelle. Certains ont été construits de main d’homme dès le Néolithique, de façon volontaire ou indirecte en modifiant les écoulements par des aménagements ou suite à un abandon d’installations déclenchant le développement de la tourbe4. C’est dire combien les zones humides actuelles sont le fruit d’évolutions complexes combinant facteurs naturels et facteurs anthropiques. À ce titre, elles constituent une porte d’entrée singulière pour penser l’histoire des relations entre les sociétés et leur espace, à la fois espace-territoire et espace-paysage, à l’heure où les relations de l’homme à l’eau ont changé de nature, comme le rappelle la directrice générale de l’UNESCO5.

Un objet géohistorique complexe

6Depuis une vingtaine d’années6, les zones humides font l’objet de recherches interdisciplinaires, alliant sciences de la terre et sciences sociales et humaines. Ces travaux apportent d’autres éclairages, à mettre en regard dans les perspectives de la longue durée, sur les relations complexes qu’ont entretenu et entretiennent toujours les sociétés avec les zones humides.

7Ils ont amené à s’interroger sur la « naturalité » et les degrés de cette « naturalité » des zones humides. À partir de quels moments les tourbières ne sont-elles plus naturelles, ou, dit autrement, à partir de quels moments sont-elles devenues des socio écosystèmes ? Ne doit-on pas plutôt considérer que les milieux humides sont en fait des milieux hybrides au sens de Bruno Latour, c’est-à-dire des entités spécifiques, dotées d’une dynamique propre, intégrant l’évolution historique de toutes les interactions biologiques et anthropiques7 ? Les recherches archéologiques, notamment les études de palynologie et de carpologie, convergent en effet pour révéler des exploitations anciennes voire très anciennes des zones humides en France (Massif central, Normandie, bassins-versants du Doubs, de la Seine, etc.)8. C’est également l’exemple de la Brenne (Indre) dont le caractère marécageux a longtemps été considéré comme originel. Les travaux de Renaud Benarrous ont mis en évidence, au contraire, le caractère « artificiel » de la zone humide d’étangs que l’on connaît aujourd’hui, milieu créé par l’homme pour l’exploitation piscicole de la carpe9. La transformation en zones humides d’étangs a été, là, le choix d’exploitation retenu par les sociétés médiévales. C’est aussi le cas de la Dive10, davantage construite de main d’homme que produit de la nature. C’est encore le cas à l’étranger, des travaux anglais ayant montré combien les marais des côtes anglaises, galloises, puis flamandes, hollandaises et germaniques ont été l’objet d’aménagements continuels sur de très vastes superficies tout au long du Moyen Âge11.

8Le développement des recherches et la multiplication des échanges avec les acteurs de terrain ont conduit peu à peu à l’émergence d’un consensus reconnaissant le caractère hybride de ces milieux, et de leurs « propriétés et […] caractéristiques spécifiques uniques, fruit d’un rapport singulier entre les temps longs et courts de l’histoire des sociétés et de celle de la nature12 ».

9Ces travaux ont également révélé combien les zones humides peuvent apparaître, disparaître, s’étendre, se rétracter. Les analyses paléoenvironnementales menées ces dernières décennies montrent bien que la dynamique de ces milieux ne s’inscrit pas dans une trajectoire linéaire mais fait alterner des temps forts d’appropriation et d’abandon, avec de nombreux changements d’usage. Il faut donc être attentif aux rythmes de ces transformations, aux accélérations ou stagnations, aux seuils de réversibilité ou non, en somme à la « respiration » de ces milieux. C’est le cas bien connu de la dépression de la vallée des Baux en Provence13. Là, les recherches archéologiques ont distingué une phase d’absence de nappe d’eau du i^er siècle avant au i^er siècle apr. J.-C., cette période de régression se situant entre deux périodes de montée des eaux : Protohistoire et fin de l’Antiquité. C’est également le cas des marais Pontins en Italie, localement et provisoirement asséchés au v^e siècle de notre ère, et du Pays de Retz asséché au xii^e siècle par les moines de Buzay et inondé aux xv^e et xvi^e siècles14.

10Ces travaux ont mis l’accent aussi sur l’ambivalence des zones humides, conjuguant attractivité et répulsivité, simultanément ou non15. C’est que la biodiversité de ces territoires est riche, exploitée sous différentes formes par les populations. Non seulement les ressources y sont nombreuses mais naturellement régénérées, largement accessibles car relevant le plus souvent de biens communaux : pâtures, fourrage, litière, gibier, poisson, osier pour l’artisanat, sans parler de la tourbe largement utilisée pour le chauffage avant le charbon16. Pendant longtemps, partie intégrante de l’incultum, les zones humides ont fait l’objet d’un fort niveau d’exploitation, le lieu d’une sorte « d’agriculture alternative » indispensable pour la survie des sociétés anciennes, souvent occultée par les pratiques centrées sur les terres céréalières17. Dans certaines régions comme l’Italie au cours du haut Moyen Âge, ces espaces ont pu faire l’objet de transactions au même titre que les autres biens fonciers18. Riches et fertiles, ces milieux ont nourri des sociétés nombreuses qui, du fait de ces aménités, acceptaient l’instabilité, les risques et les dangers dans un perpétuel compromis ressources-dangers19. La notion récente de services écosystémiques est ainsi revisitée et conduit à envisager les ressources des zones humides des différentes périodes révolues sous un angle plus dynamique. Enfin ces territoires ont largement attiré l’installation de villes qui utilisaient l’espace marécageux comme un moyen de défense (Bruxelles20, Valenciennes, etc.) et ont modifié les tracés fluviaux et la géographie de leurs annexes humides21. Sans oublier l’économique, le stratégique a déterminé l’aménagement de ces milieux en dépit des risques que pouvaient représenter les eaux palustres22.

11Terres des vivants, les zones humides sont aussi terres des morts… Les nombreuses fouilles archéologiques menées depuis plus de trois décennies aussi bien en France que dans les autres pays européens ont largement montré que ces lieux d’eau sont occupés depuis au moins le Néolithique, comme le démontre le travail interdisciplinaire mené sous la direction de François Giligny sur le site de Louviers dans l’Eure23, mais aussi utilisés dès la Protohistoire comme zones funéraires aménagées ; en témoignent les études conduites dans la plaine d’Alsace24 ou dans la vallée de l’Escaut25.

12Rappeler ces éléments, c’est insister sur la singularité de cet objet géohistorique, sur celle des évolutions qu’il connaît dans le temps et l’espace, sur la prudence des interprétations. Si les recherches menées ont fait émerger des pans entiers de la géohistoire des zones humides, elles les ont surtout davantage complexifiées. À ce titre, elles constituent un laboratoire des relations qu’ont entretenu plus généralement les sociétés avec la nature26, et un formidable objet de réflexions pour comprendre les enjeux contemporains en renseignant sur le sens des mutations qu’elles connaissent aujourd’hui.

Des sources et des méthodes à la croisée des sciences humaines, biophysiques et de gestion

13Les concepts et les pratiques à la fois des scientifiques impliqués dans l’étude de ces milieux mais aussi des gestionnaires et acteurs des territoires qui en ont la charge sont en plein renouvellement. Tous cherchent à être attentifs à l’approche comparative des corpus documentaires (sources écrites, cartographiques, archéologiques, données environnementales…), à la mise en correspondance des sources terme à terme, aux échelles d’observation, à la confrontation des interprétations mais aussi à la confrontation des raisonnements de chacune des approches, historique, écologique, géographique.

14Dans cette perspective, le développement et le renouvellement de l’archéologie, la promotion du sédiment comme objet d’histoire, l’appel et le recours aux sciences de la terre et aux sciences de la vie ont été décisifs. Les zones humides, bien plus que d’autres socio-écosystèmes, sont de véritables « conservatoires », enregistrant sédiments accumulés (tourbes, limons…), matière organique préservée (pollens, charbons de bois, macro-restes végétaux comme animaux). Les palynologues ont très tôt reconnu l’intérêt de ces milieux pour des reconstitutions paléoenvironnementales, initialement dans le but de restituer l’histoire de la végétation associée à celle du climat, et aujourd’hui celui d’identifier le processus d’anthropisation et ses étapes. Plus qu’ailleurs, les zones humides gardent une « mémoire » de leur histoire, renfermant, outre les classiques objets archéologiques, ce que les archéologues appellent les « invisibles de l’histoire » : toutes sortes de traces qui renseignent sur les pratiques et usages des sociétés comme sur l’activité bio-physico-chimique de ces mêmes milieux au cours du temps.

15Des stratégies de fouille, de prélèvement et d’échantillonnage des données ont été mises en œuvre. Ces milieux sont devenus de véritables laboratoires où des protocoles d’études inédits (de carottages sédimentaires, de pollens, de micro-organismes, de spores de champignons…) identifient les processus en jeu dans l’évolution de ces milieux. À partir de ces analyses bio-physico-chimiques, il s’agit d’étudier la « fabrique » des zones humides et d’en comprendre la dimension historique (les héritages, notamment, qu’ils soient encore fonctionnels ou figés).

16Cette approche interdisciplinaire holistique27 s’écarte du positionnement classique centré sur l’étude du progrès et d’espaces envisagés avant tout comme des terres à peupler ou à mettre en culture dans une perspective productiviste, pour s’intéresser d’abord à la fonctionnalité de ces milieux au cours de leur longue histoire commune avec les sociétés humaines.

Les zones humides, des milieux à l’évolution contrastée

17Davantage que tous les autres milieux naturels, les zones humides enregistrent une grande inconstance tant dans leurs modes historiques de valorisation, faits d’une succession parfois rapide d’appropriations intenses et diverses et d’abandon retentissants28, que dans leurs modes de perception très variables socialement29. Dès lors, si la vision contemporaine, largement héritée d’une opposition entre modernes et post-modernes, crée une tension entre milieux insalubres et improductifs qu’il s’agit d’éradiquer, et milieux de « vraie nature », qu’il s’agit au contraire de protéger, elle obère la complexité des liens, notamment locaux, entre les sociétés humaines et les lieux d’eau30. Il y a donc nécessité d’intégrer à la fois le temps long de l’histoire des zones humides mais aussi les temps courts des sociétés locales afin d’éclairer l’intrication des interactions31.

Des exploitations différenciées dans le temps et dans l’espace

18La multiplication des recherches, notamment archéologiques au cours des deux dernières décennies, a établi une périodisation des aménagements des zones humides. En Europe, la plupart des régions comportant des marais ont connu en effet des actions de drainage. L’archéologie atteste l’existence de premières entreprises d’assèchement : dès le Second Âge du Fer (v^e-ii^e siècle av. J.-C.), le Grand Marais dans le bassin de Clermont-Ferrand est ainsi l’objet d’un drainage qui conduit à une réduction de 90 % de sa surface32. Le monde romain a fait la part belle à l’aménagement des terres humides mais il s’est agi surtout de drainer de grands lacs comme le lac Fucin : le but n’était pas d’assécher complètement mais de contrôler et de stabiliser le niveau d’eau de ces grandes étendues33. Toutefois, ces actions d’envergure ont tendance à occulter l’intérêt des sociétés pour des zones plus petites et sans doute plus répandues. Au cours du millénaire médiéval, ces opérations s’intensifient progressivement à partir des viii^e-ix^e siècles. Elles prennent plus d’ampleur à partir du x^e siècle où de véritables assèchements sont entrepris un peu partout en Europe. Comme le souligne Jean-Loup Abbé, « l’eau n’est plus seulement écartée, elle est désormais évacuée34 ». Ce processus connaît son apogée aux xii^e-xiii^e siècles, conduisant à de véritables transformations des paysages. Il s’agit alors d’étendre la superficie des terres et d’accroître leur productivité. Cette réorganisation importante des zones humides s’essouffle à partir du xiv^e siècle, en lien avec le début du Petit Âge Glaciaire et la récession démographique suite à la Peste noire.

19Il importe cependant de ne pas s’en tenir à ce schéma général, car en même temps que s’opèrent des drainages et des assèchements, se créent nombre d’étangs, et bon nombre de zones marécageuses continuent d’être exploitées. Pendant l’époque médiévale, les situations sont contrastées : des différences de traitement se font jour entre zones humides littorales et continentales, entre l’Europe du Nord-Ouest et le pourtour méditerranéen. Les unes sont peu drainées mais au contraire exploitées, voire créées pour augmenter les ressources : ainsi en Auvergne et en Bourgogne à la fin du Moyen Âge où les étangs deviennent le type de fonds le plus rémunérateur pour le monde seigneurial en raison du haut prix du poisson. D’autres sont transformées en terres céréalières afin d’intensifier la production agricole (ainsi en Languedoc pour l’étang de Montady ou encore en Auvergne pour le lac de Sarliève).

20À l’époque moderne, les monarchies européennes, notamment anglaise et française, encouragent la conversion des marais en terre à blé35. Une telle mise en valeur permet d’accroître et de renforcer leur domination. C’est dire combien est essentielle la prise en compte des contextes géographiques et de la diversité des situations locales, traduisant la variété des choix opérés par les sociétés.

Accentuation de la pression à partir du xix^e siècle

21La très forte régression de la superficie des zones humides depuis le xix^e siècle est déjà bien renseignée36. Cibles de la Révolution française qui voulut aliéner le pouvoir clérical en asséchant les étangs37, martyres du Progrès porté par l’idéal physiocrate, l’hygiénisme38 et incarné par l’urbanisme moderne39, elles ont été placées au ban de l’espace métropolitain. Les plus petites d’entre elles, les mares, sont aujourd’hui dix fois moins nombreuses que dans les années 1880, malgré leur forte contribution à la biodiversité des campagnes40. La plupart des marais continentaux subissent également au xix^e siècle d’importantes opérations de « bonification » à l’instar des landes de Gascogne41, des zones humides laonnoises42, du marais Vernier43, de la Sologne44, à mesure que la conquête de la mer transforme les marais littoraux en de vastes polders45. Sans cesse poursuivi jusqu’aux années 1930, l’objectif d’assèchement46 est réaffirmé après 1945 dans les différents plans d’aménagement du territoire. Jusqu’aux années 1960, conquérir de nouvelles terres sur la mer reste prioritaire47 – citons par exemple la mise en culture du marais Vernier et l’élaboration en 1955 des plans d’endiguement de l’Anse de l’Aiguillon dans le cadre du premier schéma d’aménagement des marais de l’Ouest. De même, jusqu’aux années 1990, l’essentiel des propositions concernant les zones humides consiste encore à les « améliorer » par drainage afin de permettre leur mise en culture. La loi d’orientation agricole du 4 juillet 1980, proposant que 4 millions d’hectares soient « assainis » en l’espace de quatre ou cinq plans annuels successifs, apparaît particulièrement révélatrice du caractère prioritaire de la lutte contre les lieux d’eau (la surface annuelle drainée passe dès lors de 40 000 hectares durant la décennie 1970-1980 à plus de 120 000 hectares jusqu’en 1991). Les zones humides ont donc subi une régression récente spectaculaire et l’on peut estimer, qu’à l’instar de l’Espagne, du Portugal et du Royaume-Uni, ce sont plus de la moitié des superficies hydromorphes nationales qui ont été supprimées depuis la Seconde Guerre mondiale48, plus des deux tiers depuis Napoléon I^er. Des marais entiers ont ainsi été rayés de la carte (c’est le cas du marais des Échets, du marais de Saint-Gond) alors que les autres sites continentaux prestigieux (Camargue, Dombes…), perdaient la moitié de leurs milieux naturels et que les zones humides côtières montrent des chiffres encore plus inquiétants (pour la seule Bretagne, 65 % des marais salés des fonds de baie et des estuaires ont disparu en moins de 50 ans).

22La prise de conscience de ces pertes intervient dans les années 1990. En 1994, alors que la France signe la convention Ramsar, le premier ministre diligente une évaluation des politiques publiques en matière de zones humides. Le préfet Bernard introduit alors son rapport en affirmant que les « zones humides se situent en tête des milieux naturels les plus menacés […] que deux-tiers d’entre elles ont disparu en France en un siècle, notamment au cours des dernières décennies […] et qu’elles constituent des milieux reliques49 ». Ce rapport motive le Plan national d’actions en faveur des zones humides (1995-2000) qui verra le lancement de 20 programmes de recherches, la création de l’Observatoire des zones humides et la création de 6 Pôles-relais zones humides. L’objectif est d’arrêter la dégradation des zones humides, reconnues comme des « infrastructures naturelles », et de reconquérir les sites d’intérêt national. Malgré le renouvellement de ces plans jusqu’en 2018, la rétractation, certes ralentie et moins uniforme sur le territoire national, se poursuit, les lieux d’eau continuant depuis 20 ans, au mieux à perdre de leur valeur biologique, au pire à enregistrer une baisse de leur superficie, et ce malgré leur place prépondérante au sein des espaces protégés. La dernière note du Commissariat général au développement durable de mars 2020 évaluant l’état de la conservation de la flore, de la faune et des habitats d’intérêts communautaire depuis 2007 en France souligne que « les écosystèmes humides et aquatiques figurent parmi les plus menacés50 ». À l’échelle européenne, ce sont aussi les biomes les plus en danger puisque 35 % d’entre eux ont été détruits depuis 1970. Et hélas, la dynamique néfaste est également à l’œuvre dans tout le bassin méditerranéen comme en Algérie51 et sur l’ensemble de la planète52.

23Trois points nuancent toutefois ce sombre tableau. D’une part, depuis 1990, le ralentissement de cette régression est net puisque les superficies des milieux humides sont restées stables dans 70 % des cas. D’autre part, il s’accompagne d’une redistribution territoriale des lieux d’eau. Le cas du bassin du Rhône est ici éloquent : si globalement les marais de plaine régressent, notamment à proximité des agglomérations53, les tourbières de moyenne montagne, notamment du Massif central, connaissent une forte extension du fait de l’abandon des pratiques agricoles et d’élevage. Le programme RHoMéo à l’échelle du bassin Rhône-Méditerranée recense même bon nombre de plans d’eau et de lacs qui, comme le site de Sagne-Redonde en Ardèche, se comblent de sphaignes et se transforment en tourbières54. Enfin, cette régression des milieux humides naturels s’accompagne d’une forte augmentation des zones artificielles : au sein des 32 sites Ramsar de la France métropolitaine (805 000 ha), elle s’élève à 38 % entre 1975 et 2010, soit un gain de 12 400 ha. Or, et c’est une posture forte du GHZH, l’opposition naturel-artificiel est très largement un construit des écologues et des naturalistes puisque la totalité des zones humides de l’Hexagone résultent des interactions historiques entre l’évolution des écosystèmes et celle des sociétés humaines qui les perçoivent et les aménagent. Pleurer le recul du naturel et dénoncer le gain de l’artificiel relève donc souvent d’un biais culturel, comme celui de négliger la dimension historique dans les choix de gestion des lieux d’eau55 !

Une dépréciation culturelle et sociale changeante mais renouvelée

24Ces espaces ont longtemps fait l’objet d’une perception très particulière, négative, souffrant d’un a priori : une terre sèche est une terre saine. Il s’ensuit qu’un marais est forcément malsain et nuisible, un obstacle au progrès agricole alors qu’il est nécessaire d’accroître la production céréalière face à la pression démographique, et le contrôle politique y est plus difficile dans ces zones souvent mal délimitées. En outre, à mauvais pays, mauvaises gens : assécher est donc faire œuvre de salubrité morale comme le soulignent Yves Luginbühl et Marie-Vic Ozouf-Marignier56.

25La condamnation des zones humides comme lieux répulsifs, de sols instables et peu productifs, concentrant l’insalubrité et les miasmes dus aux eaux stagnantes (qu’il ne faut pas nier cependant), est relativement récente. Certes, depuis Henri IV, et son célèbre Édit du 8 avril 1599 qui lance l’assèchement des marais en France, les monarques français n’ont pas manqué, dans un but politique, de considérer ces espaces comme des lieux insalubres, nuisibles, devant être assainis et convertis aux terres cultivées. Mais cet idéal est en concurrence, à l’époque moderne, avec toutes les aménités liées aux zones humides : métiers de la rivière, dont les moulins transforment le moindre écoulement en une succession de biefs, rouissage du lin et du chanvre qui dynamisent les foires et l’artisanat. Les temps de l’eau, pour reprendre l’expression d’André Guillerme57, s‘appuient sur une économie des eaux courantes et stagnantes, notamment urbaine, qui assure globalement le maintien des zones humides. Pourtant, le mouvement d’assèchement s’amplifie aux xvii^e et xviii^e siècles orchestré par les Physiocrates. Cette répulsivité semble atteindre son apogée au xix^e siècle au point que certains n’ont pas hésité à considérer que ce siècle avait développé une véritable peur du marais. Cette peur transparaît bien dans l’ouvrage du Comte de Dienne, maintes fois récompensé, sur l’assèchement des lacs et marais en France avant 1789, qui fournit incontestablement un puissant et violent argumentaire contre les zones humides58. Elle traverse le célèbre rapport du préfet Bossi de l’Ain en 1808, sur l’état physique des habitants des marais de la Dombes, particulièrement évocateur de ces courants de pensée : « Un teint pâle et livide, l’œil terne et abattu, les paupières engorgées, des rides nombreuses […], des épaules étroites, des poitrines resserrées, un cou allongé […] une peau toujours sèche ou inondée de sueurs débilitantes, une démarche lente et pénible […], vieux à 30 ans, cassé et décrépit à 40 ou 50 : tel est l’habitant de la Dombes, de ce vaste marais. Ce pays, c’est un tombeau sur les bords duquel l’habitant traîne douloureusement sa courte existence59. » On en trouve également un cinglant témoignage dans tous les jugements des édiles sur la Sologne60 puisqu’en 1852, le directeur général de l’Agriculture prétend, depuis Paris, que « la Sologne est une province qui n’appartient que de nom à la France » car « on ne possède pas le néant, et la Sologne, c’est la stérilité et le désert » ! Quant aux Solognots, ils n’ont rien à envier aux habitants de la Dombes selon Bigot de Morogues en 182261 et même selon George Sand62 !

26Mais à cette vision univoque du Progrès, quelques nuances sont à apporter. Le xix^e siècle voit le glissement d’un argumentaire agraire à un réquisitoire hygiénique puis à un discours anti-milieux naturels non productifs visant également la montagne sur fond d’accélération de l’émigration rurale pour nourrir les besoins urbains en main-d’œuvre ouvrière63. Dès lors, si la vision négative des zones humides et de leurs habitants perdure, du moins au sein des élites, durant la première Révolution industrielle, elle n’en a pas tout à fait les mêmes fondements. De même, la perception des lieux d’eau a été, au xix^e siècle, moins unanime qu’on l’imagine aujourd’hui. Le courant romantique fournit les prémices de la défense du « milieu naturel », qu’il soit sec ou humide, à travers le mythe de l’Arcadie ; bon nombre d’écrivains du courant naturaliste comme Guy de Maupassant ont également une approche admirative des lieux d’eau64, enfin quelques érudits locaux, pionniers naturalistes, défendent ardemment les paluds65. De l’entre-deux-guerres aux années 1970, durant la Deuxième Révolution industrielle, l’argumentaire anti-zones humides change encore de fondements, la Modernité s’accompagnant du mythe prométhéen de l’absolue maîtrise de la nature. Ceci est notamment avéré dans l’urbanisme moderne où le zonage théorique des activités s’affranchit de toutes contraintes naturelles66, mais aussi dans le drainage des terres agricoles que plus rien n’arrête jusqu’aux années 1990. Enfin s’il se veut novateur, s’il milite ardemment en faveur du regain d’intérêt des zones humides, le courant de la post-modernité, nourri d’écologie, ne remobilise-t-il pas des arguments plus anciens comme l’utopie arcadienne ?

27Quels que soient leurs intensités, leurs moteurs, leurs grammaires et leurs arguments, les perceptions et représentations négatives des zones humides dominent les siècles. Qu’il soit unanimement partagé ou non, qu’il divise ou non les corps de la nation, le discrédit de l’humide est constant alors même que les lieux d’eau sont les champions de la productivité primaire et produisent des ressources naturelles inégalées. Dès lors, cette méfiance, irrationnelle d’un strict point de vue des aménités, n’est-elle pas ontologiquement liée à notre société judéo-chrétienne ? N’est-elle pas un trait de notre civilisation, alors qu’au contraire, l’Asie a construit sa prospérité sur des rizières inondées induisant un regard positif sur les zones humides – tandis que le monde judéo-chrétien a choisi une céréale sèche comme le blé ? Il est frappant en effet de voir la piètre perception des marais dans la Bible67 où l’eau courante purifie, l’eau stagnante corrompt et où la boue, le mélange de terre et d’eau, renvoie au chaos des origines ! De même, la sémiotique de l’eau dans la littérature européenne est-elle essentiellement ambivalente68, le bien, le propre, le moral jouxtant le mal, le sale et le vice. Écrire l’histoire environnementale des zones humides est alors prêté à la culture et à ses courants un pouvoir géographique. La culture fait paysage, la culture fait écologie. En ce sens, la quête de pluridisciplinarité des sciences humaines doit s’ouvrir aux Lettres et à la théologie !

Les zones humides, le territoire des contestations ?

28Ce qui est frappant dans l’historiographie des zones humides, ce n’est pas tant la constance avec laquelle leur perception, le récit qui en est fait, provient des élites politiques, scientifiques et économiques (souvent confondues d’ailleurs) : ceci est bien sûr lié à l’ampleur des moyens financiers, matériels et humains que leur « bonification » supposaient. Ce n’est pas non plus, a contrario, l’extrême discrétion des paroles issues des gens des marais. Leur spécificité vient du mépris, du rejet pour ces sociétés locales qui seraient composées d’êtres humains débiles et inaccomplis qui, dès lors, n’ont jamais droit de cité. De ce fait, les ressources, notamment alimentaires, que les lieux d’eau apportaient aux plus humbles sont négligés. Ce d’autant plus qu’après la Révolution française, ils deviennent principalement des terres communales où l’on rencontre des usages collectifs69, et qu’avant, ils semblent également avoir bénéficié d’accès moins réglementés par la puissance seigneuriale. C’est donc une histoire sociale des zones humides qu’il s’agit de retracer, faite de groupes humains soudés par la gestion collective de l’eau, de microcosmes culturels isolés et régulièrement moqués, mais ponctuée aussi par des luttes contre l’assèchement des marais et l’appropriation de leur territoire par les puissants. Ces luttes dont les traces écrites sont très éparses trouvent un écho contemporain dans les mouvements de contestation, comme les Zones à défendre, qui – et ce n’est pas bien sûr un hasard de l’histoire ! –, se nichent pour beaucoup dans des zones humides.

L’aménagement des lieux d’eau, une histoire politique ?

29Tout au long de l’histoire, les sociétés ont cherché à contrôler l’eau. Mais rares sont les sources qui permettent de savoir quel(s) acteur(s) prennent véritablement l’initiative des travaux. Celles-ci privilégient l’autorité publique. Alors, qu’il s’agisse de drainer l’excédent d’eau ou d’irriguer, la maîtrise de l’eau a été longtemps conçue comme l’affaire des pouvoirs publics lorsque les aménagements devenaient importants. Seul un pouvoir fort (l’autorité de Rome dans l’Antiquité, le roi ou le prince pour le Moyen Âge) pouvant disposer d’une main-d’œuvre abondante et de moyens financiers conséquents, était à même de transformer le réseau hydrographique et d’aménager des zones humides. Cette conception centralisatrice de la politique de l’eau a longtemps perduré. On la retrouve dans l’ouvrage du comte de Dienne écrit en 1891. Pour lui, « le drainage est une facette du développement économique en octroyant de nouvelles surfaces aux céréales. Il est la résultante de la coordination d’une politique d’État, d’entrepreneurs et de techniciens dont les visés, se présentant au service du bien public, sont avant tout spéculatives70 ».

30Aujourd’hui, une relecture attentive des sources écrites et la prise en compte des données archéologiques remettent en question ce modèle. Sans nier l’impact des décisions étatiques, l’accent est mis sur le rôle des communautés locales. À l’époque médiévale, sur le littoral flamand, dans le marais poitevin ou dans la plaine du Roussillon, les entreprises de contrôle hydraulique sont dans un premier temps le fait de populations locales et le pouvoir politique, royal ou princier, n’intervient que bien après et essentiellement pour statuer sur des conflits générés par les aménagements. Quant à l’époque moderne, elle se caractérise par l’intervention des États. Comme le note Raphaël Morera, « l’aménagement des zones humides est un acte politique en soi au point qu’il peut s’agir d’un acte nécessaire à l’affirmation de la souveraineté71 ». On retrouve cette même affirmation au xix^e siècle avec l’assèchement des Landes de Gascogne par Brémontier sous Napoléon I^er, par celui de la Sologne par Napoléon III72.

31Effet des sources, donc, et prisme de leur facilité d’accès : l’histoire de l’aménagement des marais par les sociétés qui y vivent – et en vivent – est très largement à écrire ! D’ailleurs, les zones humides seraient-elles les victimes oubliées de la lutte des classes ?

Les zones humides en résistance ?

32Le discours triomphaliste des puissants occulte grandement les sociétés locales et la misère dans laquelle les laissait une exploitation foncière parmi les plus brutales de France. Pourtant, ces voix des humbles, ces chants de résistance, existent et méritent d’être mieux entendus : la mise en valeur des étangs asséchés de la vallée de l’Hérault fait l’objet de conflits incessants entre les communautés villageoises, le clergé et les nobles durant toute l’époque moderne73 car les riverains en ont été exclus et privés des usages qui les faisaient vivre ; au pied de la butte de Laon, les villages de la Souche luttent énergiquement contre l’assèchement des marais durant tout le xviii^e siècle, ce que montrent les enquêtes de commodo et incommodo74 ; le registre de délibérations de la commune de Thimert-Gatelles, aux confins du Perche et de la Beauce, relate par le menu tous les combats des journaliers afin que l’on n’assèche pas leurs mares à la veille du Premier conflit mondial75 ; les jardiniers et maraîchers des hortillonnages d’Amiens contestent, avec succès, les projets d’aménagement routier de la DDE de la Somme et de la ville sur l’espace tourbeux dans les années 1970-198076. Éparses, discrètes, ces voix attendent d’être rassemblées afin que se dessine une histoire de la résistance des sociétés des marais.

33Si la montagne a été le principal lieu de contestation de l’ordre établi dans les années 1960 et 1970 (voire avant avec les Cathares des Pyrénées, les Protestants du Massif central, etc.) avec les communautés alternatives et le retour à la terre, c’est au tour des zones humides d’être les territoires naturels les plus impliqués dans la contestation mais aussi dans l’innovation sociale. L’épopée de Notre-Dame-des-Landes77 symbolise, avec la notion de Zone à Défendre (ZAD), la volonté d’initier d’autres modèles de société avec non seulement des thèmes écologiques, anticapitalistes mais aussi sociologiques comme l’égalité des genres (utilisation de l’écriture inclusive, organisation non genrée des tâches, etc. et ce, avant même le mouvement me too). C’est en quelque sorte un laboratoire de l’innovation sociale qui essaime à Sivens, à Roybon et sur toutes les zones des projets inutiles78. Marges absolues jusqu’aux années 1970, les zones humides tendent ainsi, tant en ville que dans les campagnes, à incarner un autre idéal, solidaire, écologique, doté d’une forte identité où se construisent des modèles économiques et culturels alternatifs79.

Conclusion

34Les zones humides sont depuis la toute fin du xx^e siècle des vitrines de l’environnement et ce tant pour les politiques de conservation de la nature (Natura 2000, PNR, réserves nationales et régionales, arrêtés de biotopes…) que pour la fabrique de la ville durable : lieu de nature sublimée, les marais, plans d’eau et vallées alluviales participent pleinement du développement durable des territoires ruraux ou urbains. Loin d’être unique, ce retournement brutal de paradigme renvoie à l’histoire des zones humides qui ont, tour à tour, depuis la Préhistoire, fait l’objet de successions quelquefois brutales de pratiques contradictoires, alternant des phases d’intégration à des temps de vive relégation vis-à-vis des territoires environnants et des modes dominants de valorisation de l’espace. Laissant des marques tangibles dans le fonctionnement biophysique des lieux d’eau et dans l’organisation des sociétés locales qui les animent, cette alternance historique érige non seulement les zones humides en laboratoire de l’histoire environnementale mais suppose aussi que les gestionnaires des milieux naturels s’approprient cette dimension historique afin de définir une gestion durable des lieux d’eau. C’est en cela que le Groupe d’histoire des zones humides [www.ghzh.fr] fournit une aide concrète à leur inscription contemporaine dans l’aménagement du territoire.