Chapitre III. Le périmètre des milices de couleur
p. 81-110
Texte intégral
1Dans les villes américaines, tout homme libre, valide et en âge de porter les armes était théoriquement mobilisable. La milice urbaine – et en son sein la milice de couleur – assumait trois missions principales : la défense de la ville, l’aménagement du territoire et le maintien de l’ordre public municipal. Mais la milice formait également un espace de cohésion urbaine et de reproduction sociale qui institutionnalisait des réseaux informels de sociabilité, de solidarité et de clientèle. Elle constitue à ce titre un excellent laboratoire pour comprendre la structuration des sociétés urbaines à l’époque moderne. En effet, les miliciens héritaient des positions et des dignités occupées dans les autres espaces sociaux de la ville (paroisses, confréries, métiers).
2Par conséquent, ce chapitre vise à réinterroger le sens local de l’investissement milicien et la construction de la différence sociale au sein des milices urbaines. Il repose sur une analyse multi-située des milices coloniales dans une dizaine de villes américaines, de Buenos Aires à México en passant par Carthagène des Indes, sans compter les villes domingoises, Santiago du Chili, Lima, Maracaibo, Alanje, Campeche ou Santiago de Guatemala. Il s’agit d’y intégrer à la fois les questionnements d’une histoire sociale des institutions urbaines européennes et les apports récents d’une histoire coloniale plus attentive aux pratiques de classement et aux mécanismes pluriels de socialisation des acteurs, dans le sillage des travaux de José Javier Ruiz Ibáñez sur les milices urbaines et de Catherine Denys sur les polices coloniales1.
3Ce chapitre étudie les contours des compagnies de milice, leur périmètre d’action et de recrutement, afin de restituer les dynamiques à l’œuvre dans les processus locaux de formation et d’institutionnalisation des groupes sociaux. La couleur était-elle le seul principe de division des compagnies de couleur ? L’appartenance à ces compagnies déterminait-elle la position de leurs membres à l’échelle de la ville ? En d’autres termes, ce chapitre est attentif à ce que Robert Descimon appelle les codifications coutumières : ces normes et ces pratiques locales, tacites et dynamiques qui rendent compte dans toute sa complexité du jeu local des appartenances et des interactions sociales2. Il souhaite ainsi mesurer l’interdépendance entre les positions sociales occupées par les miliciens et une « colorisation » plus ou moins grande, en contexte colonial, des manières locales de dire les hiérarchies. En examinant d’abord les liens complexes entre milices et couleur, puis en étudiant l’enchevêtrement de différentes logiques institutionnelles au sein des milices, l’objectif est de réinterroger le rôle de la couleur en restituant le jeu complexe des multi-appartenances sociales.
La signification locale de l’appartenance milicienne
4Dans un article de 1993, Maarten Prak fut le premier à poser la question des conditions d’incorporation dans les milices urbaines3. Au risque de comparer l’incomparable, nous avons confronté son analyse des milices de Bois-le-Duc, dans le duché de Brabant, à nos propres réflexions sur les milices de Carthagène des Indes, en Nouvelle-Grenade. Les deux cas portent en effet sur la seconde moitié du xviiie siècle et concernent deux villes comparables par la taille (11 000 à 13 000 habitants). Ceintes de remparts, les deux villes contrôlaient un vaste arrière-pays agricole et occupaient une position stratégique sur les routes commerciales. La principale différence réside dans le caractère portuaire et profondément martial de Carthagène. Alors que la milice de Bois-le-Duc fonctionnait surtout comme une force auxiliaire de police urbaine, celle de Carthagène n’a jamais perdu sa fonction militaire.
5À Bois-le-Duc, tous les hommes âgés de 18 à 60 ans devaient théoriquement s’engager dans les milices. Mais M. Prak observe un contrôle informel par les pairs et les voisins qui, dans la pratique, complexifiait largement les mécanismes d’incorporation. Les exemptions et le refus des officiers d’enrôler des habitants jugés indécents expliquent que la milice ait constitué avant tout une institution des classes moyennes. M. Prak indique ainsi que les quatre compagnies de la ville représentaient un quart des chefs de famille, et 10 % de la population urbaine totale. On est donc loin d’une application pratique de l’obligation générale du service militaire. Les conclusions de Robert Descimon au sujet des milices de Paris au xvie siècle, publiées dans le même numéro des Annales que l’article de M. Prak, allaient dans le même sens. Selon R. Descimon, les milices parisiennes recrutaient principalement dans les « couches basses et moyennes de la bourgeoisie » car le service, qui supposait une résidence fixe dans la ville, excluait les habitants les plus modestes4. R. Descimon allait ainsi à l’encontre d’une image répandue selon laquelle la milice, et les corvées qui lui sont associées, auraient surtout affecté les populations les plus démunies – une image vérifiable dans certains contextes, comme à Paris à partir du xviie siècle ou en milieu rural castillan au xviiie siècle5. Mais à Bois-le-Duc au xviiie siècle comme à Paris au xvie siècle, ce sont surtout les classes moyennes qui trouvaient dans les milices un espace de cohésion sociale et de solidarité, où il était possible de conclure des transactions commerciales et de participer, même modestement, aux privilèges de la ville. Unies par une relative parité et la conscience d’intérêts communs, ces couches moyennes conféraient à la milice « bourgeoise » une puissante fonction intégratrice. La milice représentait alors l’un des symboles les plus forts de l’unité urbaine6.
6Or, le cas de Carthagène des Indes est très proche. Nous avons la chance de disposer d’un recensement nominatif précis de la ville pour l’année 1777, que nous pouvons comparer aux tableaux d’effectifs des milices de la même année. Sur les 13 690 habitants que comptait Carthagène, 1 860 personnes étaient théoriquement mobilisables, chiffre représentant l’ensemble des hommes libres et laïques âgés de 15 à 45 ans de la ville. Or on ne trouve que 1 080 miliciens (officiers compris) dans les tableaux d’effectifs, ce qui signifie que 40 % des sujets mobilisables de la ville échappaient au recrutement dans les milices. Bien que l’écart soit moins prononcé qu’à Bois-le-Duc, où seul un chef de famille sur quatre était enrôlé, le nombre de miliciens de Carthagène est encore loin de refléter l’obligation du service militaire pour tous les hommes libres7. Cette proportion dépasse en effet largement le nombre des exemptés (noblesse, officiers civils, immatriculés de la Marine), des invalides ou des personnes de petite taille (moins de cinq pieds, encore que ces derniers puissent être tambours). Elle révèle un changement majeur intervenu au cours du xviiie siècle en Amérique coloniale, qui met fin, dans la pratique, à l’application systématique du caractère obligatoire des milices. Désormais, officiers blancs et officiers de couleur étaient en mesure de recruter parmi les familles apparentées ou associées à leur compagnie, et d’en exclure tous les éléments susceptibles d’entacher la décence du groupe (mendiants, ivrognes, délinquants, etc.). À Carthagène, les miliciens ne représentaient ainsi plus que 8 % de la population urbaine totale en 1777 contre 16 % en 16398. À la fin du xviiie siècle, leur proportion n’était donc pas plus importante qu’à Bois-le-Duc, où la milice constituait 10 % de la population totale. Le cas de Carthagène n’était pas non plus exceptionnel aux Amériques : les miliciens de Panama représentaient 8 % de la population totale de la ville en 1783, tout comme ceux de Maracaibo en 17869.
7À l’instar des villes européennes, tout porte donc à penser qu’au xviiie siècle les milices des villes coloniales recrutaient principalement parmi les couches intermédiaires, phénomène qui résultait aussi bien de stratégies d’évitement de la part des grandes élites que de processus d’exclusion vis-à-vis des classes les plus marginalisées. C’est ainsi qu’en 1778, le gouverneur de Carthagène transforma la compagnie d’infanterie des Noirs libres de la ville, jugée comme un amas de « misérables sans éclat », en une liste de réserve pour suppléer les vacances de la compagnie des artilleurs, composée des Noirs libres les plus aisés de la ville. À l’inverse, l’élite économique chercha à se soustraire au service personnel. Les commerçants en gros de Carthagène l’obtinrent dès 1774, comme ceux de Cadix trois ans plus tôt, rejoignant le rang des exemptés que constituaient les élites politiques de la ville10.
8On peut par conséquent conclure que l’adjectif « colonial » ne permet pas, quand il est appliqué à la ville de Carthagène, de comprendre la composition des milices et les phénomènes de hiérarchisation sociale qui les sous-tendent. En effet, le périmètre de recrutement des milices était moins défini par le caractère colonial de la ville que par les structures socio-économiques locales et la nature des liens sociaux qui s’y développaient. En ce sens, Carthagène offrait curieusement un tableau plus comparable à Bois-le-Duc qu’aux paroisses rurales qui l’entouraient. Dans les campagnes avoisinantes en effet, la dispersion et la mobilité des habitants liées aux travaux agricoles ne permettaient pas de réunir les milices fréquemment. La rareté des couches sociales intermédiaires, capables de conférer aux milices un rôle intégrateur, explique ce que R. Descimon a appelé, pour le cas de Paris, « les plaies de l’exemption ». Une partie des notables refusaient ainsi de servir dans un corps « assimilé au bas peuple11 ». Dès lors, la milice n’était pas perçue comme un espace de sociabilité et de solidarité, mais comme un espace de contraintes affectant principalement les populations flottantes, celles qui devaient chercher quotidiennement leur subsistance. Dans l’arrière-pays de Carthagène (Tierra Adentro), les plus affligés par le service milicien furent les cavaliers de la compagnie des zambos, des gardiens de troupeaux armés de machettes et issus des quatre coins de la juridiction12. Ces milices rurales constituaient un instrument de contrôle social à double titre, car elles étaient utilisées comme force de police pour effectuer des rondes sur les côtes ou pour sécuriser des convois, mais aussi comme un appareil performant d’encadrement des populations marginales, dispersées et mobiles13.
9Les dynamiques décrites pour Tierra Adentro rejoignent celles décrites par R. Descimon pour Paris au début du xviie siècle, quand la poussée démographique désagrégea profondément les structures communautaires traditionnelles de la ville, dissolvant la sociabilité milicienne14. Elles font aussi écho à la prolétarisation des milices que provoqua le système de remplacement établi au xviiie siècle en Angleterre ou à Genève15.
10On peut souligner en ce sens que la nature, la fonction sociale et la force des structures communautaires dépendent en grande partie du degré local de compatibilité entre les intérêts particuliers et l’intérêt commun, et donc de l’évolution des équilibres entre les différentes forces urbaines. Dans son travail sur la Nouvelle-Espagne, Christon Archer observait ainsi une corrélation entre la capacité des villes à mobiliser leurs milices et la force du lien interpersonnel dans l’espace urbain. Mexico au xviiie siècle, comme Paris au xviie, était devenue trop peuplée pour que les milices participent d’une quelconque cohésion urbaine16. On peut donc en déduire que les milices dissimulaient des réalités institutionnelles différentes selon les territoires où elles s’inscrivaient, répondant rarement de manière univoque à des modèles de type urbain/rural ou européen/colonial. C’est pourquoi M. Prak soulignait l’importance des particularismes locaux. Si les milices de Paris, Bois-le-Duc ou Carthagène étaient au service de leur souverain, qui accordait aux capitaines la confirmation de leurs titres, elles n’en restaient pas moins profondément ancrées dans leurs contextes urbains respectifs. Ainsi, malgré l’intrusion plus ou moins forte d’un contrôle étatique, la cohésion du groupe et le prestige des officiers se construisaient localement.
Au-delà de la couleur : des mécanismes complexes de recrutement
11La question de la « qualité sociale » du milicien, partiellement associée aux Amériques à des critères phénotypiques et généalogiques, constitue la principale spécificité coloniale des milices de Carthagène. Alors que les milices européennes organisèrent dès la fin du xve siècle leur recrutement par secteurs ou par corps de métiers, celles des colonies américaines ajoutèrent souvent un troisième critère, fondé sur la « qualité » de leurs membres. La qualité était relationnelle et négociée en permanence. Elle correspond à ce que les sociologues appellent la « position » des individus, toujours relative à un espace social plus ou moins autonome17. Cette position peut être clamée par les individus, mais elle doit être sanctionnée par la communauté. Cette sanction est autant le résultat de rapports de force sociaux et politiques que de systèmes de classifications locaux, tacites et variables. La qualité avait donc tout à voir avec l’honneur et le prestige, bien qu’aux Amériques, elle s’exprimait volontiers à travers les riches langages du métissage (mulâtre, métis, quarterons) ou des couleurs (Blanc, Noir). La « couleur » y était synonyme de qualité18.
12La couleur, au sens de qualité, est progressivement devenue aux Amériques le premier principe de dénomination des compagnies de milice. Le classement par la couleur était ainsi systématique dans la province de Caracas, où on ne trouve pas une seule compagnie « mixte » dans l’état général des milices de 1766. Les compagnies y étaient d’abord classées par la qualité (Blancs, Métis, Mulâtres, Zambos, Noirs, Indiens) avant d’être à nouveau séparées par le statut (nobles, tributaires), la dignité de la compagnie (régulière ou urbaine) ou encore la patrie de leurs membres (étrangers, créoles)19.
13Sur la manière de dire la couleur en Amérique, Jean-Paul Zúñiga a mis en évidence à la fois l’importance des particularismes locaux et le contraste entre la richesse de la langue orale et la pauvreté des lexiques normatifs. En effet, les nomenclatures utilisées par les prêtres et les notaires se limitaient souvent à une huitaine de mots qui variaient d’une région à une autre20. La nomenclature des milices était plus pauvre encore, et également plus homogène. Il est rare d’y trouver plus de deux ou trois termes, désignant tantôt les compagnies de Noirs libres (negros ou morenos, nègres libres, free blacks), de métis au sens large (mulatos ou pardos, mulâtres ou sang-mêlés, mulattoes) ou de gens de couleur dans leur ensemble. Peu nombreuses étaient les compagnies dont la dénomination officielle échappait à ces trois catégories. On les trouvait surtout dans le bassin caraïbe (Panama, Nouvelle-Grenade, Venezuela, Saint-Domingue et Jamaïque), avec des compagnies de quarterons (enfant d’un Blanc et d’une mulâtresse ou d’une métisse), de zambos (mélange entre Indiens et Noirs), de mésalliés à Saint-Domingue ou encore de juifs à Kingston et au Surinam21. On trouve enfin une compagnie de chinos à Acapulco depuis la fin du xviie siècle, qui regroupait la population asiatique de la ville22.
14C’est précisément à cause de la pauvreté des nomenclatures qu’on observe dans la milice des processus complexes de regroupement de qualités qui ne prennent sens que localement. Ces processus ont donné lieu à des conflits que l’on trouve fréquemment dans les sources. En 1760, un maître orfèvre de Santiago du Chili refusait ainsi d’intégrer la compagnie des Noirs libres de la ville, arguant que celle-ci était composée de sambos, parmi lesquels il ne devait se mélanger étant lui-même requinterón23. La simplicité des nomenclatures miliciennes dissimule en réalité la complexité des mécanismes d’incorporation.
15À cet égard, le cas des quarterons de Carthagène se révèle passionnant. Des compagnies bourgeoises (de vecinos) étaient apparues dans la ville dès le xvie siècle. Elles recrutaient parmi tous les habitants libres, quelle que fût leur couleur, et étaient divisées par quartiers ou secteurs. Mais dès l’attaque du corsaire Francis Drake en 1586, une compagnie spécifique aux Noirs libres fut formée qui recrutait dans toute la ville. La couleur s’ajoutait ainsi à la logique géographique initiale. L’importance de cette nouvelle logique s’accrut au cours du xviie siècle, avec l’apparition de plusieurs compagnies de Noirs libres et de mulâtres, puis d’une compagnie de quarterons (tableau 3).
Tableau 3. – Chronologie des compagnies de couleur de Carthagène des Indes.
Création | Nom officiel de la compagnie |
1586 | Première compagnie des Noirs libres |
1634 | Première compagnie des mulâtres libres |
1670 | Seconde compagnie des mulâtres libres |
1677 | Seconde compagnie des Noirs libres |
1677 | Compagnie des métis et quarterons |
< 1706 | Troisième compagnie des mulâtres libres |
< 1736 | Quatrième compagnie des mulâtres libres |
1772 | Compagnie des artilleurs artistes noirs |
1773 | Compagnie des artilleurs artistes mulâtres |
Source : AHN, Inquisición, 1620, Exp. 7, 1634. AGI, Santa Fe, 991, L.3, 3 novembre 1639, f. 117 ; 224, 10 mai 1670, fnn ; 224, 14 février 1677, fnn ; 990, L.11, 5 février 1678, f. 122v-123v ; 224, 5 décembre 1679, fnn ; AGI, Contaduría, 1378, no 4, 1736. AGNC, Miscelánea, 103, D.12, 12 décembre 177, f. 208r-v. ; Milicias y Marina, 67, 49, 16 janvier 1773, f. 278r.
16Le terme quarteron apparaît dans les sources au tournant du xvie siècle24. L’adjectif, qui fait référence aux quartiers généalogiques, désigne des individus dont l’un des grands-parents est réputé non-Blanc. À Carthagène, les quarterons comme les mulâtres servaient initialement dans les compagnies bourgeoises. À partir de 1634, certains quarterons choisirent d’incorporer les compagnies de mulâtre successivement créées tandis que d’autres continuèrent de servir avec les Blancs. Mais en 1677, le gouverneur de la ville décida de séparer ces derniers en créant une compagnie de quarterons commandée par l’un des leurs. La nouvelle compagnie fut bientôt complétée avec des quarterons qui avaient préalablement rejoint les compagnies de mulâtres25. Le gouverneur expliquait ce choix par « les querelles incessantes qui se produisaient chaque fois qu’il fallait prendre les armes, car les miliciens blancs légitimes trouvaient préjudiciables qu’on les mélange avec des quarterons26 ». Ce reclassement représentait le début d’un lent processus de déclassement pour une partie des miliciens quarterons de Carthagène.
17Le capitaine quarteron éleva alors, en vain, une requête auprès du Conseil des Indes afin d’obtenir la transformation de sa compagnie en une milice de « Blancs créoles de seconde classe », comme celles qui apparaîtront au xviiie siècle dans la province de Caracas. La question était de taille puisqu’il s’agissait en réalité d’obtenir un certain nombre de marqueurs qui distinguaient à Carthagène les compagnies de Blancs des compagnies de couleur, comme par exemple la préférence dans les défilés vis-à-vis des mulâtres ou encore l’exemption de patrouilles maritimes. Dans une réponse aussi laconique qu’ambiguë, le Conseil des Indes précisa que la compagnie devait avoir « la dignité qui revient aux gens de leur nature », faisant ainsi prévaloir les codifications locales. Le gouverneur décida même de refuser la préséance des miliciens quarterons sur les mulâtres et les Noirs libres, prétextant que cela donnerait du ressentiment à ces derniers. En 1753, après des luttes acharnées pour la préséance, les capitaines des quarterons obtinrent finalement le commandement des milices de couleur, ce qui mit également fin à leur prétention d’être reconnus comme des miliciens blancs. En 1774, leur compagnie fut dissoute et les quarterons qui n’avaient pas réussi à être exemptés furent définitivement intégrés aux compagnies de mulâtres27.
18L’exemple des quarterons de Carthagène montre comment les logiques d’incorporation varient dans le temps. Ces logiques pouvaient également varier dans l’espace.
19Dans le dernier tiers du xviiie siècle, on observe ainsi dans la province de Carthagène une importante diversité des pratiques de recrutement en lien avec la couleur. Il est possible de les identifier – à défaut de pouvoir les expliquer – grâce aux listes nominatives de plusieurs compagnies de la province dont nous disposons pour l’année 178028. Ces listes mentionnent la qualité réputée de chaque milicien, en plus de sa taille, de son âge et de son état. Ce type de document n’est pas rare pour cette période, mais le fait d’y préciser la qualité des miliciens est inhabituelle. La pratique militaire prévoyait généralement une description physique sommaire des miliciens, où le phénotype pouvait être mentionné, mais jamais la couleur au sens de qualité. Or, grâce à ces listes, on s’aperçoit que la dénomination des compagnies ne reflètait pas toujours la couleur réputée de leurs membres et que deux sujets auxquels la communauté reconnaissait une même couleur pouvaient parfaitement être recrutés dans des compagnies différentes. Prenons l’exemple de Lorica, un « village d’Espagnols » situé à une centaine de kilomètres au sud de Carthagène (tableau 4).
Tableau 4. – Qualité sociale des miliciens de Lorica dans la province de Carthagène (1780).
Dénomination officielle des compagnies | Qualité sociale réputée des miliciens | ||||||
Blancs | Métis | Quart. | Pardos | Zambos | Noirs | Total | |
1re compagnie de Blancs | 72 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 73 |
2nde compagnie de Blancs | 73 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 73 |
1re compagnie de Quarterons | 0 | 0 | 61 | 12 | 0 | 0 | 73 |
2nde compagnie de Quarterons | 0 | 0 | 76 | 9 | 3 | 0 | 88 |
1re compagnie de Zambos | 0 | 4 | 0 | 18 | 50 | 1 | 73 |
2e compagnie de Zambos | 0 | 6 | 10 | 12 | 37 | 2 | 67 |
3e compagnie de Zambos | 0 | 7 | 4 | 16 | 35 | 3 | 65 |
Total | 145 | 17 | 152 | 67 | 125 | 6 | 512 |
Source : AGNC, Milicias y Marina, 17, 49, f. 263r-275v, 1780.
20On y observe une diagonale qui témoigne des degrés de compatibilité entre compagnies de milice et couleurs. La seule fracture évidente concerne les Blancs, qui servent tous dans des compagnies de Blancs. Le tableau renforce ainsi l’idée selon laquelle, en dehors de la distinction entre Blancs et « gens de couleur », les sociétés coloniales peinaient à définir les couleurs selon un principe hiérarchique unanime. Il semble qu’à Lorica les dénominations des compagnies aient été choisies en lien avec les éléments majoritaires de chacune d’entre elles (en gras dans le tableau). Le tableau montre aussi que la couleur n’était pas le seul critère de recrutement : les individus pouvaient jouir d’une relative marge de manœuvre quant à leur incorporation. Ainsi, un quarteron ou un mulâtre de Lorica pouvait s’enrôler dans une compagnie de quarterons, mais aussi dans une compagnie de zambos. Cette marge de manœuvre répond à des enjeux locaux : les métis de Lorica intégraient les compagnies de zambos tandis que ceux de Mompox ou du Corozal de Pileta étaient admis dans les compagnies de Blancs, si tant est que les catégories de métis, de blanc et de zambos aient été définies de la même manière dans ces trois localités29.
21Le recensement nominatif de Carthagène réalisé en 1777 rend compte, à son tour, de la complexité des pratiques de recrutement dans les milices. Cette source nous permet de savoir par exemple que le quarteron José Antonio de Vega résidait avec son épouse María Mercedes Perez – dont on ignore la qualité – dans une maison de la place Santo Toribio. Le couple avait quatre enfants, dont deux étaient en âge de servir dans la milice. José, l’aîné, orfèvre de son métier, avait intégré le bataillon des volontaires blancs de la ville, tandis que Pedro, le cadet, tailleur, avait été enrôlé dans le bataillon des mulâtres. Il est difficile de savoir pour quelles raisons ces deux frères servaient séparément. Il est possible que le prestige attaché à leurs métiers respectifs en ait été la cause, mais en dépit de la plus grande considération accordée aux orfèvres par rapport aux tailleurs, à Carthagène les deux corps de métiers étaient composés en majorité de gens de couleur. Il pourrait également s’agir de choix strictement individuels, mais dans ce cas, comment expliquer que les deux frères n’aient pas choisi le bataillon des Blancs, plus prestigieux et moins soumis aux corvées ? Il reste alors le seul critère qui nous échappe, celui des caractéristiques phénotypiques. Un frère était-il beaucoup plus clair de peau que l’autre ? Si tel était le cas, cela signifierait que le phénotype primait sur la généalogie, qui en l’occurrence, était la même pour les deux miliciens.
22Le cas de Francisco Salgado, constitue un autre exemple de la complexité de ces assignations. Salgado, mulâtre invalide de 67 ans, et son épouse Micaela Perea, mulâtresse de 60 ans, avaient un fils, Juan León, 34 ans, décrit dans le recensement comme : « blanc, milicien blanc ». Là encore, c’est la visibilité sociale de la différence phénotypique qui semble jouer sur le processus de recrutement, une visibilité définie localement et selon des enjeux locaux30.
23À Maracaibo toutefois, les listes des milices montrent que les traits physiques étaient loin de constituer un critère unique de recrutement. L’un des soldats de la quatrième compagnie des mulâtres, José Antonio Galván, y était décrit par ses supérieurs comme un homme âgé de 29 ans, sans profession, « les cheveux blonds, les yeux bleus, le nez régulier et la peau blanche ». À l’inverse, José Francisco Chávez, 23 ans, sans profession, soldat de la troisième compagnie des Blancs, était décrit ayant « les cheveux noirs, les yeux bruns et la peau couleur olivâtre31 ». Ces exemples dessinent une géométrie variable, liée aux manières très locales de dire et de définir la couleur, ainsi qu’à la grande subjectivité de l’appréciation phénotypique.
24C’est pourquoi il faut distinguer les logiques de dénomination des milices et les logiques de recrutement. Les premières tendaient à naturaliser la couleur en dissimulant la complexité des secondes. En effet, la dénomination des compagnies reflétait la centralité de la couleur dans les processus de recrutement sans indiquer son ambiguïté. En retour, elle marquait socialement les miliciens dont elle tendait à figer la couleur. Les institutions accordaient une importance centrale au service des milices dans la définition de la qualité des individus. Ainsi, quand les actes paroissiaux ne suffisaient plus à définir la couleur, c’était l’appartenance milicienne qui était mobilisée.
25On observe le même phénomène à Saint-Domingue, où les descendants d’Indiens étaient encore admis dans les compagnies de Blancs dans la seconde moitié du xviiie siècle. En 1768, le gouverneur de la colonie s’inquiétait du nombre anormalement élevé de « sang-mêlés » – dans ce cas toute personne réputée non blanche y compris les descendants d’Indiens – qui parvenaient à intégrer les compagnies de Blancs du quartier de l’Artibonite, au nord de Port-au-Prince. C’est pourquoi il publia aussitôt une ordonnance qui enjoignait à ces derniers de servir dans les milices de mestifs et quarterons jusqu’à ce que chacun d’entre eux ait pu démontrer formellement son ascendance indienne32.
26L’affaire Pierre Baldy constitue un exemple emblématique de l’impact des milices dans la définition de la qualité sociale33. Pierre Baldy est né en 1742 sur l’habitation de ses parents, aux Cayes de Jacmel, un quartier du Sud de Saint-Domingue34. Il rejoignit la métropole à 22 ans où il devint gendarme de la garde du roi avant d’obtenir un congé en 1767 pour revenir aux Cayes de Jacmel. Il s’y maria et reprit les habitations familiales en indigo et café. Fort de sa position économique et de sa qualité de gendarme, il demanda à commander l’une des deux compagnies de la paroisse : une compagnie de Blancs et une compagnie de sang-mêlés35. Or depuis la guerre de Sept Ans, les commissions d’officiers de l’Empire français étaient réservées aux seuls tenus pour Blancs, y compris celles des compagnies de couleur. L’affaire commença quand Pierre Baldy se vit refuser une commission d’officier, puis se trouva « retranché des places des honneurs » par ses concitoyens qui prétendaient qu’il était en réalité un sang-mêlé, puisque son grand-père maternel, Jean La Chenaye, était un mulâtre (graphique 2)36.
Graphique 2. – Arbre généalogique de Pierre Baldy.

Source : ANOM, 1DPPC2350, Registre paroissial des Cayes de Jacmel (1714-1777).
27Pierre Baldy s’empressa d’initier une requête auprès du gouvernement pour pouvoir jouir de ses prérogatives. Il apporta comme principale preuve de sa qualité l’extrait mortuaire de son grand-père, « où l’on voit qu’il est décédé décoré de la place de lieutenant de milice » et qu’il était par conséquent réputé blanc37. Une enquête fut néanmoins menée auprès d’hommes de qualité qui avaient connu Jean La Chenaye de son vivant. Tous les témoins confirmèrent que La Chenaye était réputé mulâtre, qu’il ne s’en était jamais caché ou offusqué et qu’il avait été lieutenant, mais dans la compagnie des mulâtres de Samuel Boursicot, à l’époque où les milices de couleur de Saint-Domingue étaient toutes commandées par des officiers de couleur. L’un des témoins, le sieur Nectoux, écrivait ainsi :
« Le nommé La Chenaye étoit mulâtre de la Martinique […] La première fois que je l’ai vu je le pris pour un grif tant il etoit brun, cependant il se donnoit pour mulâtre. À l’époque de son arrivée en cette île il s’y faisoit appelé Janot. Son premier métier en cette colonie fut scieur de long, duquel il a travaillé et vécu bien du temps. Il se maria avec une Européenne blanche de Niort en Poitou, veuve d’un ouvrier d’Europe blanc appelé Taurau, son métier étoit forgeron. Cette veuve étoit venue engagée […] Par la suite ce mulâtre fit fortune […] quand je suis arrivé en ce pays là les mulâtres étoient officiers des mulâtres, grifs, nègres, même ils l’ont été plusieurs années, en effet le nommé La Chenaye a été lieutenant des mulâtres, grifs, negres comme beaucoup d’autres que j’ai vu […] La Chenaye de son mariage avec sa femme blanche eut trois filles toutes trois mariées à des Blancs d’Europe, sacvoir l’aisnée des trois filles au sieur Baldy du Languedoc, lequel a eut deux garçons, l’un d’eux fut chirurgien sur un navire marchand de la Rochelle, lieu où il est décédé […], l’autre garçon décoré de l’habit de gendarme de la garde […]38. »
28Les autres témoins ajoutèrent que les cousins de Pierre Baldy restés aux Cayes de Jacmel, soit les enfants des sieurs Reculé et Maignon, servaient et avaient toujours servi dans la compagnie des mulâtres, preuve irréfutable de leur qualité sociale. Face à ces difficultés, Pierre Baldy dut rentrer en métropole où il fut nommé secrétaire du roi près le parlement de Provence et où la question de la couleur ne se posait pas pour lui : les déplacements géographiques impliquaient un changement des codes. L’affaire Baldy montre à quel point la milice pouvait constituer un espace de classement, de reclassement et de déclassement permanents des miliciens. Or l’enjeu social et politique de ces classements était de taille pour les individus.
29C’est pourquoi il est fondamental de dépasser les seules logiques de dénomination des compagnies pour voir comment les logiques de recrutement articulaient, en dépit de la centralité de la couleur, ou à cause de son ambiguité, une multitude de critères à la fois géographiques et institutionnels.
La sectorisation du recrutement
30Aux Amériques comme en Europe, les mémoires sur l’organisation des milices urbaines mettent en avant l’importance centrale de la sectorisation. En s’appuyant sur les quartiers et les paroisses, la sectorisation des milices devait faciliter la résolution des conflits selon le principe du bon voisinage. En retour, elle donnait de la cohésion aux compagnies, en favorisant l’entre-soi et l’entraide, et en répondant à une compréhension spatiale de la ville et des appartenances qu’elle génère. Elle était enfin un atout pour la police de la ville, car elle permettait de mieux la quadriller tout en encourageant l’esprit policier des miliciens qui, lors des rondes nocturnes, devaient protéger eux-mêmes leurs foyers et leurs ateliers. Dans la pratique toutefois, la logique géographique entrait en concurrence avec d’autres critères jugés tout aussi importants.
31Les milices de couleur de Santiago de Guatemala offrent un bel exemple de superposition entre le critère de la couleur d’une part et les logiques géographiques ou juridictionnelles d’autre part. La vallée de Guatemala possédait à l’époque moderne l’un des lexiques du métissage les plus pauvres de l’Amérique hispanique. La grande majorité des gens de couleur étaient appelés mulâtres sans autre distinction de qualité. Ce qui n’empêchait pas la distinction des phénotypes : mulâtre « blanc », mulâtre « brun39 ». Par conséquent, Santiago de Guatemala comptait en 1675 six compagnies de couleur, toutes dénommées compagnies de mulâtres et organisées selon un découpage sectoriel de la ville que nous avons pu reconstituer à partir des titres des capitaines de couleur et de nombreux actes notariés (carte 9).
Carte 9. – Le périmètre des compagnies de couleur de Guatemala (1675).

Source : Baptiste Bonnefoy, à partir de Webre Stephen, « Water and Society in a Spanish American City: Santiago de Guatemala, 1555-1773 », The Hispanic American Historical Review, vol. 70, no 1, 1990, p. 65 et Lutz Christopher H., op. cit., p. 81.
32Dès lors, on s’aperçoit que les secteurs en question ne correspondaient ni aux limites territoriales des quatre paroisses, ni à celles des quartiers dont les compagnies empruntaient toutefois le nom : compagnie du quartier de San Francisco, du quartier de Chipilapa, etc. Les secteurs des compagnies de milice répondaient en effet à une organisation tacite, sans doute assez flexible bien qu’on n’ait trouvé aucune trace de conflits de territoire entre les compagnies. Comme pour la qualité de mulâtre qui leur était associée, les compagnies tiraient leur dénomination du quartier de résidence majoritairement représenté en leur sein. C’est pourquoi il ne serait pas impossible de voir un Noir de Chipilapa intégrer la compagnie des mulâtres de Santo Domingo. Le recrutement des milices rejoint ainsi les dynamiques décrites par Simona Cerutti pour les corporations, lorsqu’elle explique que « les choix d’adhésion à une corporation peuvent mûrir à partir de motivations qui ne sont pas directement liées au métier40 ». Dans le cas des milices, la qualité et le secteur reflétaient moins l’identité socio-spatiale des compagnies qu’une intersection variable de logiques complexes de recrutement et de dynamiques urbaines socio-spatiales.
33Les secteurs de milice de Guatemala constituaient probablement des périmètres d’action au sein desquels chaque compagnie devait prêter main-forte aux officiers de justice et organiser des rondes nocturnes. Sans doute s’agissait-il aussi, en théorie, de zones de recrutement, mais dans ce cas, la logique spatiale était largement atténuée par la dispersion urbaine des réseaux de parentèle, par les processus de ségrégation économique et par la grande mobilité résidentielle des miliciens. Ainsi, les quartiers « mulâtres » (Chipilapa, San Jerónimo) alimentaient plusieurs compagnies, alors que presque tous les capitaines de couleur, quelle que soit leur compagnie, résidaient dans les quartiers aisés du sud de la ville : Tortuguero, San Francisco (tableau 5).
Tableau 5. – Propriété foncière des capitaines mulâtres de Santiago de Guatemala (1675).
Capitaines | Propriétés foncières |
Felipe de Fuentes | Une maison principale à San Francisco (tuiles) |
Pedro Vasquez de Rosada | Une maison principale à Chipilapa |
Marcos de Velásquez | Une maison principale au Tortuguero (tuiles) et deux maisons secondaires au Tortuguero (tuiles) et à San Francisco (chaume) |
Juan de Ayala | Une maison principale au Tortuguero (tuiles) et une maison secondaire au Tortuguero (tuiles) |
Juan de Ureña | Une maison principale à San Francisco (tuiles) et deux maisons secondaires au Tortuguero (tuiles) |
Bernabé Carlos | Une maison principale au Tortuguero (tuiles) et une maison secondaire à San Francisco (chaume) |
Source : AGCA, Protocolos, Antonio Zavaleta, 7 novembre 1686, f. 110r ; Esteban Davila, 28 août 1653, f. 92r ; José Ruiz Aguilar, 2 février 1683, f. 1r ; Miguel Saldivar, 1667, f. 93r ; Bernabe Roxel, 10 septembre 1672, f. 523r ; Miguel de Porres, 5 septembre 1684, fnn ; Nicolas de Paniagua, 23 juin 1687, f. 8r ; Ignacio de Agreda, 25 janvier 1707, f. 13r.
34De fait, la répartition des commissions d’officiers échappait dans les villes américaines à une quelconque logique géographique. Les nouveaux capitaines étaient choisis parmi les lieutenants de l’ensemble des compagnies de la ville, parfois même de son arrière-pays, selon la capacité de ces derniers à mettre en avant leur prestige, leurs ressources et leurs réseaux. Les carrières d’officiers dessinaient donc souvent des parcours au sein de plusieurs compagnies.
35Santiago de Guatemala pouvait d’autant plus facilement conjuguer les logiques sociales et géographiques que la ville était très peuplée à la fin du xviie siècle. Dans les petites villes, il fallait souvent choisir les unes au détriment des autres. Le choix d’une sectorisation impliquait en effet la création de compagnies mixtes. Or, ce choix n’était pas exempt de conséquences, et de taille, car dans le cas des compagnies mixtes il était impossible pour les libres de couleur d’accéder aux commissions d’officier, dans des sociétés où l’idée qu’un « tenu pour Blanc » puisse être commandé par un libre de couleur posait un problème majeur. C’est ainsi que dans le cas du district péruvien de Cajamarca, la sectorisation des milices en 1784 fut la cause d’un déclassement politique des élites de couleur locales, qui durent renoncer à leurs commissions.
Carte 10. – Les secteurs de recrutement des milices de Cajamarca (1785).

Source : Baptiste Bonnefoy, à partir de : AGI, MP-Peru-Chile, 85.
36C’est pour cette raison que la petite ville d’Alanje, dans la province de Veraguas, refusa systématiquement la sectorisation de ses milices, pourtant préconisée par les administrateurs, qui souhaitaient ainsi neutraliser les problèmes posés par l’extrême dispersion de ses habitants. Les listes des miliciens d’Alanje, qui précisent leur lieu de résidence, révèlent en effet une ville désagrégée, désagglomérée, s’étendant sur un territoire de plus de 200 km2 au sein duquel les habitants étaient dispersés en une vingtaine de lieux-dits éloignés les uns des autres d’au moins quatre à cinq kilomètres (carte 11)41. En dépit de cet éparpillement de l’habitat, qui répondait à la dispersion des élevages bovins et mulassiers, les milices étaient divisées en une compagnie de Blancs et trois compagnies de mulâtres qui recrutaient sur l’ensemble de la juridiction.
Carte 11. – La dispersion territoriale des miliciens de Santiago de Alanje.

Source : Baptiste Bonnefoy, à partir de : AGNC, Milicias y Marina, 76, 162, f. 960-973.
37Deux raisons permettent d’expliquer ce choix de ne pas sectoriser. La première tient à la territorialisation spécifique des réseaux sociaux locaux. En effet, un faisceau d’indices (liens de parrainage, gestion des élevages mulassiers) laisse penser que les réseaux de parentèle et de clientèle s’exerçaient sur l’ensemble du territoire. Ainsi, en institutionnalisant ces réseaux, les milices d’Alanje semblent révéler la cohésion territoriale de la ville – malgré son apparente déliquescence. Les milices apparaissent une fois de plus comme l’un des facteurs essentiels de validation sociale à l’échelle d’une ville. En dépit de son étalement et de la dispersion de ses habitants, Alanje formait bien un espace urbain, dilaté mais non fragmenté.
38La seconde raison tient à la capacité des élites de couleur locales à obtenir et à conserver des commissions d’officier dans les milices, contrairement à celles de Cajamarca42. Nous avons vu que le rôle clé joué par les libres de couleur dans la défense des empires et la perpétuation de l’ordre social colonial a favorisé, dès la fin du xvie siècle, l’émergence d’élites de couleur dans les villes coloniales. L’essor de ces élites économiques de couleur explique qu’elles aient parfois réussi à infléchir à leur avantage l’organisation locale des milices. Ainsi, le recours à des compagnies de cavaliers de couleur fut, dans certains espaces américains, le seul moyen de concilier d’une part la capacité des élites de couleur à négocier avec les gouverneurs et les autorités locales leur participation à la milice, et d’autre part les problèmes posés par la dilatation des espaces urbains ou par l’hypertrophie de leur arrière-pays. Cette solution était pourtant lourde de conséquences, au sens où elle ébranlait l’antique hiérarchie entre fantassins et cavaliers, selon laquelle ces derniers devaient être recrutés parmi les éléments les plus riches et les plus respectés de la communauté. De telles compagnies ont existé à Acapulco et à Buenos Aires dès les années 1670, à Rancagua au Chili dès les années 1710, à Lima en 172943.
L’enchevêtrement des appartenances corporatives
39L’articulation variable de logiques à la fois géographiques et sociales invite par conséquent à analyser les milices en lien avec les multiples appartenances institutionnelles qu’elles recoupaient. En d’autres termes, le sens de l’investissement milicien doit être interrogé au prisme d’un corporatisme urbain complexe et protéiforme, où les miliciens héritaient des positions et des dignités qu’ils occupaient dans les autres scènes d’appartenance de la ville. En effet, les libres de couleur n’étaient pas seulement présents dans la milice, et occupaient bien d’autres positions sociales (paroissiens, artisans, marchands, fils, pères, parrains, voisins, etc.) qui les plaçaient dans différents liens de socialisation, de parentèle ou de clientèle. Toutes ces facettes constituaient des éléments pluriels informant choix et tactiques identitaires. Ces positions sont assimilables à un jeu de cartes dont la valeur est sans cesse redéfinie en fonction du contexte de leur utilisation44. Un milicien pouvait ainsi valoriser son réseau, son appartenance à telle confrérie de métier ou de dévotion, ou encore sa dignité de maître-artisan pour intégrer telle compagnie ou obtenir un titre d’officier. Inversement, une commission d’officier dans les milices pouvait s’avérer utile pour investir une confrérie ou un corps de métier.
40Ces phénomènes de croisement entre différentes institutions urbaines ont été amplement étudiés pour les villes européennes45. Le développement des milices, des métiers et des confréries participa d’un vaste mouvement corporatif qui anima les villes à partir du Moyen Âge tardif46. Les historiens ont décrit la naissance des confréries de métier à partir des confréries de dévotion, puis leur dilution au xviiie siècle au sein des corporations47. Ils ont ainsi montré le rôle des paroisses et des métiers dans l’organisation des premières milices48. Ils ont enfin souligné les liens denses mais conflictuels entre corporations et corps de ville49.
41L’historiographie américaniste a pour sa part longtemps décrit le xviiie siècle comme celui du déclin des structures urbaines face à l’essor des absolutismes réformateurs. Les pouvoirs centraux se seraient violemment attaqués aux municipalités, aux corps de métier, aux ordres religieux et aux confréries. Annick Lempérière a invalidé cette thèse dans le cas de l’Amérique espagnole, en montrant que les réformes bourboniennes avaient au contraire renforcé l’ordre corporatif des villes50. Néanmoins, l’histoire urbaine coloniale n’a toujours pas exploré les relations entre les différentes logiques d’appartenance corporative51.
Milices et confréries
42Dans le cas qui nous occupe, les croisements entre les confréries de couleur et les milices de couleur sont difficilement identifiables. On sait par exemple que les capitaines de couleur cumulaient souvent des charges honorifiques dans les confréries. On retrouve cette pratique jusqu’au début du xixe siècle. Les confréries exigeaient de leurs dirigeants un évergétisme coûteux, se traduisant par de multiples gestes dévots (fêtes patronales, messes annuelles, renouvellement des cierges, repas) qui les plaçaient au cœur de la vie cérémonielle et spirituelle de la communauté52. Milices et confréries étaient conjointement investies par les élites urbaines de couleur, comme deux espaces qui leur permettaient de convertir leur capital économique en reconnaissance sociale. Par ailleurs, les liens entre confréries et milices pouvaient parfois aller au-delà des appartenances multiples d’un même individu aux unes et aux autres.
43Il semble ainsi que l’organisation des premières milices de Noirs libres de Lima se soient adossée, au début du xviie siècle, sur des confréries de Noirs qui étaient apparues dès le milieu du xvie siècle. Ce fut le cas de la compagnie des zapes yungas qui servait dans la flotte de Lima au milieu du xviie siècle, et qui se forma au sein même de la confrérie des Noirs Zape de Notre-Dame-du-Rosaire, elle-même située dans le couvent dominicain du Callao53. Dans un premier temps, les confréries de couleur ont en effet précédé et favorisé l’apparition des compagnies de couleur. Mais on observe une inversion du phénomène dès le milieu du xviie siècle, quand des confréries commencèrent à apparaître comme l’extension d’une ou de plusieurs compagnies de couleur afin de renforcer la cohésion du groupe et de favoriser en son sein des logiques sociales et spirituelles d’assistance mutuelle. En fondant des confréries annexes à leurs compagnies, les officiers de couleur suivaient l’exemple des corps de métier. À Lima, par exemple, ces derniers avaient leurs propres confréries depuis le xvie siècle, comme celle de Saint-Crépin, greffée en 1572 à la corporation des cordonniers, créée dix ans plus tôt54. À leur image, dans les années 1650, les officiers de couleur de Veracruz créèrent leur propre confrérie55. À Buenos Aires, un capitaine mulâtre expliquait à son tour en 1689 que sa compagnie avait son archiconfrérie dans le couvent des Franciscains56. Les officiers de couleur continuèrent de créer des confréries au xviiie siècle, en prenant soin d’en monopoliser le gouvernement et les espaces de délibération, comme à Panama ou à La Havane en 176557.
44Malgré ces nombreux liens, les historiographies américanistes sur les milices et sur les confréries de couleur sont cloisonnées, hermétiques l’une à l’autre. Seuls les travaux de Hugo Contreras Cruces sur le Chili s’intéressent conjointement aux milices, aux confréries et aux métiers58. Pourtant, en Amérique comme en Europe, la position des individus dans la ville se situait au croisement des positions qu’ils occupaient dans chacune de ces scènes d’appartenance.
Milices et métiers
45Les ouvrages de Ben Vinson III sur la Nouvelle-Espagne et de Stewart King sur Saint-Domingue ont inauguré, dans les années 2000, une série de nouveaux travaux sur les structures socio-professionnelles des milices59. Ces travaux reprenaient la vieille idée défendue par Lyman L. Johnson selon laquelle les milices des villes coloniales avaient joué un rôle crucial dans l’organisation des artisans, compensant ainsi la faiblesse sinon l’absence des corporations de métier60. Ces historiens s’appuient sur de nombreux discours administratifs produits au xviiie siècle sur les désordres urbains et sur la mauvaise organisation des travailleurs. Mais quel crédit peut-on donner à ces discours, qui servaient les réformes impériales ? Des travaux plus récents ont montré, au contraire, que le rôle croissant de la couronne au xviiie n’a jamais véritablement mis à mal le principe d’autorégulation urbaine des métiers dans les villes américaines61. L’étude des milices urbaines révèle en effet l’existence de corporations de métier intégrées et influentes.
46À Carthagène des Indes, par exemple, la municipalité produisait au xviiie siècle des listes d’artisans mobilisables, en distinguant leur état, leur âge, leur métier, leur statut (maître, officier ou apprenti) et leur atelier. Ces listes portent à croire que le recrutement des miliciens reposait – comme dans de nombreuses villes d’Europe – sur une étroite collaboration avec les corps de métier62. La milice urbaine offre ainsi un cadre privilégié pour analyser les rapports de force et les enjeux des luttes professionnelles, pourtant si difficiles à identifier en contexte colonial.
Le cas des capitales vice-royales
47Les luttes politiques menées par les communautés de métier au sein des milices visaient en premier lieu à déséquilibrer en leur faveur le rapport entre les privilèges et les obligations du service (entraînement régulier, surveillance nocturne des quartiers, travaux publics, patrouilles terrestre et maritimes, maintien de l’ordre, participation aux cérémonies civiques et religieuses). Dans les grandes villes, les corporations les plus prestigieuses parvenaient ainsi à former et diriger leur propre compagnie de milice, afin de garder la main sur les commissions d’officier et d’alléger, voire de contourner les devoirs de l’entraînement et du cérémonial. Ce fut le cas des commerçants dès le xviie siècle. En s’appuyant sur leur mobilité professionnelle, ils évoquaient l’incompatibilité naturelle entre la voie du commerce et la voie des armes. Les élites marchandes de Lima obtinrent leur propre compagnie en 1624, puis leur propre régiment en 1671, doté d’une juridiction spécifique afin que le service militaire ne puisse porter préjudice au commerce. Ainsi, les officiers étaient nommés sur proposition du consulat des marchands, et le régiment échappait aux processions, aux revues générales et aux défilés militaires63. Les commerçants de Lima, qui restaient mobilisables en cas d’attaque, obtenaient ainsi l’équivalent d’une exemption militaire en temps de paix, sans perdre le prestige associé aux commissions d’officier. Ce modèle liménien allait connaître un large écho dans les grandes places marchandes américaines, comme à Mexico après les émeutes de 1692, ou encore à Puebla, à Santiago du Chili et à Manille64.
48En imitant les commerçants, des corporations d’artisans parvinrent aussi à contrôler une compagnie au sein des milices. Ce fut le cas à México dès la fin du xviie siècle, avec celle des boulangers, puis celles des charcutiers, des tanneurs et des orfèvres65. À Lima, deux compagnies de tailleurs furent également créées en 1769 et 177166. Les hiérarchies miliciennes se calquaient alors sur celles de la corporation : les maîtres servaient comme officiers tandis que les apprentis et les compagnons servaient comme simples miliciens. Et puisque la corporation assumait les dépenses de la compagnie, les prérogatives et les privilèges des milices s’étendaient à tous les maîtres, même à ceux qui échappaient au service, alors que les apprentis et les compagnons n’en bénéficiaient que lorsqu’ils étaient en service67. Ces « compagnies de métier » furent toutefois limitées aux capitales vice-royales, où des corporations réunissaient suffisamment de membres pour avoir leur propre compagnie. Ailleurs, les intersections entre milices et métiers étaient plus complexes à identifier car les rapports de force entre les autorités militaires, la municipalité et les corporations étaient plus instables et moins documentés.
Le cas des villes moyennes
49L’analyse croisée de la composition professionnelle des milices de couleur de Carthagène, Maracaibo et Campeche rend compte des intersections entre milices et métiers dans des villes de taille moyenne (entre 6 000 et 13 000 habitants vers 1780). La proportion d’artisans au sein des milices variait selon les structures économiques locales et le degré d’organisation des métiers. Dans les listes de miliciens, seuls les métiers organisés en corporation étaient mentionnés. Les autres miliciens étaient jugés « sans emploi », mais il s’agissait en vérité d’individus dont le travail était journalier, irrégulier et non incorporé68. Certains correspondent aux « sans qualité » décrits par Mathieu Marraud dans son travail sur les épiciers parisiens, soit des travailleurs qui transgressaient les privilèges des jurandes69. Ils étaient nombreux à Maracaibo, ville ouverte et étendue où se concentraient des populations mobiles qui travaillaient hors la ville, sur la lagune ou dans les haciendas de l’arrière-pays. C’est pourquoi la part des artisans dans les milices de la ville est si faible (tableau 6). Au contraire, Campeche était une ville qui exportait une part de son artisanat (notamment des vêtements de coton de faible qualité) et une ville fortifiée au sein de laquelle travaillaient les résidents. Les miliciens non artisans étaient presque tous des laboureurs dont le travail s’exerçait également en grande partie intra-muros.
Tableau 6. – Milices et artisanat à Carthagène, Maracaibo et Campeche.
Ville | Carthagène (1777-1780) | Maracaibo (1787) | Campeche (1790) | |||||||
Type de compagnie | Blancs | Couleur | Total | Blancs | Couleur | Total | Blancs | Couleur | Total | |
Miliciens | 400 | 679 | 1079 | 396 | 400 | 796 | 289 | 169 | 458 | |
Dont artisans | Nombre | 93 | 326 | 419 | 53 | 162 | 215 | 195 | 123 | 318 |
Part | 23,3 % | 48,0 % | 38,9 % | 13,4 % | 40,5 % | 27 % | 67,5 % | 72,8 % | 69,4 % |
Source : AGNC, Milicias y Marina, 48, 32, Liste des artisans de Gethsémani, 25 août 1780, f. 725-734 ; Censo Varios Departamentos, 6, D.72, Liste des artisans de Santa Catalina, 23 août 1780, f. 615-619 ; 6, D. 36, Liste des artisans de la Merced, 23 décembre 1780, f. 259-260. AGS, SGU, 7198, 18, Revues d’inspection des milices de Maracaibo, 1786-1787, f. 156-250 ; 7299, 4, 5 et 8, Revues d’inspection des milices de Campeche, 1790.
50Dans les trois villes concernées, la composition professionnelle pouvait varier fortement d’une compagnie de milice à une autre. À Maracaibo et Carthagène, on observe d’importantes différences entre les compagnies de couleur et de Blancs (tableau 7). À Maracaibo, construction navale et orfèvrerie étaient surreprésentées dans les compagnies de Blancs tandis que tailleurs, cordonniers et barbiers servaient dans les compagnies de couleur. À Carthagène, les milices de Blancs rassemblaient les métiers de l’approvisionnement alimentaire alors que les milices de couleur concentraient tailleurs, cordonniers, charpentiers, orfèvres, peintres et forgerons. Seul le métier de maçon était réparti également. Il semble donc que la qualité polarisait les métiers, ce qui se répercutait sur l’organisation des milices. On n’observe pas une telle polarisation à Campeche. Il est vrai qu’on trouvait plus d’orfèvres dans les compagnies de Blancs, et plus de forgerons dans les compagnies de couleur, mais la qualité semble ne pas avoir été un critère fondamental d’exclusion au sein des corporations de métier. Ces différences étaient sans doute liées aux définitions propres à chacune de ces villes de la condition d’artisan.
Tableau 7. – Milices et métiers à Carthagène, Maracaibo et Campeche.
Ville | Carthagène (1777-1780) | Maracaibo (1787) | Campeche (1791) | ||||||
Type de compagnie | Blancs | Couleur | Total | Blancs | Couleur | Total | Blancs | Couleur | Total |
Cordonniers | 6 | 57 | 63 | 1 | 71 | 72 | 45 | 42 | 87 |
Tailleurs | 7 | 81 | 88 | 0 | 36 | 36 | 60 | 19 | 79 |
Charpentiers | 11 | 70 | 81 | 23 | 24 | 47 | 21 | 6 | 27 |
Orfèvres | 5 | 23 | 28 | 12 | 2 | 14 | 17 | 2 | 19 |
Forgerons | 2 | 10 | 12 | 4 | 7 | 11 | 3 | 16 | 19 |
Épiciers | 22 | 6 | 28 | 1 | 0 | 1 | 8 | 13 | 21 |
Maçons | 8 | 16 | 24 | 4 | 12 | 16 | 4 | 8 | 12 |
Autres artisans | 32 | 63 | 95 | 8 | 10 | 18 | 37 | 17 | 54 |
Total | 93 | 326 | 419 | 53 | 162 | 215 | 195 | 123 | 318 |
Source : ibid.
51La comparaison des trois villes permet d’observer une corrélation entre la part des gens de couleur dans l’artisanat et la polarisation des métiers par la qualité sociale. Plus les activités artisanales étaient investies par des libres de couleur dans une ville, plus les métiers étaient polarisés. Ce constat s’explique par un double processus. Le tableau 7 montre que les libres de couleur étaient majoritaires dans l’artisanat à Maracaibo et Carthagène. La dignitarisation du commerce avait encouragé les élites blanches à se détourner de l’artisanat. Mises en minorité, les élites artisanales blanches se concentrèrent dans certains métiers au sein desquels elles tentèrent de fermer l’accès à la maîtrise aux gens de couleur. Ce verrouillage pouvait être facilité par leur influence sur les corps de ville. En effet, en dépit d’importantes variations locales, les métiers « réservés aux Blancs » ont en commun d’avoir été régulés très tôt par des décisions de police prises par les assemblée municipales, les juges ordinaires ou les conseils souverains. On trouve la même dynamique dans l’Empire français où les premières corporations réglementées par les pouvoirs publics (orfèvres, boulangers, bouchers, cabaretiers, aubergistes) furent les premières qui exclurent les gens de couleur70. Le second processus est lié à l’essor d’élites artisanales de couleur qui parvinrent parfois à se hisser au sommet de certaines corporations. Les capitaines de couleur, qui dirigeaient parfois leur confrérie, pouvaient en effet devenir syndics ou maître examinateur de leur corporation. Casimiro Ginete était en 1773 capitaine de la compagnie des artilleurs mulâtres de Carthagène et syndic de la corporation des peintres71. Gregorio Arenas était en 1780 le commandant des milices de couleur de Santiago du Chili et le syndic de la corporation des barbiers. Parmi les capitaines qui servaient sous ses ordres, on trouvait Mariano Barros, syndic de la corporation des ciriers, et Juan de Dios Portillo, syndic de la corporation des tailleurs72. Ces reconfigurations au sein des corporations entraînaient souvent le départ des artisans blancs ou le dédoublement de la corporation, comme nous l’avons décrit pour Puebla.
52Campeche offre en ce sens un panorama différent. Comme seule une poignée de familles marchandes profitait de l’exportation lucrative du bois de teinture et du sel, l’artisanat (comme l’agriculture intra-muros) était majoritairement investi par les Blancs, qui dominaient toujours le métier de tailleur, abandonné depuis longtemps par les Blancs de Carthagène et Maracaibo. Et les métiers de cordonnier, d’épicier ou de peintre, ailleurs polarisés par la couleur, étaient répartis de façon égale entre milice de Blancs et milice de couleur.
53Dans les villes caribéennes structurées par le système de la plantation, l’artisanat urbain était faiblement institutionnalisé (à cause de la rotation rapide des artisans) et également dominé par des Blancs, en particuliers des métropolitains. Cela s’explique à la fois par des politiques impériales de peuplement qui privilégiaient l’émigration d’artisans dans des territoires qui en manquaient, et par le peu de dignité conférée à l’artisanat dans des sociétés qui pensaient les hiérarchies en lien avec la possession de terre et d’esclaves73. L’abbé Raynal écrivait ainsi qu’à Saint-Domingue « l’artisan qui a fait fortune quitte la ville et sa boutique, achète une habitation, et devient un homme considérable, qu’il seroit ridicule et dangereux même de traiter comme un artisan74 ». À Sainte-Lucie, sur une liste de 176 artisans cités dans les registres paroissiaux entre 1763 et 1788, on ne compte que 37 libres de couleur75. Presque tous les artisans étaient européens et quand ils étaient américains, c’étaient des émigrés de Québec ou Louisbourg. Car les Créoles de Sainte-Lucie, qu’ils soient tenus pour blancs ou de couleur, étaient propriétaires ou vivaient dans les plantations.
54Par ailleurs, un nom de métier pouvait dissimuler des réalités différentes. Alors que les compagnies de couleur et de Blancs de Maracaibo comptaient le même nombre de charpentiers, des sources plus qualitatives montrent que les charpentiers de marine étaient plutôt des Blancs alors que les charpentiers et menuisiers en bâtiment, mais également les ébénistes, étaient plutôt des libres de couleur76. Ces hiérarchies entre les métiers et au sein des métiers se traduisaient par d’importants écarts de salaires : calfats et charpentiers de marine de Maracaibo ou Carthagène gagnaient entre 8 et 12 réaux par jours (soit plus de 300 pesos à l’année), alors que les simples charpentiers gagnaient environ 200 pesos par an. Quant aux journaliers, porteurs d’eau, carriers, charretiers, gardiens de troupeaux ou d’haciendas, leurs revenus annuels ne montaient guère au-delà de 100 pesos, ce qui restait le double du salaire annuel d’un esclave du roi détaché aux chantiers navals77. Cela ne signifie pas que les métiers les plus rémunérateurs étaient réservés systématiquement aux Blancs. À Guayaquil, où la construction navale était plus importante qu’à Maracaibo, le capitaine de la quatrième compagnie des mulâtres, Feliz Gómez, fut ainsi nommé syndic de la corporation des calfats en 1784 sur proposition du directeur du chantier naval78.
55Dans ces villes de taille moyenne, aucune corporation ne dirigeait sa propre compagnie de milice, contrairement aux capitales vice-royales. Mais des corporations ou groupes d’artisans luttaient également pour inverser en leur faveur le rapport entre les privilèges et les devoirs que supposaient leur participation aux milices. En 1774, les calfats et les charpentiers de marine de Carthagène parvinrent ainsi à être déchargés des obligations quotidiennes du service milicien et de n’être contraints qu’aux seules revues générales d’inspection. La même année, ceux de Maracaibo tentèrent de les imiter, mais ils n’étaient ni assez puissants ni assez nombreux pour y parvenir79. Aidées par un mouvement impérial qui tendait à décharger les grands marchands du service personnel, les corporations du commerce de détail furent celles qui parvinrent le mieux à s’imposer face aux commandants militaires. Très bien représentés au sein des municipalités des villes moyennes, ces petits commerçants n’étaient pas suffisamment nombreux pour avoir leur propre compagnie, mais ils parvenaient à négocier un service allégé en investissant collectivement une compagnie existante, puis en monopolisant ses commissions d’officiers. Ceux de Carthagène parvinrent ainsi, au xviiie siècle, à dominer la compagnie des grenadiers, la plus prestigieuse du bataillon des Blancs. À Campeche, au Yucatan, les épiciers blancs firent de même en investissant la première compagnie de Blancs de la ville, tandis que les épiciers de couleur mettaient la main sur la seconde compagnie des mulâtres80.
56Dans ces luttes pour les privilèges des milices, les groupes d’intérêt pouvaient également dépasser le strict cadre des jurandes. Les deux compagnies d’artillerie de Carthagène des Indes, créées au début des années 1770, en offrent un parfait exemple. La première réunissait des Noirs libres, tandis que la seconde recrutait des mulâtres. Elles procédaient toutes deux de l’essaimage d’une partie des miliciens de couleur des compagnies d’infanterie. L’artillerie étant considérée plus prestigieuse que l’infanterie, ces nouvelles compagnies obtinrent la préséance et davantage de privilèges au sein des compagnies de couleur. Cette distinction s’explique par un recrutement soigné. Leurs officiers affirmaient enrôler les fils des familles de couleur les plus respectables de la ville81. Or, dans ces milieux artisans, le critère de respectabilité retenu fut celui de la taille des ateliers. Issus de tous les quartiers et d’une dizaine de corps de métier, les artilleurs étaient en effet recrutés au sein des plus grands ateliers d’artisanat de la ville, comme ceux des familles Sepulveda et González (taille d’habit) ou encore Revolledo (orfèvrerie).
57Ces stratégies collectives portées par des corporations ou d’autres groupes d’intérêt font de la milice un parfait observatoire de la conflictualité et des recompositions des communautés de métier dans les villes coloniales, où syndics, maîtres et aspirants s’affrontaient pour l’accès aux dignités urbaines et à un statut stable et protecteur82. La concurrence était d’autant plus dure que les commissions d’officier dans les milices étaient théoriquement viagères et formaient par conséquent un marché à renouvellement lent, de la sorte qu’un poste de capitaine se libérait en moyenne tous les cinq à dix ans dans des villes de la taille de Carthagène.
58Ces multiples intersections entre milices, confréries et métiers montrent que les acteurs se déplaçaient et agissaient dans une pluralité de scènes d’appartenance sociale englobées par un même espace politique : la cité. Encadrée par les autorités locales et par les dépositaires de l’autorité centrale, la milice constituait l’une de ces scènes en même temps qu’elle en recoupait d’autres. Car les miliciens se voyaient reconnaître les « qualités » créditées aux autres scènes d’appartenance auxquelles ils adhéraient : une paroisse, une communauté de métier, un réseau de parentèle ou de clientèle, etc. Le milieu urbain constituait en ce sens un cadre spécifique en raison de l’étroite contiguïté des espaces sociaux qu’il présentait. Le contrôle collectif y était extrêmement fort et les positions occupées dans chaque scène d’appartenance avaient tendance à s’aligner les unes par rapport aux autres grâce à la possibilité de réinvestir ailleurs le capital acquis dans une scène spécifique. En même temps, le faible éclatement spatial de ces différentes scènes d’appartenance multipliait les allégeances contradictoires, c’est-à-dire la multiplicité des rapports hiérarchiques que sous-entendait une même interaction selon les scènes auxquelles on se rapportait. Ces contradictions généraient des espaces d’ambiguïté qui donnaient aux acteurs et aux groupes – dans une certaine limite – les moyens de manipuler les classifications sociales, de modifier leurs positions, et d’influer sur les définitions locales des catégories pratiques83.
Conclusion
59La prise en compte de ces identités multiples de référence, de ces registres d’appartenance, permet d’interroger les différents contextes qui donnent sens localement à l’institution milicienne. À la manière de Simona Cerutti, qui montrait que le métier et les aspects économiques ne suffisent pas à comprendre les logiques à l’œuvre dans la formation des corps de métier, nous estimons que la couleur n’est jamais le seul principe de division des compagnies de couleur84. En effet, les officiers recrutaient prioritairement au sein de leurs multiples réseaux ou groupes d’appartenance : parentèle, voisinage, clientèles, confréries, communauté de métier ou paroisse. Depuis le lien fort jusqu’au lien faible, un capitaine enrôlait ses fils, ses neveux, ses débiteurs, ses anciens esclaves affranchis, les apprentis qui travaillaient ou avaient travaillé dans son atelier, les voisins qui fréquentaient sa paroisse, etc. Les milices reflétaient ainsi la singularité de chaque espace urbain, en lien avec les rapports de force locaux. En ce sens, la moindre sectorisation des milices coloniales est à mettre en parallèle avec la taille des villes et la relative dispersion des populations hispanisées aux Amériques. Plus la communauté urbaine était structurée par des réseaux interpersonnels spatialement dilatés, moins elle avait recours à une sectorisation qui risquait de la désagréger.
60L’analyse des logiques de composition et de recomposition des compagnies de milice invite par ailleurs à se méfier des discours des acteurs, qui ne rendent pas toujours compte des pratiques et des critères de classement, ainsi que de l’organisation corporative complexe des villes américaines. Dégagés de leur contexte, ces discours tendent à essentialiser la couleur des hommes. La couleur est importante en milieu urbain colonial, mais elle constitue surtout un recours discursif faisant émerger l’importance cruciale du lieu d’énonciation. En effet, la couleur n’était jamais le seul critère déterminant la « qualité » ou la position sociale des individus. Il s’agissait avant tout d’une manière de dire les hiérarchies sociales, tout comme la naissance pouvait l’être dans les sociétés européennes de l’époque, avec la même centralité des conventions sociales contraignantes, mais traversées pourtant par bien des contradictions et des incohérences, qui conféraient une importance déterminante aux situations spécifiques et aux négociations. Au xviiie siècle, les milices coloniales de l’Amérique espagnole furent ainsi le théâtre d’interactions sociales intenses et violentes, partiellement codifiées par la coutume, et qui franchissaient au quotidien les frontières poreuses et floues imposées par la couleur. Dès lors, la « colorisation » des discours en milieu colonial ne suffit plus à justifier les compartimentages historiographiques que nous connaissons encore aujourd’hui entre l’histoire urbaine européenne et l’histoire des villes coloniales.
Notes de bas de page
1 Ruiz Ibáñez José Javier (dir.), Las milicias del rey de España: sociedad, política e identidad en las monarquías ibéricas, Madrid/Mexico, Fondo de Cultura Económica, 2009 ; Denys Catherine, « Écritures policières coloniales et circulations impériales : le bureau de police de Port-Louis à l’isle de France (Maurice), 1766-1788 », Revue d’histoire moderne & contemporaine, vol. 66, no 4, 2019, p. 32-52.
2 Descimon Robert, « Le corps de ville et les élections échevinales à Paris aux xvie et xviie siècles. Codification coutumière et pratiques sociales », Histoire, économie et société, vol. 13, no 3, 1994, p. 507-530.
3 Prak Maarten, « Identité urbaine, identités sociales. Les bourgeois de Bois-le-Duc au xviiie siècle », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, vol. 48, no 4, 1993, p. 907-933.
4 Descimon Robert, « Milice bourgeoise et identité citadine à Paris au temps de la Ligue », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, vol. 48, no 4, 1993, p. 893.
5 Voir Descimon Robert, « Solidarité communautaire et sociabilité armée : les compagnies de la milice bourgeoise à Paris (xvie-xviie siècles) », in Françoise Thélamon (dir.), Sociabilité, pouvoirs et société, Rouen, Presses universitaires de Rouen, 1985, p. 599-609 et Oñate Alguero Paloma de, Servir al rey: la milicia provincial (1734-1846), Madrid, Centro de Publicaciones del Ministerio de Defensa, 2003, p. 86.
6 Hart Marjolein’t et Van der Heijden Manon, « “City Air Sets You Free”: Autonomy and Rivalry in the Early Modern Northern Netherlands », in Leo Lucassen et Wim Willems (éd.), Living in the City: Urban Institutions in the Low Countries, 1200-2010, New York, Routledge, 2012, p. 68.
7 AGNC, Milicias y Marina, 14, 15, f. 82r., 1777 ; AGI, Santa Fé, 1156A, N.9, 1784. Les données générales du recensement sont extraites de Aguilera Díaz María et Meisel Roca Adolfo (dir.), Tres siglos de historia demográfica de Cartagena de Indias, Cartagena, Banco de la República, 2009.
8 AGI, Santa Fe, 40, R.3, N.62, Revue générale des milices de 1639.
9 AGI, SGU, 6945, 1, 1783 ; AGI, SGU, 7198, 18, 1786.
10 AGNC, Milicias y Marina, 40, 5, f. 159, 26 mars 1778 ; 13, 96, f. 60r-63r, 24 décembre 1782.
11 Descimon Robert, « Solidarité… », art. cité, p. 608.
12 AGNC, Milicias y Marina, 40, 5, f. 155v, 26 mars 1778.
13 AGNC, Milicias y Marina, 40, 5, f. 160v.
14 Descimon Robert, « Solidarité communautaire… », art. cité.
15 Western John Randle, The English militia in the eighteenth century: the story of a political issue, 1660-1802, Londres/Toronto, Routledge and Kegan Paul/University of Toronto Press, 1965, p. 256 ; Cicchini Marco, « Milices bourgeoises et garde soldée à Genève au xviiie siècle. Le républicanisme classique à l’épreuve du maintien de l’ordre », Revue d’histoire moderne & contemporaine, vol. 61, no 2, 2014, p. 132-135.
16 Archer Christon I., « To Serve the King: Military Recruitment in Late Colonial Mexico », Hispanic American Historical Review, vol. 55, no 2, 1975, p. 235.
17 Boltanski Luc, « L’espace positionnel : multiplicité des positions institutionnelles et habitus de classe », Revue française de sociologie, vol. 14, no 1, 1973, p. 3-26 ; Bourdieu Pierre, « La représentation de la position sociale », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 52-53, 1984, p. 14-15.
18 Zúñiga Jean-Paul, « “Muchos negros, mulatos y otros colores”. Culture visuelle et savoirs coloniaux au xviiie siècle », Annales HSS, vol. 68, no 1, 2013, p. 52 ; Rappaport Joanne, The Disappearing Mestizo: Configuring Difference in the Colonial New Kingdom of Granada, Durham, N.C., Duke University Press, 2014, 369 pages.
19 AGS, SGU, 7198, 8, 1765-1768.
20 Zúñiga Jean-Paul, « La voix du sang. Du métis à l’idée de métissage en Amérique espagnole », Annales HSS, vol. 54, no 2, 1999, p. 438 ; « Muchos… », art. cité, p. 59-60.
21 Les compagnies de juifs ne sont pas une spécialité américaine. Claude Sturgill a montré que les juifs de Bordeaux étaient tous recrutés au sein de la même compagnie au xviiie siècle, et pas seulement pour des raisons spatiales, dans « Une source de l’histoire urbaine : le rôle des miliciens de Bordeaux de 1722 », Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, vol. 86, no 117, 1974, p. 172-173. Il est possible que la ségrégation soit aussi liée aux interdits militaires du shabbat.
22 Voir à ce sujet, Machuca Chávez Claudia Paulina, « El alcalde de los chinos en la Provincia de Colima durante el siglo XVII: Un sistema de representación en torno a un oficio », Letras Históricas, no 1, 2009, p. 95-115.
23 Contreras Cruces Hugo, « Milicianos negros, mulatos y zambos de Santiago de Chile en la segunda mitad del siglo XVIII », Anales de desclasificación, vol. 1, no 2, 2006, p. 783 et 801.
24 Archivo General de la Nación (Pérou), Protocolos, Rodrigo Alonso Castillejo, P.22, Doc. 825, f. 1085v-1087v, 11 décembre 1601.
25 AGI, Santa Fé, 990, L.11, f. 122v-123v, 5 février 1678.
26 AGI, Santa Fé, 224, 5 décembre 1679.
27 AGI, Santa Fé, 990, L.111, f. 131r-v, 20 décembre 1679 ; f. 164v-166r, 21 novembre 1681 ; AGI, Santa Fe, 224, 5 décembre 1679 ; AGNC, Milicias y Marina, 88, 70, f. 340-343, 1753 ; AGI, Santa Fé, 941, 15 mai 1754. Sur les compagnies de « Blancs créoles de seconde classe » créées dans la province de Caracas au xviiie siècle, voir AGS, SGU, 7198, 8, 30 juin 1766.
28 AGNC, Milicias y Marina, 17, 49, f. 260-310, 1780.
29 Un même terme pouvait en effet être mobilisé dans un sens différent. Alors que du Chili jusqu’au Panama, zambo désignait l’enfant d’un noir et d’une indienne, le terme était utilisé à Maracaibo, à la Jamaïque et aux Antilles néerlandaises pour nommer l’enfant d’un mulâtre et d’une noire, l’équivalent du câpre des Antilles françaises, du griffe de Saint-Domingue, du grifo de Santo Domingo ou encore du cuarterón de blanco des Andes colombiennes.
30 AGNC, Miscelánea, 41, D.27, f. 1033v et 1065v, 3 juillet 1777.
31 AGS, SGU, 7198, 18, f. 183v. et 212r, 31 décembre 1786.
32 ANOM COL E 285, Dossier nominatif de Charles et Guillaume Levêque, 1769, f. 129-192.
33 ANOM COL E 15, Dossier nominatif de Pierre Baldy, 1777-1784, f. 51-102. L’affaire a été décrite et en partie retranscrite par Bernadette et Philippe Rossignol in « Les filles Lachenais de Saint-Domingue, issues d’un sang-mêlé de la Martinique. Pierre Baldy et le préjugé colonial », Génélogie et Histoire de la Caraïbe, Article 38, 2016, 12 pages.
34 ANOM 1DPPC2350, Registre des naissances, mariages et décès des Cayes de Jacmel (1714-1777), Baptême de Pierre Baldy, 15 décembre 1742, f. 23.
35 ANOM COL D2C115, État général des Milices de Saint-Domingue, 1771.
36 ANOM COL E 15, f. 58.
37 Ibid.
38 Ibid., Lettre de Nectoux, 29 janvier 1978, f. 78-80.
39 Lutz Christopher H., Santiago de Guatemala, 1541-1773: City, Caste, and the Colonial Experience, Norman, University of Oklahoma Press, 1997, p. 95-96 ; Ramírez Luengo José Luis, « Algunas notas sobre el léxico del mestizaje en la Guatemala del siglo XVIII (1690-1810) », RILEX. Revista sobre investigaciones léxicas, vol. 2, no 1, 2019, p. 16-18.
40 Cerutti Simona, « Du corps au métier : la corporation des tailleurs à Turin entre le xviie et le xviiie siècle », Annales ESC, vol. 43, no 2, 1988, p. 349.
41 AGNC, Censos de población, CJ. 12, CR. 1, D. 16, 5 novembre 1779 ; Milicias y Marina, 76, 162, f. 953-984, 1782.
42 Outre leur coût financier initial (media annata), les commissions dans les milices supposaient un investissement économique colossal au sens où les officiers étaient considérés comme des entrepreneurs privés chargés de nourrir, d’habiller, d’armer et d’entraîner les hommes qu’ils recrutaient dans leurs compagnies. Les officiers étaient donc recherchés parmi les hommes les plus riches et les plus influents des villes.
43 AGI, Mexico, 46, N.35, f. 204-207, 8 juin 1672 ; Buenos Aires, 3, L.10, f. 146r, 22 avril 1684. Archivo General de la Nación Argentina, Escribanías antiguas, t. 48, f. 546, 24 novembre 1689. Archivo Nacional de Chile, Real Audiencia, vol. 2448, Pieza 4ª, 1717. Gómez Ruiz Manuel et Alonso Juanola Vicente, El Ejército de los Borbones: Tropas de ultramar, Madrid, Servicio Histórico Militar, 1989, p. 359.
44 Cosandey Fanny, « Classement ou ordonnancement ? Les querelles de préséances en France sous l’Ancien Régime », in Gilles Chabaud, Classement, DEclassement, REclassement : de l’Antiquité à nos jours, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2011, p. 95-103.
45 Marraud Mathieu et Lyon-Caen Nicolas, « Multiplicité et unité communautaire à Paris. Appartenances professionnelles et carrières civiques, xviie-xviiie siècles », Histoire urbaine, no 40, 2014, p. 19-36.
46 Chevalier Bernard, « Corporations, conflits politiques et paix sociale en France aux xive et xve siècles », Revue historique, t. 268, no 1, 1982, p. 17-44.
47 Neveux François, « Confréries, paroisses et métiers à Bayeux aux xive et xve siècle », in Françoise Thélamon (dir.), Sociabilité, pouvoirs et société, op. cit., p. 569-581 ; Garrioch David, « Confréries de métier et corporations à Paris (xviie-xviiie siècles) », Revue d’histoire moderne & contemporaine, vol. 65, no 1, 2018, p. 95-117 ; Marraud Mathieu, « La confrérie dans le métier. Spirituel et temporel corporatifs à Paris aux xviie-xviiie siècles », Revue d’histoire moderne & contemporaine, vol. 65, no 1, 2018, p. 118-143.
48 Prak Maarten, Citizens Without Nations: Urban Citizenship in Europe and the World, c.1000-1789, Cambridge, Cambridge University Press, 2018, p. 148.
49 Cerutti Simona, La ville et les métiers : naissance d’un langage corporatif (Turin, 17e-18e siècle), Paris, Éditions de l’EHESS, 1990 ; Descimon Robert, « Corpo cittadino, corpi di mestiere e borghesia a Parigi nel XVI e XVII secolo. Le libertà dei borghesi », Quaderni storici, vol. 30, no 89(2), 1995, p. 417-444.
50 Lempérière Annick, « Orden corporativo y orden social. La reforma de las cofradías en la ciudad de Mexico, siglos XVIII-XIX », Historia y Sociedad, 14, 2008, p. 9-21.
51 Solano D. Sergio Paolo, « Historiografía sobre las relaciones entre las instituciones coloniales y los artesanos de Hispanoamérica a finales de la Colonia », in Sonia Pérez Toledo et Sergio Paolo Solano D. (dir.), Pensar la historia del trabajo y los trabajadores en América. Siglos XVIIX y XIX, Madrid, Iberoamericana/Velvuert, 2016, p. 17-58.
52 Chaix Gérald, « Les confréries à Cologne au xvie siècle », in Françoise Thélamon (dir.), Sociabilité, pouvoirs et société, op. cit., p. 593-598.
53 Campos y Fernández de Sevilla Francisco Javier (éd.), Catálogo de cofradías del Archivo del Arzobispado de Lima, Madrid, Ediciones Escurialenses, 2014, p. 253 et 260.
54 Fernández Villanova David, « La injerencia de las cofradías de artesanos en la organización de oficios en Lima colonial », Investigaciones sociales, vol. 20, no 37, 2016, p. 233-240.
55 Vinson III Ben, Bearing Arms for His Majesty: The Free-Colored Militia in Colonial Mexico, Redwood City, Calif., Standford University Press, 2003, p. 29.
56 Archivo General de la Nación Argentina, Escribanías antiguas, t. 48, f. 546, 24 novembre 1689.
57 Mena García Carmen, « Religión, etnia y sociedad: cofradías de negros en el Panamá colonial », Anuario de estudios americanos, vol. 57, no 1, 2000, p. 142 ; Barcia Zequeira María del Carmen, « La situación de los negros en la sociedad habanera entre los obispados de Pedro Agustín Morell de Santa Cruz y Juan José Díaz de Espada », in Juan Bosco Amores Carredano (dir.), Los tiempos de Espada: Vitoria y La Habana en la era de las revoluciones atlánticas, Bilbao, Servicio Editorial de la Universidad del País Vasco, 2014, p. 197.
58 Contreras Cruces Hugo, « Oficios, milicias y cofradías. Éxito económico, prestigio y redes sociales afromestizas en Santiago de Chile, 1780-1820 », Revista de Historia Social y de las Mentalidades, vol. 17, no 2, 2014, p. 43-74.
59 Vinson III Ben, Bearing Arms for His Majesty, op. cit. ; King Stewart R., Blue Coat or Powdered Wig: Free People of Color in Pre-Revolutionary Saint-Domingue, Athènes, University of Georgia Press, 2011 (2001). Voir également : Solano D. Sergio Paolo et Flórez Bolívar Roicer, « Los “Artilleros pardos y morenos artistas”: Artesanos, raza, milicias y reconocimiento social en el Nuevo Reino de Granada, 1770-1812 », Historia crítica, no 48, 2012, p. 11-37 ; Magallanes María, « Artesanos en armas. Del gremio de oficio a las milicias en Zacatecas, 1758-1820 », in Sonia Pérez Toledo, Manuel Miño Grijalva et René Amaro (dir.), El mundo del trabajo urbano. Trabajadores, cultura y prácticas laborales, Mexico, Colegio de Mexico, 2012, p. 127-163 ; Puentes Cala Mauricio, « Artesanos y labriegos al servicio de la Corona: Un acercamiento a las relaciones entre la raza, los oficios y el alistamiento miliciano en Santa Fe de Bogotá a finales del siglo XVIII », En el taller de la historia, vol. 5, no 5, 2013, p. 173-210 ; Contreras Cruces Hugo, « Oficios… », art. cité.
60 Johnson Lyman L., « Francisco Baquero: zapatero y organizador (Río de la Plata, siglos XVIII y XIX) », in David Sweet et Gary Nash (dir.), Lucha por la supervivencia en la América Colonial, Mexico, FCE, 1987, p. 73-84.
61 Franco Luis Fernando, « Los artesanos de Antioquia a fines del período colonial: una mirada a través de la Instrucción General para los Gremios de 1777 », Historia y Sociedad, no 26, 2014, p. 81-97 ; Pérez Vejo Tomás, « Artesanos y artistas. Privilegios, organizaciones y academias de bellas artes: El caso de Nueva España », in Beatriz Rojas (dir.), Cuerpo político y pluralidad de derechos. Los privilegios de las corporaciones novohispanas, Mexico, CIDE/Instituto Mora, 2007, p. 189-214.
62 AGNC, Milicias y Marina, 48, 32, f. 725-734, 25 août 1780 ; Censo Varios Departamentos, 6, D.72, f. 615-619, 23 août 1780 ; 6, D. 36, f. 259-260, 23 décembre 1780. Ce type de liste a été analysé par Eduardo Pascual Ramos dans son étude sur les milices de Majorque : « La defensa civil en tiempos de guerra. La milicia de Mallorca (1762-1769) », Vegueta, 16, 2016, p. 276-277.
63 AGI, Lima, 584, L.20, f. 225r-226v, 6 avril 1638 ; 586, L.27, f. 311r-312v, 17 décembre 1676.
64 AGI, Mexico, 1076, L.35, f. 76v-80r, 16 février 1693 ; 136, N.179, 22 août 1704. AGI, Patronato, 226, N.1, R.24, 1692. Sur ces questions voir le chapitre « Les commerçants et les militaires », in Archer Christon I., The Army in Bourbon Mexico, 1760-1810, Albuquerque, UNM Press, 1977, p. 168-181.
65 Solano D. Sergio Paolo, « Historiografía… », art. cité, p. 36.
66 AGS, SGU, 7128, 11, 5 novembre 1779 ; 7083, 7, 1788. AGI, Lima, 663, N.77, f. 596-612, 16 décembre 1783 ; N.24, f. 121, décembre 1786.
67 García Acosta Victoria, Las panaderías, sus dueños y trabajadores. Ciudad de Mexico, siglo XVIII, Mexico, CIESAS, 1989, p. 109.
68 Au xviie siècle, des habitants de Maracaibo sont ainsi jugés « sans métier » mais survenant à leurs besoins « par leur effort et travail personnel », dans AGI, Santo Domingo, 198, R.2, N.59, Lettre de José Cerdeño, 1689.
69 Marraud Mathieu, « Permanences et déplacements corporatifs dans la ville », Histoire & mesure, vol. 25, no 1, 2010, p. 3-45.
70 Moreau de Saint-Méry Louis-Elie, Loix et constitutions…, op. cit., t. IV (1750-1765), p. 5-7, 451 ; ANOM COL C8A67, Ordonnance concernant les boulangers, Martinique, 10 août 1765, f. 52. Voir aussi Hayot Émile, Les gens de couleur libres du Fort-Royal (1679-1823), Paris, Société française d’histoire d’Outre-Mer, 1971, p. 36 et 48.
71 AGNC, Milicias y Marina, 67, 49, Pétition de Casimiro Ginete, Carthagène, 4 janvier 1773, f. 277v.
72 Bonnefoy Baptiste, Une minorité noire entre Monarchie et République. Trajectoires sociales et militaires des officiers pardos de Santiago du Chili. 1780-1830, mémoire de master en histoire, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2012, p. 50.
73 Dans le cas de l’Empire français, les migrations d’artisans vers les îles de la Caraïbe ont été favorisées à la fois par le système des engagés et celui des détachements de la marine. Dans les deux cas il était demandé de recruter des gens qui savaient des « métiers utiles » (maçons, charpentiers, cordonniers, tailleurs, selliers et bourreliers, etc.), et dont les compétences étaient certifiées par un maître.
74 Raynal Guillaume-Thomas, Essai sur l’administration de St. Domingue, s. l., 1785, p. 25.
75 ANOM 1DPPC2857-65, registres paroissiaux de Sainte-Lucie.
76 AGNC, Milicias y Marina, 64, 84, Pétition des calfats de Maracaibo, 6 juin 1774, f. 543-544.
77 Nous estimons que l’année compte 260 jours travaillés, mais nous pouvons supposer une importante variation annuelle des salaires. AGNC, Milicias y Marina, 64, 84, Lettre d’Alonso del Rio, 24 septembre 1774, f. 544-555 ; AGNC, Virreyes, 7, D.11, Listes des employés des chantiers navals de Carthagène, 30 juin 1800, f. 145.
78 AGS, SGU, 7089, 15, Lettre de Feliz Gómez, Guayaquil, 18 novembre 1788.
79 AGNC, Milicias y Marina, 83, f. 602-610 ; 64, f. 543-555, 6 juin 1774.
80 AGS, SGU, 7299, 4, 5 et 8, 1790.
81 AGNC, Milicias y Marina, 67, 49, f. 277v, 4 janvier 1773. Voir également : Solano D. Sergio Paolo et Flórez Bolívar Roicer, « Los “Artilleros pardos y morenos artistas”… », art. cité.
82 Kaplan Steven L., « Idéologie, conflits et pratiques politiques dans les corporations parisiennes au xviiie siècle », Revue d’histoire moderne & contemporaine, vol. 49, no 1, 2002, p. 5-55.
83 Chamborédon J.-C. et al., « L’appartenance territoriale… », art. cité, p. 79-80 ; Morieux Renaud, « Diplomacy From Below and Belonging: Fishermen and Cross-Channel Relations in the Eighteenth Century », Past and Present, vol. 202, no 1, 2009, p. 83-125.
84 Cerutti Simona, « Du corps au métier… », art. cité.
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