Chapitre II. Travailler
p. 51-74
Texte intégral
1On l’a dit, les chiffres peinent à rendre compte de la tragédie qu’est la Première Guerre mondiale et le 47e RI n’échappe pas à ce constat. Mobilisée le 2 août 1914, l’unité retrouve Saint-Malo en septembre 1919 après 62 mois de campagne. Pendant ce laps de temps, elle parcourt plusieurs milliers de kilomètres, y compris pendant cette période faussement immobile que l’on qualifie de guerre de positions. Mais les archives sont impuissantes à fournir des éléments permettant d’appréhender quantitativement cette expérience de guerre. Il n’est ainsi pas possible de mesurer le volume horaire de combat effectif pendant lequel l’unité est engagée et on ne dispose d’aucune donnée concernant le tonnage de munitions, qu’il s’agisse des projectiles consommés par les fantassins ou de ceux, projetés à partir des lignes allemandes, auxquels ils sont exposés.
2Ceci ne doit toutefois pas empêcher la réflexion puisqu’il ne s’agit jamais que de la traduction de deux données essentielles de la Grande Guerre : son ampleur et sa durée. Voilà pourquoi c’est encore et toujours la question de l’endurance des belligérants qui continue d’interroger. Traditionnellement, l’historiographie française du conflit y apporte deux grandes réponses concurrentes, discours forgé sur un consentement d’ordre culturel et qui s’opposerait à une contrainte fruit des rapports de sociaux de domination. Mais d’autres schémas interprétatifs existent. Fortement influencé par la pensée foucaldienne, L. V. Smith publie au milieu des années 1990 une monographie de la 5e DI centrée sur les négociations entourant la relation d’autorité, dimension qui renvoie dans le cadre de l’Armée française au fait que les rangs sont essentiellement, à l’exception des militaires de carrière, garnis de citoyens-soldats1. Cette notion de contrat est également au cœur des travaux d’E. Cronier sur les permissions puisque ces quelques trop courtes séquences intermédiaires, plus tout à fait militaires mais pas encore totalement civiles, posent in fine la question de l’équité républicaine, sur laquelle on ne saurait transiger, y compris en temps de guerre2.
3C’est une piste analogue que nous souhaiterions explorer dans cette enquête en envisageant l’expérience combattante des fantassins du 47e RI sous la forme d’un contrat qui ne serait cependant plus moral, ou civique, mais de travail. Cette notion est en effet omniprésente dans les archives et nombreux sont les travaux historiques à l’avoir effleurée, sans jamais pour autant la prendre à bras-le-corps. Il est vrai que ce concept n’est pas simple à objectiver, ce qui en dernier ressort appelle à une histoire culturelle de ce fait social.
Un champ lexical omniprésent : le travail
4Qu’il s’agisse des témoignages des poilus du 47e RI ou des archives rapportant la parole de l’unité elle-même, toutes les sources ont en commun de puiser abondamment dans le champ lexical du travail.
La plume des poilus
5Lieutenant-colonel commandant le 47e RI, Daniel Poncet des Nouailles confie à sa femme, le 6 août 1914, au moment de quitter la Côte d’Émeraude et de mener son unité vers la frontière franco-belge, toute son anxiété :
« Je pars à la tête d’un beau régiment. 72 officiers, plus de 3 300 soldats. Lourde tâche3. »
6Sous la plume d’un officier de carrière, sorti 13e sur 357 de la promotion dite « des Zoulous » de Saint-Cyr, ce terme n’a pas grand-chose d’étonnant. Commander le 47e RI est en effet, précisément, le métier de Daniel Poncet des Nouailles4. Mais il est intéressant de noter que c’est exactement le même mot que l’on retrouve sous la plume d’un simple soldat de 2e classe, civil que le service militaire puis la mobilisation générale plongent sous l’uniforme, et de surcroît éminemment moins bien doté en capitaux sociaux et culturels. Né à Paris mais résidant à Moncontour, dans le département des Côtes-du-Nord, Louis Leseux déclare exercer lors de son passage devant le Conseil de révision le métier de « domestique ». Incorporé le 10 octobre 1913 au 47e RI pour y effectuer son service militaire, il compte parmi les éléments qui quittent Saint-Malo dans les tout premiers jours d’août pour gagner Vouziers, dans les Ardennes, puis franchir la frontière franco-belge5. Exerçant les fonctions de brancardier, ce soldat de 2e classe sollicite très tôt la métaphore du travail pour décrire dans son carnet son expérience combattante :
« Notre tour de travailler est venu pour nous aussi. Pendant qu’une partie de nous soignent les blessés qui nous arrivent nombreux, les autres par équipe de quatre, nous allons relever ceux qui sont frappés plus durement. La tâche n’est pas toujours facile et nous nous sommes aplatis à terre plus d’une fois pendant notre marche sur le champ de bataille pour éviter les obus qui éclataient parfois à des distances dangereuses pour nous6. »
7Les témoignages montrent que cette image est suffisamment plastique pour résister à l’apparition de la guerre de positions. Il se peut d’ailleurs que le calme relatif qui règne dans le secteur d’Arras lors de l’hiver 1914-1915 favorise une telle comparaison. Engagé volontaire au 47e RI en mars 1913 après avoir exercé, à en croire sa déclaration devant le Conseil de révision, la profession de représentant de commerce, le caporal Olivier Le Guével affirme à ses parents, dans une lettre datée du 22 novembre 1914 : « si ce n’est que l’on entend quelquefois le sifflement des obus et le soir vers 6 heures la pétarade du côté des tranchées, l’on ne se croirait pas à la guerre7 ». Le lendemain, le soldat de 2e classe Émile Le Guen décrit à son frère l’organisation minutieuse du champ de bataille qui est en train de se mettre en place et utilise les termes de « relève » et de « service », qui appartiennent certes au registre militaire mais renvoient également au champ lexical du travail :
« Yves vient me voir tous les jours. Il ne va aux tranchées que tous les quatre jours, la relève étant faite tous les soirs par compagnie et par bataillon. Il y a toujours un bataillon à Dainville à quelques kilomètres d’ici, les deux autres vont aux tranchées. Le service est bien rétabli de façon à ménager la santé des hommes en opposant toutefois des forces inaccessibles face à l’ennemi8. »
8Ces quelques exemples montrent que l’idée de travail relève d’un champ lexical sollicité pour décrire l’expérience combattante, dans tout ce que cette expression a de plus générique. Employé par les fantassins du 47e RI, ce vocabulaire sert à désigner l’ensemble des compétences et savoir-faire qui caractérisent subjectivement un métier, en l’occurrence celui de militaire. Cultivateur de la classe 1910 résidant à Baguer-Pican, en Ille-et-Vilaine, et catholique fervent à en juger par les bribes de correspondance dont nous disposons, le soldat de 2e classe Jean Louet rappelle combien le temps du régiment, qu’il s’agisse des années de service avant 1914 ou de la Grande Guerre proprement dite, s’apparente pour les hommes de l’époque à une profession, quand bien même celle-ci serait imposée par les règlements d’alors, ceux régissant d’abord la conscription puis la défense de la Nation en armes du fait de la mobilisation générale. Incorporé depuis octobre 1911 à Thouars, sous le drapeau du 125e RI, pour y effectuer son service, il bénéficie manifestement d’une permission de quelques jours au cours de l’été 1913. Revenu à la caserne, il affirme à sa sœur dans une lettre datée du 26 juillet 1913 : « je suis bien rhabitué au métier9 ». Ceci rappelle du reste que l’usage de ce registre de vocabulaire n’est pas propre au 47e RI, unité au sein de laquelle il est affecté au moment de son passage dans la réserve et où il est mobilisé, dans les tout premiers jours d’août 191410.
9Quelle que soit leur position socioculturelle et quel que soit leur grade, qu’ils soient civils sous uniforme ou au contraire militaires de carrière, qu’ils s’adressent à la famille d’un camarade tombé au front ou à leurs proches, les fantassins du 47e RI tendent, tout au long de la Première Guerre mondiale, à rendre compte de leur expérience combattante par le prisme du métier, comme si cette campagne était un travail à effectuer. S’il convient sans doute de distinguer ce qui relève, d’une part, de l’intériorisation d’une norme socioculturelle – le travail – et, d’autre part, de la description subjective des compétences spécifiquement attachées au « métier militaire », un tel constat interpelle.
La voix de l’unité
10Bien entendu, on pourra toujours arguer qu’il s’agit là moins de la réflexion idiosyncrasique de poilus dont on a conservé quelques écrits que de la reprise d’un discours dominant, en l’occurrence celui de l’unité elle-même. Les citations en sont une preuve éclatante. Celle à l’ordre du 47e RI décernée le 16 juin 1918 au sous-lieutenant Paul Lapourre, distinction portant attribution de la Croix de guerre avec étoile de bronze, est à cet égard particulièrement intéressante :
« S’est fait remarquer par son endurance et sa ténacité au cours des combats des 29-30-31 mai 1918. Malgré des fatigues exceptionnelles a maintenu très haut le moral de ses mitrailleuses et en a obtenu un excellent rendement11. »
11L’idée de rendement, qui renvoie à celles de production, de productivité, d’efficacité, relève là encore du champ lexical du travail. Il est donc logique que la citation à l’ordre du régiment décernée le 3 octobre 1915 à l’adjudant Fernand Rapinel file pour sa part la métaphore de l’usine, de l’atelier :
« Le 25 septembre 1915 le pointeur chef de pièce et 2 servants d’une pièce de sa section de mitrailleuses ayant été tués et blessés, s’est porté sous une grêle d’obus à cette pièce, en a réorganisé le service et fait continuer le tir. Blessé grièvement en retournant à son poste d’observation après avoir réconforté le personnel par son énergie calme et son sang-froid12 […]. »
12L’allusion au monde du travail est ici claire : la section de mitrailleuses est assimilée à un service et les poilus affectés à cette arme collective sont regroupés sous le terme de « personnel ». Il ne s’agit là nullement de cas exceptionnels. Nous avons pu constituer en dépouillant Le Salut, Le Moniteur des Côtes-du-Nord ainsi que l’édition rennaise de L’Ouest-Éclair, soit trois journaux publiés et/ou diffusés dans les environs de Saint-Malo, un corpus de 159 citations à l’ordre décernées à 147 hommes du rang, sous-officiers et officiers du 47e RI13. Si le terme de « travail » n’apparaît que 6 fois, on compte 14 occurrences du mot « service », 5 du mot « relève », 25 du mot « poste ». Ces chiffres sont à comparer à ceux que l’on relève dans un second corpus, celui des citations à l’ordre attribuées à quelque 510 morts pour la France du 47e RI, sur un total, rappelons-le, de 2 688. Le terme de « travail » apparaît 15 fois, celui de « service » 40 fois, celui de « poste » 139 fois. Ajoutons que les textes de ces citations sont émis entre octobre 1914 et septembre 1923, ce qui dit bien la permanence de cette représentation mentale.
13Le champ lexical du travail est également très présent dans les archives produites par le 47e RI pendant la Grande Guerre. Dans les JMO, la première occurrence du terme se retrouve le 17 octobre 1914, alors que l’unité commence à s’enterrer dans les tranchées d’Artois :
« Ordre est donné à toute la division de porter ses lignes en avant. Le 47e doit établir de nouvelles tranchées au SE du moulin 84, en avançant la droite vers la côte 107. Les groupes d’éclaireurs se portent en avant, à 20 heures et le travail est amorcé à 300 m environ en avant du front14. »
14Les innombrables ordres et comptes rendus d’opérations produits par les officiers du 47e RI puisent également très régulièrement dans le champ lexical du travail. Pour ne citer qu’un exemple, le 5 septembre 1916, le commandant Hector Mangot expose la situation des différentes sapes de son secteur, description qu’il intitule « travaux15 ».
15Reste néanmoins à savoir comment il convient d’interpréter ces fréquents recours au champ lexical du travail dans les discours produits par l’unité. Peut-on en effet considérer qu’ils sont le pur miroir de « l’âme du régiment », autrement dit qu’ils nous rappellent que c’est bien comme une tâche à effectuer que l’unité appréhende la campagne dont elle est un des innombrables rouages ? Dans ce cas, le travail constituerait un élément essentiel de la culture de guerre, tout du moins au sens où l’entendent J. Horne et A. Kramer, c’est-à-dire une grille de lecture donnant du sens au réel en cours16. Mais d’autres pistes d’interprétation peuvent également être sollicitées. Ainsi, ne faut-il pas, au contraire, voir dans ce registre de langue la marque d’une stratégie discursive visant justement à ce que ce réel en cours soit mieux accepté par les acteurs ? Ériger la guerre comme un travail qu’il convient d’effectuer, c’est en effet raccrocher à une certaine normalité une situation qui ne l’est assurément pas. Malheureusement, les sources ne permettent pas de trancher. Pour autant, cette impasse archivistique ne doit pas conduire à oublier le fait qu’un discours, quand bien même celui-ci est artificiel, résultant d’une froide stratégie rhétorique, peut être profondément intériorisé par les acteurs. En d’autres termes, rien ne permet d’affirmer que les fantassins du 47e RI n’ont pas sincèrement adhéré au récit que produit leur unité.
16Ajoutons d’ailleurs que cette réalité n’est pas propre au 47e RI. On retrouve l’usage de ce champ lexical à tous les échelons de la hiérarchie, qu’il s’agisse de la division, du corps d’armée ou même du groupe d’armées. C’est ainsi par exemple que les archives de la 20e DI conservées au SHD contiennent de nombreuses « notes de service17 ». D’ailleurs, dès les tout premiers jours de la guerre, en août 1914, le général commandant la 40e brigade fait état dans son ordre no 5 de « chefs de poste et de service18 ». En septembre 1915, le premier chapitre du compte rendu journalier de renseignements produit par le 10e CA s’intitule « travaux exécutés par l’ennemi19 ». À n’en pas douter, l’évolution de l’Armée française de la Première Guerre mondiale, mouvement conduisant à une spécialisation toujours plus accrue des troupes, une complexification constante des organigrammes ainsi qu’à une certaine forme de bureaucratisation, favorise l’emploi d’un tel vocabulaire20. C’est ainsi par exemple que l’ordre général secret no 324 du 10e CA daté du 3 septembre 1916, soit à la veille de l’attaque que le 47e RI prononce sur Chilly, stipule que lors de cet assaut « le général Rouvier, commandant la 104e DT, est délégué pour l’expédition des affaires courantes », une formule qui n’est pas sans faire penser au monde du travail, qu’il s’agisse de l’entreprise ou de l’administration21.
Transferts d’expériences
17Nombreuses sont d’ailleurs les passerelles reliant les mondes civils et militaires. L’historien E. Saint-Fuscien a montré combien l’expérience de la Grande Guerre, et tout particulièrement du service de cette arme collective qu’est la mitrailleuse, nourrit la réflexion et la pratique professionnelle du célèbre pédagogue Célestin Freinet22. D’ailleurs, lorsqu’il s’agit d’envisager le retour des poilus à la vie « d’avant », la guerre étant gagnée, le député Camille Blaisot prend bien soin de présenter la parenthèse combattante comme une sorte de travail en intérim. À l’en croire, la prime de démobilisation est non seulement le pendant du pécule touché lors de la mobilisation mais, loin de devoir être considérée comme une aumône donnée par l’État aux combattants pour services rendus à la patrie, elle est « en quelque sorte une indemnité de licenciement23 ». L’historien X. Boniface a, pour sa part, présenté la citation à l’ordre comme une sorte de « solde de tout compte » entre l’institution militaire et le poilu réformé ou démobilisé, métaphore qui là encore renvoie au salariat24. A. Prost explique de même que la « présomption d’origine » qui, introduite par la loi du 9 décembre 1916, est l’une des caractéristiques majeures de la législation française en faveur des mutilés, découle de la loi de 1898 qui impute « a priori au patron la responsabilité d’un accident du travail sous réserve qu’il apporte la preuve du contraire25 ». V. Viet a quant à lui montré que le calcul des pensions et gratifications militaires est étroitement lié, du point de vue de la genèse juridique, à cette même loi du 9 avril 1898 relative aux accidents du travail. L’auteur souligne de surcroît combien la réinsertion des infirmes de guerre passe par l’exercice d’un métier, ce qui là encore renvoie au champ professionnel26. Semblable remarque paraît d’ailleurs devoir être formulée à propos du retour à la vie civile des poilus atteints de tuberculose27. Avec sa thèse, G. Brégain montre du reste qu’il ne s’agit pas là d’une spécificité française mais bien d’une réalité transnationale28. De ce point de vue, la figure d’Albert Thomas, sous-secrétaire d’État chargé de l’Artillerie et de l’Équipement militaire puis ministre de l’Armement et des Fabrications de guerre et, une fois la paix revenue, directeur du BIT, constitue un symbole particulièrement éclairant29. En effet, on sait qu’après l’Armistice fleurissent dans les rangs des grandes unités « pour faciliter la reconversion, des cours de formation professionnelle ou simplement d’éducation scolaire […] à la place des cours d’apprentissage des nouvelles armes30 ».
18Le langage employé par les fantassins témoigne de cette combinaison des cultures. Évoquant dans une lettre datée du 12 octobre 1914 la convalescence de son frère Édouard, blessé, le plouhatin Émile Le Guen parle d’une « retraite », terme qui n’est pas sans également évoquer celle du combattant, qu’il perçoit vraisemblablement dès son instauration, en 193031. Cette continuité du vocabulaire ne doit d’ailleurs sans doute rien au hasard puisque c’est en 1910 qu’est votée la loi instaurant les « retraites ouvrières et paysannes », dispositif social certes imparfait mais qui n’en impose pas moins dans les esprits un certain champ lexical32.
19Ces continuités entre mondes civil et militaire ne s’expriment pas uniquement de manière verbale. Pour un individu comme le caporal Aimé Fournier, qui déclare exercer lors de son passage devant le Conseil de révision la profession de « commis des postes », le port de l’uniforme n’est sans doute pas totalement anodin et favorise peut-être cette correspondance avec le registre du travail33. Cette réflexion devrait d’ailleurs être élargie, pour ne citer que quelques exemples, aux cas du soldat de 2e classe Guillaume Le Cam, conducteur de tramway à Paris, du soldat de 2e classe Jean Dumatin, douanier à Saint-Malo, des soldats de 2e classe Léon Morin et Marcel Ory ainsi que du sergent-fourrier Pierre Lemarchand, tous trois employés des chemins de fer34. En effet, toutes ces professions ont en commun d’exiger le port d’uniformes, vêtements civils qui tant dans les coupes, les tissus que le vocable empruntent très largement à la tenue du soldat et suggèrent donc une certaine continuité, par le biais du travail, dans l’appréciation des expériences35. Intéressant est à cet égard le fait qu’à partir du milieu du xixe siècle, certains facteurs ou employés du chemin de fer commencent, tout comme les conscrits puis les mobilisés de 1914-1918, à se faire photographier vêtus de leur uniforme36.
20Qu’on les retrouve donc sous la plume des poilus du 47e RI, dans les discours produits par l’unité elle-même ou dans la sphère civile, les termes d’ouvrage, de service, de poste, de corvée, de relève ou encore de retraite rappellent combien le vocabulaire militaire et le champ lexical du travail ont en commun. Toutefois, il est difficile de savoir qui s’exprime réellement par la plume des poilus. Il est en effet malaisé, pour ne pas dire plus, de faire la distinction entre l’individu qui tient le carnet ou signe la lettre et le soldat qui, plus ou moins inconsciemment, reproduit le discours dominant de l’époque. Cette réalité est également très sensible au travers des ordres que donnent les officiers : ces textes révèlent-ils l’aptitude des acteurs à appréhender l’expérience combattante au prisme d’un travail où reflètent-ils, par le vocabulaire choisi, les normes stylistiques en vigueur ? Pour autant, un tel constat ne doit pas conduire à une impasse. En effet, rien ne permet de mettre en doute la sincérité des propos de ces fantassins du 47e RI, quand bien même ceux-ci, par une symétrie frappante avec les archives de l’unité et certains discours relayés dans la sphère publique, témoigneraient d’une profonde intériorisation des normes patriotiques et discursives du moment.
Le métier de fantassin du 47e RI
21C’est bien cette réalité qui nous conduit à formuler l’hypothèse que ces poilus ont pu aussi appréhender leur expérience de guerre par le prisme du métier, un métier qu’ils sont certes contraints d’exercer du fait des obligations militaires auxquelles ils sont assujettis mais un métier tout de même, ce qui in fine suggère une culture professionnelle des combattants.
La guerre par le travail
22Cette idée peut, en ce premier quart de xxie siècle, surprendre. Le travail étant en effet de nos jours une notion essentiellement associée au salariat, celle-ci s’accorde mal de l’image que l’on peut se faire du service de la Nation dans une guerre de mobilisation. En France, cette grille de lecture est d’autant plus difficile à recevoir que l’arrêt de la conscription à la fin des années 1990 donne naissance à une armée dite « de métier », composée uniquement de professionnels. Pourtant, et ce de manière assez paradoxale du reste, la médiatisation sans cesse plus importante des drones crée l’illusion d’un warfare automatisé qui n’est pas sans rappeler « la fin du travail » promise par J. Rifkin37. Du fait de l’émergence d’une « civilisation des loisirs38 » et d’une moindre valorisation dans l’espace public des notions de labeur et d’effort, l’idée d’une culture professionnelle des combattants de la Première Guerre mondiale, et plus singulièrement de ceux du 47e RI, paraît mal s’accorder de l’image que l’on se fait de la citoyenneté, fût-elle en armes. Mais la réalité qui est la nôtre aujourd’hui ne prévaut pas de tout temps.
23La place centrale de l’idée de travail en France au début du xxe siècle est difficilement contestable39. Simple soldat de 2e classe du 47e RI, Julien Loret l’illustre parfaitement. Parvenu au soir de sa vie, il rédige ses mémoires et rapporte que « son premier souvenir d’enfant, se situe au mois d’août 1894 je n’avais pas trois ans, c’était la période des battages, mes parents possédaient une batteuse mécanique, qu’ils utilisaient pour le battage de leur récolte de blé, avoine et orge40 ». Certes, la moisson est un temps essentiel du calendrier paysan, mais elle est aussi un moment intense d’activité, acmé de toute une saison professionnelle. Ce faisant, ce premier souvenir dit bien la place du travail dans la société bretonne, et française, d’alors. En 1914, dans les campagnes, celui-ci est encore perçu comme une nécessité vitale. Il en résulte un mépris partagé du labeur mal fait « qui diminue le niveau de récoltes et donc celui des subsistances41 ».
24En conséquence, il n’y a rien d’étonnant à ce que les archives fassent apparaître un lien, en ce qui concerne les fantassins du 47e RI pendant la Première Guerre mondiale, entre éloignement du travail et marginalité sociale. Marcel Lamoureux est, dans notre corpus, l’un des très rares individus qui, devant le Conseil de révision, se déclare être « sans profession ». Or il est exempté de service militaire en 1907 puis en 1908, rite dont on connaît l’importance du point de vue du processus de forge du citoyen42. Originaire de Sainte-Tréphine dans les Côtes-du-Nord, Mathurin Morvan constitue un exceptionnel cas de fantassin du 47e RI arborant un tatouage, en l’occurrence une étoile bleue au-dessus du pouce. On sait en effet que cette pratique relève alors d’une marginalité tant statistique que sociale43. Non seulement cet individu se signale par deux condamnations par le tribunal correctionnel de Nantes pour vol et coups mais, de surcroît, sa fiche matricule ne comporte aucune information quant à la profession qu’il exerce44.
25La guerre ne modifie nullement cette centralité du travail. Au contraire, même si les tranchées sont aussi, pour de nombreux combattants, un moment de découverte « du temps libre45 ». On sait ainsi que, bien qu’assimilées à une parenthèse de jouissance, les permissions sont la plupart du temps une période de retour au travail civil, au métier « d’avant », surtout dans les milieux populaires et dans les campagnes où l’on manque cruellement de bras. L’historienne E. Cronier y voit d’ailleurs la marque de « l’enracinement des cultures liées au travail dans des milieux qui ne connaissaient pas l’oisiveté avant 191446 ».
26Dans cette optique, la mobilisation générale d’août 1914 apparaît comme un moment charnière puisque, du fait de l’imminence du conflit, le travail cesse pour les nombreuses personnes qui doivent séance tenante rejoindre leur affectation. Au 47e RI, cela concerne de nombreux laboureurs et autres cultivateurs mais aussi des manœuvres, des ajusteurs, des bouchers, des boulangers, des couvreurs, des domestiques, des instituteurs, des garçons d’hôtel, des maçons, des clercs de notaire, des comptables, des employés de banque, de commerce et de chemins de fer ou encore des meuniers. Tous, en l’espace de quelques heures, quittent leur emploi pour revêtir l’uniforme. Dès lors, interpréter l’expérience combattante par le prisme du métier de soldat, c’est pour les poilus un moyen de parer d’une apparence de normalité une situation qui ne l’est pas et donc, in fine, de tenir.
Prolongements d’une notion
27À dire vrai, l’analogie entre le soldat et le travailleur que nous soulignons ici n’est pas à proprement parler une nouveauté historiographique. Au contraire même puisque ce sont K. Marx et F. Engels puis M. Weber qui, les premiers, rapprochent « la discipline de l’usine capitaliste de celle de l’armée et, par conséquent, l’ouvrier du soldat47 ». Par la suite, nombreux sont les historiens, de toutes écoles et de tous champs d’investigation, à avoir tissé la métaphore. Évoquant en 1987 le « tournant taylorien de la société française », P. Fridenson dresse un parallèle implicite entre l’ingénieur et l’officier, l’ouvrier et le soldat, le contremaître et le sous-officier48. Ce dernier est d’ailleurs comparé par M. Marly, dans la version récemment publiée de sa thèse, à un « petit employé », tandis que pour H. Bonin, si Edmond Buat est un « bon général » c’est parce qu’il est un « bon manageur », terme qui à l’évidence renvoie au travail et au monde de l’entreprise49. Officier d’active et habilité à diriger des recherches en histoire, R. Porte n’hésite pas à parler à propos de l’instruction du 20 décembre 1917 sur le combat des grandes unités de « quasi division du travail » entre artilleurs et fantassins50. Comment dès lors s’étonner de voir un historien tel que D. Rolland appréhender les mutineries de 1917 sous la forme d’une « grève des tranchées » ? Cette analogie n’est cependant pas complètement assumée par F. Rousseau puisque ce « sociohistorien » voit « presque » en Louis Barthas un « bon délégué syndical » lors des troubles qui agitent le 296e RI en mai 191751.
28Même A. Loez, pour qui les mutineries sont « loin d’être réductibles à une grève ou une négociation », appelle à « une sociologie de l’armée française […] pour y éclairer la division du travail et la spécialisation des tâches qui contribue à sa solidité52 ». Dans ce cadre, le poilu serait donc un travailleur, le statut de soldat un emploi certes imposé par les circonstances, les permissions des congés payés et le 47e RI la filiale d’un immense groupe, l’armée française de la Grande Guerre. On pourrait de même s’interroger sur la pertinence d’une grille de lecture qui assimilerait aux syndicats les associations d’anciens combattants qui, si elles naissent statutairement après le conflit, germent bien avant le 11 novembre 1918. Revenant sur l’entrevue qu’il a en 1917 avec Paul Vaillant-Couturier et Raymond Lefebvre, rencontre qui débouche sur la naissance de l’ARAC, Henri Barbusse se rappelle qu’il fallait alors « donn[er] corps aux sursauts de colère et de dégoût nés sur le champ de bataille ». À ses yeux, le principal mérite de cette nouvelle structure était qu’elle « nous faisait nettement tourner le dos aux pouvoirs officiels, nous sacrait force révolutionnaire et nous mêlait au gouvernement et à l’organisation de la classe ouvrière53 », dimension qui n’est pas sans intérêt dans la perspective d’une culture professionnelle des combattants. Ces propos ne sont d’ailleurs pas sans faire songer au tract que les militants de la CGT apposent sur les murs de Saint-Malo en décembre 1913 pour réclamer la libération de Jean Batas, incarcéré dans le cadre de son opposition à la loi des trois ans. En effet, dans ce texte, c’est sur le même plan que sont placés les « militants ouvriers » et les « soldats mutins » de la classe 1910, concernés au premier chef par l’allongement du service militaire54. D’ailleurs, A. Prost remarque que la démobilisation, qui marque la naissance des associations de combattants, coïncide avec une vague de croissance syndicale rapide, puisque la CGT gagne 1 338 sections en 1919, 914 l’année suivante. Et l’historien de considérer un groupement tel que l’ARAC comme une organisation « charnière », faisant justement le lien avec le monde syndical et donc la grille de lecture de l’expérience combattante par le travail55. Certes, en Ille-et-Vilaine, c’est l’UNC, en position quasi hégémonique, qui semble tenir ce rôle. Mais il est assez significatif de se rappeler qu’à Rennes, c’est dans un bureau dit de « renseignements ouvriers » que ce groupement de vétérans prend sa source56. De même, il n’est pas anodin de remarquer que l’arrêté qui, en mars 1916, crée l’Office national des mutilés est pris conjointement par les ministères de la Guerre, de l’Intérieur et du Travail. Comme toutes les unités de l’armée française de 1914, le 47e RI fait d’ailleurs lui-même ce lien. Au début du conflit, ce sont en effet les régiments qui sont chargés de l’instruction des dossiers de pensions avant que des commissions spécialisées ne soient spécialement dévolues à cette tâche au cours de l’été 191557.
29Une telle grille de lecture invite donc à penser le rapport au conflit non plus uniquement du point de vue d’un accomplissement plus ou moins renfrogné du devoir patriotique mais bien sous l’angle d’un métier qu’il faut exercer. En d’autres termes, il s’agit dans ce livre d’approfondir à l’échelle du 47e RI l’idée de soldat-travailleur, c’est-à-dire d’un individu imprégné des normes et valeurs du monde du travail d’alors. Cette dimension renvoie au principe de base qu’est la combinaison des rôles sociaux chez un même sujet, celui-ci étant à la fois poilu, père de famille et donc travailleur.
Quel travail au 47e RI ?
30Reste toutefois à déterminer ce que recouvre la réalité du travail au sein du 47e RI, chose ardue tant celle-ci est plurielle et, de surcroît, évolue au fur et mesure de la campagne. Les archives, et plus particulièrement les citations à l’ordre, rendent d’ailleurs bien compte de la polysémie de ce terme lorsqu’il s’applique aux activités de l’unité. Dans le cas de Léon Aubaud, cette notion se rapproche pour partie du métier de terrassier. En effet, ce « soldat consciencieux, brave et dévoué » du 47e RI « a été très grièvement blessé, le 16 avril 1916, en travaillant sous un violent bombardement à dégager les terres qui obstruaient le créneau de sa mitrailleuse58 ». Mais tous les emplois ne renvoient pas nécessairement à une tâche aussi élémentaire. Le soldat Jules Bourdais de la 5/47e RI est ainsi « très grièvement blessé, le 12 septembre 1916, alors qu’il travaillait en première ligne à l’organisation d’une position de première ligne59 ». Lorsqu’il s’agit d’un officier, le travail est encore plus complexe, ce qui est parfaitement perceptible dans la citation à l’ordre de la 20e DI attribuée à titre posthume au capitaine Jean Groth le 20 septembre 1916. Ce n’est en effet pas en travaillant à l’organisation d’une « position » ou d’un « ouvrage » qu’il est tué mais « à l’organisation du terrain conquis », et ce de surcroît « jour et nuit pendant près d’une semaine60 ». La hiérarchie des mérites et des galons est ici évidente. Mais il existe encore bien d’autres manières de travailler sous l’uniforme du 47e RI. Le maître-tailleur de l’unité, Léon Leborgne, consacre ainsi son « travail personnel », à la confection d’uniformes pour les officiers du régiment61. Cette expression suggère donc implicitement que le reste des activités effectuées au titre du régiment relève bien, là aussi, d’un travail. Pour les musiciens-brancardiers du 47e RI, le travail sur le champ de bataille consiste à aller « chercher des blessés en première ligne62 ». Pour un caporal téléphoniste comme Yves Le Flem, réparer les lignes lors d’un bombardement est une mission d’importance qui, là encore, peut être assimilée à un travail63.
31Évidente, la notion n’est néanmoins pas sans poser problème tant elle est floue. À en croire le sociologue A. Cotterau, le mot « travail » est en effet un terme générique pouvant renvoyer à pas moins de 14 sens différents, certains n’étant d’ailleurs pas sans souligner quelques contradictions64. Pour s’en convaincre, un retour au grec ancien s’impose. La plupart du temps, le travail au sein du 47e RI relève de la praxis, action de monter la garde, de tenir les lignes, plus rarement de combattre. Mais cette idée peut également renvoyer à la poiesis pour les cuisiniers qui doivent préparer les repas de leurs compagnons d’armes ou pour les maréchaux-ferrants qui doivent forger des fers pour les chevaux de l’unité. Autrement dit, le travail des fantassins du 47e RI peut être à la fois action et production. Pour l’essentiel, cette notion renvoie au ponos, en ce qu’il s’agit d’une activité pénible et/ou exercée dans des conditions qui le sont. Mais les sciences sociales ont montré que les combattants pouvaient se réaliser dans l’expérience de guerre et y trouver une certaine forme de satisfaction65, renvoyant dès lors le travail au sein du 47e RI du côté de l’ergon. Dès lors, c’est sans doute sous un angle juridique, et avec les mots d’A. Supiot, qu’il faut circonscrire le concept :
« Le travail se distingue de l’activité en ce qu’il répond à une obligation, que cette dernière soit volontairement souscrite ou légalement imposée […]. Il faut et il suffit qu’à un engagement d’agir soient attachés des effets de droit, pour que cette action puisse être qualifiée de travail. Cette qualification se trouve en fin de compte dépendre soit d’un engagement volontairement souscrit, soit de la loi qui consacre ainsi l’utilité sociale de certaines tâches66. »
32Toutefois, il importe d’historiciser la notion et de rappeler que le mouvement de spécialisation du combattant, passant en 1914 d’un fantassin de ligne, standardisé, rigoureusement interchangeable, à un soldat spécialisé en 1918, qu’il soit mitrailleur, grenadier ou sapeur, est inverse de ce qui se passe au même moment dans la société civile. En effet, dans les usines, la conversion à l’économie de guerre et les gains de productivité nécessaires à l’approvisionnement des troupes en armes et munitions conduisent à l’adoption de l’OST. On passe donc dans de nombreux bassins industriels d’une structure du travail proche des confréries compagnonniques, où les ouvriers sont réunis autour du « métier », à de vastes syndicats confédérés67.
Travail et culture
33Néanmoins, le singulier de cette expression vient passablement compliquer l’analyse. C’est en effet dans les permanences et les ruptures avec le travail du temps de paix que réside, à l’évidence, un facteur clef de l’endurance combattante.
Objectiver le métier
34Parfois, les archives peuvent se montrer trompeuses, obligeant de fait à une vigilance de tous les instants. Le cas de la fiche matricule de Constant Colin, un soldat de 2e classe affecté en octobre 1905 au 47e RI, est à cet égard particulièrement éclairant puisque ce document le répertorie, au moment de son passage devant le Conseil de révision, comme cultivateur, mention ultérieurement rayée au profit de celle de tailleur de pierre puis de restaurateur68. Autant d’annotations qui invitent à considérer avec mesure les informations fournies par les fiches matricules, la situation professionnelle dans la France des années 1910 étant sans doute moins figée que ce que l’on veut bien vouloir croire aujourd’hui. C’est du reste ce que souligne l’historien A. Dewerpe lorsqu’il rappelle que « la promotion sociale emprunte des chemins que recoupent ceux de la mobilité géographique69 ». Cette réalité, Félix Conan l’illustre parfaitement. Si ce natif de Rostrenen est répertorié en 1908 comme exerçant le métier de cultivateur, sa fiche matricule laisse à penser qu’il peut exercer une autre profession en 1914, sans toutefois préciser laquelle. En effet, après avoir passé quelques mois en Allemagne et en Hollande en 1913, il s’établit à Philadelphie, en Pennsylvanie, à partir de février 1914. Mais avant de traverser l’Atlantique, Félix Conan déclare habiter à partir du 10 octobre 1912 à Paris, au 101, rue de l’Université, adresse qui est celle de l’Assemblée nationale et qui suggère un statut professionnel bien différent de celui indiqué lors du passage devant le Conseil de révision70.
35Et que dire des 18 fantassins du 47e RI titulaires de la mention « Mort pour la France » au titre de la Grande Guerre et qui déclarent lors de leur passage devant le Conseil de révision exercer la profession de « journalier » ? On sait en effet que ce mot « masque en fait l’absence de qualification et de situation professionnelle bien définie71 ».
36Comment dès lors intégrer ces individus à une réflexion basée sur le travail ? L’exemple de Mathurin Le Guinio est à cet égard particulièrement instructif. Au moment de son passage devant le Conseil de révision, cet individu affirme exercer la profession de cultivateur, conformément d’ailleurs à la manière dont son père se présente lors de sa naissance, le 7 octobre 188872. Mais, en avril 1913, il indique résider au Plessis-Robinson, en région parisienne, en l’École d’horticulture, un établissement cherchant à réinsérer par l’apprentissage des métiers de la terre des jeunes hommes en situation difficile73. Malheureusement, on ne sait si c’est en tant qu’élève, formateur ou tout simplement employé que Mathurin Le Guinio est amené à s’y installer. Pour autant, la question en entraîne une autre, essentielle, invitant à une histoire culturelle du fait social qu’est le travail : se définit-il alors lui-même comme un « cultivateur » ? Malheureusement, en l’état de la documentation, rien ne permet d’apporter la moindre esquisse de réponse et rien ne dit d’ailleurs qu’il se soit lui-même un jour posé cette question.
Quelle culture professionnelle ?
37Or, ce rapport au travail est, dans le cadre d’une enquête portant sur la culture professionnelle des combattants, essentiel pour comprendre la ténacité des poilus. C’est d’ailleurs ce que rappelle sans ambiguïté aucune le cheval. Une unité telle que le 47e RI est en effet, tout au long de la Première Guerre mondiale, très largement dépendante de la force hippomobile. Lors de la mobilisation générale, un régiment d’infanterie comporte 300 chevaux et mulets affectés au train de combat, aux sections de mitrailleuses, à diverses fonctions telles que le convoi administratif et les cuisines roulantes, et bien entendu aux officiers. L’augmentation du nombre de mitrailleuses alloué à l’infanterie conduit les régiments à être dotés en 1916 de 450 chevaux et mulets, effectif ramené à environ 350 à la fin du conflit du fait d’une mécanisation accrue74. On l’oublie enfin trop souvent mais la France achemine pendant la Grande Guerre vers le front plus de tonnes de foin que de munitions75. Cette réalité statistique cache néanmoins l’impact que peuvent avoir sur le moral des combattants la mort, les blessures ou tout simplement les redoutables conditions de survie infligées à ces bêtes. La proximité entre l’homme et le cheval est en effet dans cette France du début du xxe siècle sans aucune mesure avec ce que l’on peut connaître aujourd’hui, notamment pour toutes ces populations rurales habituées à vivre et travailler avec des chevaux. C’est donc aussi sur un plan affectif que doit être appréhendée la dimension équine de l’unité.
38Certes, on connaît ce témoignage, malheureusement anonyme, d’un mobilisé de Corseul, petit village des Côtes-du-Nord dont sont natifs 15 morts pour la France du 47e RI, qui explique au moment de la mobilisation générale n’avoir « jamais conduit un cheval76 ». Ainsi, résider en zone rurale n’implique pas nécessairement une grande proximité avec les équidés et, de manière plus générale, ce qui relève de la chose agricole. Pour autant, les chiffres n’en demeurent pas moins éloquents. Sur les 2 688 morts pour la France que déplore le 47e RI au titre de la Grande Guerre, 1 284, soit une proportion de 47,8 %, déclarent lors de leur passage devant le Conseil de révision exercer les professions de « cultivateur », « ouvrier agricole », « domestique agricole », « de culture » ou « de ferme », « agriculteur », « laboureur », « fermier », « jardinier », « vigneron » ou encore « journalier agricole ». Et encore faudrait-il sans doute ajouter à cet inventaire quelques « marchands de chevaux », « de bestiaux » ou « de porcs », ainsi qu’un « maréchal-ferrant ». Le constat d’une surreprésentation statistique du monde agricole s’observe également lorsqu’on répertorie les professions déclarées par les parents sur les actes de naissance de ces morts pour la France. C’est ainsi que 715 morts pour la France du 47e RI au titre de la Grande Guerre ont un père qui déclare exercer, au moment de leur naissance, la profession de « cultivateur », chiffre auquel il faut rajouter 779 « laboureurs » et 10 « propriétaires-cultivateurs ». Si du point de vue des mères, c’est le statut de « ménagère » qui est le plus fréquent, avec 1 531 occurrences, celui de « cultivatrice » n’est pour autant statistiquement pas négligeable puisque 263 femmes déclarent exercer cette profession lors de la venue au monde de leur enfant.
39À dire vrai, cette réalité a déjà été soulignée par l’historiographie et ce qui apparaît ici est l’excellente représentativité du 47e RI comme terrain pour l’exploration de la culture professionnelle des combattants. La France de 1914-1918 est essentiellement rurale. C. Prochasson le montre d’ailleurs bien quand, analysant la correspondance combattante, il rappelle que les lettres sont aussi pour les paysans un moyen de « gouverner à distance » et de pratiquer une « agriculture de papier77 ». On pourrait également ajouter qu’il s’agit là pour eux d’un moyen de conserver leur position de chef de famille – ou tout du moins d’en maintenir les apparences – avec tout ce que cela implique en termes de normes de genre. Il serait néanmoins erroné de circonscrire cette réalité aux seuls cultivateurs et autres ouvriers agricoles que recrute en masse l’infanterie. La correspondance de Jean-Louis Monfort, un natif de Loctudy engagé volontairement en 1913 au 47e RI, rappelle combien la société française de l’aube du xxe siècle est imprégnée par la culture paysanne. Bien qu’ayant choisi la carrière des armes, il ne cesse de se renseigner à propos de la vie de la ferme familiale et de commenter l’avancement des travaux des champs. Dans une lettre du 12 juin 1914, il demande ainsi à sa sœur : « Dans la prochaine lettre il faudra que tu me rendes compte : comment poussent les patates, le blé et l’orge ? » Et d’ajouter : « Ça m’intéresse beaucoup tu sais. » Puis, quelques jours plus tard, dans un courrier probablement adressé à ses parents :
« Vous devez avoir un travail énorme en ce moment car la moisson doit être mûre bientôt. Catherine, quand elle m’a écrit il y aura une huitaine de jours, me disait que vous avez vendu beaucoup de pommes de terre. J’espère qu’elles étaient bonnes et le prix bon également. Si le temps a été favorable, vous avez pu semer des navets après les pommes de terre. Y a-t-il beaucoup de touristes à Loctudy ? Vendez-vous beaucoup de lait ? »
40La mobilisation générale et la déclaration de guerre ne changent rien à cet état de fait. Au contraire, la correspondance de Jean-Louis Monfort montre non seulement une continuité des préoccupations mais une augmentation de l’attention portée au sort de l’exploitation familiale. C’est ainsi que, d’une plume au travers de laquelle on ressent aisément l’anxiété, celui qui vient d’être nommé sergent demande à sa mère :
« Qu’est-ce que vous allez faire des malheureuses moissons par là-bas ? Plus d’hommes, plus de chevaux78. »
41Dans ces conditions, on comprend aisément que cet intérêt pour la vie agricole soit décuplé pour les hommes que la mobilisation arrache des travaux des champs ainsi que pour les paysans que la guerre trouve, conscrits, en train de faire leur temps sous les drapeaux. En d’autres termes, si les fantassins du 47e RI appréhendent leur Grande Guerre par le prisme d’un travail, les métiers sollicités pour ce faire sont avant tout ceux de l’agriculture79. Ce terme doit du reste être compris dans un sens très large puisqu’en définitive, dans les campagnes d’alors, la polyactivité reste non seulement de mise mais bien souvent la règle80. Il en est d’ailleurs la plupart du temps de même à l’usine, puisque nombreux sont les travailleurs des manufactures à alors posséder un lopin de terre : cet accès à la propriété foncière est en effet « encouragé par le patronat pour enraciner la main-d’œuvre » et, pour notre propos, perpétuer une certaine culture paysanne. C’est d’ailleurs bien cette réalité qui conduit G. Noiriel à rappeler « qu’il n’est guère possible, à partir de la condition matérielle, de tracer une frontière nette séparant le prolétariat du reste des classes populaires81 ». Le métier indiqué sur les fiches matricules, c’est-à-dire celui qui est déclaré lors du passage devant le Conseil de révision par le conscrit, est donc moins la description d’une activité exclusive que l’affirmation d’une culture professionnelle de référence, à laquelle s’identifie l’individu. Là n’est d’ailleurs pas une situation hors du commun puisqu’en réalité c’est bien la classique dichotomie entre travail rêvé et réel qui ici se fait jour82. Éminemment subjective, cette culture professionnelle de référence n’est pas nécessairement évidente à déterminer, y compris pour les contemporains. Chargés de percevoir la contribution sur les bénéfices exceptionnels de guerre, les services fiscaux paraissent parfois désemparés face à ces multiples vies professionnelles. C’est ainsi par exemple que sollicité au titre de ses activités de transporteur de bois, un habitant de Montfort, en Ille-et-Vilaine, explique qu’il ne s’agit pour lui que d’une activité annexe et qu’il est avant tout un « laboureur83 ». Il convient donc de faire la distinction entre l’activité qui rapporte l’essentiel des revenus et celle qui confère l’identité sociale au travailleur, et qui pour notre propos forge la culture professionnelle, ces deux idées ne se recoupant pas nécessairement. Cette dimension est d’ailleurs essentielle dans une unité d’active telle que le 47e RI, où les rangs sont largement composés d’hommes jeunes et donc sans doute moins fermement établis professionnellement. Probablement est-ce d’ailleurs pourquoi ces poilus en viennent-ils plus facilement que d’autres, plus âgés, à considérer le passage sous les drapeaux comme un « métier », certes provisoire et de surcroît contraint par la mobilisation générale et l’impératif social qu’est la défense de la partie, mais un métier tout de même.
42L’idée de culture professionnelle des combattants doit donc être envisagée au-delà du singulier de cette expression. En effet, l’âge mais également la position sociale impliquent des rapports bien différents au travail et il importe pour notre propos de prendre en compte les critiques qui ont pu être formulées à l’endroit d’une conception trop monolithique de l’idée de culture de guerre84. Il apparaît ainsi évident qu’un « champignonniste » tel que Louis Le Men n’aura pas le même rapport au travail qu’un Pol Jobard, qui déclare lors de son passage devant le Conseil de révision exercer le métier de « retoucheur statuaire », sans même parler d’un Gaston Larose qui se définit comme étant « propriétaire85 ». Sans compter que derrière ces intitulés a priori très objectifs, comme relevant d’une catégorisation socioprofessionnelle avant l’heure, peuvent se cacher une multitude de réalités différentes suivant le niveau de revenus, l’insertion dans les tissus social et symbolique86… Le terme « apprenti » renvoie ainsi à des réalités complètement différentes suivant que l’on considère la Statistique de l’industrie à Paris ou les archives des corporations. Certes, le travail est une notion socialement et culturellement construite mais, en l’historicisant, on peut se livrer à un utile jeu de comparaisons précisément parce que nous savons que les catégories ont sens variable87.
Permanences et ruptures professionnelles
43Pour notre propos, c’est donc bien dans le répertoire du métier que résident certains facteurs explicatifs de l’endurance combattante, éléments qui n’ont pour l’heure été qu’exceptionnellement défrichés par l’historiographie. C’est ainsi par exemple que l’historien F. Cochet avance qu’au sein du monde paysan français de la Belle époque, les salariés sont presque aussi nombreux que les exploitants directs, ce qui n’est pas sans incidences sur notre propos :
« Par delà la présentation de la société rurale, ce sont des pratiques d’obéissance qui se devinent à travers le chiffre important des salariés agricoles, qui sont presque aussi nombreux que les salariés d’industrie […]. Ce n’est pas anodin pour comprendre les attitudes des uns et des autres au feu88. »
44Ici, le travail s’inscrit dans un habitus de respect de l’autorité, ce que D. Meda érige au rang de véritable « éthique du devoir », une notion essentielle du point de vue de l’endurance combattante89. Dans bien des cas, le métier révèle en réalité un certain nombre de continuités entre l’expérience professionnelle du temps de paix et les tâches réalisées sous l’uniforme du 47e RI. Alors qu’il achève sa convalescence à Coutainville, dans la Manche, et qu’il dépend toujours administrativement du 47e RI, Auguste Labbé assure « les écritures du bureau » de l’ambulance où il est traité, activité qui fait directement écho à son activité professionnelle avant le conflit, à la différence près qu’il l’exerce aux Galeries Lafayette. D’ailleurs, il reprend son emploi en mai 1917 en effectuant « des remplacements comme écrivain dans les divisions » alors qu’il est encore en convalescence90.
45Mais dans bien des situations, la confrontation des cultures professionnelles, celle du temps de paix et celle de l’expérience de guerre, fait apparaître des antagonismes qui, en creux, questionnent l’endurance combattante. Essentiellement rurale, la société française de 1914 n’est en effet nullement habituée au « travail en miettes » inhérent au champ de bataille moderne qui se dessine pendant la Première Guerre mondiale91. Le malaise est de même clairement perceptible lorsque deux identités professionnelles, à savoir celle du « métier de soldat » et celle renvoyant à la vie civile, s’opposent trop frontalement. Lui-même ancien combattant, J. Meyer rappelle dans sa Vie quotidienne des poilus que « le métier exercé dans la vie civile, la formation antérieure du soldat, qui caractérisait sa classe sociale sans toujours y correspondre, entraînaient des différenciations plus durables, malgré la communauté de la vie92 ». Or, un certain nombre de cas permettent d’attester de semblables situations au 47e RI. Juge au tribunal de commerce de la Seine, Louis Lemarié a déjà 33 ans lorsqu’il part au front, à la fin du mois de novembre 1914. Dans les environs de Sainte-Catherine, il rencontre un de ses anciens condisciples du collège de Saint-Malo qui racontera plus tard comment il l’apostrophe ce jour-là, usant d’une intonation qui laisse entrapercevoir cette pluralité parfois discordante des rôles sociaux :
« Et bien ! mon pauvre Bazin, qu’en dites-vous ? Quelle ironie, n’est-il pas vrai, pour un arbitre conciliateur d’avoir la glorieuse tâche de charger bientôt à la baïonnette93 ? »
46Si ce propos peut faire écho à « la guerre pour le droit », il n’en demeure pas moins qu’il émane de la bouche d’un simple caporal titulaire d’un doctorat en droit, jouissant avant la guerre d’une position sociale relativement enviable et qui se trouve amené à officier en tant qu’avocat en Conseil de guerre pendant la campagne94. Ancien juge d’instruction en poste à Saint-Malo, le lieutenant de réserve René Guihaire est nommé procureur de la République de Ploërmel le 23 février 1914. Mobilisé dès le début du conflit au 47e RI, il est promu capitaine en février 1915 mais est fait prisonnier quelques mois plus tard lors de la grande offensive d’automne en Champagne, expérience qu’il décrit là encore par le prisme professionnel :
« Après avoir envoyé tant de mortels en prison, j’y vais moi-même. Celle-ci n’a heureusement rien de déshonorant. Je n’ai qu’une tristesse, celle de voir mon énergie perdue pour mon pays95. »
47Si de telles paroles attestent bien entendu d’une forte intériorisation des valeurs patriotiques, elles témoignent également d’expériences de guerre qui se heurtent frontalement aux cultures professionnelles du temps de paix.
⁂
48La culture professionnelle des combattants peut être définie comme étant l’aptitude que les poilus ont à appréhender l’expérience de guerre par le prisme du métier. L’omniprésence du champ lexical du travail dans les archives en est un bon indice, qu’il s’agisse des écrits des fantassins du 47e RI ou des notes, instructions, citations à l’ordre produites par l’unité. Néanmoins, le singulier de l’expression ne doit pas tromper. Loin d’une vision exagérément holiste, faisant fi des différences sociales, c’est en réalité de plus petit dénominateur commun dont il s’agit dans ces pages. En d’autres termes, cette culture professionnelle des combattants renvoie à des réalités subjectives, et donc aussi relatives que mouvantes et diverses. Aussi est-ce pourquoi nous nous attacherons dans les deux chapitres qui suivent à examiner comment les fantassins font « le métier » entre 1914 et 1918.
Notes de bas de page
1 Smith Leonard V., Between Mutiny and Obedience: the Case of the French Fifth Infanterie Division during World War I, Princeton NJ, Princeton University Press, 1994.
2 Cronier Emmanuelle, Permissionnaires dans la Grande Guerre, Paris, Belin, 2013.
3 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Daniel Poncet des Nouailles, lettre du 6 août 1914.
4 Arch. nat: LH/2196/27.
5 Arch. dép. CdA : 1 R 1314. 1258.
6 Carnet de guerre de Louis Leseux, brancardier, musicien et téléphoniste de la CHR du 47e régiment d’infanterie, 22 août 1914, [http://www.chtimiste.com/carnets/Leseux/LESEUX.htm], consulté le 1er avril 2022.
7 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, lettre datée du 22 novembre 1914. Il est à noter qu’une coupure de presse conservée dans ce même fonds d’archives le mentionne comme étant « comptable à la minoterie Burgot » ; Arch. dép. I&V : 1 R 2139.439.
8 Archives privées Jean-Claude Le Guen : lettre d’Émile Le Guen à son frère Édouard, 23 novembre 1914.
9 Cité in Pointel Bernard, Baguer-Pican de Napoléon à nos jours, 1800-1994, Dinan, Grand Ouest Éditions, 2000, p. 223.
10 Arch. dép. I&V : 1 R 2084.894
11 Arch. dép. Loire : 1 R 1702.1303.
12 Arch. dép. I&V : 1 R 2061.1934.
13 Pour de plus amples développements sur ce corpus se reporter à Le Gall Erwan, « Les citations à l’ordre. Essai d’analyse dans une perspective régimentaire », in Harismendy Patrick et Le Gall Erwan (dir.), Un adieu aux armes. Destins d’objets en situation de post-guerre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019, p. 47-64.
14 SHD-DAT : 26 N 636/6 JMO 47e RI, 17 octobre 1914.
15 SHD-DAT : 24 N 409, opérations de la 40e brigade dans la Somme, 5 septembre 1916, commandant Mangot à colonel commandant 39e brigade.
16 Horne John et Kramer Allan, Les Atrocités allemandes, Paris, Tallandier, 2005, p. 317.
17 Par exemple 24 N 409, opérations de la 40e brigade dans la Somme, 5 septembre 1916, note de service no 16.
18 SHD-DAT : 24 N 397, ordre no 5.
19 SHD-DAT : 24 N 396, dossier 3, comptes rendus journaliers de renseignements de la D. I. et des brigades.
20 Porte Rémy et Cochet François, Histoire de l’armée française 1914-1918, Paris, Tallandier, 2017.
21 SHD-DAT : 24 N 409, opérations de la 40e brigade dans la Somme, 4 septembre 1916, ordre général no 324 du 10e CA.
22 Saint-Fuscien Emmanuel, Célestin Freinet. Un pédagogue en guerres 1914-1945, Paris, Perrin, 2017.
23 Cité in Cabanes Bruno, La victoire endeuillée, la sortie de guerre des soldats français (1918-1920), Paris, Seuil, 2004, p. 341.
24 Boniface Xavier et Pierre Hervé, « L’Envers de la médaille », in Lecointre François (dir.), Le soldat xxe-xxie siècle, Paris, Gallimard, 2018, p. 309.
25 Prost Antoine, Les Anciens combattants et la société française, 1914-1939, Paris, Presses de la Fondation des sciences politiques, 1977, Volume histoire, p. 17-18.
26 Viet Vincent, « Aux fondements introuvables de l’État-Providence : la loi du 9 avril 1898 à l’épreuve de la Grande Guerre », Le Mouvement social, no 257, 2016/4, p. 127-147. Pour une analyse plus strictement bretonne, se rapporter à Collard Clément, « Une institution exemplaire de la rééducation des mutilés de guerre : l’école Jean Janvier de Rennes dans l’entre-deux-guerres », En Envor. Revue d’histoire contemporaine en Bretagne, no 12, été 2018, [http://enenvor.fr/eeo_revue/numero_12/une_institution_exemplaire_de_la_reeducation_professionnelle_des_mutiles_de_guerre%20_l_ecole_jean_janvier_de_rennes_dans_l_entre_deux_guerres.html], consulté le 1er avril 2022 et dans une perspective plus large à la thèse en cours effectuée par la même personne sous la codirection de Chanet Jean-François et Rasmussen Anne.
27 Darmon Pierre, « La Grande Guerre des soldats tuberculeux. Hôpitaux et stations sanitaires », Annales de démographie historique, 2002/1, no 103, p. 44-45.
28 Bregain Gildas, L’internationalisation imparfaite d’une modernité nord-atlantique : essai d’histoire croisée des politiques publiques du handicap en Argentine, au Brésil et en Espagne (1956-1982), thèse de doctorat sous la direction de Luc Capdevila, Rennes, université Rennes 2, 2014, p. 114-119.
29 L’itinéraire politique d’Albert Thomas est l’objet de la thèse d’Adeline Blaszkiewicz-Maison et l’on renverra à ce propos à son Albert Thomas. Le Socialisme en guerre 1914-1918, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.
30 Goya Michel, Les Vainqueurs. Comment la France a gagné la Grande Guerre, Paris, Tallandier, 2018, p. 276.
31 La prudence reste de mise sur la date exacte à laquelle Émile Le Guen touche sa retraite du combattant dans la mesure où sa fiche matricule ne fait mention d’aucune date de vérification pour l’attribution de la carte (qui conditionne le paiement de cette retraite). Pour autant, étant donné le nombre devant une commission de réforme pour révision du taux d’invalidité dont fait état sa fiche matricule, il ne fait pas de doute qu’il compte parmi les premiers bénéficiaires de cette mesure. Arch. dép. CdA : 1 R 1326.1597.
32 Dumons Bruno et Pollet Gilles, « La naissance d’une politique sociale : les retraites en France (1900-1914) », Revue française de science politique, 41e année, no 5, 1991, p. 627-648.
33 Arch. dép. I&V : 2161.1599.
34 Arch. dép. CdA : 1 R 1805.1807 ; Arch. dép. I&V : 1 R 1951.1104 (Lors de son passage devant le Conseil de révision, en 1902, Jean Dumatin déclare exercer la profession de menuisier. Néanmoins, son affectation spéciale aux douanes de Saint-Malo le 8 août 1905 laisse entendre que c’est désormais ce métier qu’il exerce) ; Arch. dép. CdA : 1 R 1304.2042 ; Arch. dép. I&V : 1 R 2095.1587 ; Arch. dép. Seine-Mar. : 1 R 3114.1312.
35 Brucker Jérémie, « Les formes, les couleurs et les mots empruntés à l’uniforme militaire pour les vêtements professionnels civils en France (fin xixe siècle-xxe siècle) », in Harismendy Patrick et Le Gall Erwan (dir.), Un adieu aux armes…, op. cit., p. 139-154.
36 Bayer Hermann, Quand l’habit fait le moine. Tenues de travail en photographies, Rennes, Fage Éditions/musée de Bretagne, 2014, p. 9.
37 Rifkin Jeremy, La fin du travail, Paris, La Découverte, 1996.
38 Dumazedier Joffre, Vers une civilisation du loisir ?, Paris, Seuil, 1962.
39 Meda Dominique, Le travail. Une valeur en voie de disparition ?, Paris, Flammarion, 2010, p. 8 dit du travail qu’il s’agit non seulement du fondement de nos sociétés contemporaines mais également d’un « rapport social fondamental ».
40 Arch. mun. Saint-Malo : 21 S, Loret Julien, Les mémoires de ma vie, non paginé.
41 Farcy Jean-Claude, « Le temps libre au village », in Corbin Alain, L’avènement des loisirs, 1850-1960, Paris, Flammarion, 2001, p. 232.
42 Arch. dép. Aisne : 22 R 084.109. Sur le service militaire au 47e RI comme élément du processus de forge du citoyen on se permettra de renvoyer à Le Gall Erwan, La courte Grande Guerre de Jean Morin, Spézet, Coop Breizh, 2014, p. 31-58.
43 Maurin Jules, Armée, Guerre, société. Soldats languedociens (1899-1919), Paris, Publications de la Sorbonne, 1982 (rééd. 2013), p. 191 expose que les tatouages détectés dans son corpus sont en nombre « infime », constat également formulé par Halais Jérémie, Les Conscrits de la subdivision de Granville, 1899-1919, thèse de doctorat d’histoire, Caen, université de Caen, 2016, p. 71.
44 Arch. dép. CdA : 1 R 1991.515.
45 Hardier Thierry et Jagielski Jean-François, Oublier l’apocalypse ? Loisirs et distractions des combattants pendant la Grande Guerre, Paris, IMAGO, 2014, p. 25 notamment.
46 Cronier Emmanuelle, « Les permissionnaires de la Première Guerre mondiale. Des identités complexes », in Deruelle Benjamin et Guinier Arnaud, La Construction du militaire, vol. 2 : Cultures et identités combattantes en Europe de la guerre de Cent Ans à l’entre-deux-guerres, Paris, Presses universitaires de la Sorbonne, 2017, p. 233.
47 Traverso Enzo, La Violence nazie, une généalogie européenne, Paris, La Fabrique Éditions, 2002, p. 36.
48 Fridenson Patrick, « Un tournant taylorien de la société française (1914-1918) », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 42e année, no 5, 1987, p. 1040.
49 Marly Mathieu, Distinguer et soumettre. Une histoire sociale de l’armée française (1872-1914), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019, p. 139 notamment ; Bonin Hubert, « La leçon de Buat en 1914-1920 : du bon général au bon manager », Revue historique des armées, no 293, 2018, p. 76-94.
50 Porte Rémy, Rompre le front ? Novembre 1914-mars 1918. Comment percer les lignes ennemies et retrouver la liberté de manœuvre, Saint-Cloud, 2016, p. 160. L’expression est utilisée sans guillemets par Forrest Alan, « Le temps du citoyen-soldat », in Cabanes Bruno (dir.), Dodman Thomas, Mazurel Hervé et Tempest Gene (coord.), Une histoire de la guerre…, op. cit., p. 75.
51 Rolland Denis, La « grève des tranchées ». Les mutineries de 1917, Paris, Imago, 2005 ; Rousseau Frédéric, 14-18, penser le patriotisme, Paris, Gallimard, 2018, p. 360.
52 Loez André, 14-18. Les refus de la guerre. Une histoire des mutins, Paris, Folio histoire, 2010, p. 542 et 561.
53 Doussin Georges (textes choisis et présentés par), L’Association républicaine des anciens combattants. Combattants pour la vie. Des voix pour l’espoir, Paris, Le Temps des Cerises, 2007, p. 14.
54 Arch. dép. I&V : 4 M 76, courrier du commissaire de police de Saint-Malo au sous-préfet en date du 28 décembre 1913.
55 Prost Antoine, Les Anciens combattants et la société française, 1914-1939, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1977, Volume histoire, p. 58.
56 Pérouas Louis, « Les fondateurs de l’UNC en Ille-et-Vilaine », in Joret Éric et Lagadec Yann (dir.), Hommes et femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre, Rennes, conseil général d’Ille-et-Vilaine/ Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, 2014, p. 302.
57 Prost Antoine, Les Anciens combattants et la société française,… op. cit., p. 8-11.
58 « Au 47e », Le Salut, 35e année, no 54, 4-5 juillet 1916, p. 1.
59 « Médaille militaire », Le Salut, 35e année, no 91, 10-11 novembre 1916, p. 1.
60 Arch. dép. I&V : 1 R 2061.1604.
61 Arch. dép. I&V. : 2 P B 90, Léon Leborgne.
62 « Musiciens du 47e RI cité à l’ordre du régiment », Le Salut, 35e année, no 64, 8-9 août 1916, p. 1.
63 Arch. dép. CdA : 1 R 1997.951.
64 Cotterau Alain, « Théories de l’action et notion de travail : notes sur quelques difficultés et quelques perspectives », Sociologie du travail, 36e année, hors-série, 1994, p. 73-89.
65 Henriksen Rune, « Warriors in combat − What makes people actively fight in combat », The Journal of Strategic Studies, vol. 30, no 2, avril 2007, p. 187-223.
66 Supiot Alain (dir.), Au-delà de l’emploi, Flammarion, 1999, p. 88, cité in Meda Dominique, Travail : la révolution nécessaire, Luxembourg, L’Aube, 2010, p. 26.
67 Robert Jean-Louis (dir. en collaboration avec Chaurand David), Le Syndicalisme à l’épreuve de la Première Guerre mondiale, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017.
68 Arch. dép. CdA : 1 R 1593.789.
69 Dewerpe Alain, Le monde du travail en France 1800-1950, Paris, Armand Colin, 1989, p. 113.
70 Arch. dép. CdA : 1 R 1981.1780. Notons toutefois que son séjour aux États-Unis ne doit être que de courte durée puisque Félix Conan arrive au dépôt du 47e RI, à en croire sa fiche matricule, le 3 août 1914.
71 Le Bras Anatole, Un enfant à l’asile. Vie de Paul Taesch (1874-1914), Paris, CNRS Éditions, 2018, p. 226.
72 Arch. dép. CdA : EC Plélauff et 1 R 1982.508.
73 Pottier René, Histoire d’un village. Le Plessis-Robinson, Paris, Nouvelles éditions latines, 1996, p. 163.
74 Milhaud Claude, 1914-1918 L’autre hécatombe. Enquête sur la perte de 1 140 000 chevaux et mulets, Paris, Belin, 2017, p. 25.
75 Tempest Gene, « Aux chevaux morts pour la France », L’Histoire, no 382, décembre 2012, p. 74.
76 Arch. dép. Morbihan : 71 J 9, carnet anonyme.
77 Prochasson Christophe, 14-18 Retours d’expériences, Paris, Tallandier, 2008, p. 220-223.
78 « Le dernier mois de vie du soldat Jean-Louis Monfort, mort pour la France le 29 août 1914 (à travers son courrier) », L’Estran. An Aod Veo, no 62, février 2015, p. 25-27.
79 Terme volontairement très large renvoyant fondamentalement au flou de la notion de « paysannerie » souligné par Hubscher Ronald, « Réflexions sur l’identité paysanne au xixe siècle : identité réelle ou supposée », Ruralia. Sciences sociales et mondes ruraux contemporains, no 1, 1997, en ligne.
80 Farcy Jean-Claude, « Le temps libre au village », in Corbin Alain, « L’avènement des loisirs, 1850-1960 », Paris, Flammarion, 2001, p. 234. En Bretagne, ce phénomène est bien mis en évidence par Roualec-Quéré Jean, Hamon Saliou et les siens. Étude ethno-historique d’une famille de paysans du canton de Taulé (1877-1973), mémoire de master civilisations, cultures et sociétés sous la direction de Nelly Blanchard, Brest, université de Bretagne occidentale, 2018, p. 94. Ajoutons sur ce point que Le Bouedec Gérard, « La pluriactivité dans les sociétés littorales xviie-xixe siècle », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, no 109-1, 2002, p. 88 suggère pour sa part l’emploi du terme de « proxiactivité ».
81 Noiriel Gérard, Les Ouvriers dans la société française xixe-xxe siècle, Paris, Seuil, 1986, p. 39.
82 Meda Dominique, Le travail…, op. cit., p. 27.
83 Arch. dép. I&V : 2 Pb 54, dossier Carré.
84 Offenstadt Nicolas, Olivera Philippe, Picard Emmanuelle, et Rousseau Frédéric, « À propos d’une notion récente : la culture de guerre », Guerre, paix et sociétés, 1911-1946, Neuilly, Atlande, 2004, p. 667-674.
85 Arch. dép. : CdA : 1 R 19806.792 ; Arch. dép. Meuse : 1 R 546.917 ; Arch. dép. Manche : 1 R 1/157.1244.
86 Cette idée à notamment été développée par Rancière Jacques, « The Myth of the Artisan: Critical Reflections on a Category of Social History », in Koepp Cynthia J. et Kaplan Steven Laurence (éd.), Work in France. Represetations, Meaning, Organization, and Practice, Ithaca, Cornell University Press, 1986, p. 317-334.
87 Lemercier Claire, « Une histoire sans sciences sociales ? », Annales. Histoire, Sciences sociales, 70e année, 2015-2, p. 354.
88 Cochet François, Survivre au front…, op. cit.,
89 Meda Dominique, Travail : la révolution nécessaire, Luxembourg, L’Aube, 2010, p. 17.
90 Europeana 14-18 : « Mémoires. Ce que j’ai vu. Appartenant à M. Auguste Labbé à Paris, 17, rue Burq 18e arrondissement », [https://www.europeana.eu/portal/en/record/2020601/contributions_7101.html] (erreur en 2022), consulté le 1er avril 2022.
91 Friedmann Georges, Le travail en miettes. Spécialisation et loisirs, Paris, Gallimard, 1964.
92 Meyer Jacques, La vie quotidienne…, op. cit., p. 27.
93 Bazin Yves, Livre d’or des anciens élèves du collège de Saint-Malo morts pour la France, Saint-Malo, Imprimerie R. Bazin, 1921, p. 141.
94 Arch. dép. I&V: 1 R 1931.267. Bazin Yves, Livre d’or…, op. cit., p. 143. À propos de la participation de Louis Lemarié aux conseils de guerre du 47e RI, on soulignera toutefois que son nom n’apparait pas dans la procédure Bellamy datant du premier trimestre 1915 et aboutissant à la condamnation et l’exécution pour l’exemple de l’inculpé. SHD-DAT : GR 11 J 862-1 Conseil de guerre et GR 11 J 868 – Conseil de guerre.
95 Il s’agit d’un extrait d’une lettre qu’il adresse à sa sœur (« Croix de guerre », Le Salut, 34e année, no 82, 22-23 octobre 1915, p. 1).
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008