Conclusion
p. 325-328
Texte intégral
1En un demi-siècle, la Bretagne a beaucoup changé. Grâce à la mobilisation de toutes ses forces vives, à son rajeunissement démographique et à la modernisation rapide des mondes agricole et urbain, de région retardataire sur le plan économique elle est devenue une région dynamique relativement épargnée par les effets de la désindustrialisation durant la crise entamée au milieu des années 1970. Ouverts depuis des siècles sur le grand large, les Bretons ont choisi de s’intégrer à la construction européenne et d’en tirer profit, aussi bien les agriculteurs que les pêcheurs. La société bretonne traditionnelle, encore rurale et catholique en 1950, s’est profondément transformée tout en s’efforçant de préserver ses racines culturelles et linguistiques. Ces mutations socio-économiques, religieuses et culturelles ont eu des répercussions considérables sur le plan politique tant au niveau partisan qu’électoral dans le cadre des évolutions nationales.
2Au sortir de la Résistance, la renaissance des partis politiques et les multiples consultations électorales de la Libération, en 1945-1946, avaient montré un relatif glissement à gauche dans les villes et en Basse-Bretagne et les progrès de la SFIO, et surtout du PCF au détriment du radicalisme, une évolution déjà engagée en 1936. Au centre de l’échiquier politique, les démocrates-chrétiens du MRP avaient attiré une partie de l’électorat de la droite modérée en raison de l’affaiblissement passager des forces conservatrices. Mais, comme dans tout le pays, l’entrée en guerre froide a dès les élections municipales de 1947 marqué le retour en force des droites sous la houlette du gaullisme du RPF ouvrant la voie à la restauration des indépendants toujours solidement implantés en Haute-Bretagne. Participant aux gouvernements de Troisième Force, attaché à la défense de l’école privée confessionnelle, le MRP – surtout ses élus locaux – s’est déporté vers la droite même s’il, ou parce qu’il était en concurrence avec un gaullisme conquérant (1947-1951, après 1958 et surtout 1962). Le centrisme laïque dans ses variantes du radicalisme et de l’UDSR dirigée par René Pleven a suivi la même pente, plus marquée encore lors de la guerre d’Algérie dans le cas du radical nantais André Morice, en dépit de ses tensions avec le gaullisme, en particulier sur la politique étrangère du général de Gaulle (Europe, OTAN, atlantisme). Mais au sein de ces formations centristes, à partir du milieu des années 1950 des minorités militantes (mendésistes, Action travailliste, JR) ont pris leurs distances avec le glissement à droite de leurs partis. Dans des combats communs contre la CED, la guerre d’Algérie, le refus de la Constitution de la Ve République, ces hommes et ces femmes se sont tournés vers un socialisme démocratique rénové. Des militants socialistes ayant refusé la dérive « nationale-molletiste » et anticommuniste de la SFIO vont, à partir de 1958, se retrouver avec des chrétiens de gauche et des syndicalistes CFTC-CFDT au sein d’un petit parti, le PSU, fondé en 1960 qui ambitionne de reconstruire la gauche à un moment où le PCF s’efforce de rompre son isolement politique.
3Les droites et les centres règnent sans partage sur la vie politique bretonne, au niveau législatif et local, durant les premières années de la Ve République, au point qu’il n’y a plus aucun député de gauche en 1958. Les Bretons font massivement confiance au gaullisme référendaire et présidentiel, puis parlementaire à partir de 1962, et au pompidolisme jusqu’en 1974. En dehors de minorités activistes, l’extrême droite ne s’implante pas dans une région modérée en dépit de brèves poussées poujadistes et Algérie française, même si un vote Front national apparaît dans les dernières années du siècle. En 1962, les centristes sont affaiblis et les indépendants de droite rayés de la carte des députés, à part la poignée de ralliés qui suit Valéry Giscard d’Estaing, tout en résistant bien dans les conseils généraux, les mairies et au Sénat. La domination électorale des droites est telle en Bretagne qu’elle passe d’environ 60 % des suffrages exprimés en 1958 à plus de 66 % en 1962-1967 et 68 % en 1968. Le ralliement des centristes à Georges Pompidou puis à Valéry Giscard d’Estaing en deux étapes, en 1969 et en 1974, permet au bloc des droites, même divisé entre chiraquiens et giscardiens, de rester majoritaire jusqu’aux élections législatives de juin 1981 lorsque la Bretagne bascule en faveur du PS.
4Ce passage à gauche est le fruit d’un patient travail de regroupement des noyaux militants de la gauche non communiste qui, du PSU au nouveau PS, balise le chemin. L’Union de la gauche (PS-PCF-MRG) de 1972 enclenche une dynamique électorale dont la gauche unie tire profit dans les années 1970. Face à une relative usure des grands notables de droite, de nouvelles générations socialistes (PS) capitalisent électoralement sur les multiples luttes sociales et sociétales menées en Bretagne par des syndicalistes et par des partis et groupes d’extrême gauche, maoïstes et trotskistes, très actifs depuis le milieu des années 1960, en mai et juin 1968, et dans les années 1970 (grèves dures puis combat antinucléaire). Une nouvelle génération de députés (1973), et surtout de maires socialistes voire communistes, arrive aux affaires en 1977 et s’installe dans la durée. De 1981 à 2002, tandis que, suivant les tendances nationales, le PCF s’affaiblit et que les droites ne parviennent pas à reprendre le terrain perdu, le PS élargit son assise électorale à l’occasion de toutes les consultations en suivant les fluctuations nationales, de progrès (1981, 1988, 1997) et de repli (1986, 1993, 2002). Désormais, la Bretagne est devenue un bastion électoral socialiste votant toujours plus que la moyenne des Français pour les candidats de ce parti. Après les pertes de grandes villes en 1983 (Brest, Nantes), le PS qui affirme son hégémonie sur la gauche les reprend en 1989 et les conserve encore en 20201. L’enracinement local du PS, qui joue le rôle de locomotive de la gauche, se poursuit dans les années 2000 aux élections sénatoriales, régionales et dans les conseils généraux. Après les Côtes-du-Nord/Côtes-d’Armor en 1976 et le Finistère en 1998, les conseils généraux d’Ille-et-Vilaine et de Loire-Atlantique passent à gauche en 20042. Il en va de même des régions Bretagne et Pays de la Loire la même année.
5Dans la dizaine d’années qui suit, le PS domine sans partage la vie politique régionale3. Au second tour des élections présidentielles de 2007, Ségolène Royal, la candidate du PS, l’emporte sur Nicolas Sarkozy en Bretagne avec 52,7 % des voix grâce au report d’une forte proportion de l’électorat centriste de François Bayrou. En dépit de l’échec de sa candidate, aux élections législatives le PS regagne cinq sièges de députés sur 2002 (19 sur 36). De même en 2012, François Hollande (PS) bat Nicolas Sarkozy avec 56,35 % des voix, la gauche raflant cette fois 33 sièges de députés sur 37 : 28 PS, trois divers gauche, un écologiste, un régionaliste. La droite est réduite à deux UMP et deux divers droite. Symbole de cet apogée socialiste en Bretagne, les terres de droite du Morbihan (cinq députés sur six) et du Léon sont conquises4. Mais ce cycle d’une quarantaine d’années paraît s’achever en mai 2017 quand les Bretons plébiscitent Emmanuel Macron (En Marche) contre la candidate d’extrême droite Marine Le Pen (FN). Ouvertement soutenu par de nombreux notables et cadres du PS et par les centristes du Modem, il dépasse 76 % des voix au second tour dans la région (dix points de plus que sa moyenne nationale), et même 77 % dans trois départements5, mais l’abstention, le vote blanc et nul ont été forts et le vote d’extrême droite a progressé. La captation des électorats socialiste et centriste est confirmée par les élections législatives de juin 2017 ; elles sont un désastre pour le PS qui ne conserve qu’un seul député en Bretagne (Rennes-Montfort), lequel se rallie rapidement à la majorité macroniste de La République en marche (LRM). Trente députés se font élire avec l’investiture de LRM plus quatre Modem, l’UDI centriste ne conservant qu’un siège et la droite deux sortants réélus à Saint-Malo et à Loudéac (Gilles Lurton et Marc Le Fur). Notons que le renouvellement est plus limité qu’il n’y paraît car six sortants élus comme socialistes en 2012, ainsi que l’écologiste François de Rugy à Nantes-1 et le régionaliste Paul Molac6 à Ploërmel, ont rallié le nouveau parti présidentiel derrière leur chef de file Jean-Yves Le Drian, ancien ministre de la Défense de François Hollande, président de la région Bretagne depuis 2004, nommé ministre des Affaires étrangères. Quatorze députées sur 37 sièges, contre 13 en 2012, représentent la région, dont sept sur dix en Loire-Atlantique. On est encore loin de la parité. À l’issue du quinquennat de François Hollande, les macronistes ont raflé les territoires détenus par le PS cinq ans auparavant. Mais la question est de savoir si la victoire de cette nouvelle formation (LRM), alliée aux centristes du Modem, signifie le retour dans la région d’un centrisme qui, semblant se positionner au centre gauche en 2017, penche de plus en plus à droite et si ce parti va s’enraciner durablement ? Une première réponse a été apportée par les élections municipales de 2020 dans une situation complexe : les macronistes de La République en marche n’ont pris aucune ville importante en Bretagne, au contraire, ils ont réalisé de faibles scores à Rennes, à Nantes et à Brest. La droite a conservé ses villes traditionnelles (Vannes, Saint-Malo, Vitré), s’est enracinée à Concarneau et Douarnenez, et a pris Lorient car trois listes (écologiste, gauche-PS, LREM) affrontaient la liste de droite7. Ailleurs, la gauche conduite souvent par des sortant.e.s socialistes (Nathalie Appéré à Rennes, Joanna Rolland à Nantes, François Cuillandre à Brest), parfois alliée au 2e tour aux écologistes qui ont progressé dans la région, a été reconduite. En outre, ces forces ont repris Quimper, Morlaix et Saint-Brieuc et élargi leur implantation dans les métropoles de Rennes (Bruz, Chantepie) et de Nantes (Orvault). Les prochains scrutins régionaux et départementaux de 2021, sans parler de 2022, permettront sans doute d’y voir plus clair.
6Octobre 2020
Notes de bas de page
1 Des villes comme Quimper ou Morlaix peuvent changer d’orientation à la suite des divisions entre la gauche et les écologistes.
2 La droite a repris le conseil général des Côtes-d’Armor en 2015, ainsi que le conseil régional des Pays de la Loire.
3 Bougeard Christian, « Les socialistes en Bretagne, étapes et facteurs d’une implantation régionale réussie (1905-2012) », Parlement[s], hors-série no 10, p. 51-68.
4 Les élections sénatoriales confirment l’enracinement local du PS : en 2008, ce parti obtient trois sénateurs sur quatre en Ille-et-Vilaine et en conserve trois dans le Finistère. En 2011, du fait de la division des droites, la gauche enlève les trois sièges du Morbihan (une PS, un PCF et un écologiste EELV) et trois (2 PS, un EELV) sur cinq (un centriste, un UMP) en Loire-Atlantique.
5 Finistère, Ille-et-Vilaine et Morbihan. Le nouveau président a obtenu 88,2 % des suffrages à Rennes et 86,5 % à Nantes. Ouest-France et Le Monde, 8 et 9 mai 2017.
6 Paul Molac a depuis quitté le groupe LRM.
7 Dans son ancien fief municipal, la liste LRM soutenue par Jean-Yves Le Drian a réalisé un faible score dans la quadrangulaire du 2e tour : 12,3 % des voix.
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