Chapitre I. Les recompositions politiques des débuts de la IVe République (1946-1949)
p. 13-46
Texte intégral
1La Libération a fait émerger un nouveau paysage politique en France, mais aussi en Bretagne qui a brièvement connu une certaine poussée à gauche. À l’issue de plus de deux années de consultations politiques et des élections législatives et sénatoriales de la fin de 1946, la IVe République se met définitivement en place. Fermant le cycle électoral, le socialiste SFIO Vincent Auriol est élu à la présidence de la République le 16 janvier 19471. En mai 1947, l’éviction du Parti communiste français (PCF) du gouvernement scelle la fin du tripartisme. Le monde et l’Europe ne vont pas tarder à entrer dans la guerre froide. Pour gouverner, le président du Conseil socialiste Paul Ramadier et ses partenaires démocrates-chrétiens du Mouvement républicain populaire (MRP) sont contraints d’élargir leur majorité vers le centre, notamment aux radicaux dont les élus se sont regroupés en 1946 au sein du Rassemblement des gauches républicaines (RGR), et vers les indépendants de droite. Une partie des indépendants se retrouve dans le Parti républicain de la liberté (PRL). Pour juguler la grave crise politique et sociale de la fin de l’année 1947 – un puissant mouvement de grèves semi-insurrectionnelles déclenché par la CGT avec l’appui du PCF –, les partis de gouvernement sont contraints de se regrouper dans la Troisième Force. Cette coalition gouvernementale doit en même temps répondre à l’offensive sur sa droite d’un nouveau mouvement politique lancé par le général de Gaulle en avril-mai 1947, le Rassemblement du peuple français (RPF), qui veut faire chuter la IVe République. En pleine reconstruction du pays, les années 1947-1951 sont celles d’une double offensive communiste et gaulliste contre les institutions républicaines de 1946 au moment où la France s’enlise dans les rizières d’Indochine dans une « sale guerre » dénoncée par le PCF, où la guerre froide devient chaude en Corée (1950-1953) et où s’ébauchent les prémices de la construction européenne à Six qui va diviser les partis politiques. La Bretagne n’échappe pas à ces tensions, incertitudes et bouleversements qui se répercutent lors des élections municipales d’octobre 1947, des sénatoriales de 1948 et des cantonales de 1949 et de 1951. Leurs résultats remettent en cause les rapports de force de la Libération : ils sont favorables aux droites au détriment des socialistes et des communistes en conflit ouvert, mais aussi du MRP, et ont des incidences sur le fonctionnement de partis politiques qui avaient été fortement revivifiés au sortir de l’Occupation.
En 1946 : une Bretagne dominée par les démocrates-chrétiens
2Après les élections municipales et cantonales de 1945, les deux assemblées constituantes (octobre 1945 et juin 1946) et deux référendums en 1946, l’élection de l’Assemblée nationale le 10 novembre 1946 stabilise la situation politique et donne une photographie du rapport des forces au niveau national dans le cadre du scrutin de liste départemental à la proportionnelle. Le tripartisme (PCF-SFIO-MRP) gouverne le pays. En position centriste, le nouveau MRP, soutenu par une partie du clergé et le quotidien régional Ouest-France, se taille la part du lion en Bretagne en obtenant 18 députés sur 39 (20 en juin 1946) et en captant une grande partie de l’électorat de la droite catholique (voir les tableaux I et II, p. 15 et 16)2. Ses listes attirent près de deux électeurs et électrices sur cinq (39,84 %) dans la région contre une moyenne française de 26,3 %. C’est un léger tassement depuis juin 1946 (41,8 % à la 2e Assemblée constituante).
Tableau I. – Les résultats des partis politiques en Bretagne à l’Assemblée nationale du 10 novembre 1946 (en % des suffrages exprimés).

3Du coup, la droite traditionnelle incarnée par le PRL est réduite à la portion congrue (moins de 15 % des voix, cinq députés). Elle ne résiste qu’en Loire-Inférieure (trois sièges). Présentant des candidats issus de la Résistance, le MRP s’est solidement installé dans le Finistère, l’Ille-et-Vilaine et le Morbihan et est arrivé en tête dans les Côtes-du-Nord.
4Les centristes laïques, déjà en perte de vitesse en 1936 – ils n’avaient plus que six sièges – ont été laminés (8,2 % des voix, deux députés seulement) par la poussée des deux partis marxistes, le PCF et la SFIO qui, très engagés dans la Résistance, ont capté l’électorat radical-socialiste d’avant-guerre. Si cette gauche a progressé en voix (38,3 %) et en sièges (14 députés), en 1946 elle n’atteint pas le niveau du seul MRP. Surtout, le rapport des forces s’est inversé depuis 1936 (huit députés SFIO, aucun communiste). En effet, participant au gouvernement, le PCF (22,2 % des voix) a nettement devancé les socialistes et a progressé depuis octobre 1945, obtenant huit députés en novembre 1946 dont un apparenté (voir le tableau II, p. 15-16). Le PCF atteint 31,5 % des voix dans les Côtes-du-Nord (deux députés) et 27,8 % dans le Finistère (trois députés), ses nouveaux bastions dans la région et dans l’Ouest.
Tableau II. – Les députés bretons à l’Assemblée nationale en 1946, 1951 et 1956.


5En revanche, la SFIO n’a cessé de s’affaiblir passant de 19,2 % des voix en octobre 1945 (plus que le PCF) à 16,1 % en novembre 1946, et de sept à six députés. Les élus du tripartisme sont alors nettement majoritaires en Bretagne (31 sur 39) mais avec une nette domination du MRP qui hésite alors, au niveau national, entre le centre gauche et le centre droit, mais va rapidement basculer au centre droit, sinon à droite, dans la région.
L’affaiblissement des partis politiques : l’isolement du PCF
6Le Parti communiste français a connu un essor important en Bretagne du fait de son fort engagement dans la Résistance (Front national, FTP), vecteur à la Libération de succès électoraux : pour la première fois, il a sept députés en novembre 1946 dont une femme, Hélène Le Chevalier-Le Jeune. S’y ajoute le dirigeant du mouvement de Résistance Libération Sud, Compagnon de la Libération, le progressiste Emmanuel d’Astier de La Vigerie, compagnon de route élu en Ille-et-Vilaine. Le PCF obtient aussi trois conseillers de la République dans l’assemblée qui remplace le Sénat. En juin 1948, Pierre Hervé, député du Finistère depuis 1945 mais très investi dans la presse communiste comme rédacteur en chef adjoint de L’Humanité, démissionne. Il est remplacé à l’Assemblée par Marie Lambert de Landerneau.
7L’afflux d’adhésions au PCF a été sans précédent à la Libération. Selon les chiffres officiels des congrès, le parti a plus de 48 000 adhérents en décembre 1946, deux fois plus que la SFIO (voir le tableau III)3. Toutefois, en dépit d’importants progrès (effectifs multipliés par sept en Ille-et-Vilaine), de la présence de deux grandes villes, Rennes (29 % des adhérents) et Nantes, et du bassin industriel de la Basse-Loire, comme dans les années 1930 les fédérations de Haute-Bretagne sont moins puissantes que celles de Basse-Bretagne où une véritable implantation rurale s’est développée. L’Ille-et-Vilaine n’a que la 4e fédération de Bretagne (284 cellules en 1946). Saint-Nazaire reste un bastion socialiste et les campagnes de Loire-Inférieure sont allergiques au communisme tout comme celles de l’est du Morbihan et d’Ille-et-Vilaine.
Tableau III. – L’évolution des adhérents du PCF en Bretagne de 1945 à 1953.

8Atout visible de leur rayonnement, les fédérations communistes diffusent des journaux hebdomadaires influents depuis la Libération : L’Aurore dans le Finistère puis La Bretagne, à diffusion régionale tiré à 18 000 exemplaires, L’Aube nouvelle dans les Côtes-du-Nord, Le Réveil en Ille-et-Vilaine qui disparaît en 1950. Destinée aux paysans, La Terre est très lue dans le Centre-Bretagne. Mais en dépit d’une diffusion militante, leur lectorat se rétracte rapidement. Dirigées par de jeunes militants, souvent des chefs de la Résistance, les fédérations de l’Ouest breton ont attiré des milliers d’adhérents à la Libération (voir le tableau III, p. 17). Néanmoins, les novices sont encadrés par des cadres communistes formés dans le moule bolchevique avant-guerre élus députés en 1945 ou 1946, comme Marcel Hamon dans les Côtes-du-Nord, Alain Signor dans le Finistère et Louis Guiguen dans le Morbihan. Le parti peut aussi s’appuyer sur les unions départementales (UD) et les unions locales (UL) de la CGT qu’il dirige. La CGT compte 115 901 adhérents en Bretagne en 1945, les chiffres oscillant entre 38 915 adhérents en Loire-Inférieure et 10 812 dans les Côtes-du-Nord4. Le PCF anime par ailleurs plusieurs organisations dites de masse : l’Union des femmes françaises (UFF) qui a plusieurs milliers d’adhérentes en 1945-1946, l’association France-URSS, des associations sportives et culturelles, et bientôt le Mouvement de la Paix. Surtout, il dispose désormais d’un solide réseau d’élus locaux de 67 maires et 19 conseillers généraux presque exclusivement en Basse-Bretagne (13 dans les Côtes-du-Nord, 4 dans le Finistère)5.
9À partir de l’automne de 1947, le PCF s’oppose frontalement aux gouvernements et s’isole de plus en plus en soutenant les grèves semi-insurrectionnelles de novembre et décembre déclenchées par la CGT dans une sorte de fuite en avant « gauchiste » qui se solde par un échec politique et social. La forte poussée électorale du RPF aux élections municipales d’octobre 1947, la perte de municipalités communistes et une situation économique très difficile (rationnement accru, forte inflation) expliquent ces mobilisations sociales dures6. En Bretagne, en dehors des bastions ouvriers urbains et portuaires politisés et des cheminots contrôlés par la CGT, ces grandes grèves de novembre-décembre 1947 ont un impact limité et sont rejetées par la population7. Elles provoquent une scission syndicale, le départ des Amis de Force ouvrière, la minorité de la CGT qui donne naissance en avril 1948 à la CGT-FO (Force ouvrière) soutenue par la SFIO et les syndicats américains. C’est la conséquence directe de l’entrée dans la guerre froide qui divise durablement le syndicalisme ouvrier français et les partis de gauche. L’affrontement communistes-socialistes se répercute sur la vie militante entraînant un fléchissement des effectifs mais à un niveau élevé notamment dans les Côtes-du-Nord et le Finistère. Dans le Finistère, selon les Renseignements généraux (RG), on serait passé de 115 sections en juin 1946 à 49 en 1949 et à 368 cellules dont 30 à Brest selon La Bretagne. Mais les Cahiers d’Auguste Lecœur, le secrétaire national à l’organisation, exclu pour un an en 1953 puis définitivement en 1955, indiquent le nombre de cartes expédiées à la fédération mais pas obligatoirement placées : ils traduisent une décrue beaucoup plus forte8. Si on en croit ces données, les effectifs réels auraient été divisés par quatre de 1947 à 1953. Les sources policières qui reprennent sans doute les déclarations des dirigeants locaux surestiment la réalité mais les données sont bien à la baisse à partir de 1948. Cette fédération est dirigée de 1945 à 1947 par l’instituteur résistant Alain Cariou puis en 1948-1949 par la députée Marie Lambert elle aussi résistante9. La fédération des Côtes-du-Nord dirigée par Jean Le Jeune, assisté d’Édouard Quemper et de Marie-Louise Kergoulay, parvient à conserver ses trois permanents jusqu’en 1950. En Loire-Inférieure, le député Henri Gouge (1945-1951) assume en même temps les fonctions de secrétaire politique jusqu’en 1950, secondé par Gilles Gravoille, ancien déporté, secrétaire du comité d’entreprise de l’usine des Batignolles de Nantes en 1945, puis permanent qui lui succède de 1950 à 196210. Dans le Morbihan, le typographe Roger Rio, ancien des Brigades internationales, est premier secrétaire de 1946 à 1952. En Ille-et-Vilaine, il s’agit de Dupuis qui est limogé par le comité central en 1950 car il est considéré comme n’étant pas assez dynamique. Selon les RG, le PCF aurait perdu la moitié de ses adhérents de 1948 à 1950 et près des trois quarts en 195211.
10À partir de 1948, les communistes font feu de tout bois non seulement contre le RPF, la droite et le MRP, mais aussi contre les socialistes qui le leur rendent bien. En janvier et février 1949, une violente campagne contre le député SFIO de Morlaix Tanguy Prigent illustre cette violence politique dans les meetings, les affiches et par la presse interposée. Elle est déclenchée par Marcel Hamon, député PCF des Côtes-du-Nord, son propre beau-frère, et relayée par Alain Signor12. Dans La Bretagne, l’honneur et le passé résistant du maire de Saint-Jean-du-Doigt sont questionnés : visite à Marcel Déat sous l’Occupation, raisons de sa libération à l’issue d’un emprisonnement pas les Allemands en 1940, et surtout relations avec son mentor Guy Le Normand, rallié à Vichy et exécuté par des FTP par erreur en 1944. Tanguy Prigent, qui a été l’un des principaux responsables du mouvement Libération-Nord dans le Grand Ouest, répond en contre-attaquant, assume ses liens filiaux avec Le Normand tout en soulignant l’ignominie de Marcel Hamon, ce qui pour le PCF passe pour « un aveu ». C’est un vrai « procès de Moscou » en Basse-Bretagne, ce qui n’empêche pas le conseiller général de Lanmeur d’être réélu, de justesse, dès le premier tour en mars 1949.
11Au début des années 1950, le PCF cherche à attirer à lui, notamment dans le Mouvement de la Paix ou à la CGT, à la fois une poignée de chrétiens très à gauche et des socialistes qui rejettent la Troisième Force. Mais la fréquentation des réunions et la propagande communiste ne cessent de s’étioler de 1948 à 1953, même quand les militants s’efforcent d’appliquer les directives centrales qui poussent à l’activisme militant non sans sectarisme. Ces difficultés croissantes vont entraîner une reprise en main de plusieurs fédérations en 1949 et 1950 par des dirigeants nationaux qui procèdent à une véritable stalinisation d’un parti dont de nombreux membres sont issus de la Résistance et à une rotation-épuration des cadres13.
Les chrétiens progressistes
12Pour tenter de rompre son isolement croissant, le PCF lance à Rennes à la fin de 1948 un quotidien régional, Ouest-Matin, qui paraît jusqu’en 1956 et qui est dirigé par Henri Denis, professeur à la faculté de droit, par ailleurs président départemental du Mouvement de la Paix en 195114. Ouest-Matin va être un moyen de recaser des cadres communistes et syndicaux licenciés par leur entreprise et des permanents que l’on n’a pas pu conserver en raison des restrictions financières. En Bretagne, une poignée de chrétiens progressistes vont participer comme acteurs ou lecteurs du journal communiste.
13Henri Denis, ancien secrétaire de la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC), a fondé en 1946, avec André Mandouze, l’Union des chrétiens progressistes (UCP). En 1949, l’UCP compte environ 250 militants et 3 000 sympathisants en France, mais le mouvement se délite après un décret du Saint-Office en juillet qui condamne toute collaboration avec le communisme. Mgr Roques, l’archevêque de Rennes, a émis des réserves quant à la participation d’Henri Denis et de l’abbé Boulier au quotidien communiste15. En novembre 1949, il menace les lecteurs de ce journal de les priver des sacrements. À la suite d’une audience de Mgr Roques, Henri Denis poursuit sa collaboration, mais à Saint-Brieuc et à Brest des curés zélés appliquent les consignes : Cécile Jullien est privée de la communion le 20 novembre 1949 mais refuse de se soumettre. Henri Denis et Pierre Garbarini, professeur de lycée, animent le groupe rennais, composé surtout d’intellectuels, qui se situe à la gauche de l’UCP. Certains se lancent dans l’action politique aux côtés des communistes et se détournent de l’Église. D’autres, dont le groupe brestois animé par Cécile Jullien et le couple Berlivet davantage inséré dans le monde ouvrier, poursuivent leur combat au sein de l’Église dans le mouvement Jeunesse de l’Église et à travers le journal La Quinzaine. Cécile Jullien appartient au comité directeur de Jeunesse de l’Église dont La Lettre (environ 4 000 lecteurs en France) est imprimée par une coopérative ouvrière de Pontrieux (Côtes-du-Nord). Des groupes plus ou moins éphémères existent à Rennes, Nantes, Brest, Quimper, Saint-Brieuc, Guingamp. Le groupe brestois est ébranlé par le départ de Cécile Jullien en 1953, d’autant plus que le mouvement est condamné par le Saint-Siège en octobre 1953. Cette mouvance du progressisme chrétien, au sens large, va nourrir en Bretagne l’un des rameaux de ces « catholiques de gauche » appelés à un bel avenir. Très attachés à la laïcité, leur principal marqueur identitaire sous la IVe République, les socialistes bretons ne sont pas dans la même logique.
Les malaises de la SFIO dans la Troisième Force
14Les espoirs de fusion organique des deux « frères ennemis » séparés au congrès de Tours vite abandonnés en 1945, la SFIO vieillissante se retrouve concurrencée par un parti communiste puissant électoralement et surtout sur le plan militant. Au sein du tripartisme puis dans les gouvernements de la Troisième Force dont elle est un pilier majeur, la SFIO est contrainte de gouverner avec des partis qui défendent l’école confessionnelle, comme le MRP et bientôt les indépendants de droite, et qui reprennent l’offensive sur cette question en 1947-1949. Dans l’Ouest, cette situation est difficile à vivre pour de nombreux militants socialistes, défenseurs de l’école publique et souvent anticléricaux, qui se retrouvent en porte à faux.
15Après son apogée militante de 1946, la SFIO n’est pas épargnée par la baisse de ses effectifs : en Bretagne, elle en perd plus de la moitié de 1946 à 1948 et la moitié encore en 1949 pour se stabiliser à un niveau très bas en 1951, revenant à ses effectifs de 1935 (voir le tableau IV)16. Parfois, les autorités surestiment le nombre d’adhérents. Par exemple, dans le Finistère, le 25 février 1949, le préfet attribue 2 500 adhérents à la SFIO (chiffres de 1948 ?) quand le parti en reconnaît 1 550 en fin d’année17. Depuis la fin de 1947, du fait d’un rééquilibrage de la majorité vers la droite, elle a perdu la présidence du Conseil au profit de leaders du MRP puis de radicaux. En effet, pour tenter de sauver sa majorité et limiter la poussée du vote gaulliste, le 22 octobre 1947 entre les deux tours des élections municipales, Paul Ramadier a sacrifié ses deux ministres socialistes considérés comme « dirigistes », André Philip et le Finistérien Tanguy Prigent, en charge de l’agriculture depuis septembre 194418. Dans les années suivantes, à mesure que les stigmates de la guerre froide sont plus visibles (coup de Prague de février 1948, blocus de Berlin-Ouest, sévère répression des grèves des mineurs notamment dans les Houillères du Nord de la France par le ministre socialiste Jules Moch), les socialistes sont la cible de virulentes attaques du PCF. Hostiles « aux grèves politiques » de la CGT et du PCF à la fin de 1947, les socialistes soutiennent la formation d’UD de Force ouvrière (FO) au début de 1948. Mais, en Bretagne, ils sont souvent très mal à l’aise avec la politique de Troisième Force de leur parti. Les préfets des Côtes-du-Nord et du Finistère soulignent en 1948 la fragilité de « cette alliance avec les cléricaux » du MRP qui ne séduit pas la base et pose problème dès lors que la question scolaire est réactivée (décret Poinso-Chapuis). Lors du congrès fédéral du 27 juin 1948 à Saint-Brieuc, une « forte minorité » pose des conditions au maintien de leur parti dans le gouvernement Schuman. L’union des gauches reste un horizon pour certains militants laïques.
Tableau IV. – L’évolution des effectifs de la SFIO en Bretagne de 1945 à 1951.

16Rapidement, les députés socialistes animent les fédérations d’un parti dont les activités militantes se rétractent. Dans les Côtes-du-Nord, le professeur d’histoire Antoine Mazier se démultiplie et dirige le journal Le Combat social, secondé par le secrétaire fédéral Yves le Foll. Ils peuvent s’appuyer sur de nombreux élus locaux et maires qui résistent bien lors des élections municipales de 1947. Un ancien radical-socialiste, le Dr François Clech qui a adhéré à la SFIO à la Libération, préside de 1947 à 1949 le conseil général (13 socialistes) avec l’appui du PCF et de radicaux, cas unique en Bretagne. En intégrant les socialistes indépendants, la fédération des Côtes-du-Nord revendique 105 maires en 1948. Numériquement puissante en 1946, 43,3 % des adhérents de Bretagne, cette fédération décline rapidement : perte des 2/3 en 1948 et près des 8/10e en 195019. C’est un mouvement général mais encore plus fort qu’ailleurs. La survie du Combat social est menacée. Et, en dehors des élections, il n’y a guère d’activité.
17Dans le Finistère, le parti socialiste a conservé deux députés, Tanguy Prigent est très actif. Mais la déception est grande face à la forte progression du PCF qui augmente ses résultats électoraux en 1946 quand ceux de la SFIO régressent. Le ministre de l’Agriculture est rendu responsable de l’aggravation des pénuries en 1947. La fédération souhaite d’ailleurs à l’été de 1947 que le parti quitte le gouvernement qu’il dirige. Pourtant, le tissu municipal socialiste s’est renforcé à la Libération (51 maires contre 27 au PCF) mais beaucoup moins au conseil général : de deux à cinq élus alors que le PCF est passé de un à quatre. Les divisions apparues lors des élections législatives de 1945 du fait de la réélection des deux députés de 1936, Tanguy Prigent et Jean-Louis Rolland, deux « nordistes », ont été apaisées en novembre 1946 par celle d’Eugène Reeb, un professeur de Concarneau. Le vieux leader et ancien député (1919-1936) Hippolyte Masson, maire et conseiller général de Morlaix, rejoint le Conseil de la République (réélu en 1948) tout en étant secrétaire fédéral. Le nombre d’adhérents est stable de 1945 à 1947 mais un décrochage brutal s’opère en 1948 et 1949. La propagande du journal Le Breton socialiste tourne un peu à vide et l’affrontement avec le PCF devient violent. En outre, la fédération traverse une crise morale et financière. Afin de relancer les activités, Tanguy Prigent accepte en mai 1950 de devenir provisoirement secrétaire fédéral mais il va devoir le rester jusqu’en 1959.
18En Ille-et-Vilaine, le député Albert Aubry et Eugène Quessot, cheminot SNCF retraité, secrétaire fédéral, conseiller général de Rennes et conseiller de la République (1946-1948), représentent la génération de l’entre-deux-guerres mais ils sont épaulés par le professeur de lycée puis d’université Charles Foulon, secrétaire à la propagande20. En janvier 1946, un quotidien régional La République sociale, dirigé par Yves Lavoquer venu des Côtes-du-Nord, a été lancé avec les radicaux mais il disparaît rapidement pour des raisons financières. C’est aussi le cas du journal fédéral L’Aurore socialiste en 1950. Charles Foulon, en 2e position sur les listes en 1946, incarne le courant qui en 1945 était favorable à l’unité organique avec le PCF, position qui a divisé le parti. Membre du courant la Bataille socialiste, il n’accepte pas l’exclusion de la SFIO de trois responsables de cette tendance et est lui-même exclu le 15 janvier 194821. Ce qui provoque des protestations, sur la méthode, d’Alexis Le Strat, nouveau secrétaire fédéral d’Ille-et-Vilaine, même s’il est hostile aux positions de Charles Foulon. Foulon adhère au Parti socialiste unitaire (1er PSU), un parti favorable à la collaboration avec les communistes, et en devient secrétaire national en 1948 ; en 1954, il appartiendra au comité directeur du minuscule Parti socialiste de gauche (PSG). À Brest, le conseiller municipal Guillaume Leyer suit le même chemin. Comme Charles Foulon, il fonde une section du Mouvement socialiste unitaire (une dizaine d’adhérents) et adhère au PSU (membre du comité directeur national), figurant même sur la liste du conseiller de la République communiste sortant Albert Jaouen en 194822. De même à Lorient, Pierre Cusin (PSU) est brièvement adjoint de la municipalité communiste en 1952-1953. En Ille-et-Vilaine, l’exclusion de Foulon et son passage au PSU qui compte 150 adhérents en 1952 ont affaibli une SFIO qui se replie sur elle-même et explique partiellement la brutale chute des adhérents qui frappe la fédération en 1949. Directeur d’école, militant syndical, candidat à toutes les élections à Rennes et secrétaire fédéral jusqu’en 1966, Alexis Le Strat va s’imposer comme le principal dirigeant socialiste du département23.
19La situation est comparable dans le Morbihan où l’ancien instituteur résistant et député Jean Le Coutaller et l’avocat Julien Le Pan, maire de Lorient (1946) et secrétaire fédéral, animent la fédération. En Loire-Inférieure, appuyée sur son bastion municipal de Saint-Nazaire, la SFIO n’a plus qu’un seul député (quatre en 1936). Mais l’ancien maire et député François Blancho a été écarté par son parti à la Libération pour avoir voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, réintégré seulement en 1950 alors qu’il a été résistant, ne redevenant maire de la ville qu’en 1947. Militant socialiste depuis 1930, économe des hôpitaux, Jean-Baptiste Guitton a pris sa relève en 1945 comme maire puis 1er adjoint, conseiller général jusqu’en 1967 (le seul SFIO après 1951), et député de Saint-Nazaire de 1945 à 195824.
Le MRP : un colosse aux pieds d’argile ?
20Divisés sur la laïcité et la question scolaire (école publique/école catholique) comme sur la politique sociale, les centristes sont condamnés à gouverner ensemble avec la SFIO et les indépendants de droite à partir de la fin de 1947 pour contrer les attaques du PCF et du RPF. Le MRP est avec la SFIO l’autre pilier des coalitions gouvernementales de Troisième Force, non sans contradictions. En Bretagne, où la question scolaire est une ligne de partage gauche/droite, ces alliances obligées notamment dans certaines municipalités ne sont pas du goût de leur électorat, d’autant plus que les démocrates-chrétiens sont tiraillés par l’attraction droitière gaulliste. Héritier du PDP, le MRP fondé en novembre 1944 apparaît à la Libération en Bretagne comme le grand vainqueur du champ politique recomposé avec ses 18 députés sur 39 (voir le tableau I, p. 14), cinq conseillers de la République sur 17, sa cinquantaine de conseillers généraux (22,5 %) et ses nombreux maires à l’issue des reclassements de 1946.
21Au début de 1947, le MRP compte 64 maires (16,4 %) et 1 139 conseillers municipaux (22,5 %) dans les Côtes-du-Nord, 93 maires (31,3 %) et 1 488 conseillers dans le Finistère, et 50 maires (19,1 %) et 360 conseillers (12 %) dans le Morbihan25. Plusieurs dirigeants nationaux originaires de la région y ont été élus députés en 1945, André Colin dans le Finistère, Pierre-Henri Teitgen, ministre à la Libération, en Ille-et-Vilaine. André Colin, né à Brest, professeur de droit à Lille, ancien président national de l’ACJF, résistant et concepteur du futur MRP dans la clandestinité, est secrétaire général du MRP de 1944 à 1955, c’est-à-dire le nunméro 2 derrière le président Maurice Schumann. Il est secondé dans ses fonctions nationales par Albert Gortais, secrétaire général adjoint, un homme originaire des Côtes-du-Nord. De 1948 à 1950, la députée Marie-Madeleine Dienesch participe de plus en plus aux instances dirigeantes de son parti, ce qui lui vaut des critiques des militants pour son absence sur le terrain26.
22Comme pour les partis de gauche, 1946 a été l’apogée militante du MRP qui atteint les 125 000 adhérents (payant leur cotisation), mais il a de nombreux sympathisants et électeurs. Trois fédérations bretonnes se classent aux 5e, 6e et 7e rangs en rassemblant 10,8 % des effectifs nationaux27. L’afflux d’adhésions lié aux succès électoraux est aussi fort en 1946 que le reflux est marqué en 1947 et 1948 en raison de la concurrence du RPF avant de se stabiliser au début des années 1950 (voir le tableau V)28.
Tableau V. – L’évolution des effectifs du MRP en Bretagne de 1945 à 1951.

23En 1951, les fédérations du Finistère et d’Ille-et-Vilaine sont les 6e et 7e de France mais avec 1 200 adhérents seulement à elles deux. Le MRP avait pourtant quadrillé le terrain en créant des sections. Fin de 1946-début de 1947, le MRP aurait 200 sections sur 296 communes dans le Finistère, 120 dans les Côtes-du-Nord (391 communes), implantées surtout en Haute-Bretagne au vote plus modéré, 115 en Ille-et-Vilaine dès la fin de 1945 où le parti est fort dans les villes et dans le nord du département, notamment dans l’arrondissement de Fougères. Pourtant, dès 1947, avec 1 258 adhérents le MRP d’Ille-et-Vilaine en a perdu plus des deux tiers de l’année précédente. Son recrutement sociologique repose sur les commerçants et artisans (24,9 %), les employés et ouvriers (23,8 %) du fait de ses liens avec la CFTC qui a 6 500 syndiqués en fin d’année, et les agriculteurs (19,3 %). Les relations avec la Jeunesse agricole catholique (JAC) lui servent de relais dans les zones où le parti est peu présent, comme dans l’arrondissement de Vitré où il détient pourtant la députation29. Dans ce département, le MRP paraît résister à la percée du RPF ; il voit même, selon les données internes, le nombre de ses adhérents progresser en 1948.
24De même, la fédération MRP des Côtes-du-Nord, animée par ses jeunes députés résistants Henri Bouret, Constant Montjaret (FFL) et Marie-Madeleine Dienesch, résiste bien aux sirènes gaullistes. Le préfet des Côtes-du-Nord soulignait dès juin 1947 les contradictions traversant ce parti associé au gouvernement avec la SFIO : « Le socialisme chrétien des uns déconcerte le conservatisme religieux des autres, et l’activité résolue de la CFTC n’apparaît plus comme une sauvegarde à tous ceux qui voyaient en elle une contre-marque de la CGT noyautée. » En un an, du début de 1947 au début de 1948, selon les RG le parti aurait perdu la moitié de ses adhérents mais les chiffres de 6 000 en septembre 1947 semblent très surévalués. Des adhérents de droite démissionnent car ils refusent des accords électoraux municipaux avec les socialistes, voire avec des radicaux laïques. À cela s’ajoutent les « tentatives de débauchage du RPF ». Ainsi, Jacques Soustelle écrit-il au député Constant Monjaret, ancien de la 2e DB et frère du radio de Jean Moulin de 1942, pour lui demander de rejoindre le Rassemblement. Comme tous les grands partis de la Libération, le MRP connaît une hémorragie de ses adhérents : ses effectifs sont divisés par trois ou quatre au début des années 1950. Malgré son député très actif Édouard Moisan, la fédération de Loire-Inférieure tombe à 670 adhérents en 1949 et la situation n’est guère meilleure dans les grandes fédérations du Finistère et d’Ille-et-Vilaine en 1951.
25L’afflux d’adhésions a été de courte durée. Les difficultés financières et la faiblesse du lectorat ont déjà contraint le MRP à supprimer des journaux départementaux comme L’Écho du Finistère dès mars 1947. En Ille-et-Vilaine, Le Rassemblement d’Ille-et-Vilaine tirait en janvier 1946 à 30 000 exemplaires avec moins de 10 % d’invendus30. Mais le quotidien Ouest-France est à la fois un appui considérable dans toute la région et un journal concurrent. Pourtant, des fondateurs du parti élus en Bretagne occupent des positions ministérielles importantes à la fin des années 1940. Pierre-Henri Teitgen, professeur de droit, résistant fait Compagnon de la Libération, député d’Ille-et-Vilaine de 1945 à 1958, a participé aux gouvernements de la Libération (Information puis Justice) de 1944 à 1946. En 1947 et 1948, il est vice-président du Conseil des gouvernements Ramadier et Marie tout en étant ministre des Forces armées dans les cabinets Ramadier puis Schuman. D’octobre 1949 à juillet 1950, Georges Bidault (MRP) en fait un ministre d’État chargé de l’Information. Son collègue André Colin, lui aussi professeur de droit et résistant, secrétaire général du MRP de 1945 à 1955, suit le même parcours comme député du Finistère (1945-1958) et ministre notamment de la Marine marchande en 1948-1949, puis plusieurs fois secrétaire d’État à l’Intérieur entre 1950 et 1953. Plus brièvement, Paul Ihuel, exploitant agricole déjà député du Morbihan de 1936 à 1940, est sous-secrétaire d’État à l’Agriculture dans le cabinet Bidault (1949-1950). Ces responsabilités ministérielles et partisanes confortent l’implantation des démocrates-chrétiens en Bretagne, mais leur hégémonie sur le centre et à droite et sur les milieux catholiques est remise en question dès 1947.
Le MRP confronté à l’attraction du RPF (1947-1949)
26Des fédérations bretonnes du MRP traversent des difficultés politiques qui les affaiblissent. Au début de 1947, écho de la classique rivalité Quimper-Brest, la fédération du Finistère se divise sur le transfert de son siège de la préfecture à Brest, ce qui doit entraîner le licenciement de permanents. Surtout, les tensions internes sont aggravées par l’irruption sur la scène politique du général de Gaulle et du RPF car le MRP compte dans ses rangs de nombreux gaullistes résistants. Le 27 avril 1947, la direction nationale a décidé d’interdire la double appartenance MRP-RPF, une position inacceptable pour de nombreux démocrates-chrétiens finistériens. Le 5 mai, parlementaires et élus locaux décident d’engager des discussions avec le mouvement gaulliste, mais à la fin du mois la rupture est consommée. Le comité départemental s’est scindé en trois courants : la tendance Colin-Jaouen hostile au RPF, une tendance « attentiste » représentée par André Monteil et des militants qui rejoignent le RPF tels le Dr Jacquin, futur conseiller général de Crozon, le Dr Le Duc, créateur de la première section MRP du département à Morlaix en février 1945 ou Lavallou31. Le Dr Vourc’h, résistant de la première heure, père de quatre FFL dont un Compagnon de la Libération tué en 1944, président de la fédération départementale organisée en juillet 1945, conseiller général de Châteaulin, ancien député puis conseiller de la République MRP, attendra d’être poussé dehors à l’automne. Bon nombre de résistants démocrates-chrétiens, du « parti de la fidélité » au Général comme le MRP se présentait en 1945-1946, sont déchirés mais se plient finalement au refus de la double appartenance décidée par le comité directeur le 27 avril, tels le député et ancien chef FFI quimpérois André Monteil, secrétaire général en 1945, ou le FFL Xavier Trellu, conseiller général de Douarnenez. La rupture complète MRP-RPF ne s’opère qu’après les élections municipales d’octobre 1947 : le comité directeur est dissous afin d’en éliminer les éléments pro-RPF.
27L’attraction du RPF est plus forte encore dans le Morbihan. M. Morin, le président de la fédération, tente de s’y opposer mais il se heurte à la plupart de ses collègues, si bien qu’il démissionne et est remplacé en juin 1947 par M. Dieulangard qui estime que toute liberté doit être laissée aux membres du MRP : de nombreux élus adhèrent au RPF32. Le positionnement droitier du MRP du Morbihan apparaît clairement.
28En réalité, le surgissement du MRP à la Libération n’a que partiellement remis en cause l’implantation de la droite traditionnelle dans la mesure où de nombreux élus locaux en ont adopté l’étiquette sans être pour autant des démocrates-chrétiens convaincus. À l’approche des élections municipales d’octobre 1947, bon nombre adhèrent au RPF ou en prennent l’étiquette. Ainsi dans l’arrondissement de Quimper, des 560 conseillers municipaux MRP de 1945, il n’en reste que 322, une perte de 42,5 %33. À la veille des élections cantonales de mars 1949, le préfet du Finistère résume une situation que l’on retrouve ailleurs : « Tout puissant à la Libération où il avait groupé toute la droite et les modérés, le MRP s’est désagrégé dès que le RPF fut organisé. […] Extrême droite, droite, une grande partie des modérés quittèrent le MRP pour le RPF34. » La situation n’est pas meilleure dans le Morbihan : le 26 février 1949, le préfet fait état de « la quasi-disparition du MRP de la scène politique ». Après avoir dû composer avec le RPF en 1947 pour conserver des élus municipaux, il est « le grand vaincu » de l’année 1948 car « il a été abandonné par son électorat de droite de 1945 » qui s’est tourné vers le RPF.
29Après ce choc, les fédérations tentent de se relancer. Le 18 avril 1948, le congrès départemental de Guingamp élit un nouveau président dans les Côtes-du-Nord, le résistant André Le Cun, tandis que Victor Rault, ancien responsable de la CFTC et premier adjoint au maire de Saint-Brieuc, est vice-président. Mais les cotisations rentrent mal et l’activité militante entre en léthargie, sauf à Saint-Brieuc. À la fin de 1949, devenu secrétaire général, le député Constant Monjaret s’efforce de reconstituer plusieurs sections, action poursuivie en 1950 par l’ancien responsable national Albert Gortais installé à Saint-Brieuc. De parti de militants, le MRP se transforme en parti de notables et d’élus, ce qui accentue son glissement vers la droite. Sa stratégie nationale de Troisième Force se heurte aussi dans l’Ouest à la mobilisation des catholiques les plus conservateurs en faveur de l’école privée confessionnelle, ce qui place les démocrates-chrétiens en porte à faux vis-à-vis de leurs alliés des partis laïques (socialistes et radicaux) car il en va d’une partie de leur électorat qui subit la pression du RPF.
La réactivation de la question scolaire
30Dès 1945, la fraction militante des milieux catholiques a appuyé le Comité national de l’enseignement libre qui s’opposait à la suppression des subventions accordées par Vichy et voulait organiser un référendum sur cette question afin d’inscrire la liberté de l’enseignement dans la Constitution en préparation. La Vendée et l’Anjou sont à la base d’une mobilisation au niveau cantonal et communal qui réactive le quadrillage mis en œuvre par la Fédération nationale catholique contre le Cartel des gauches de 1924 à 192635. Le diocèse de Nantes et Mgr Villepelet sont en pointe, tout comme les diocèses du Finistère et du Morbihan. De grands rassemblements militants ont été organisés par les laïques pour rejeter le 1er projet constitutionnel et tenter de faire inscrire la liberté de l’enseignement dans la Constitution : le 7 avril 1946 à Nantes (60 000 à 80 000 personnes), à Quimper le 22 avril (60 000) et à Landerneau (70 000)36. La mobilisation des catholiques sur la question scolaire se poursuit à la veille des élections municipales de 1947 : en pleine poussée du RPF qui souffle sur les braises, un rassemblement à Saint-Laurent-sur-Sèvre de l’Union régionale des amicales de l’enseignement libre aurait déplacé le 5 octobre 1947 de 80 000 (Ouest-France) à 100 000 catholiques (Semaine religieuse du diocèse de Nantes), dont de nombreux Bretons.
31Plusieurs structures nationales avec des déclinaisons locales (Association des parents de l’école libre [APEL], Unions catholiques masculines et féminines, Association catholique des chefs de famille, Amicales et Comité d’action pour la liberté scolaire, le CALS…) se chargent pendant cinq ans de mener ce combat scolaire alors que les défenseurs de l’école laïque réagissent peu. Les évêques encouragent ces efforts des parents d’élèves en mettant en place des comités scolaires paroissiaux car il leur faut assurer le financement des écoles privées. Le moyen le plus efficace consiste à organiser des kermesses qui vont fleurir partout. À Nantes, la kermesse du parc de Procé attire 15 000 personnes en 1945, 60 000 en 1948. Mais, de juillet 1947 à janvier 1949, une vingtaine de « procès des kermesses » se tiennent car l’administration fiscale réclame des droits aux organisateurs qui ne veulent pas les régler : à l’appel des CALS et sous la houlette des évêques, ces procès mobilisent des milliers de personnes dans tout l’Ouest. En Ille-et-Vilaine, Mgr Roques vient au tribunal défendre ses prêtres poursuivis37. Des paroissiens se déplacent pour l’occasion : 15 000 personnes à Vannes selon les organisateurs en mai 1948. À Nantes (3 000 personnes), des incidents éclatent au tribunal le 12 février 1948. Le procès de Sainte-Anne-d’Auray le 26 septembre 1948 réactive l’Union régionale des Amicales de Bretagne.
32Cet activisme des partisans de l’école privée confessionnelle va de pair avec une grève administrative des mairies au printemps et à l’été de 1948. Elle avait démarré en Vendée (153 mairies) et avait touché le Maine-et-Loire et les Deux-Sèvres. En Loire-Inférieure, 134 municipalités sur 220 y participent du 5 au 11 juillet 1948. Les maires de droite sont donc partie prenante. Les organisations catholiques militantes, souvent chapeautées par les mêmes hommes, dramatisent la situation et rêvent d’organiser une grève de l’impôt contre l’État. Cette agitation scolaire a certainement des incidences en faveur des droites, dont le RPF, et au détriment du MRP lors des élections municipales de 1947 et des élections cantonales de 1949. Ce n’est pas la gauche divisée qui a rallumé la guerre scolaire, mais la radicalisation des droites qui veulent faire pression sur les gouvernements de Troisième Force. Les partis centristes laïques en subissent d’ailleurs le contrecoup puisque des hommes comme René Pleven, président national de l’UDSR, est favorable à la liberté de l’enseignement, de même qu’une grande partie des radicaux qui ont bien évolué sur cette question qui était une ligne de partage entre la gauche et la droite au niveau national, et plus encore en Bretagne avant la guerre.
Radicaux-socialistes, UDSR et RGR : les centristes laïques en arbitres
33À partir de 1948, les radicaux-socialistes deviennent une force indispensable aux majorités de Troisième Force au point que leurs leaders accèdent à la présidence du Conseil exhalant un parfum de IIIe République : gouvernement Marie (24 juillet-27 août 1948), gouvernement Queuille (11 septembre 1948-6 octobre 1949). Ce parti n’a plus guère de forces en Bretagne car, dès 1946, l’aile gauche du radicalisme, des maires et des conseillers généraux élus sous cette étiquette en 1945, et une partie de ses adhérents laïques, l’ont quitté pour rejoindre les rangs socialistes ou se présenter aux élections locales comme divers gauche. En effet, le Parti radical et radical-socialiste s’est difficilement réorganisé en 1945 et 1946 et il a animé le Rassemblement des gauches républicaines (RGR), un regroupement très anticommuniste.
34Des fédérations se sont lentement réorganisées en Bretagne. Celle des Côtes-du-Nord, qui aurait environ un millier d’adhérents à l’automne de 1947 et 1 500 en mars 1948, est dirigée par André Cornu, ancien député (1932-1936), président du conseil général de 1946 à 1947, et le secrétaire fédéral Albert Menguy, membre du comité directeur national38. L’ancien député-maire de Dinan Michel Geistdœrfer, battu aux élections municipales en 1945 et 1947 par une liste de droite, s’oppose de plus en plus nettement aux radicaux-RGR et se rapproche du PCF. Les radicaux-socialistes qui ont 41 maires pour 16 UDSR et RGR s’alignent de plus en plus sur le RPF comme le montrent les élections sénatoriales de 1948. Mais ce glissement vers la droite des radicaux provoque de fortes tensions entre les anciens adhérents, fidèles à une sensibilité de gauche, et les nouveaux faisant peser des menaces de scission de sections de Basse-Bretagne au début de 1950. Par ailleurs, des adhérents ont rejoint le RPF quand d’autres sont attirés par le « plévénisme », c’est-à-dire l’UDSR.
35Certains cadres comme André Morice, entrepreneur de travaux publics, élu député de Loire-Inférieure en octobre 1945, tissent tranquillement leur toile. Morice dispose d’un organe de presse quotidien, Le Populaire de l’Ouest, dont il est le directeur politique. Le tirage du journal passe de 5 500 exemplaires à la Libération à 70 000 au début des années 1950, ce qui est un contrepoids aux deux autres quotidiens : Ouest-France (pro-MRP) et L’Avenir de l’Ouest (droite). De 1947 à 1950, la fédération radicale-socialiste de Loire-Inférieure passe de 1 500 à 2 250 adhérents, ce qui en fait l’une de principales forces politiques du département. Unique député radical de Bretagne, André Morice participe à la quasi-totalité des gouvernements de la IVe République de la fin de 1947 à 1958, sauf dans les cabinets Mendès France et Guy Mollet39. Né en 1900 à Nantes, il incarne la nouvelle génération du Parti radical et s’affirme comme l’un des ténors du régime dans les années 1950.
36Dans le Finistère, le radicalisme qui avait été puissant avant la guerre (deux députés en 1936, Victor Le Gorgeu, sénateur-maire de Brest, plus la présidence du conseil général) sort très affaibli en 1945, même si ses députés ont refusé les pleins pouvoirs à Pétain et participé à la Résistance et s’il conserve des maires et des élus locaux. Face à la poussée communiste et au maintien de la SFIO, il n’a plus de leader comme l’était Georges Le Bail. Son fils Albert Le Bail est bien réélu maire de Plozévet et conseiller général mais il ne peut pas revenir au Parlement40. Les radicaux-socialistes sont passés de 17 conseillers généraux en 1937 à 9 en 1945.
37Mais en 1947, bon nombre d’élus radicaux subissent eux aussi la très forte attraction du RPF, le Rassemblement gaulliste. Le 12 mai 1947, lors d’une réunion à Vannes, constatant des convergences programmatiques « sur le plan électoral, constitutionnel, économique et sur l’Union française », les responsables du Morbihan laissent « toute liberté [aux] adhérents d’entrer à titre individuel dans le RPF41 ». Victor Golvan, maire de Quiberon (octobre 1947), choisit cette voie et va devenir l’une des principales personnalités gaullistes du département. Dans le Finistère, Alain Le Louédec (UDSR) met aussitôt son journal, L’Écho breton, au service du RPF et le conseiller général radical de Fouesnant y adhère. Dans les Côtes-du-Nord, la fédération radicale-socialiste, présidée par André Cornu, résiste au RPF en 1947 mais ses élus municipaux y adhèrent au début de 1948 en prévision des élections sénatoriales42. Et lui-même accepte le parrainage du mouvement gaulliste à cette occasion.
L’UDSR plévéniste
38Alliée aux radicaux au sein du RGR, l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR), petit parti issu des mouvements de Résistance regroupés dans le MLN en 1945, est surtout l’affaire d’un homme, René Pleven, l’ancien Français libre et ministre des gouvernements du général de Gaulle (septembre 1944-janvier 1946), élu député des Côtes-du-Nord en 1945 et en novembre 194643. Président national de l’UDSR, René Pleven est aussi vice-président du RGR en 1948-1949. Mais, pour conforter son implantation dans les Côtes-du-Nord et éviter la déconvenue électorale de juin 1946, le député de Dinan s’emploie à développer sa fédération départementale en disposant d’un solide relais, son hebdomadaire, Le Petit Bleu des Côtes-du-Nord fondé le 27 mars 1946, en reprenant le titre du Petit Bleu de Dinan, lancé en 1903, auquel son oncle Charles Pleven avait collaboré au début du siècle. René Pleven est le directeur politique d’un journal dont il possède le capital (96 parts sur 100) qui tire en 1946-1947 entre 8 000 et 10 000 exemplaires mais qui a pu atteindre 12 000 à 15 000 lors de la campagne électorale de juin 1946. Sa diffusion moyenne est de 7 000 exemplaires par semaine en 1946 et 6 000 en 194744. En 1952, le tirage se stabilise à 15 000 exemplaires jusqu’en 1972. Durant 40 ans, René Pleven va signer la quasi-totalité des éditoriaux jusqu’au 18 janvier 1986 (no 2078). Le 30 août 1947 paraît le premier article en langue bretonne Korn ar brezoneg (le coin du breton) puis un supplément tout en breton Ar Glazik (Le Petit Bleu) voit le jour au début de 1952, pour quelques mois.
39Le nouvel hebdomadaire départemental se situe dans la lignée de la presse politique de la IIIe République dans la mesure où il appartient à un homme politique et sert d’abord sa carrière, même si dans son premier éditorial René Pleven précise que ce ne sera « l’organe ni d’un homme ni d’un parti ». Sa ligne de conduite sera « la sincérité », « l’objectivité » et le refus de « la propagande » pratiquée, selon lui, par les grands partis du tripartisme dont il se démarque. « Dans l’arc-en-ciel politique des Côtes-du-Nord », il s’agit « d’exprimer l’opinion des Bleus », c’est-à-dire des républicains laïques. De fait, au début le journal ouvre ses colonnes au Parti radical-socialiste – rapidement à son aile droite –, à l’UDSR et au Rassemblement des gauches républicaines (RGR)45. C’est le premier vecteur de l’implantation politique de René Pleven, parfait inconnu dans les Côtes-du-Nord en 1945.
40C’est un proche de Pleven et colistier d’octobre 1945 et de 1946, Yves Jézéquel, maire de Lézardrieux sous l’Occupation, réélu maire et conseiller général en 1945, conseiller de la République en 1948, qui a présidé le congrès départemental du MLN le 13 janvier 1946 conduisant au lancement de l’UDSR le 8 février46. Mais la fédération UDSR ne voit le jour qu’à l’automne de 1946 avec 150 à 200 adhérents. Pour l’heure, René Pleven doit encore s’allier au Parti radical-socialiste pour retrouver un siège de député en novembre 1946. Il est bientôt élu président national de l’UDSR lors du premier congrès de Paris (24-26 mai 1947) qui transforme la fédération de mouvements issus de la Résistance en parti politique classique. Et à ce titre, il va devoir gérer les tensions qui traversent la nouvelle formation (23 députés) composée d’individualités et d’un courant important dirigé par le gaulliste René Capitant au moment où le RPF déboule en force sur l’échiquier politique national. Or, passant à juste titre pour un fidèle du Général, René Pleven est d’abord considéré par les RG des Côtes-du-Nord comme « l’un des dirigeants du RPF » (7 novembre 1947) – ce qui n’est pas le cas –, puis comme « un sympathisant » (28 décembre). Favorable à la révision de la Constitution, il est alors, il est vrai, beaucoup plus proche de De Gaulle que de la Troisième Force.
41La fédération UDSR des Côtes-du-Nord tient désormais un congrès annuel. Au congrès du 11 avril 1948 elle revendique 505 adhérents, alors que les RG en estiment le nombre à 300, et 768 en mai 194947. Un nouveau comité directeur de 18 membres qui compte bon nombre d’élus locaux est élu, toujours présidé par Yves Jézéquel. L’opticien briochin Jacques Waron, candidat sur la liste du PRL en juin 1946, devient secrétaire fédéral. En 1949, selon Le Petit Bleu, elle a des sections dans 26 cantons sur 48, dans 37 en 1950, et ses cotisants auraient augmenté de 20 %. Les sections de Loudéac, Guingamp, Tréguier et Perros-Guirec sont assez nombreuses pour réunir des assemblées générales avant les congrès départementaux. Le retour au gouvernement à la fin de 1949 de son dirigeant, devenu aussi président du conseil général, va accroître son rayonnement et renforcer une force d’attraction sur les notables qui va culminer au début des années 1950. D’ailleurs, dès la fin de 1949 et en 1950, inversion des rapports de force, les RG signalent que désormais « le plévénisme » et l’UDSR attirent « de nombreux partisans du RPF » mais aussi des radicaux, des transfuges du MRP et « la masse influençable des indépendants ». Parti modéré et centriste, l’UDSR apparaît comme un parti d’avenir dans les Côtes-du-Nord.
La droite affaiblie mais restructurée
42À côté des républicains indépendants et divers droite, le Parti républicain de la liberté (PRL) s’efforce de rassembler les droites libérales et catholiques au sein d’une formation structurée à la Libération48. Elle compte encore de nombreux maires et conseillers généraux, surtout en Haute-Bretagne, et quelques personnalités surtout en Loire-Inférieure (trois députés en 1946). Au PRL, Jean Crouan a été brièvement réélu député dans le Finistère d’octobre 1945 à juin 1946. Raymond Marcellin s’est parachuté dans le Morbihan où il a été élu en novembre 1946 à la tête d’une liste de droite se disant gaulliste. Mais il se garde bien de rejoindre le RPF, contrairement à Jean Crouan qui y adhère en janvier 1948. Bon nombre de notables de droite suivent la même voie. Dans un département où les droites sont solidement enracinées, Raymond Marcellin s’est habilement placé à la charnière des modérés et du RPF. Le 25 avril 1946, à l’initiative d’Yves du Halgouët, propriétaire exploitant, conseiller général de Josselin (1945), un Parti paysan d’union sociale (PPUS) a été fondé à Vannes ; il a élu un comité directeur composé de délégués cantonaux mais, n’ayant pas reçu l’appui des notables ruraux, ce parti ne parvient pas à se développer car la concurrence est rude à droite.
43La situation est identique dans les Côtes-du-Nord où une fédération départementale du PPUS, présidée par le cultivateur Frédéric Le Coq de Plérin, a vu le jour en 1945 ; mais elle n’a guère eu d’activité jusqu’à un congrès tenu à Saint-Brieuc le 19 janvier 1950 sous la présidence du sénateur-maire de Loudéac Henri Cordier (RI-RPF)49. Ce parti, qui revendique deux conseillers généraux mais bien peu d’adhérents, réélit ses dirigeants sortants dont son président Frédéric Le Coq. Membre du conseil national du parti, Le Coq est considéré par les RG de tendance UDSR tout en étant vice-président du RPF. En novembre 1950, sous la présidence d’Henri Cordier, une centaine de personnes songe à mettre sur pied une antenne du Centre national des indépendants et paysans, le CNIP, en présence de membres du PRL50. Ce courant qui a des élus locaux, attiré d’abord par le RPF mais surtout par le plévénisme, a bien du mal à s’organiser de manière pérenne dans les Côtes-du-Nord.
44Avec le Morbihan, la Loire-Inférieure reste le principal bastion de la droite conservatrice, catholique et nationaliste, puisque prolongeant son enracinement d’avant-guerre (cinq députés en 1936) elle en conserve trois en 1945 en raison de leur activité résistante, ainsi que le contrôle du conseil général et de la grosse majorité des 220 municipalités51. Dès 1945, de manière informelle, ce bloc, qui rassemble les milieux d’affaires de la bourgeoisie nantaise et l’aristocratie terrienne qui contrôle encore le monde rural, a réactivé un Comité d’union nationale et républicaine (Comité d’UNR) qui ne se structure officiellement qu’en 1949. Ce comité s’appuie sur un quotidien, L’Avenir de l’Ouest, créé en 1944 et dirigé par le député Jacques Chombart de Lauwe. En 1946, le Comité d’UNR a rejoint en bloc le PRL et en a constitué la fédération départementale. Mais au niveau national, ce nouveau parti ne parvient pas à unifier les forces de droite largement discréditées par leur participation au pouvoir vichyste. Ainsi, si l’aile résistante de l’ancien Parti social français (PSF) du colonel de la Rocque rejoint bien le PRL, les flandinistes rescapés de l’Alliance républicaine démocratique (ARD) s’intègrent au RGR au printemps de 1946, tout comme les fidèles de La Rocque regroupés dans le Parti républicain et social de la réconciliation française (PRSRF), ce qui donne une coloration très droitière et anticommuniste à ce Regroupement des gauches républicaines (RGR) qui accueille aussi les radicaux-socialistes et l’UDSR. On ignore le nombre d’adhérents du PRL : les sources officielles de Loire-Inférieure, le département dans lequel il est puissant, se contentent de dire que « les effectifs [sont] importants mais [que] les adhérents ne sont soumis à aucun recensement52 ». En réalité, le PRL en Bretagne et surtout le Comité d’UNR-PRL de Loire-Inférieure sont une machine de guerre contre le MRP qui a progressé lors des consultations électorales du printemps de 1946 en captant une partie de leur électorat d’avant-guerre, ainsi qu’une importante fraction du nouvel électorat féminin. Lors du référendum constitutionnel d’octobre 1946, ils ont dénoncé les compromissions du MRP avec « les partis marxistes » car les partenaires du tripartisme appelaient à voter oui. Les statuts déposés le 23 avril 1949 après les élections cantonales précisent qu’il s’agit « d’harmoniser les différentes tendances antimarxistes du département dans le respect absolu de leurs diverses particularités ». Ce Comité d’UNR est alors présidé par l’industriel nantais Louis de Gibon. Son objectif est donc d’unir les différentes forces de droite contre leurs adversaires tout en préservant l’identité et l’organisation propre de chacune.
45C’est ce qui a été mis en œuvre aux élections législatives de novembre 1946 dans une liste d’union des droites associant le PRL, un parti paysan et l’Union gaulliste de René Capitant (30,3 % des suffrages exprimés) et leur a permis de reprendre des voix au MRP passé de 27,5 % en juin à 23,8 % en novembre. Un rapprochement des droites conservatrices avec le gaullisme politique était enclenché. À partir de 1947, le Comité d’UNR de Loire-Inférieure constitue un vivier dans lequel le RPF gaulliste peut puiser des adhérents et des élus. En effet, l’attraction RPF va paraître irrésistible pendant plusieurs mois.
Le surgissement et l’essor du RPF en Bretagne (1947-1950)
46Lancé en trois temps en mars et avril 1947 par le général de Gaulle53, le Rassemblement du peuple français (RPF) bouleverse la scène politique française. Après avoir quitté le pouvoir le 20 janvier 1946, le général de Gaulle, qui a condamné les projets de Constitution (discours de Bayeux le 16 juin, discours d’Épinal le 22 septembre) et a appelé à voter non le 13 octobre 1946, revient en force sur la scène politique au printemps de 1947. De par son passé résistant encore bien présent dans les mémoires et le poids considérable des anciens Français libres (FFL) notamment finistériens, la Bretagne est une région régulièrement visitée par le chef du RPF. Le 27 juillet 1947, il prononce un important discours à Rennes cherchant à unir « par-dessus les divisions et les partis » « tous les vrais français ». Il en profite pour se rendre sur le site du maquis de Saint-Marcel (Morbihan) et poser la première pierre d’un monument consacré aux combats de La Nouette. Le 15 juillet 1951, il viendra inaugurer le grand monument aux FFL de Camaret (Finistère). Il effectue aussi des voyages plus politiques en participant par exemple à la Journée du Rassemblement le 12 juin 1949 qui déplace 14 000 personnes à Quimper. L’homme du 18 juin joue sur les tableaux mémoriels dans un but partisan.
47Son mouvement, le RPF, qui aspire à rassembler l’ensemble des Français, sauf les collaborateurs de l’Occupation et les communistes, contre les institutions de la nouvelle République, présente la particularité d’autoriser la double appartenance, ce qui signifie que l’on peut rester membre de son parti d’origine tout en y adhérant. Cette originalité complique l’analyse des rapports de force car les étiquettes politiques des élus sont mouvantes, si bien qu’il est parfois difficile de distinguer les gaullistes, authentiques pourrait-on dire, des opportunistes séduits par une étiquette porteuse électoralement mais venant d’une autre famille politique. En effet, le RPF attire pendant un temps à droite (PRL, RI) et au centre (MRP, RGR radicaux et UDSR). En Bretagne, bon nombre de personnalités et de résistants répondent immédiatement à l’appel du général de Gaulle et forment des organisations départementales. Dans le Finistère, dès le 15 avril, Alain Le Louédec, conseiller général (UDSR) et ancien maire de Quimperlé (radical), résistant du réseau Johnny et déporté, deuxième sur la liste d’Union gaulliste de novembre 1946 (5,6 % des voix), fait figure de fondateur du RPF. Joseph Halléguen, Français libre dès juin 1940 et pilote de la RAF, commerçant en cuirs et peaux à Quimper, est nommé le 29 avril par la direction nationale secrétaire départemental provisoire54. Une permanence départementale est ouverte à Quimper suivie de bureaux dans les principales villes en mai. Dans le Morbihan, le 28 avril, c’est l’ancien chef départemental de l’Armée secrète et des FFI, Paul Chenailler dit le colonel Morice, directeur du journal La Liberté du Morbihan, qui occupe cette fonction55. Des présidents départementaux sont nommés : les résistants Antoine Vourc’h dans le Finistère, Andrée Récipon56 en Ille-et-Vilaine. Dans ce dernier département, un bulletin interne hebdomadaire, L’Étincelle, est lancé le 28 avril 1947, suivi du Rassemblement en février 1948 puis d’un organe départemental en 1951, L’Avenir de l’Ille-et-Vilaine57. Dans les Côtes-du-Nord, deux anciens résistants inconnus lancent le mouvement, le transporteur Guélorget, secrétaire départemental qui sera « démissionné » au printemps de 1950, et le colonel Raineval, responsable des anciens FFL. Comme partout, les associations d’anciens Français libres et résistants servent de viviers de recrutement au RPF, mais ce sont les milieux de droite qui constituent les principaux réservoirs d’adhérents.
48Des comités départementaux animent un mouvement qui attire des milliers d’adhérents en 1947 et 1948. Leurs membres sont élus par les compagnons. Dans le Morbihan, le radical Adrien Charrier, maire de Port-Louis en 1934, s’est engagé dans la marine de la France libre (FNFL) le 1er août 194058. Du fait de ses commandements, il ne se représente pas en 1945 mais son épouse est élue au conseil municipal de Port-Louis et au conseil général jusqu’en 1949. Des secrétariats administratifs sont organisés dans bon nombre de cantons. Dans les Côtes-du-Nord, le comité élu lors du premier congrès départemental le 22 mars 1948 et composé de sept militants, dont un transfuge du MRP et trois officiers supérieurs, est ancré à droite. Partout en Bretagne, à sa naissance, le RPF s’appuie dans un premier temps sur des résistants et résistantes reconnus avant d’attirer des notables et des élus, ce qui l’apparente alors à un parti de droite classique.
49En 1947 et 1948, les adhésions au RPF affluent, surtout dans le Finistère qui devient la 3e fédération de France après Paris et le Nord et le Morbihan, mais elles se tassent dès 1949 avant de refluer fortement en 1950 (voir le tableau VI). Huit fédérations dépassent en France les 10 000 adhérents, dont deux en Bretagne. Mais, comme pour tous les partis, les Renseignements généraux surestiment les effectifs réels.
Tableau VI. – Les adhérents du RPF en Bretagne de 1947 à 1955.

(1) Cartes vertes ; (2) Cartes blanches ; (3) Fichier RPF de 1954.
50Le RPF ne fait pas recette dans les Côtes-du-Nord : selon le préfet, il serait passé de « au plus 500 adhérents » en mai 1947 à un millier en fin d’année et de 1 500 à 6 500 en 1948, du fait de l’adhésion d’élus municipaux dans le sillage de notables centristes radicaux dont André Cornu. Des sources internes du RPF, le fichier dit des fiches vertes des anciens adhérents de 1947 à 1949 recense 2 243 cotisants en Ille-et-Vilaine, 4 175 dans le Côtes-du-Nord, 6 200 en Loire-Inférieure. Les chiffres les plus proches des estimations des RG se trouvent dans le Finistère, 11 135 et dans le Morbihan, 10 500. Ils représentent les deux tiers des 34 244 adhérents en Bretagne, 11,6 % du total national de 294 88559. Mais le déclin est déjà très marqué et en 1950, selon le « recensement du Général » du début de 1951 qui porte sur les anciens adhérents (fiches vertes) et ceux qui ont adhéré en 1950 (fiches blanches), il n’y aurait plus que 7 463 cotisants en Bretagne (5,6 %) sur 131 983 (chiffres incomplets). Les données s’échelonnent entre un millier dans les Côtes-du-Nord et en Loire-Atlantique, et 2 099 dans le Finistère qui a perdu les 4/5e de ses adhérents, plus encore dans le Morbihan. Dans les Côtes-du-Nord, les bastions briochins et de Perros-Guirec ont perdu entre les deux tiers et la moitié des adhérents de 1948 (430/142 et 264/105). Au moment où le colonel Rémy fait une tournée de conférences dans lesquelles il attaque durement René Pleven, les RG des Côtes-du-Nord notent le 1er février 1950 : « La cote du RPF paraît fortement en baisse. Des élus essaient de faire oublier son patronage. » L’implantation géographique et le nombre d’adhérents mettent en valeur les continuités fortes entre le RPF et le PSF, le parti du colonel de la Rocque, ou le dorgérisme d’avant-guerre. Le PSF comptait déjà 12 000 adhérents dans le Finistère60. Le RPF finistérien paraît se couler dans le sillon ouvert par le PSF. À travers les cultures politiques et les hommes, la filiation avec le dorgérisme des années 1930 est marquée dans le Morbihan comme le montre l’adhésion de notables de la droite conservatrice, voire extrême61. A contrario, ni le PSF ni le dorgérisme n’étaient implantés dans les Côtes-du-Nord où l’essor du RPF est quelque peu bloqué par le rapport ambigu de René Pleven au Rassemblement dans les premiers temps, puis par son opposition à partir de 1949.
51Le passé résistant, l’attachement au catholicisme, un nationalisme atténué doublé d’un solide anticommunisme ainsi que la double appartenance expliquent cet engouement des Bretons pour le RPF. Un peu particulière par rapport à un recrutement essentiellement urbain, la sociologie des adhérents du RPF du Morbihan montre en mai 1948 la forte présence des agriculteurs (54,9 %), 19,5 % dans les Côtes-du-Nord, contre une moyenne nationale de 4 %, suivie des commerçants et des professions libérales. Une grande partie des cadres des structures départementales sont des « hommes neufs », sans passé partisan connu, comme c’est le cas des 95 personnes identifiées dans le Morbihan. Sur les 23 membres du bureau, trois sont élus entre 1947 et 1949. Mais ils appartiennent aux élites sociales, 57,1 % aux professions libérales, industriels et entrepreneurs. En revanche, les ouvriers et employés sont peu représentés (4,3 %). Il est vrai que face au PCF et à la CGT, l’Action ouvrière (AO) gaulliste a bien du mal à exister : 181 ouvriers en décembre 1948, dont 30 à l’Arsenal de Lorient ; les 80 employés inclus travaillent dans la police, donc sont plutôt des fonctionnaires. La sociologie des élus municipaux reflète la composition sociale des adhérents : 51,8 % de cultivateurs, 21,2 % de professions libérales, 20 % de commerçants et artisans.
52Les tensions latentes dans les municipalités d’union de la Résistance élues au printemps de 1945 éclatent quand le RPF prend son envol. À Rennes, une grave crise secoue la municipalité d’Yves Milon à propos de l’accueil officiel du général de Gaulle le 27 juillet62. Le 10 juillet, le Comité de vigilance pour la défense de la République composé des partis de gauche (PCF, SFIO, JS, CGT, UFF) demande au maire, ancien résistant et gaulliste, de ne pas mettre la place du Champ-de-Mars à la disposition d’un « rassemblement factieux ». Désavoué63, Yves Milon démissionne suivi de onze élus acceptant toutefois de rester provisoirement en poste64. Le meeting aura lieu dans une propriété privée. De Gaulle y dénonce violemment le PCF, parti assimilé aux « séparatistes », ce qui n’est pas anodin en Bretagne où la mémoire des nationalistes et collaborationnistes bretons du PNB est très vive. Six mois après le coup de Prague, il agite la menace soviétique précisant que l’Armée rouge stationne à « à peine la longueur de deux étapes du tour de France cycliste ».
Le service d’ordre du RPF
53Dans sa volonté de ne pas abandonner le terrain aux communistes, le RPF se dote d’un service d’ordre musclé dès 1947 qui se structure en 1948. Les « prétoriens du Général » se mettent en place parallèlement au Rassemblement gaulliste avec pour mission d’assurer la sécurité des déplacements de leur chef et des orateurs du parti, quitte à faire le coup de poing contre les communistes à Paris, dans les banlieues rouges et dans tout le pays65. Au niveau national, ce service d’ordre (SO) est dirigé au début de 1948 par l’ancien résistant vannetais Gilbert Renault, plus connu sous le nom de colonel Rémy, l’ancien chef du réseau de renseignement gaulliste la Confrérie Notre-Dame (CND), assisté de Dominique Ponchardier. De nombreux anciens résistants, de l’intérieur ou des FFL, animés d’un solide anticommunisme, se retrouvent dans ce SO. À la suite de graves incidents survenus à Grenoble le 18 septembre 1948 (un militant communiste tué, de nombreux blessés), Rémy est évincé et un nouveau tandem remplace les deux responsables66. Organisé sur un modèle militaire, le SO du RPF passe de 10 000 hommes en 1948 à 15 000 en 1949, et compte encore 10 000 membres en 1952 alors que le parti est en crise.
54Les fédérations de Bretagne se dotent de ce service d’ordre en s’appuyant dans un premier temps sur des noyaux militants anticommunistes, pas toujours gaullistes, des groupes d’autodéfense (AD) clandestins chargés de s’opposer à une éventuelle prise du pouvoir par le PCF. Dans le Finistère, c’est l’officier de marine André Astoux, ancien résistant dans l’Oise puis de la 2e DB, instructeur à l’École navale à Brest de 1945 à 1947, qui dirige l’AD qui s’est même dotée d’un poste émetteur clandestin. En 1947, ayant quitté la marine, il devient le délégué départemental puis régional du RPF. Dans les Côtes-du-Nord, l’ancien chef de l’Armée secrète au printemps de 1944 Mathurin Branchoux anime l’AD, mais les cadres du RPF ne le jugent pas assez sûr pour diriger un SO réduit de fait à son seul responsable considéré comme « trop mou ». À la fin de 1948, ces AD auraient 150 hommes dans le Finistère, 70 en Ille-et-Vilaine, 100 dans le Morbihan, sur un total recensé par le RPF de 8 250 hommes répartis dans 54 départements67. Quand, après Rémy, le colonel Carré prend la tête du SO national, il exige l’intégration des AD dans le SO afin d’éviter que le RPF soit assimilé à un mouvement putschiste, « factieux » selon les dénonciations de la gauche, et antirépublicain, car l’AD était une sorte de milice parallèle au SO plus ou moins clandestine. De nombreux militaires de carrière ou de réserve dirigent ces SO départementaux qui ne semblent guère efficaces sur le terrain68. En février 1949, le délégué régional Bretagne-Normandie Jacques Bruneau dresse un constat de carence du SO du RPF dans l’Ouest, notamment dans le Finistère lors d’une conférence de Louis Vallon. Selon lui, il est inexistant dans les Côtes-du-Nord et « minable » en Loire-Inférieure où il est constitué de jeunes gens du Rassemblement de la jeunesse française (RJF), les cadets du RPF. Il est vrai que les meetings gaullistes sont plutôt calmes dans la région, sauf à Quimper au printemps de 1948 où une équipe volante du RPF est intervenue, signe que le SO local n’était pas suffisant.
Divisions et tensions au sein du RPF : un mouvement confronté aux ambitions des notables
55Dès 1948, divisions et crises internes secouent localement le RPF, un mouvement hétérogène politiquement, soit pour en assurer la direction, soit sur la stratégie politique à suivre notamment à l’approche des élections législatives de 1951. D’abord, malgré les succès électoraux et en dépit de l’afflux d’adhérents, il ne faudrait pas surestimer l’activité militante sur le terrain car dans ce parti les cadres manquent. Dans un rapport du 24 mars 1949, en pleine apogée du RPF, le délégué régional Jacques Bruneau indique qu’il n’y a « aucune implantation valable » dans les Côtes-du-Nord et le Morbihan, départements où « les troupes existent et n’ont pu être organisées jusqu’ici par suite de la carence totale des cadres69 ». C’est sans doute à la suite de ces virulentes critiques que le délégué départemental du Morbihan Chenailler démissionne le 14 avril. Il est remplacé par Georges Gougaud, ancien sous-officier de carrière, chef FFI. Dès lors, le maillage local se développe : en 1952, le RPF a 36 délégués cantonaux pour 38 cantons et 66 délégués communaux sur 262 communes, même s’il a traversé une grave crise interne en 1951.
56En Loire-Atlantique, en 1948 deux dirigeants nantais s’affrontent pour le contrôle du mouvement reflétant l’opposition entre une aile laïque et centriste proche de l’UDSR dirigée par le Dr Meeus, ancien résistant du réseau de renseignement CND Castille, et une tendance conservatrice incarnée par Henry Rey, patron d’une entreprise de transport routier et adjoint au maire de Nantes qui prône une alliance avec la droite PRL70. Pourtant l’un et l’autre viennent du Parti social français du colonel de la Rocque. Le Dr Meeus adresse un rapport à Jacques Soustelle rue de Solférino qui met fortement en cause son concurrent tant sur le plan politique que moral. La direction diligente à la mi-janvier 1949 une enquête menée par deux responsables du service d’ordre : Jean Laboureau de la direction et Robert Perreau d’Angers. Dénonçant « les plus basses calomnies », ils disculpent Henry Rey qui fera une belle carrière dans les partis gaullistes et proposent l’exclusion du Dr Meeus. Luttes de pouvoir et coups bas montrent que, par-delà ses discours, le RPF fonctionne comme tous les partis politiques traditionnels
57Dans le Finistère, en dépit de la force apparente, dissensions et rivalités entre les personnalités de droite minent aussi le Rassemblement, provoquant des crises successives71. Le délégué départemental Joseph Halléguen est souvent mis en cause. La première crise intervient au congrès départemental du Finistère Nord le 22 mai 1949 quand le jeune avocat brestois Me Lombard, venant de l’UDSR, et le Dr Coquelin veulent faire voter le remplacement d’Halléguen considéré comme trop autoritaire, sans y parvenir72. Six membres du comité départemental démissionnent. Après arbitrage du général de Gaulle, les deux contestataires sont exclus, entraînant avec eux des militants brestois et morlaisiens, ainsi que des responsables cantonaux. La classique rivalité Finistère Nord/Finistère Sud rejoue dans le RPF. Ces dissidents font campagne dans les instances nationales contre les dirigeants Jacques Soustelle et Jacques Baumel. C’est aussi l’affrontement de deux légitimités entre un délégué nommé par la direction nationale et un président départemental élu, ce qui ne plaît guère aux notables de droite jaloux de leur indépendance. Finalement, en février 1950, Halléguen est remplacé par le délégué à la propagande Charles Le Bihan. Mais la situation a été clarifiée avant les élections législatives.
58En 1950-1951, dans les Côtes-du-Nord les difficultés transparaissent dans la valse des responsables nommés par Paris : le président départemental Guélorget est remplacé par deux inconnus eux-mêmes bientôt évincés par Raymond Réthoré, un radical, ancien député de Charente qui souhaite retrouver un siège. En pleine guerre scolaire, la direction nationale hésite entre un défenseur de l’école libre et un partisan de l’école laïque. En septembre 1950, une crise au conseil général isole encore plus les élus RPF des Côtes-du-Nord. Auparavant, le RPF a remporté des succès électoraux non négligeables en Bretagne aux élections municipales, sénatoriales et départementales.
Les élections municipales d’octobre 1947 : victoire des droites, relative poussée du RPF
59Deux ans après la relative unanimité résistante de la Libération, les élections municipales des 19 et 26 octobre 1947, à la proportionnelle, se déroulent dans un climat politique très tendu et une situation économique dégradée. Trois ans après la libération de la région, le rationnement notamment du pain est renforcé à la suite de mauvaises récoltes et pour les citadins même le beurre manque comme sous l’Occupation. Le mécontentement social s’exprime par des manifestations de sinistrés dans les ports (Brest, Lorient, Saint-Nazaire, Saint-Malo) et les villes (Nantes, Rennes) lourdement bombardées ; des défilés de ménagères dénoncent les pénuries. Depuis son renvoi du gouvernement, le PCF appuie les mobilisations de la CGT. Les partis de gouvernement dont le MRP et la SFIO sont la cible des attaques communistes mais aussi du RPF en plein essor.
60Dans les villes de plus de 9 000 habitants, une vingtaine en Bretagne, le scrutin de liste est en vigueur. Selon les consignes du général de Gaulle, le RPF doit se présenter seul mais des alliances avec d’autres partis ont été conclues dans six cas et, à Saint-Malo, le mouvement soutient la liste d’union de l’ancien député et ministre de la IIIe République Guy La Chambre, un indépendant de droite qui reprend sa carrière politique interrompue par la guerre73. Dans les sept villes du Finistère, les tentatives d’accord avec le MRP ont échoué, sauf à Morlaix où le Dr Jean Le Duc (RPF), résistant gaulliste et ancien député MRP de juin 1946, s’est entendu avec ses anciens camarades et le RGR pour prendre la ville au socialiste Hippolyte Masson. Le nouveau parti gagne 52 préfectures en France. Il obtient huit maires dans les grandes villes de Bretagne (Rennes, Nantes) dont quatre dans le Finistère (Brest, Quimper, Quimperlé, Morlaix). Nantes (21 RPF sur 37 dont de nombreux UNR-PRL) élit Henry Orrion, l’ancien président de la délégation spéciale nommé par Vichy à la fin de 1942 qui avait dû faire face aux terribles bombardements de 1943 et a adhéré au RPF. La crise municipale de l’été de 1947 est soldée par les électeurs à Rennes où quatre listes s’affrontent. Le maire sortant Yves Milon conduit une liste de « concentration républicaine pour le RPF » avec des radicaux-socialistes qui attaque les « trois partis totalitaires » du tripartisme, plaçant donc leurs concurrents du centre droit MRP dans le même panier que les deux listes « marxistes74 ». La liste Milon (43 % des voix) gagne la partie obtenant 16 sièges sur 37 devant le PCF 8, le MRP 7 et la SFIO 6. Il est réélu maire avec l’appui du MRP contre la gauche.
61Des hommes nouveaux s’imposent : les RPF Alfred Chupin à Brest et Joseph Halléguen à Quimper. À Brest, la liste Chupin obtient 37 % des voix (14 élus), le MRP 18 % seulement (sept), le PCF 29 % (onze), la SFIO 13 % (cinq) et les radicaux qui dirigeaient la municipalité avant-guerre 2 %. Le leader du MRP Yves Jaouen refuse de soutenir l’élection du maire RPF mais trois élus de son parti s’y rallient. À Quimper, des négociations pour une liste commune MRP-RPF dirigée par le maire sortant MRP Yves Wohlfarth ont échoué à l’automne de 1947 contrairement à Morlaix75. Le RPF arrive en tête (10 élus, 36 % des voix) devant le MRP (25 %, 7 élus), le PCF et la SFIO. Un accord avec la SFIO s’avérant impossible, le MRP est condamné à soutenir le gaulliste. À l’inverse, à Landerneau, c’est l’appui du RPF à un proche du MRP qui lui permet de prendre la ville à Jean-Louis Rolland, le maire socialiste sortant et ancien député. Alain Le Louédec (UDSR-RPF) récupère son fauteuil d’avant-guerre à Quimperlé. À Vannes, le maire sortant Francis Decker, MRP en 1945, est réélu avec l’étiquette du RPF sur une liste regroupant MRP et indépendants de droite, tandis qu’à Redon le général Émile Le Brigant, un nouveau venu, l’emporte sous les mêmes couleurs. À Vitré, Marcel Rupied (PRL-RPF) fait l’alliance des droites76.
62La gauche conserve plusieurs villes, dont Saint-Brieuc, Lorient, Saint-Nazaire, Douarnenez, grâce à des alliances qui excluent en général le PCF mais pas toujours. À Saint-Brieuc, Jean Nicolas, socialiste indépendant barre la route au RPF (11 élus) avec les voix de la SFIO (cinq), du MRP (six), mais aussi du PCF (neuf)77. Lorient est gardée par le socialiste Julien Le Pan (12 élus) grâce à l’appui des modérés (7 élus), y compris du RPF, contre les 12 communistes. À Douarnenez, communistes et socialistes (12 et 2 élus) sont condamnés à s’entendre pour conserver le port contre le MRP (12 et un RPF). Mais l’accord ne fonctionne pas à Concarneau où les tensions sont très fortes entre les partis de gauche : le socialiste Le Dervouet est élu maire avec les voix du MRP (10 + 6) contre le maire communiste sortant Robert Jean (11 élus). Des configurations de Troisième Force contre le PCF l’emportent comme à Pont-l’Abbé.
63La poussée gaulliste est forte, ce qui contribue à un important renouvellement des maires, toutefois moindre qu’en 1945. Dans le Morbihan, ce taux est de 36,2 %, dans les Côtes-du-Nord de 33,3 %, de 31 % dans l’arrondissement de Châteaulin. Avec la guerre froide, les accords des forces de la Résistance de 1945 ont volé en éclats : à droite, le RPF s’oppose au MRP et surtout au PCF, et attire bon nombre d’indépendants (PRL, RI) et de radicaux ; à gauche, plusieurs socialistes et communistes qui géraient en commun des municipalités sont à couteaux tirés78. La SFIO profite de cette situation d’autant plus que le PCF a souvent interdit les listes d’alliance à gauche au premier tour, même si des accords ont pu être conclus localement entre les deux tours (Trégor, Centre-Bretagne). A posteriori, les RG du Finistère insistent sur cette « double lutte », précisant : « Le sectarisme et l’intransigeance du PCF et du RPF ont fait de ces élections municipales des élections purement politiques […]. La violence de la campagne électorale développée par ces mouvements a contribué d’autre part à cristalliser de plus en plus les blocs communiste et anticommuniste79. » Ce climat est surtout marqué dans les villes.
64Le RPF devient la première force municipale du Morbihan (75 maires, 28,6 % et 1 038 conseillers, 27 %) devant la droite traditionnelle (69 maires en incluant les républicains de gauche, 823 conseillers, 21,4 %) et le MRP. Dans le Vannetais, les cantons conservateurs et URD d’avant-guerre et de 1945 votent massivement pour le RPF80. Le bloc des droites représente 72,3 % des élus municipaux et il faudrait sans doute y ajouter une proportion non négligeable, dans la région de Lorient, de radicaux (12 % du total des conseillers) qui ont rejoint le RPF. Dans ce département solidement ancré à droite, le RPF a attiré des élus venus de ces familles politiques alors que le MRP a paradoxalement bien résisté en ayant le même nombre de maires en 1947 qu’en 1945 (cinquante, 19,2 %). En réalité, de nombreux maires étiquetés MRP à la Libération viennent de la droite conservatrice et ont une culture politique qui correspond à leur électorat. Certains se sont refait une virginité politique en 1945 en adhérant à un parti résistant. En 1947, d’ex-MRP vont au RPF, d’autres chez les indépendants81. Mais l’appui d’une fraction du clergé et des listes d’alliance avec le RPF expliquent cette bonne résistance des démocrates-chrétiens morbihannais. Comme dans le Finistère, les radicaux sont les grands perdants du surgissement du RPF : dans le Morbihan, ils passent de 57 maires à la Libération à 28 sur 262.
65Dans les villes des Côtes-du-Nord, des maires sortants comme Henri Cordier (ex-MRP) à Loudéac et André Aubert à Dinan (RI) ont pris l’étiquette gaulliste, de même que la municipalité radicale de Lannion82. À Guingamp, c’est une alliance RGR-droite-RPF dirigée par le négociant Henri Kerfant (UDSR), en fonction pendant la guerre, qui prend la ville à la gauche. Le RPF ne parvient pas à percer dans ce département le plus ancré à gauche de Bretagne car il n’obtient que 14 maires sur 391 (3,6 %), dont les petites villes de Perros-Guirec et Saint-Quay-Portrieux, et 285 conseillers municipaux (5,3 %)83. Le bloc centriste laïque radicaux-socialistes (440 sièges), RGR-UDSR (36 élus, 0,7 %), socialistes indépendants détient 1 303 conseillers municipaux (23,8 %), à peu près autant que la SFIO qui résiste bien : 73 maires et 25,1 % des élus (moins 3,1 %). En Ille-et-Vilaine et en Loire-Inférieure, dans les petites communes, une partie des élus de droite vont au RPF84. L’électorat les suit.
66Le MRP est le parti qui avait le plus à perdre avec la poussée gaulliste. Dans le Finistère, en raison du repositionnement d’élus modérés, il était passé de 79 maires en 1945 à 118 en 1947 (40 %) sur 297 communes et plus de 2 000 conseillers municipaux, du quart aux deux cinquièmes85. En octobre 1947, il en perd 22 tombant à 96 (32,6 %), car de nombreux sortants, dans le Léon en particulier, l’ont abandonné pour le RPF. La défense agressive de l’école privée fait basculer une partie de l’électorat de droite dans le giron gaulliste. Le RPF obtient 60 maires (20,4 %), prenant 36 municipalités au MRP, surtout dans le nord du Finistère où ce parti perd la moitié de ses conseillers municipaux. Cinquante-deux étaient détenues par le MRP ou le PRL86. Il gagne donc du terrain à droite, sur le PRL passé de 29 à 12 maires, et au centre gauche les radicaux-socialistes sont réduits de 39 maires en 1945 à 28 (voir le tableau VII)87.
Tableau VII. – La répartition des maires du Finistère avant et après les élections municipales d’octobre 1947.

67Comme le Vannetais et les campagnes blanches de Loire-Inférieure, le Léon reste le bastion des droites : sur 82 maires, le RPF en a 39, le MRP 26, le PRL six face à quatre RGR et sept socialistes, le PCF ayant perdu sa seule mairie du Relecq-Kerhuon. Toutefois, le MRP reste la première force municipale finistérienne (33,9 %) devant la SFIO (23,9 %) et le RPF (20,1 %, 965 conseillers municipaux dont 69,1 % dans l’arrondissement de Brest). C’est aussi le cas dans les communes de plus de 2 500 habitants d’Ille-et-Vilaine où le MRP recueille 267 sièges (45 %) sur 594, devant les radicaux et le RPF (59 et 57 conseillers). L’industriel de la chaussure Hippolyte Réhault conserve Fougères. Les résultats du MRP sont stables dans les Côtes-du-Nord (65 maires, 16,3 %, et 21,9 % des élus) et le Morbihan (50 maires comme en 1945, 19 %, et 911 conseillers municipaux, 23,7 %). Les coalitions RGR (en progrès)-MRP avec la droite et le RPF concernent 45 mairies des Côtes-du-Nord (11,3 %) où la droite modérée en administre 6,4 %. Les campagnes et les petites cités résistent mieux à la percée gaulliste que les grandes villes.
68Dans l’arrondissement de Quimper, près d’une municipalité sur deux change de majorité : le RPF engrange 28 mairies sur 88 alors que le MRP en perd 11, passant de 27 à 16. Le transfert de l’un à l’autre est évident car souvent ce sont les mêmes hommes qui ont changé d’étiquette. Le PRL est rayé de la carte au profit du RPF. À gauche, le PCF tombe à 12 maires (moins cinq) dans cet arrondissement qui était sa zone de force88. La SFIO résiste bien (20 municipalités, moins une) et progresse même dans l’arrondissement de Châteaulin, de 16 à 22 maires (35 % des 63 maires) en intégrant des radicaux-socialistes de 1945, alors que le PCF se maintient (7 maires, moins un)89. De fait, la gauche se renforce en centre Finistère et reste même majoritaire en nombre de conseillers municipaux (50,2 % dont 36,2 % pour la SFIO et 14 % pour le PCF), plus quelques radicaux-socialistes n’ayant pas adhéré au RPF. Le RPF n’a que sept édiles (88 conseillers municipaux) et le MRP huit mais 245 conseillers. La SFIO conserve une vingtaine de municipalités dans son bastion du Trégor (cantons de Lanmeur et de Plouigneau), le fief de Tanguy Prigent, le ministre de l’Agriculture depuis trois ans. Le renvoi le 22 octobre 1947 de deux ministres socialistes, Tanguy Prigent et André Philip, entre les deux tours des municipales pour limiter la casse électorale de sa majorité par le président du Conseil Paul Ramadier ne semble pas avoir eu d’incidences électorales90. Au final, dans le Finistère le Parti socialiste passe de 70 à 72 maires (24,5 %) et 1 142 élus (plus 7,7 %), mais il n’en a que sept dans l’arrondissement de Brest, ce qui en fait la deuxième force politique derrière le MRP. Pourtant, la SFIO a perdu des villes (Morlaix, Landerneau, Quimperlé, Carhaix), tout en conservant Châteaulin91. Les gains se sont en partie faits au détriment du PCF (six communes) qui a perdu onze municipalités. La SFIO a recueilli un électorat laïque anticommuniste et pris la tête contre le PCF de municipalités de Troisième Force avec l’appui du MRP, voire de la droite, à Concarneau, Pont-l’Abbé et Bannalec, des alliances difficilement acceptées par une partie de la base militante socialiste et laïque.
69La gauche laïque résiste aussi dans les Côtes-du-Nord, surtout dans la partie bretonnante et dans l’arrondissement de Guingamp où elle est majoritaire. Si le PCF se tasse par rapport à 1945, il garde 29 maires (moins un, 7,4 % du total et 11,6 % des élus), la SFIO conserve 73 mairies (18,7 %) et participe à 72 autres avec le PCF (5,8 %) et les radicaux-socialistes (12,5 %), ce qui montre que la guerre froide n’a pas encore trop divisé les gauches sur le terrain. Les socialistes perdent sept communes, dont Lamballe au profit de l’UDSR Gombault, mais la SFIO reste la première force municipale (25,1 % des élus, moins 3,1 %). Ils contrôlent de fait 37,1 % des communes. Depuis 1945, la SFIO a progressé dans l’arrondissement de Guingamp (31,7 % des élus) qui reste ancré à gauche (54,4 %) avec le PCF (17,7 %) et une partie des radicaux-socialistes en dépit d’un recul de 8 %. Au total, les gauches conservent 44,4 % des mairies des Côtes-du-Nord, en n’y incluant pas le RGR (17,6 %).
70Dans le Morbihan, en attirant des radicaux-socialistes, la SFIO est passée de 18 maires en 1945 à 27 en 1947 alors que le PCF perd un maire, n’en conservant que quatre dont la ville de Lanester. La SFIO n’obtient que 11,5 % des conseillers municipaux, le PCF 4,3 %. La gauche pèse bien peu, d’autant plus qu’une grande partie des radicaux ont sans doute adhéré au RPF à l’instar de Victor Golvan, élu maire de Quiberon.
71Le paysage politique breton paraît bouleversé en 1947 par la percée municipale du RPF et la victoire dans plusieurs villes, mais les rapports gauche/droite ne le sont pas tant que cela, même si les gauches divisées reculent. La redistribution des sièges et des voix s’opère au sein du camp des droites au détriment du MRP et du RGR, et freine la reconquête de la droite classique et libérale. Le changement est plus limité qu’il n’y paraît car souvent ce sont les mêmes hommes qui ont abandonné l’étiquette qui leur était attribuée par les préfectures en 1945 (PRL, RI, rép. de gauche, rad.) pour le RPF. En 1953, beaucoup vont revenir à leur positionnement initial. Cette percée gaulliste se poursuit-elle en 1948 (sénatoriales) et 1949 (cantonales) ?
Les sénatoriales de 1948 : l’hégémonie des droites et du centre droit
72Dans 79 départements, on revient au mode de désignation majoritaire de la IIIe République, une élection par les élus locaux92. Les conseillers de la République retrouvent d’ailleurs leur titre de sénateurs le 16 décembre 1948. La situation de décembre 1946 qui avait permis aux grands partis d’être représentés est chamboulée le 7 novembre 1948 : 209 sortants se représentent mais 111 seulement sont réélus à la seconde chambre aux pouvoirs très réduits93. En France, réduit à 22 membres, le MRP perd 32 sortants, la SFIO qui en avait 62 en perd 15, le PCF ne garde que 17 sénateurs (45 pertes).
73En Bretagne, la représentation sénatoriale est largement renouvelée et la gauche quasiment éliminée en 1948. Le PCF perd ses trois sièges de 1946 et la SFIO ne conserve qu’un seul sénateur sur les dix-sept élus en Bretagne, le sortant Hippolyte Masson, son ancien député de 1919 à 1936 dans le Finistère. Dans ce département, le MRP brestois Yves Jaouen, président du conseil général, est réélu94. Conséquence des municipales, la concurrence du RPF est forte : le MRP passe de 53 % des grands électeurs en 1946 à 16 % en 1948. En effet, l’autre sortant MRP Antoine Vourc’h a été réélu avec le vétérinaire Joseph Pinvidic, maire et conseiller général indépendant de droite de Landivisiau, sous les couleurs du RPF (42 % des voix). De fait, indépendants de droite se réclamant du RPF et partisans du RPF se partagent les quinze autres sièges de Bretagne en y incluant les trois centristes : Pierre Fleury (radical socialiste-RPF) en Loire-Inférieure et deux des trois sénateurs des Côtes-du-Nord. La liste soutenue par René Pleven est conduite par le radical-RGR André Cornu, ancien président du conseil général et ancien député, et compte l’UDSR Yves Jézéquel95. La rivalité entre notables se réclamant du RPF est parfois forte : en Ille-et-Vilaine, deux listes s’affrontent au premier tour, celle d’Yves Estève présentée par le comité départemental et celle soutenue par Andrée Récipon, la fondatrice du mouvement. La négociation menée par le délégué national aboutit à une fusion au sein de la liste des « notaires » qui l’emporte contre l’avis du bureau départemental du RPF qui voulait en écarter l’ancien vichyste Marcel Rupied96.
74En Loire-Inférieure, la liste des droites « d’union pour le Rassemblement du peuple français » enlève les quatre sièges mais deux élus seulement s’inscrivent au groupe gaulliste (Pierre Fleury, conseil général radical, et Michel Dubreil de Pontbriand, conseiller général PRL), les deux autres PRL allant au groupe des RI (Abel Durand et René Dubois). Les grands notables ruraux de droite du Morbihan (RI) consolident leur ancrage sous l’aile du RPF qui n’hésite pas à présenter deux candidats qui ont été vichystes et responsables de la Corporation paysanne97. Jean de Gouyon, officier de marine, a succédé à son père, ancien député, comme maire de Cournon (1929) et conseiller général de La Gacilly (1945) après avoir siégé au conseil départemental de Vichy (1943-1944). Louis Le Léannec, président de la CGA-FDSEA et de la chambre d’agriculture, est l’ancien dirigeant de la Corporation paysanne de Vichy, nommé par le régime à la commission administrative (1941), au conseil départemental puis au Conseil national en 194398. Le RPF gaulliste ne s’embarrasse guère de soutenir des personnalités au passé pétainiste. Le troisième conseiller de la République est le sortant de droite Auguste Le Goff, candidat isolé. Mais son décès permet l’élection en 1949 de son héritier politique Joseph Le Digabel, le maire de Theix, qui s’inscrit au RPF.
75Le reclassement politique des droites sous l’égide du RPF et contre le MRP se poursuit en Bretagne. Au moins une douzaine de conseillers de la République affichent l’étiquette du RPF, mais seulement cinq s’inscrivent au groupe d’Action démocratique et républicaine gaulliste (56 membres)99. Sept appartiennent au groupe des Républicains indépendants (RI), dont Abel Durand et Marcel Rupied, les présidents des conseils généraux de Loire-Inférieure et d’Ille-et-Vilaine. Parmi eux, le député PRL depuis juin 1946 René Dubois, maire et conseiller général de La Baule, a préféré rejoindre le Conseil de la République100. En janvier 1949, l’intergroupe RPF (79 membres) présente en vain André Cornu à la présidence du Conseil de la République contre Gaston Monnerville (radical).
⁂
76La IVe République à peine installée au début de 1947, le paysage politique mis en place à la Libération en Bretagne, appuyé sur le tripartisme et la domination du MRP, est bousculé par la rupture de l’accord gouvernemental en mai 1947 puis l’entrée en guerre froide. À l’automne, le PCF bascule dans une opposition frontale tandis que le RPF gaulliste s’engouffre dans la brèche lors des élections municipales en attirant à lui toutes les droites et une partie des radicaux qui ont déjà évolué à droite dans le cadre du RGR. Pour contrer les deux forces hostiles au régime républicain, les socialistes n’ont d’autre choix que d’entrer dans des coalitions de Troisième Force. Les élections cantonales de mars 1949 vont confirmer les évolutions politiques et la poussée des droites dans le pays et dans la région, ainsi que les repositionnements en cours.
Notes de bas de page
1 Pour une analyse précise des enjeux politiques de la Libération en Bretagne, voir Bougeard Christian, Les forces politiques en Bretagne. Notables, élus et militants (1914-1946), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, chap. vii, p. 253-305.
2 Sources : Pascal Jean, Les députés bretons de 1789 à 1983, Paris, Presses universitaires de France, 1983, p. 546 ; Sainclivier Jacqueline, L’Ille-et-Vilaine, 1918-1958, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1996, p. 301.
3 Sources : 1945-1946, chiffres officiels du PCF ; 1947-1951, estimations des Renseignements généraux. Pour la France, Buton Philippe, « Les effectifs du PCF (1920-1984) », Communisme, no 7, 1985.
4 Chiffres de l’historien Antoine Prost d’après les sources centrales de la CGT qui donne 3 775 030 adhérents en France. Dans le Finistère, la CGT a 31 297 adhérents mais elle en revendique 51 000.
5 Bougeard Christian, Les forces politiques en Bretagne, op. cit., p. 266 et 288.
6 Mencherini Robert, Guerre froide, grèves rouges. Les grèves « insurrectionnelles » de 1947-1948, Paris, Syllepse, 1998.
7 Voir les rapports des préfets et des Renseignements généraux dans les archives départementales.
8 Picard Isabelle, Le PCF à Brest de la Libération à la fin de IVe République (1944-1958), maîtrise d’histoire, Brest, UBO, 1989, p. 74-77.
9 Notice « Marie Lambert » de Christian Bougeard, Le Maitron en ligne.
10 Notice « Gilles Gravoille » de Paul Boulland, ibid.
11 Archives départementales d’Ille-et-Vilaine (ADIV). 508 W 106. PCF.
12 Bougeard Christian, Tanguy Prigent, paysan ministre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 229-232.
13 Voir le chapitre suivant.
14 Thouroude Jacques, Ouest-Matin : un quotidien breton dans la guerre froide (1948-1956), Rennes, Apogée, 2006. Signe de l’affaiblissement du PCF, le tirage passe de 50 000 exemplaires en 1950 à 30 000 en 1952 et 20 000 en 1956 lors de sa disparition.
15 Tranvouez Yvon, Catholiques et communistes. La crise du progressisme chrétien, Paris, Éditions du Cerf, 2000 et « Chrétiens progressistes en Bretagne (1945-1955) », in Georges Provost (dir.), Bretagne et religion, vol. 3, Vannes, Institut culturel de Bretagne/Skol-Uhel ar Vro, 2002, p. 1-16.
16 Sources : Office universitaire de recherche socialiste (OURS), congrès de la SFIO.
17 Il est probable que les RG reprennent les chiffres des socialistes finistériens.
18 Bougeard Christian, Tanguy Prigent, paysan ministre, op. cit., p. 218-221.
19 À l’été de 1948, les RG estiment qu’il a 9 000 adhérents alors que le parti comptabilise 3 500 cotisants en fin d’année. À la fin de 1949, ils estiment leur nombre à 3 000 (1 500 en réalité), mais ils ajoutent qu’il n’y a eu « aucun recrutement depuis plusieurs mois ».
20 Sainclivier Jacqueline, L’Ille-et-Vilaine, 1918-1958, op. cit., p. 306-310.
21 Notice « Charles Foulon » de François Prigent, Le Maitron en ligne.
22 Notice « Guillaume Leyer » de Christian Bougeard, ibid.
23 Notice « Alexis Le Strat » de Claude Geslin et Gilles Morin, ibid.
24 Notice « Jean-Baptiste Guitton » de Claude Geslin et Gilles Morin, ibid.
25 Bougeard Christian, Les forces politiques en Bretagne, op. cit., p. 277 et archives départementales du Finistère (ADF). 31 W 411. Partis politiques, rapport de police du 29 mars 1947.
26 Bougeard Christian, « Le MRP des Côtes-du-Nord sous la IVe République », in Charpiana. Mélanges offerts par ses amis à Jacques Charpy, Rennes, Fédération des sociétés savantes de Bretagne, 1991, p. 433-442.
27 Letamendia Pierre, Le Mouvement républicain populaire. Histoire d’un grand parti français, Paris, Beauchesne, 1995, p. 206-213.
28 Sources : ibid. et Renseignements généraux.
29 Guilleux Georges, La fédération MRP d’Ille-et-Vilaine (1944-1958), maîtrise d’histoire, Rennes, université Rennes 2, 1973.
30 Sainclivier Jacqueline, L’Ille-et-Vilaine, 1918-1958, op. cit., p. 312-317.
31 Eugène Sylvie, Les démocrates-chrétiens dans le Finistère de 1945 à 1958, maîtrise d’histoire, Brest, UBO, 1990.
32 Rivière Christophe, « Les mouvements gaullistes dans le Morbihan, 1946-1958 », Bulletin et mémoires de la Société polymathique du Morbihan, t. CXXXI, 2005, p. 251-304.
33 Vilatte Ludovic, La vie politique et syndicale dans l’arrondissement de Quimper en 1947, maîtrise d’histoire, Brest, UBO, 1996, p. 59-70.
34 Archives nationales (AN). F1c II. 276 et 278. 1949. Cantonales. Finistère et Morbihan.
35 Le Moigne Frédéric, « 1945-1950 : les manifestations du militantisme scolaire catholique dans l’Ouest », in Brigitte Waché (dir.), Militants catholiques de l’Ouest, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 199-211. Des manifestations dans le Maine-et-Loire et en Vendée déplacent des milliers de fidèles dès septembre 1945.
36 Ces chiffres donnés par les sources catholiques sont sans doute surestimés.
37 Les procès touchent les curés de deux paroisses rennaises, de Romillé, de Nouvoitou, de Fougères. Il y en a plusieurs dans le Morbihan et à Morlaix.
38 Archives départementales des Côtes-d’Armor (ADCA). 1 W 12. Rapports des RG (1946-1954).
39 Sous-secrétaire d’État puis secrétaire d’État à l’Enseignement technique de 1947 à 1951, et même ministre de l’Éducation nationale dans le gouvernement Henri Queuille en 1950.
40 Dans l’arrondissement de Quimper, leur ancien fief, les radicaux-socialistes passent de 15 maires en 1945 à 10 en 1947 ; dans celui de Châteaulin, de 16 (un quart) à 8. Ils avaient 34 maires radicaux dans le Finistère en 1945.
41 La Liberté du Morbihan, 15-16 mai 1947, cité par Christophe Rivière, « Les mouvements gaullistes dans le Morbihan, 1946-1958 », art. cité.
42 En difficulté pour se faire réélire contre la gauche dans son canton de Pléneuf, Cornu aurait fait ce choix.
43 Bougeard Christian, René Pleven. Un Français libre en politique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1995.
44 ADCA. 1 W 12. Note des RG. 30 janvier 1948.
45 Bougeard Christian, « René Pleven et Le Petit Bleu des Côtes-du-Nord : le rôle d’un journal dans une carrière politique », Clermont-Ferrand, université de Clermont-Ferrand/fondation Varenne, à paraître.
46 ADCA. 1 W 12. Rapports des RG.
47 La sociologie de l’UDSR est la suivante : 38,7 % de commerçants, 23,6 % de cultivateurs, 9 % de marins retraités, 5,6 % d’employés et 3,9 % de fonctionnaires.
48 Guillaume Sylvie et al. (dir.), « Le moment PRL ». Le Parti républicain de la liberté, 1946-1951, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013. Voir la préface de Gilles Richard et l’article de Jérôme Pozzi et Sabrina Tricaud, « Le PRL, un parti de parlementaires ? », p. 57-73.
49 ADCA. 1 W 12. Rapports des RG.
50 Sont présents de Villeneuve, tête de liste du PRL en juin 1946, et l’ancien député de Kérouartz.
51 Richard Gilles, « La Loire-Inférieure sous la IVe République : un bastion de la droite “modérée” », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, t. 107, 2000/4, p. 121-147.
52 AN. F1CII-148. Cité par Gilles Richard dans son article mentionné dans la note précédente, p. 134.
53 Discours de Bruneval le 30 mars, annonce de la fondation du RPF le 7 avril à Strasbourg, discours du 14 avril.
54 Hostiou Franck, Le RPF dans le Finistère, maîtrise d’histoire, Brest, UBO, 1997, 217 p.
55 Rivière Christophe, « Les mouvements gaullistes dans le Morbihan, 1946-1958 », art. cité.
56 Membre du mouvement Libération-Nord et du réseau d’évasion d’aviateurs Bordeaux-Loupiac.
57 Sainclivier Jacqueline, L’Ille-et-Vilaine, 1918-1958, op. cit., p. 320-322.
58 À la fin de 1940, il commande la marine de l’Afrique équatoriale française (AEF). En 1944, il est le chef d’état-major du général Koenig, chef des FFI à Londres, puis commandant de l’arrondissement maritime de Lorient en 1945.
59 Cressard Jacques, Sociologie des compagnons du RPF en Bretagne, DEA, Rennes, université Rennes 2, 1995.
60 Bougeard Christian, Les forces politiques en Bretagne, op. cit., p. 191-203 et « Le RPF dans l’Ouest breton (Finistère, Côtes-du-Nord) », in Bernard Lachaise (dir.), De Gaulle et le RPF (1947-1955), Paris, Armand Colin, 1998, p. 225-237.
61 C’est le cas de Joseph Le Soufaché, conseiller général de Grand-Champ de 1934 à 1956, Yves du Halgouët, orateur dorgériste, conseiller général de Josselin de 1945 à 1982 ou Auguste Danilo, maire RPF de Malansac, secrétaire de la section de Défense paysanne de sa commune en 1936. Les deux derniers ont été candidats sur la liste de l’Union gaulliste en novembre 1946.
62 Bensoussan David, « La nouvelle donne politique rennaise à la Libération », Place publique, no 32, novembre-décembre 2014, p. 95-99.
63 18 élus contre 7 (6 absents) ont refusé l’accueil officiel.
64 Le 17 septembre, son premier adjoint, le socialiste Eugène Quessot, conseiller général de Rennes-Sud, assure l’intérim.
65 Audigier François, Les Prétoriens du Général. Gaullisme et violence politique de 1947 à 1959, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018.
66 Ibid., chap. iii et iv.
67 Ibid., p. 155 et chap. vi, dont p. 158 et 162.
68 Le capitaine de Beaucoudray en Ille-et-Vilaine en 1948, le colonel de réserve Muller ancien chef de l’AD dans le Morbihan en 1949.
69 Archives du RPF 464 et 565, voir Rivière Christophe, « Les mouvements gaullistes dans le Morbihan, 1946-1958 », art. cité, p. 267.
70 Audigier François, Les Prétoriens du Général, op. cit., p. 291-292.
71 Hostiou Franck, Le RPF dans le Finistère, op. cit., p. 118.
72 Georges Lombard conteste semble-t-il les investitures aux cantonales : il s’oppose au maire RPF Chupin.
73 Sainclivier Jacqueline, « Les élus RPF en Bretagne : des hommes neufs ? », in Bernard Lachaise (dir.), De Gaulle et le RPF (1947-1955), op. cit., p. 352-363.
74 Bensoussan David, « La nouvelle donne politique rennaise à la Libération », art. cité, p. 98-99.
75 Moreau Régis, Les évolutions politiques à Quimper de la Libération à l’aube des années 1970, maîtrise d’histoire, Brest, UBO, 2001.
76 Huit indépendants de droite, onze MRP, cinq RPF.
77 Bougeard Christian, « Élites et notables des Côtes-du-Nord (années 1930-1950) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 105, 1998/1, p. 103-120.
78 Par exemple à Carhaix où les socialistes et le maire et conseiller général Pierre Postollec ont démissionné en janvier 1947, laissant le communiste Pierre Kerneis administrer la ville, lequel est réélu en octobre. C’est l’inverse à Saint-Thois.
79 ADF. 33 W 5. Rapport des RG. 5 janvier 1953.
80 Cantons de La Gacilly, Rochefort-en-Terre, Questembert, Malestroit.
81 Des sept nouveaux maires de 1945 réélus en 1947 en Vannetais, un seul reste au MRP (4 RPF, 2 indépendants).
82 Cette liste l’emporte sauf le Dr Morand, le maire sortant battu.
83 Mais en février 1948, les RG donnent 17 maires au RPF et 646 élus (11,8 %).
84 En Ille-et-Vilaine, les trois quarts des élus municipaux de 1945 étaient URD et républicains de gauche.
85 Eugène Sylvie, Les démocrates-chrétiens dans le Finistère de 1945 à 1958, op. cit.
86 Quintin Virginie, Les élus municipaux et cantonaux de l’arrondissement de Brest (1934-1951), maîtrise d’histoire, Brest, UBO, 1999.
87 Sources : ADF. 145 W 134. Rapport du préfet du 10 novembre 1947.
88 Vilatte Ludovic, La vie politique et syndicale dans l’arrondissement de Quimper en 1947, op. cit.
89 Lollier Ronan, Élites politiques locales dans l’arrondissement de Châteaulin (1929-1953), maîtrise d’histoire, Brest, UBO, 2008, p. 85-94. Les radicaux-socialistes ont moins de 100 conseillers municipaux contre 234 en 1945.
90 Bougeard Christian, Tanguy Prigent, paysan ministre, op. cit., p. 218-222.
91 Brigant Pierre, La fédération socialiste SFIO du Finistère (1908-1969), t. 2, thèse d’histoire, Rennes, université Rennes 2, 2002, p. 461-471.
92 Conord Fabien, Les élections sénatoriales en France (1875-2015), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 108-109. En Bretagne, le Finistère et la Loire-Inférieure (4 sièges) désignent leurs élus au scrutin proportionnel comme onze départements.
93 Ibid., p. 257.
94 Annuaire du Conseil de la République, novembre 1948 et mars 1953. Listes nominatives. Notons que l’ancien député du Morbihan Ernest Pezet, élu au titre des Français de l’étranger, préside le groupe du MRP (20 membres en 1948).
95 Cornu, sénateur jusqu’en 1971, est élu avec Henri Cordier, le maire de Loudéac, ex-MRP indépendant, et Yves Jézéquel, maire et conseiller général de Lézardrieux (UDSR). L’alliance du MRP et de la SFIO au second tour ne leur permet pas de conserver un siège.
96 Sainclivier Jacqueline, « Les élus RPF en Bretagne : des hommes neufs ? », art. cité, p. 358. En fait, un RPF et deux RI avec Paul Robert.
97 Rivière Christophe, « Les mouvements gaullistes dans le Morbihan, 1946-1958 », art. cité, p. 279-282.
98 Révoqué de sa mairie de Caudan en juin 1945, il a été soutenu par une pétition de 893 électeurs et réélu peu après avec 95,3 % des voix.
99 Pinvidic et Vourc’h (Finistère), Estève (Ille-et-Vilaine), de Pontbriand et Fleury (Loire-Inférieure).
100 Dubois est remplacé à l’Assemblée par Étienne Toublanc (PRL).
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Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008