Louis XII et la propagande
Questions et débats
p. 145-158
Texte intégral
1Depuis quelques années, la propagande – ou plutôt : le terme « propagande » – a mauvaise presse, dès lors qu’on parle de la fin du Moyen Âge et du début de l’époque moderne. On peut ainsi lire que « la propagande n’existe pas1 », ou encore qu’il faut s’élever « contre la propagande2 », et aussi que « l’utilisation du couple notionnel propagande/opinion publique paraît anachronique, car il évoque la culture politique d’une époque postérieure3 ». On peut également lire l’« insatisfaction » de certains à user du terme4, alors que d’autres développent une position médiane, admettant l’existence d’une propagande aux xve et xvie siècles, tout en nuançant ses effets5. Pourquoi ces reproches ? Je me limiterai à distinguer deux raisons. D’abord, les historiens réprouvent l’histoire du mot, et particulièrement son histoire récente : la propagande renvoie trop familièrement à un xxe siècle avec lequel les historiens du Moyen Âge et de l’époque moderne souhaitent prendre leurs distances. Face à cette réticence, est-il utile de rappeler, comme beaucoup l’ont déjà fait, que le mot lui-même fut forgé au début du xviie siècle ? L’argument est finalement de peu de poids, car il ne modifie guère le sentiment, assez légitime d’ailleurs, que l’histoire contemporaine aurait capté le terme « propagande ». En revanche, on peut s’étonner de l’alternative souvent proposée, et qui consiste à parler désormais de « communication politique » plutôt que de « propagande » : le terme de « communication » serait-il plus neutre, moins contemporain, voire plus adapté à la période des xve-xviie siècles ? Serait-il moins connoté et moins lourd d’usages contemporains que le terme de « propagande » ? On peut raisonnablement en douter. Mais si ce mot a fait irruption dans les travaux récents, c’est pour une autre raison, car il s’agissait aussi de répondre au second reproche fréquemment formulé à l’encontre de « propagande ». Le terme « propagande » désigne en effet trop souvent dans notre imaginaire un phénomène qui traduit un mouvement descendant, en particulier celui d’un État qui cherche à imposer à sa population, muette et sans défense, un carcan idéologique6. Les historiens se sont donc insurgés contre cette conception et, depuis plusieurs années, les travaux se sont multipliés pour, d’une part, prouver l’existence d’un espace public et, d’autre part, décrire les pouvoirs moins comme l’expression d’une puissance s’exerçant sur des sujets contraints de se soumettre à leur corps défendant, et davantage comme le lieu d’un échange entre ces pouvoirs et leurs sujets7. Encore faut-il souligner que de telles études ont surtout pris pour terrain d’enquête l’Italie des xve-xviie siècles, celles des places, décrites par les contemporains eux-mêmes comme des lieux où des voix pouvaient s’exprimer, où les évènements donnaient lieu à des commentaires et où « chacun voulait dire son opinion et raconter sa petite histoire8 », et où « se décline une vaste palette d’interventions [politiques] qui ne peuvent être envisagées du seul point de vue de la faiblesse des moyens et de la fragilité sociale de ceux qui les portent9 ».
2Les situations italiennes et françaises sont-elles si différentes ? Ne devrait-on pas plutôt incriminer les constructions historiographiques, qui auraient forgé deux modèles irréductibles de rapport à l’expression politique dans l’espace public ? La question mérite d’être posée, et le règne de Louis XII, parce qu’il cristallise un certain nombre de problèmes, offre un cadre de réflexion stimulant. Inutile de remonter à Michelet : les études récentes sur la période 1498-1515 témoignent d’un intérêt pour la question du rapport du roi à ses sujets et ont subi des inflexions notables. Au tout début des années 2000, une biographie de Louis XII décrit un roi oublié, méprisé, relégué, et entend remédier à ce déficit de notoriété10. À cette occasion, le terme « propagande » – au demeurant jamais défini – est systématiquement utilisé pour désigner une partie de l’activité royale, celle des publicistes chargés de façonner une nouvelle image du roi, comme aussi d’expliciter ses ambitions politiques11. Quelques années après, les travaux de Nicole Hochner remettaient en cause une telle conception et montraient que
« l’image du souverain n’est pas définie par une autorité ; elle fluctue et oscille d’un auteur et d’un artiste à l’autre, chacun la façonnant selon des modalités et des référents différents. […] Cette absence de régulation et la non-ingérence du roi dans la fabrication de son image sont sans doute ce qui distingue fondamentalement l’époque de Louis XII du règne de François Ier et des rois qui suivront12 ».
3Si bien qu’elle concluait : « Le terme de propagande est donc totalement inadapté à la réalité du règne de Louis XII13. » Ainsi s’est finalement construite l’image singulière d’un roi sans image, d’un roi rétif à la propagande et/ou à la communication, d’un roi qui, de son vivant, a suscité une production non contrôlée, parfois contradictoire, souvent dépourvue de sens, peut-être – c’était l’hypothèse de Nicole Hochner – parce que la monarchie française, à ce moment-là, cherchait encore confusément sa nature14.
4C’est donc ce débat que cet article voudrait examiner de nouveau en évaluant, dans un premier temps, l’existence d’un espace public (qui est aussi un espace critique, indissociablement lié à une certaine forme de l’expression monarchique) ; et en interrogeant, ensuite, l’image d’un « roi-sans-image » qui a peut-être à voir avec une manière, parmi d’autres, de faire de la propagande.
L’existence d’un espace critique
5Dans leur ouvrage sur l’espace public au Moyen Âge, Patrick Boucheron et Nicolas Offenstadt n’ont pas voulu, selon leurs mots, « antidater quelque part au Moyen Âge » un espace public que d’autres avaient identifié dans les salons et les cafés du xviiie siècle, mais plutôt chercher « des espaces publics occasionnels, des occasions de déploiement d’espace public, […] forts de la certitude que la société médiévale ne peut pas se ramener tout entière à la brutalité de la domination sociale15 », soucieux également d’une « réflexion sur l’assentiment de la “société politique” au principe même de l’État16 ». Sans doute faudrait-il désormais renoncer à l’idée d’une « monarchie française d’Ancien Régime », comme aussi d’une « monarchie française du xvie siècle ». La monarchie de Louis XII n’est pas celle d’Henri III. Pas seulement parce que les circonstances des temps diffèrent. Ni, non plus, parce que la première serait moins idéologiquement achevée, moins accomplie que la seconde, ce qui reviendrait à adopter le grand récit téléologique d’une monarchie française de plus en plus consciente d’elle-même et de plus en plus déterminée dans sa doctrine. Loin de ces considérations, insistons plutôt sur l’existence d’un espace public/critique qui parfois se dilate, parfois se contracte, pour des raisons qui, dans une large mesure, nous échappent encore. Le règne de Louis XII voit cet espace critique à un moment de plein épanouissement, et il faut en explorer quelques-uns des ressorts.
6Juriste savoyard passé au service du roi de France sans doute à la fin du règne de Charles VIII, Claude de Seyssel, joua ensuite un rôle majeur auprès de Louis XII : membre du Grand Conseil, puis conseiller au Sénat de Milan, il participe à de nombreuses missions diplomatiques et œuvre surtout à soutenir juridiquement toutes les actions de Louis XII17. Après avoir imprimé ses Louenges du roy Louys XIIe de ce nom18 en 1508, Claude de Seyssel publie en 1510, en prologue au livre qu’il consacre à la victoire du roi sur les Vénitiens à Agnadel, un étrange texte intitulé : « Le prologue de l’acteur pour répondre aux détracteurs19 ». Le propos est celui de la justification (car il s’agit de justifier Les Louenges, publiées deux ans auparavant), et sa défense repose d’abord sur la tradition, qu’il fait remonter à l’Antiquité, des louanges des rois vivants : ce n’est pas flatterie, dit Claude de Seyssel, mais œuvre utile pour les contemporains, comme pour les futurs rois. Il ajoute qu’il n’a pas présenté le vice comme vertu, mais a, au contraire, précisément défini les vertus du roi, afin de le conforter dans ses bonnes habitudes. Il rappelle enfin qu’il n’a obtenu aucune grâce particulière pour ce qu’il a entrepris. Mais la justification n’est pas tout et dans ce texte, la démarche de Seyssel permet d’identifier un espace public qui s’avère être également un espace critique. L’incipit du texte désigne ainsi une pratique présentée comme répandue :
« L’on veoid journellement par experience, que tous actes humains, soient publicques, ou particuliers, bons, ou mauvais, sont subjects à calomnie, & detraction [et que] principalment ceulx qui escrivent aucune chose nouvelle, en quelque faculté, ou matière que ce soit, inevitablement s’exposent au jugement & Syndicat de tous ceulx qui leurs escripts liront & qui en orront parler20. »
7Si bien que Seyssel décrit ensuite ce qu’on pourrait appeler la « réception » de ses Louenges :
« [Plusieurs gens] ont attribué mon invention à flatterie, & autres, à témérité, d’avoir si haultement loüé les gestes & le Regne du dict. Roy Louys21. »
8C’est parce qu’il est accusé d’être « un flatteur » et « un jangleur22 » que Seyssel répond par ce texte. Malheureusement, les sources manquent pour identifier précisément ces accusateurs dont on peut toutefois supposer qu’ils participaient au cercle qui, autour d’Anne de Beaujeu, a agité les règnes de Charles VIII et de Louis XII23. Plutôt que d’imaginer une ruse rhétorique de Seyssel qui s’inventerait des ennemis imaginaires pour valoriser l’audace de son œuvre, il faut croire sur parole le Savoyard lorsqu’il identifie les critiques qui lui ont été adressées, car il n’y a pas lieu de penser qu’il les aurait fabriquées de toutes pièces pour pouvoir revenir, en 1510, sur une œuvre qu’il s’agit en réalité de prolonger par La victoire du roi contre les Véniciens. Admettons au contraire l’existence de voix discordantes qui critiquent un texte dont l’auteur nous dit lui-même qu’il a pour fonction :
« de faire entendre & congnoistre à tous vivans la puissance du Roy, & du Royaume de France, de nostre temps, & comme elle est accreuë pour la paix, & pour la bonne conduicte de nostre Roy, pour l’amour que ses subjects luy portent, & pour l’obeissance qu’il ha d’eulx. Qui est pour le faire estimer & craindre de plus en plus24 ».
9Claude de Seyssel présente ici à la fois un acte qu’on peut qualifier, faute de mieux, de pure propagande (parce qu’il s’agit de saturer la production écrite avec la gloire et l’excellence du roi) et en même temps sa critique contemporaine par une partie de la société (ses fameux « détracteurs »). Mais, à y bien réfléchir, cette cohabitation n’est peut-être pas tout à fait nouvelle.
10Quelques années auparavant, la prise de Naples par Charles VIII en Italie en 1494 avait donné lieu à une importante littérature chargée, au retour du roi, de célébrer la geste royale25. André de La Vigne, qui à cette date bénéficiait déjà d’une certaine reconnaissance dans le paysage littéraire français, avait pris les devants et profité de l’expédition royale pour composer une œuvre dont il espérait qu’elle le servirait pour être enfin enrôlé comme « facteur royal ». C’est ainsi qu’il avait composé, à Chambéry, alors que le roi préparait ses troupes à Lyon, La Ressource de la Chrestienté, débat allégorique entre Dame Noblesse, Magesté royalle, Dame Chrestienté, Bon Conseil, l’Acteur et Je ne sçay qui26. Ce dernier s’avère une figure problématique, car il n’est pas une allégorie, au même titre que Dame Noblesse ou Dame Chrestienté, ou encore, dans d’autres textes du xve siècle, France. Je ne sçay qui n’est personne, mais il est aussi, d’une certaine manière, tout le monde. Pour autant, incarne-t-il le sensus communis, les gens, ou les sujets du roi ? Non plus, car il représente d’abord tous ceux qui débattent de la politique de Charles VIII. C’est donc lui qui, dans le texte, prend en charge l’argumentation contre l’engagement français dans la péninsule. Il ne se contente pas alors d’objecter en s’appuyant sur le contexte particulier de l’expansion de l’empire ottoman, et donc du risque que ce dernier n’intervienne finalement dans le conflit27. Je ne sçay qui développe plutôt une critique de la guerre en tant que telle, même si elle demeure très éloignée du pacifisme chrétien28. En tout cas, elle le pousse à s’exclamer : « Hellas ! hellas ! Fuyez guerre, seigneur29 ! »
11À la fin du dialogue, Je ne sçay qui, bien sûr, perd : l’Acteur l’a rabroué, l’accusant de ne considérer que son seul intérêt et non le bien commun30. Et finalement, Bon Conseil intervient dans la discussion, et ordonne à Je ne sçay qui de se taire à jamais et de se plier à la loi générale commandée par Magesté Royalle. Grâce au soutien de Bon Conseil, Magesté Royalle a donc gagné et se prépare à la guerre. On peut assurément penser qu’André de La Vigne « a conçu la figure [de Je ne sçay qui] pour disqualifier d’avance les arguments de l’opposition31 », il n’empêche : ce qui a été dit est dit, et demeure. La disqualification de cette voix discordante ne l’a pas abolie.
12Pendant le règne de Louis XII, après la Ressource de Chrestienté, mais avant La victoire du roy sur les Véniciens, d’autres écrits participent à la construction de ce qu’on hésite pourtant encore à appeler l’idéologie royale. Parmi eux, il faut distinguer L’Arrest du roy des Rommains, publié en 1508 et composé par un auteur dont le nom, selon l’acrostiche final, serait Maximien, mais dont on ignore beaucoup32. Ce texte met en scène l’Acteur, qui raconte ses songes et qui rapporte ses entretiens oniriques avec des allégories comme Église, Mars, Saturne, Bruyt Commun, Noblesse, Labeur et France. Parmi ces interlocuteurs, Bruyt Commun semble partager nombre de ses traits avec Je ne sçay qui. Ainsi, Bruyt Commun condamne la guerre et son bain de sang33, et il contraint France à convoquer le conseil royal afin de déterminer la politique à conduire. L’épisode permet le débat, la discussion et le désaccord. C’est à cette occasion que Labeur affirme que « quoy que l’on devise, il n’avoit pas le bec gellé34 » et explique qu’il a pour vocation de condamner cette « folle entreprise » (la guerre) et de contester Noblesse. Comme dans La Ressource de la Chrestienté, c’est finalement Noblesse qui gagne et qui met fin à l’expression du conflit35. L’Arrest du roy des Rommains doit être compris dans le contexte de ce qu’il semble bien difficile de nommer autrement que la propagande royale, comme discours sur le caractère régulé de la monarchie française et sa protection contre la tyrannie. Dans les deux textes (La Ressource de la Chrestienté et L’Arrest du roy des Rommains), le désaccord est incarné par des personnages singuliers : Je ne sçay qui, Bruyt Commun et Labeur sont les sujets du roi. Ils ne représentent ni tout à fait l’ensemble de la société, ni seulement les cercles limités de la société concernés par l’élaboration de la politique royale36. Mais leur présence dans ces œuvres montre combien les lettrés étaient conscients à la fois de l’existence du désaccord et de la nécessité de l’exposer.
13On pourrait multiplier les exemples, comme avec la figure de Labeur dans les Épîtres de Jean d’Auton37. Ou encore Jean Marot qui, dans son Voyage de Venise, rapporte également les débuts de la guerre de la ligue de Cambrai, et qui met lui aussi en scène les conflits et dissensions qui affectaient la société française alors que le roi préparait la guerre38. L’auteur attire l’attention de ses contemporains sur le fait que certains (mais il ne précise pas leur identité) déplorent la décision royale de partir en guerre, parce que « lon ne doit la personne / De nostre Prince ainsi mettre en hasart » ou parce que « des brebis que pastour abandonne, / Souvent le loup en devore à l’escart39 ».
14La littérature française pendant les guerres d’Italie met en scène plusieurs espaces de conflit, dans lesquels s’expriment d’autres idées que celles véhiculées par la monarchie. Ces idées n’ont cependant pas vocation à remporter l’adhésion des lecteurs, car elles ont plutôt pour objet de faire savoir que la monarchie française peut supporter, jusqu’à un certain point, la dissension40. Cette littérature a surtout pour fonction de délimiter l’espace public, de préciser sa segmentation et les limites qui encadrent l’expression de la variété des opinions. En tout cas, elle oblige à penser ensemble à la fois l’expression des pouvoirs et celle de ceux qui les critiquent. Elle montre aussi que ce qu’il faut bien se résoudre à appeler le « discours de la monarchie » laisse une place non négligeable à d’autres discours… pour mieux se consolider.
Une propagande de non-propagande ?
15Ainsi peut-on interroger l’existence d’une sorte de « propagande de non-propagande », c’est-à-dire une propagande qui n’a à voir ni avec une action qui, pour reprendre les mots de Paul Veyne, « s’adresse à autrui et affecte d’agir sur sa conviction41 », ni avec l’expression de la grandeur du roi. De quoi s’agit-il alors ? L’exploitation, par la monarchie, de la victoire d’Agnadel peut nous aider à comprendre cette pratique singulière. Dans la lettre qu’il adresse au Parlement pour l’informer de la nouvelle, le chancelier demande de « le faire assavoir à ceste ville et autres villes de ce Royaulme, pour en rendre graces et louanges à Dieux et faire feuz de joye42 ». À Paris, on célèbre l’événement les 22 et 23 mai : après le Te Deum chanté dans la cathédrale, on organise des feux de joie « par les rues43 », puis une procession générale entre Notre-Dame et Sainte-Geneviève, qui donna lieu d’ailleurs à un conflit de préséance44. Mais les festivités semblent avoir été finalement peu nombreuses dans le royaume de France. Et surtout, elles se sont exprimées par des feux de joie et des processions après la victoire et avant le retour du roi, mais n’ont pas pris la forme, avec l’arrivée dans son royaume du souverain un peu plus tard, d’entrées fastueuses. À Bourges, par exemple, alors pourtant que la préparation de la Ligue de Cambrai, puis les préparatifs de la guerre, avaient donné lieu à de véritables processions, entre février et avril 1509, la nouvelle de la victoire du roi sur les Vénitiens, elle, n’est célébrée que par de simples feux de joie45. Claude de Seyssel, dans sa Victoire du roy contre les Veniciens, soutient que Louis XII lui-même refusa qu’on lui organise des entrées, malgré le très grand désir des corps de ville46. Louis XII n’était finalement peut-être pas un roi de spectacle. Ou alors, il ne souhaitait pas célébrer sa victoire par un des rites politiques les plus évidents et les plus pratiqués de la monarchie. On assiste, au contraire même, entre 1509 et 1510, à la mise en scène de la discrétion et de la réserve du roi. Ainsi ne fit-il pas d’entrée à Lyon, après avoir passé les monts. De même, presqu’un an après, le 16 mars 1510, lorsqu’il vint à Paris pour la première fois depuis sa victoire, le roi exigea que la ville s’abstienne d’organiser une entrée, au motif qu’il souhaitait que « sad. victoire fut rendue à Dieu et non à luy47 ». Pourtant, peu après la bataille elle-même, et avant que Louis XII ne rentre dans son royaume, les Milanais avaient bien organisé une entrée pour leur maître. Revenant sur cet épisode du 1er juillet 1509, Claude de Seyssel soutient que Louis XII se fit presque violence pour accepter des citoyens de Milan qu’ils le célèbrent : la bonté de Louis XII s’exprime donc ici lorsqu’il concède aux Milanais le droit de pouvoir le louer48. La question alors se pose : que fait Claude de Seyssel lorsqu’il attire l’attention sur ces réticences, voire ces résistances, à certaines formes de célébration ? Doit-on prendre pour argent comptant sa description d’un Louis XII qui refuse le déploiement d’une communication politique ? Ou bien alors : pourquoi ne pourrait-on pas lire, dans cette description, une instrumentalisation de la figure d’un roi sans propagande et donc finalement, oui : une propagande de la non-propagande ?
16Pour répondre à cette question, peut-être faut-il distinguer les festivités et entrées organisées pour Louis XII en Italie de celles qui eurent lieu (ou plutôt : n’eurent pas lieu) en France. Car on ne constate pas toujours la même réticence à célébrer, par des réjouissances, la victoire. Si les historiens ont déjà remarqué combien, par exemple, les comptes rendus de l’entrée du roi de France à Crémone étaient peu nombreux49 (ce qui ne veut rien dire des festivités elles-mêmes, mais ce qui signale bien une certaine forme de réserve qui aurait accompagné cette entrée), il n’en demeure pas moins que le séjour italien de Louis XII, après Agnadel, fut ponctué de plusieurs fastueuses entrées dont celle de Milan le 1er juillet. Certains contemporains sont peu loquaces, à l’image d’Ambrogio da Paullo qui soutient que « le roi resta ensuite à Milan du 13 juin jusqu’au 20 juillet, avec plusieurs fêtes et beaucoup de divertissements50 ». De même, les ambassadeurs florentins, sans doute parce qu’ils étaient davantage occupés à négocier les affaires de Pise, ne semblent guère passionnés par l’entrée milanaise de Louis XII qui, d’après eux, « a été ordinaire51 », et connut même quelques ratés, malgré l’engagement et l’enthousiasme des Lombards52.
17À bien y regarder, les comptes rendus de cette entrée milanaise furent peu nombreux et souvent succincts. Simone Litta, dans un texte qui célèbre toute la campagne italienne du roi, mais aussi et surtout (si l’on en croit le titre) « l’allégresse des Milanais », ne consacre finalement qu’une seule strophe au retour triomphal de Louis XII dans sa capitale lombarde53. Le récit le plus long de cette entrée est fourni par Jean Marot dans son Voyage de Venise, dont on sait toutefois qu’il connut une circulation limitée, étant donné sa publication tardive, en 1532. De façon très convaincante, Nicole Hochner a proposé une lecture politique de ce qu’elle a appelé le « trône vacant » de Louis XII : parmi tous les signes que Louis XII adressa à ses sujets pour les dissuader d’organiser des manifestations trop ostentatoires, on compte le refus qu’il opposa à l’offre que lui firent les Milanais de s’installer sur un trône placé sur un char et de procéder ainsi à l’entrée54. D’après Nicole Hochner, « un tel refus est plus qu’un choix stylistique : il dissimule un choix politique du souverain qui cherche à freiner l’idéologie absolutiste. Le roi reste profondément médiéval et fondamentalement “père du peuple55” ». Cependant, on ne laisse pas de s’interroger. D’abord, parce que Louis XII ne fut pas le premier des souverains à refuser un cérémonial dont la symbolique renvoyait trop explicitement à l’empire : Sergio Bertelli a ainsi rappelé que Francesco Sforza à Milan et Borso d’Este à Reggio Emilia refusèrent tous les deux un tel dispositif56. Ensuite, parce qu’il faut aussi se souvenir qu’en juillet 1509, Louis XII et Maximilien sont encore alliés, en vertu de la ligue de Cambrai signée en décembre 1508 : on peut penser que le roi de France est aussi soucieux de ne pas froisser son confédéré, et de ne pas donner l’impression qu’il lui conteste l’autorité impériale. Enfin, parce qu’il faudrait peut-être donner aussi quelque crédit aux nombreux contemporains qui soutiennent que si le roi refusa le trône, c’était soit parce qu’il ne comprenait pas l’intérêt de cette mise en scène57, soit parce qu’il craignait d’offenser Dieu par tant de triomphes païens, soit encore parce qu’il préférait, en tant que roi de guerre, apparaître à ses sujets, juché sur un cheval. Il ne faut pas oublier que toutes ses entrées, Louis XII les a accomplies, monté sur un destrier, noir ou blanc selon les occasions, si bien qu’on peut penser que la puissance de la tradition et de la coutume peut aussi être une explication58.
18Ces trois arguments méritent d’être considérés. Ils témoignent des réflexions royales sur l’opportunité et le sens des festivités qui entourent la personne du roi. Ils montrent aussi que si la modestie devant Dieu est bien un leitmotiv de la communication de Louis XII, l’idée d’apparaître comme un roi de guerre à ses sujets traduit aussi une certaine conception de la monarchie. Comment alors comprendre l’insistance de Jean Marot sur le geste du roi et son interprétation comme le signe de son humilité chrétienne59 ? Faut-il y voir une « absence de régulation et [d’une] non-ingérence du roi dans la fabrication de son image60 » ? Pourquoi ne pas lire plutôt ce geste comme la manifestation d’une volonté délibérée de contraindre l’image royale, en la limitant à l’expression d’une modestie et d’une abnégation extrêmes, nouvelles (mais éphémères) qualités du prince triomphant, qui refuse honneurs et louanges par vertu61 ? D’ailleurs, le compte rendu de l’entrée, imprimé par Noël Abraham ne dit rien du refus du roi… mais il ne dit pas non plus que le roi prit place sur le trône. En effet, lorsqu’il évoque le passage du char triomphant sur lequel se trouvaient trois déesses, il précise l’endroit « Ou se devoit seoir le roy en son triumphe62 », sans plus de commentaire. Il revient ensuite au lecteur de choisir l’interprétation qui lui convient : il sait qu’un dispositif était bien prévu pour manifester la gloire du roi, mais il ne saura pas avec certitude si le roi en usa, ou pas.
19Les documents sont nombreux qui insistent sur la figure d’un roi modeste, discret, sobre et retenu. Ainsi lorsque Louis XII accepte que, le lendemain de ce qu’on peut appeler sa « non-entrée » à Paris, on lui adresse plusieurs discours louangeurs63. Claude de Seyssel insiste : c’est parce qu’il est bienveillant et magnanime, que le roi a bien voulu prêter l’oreille à ces louanges, et encore n’était-ce pas « comme glorieux et ambicieux, ains comme prince prudent et modeste64 ». On ne peut s’empêcher d’y observer la façon dont les productions culturelles des dominants véhiculent une certaine conception du pouvoir et du roi, une certaine conception de la façon dont le roi exerce le pouvoir, bref : de ce qui ressemble bien à une idéologie royale.
20Si le règne de Louis XII s’impose particulièrement à celui ou à celle qui veut réfléchir à la question de la propagande, c’est aussi parce que, peut-être plus que son successeur, Louis XII a particulièrement mobilisé les hommes de lettres et les artistes (et les premiers probablement plus que les seconds) susceptibles de tenir un discours sur sa geste royale. Une étude fine des productions de l’un et de l’autre montrerait que François Ier a certainement été un roi bien moins propagandiste que Louis XII. Mais dès la seconde moitié du xvie siècle, la fortune de François Ier est venue troubler la perception que l’on pouvait avoir des usages, par l’un et par l’autre, de la propagande. Celui que l’historiographie a construit comme le « père des lettres et des arts » ne pouvait qu’avoir – davantage que le « père du peuple » – mobilisé les lettres et les arts pour son gouvernement : c’est ce que le sens commun a retenu. Il suffit pourtant de comparer l’exploitation des victoires de l’un et de l’autre pour constater que Louis XII surpasse son gendre. La singularité de Louis XII, c’est aussi l’utilisation d’une propagande à des fins de mobilisation des populations : en témoigne le déluge des textes qui s’abat aussi bien sur les sujets du royaume de France que sur ceux du Milanais entre 1509 et 1510. Il s’agit, d’une part, de convaincre ses sujets français (dont on a vu que certains étaient rétifs à la guerre), mais, d’autre part et aussi, de mobiliser plus concrètement les populations italiennes qui peuvent agir pour soutenir l’entreprise royale par-delà les monts. Ce n’est pas le seul moment : l’épisode génois de 1507 (lorsque Louis XII reprend, à l’occasion d’une expédition punitive particulièrement violente, la ville qui s’est révoltée) mériterait aussi qu’on l’observe de près. On y verrait encore une tout autre image : celle d’un roi devant lequel le patriciat de Gênes se prosterne et demande miséricorde, celle d’un roi qui n’est pas précisément préoccupé de recevoir l’amour de ses sujets, ni d’être reconnu pour son humilité.
21Avant de répondre à la question soulevée par ce volume collectif, rappelons les premières réticences historiennes envers la catégorie « propagande ». À peu près au même moment, à la fin des années 1980, Michèle Fogel65 et Paul Veyne distinguaient tous les deux d’une part l’activité de conviction à laquelle renvoie la propagande et, d’autre part, une autre activité, qu’ils ne nommaient pas vraiment d’ailleurs, et qui est le simple rappel de l’existence d’un pouvoir « auquel il faut obéir parce qu’il faut lui obéir66 ». Derrière le mot « propagande », il y a donc autre chose qui pose problème. Ce sont en effet les mécanismes de la domination qui sont en cause : pour qu’il y ait propagande, il faudrait à la fois que les dominants ne soient pas si assurés que cela de leur domination et aussi qu’ils aient formulé un contenu suffisant, un discours, de l’idéologie pour remédier à cette insuffisance de légitimité. Or, sur cette question-là, il n’y a pas consensus parmi les historiens. Michèle Fogel était précisément une des premières à refuser de créditer la monarchie française d’une conscience claire de ce qu’elle faisait, de ce qu’elle croyait, voire d’une capacité à jouer résolument sur une coupure entre ce qu’elle croyait et ce qu’elle voulait faire croire. Depuis, les historiens sont nombreux à insister davantage sur le pragmatisme de la monarchie française que sur son corpus théorique. Mais ce dernier fait aussi l’objet d’une redécouverte et d’une réhabilitation par les historiens du droit, qui analyse l’élaboration – lente et chaotique – d’une doctrine67.
22La propagande a-t-elle existé ? Oui, sans doute, si on entend par là, une activité qui, d’une part, explicite la nature et le fonctionnement des pouvoirs et, d’autre part, propose une pragmatique de l’action qui mobilise pour obtenir l’engagement de ceux sur lesquels elle agit68. Mais si la propagande a existé, cela ne signifie pas, d’une part, que la nature des pouvoirs était immuable et, d’autre part, que les « récepteurs » de cette propagande, ceux à qui elle était destinée, se trouvaient sans défense, sans opinion, sans capacité de résistance. Même sous le règne de Louis XII, et malgré la rareté des sources, on trouve quelques traces, ici et là, d’une forme d’indiscipline, en creux dans les documents qui sont eux-mêmes des textes de propagande. C’est la raison pour laquelle il ne faut pas craindre ce mot et au contraire l’accepter, y compris chargé de toute son histoire. Rien n’empêche cependant de penser la propagande dans le cadre d’un espace public qui, à défaut d’être « oppositionnel69 », pourrait correspondre à ce que Sandro Landi observait, certes dans la Toscane des xviie et xviiie siècles : « Un processus complexe suivant lequel le sujet d’un État absolutiste se familiarise progressivement avec l’idée que les intérêts de l’État ne coïncident pas et peuvent même s’opposer aux intérêts de la société civile ; qu’il existe un espace de liberté inaliénable à l’abri du pouvoir politique et religieux […] ; que les actions des souverains sont susceptibles de jugement et de sanction70. » Et cela, la propagande, dans le royaume de France, comme dans l’Italie des principautés et des républiques, non seulement ne l’annule pas, mais a même peut-être partie liée avec.
Notes de bas de page
1 Lignereux Yann, Les rois imaginaires : une histoire visuelle de la monarchie de Charles VIII à Louis XIV, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 285.
2 Hochner Nicole, « Against Propaganda. The Juxtaposition of Images in Early Modern France. Reflections on the Reign of Louis XII », in Melissa Calaresu, Joan-Pau Rubies et Filippo de Vivo (dir.), Exploring Cultural History. Essays in Honour of Peter Burke, Aldershot, Ashgate, 2010, p. 231-247.
3 Debbagi Baranova Tatiana, À coups de libelles : une culture politique au temps des guerres de Religion (1562-1598), Genève, Librairie Droz, 2012, p. 29.
4 Vivo Filippo de, Information and Communication in Venice: Rethinking Early Modern Politics, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 202.
5 Rospocher Massimo, « Propaganda e Opinione Pubblica: Giulio II nella Comunicazione Politica Europea (1503-1513) », Annali dell’Istituto Storico Italo-Germanico, vol. 33, 2007, p. 117-157.
6 La propagande est alors définie « in the sense of images and texts glorifying or justifying a particular regime, if not in the more precise sense of recommending a particular policy ». Burke Peter, The Italian Renaissance. Culture and Society in Italy, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 131.
7 Nubola Cecilia et Würgler Andreas (dir.), Forme della communicazione politica in Europa nei secoli xv-xviii. Suppliche, gravamina, lettere, Bologne/Berlin, Il Mulino/Duncker & Humblot, 2004.
8 « chadauno voleva dire la sua opinion et fantasia ». Priuli Girolamo, I diarii, éd. Arturo Segre et Roberto Cessi, Bologne, Nicola Zanichelli, 1933, p. 29.
9 Judde de Larivière Claire, La révolte des boules de neige. Murano face à Venise, 1511, Paris, Fayard, 2014, p. 244.
10 Le Fur Didier, Louis XII : un autre César, Paris, Perrin, 2001.
11 Pour une analyse des développements ultérieurs d’une telle image, voir Avezou Laurent, « Louis XII. Père du peuple : grandeur et décadence d’un mythe politique, du xvie au xixe siècle », Revue historique, 2003, vol. 1, no 625, p. 95-125.
12 Hochner Nicole, Louis XII. Les dérèglements de l’image royale (1498-1515), Seyssel, Champ Vallon, 2006, p. 280. Je remercie Nicole Hochner pour ses remarques et les riches et stimulants débats qu’elles ont provoqués.
13 Ibid., p. 21.
14 Mais cette interprétation cohabite avec d’autres appréciations du règne de Louis XII. Ainsi, pour Guy Le Thiec, « le déploiement de la propagande royale, dans ses formes les plus diverses (éditoriale, diplomatique voire numismatique) montre que la monarchie française elle-même ne manque pas de recourir, dans ces années 1500-1502, à la richesse des ressources symboliques offertes par le thème de la guerre sainte contre les Turcs ». Le Thiec Guy, « De Milan à Constantinople : Louis XII et la croisade dans la culture politique du temps (1498-1512) », in Philippe Contamine et Jean Guillaume (dir.), Louis XII en Milanais, Paris, Honoré Champion, 2003, p. 68.
15 Boucheron Patrick et Offenstadt Nicolas, « Une histoire de l’échange politique au Moyen Âge », in Patrick Boucheron et Nicolas Offenstadt (dir.), L’espace public au Moyen Âge. Débats autour de Jürgen Habermas, Paris, Presses universitaires de France, 2011, p. 14.
16 Ibid., p. 15.
17 Eichel-Lojkine Patricia (dir.), Claude de Seyssel. Écrire l’histoire, penser le politique en France à l’aube des temps modernes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.
18 Seyssel Claude de, Les Louenges du roy Louys XIIe de ce nom (1508), éd. Patricia Eichel-Lojkine et Laurent Vissière, Genève, Droz, 2009.
19 Seyssel Claude de, La victoire du roy contre les Veniciens, Rouen, 1509 (2nde éd. Paris, Vérard, 1510), p. 1.
20 Ibid., p. 1.
21 Ibid., p. 2.
22 Ibid., p. 3.
23 David-Chapy Aubrée, Anne de France, Louise de Savoie. Inventions d’un pouvoir au féminin, Paris, Classiques Garnier, 2016 ; Lassalmonie Jean-François, « Anne de France, dame de Beaujeu : un modèle féminin d’exercice du pouvoir dans la France de la fin du Moyen Âge », in Éric Bousmar, Jonathan Dumont, Alain Marchandisse et Bertrand Schnerb (dir.), Femmes de pouvoir, femmes politiques durant les derniers siècles du Moyen Âge et au cours de la première Renaissance, Bruxelles, De Bœck, 2012, p. 129-146 ; Viennot Éliane, « Gouverner masqués : Anne de France, Pierre de Beaujeu et la correspondance dite “de Charles VIII” », in L’Épistolaire au xvie siècle, Cahiers du Centre Verdun-Louis Saulnier, 18, 2001, p. 179-196.
24 Seyssel Claude de, La victoire du roy, op. cit., p. 3.
25 Hochner Nicole, Louis XII, op. cit. ; Shaw Christine, « Wartime Propaganda during Charles VIII’s Expedition to Italy, 1494/95 », in Marco Mondini et Massimo Rospocher (dir.), Narrating War. Early Modern and Contemporary Perspectives, Bologne/Berlin, Il Mulino/Duncker & Humblot, 2013, p. 63-68.
26 La Vigne André de, La Ressource de la Chrestienté (1494), éd. Cynthia Brown, Montréal, Éditions CERES, 1989. Sur ce texte, on pourra aussi se reporter à Lestringant Frank, « André de La Vigne et Le Vergier d’Honneur », in Jean-Eudes Girot (dir.), Le poète et son œuvre. De la composition à la publication, Genève, Droz, 2004, p. 199-214.
27 « Pencez vous poinct que Turcs n’ayent couraige / Et cueur au ventre pour défendre leur vie ? » La Vigne André de, La Ressource de la Chrestienté, op. cit., p. 131.
28 Galland-Hallyn Perrine et Hallyn Fernand, Poétiques de la Renaissance, Genève, Droz, 2001.
29 La Vigne André de, La ressource de la Chrestienté, op. cit. On pourrait aussi y ajouter des motivations religieuses, car la guerre est décrite par Je ne sçay qui comme contraire aux volontés de Dieu qui doit pouvoir disposer et organiser le destin sans que les hommes ne se précipitent pour le modifier, précisément par la guerre. Ibid., p. 132.
30 « Après toutes ces choses dictes par Je ne sçay qui, lequel evidamment Magesté Royalle destournoit a son pouvoir d’aller au secours de la tresnoble Dame Chrestienté, pource que pas ne luy plaisoit l’entreprise pour aulcunes choses a luy plus prochaynes et particulières, comme celuy qui d’onneur ne tient compte si non d’aultant que touche son profit. » Ibid., p. 135.
31 Galland-Hallyn Perrine et Hallyn Fernand, Poétiques de la Renaissance, op. cit., p. 334.
32 Maximien, L’Arrest du roy des Rommains donné au grant Conseil de France (1508), in Recueil de poésies françaises des xve et xvie siècles, morales, facétieuses, historiques, éd. Anatole de Montaiglon, Paris, Jannet, 1855-1878, 13 vol., t. VI, p. 120-157. Sur ce texte, voir Picot Émile, Catalogue des livres composant la bibliothèque de feu M. le baron James de Rotschild, Paris, Damascène Morgand, 1884-1920, 6 vol., t. I, p. 333-334.
33 « Saturne et Mars par aspec inhumain / Ont le cueur gros gonflé comme une yraigne, / Et aux pays qu’ilz tiennent soubz leur main / L’effusion du pauvre sang humain / Vont poursuyvant par champ, val et montagne. » Maximien, L’Arrest du roy des Rommains, op. cit., p. 142.
34 Ibid.
35 « Noblesse, oyant Labour parler, / Luy alla rompre la parolle, / En disant, pour le ravaller, / Qu’il luy estoit besoing d’aller / Encor une espace à l’escolle. » Ibid., p. 144.
36 Dans le manuscrit original du texte, une miniature représente Je ne scay qui sous les traits d’une figure composite et hybride portant à la fois l’habit ecclésiastique, l’armure noble et le chapeau de l’homme du tiers. Cette figure collige donc différents groupes, ici rassemblés par pur opportunisme et sur la seule base de leur opposition à la guerre, qui peut d’ailleurs reposer sur des raisons variées (BNF, ms. fr. 1687, fo 31 ro).
37 Auton Jean d’, Les Espitres envoyées au roy treschrestien dela les montz par les Estatz de France, Lyon, imprimés par Claude de Troys pour Noel Abrahan, 1509.
38 Marot Jean, Sur les deux heureux voyages de Genes et Venise victorieusement mis a fin par le treschrestien roy, Loys, douziesme de ce nom [1532], éd. Giovanna Trisolini, Genève, Droz, 1977.
39 Ibid., p. 51.
40 Perrine Galland-Hallyn et Fernand Hallyn soulignent ainsi que La Ressource prouve « la nécessité du conseil : le monarque n’est pas absolu, il est à la fois lui-même et l’ensemble des états qui, devant lui, ont droit à la parole ». Galland-Hallyn Perrine et Hallyn Fernand, Poétiques de la Renaissance, op. cit., p. 334.
41 Veyne Paul, « Propagande expression roi, image idole oracle », L’Homme, 1990, vol. 30, no 114, p. 14.
42 Bonnardot François (éd.), Les registres des délibérations du bureau de la ville de Paris (1499-1526), Paris, Imprimerie nationale, 1883, p. 152.
43 Ibid.
44 Alazard Florence, La bataille oubliée. Agnadel, 1509 : Louis XII contre les Vénitiens, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, p. 198.
45 Rivaud David, Les villes et le roi. Les municipalités de Bourges, Poitiers et Tours et l’émergence de l’État moderne (v. 1440 – v. 1560), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 211-216.
46 « Aussi fait bien a extimer ce quil na voulu permettre ne souffrir en aucune ville ne cite du royaulme luy estre faicte aucune solennité a son entrée ce que toutes desiroient grandement faire ainsi quil est de coutume apres une si grande et si glorieuse victoire nompas en France tant seulement et de nostre aage mais en tous autres pays et de tous temps. » Seyssel Claude de, La victoire du roy, op. cit., p. 59.
47 Bonnardot François (éd.), Les registres des délibérations, op. cit., p. 154.
48 « Et a grande difficulte les citoyens de millan impetrerent de luy quil leur permist faire quelque forme de triumphe a son retour ce que bonnement ne leur eust peu refuser sans leur faire tort de la ioye inextimable quilz avoient de cette victoire que tant ilz avoient desiree, sil ne leur permettoit en faire quelque demonstration exterieure. » Seyssel Claude de, La victoire du roy, op. cit., p. 59-60.
49 Alfeni Carlo, « Narratione dell’entrata in Cremona di Lodovico XII », Archivio Storico Lombardo, 34/8, 1907, p. 152-166.
50 « Il roy stette poi a Milano da li 13 de zugno fine a li giorni 20 de luio, con diverse feste et piacer assai. » Paullo Ambrogio da, Cronaca milanese dall’anno 1476 al 1515, Regia Deputazione di Storia Patria, Turin, Fratelli Bocca, 1871, p. 161.
51 « è suta ordinaria ». Canestrini Giuseppe et Desjardins Abel (éd.), Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, Paris, Imprimerie impériale, 1859-1861, 6 vol., t. VI, p. 385.
52 « Questi della città, e con parare le strade ed archi trionfali in più luoghi, quanto hanno potuto e saputo lo hanno onorato; nonostante che tutte le invenzioni loro sono sute imperfette, per non avere avuto il tempo che e desideravano. » Ibid.
53 « Che poteria contar la gloria / Chebe alor li milanesi / Per la degna e gran victoria / Receuta da li francesi / Come gentilomini cortesi / Senza fare altra renciesta / Le campane tute a festa / Se sonorno per milano. » Litta Simone, Opera novamente composta per miser Simone da Milano, inela quale se contene como la Sacra Maiestà del Re è venuta de Franza, e gran parte de li signori che à menato con seco, il giorno che entrò in Milano, e quando el se parti, e come tolsen Revolta a la rota del campo a la signoria, e come preseno el signore Bertholameo D’Alviano, e come fu menato a Milano, e l’alegreza che he li Milanesi, e tutto quel che è stato fine al presente (s. l. n. d.).
54 Hochner Nicole, « Le trône vacant du roi Louis XII », in Philippe Contamine et Jean Guillaume (dir.), Louis XII en Milanais, op. cit., p. 227-244 ; Hochner Nicole, Louis XII, op. cit., p. 118-122.
55 Hochner Nicole, « Le trône vacant », art. cité, p. 244.
56 Bertelli Sergio, Il corpo del re. Sacralità del potere nell’Europa medievale et moderna, Florence, Ponte alla Grazie, 1990, p. 79-84.
57 « Il dicto Signore non volse montare, parendoli chossa superflua. » Priuli Girolamo, I diarii, op. cit., p. 123.
58 Alazard Florence, La bataille oubliée, op. cit., p. 200.
59 « Tel honneur ne voulut obtenir / Ains les mercye. » Marot Jean, Le voyage de Venise, op. cit., p. 142.
60 Hochner Nicole, Louis XII, op. cit., p. 280.
61 On a pu d’ailleurs insister sur le fait que « the king’s refusal was part of the script ». Scheller Robert W., « L’Union des Princes: Louis XII, his Allies and the Venetian Campaign, 1509 », Simiolus, 27/4, 1999, p. 238.
62 Lentree du roy a Millan, Lyon, Noël Abraham, 1509, p. 2.
63 On peut citer : Discours adressé à Louis XII par un gentilhomme de sa chambre au sujet de la victoire remportée par le roy sur les Vénitiens dans lequel l’auteur traite des trophées ou perrons et arcs de triomphe, BNF, ms. fr. 5946, éd. Giovanna Trisolini, Trieste, Del Bianco Editore, 1971 ; Panegirica in laudem Ludovici XIImi, Regis Francorum, BNF, ms. lat. 1523, fo 240-249, « Éloge de Louis XII, “père de la France” en 1509 », éd. René de Maulde, Revue historique, 43, 1890, p. 53. On peut aussi associer à cette production un texte italien conservé à la BNF : Terza rima in lode di Luigi XII, BNF, ms. it. 1045.
64 Seyssel Claude de, La victoire du roy, op. cit., p. 10.
65 Elle parlait de la propagande comme d’une « pâte molle, qui risque de noyer les reliefs ». Fogel Michèle, Les cérémonies de l’information dans la France du xvie au xviiie siècle, Paris, Fayard, 1989, p. 15.
66 Veyne Paul, « Propagande, expression roi », art. cité, p. 22. Du même auteur, on se reportera aussi à : « Conduites sans croyance et œuvres d’art sans spectateurs », Diogène, 143, 1988, p. 3-22 et « Lisibilité des images, propagande et apparat monarchique dans l’Empire romain », Revue historique, 621, 2002, p. 3-30. C’est dans ce dernier article qu’il précise : « la propagande, comme la publicité commerciale, vise à convaincre, à “faire croire” ; l’apparat royal, lui, avec ses monuments, ses cérémonies, manifestait la splendeur du souverain, à laquelle ses sujets étaient présumés croire d’avance » (p. 4).
67 Rigaudière Albert, Introduction historique à l’étude du droit et des institutions, Paris, Economica, 2006 ; Sueur Philippe, Histoire du droit public français, xve-xviie siècles. La genèse de l’État contemporain, Paris, Presses universitaires de France, 2007.
68 Ainsi, j’avais proposé d’analyser la propagande en opérant un nouveau déplacement : lorsque Michèle Fogel invitait à passer du faire croire au faire savoir, je suggérais de comprendre la propagande comme un faire faire. Voir Alazard Florence, Art vocal, art de gouverner. La musique, le prince et la cité en Italie à la fin du xvie siècle, Paris, Minerve, 2002, p. 30.
69 Negt Oskar, L’espace public oppositionnel, Paris, Payot, 2007.
70 Landi Sandro, Naissance de l’opinion publique dans l’Italie moderne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 183.
Auteur
-
Florence Alazard
Florence Alazard est maîtresse de conférences à l’université de Tours. Elle a publié plusieurs ouvrages sur l’histoire politique et culturelle de la Renaissance (Art vocal, art de gouverner, Minerve, 2002 ; Le lamento dans l’Italie de la Renaissance, Presses universitaires de Rennes, 2010 ; Agnadel. La bataille oubliée, Presses universitaires de Rennes, 2017). Ses recherches actuelles portent sur le condottière Jean de Médicis et sur les pratiques poétiques politiques.
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