Les jetons royaux au xviie siècle
Les instruments d’une propagande monarchique
p. 113-130
Texte intégral
1À l’instar des médailles ou des estampes, les jetons comptaient parmi les supports les plus importants de la diffusion de l’image royale au xviie siècle alors qu’ils constituent un pan négligé, aujourd’hui encore, de la recherche. Depuis la parution de l’ouvrage de Thierry Sarmant et de François Ploton-Nicollet, Les jetons des institutions centrales de l’Ancien Régime, ces objets connaissent toutefois un regain d’intérêt dans le domaine de la numismatique1. En étudiant le corpus « allégorique » et « mythologique » du revers des jetons de cette période, les auteurs démontrent que ces objets revêtaient peu à peu une dimension encomiastique au service de la Couronne2. Cette idée implique l’émergence d’une organisation autour de cette entreprise panégyrique dès le début du xviie siècle et, si l’étude fondatrice de Josèphe Jacquiot est essentiellement concentrée sur la production de médailles et de jetons sous le règne de Louis XIV, elle pose cependant déjà l’hypothèse selon laquelle des lettrés se préoccupaient de la glorification du roi à travers ces objets monétiformes, et cela bien avant la création de la Petite Académie3.
2Pour mesurer l’ampleur de ce phénomène de propagande à travers les jetons, il s’agit aussi d’inscrire cette fabrication dans une production élogieuse plus large. Hélène Duccini compare notamment « les médailles » frappées chaque année en l’honneur du roi aux almanachs en ce qu’ils « marquent les ambitions générales » de la cour4. Cette idée était quelque peu évoquée par Françoise Bardon dans son ouvrage, même si elle s’attache plus particulièrement à étudier le portrait mythologique du roi à travers différents supports artistiques y compris les médailles5. Ces deux contributions soutiennent ainsi l’idée d’une circulation d’une image royale flatteuse à travers diverses catégories d’objets. La diffusion massive de cette variété de supports devait concourir à la glorification de la Couronne à travers plusieurs couches de la société du xviie siècle, par le biais, notamment de leur reproduction imprimée.
3Aussi l’idée d’une forme de résonnance de la production jetonnière dans la publication d’ouvrages au xviie siècle s’inscrit-elle dans la compréhension des mécanismes de médiation assurant une large diffusion de l’image royale. Marie-Claude Canova-Green souligne d’ailleurs l’intérêt de ce type d’objet qui est davantage l’instrument d’une « glorification d’un roi bien vivant » qu’un substitut de sa présence6. Démultipliées à travers des livres comme La France métallique de Jacques de Bie, les images de ces jetons assurent la glorification du pouvoir monarchique dans le temps et, tout en constituant un « profit pour l’esprit7 », leur diffusion interroge la notion de propagande au centre de ce recueil. Même si ce terme est utilisé tout au long de cette étude, il est utile de se rappeler les objections de certains auteurs, comme Hendrik Ziegler qui souligne, dans son ouvrage sur Louis XIV et ses ennemis, que la « propagande » servait « à démontrer et à renforcer le pouvoir royal » mais pas seulement8 : elle permettait surtout de « légitimer » et d’« imposer des objectifs politiques spécifiques ».
4Dans un premier temps, cette étude entend exposer la diversité des sujets que les devises jetonnières abordent pour glorifier le pouvoir du roi sur les plans politique et militaire notamment. En parallèle à cette première réflexion, il s’agira de comprendre les choix de la Couronne en matière de devises afin qu’ils soient pleinement adaptés à leurs destinataires. Il sera intéressant ensuite d’observer, dans les livres imprimés du xviie siècle, une volonté de pérenniser et de diffuser les devises de jetons au sein des différentes strates de la société. La circulation des images à travers les jetons et les livres constitueraient alors les marques d’une propagande monarchique se faisant aux dépens de l’exactitude factuelle que l’on pourrait attendre de ce type de productions. Enfin, de nouvelles hypothèses d’attribution de ces devises monarchiques à des décorateurs de fêtes appartenant à la cour seront proposées dans la dernière partie de cette étude pour contribuer à une meilleure connaissance de cette production spécifique de l’encomiastique royale.
Les jetons royaux, objets d’une manifestation du pouvoir monarchique
Les outils d’un renforcement du corps politique
5Les jetons étaient originairement utilisés pour effectuer des opérations de comptabilité9. À la fin du règne de Charles VI, au xve siècle, un glissement progressif de leur fonction usuelle vers une valeur commémorative peut être observé10. Des jetons aux devises historiques font dès lors allusion à la vie du royaume. Au sein de la cour bourguignonne avec Philippe le Bon, ils étaient distribués aux officiers du duc en signe de récompense et véhiculaient une image glorifiante du pouvoir princier11.
6À l’intérieur de la Couronne, à peu près 100 jetons étaient délivrés chaque année à la famille royale et étaient conservés dans une bourse de velours12. La fabrication d’une telle quantité d’espèces métalliques nécessitait l’intervention de plusieurs membres de la Cour. Acteurs de la commande, de l’émission et de la réception des jetons royaux, ils formaient ainsi le noyau du corps politique. L’objectif était de renforcer le lien entre le monarque et ses officiers qui participaient bien souvent à l’élaboration des projets de devises destinées à figurer sur le revers de ces objets monétiformes. Pour cela, leurs concepteurs devaient réussir à traduire les pensées du monarque à travers ces images symboliques. Cet effort était récompensé par le monarque lui-même, satisfait de voir son dessein représenté sur ces petites médailles. Cette reconnaissance se concrétisait par l’attribution de bourses de jetons par le roi lui-même aux officiers qui conservaient dès lors une image du souverain13. La doctrine royale se répandait ainsi à travers la circulation de ces objets au sein même de la cour.
7L’efficacité du discours véhiculé par ces jetons repose sur la compréhension des devises qui composent le revers, souvent difficiles à interpréter. Celles-ci participaient à un « renforcement mutuel » qui correspond à ce lien entre le monarque et leurs créateurs qu’eux seuls étaient en mesure d’apprécier14. Par ailleurs, cette proximité fondée sur une communication autour des valeurs symboliques et élitistes de la cour était renforcée par la valorisation des fonctions occupées par les officiers du roi. À travers cette glorification, son pouvoir était célébré. Si une partie des devises était censée mettre en exergue l’activité des sujets du royaume, la plupart d’entre elles étaient destinées en effet à exposer les actions vertueuses du monarque.
8La première particularité de cette iconographie qui vise à souligner l’efficacité des officiers dans l’exercice de leurs fonctions est illustrée par un jeton de Louis XIII (cf. cahier hors texte, pl. II, no 5).
9Daté de 1639, le revers représente une corne déversant ses richesses sur deux groupes de paysannes. L’image est entourée de l’inscription suivante : « Divitias dii dant et iura fruendi » (« Les deux donnent des biens et le droit d’en jouir15 »). Tout en louant la prodigalité du roi, elle semble commémorer la prospérité du royaume de France à travers les compétences d’un sujet de la couronne, Bertrand de la Bazinière, trésorier de l’Épargne.
« La quantité de troys cens douze jettons que led. Varrin nous auroit dict avoir du commandement du Sieur Trésorier de l’Espargne de faire fabriquer pour estre par luy déslivréz au Roy, à la Reyne et à Monseigneur le dauphin. […] De plus, nous a esté représenté par led. Varrin la quantitté de huict mil jettons d’argent pour estre aussy par luy déllivréz aud. sieur Trésorier de l’Espargne16. »
10Cette information au sujet de la fabrication des jetons nous indique que le trésorier de l’Épargne était à la fois le commanditaire et le destinataire d’une partie importante de ces objets monétiformes. Étant délivrés par le graveur Jean Warin au trésorier lui-même, ces huit mille jetons constituaient une récompense pour celui qui avait rendu de loyaux services au roi. Son rôle, en qualité de grand argentier de la Couronne, consistait à participer aux opérations financières de l’État en lui prêtant ses propres fonds. En valorisant les fonctions de cet officier, cette devise assurait la propagande du monarque et la gloire de son royaume17.
11Alors que ce premier type de devises visait à consolider le corps politique afin d’assurer la glorification du royaume de France, une autre part de ces images symboliques commémorait les victoires du monarque faisant acte de clémence envers les vaincus. Il y est souvent représenté en position de supériorité par rapport à ses sujets qui l’entourent. Malgré la petite taille du jeton qui affiche son image, le roi apparaît de manière disproportionnée sur son cheval ou en pieds.
12Daté de 1623, un coin de jeton figure le roi tout armé sur son cheval (cf. cahier hors texte, pl. III, no 6), l’épée à la main, piétinant les armes de ses ennemis vaincus. Il entre dans une ville dont la porte est occupée par les assiégés agenouillés lui remettant des clefs.
13Jacques de Bie et Roger de Gaignières donnent une commune interprétation de ce jeton dans leurs recueils respectifs18. Ce coin célébrerait « l’Entrée du roy dans Montpelier qu’il receut à composition », ville qu’il récupéra suite à la capitulation des huguenots et d’Henri de Rohan le 19 octobre 162219. Si le thème de cette devise traite de la fin du siège de Montpellier, c’est bien la clémence du roi envers ses sujets qui l’emporte sur cette victoire. Les dimensions laudative et morale de cette image symbolique furent choisies pour assurer les fondements de la propagande de Louis XIII. L’inscription latine entourant la composition montre que le monarque était très attaché à valoriser cette vertu au sein de son gouvernement : « Armis et clementia victor » (« Vainqueur par les armes et par sa clémence20 »).
Des objets constitutifs d’un cérémonial et de la propagande royale
14Quelle que soit leur destination, les jetons royaux avaient pour objectif de donner une image bienveillante du monarque qui se montrait proche de l’ensemble de ses sujets, qu’ils soient à la cour ou éloignés d’elle. Sous les règnes des Valois et des Bourbons, le souverain prit conscience que ces objets monétiformes pouvaient devenir les instruments d’une propagande qui s’étendrait au-delà des arcanes du corps politique. Issus du mot « jactus » qui signifie « jeter », des jetons royaux étaient répandus à travers la foule pendant les cérémonies royales telles que les sacres, mariages et entrées21. Ils permettaient de porter à la connaissance du peuple les événements principaux de la Couronne dans le but, notamment, de le persuader du bien-fondé du pouvoir du nouveau monarque.
15Alors que les jetons destinés aux principaux membres de la Couronne étaient distribués dans des bourses de cent espèces, les autres étaient jetés au peuple sous forme de pluie. Le geste est très important à considérer dans le cadre de ce type de manifestation du pouvoir royal en ce qu’il témoigne, physiquement, de la générosité et de la munificence du prince. Relié à un cérémoniel, il conditionne l’émission de ce genre d’espèces métalliques. De ce point de vue, les jetons du sacre de Louis XIII constituent une catégorie de jetons à part entière (cf. cahier hors texte, pl. III, no 7).
16André Favyn précise que le roi offrait lui-même treize pièces d’or au peuple à l’issue de son sacre22. Distribuées en compagnie des douze pairs de France dont le nombre fait référence à celui des apôtres, ces pièces d’or ont souvent été assimilées à des hosties. Elles permettaient d’établir un lien mystique entre le monarque et son peuple qui avait l’impression d’assister à une reproduction de l’eucharistie. Suivie par le toucher des écrouelles, cette distribution participait à la propagande de Louis XIII dès le début de son règne. Cependant, la théorie selon laquelle certains objets rendent présent le monarque absent ne s’applique pas exactement à ces jetons car c’est bien davantage en effet de représentation (de redoublement donc) qu’il faut les penser en ce qu’ils démultiplient sa présence au moment où le roi lui-même se charge de leur distribution – par la suite, ils peuvent combler son absence une fois la cérémonie achevée23. Cette interprétation peut rejoindre celle de Marie-Claude Canova-Green qui écrivit à propos des médailles de l’histoire métallique de Louis XIV qu’elles constituaient moins « une consécration de la mémoire d’un prince absent » qu’une « célébration d’un avenir ouvert24 ». Dans le cadre de cette cérémonie sacramentelle, les jetons constituent des outils de propagande dont le roi se sert pour convaincre le peuple de l’origine divine de son pouvoir et donc du caractère sacré de celui-ci. Représentée au revers des jetons de sacre de Louis XIII, la Sainte Ampoule est censée rappeler les neuf onctions qui précèdent son couronnement et son intronisation.
17Cette référence chrétienne devait être comprise par le peuple qui ne savait pas traduire le latin. Au milieu du xve siècle, des théoriciens italiens comme Girolamo Ruscelli avaient saisi l’importance d’utiliser la langue vernaculaire dans les décors de cérémonies : « les devises qui se portent aux tournois, mascarades et comédies parlent en langue vulgaire ou du moins en langue cognue25 ». Dans son discours sur L’art des devises daté de la seconde moitié du xviie siècle, Charles Perrault insiste sur la nécessité de faire en sorte que l’inscription n’entrave pas la compréhension d’une devise mais qu’elle aide le lecteur à l’interpréter26.
18Sur le revers d’un jeton de sacre de Louis XIV daté de 1654 (cf. cahier hors texte, pl. III, no 8), l’inscription qui entoure la Sainte Ampoule rayonnante au-dessus des palmes témoigne de ce changement : « Comme un soleil, je fais naître des palmes. » Cette accessibilité – via l’image du rayonnement – devait renforcer la proximité entre le roi et son peuple.
19À l’instar des jetons de sacre, les jetons de mariage doivent être remis dans leur contexte pour tenter de comprendre le concept de propagande monarchique – entendu d’abord comme une puissance matérielle, effective, de propagation de l’image royale – tel qu’il existait au xviie siècle. Le Mercure français, daté de 1615, mentionne la distribution de ces espèces métalliques. Elle intervenait après le passage du couple royal à l’entrée de la ville de Bordeaux, franchissant différents portails en forme d’arcs de triomphe27. Au moment où Louis XIII et Anne d’Autriche arrivèrent à la cathédrale Saint-André à quatre heures de l’après-midi, l’évêque de Saintes procéda à la cérémonie28. Une fois seulement que la bénédiction nuptiale fut donnée, une quantité de médailles d’or et d’argent – que l’on identifierait plutôt aux jetons royaux – fut jetée au peuple. Affichant à leur revers l’image du couple royal se serrant la main (cf. cahier hors texte, pl. IV, no 9), les jetons du mariage de Louis XIII constituaient un moyen d’ancrer cette union maritale et politique dans l’éternité.
20Le règne de Louis XIV comporte des indications sur l’émission des jetons de mariage. Marie-Thérèse aurait en effet jeté du haut des fenêtres de sa maison à Saint-Jean-de-Luz des pièces d’or29. Plus récemment, les auteurs du catalogue des Jetons des institutions centrales de l’Ancien Régime avancent que les pièces ont été « jetées à la foule de Saint-Jean-de-Luz par les époux royaux au matin de leur nuit de noces30 ». Matérialisée sous la forme d’une pluie au revers du double portrait royal (cf. cahier hors texte, pl. IV, no 10), cette manne est entourée de l’inscription « Non laetior alter » signifiant « Personne n’est plus heureux31. »
21En même temps qu’elle se réfère au mariage princier et au bénéfice qu’il apporte au royaume, cette devise fait, sans aucune équivoque, allusion à l’acte même de la distribution de ces pièces d’or. Celle-ci acquiert une dimension sacrée grâce à la couronne radiée que porte Marie-Thérèse sur l’avers.
Les livres imprimés : outils de diffusion des devises jetonnières et media d’une propagande monarchique
La France métallique de Jacques de Bie : une Histoire des rois de France dédiée à Louis XIII
22Dans ce phénomène de propagande royale de plus en plus important, aussi bien au sein de la cour elle-même qu’à l’extérieur, les estampes, les livres imprimés et les objets monétiformes constituent un outil de communication indispensable pour le xviie siècle. Sur autorisation royale, les collections numismatiques sont ouvertes aux graveurs et diffusées auprès du public32. Au-delà d’une simple propagation du discours encomiastique, cette exemplarité des supports d’une propagande royale permettait de faire en sorte que les événements de la couronne ne tombent pas dans l’oubli33. En revanche, la réception du contenu de ces différents objets était différente d’un support à un autre. Alors que les jetons sont caractérisés par l’instantanéité du geste avec lequel ils sont délivrés, les ouvrages imprimés ne s’inscrivent pas dans un acte de distribution particulier. La question est de savoir lequel de ces supports aurait inspiré les autres car « il est souvent difficile de dire si la médaille découle du livre ou si le livre vient s’ajouter à la médaille34 ». Parfois, les livres permettent de conserver à la postérité l’image de ces objets mobiles en prolongeant les effets agréables d’une telle production sur les yeux et l’esprit35. Accompagnées d’un discours rédigé en l’honneur du roi, ces reproductions imprimées de jetons confèrent un nouveau type d’enseignement au public, même s’il n’est pas dénué d’inexactitudes, surtout lorsque le livre découle de l’objet métallique.
23Un ouvrage daté de 1636 témoigne de ce décalage entre les objets et leurs livres : il s’agit donc de La France métallique de Jacques de Bie rééditée deux ans après sa première impression mais avec un contenu différent. Accompagnées de légendes descriptives suivies d’un commentaire analytique, ces reproductions gravées d’objets monétiformes n’étaient pas de simples illustrations comme on avait l’habitude d’en voir dans les livres d’Histoire. Elles étaient constitutives d’un ouvrage historique qui devait susciter l’adhésion du lecteur à travers ces jetons alors pris fautivement pour des médailles par l’auteur36 :
« Ayant eu l’honneur de présenter à vostre Majesté les vrais portraicts des rois vos prédécesseurs, tiréz de ces précieux monumens que leur antiquité rend vénérables, j’ai creu que le devoir m’obligeoit de vous en offrir aussi les médailles […]. Comme elles [les figures hiéroglyphiques] sont sans exemple au siècle où nous sommes, elles font aussi que votre règne n’est pas moins florissant que celuy d’Auguste, et qu’à Votre Majesté mieux qu’à ce prince si fameux dans les histoires, se doivent ces titres héroïques de victorieux, de juste, de libérateur et de père de la patrie37. »
24Le caractère panégyrique de cet avant-propos montre que ce recueil s’inscrivait dans une démarche de propagande en l’honneur de Louis XIII. En comparant les collections numismatiques existantes avec les reproductions de cet ouvrage, il apparaît que la qualité scientifique du discours de Jacques de Bie était altérée par cette finalité politique. L’auteur anversois ne se contentait pas de reproduire les collections des plus grands antiquaires de son temps comme Fabri de Peiresc ou Jean Baptiste Duval38 ; il suivait le modèle des almanachs selon lequel, chaque année, les événements principaux de la Couronne devaient être commémorés39. À cet effet, il ajouta ou fit ajouter des reproductions de jetons qui n’existaient pas « pour alimenter copieusement une histoire des règnes depuis les temps reculés40 ». Précédant de loin la publication du livre des Médailles sur les événements principaux du règne de Louis le Grand, La France métallique avait pour objectif d’assurer « la survie des hauts faits de Louis XIII avant sa disparition41 ».
Les médailles et les jetons de Louis XIV à travers les ouvrages imprimés : une entreprise éditoriale concourant à la gloire du monarque
25Avant 1663, l’élaboration des devises et la publication des traités de jetons qui s’en suivent n’étaient pas soumises à l’approbation d’une institution, comme ce fut le cas de La France métallique. Après cette date, les Mémoires de Charles Perrault indiquent que l’invention des devises revenait désormais à la Petite Académie. Elle devait répondre au souhait de Louis XIV qui lui avait confié la chose la plus précieuse à ses yeux : sa gloire42. Dans ce contexte, des auteurs comme Pierre Le Moyne voyaient la nécessité de rédiger des traités sur la conception des devises43. En même temps qu’ils offrent une interprétation de ces images symboliques, ces théoriciens justifient leur invention par le prestige des commanditaires et des destinataires. Ils légitiment le pouvoir du monarque en dévoilant « ses objectifs politiques44 ». Déjà en 1645, certains auteurs de traités de devises, comme Henri Estienne, réaffirment l’importance d’utiliser les devises pour diffuser un événement politique au moyen des jetons45.
26En 1666, le traité sur L’art des devises de Pierre Le Moyne va au-delà d’une théorie sur le simple usage de celles-ci. Il offre une interprétation des devises moralisatrices représentées sur le revers des jetons de Louis XIV. Même si la plupart d’entre elles portent sur des victoires, de nombreuses images symboliques mettent en exergue les vertus du monarque :
« Que le mérite des personnes illustres et les maximes de la morale peuvent estre de justes sujets de devises : que la devise est la propre philosophie de la cour. À ces deux espèces de sujets, qui appartiennent principalement aux devises, et qui sont de leur première institution, on a ajouté depuis, le mérite des personnes extraordinaires, et les dogmes de la politique et de la morale46. »
27Alors que la plupart des devises commentées par Pierre Le Moyne porte sur les vertus morales du monarque bienveillant envers ses sujets, les recueils imprimés de médailles et de jetons entendent illustrer la gloire du roi victorieux. Ainsi, à la différence des traités sur les devises, ce deuxième type d’ouvrages n’a pas la vocation de chercher l’imitation des vertus monarchiques mais de susciter l’admiration chez le spectateur47.
28Fondée sur une série de médailles gravées pour la plupart d’entre elles par Jean Warin, l’Histoire métallique du roi offre un discours encomiastique sur les événements principaux de la couronne depuis que Louis XIV gouverne par lui-même. Éditée en 1702, l’histoire de Louis le Grand par les médailles de François Charpentier connaît un précédent48. Il s’agit de l’ouvrage de Claude-François Ménestrier qui porte sur une série de médailles sensiblement proche, et publié en 168949. Dans l’objectif de glorifier les événements qui ont marqué le début du règne de Louis XIV, le jésuite a intégré deux planches de L’Histoire de Louis le Grand par les jetons. En occultant la régence d’Anne d’Autriche, ces reproductions permettaient d’attirer l’attention sur le jeune roi ayant remporté de nombreuses batailles. En rappelant ces faits historiques du début du règne de Louis XIV, l’auteur souhaitait légitimer sa prise de pouvoir personnel.
29En revanche, ce discours encomiastique fut élaboré aux dépens de l’exactitude factuelle, le propos de l’auteur étant souvent discordant et anachronique au regard des événements auxquels se réfèrent les jetons. Ainsi, il sélectionne les devises qui montrent la toute-puissance du roi dès son plus jeune âge, en les détournant de leur sens premier. Le caractère indivisible de de la gloire du roi justifie cette prise de position de la part de la Couronne. Yann Lignereux rappelle que sur une médaille de 1644, c’est le roi enfant seul qui reçoit d’un soldat anonyme la réduction de 30 villes prises50. Sur un jeton de 1645 (cf. cahier hors texte, pl. V, no 11), le monarque apparaît en jeune Hercule étouffant les serpents.
30Selon Claude-François Ménestrier, cette métaphore illustrerait « les victoires de la minorité du roy sur les allemands et les espagnols et des guerres civiles », en référence aux victoires françaises de Rocroy et de Thionville51. Louis Dieudonné n’avait que cinq ans au moment où ces batailles eurent lieu et il n’a donc pas pu participer directement à ces événements. La légende latine « Vincendi sut haec preludia mundi » (« Tels sont les préludes de sa victoire sur le monde ») confirme que ces victoires préfigurent le règne de Louis XIV.
31Un deuxième jeton (cf. cahier hors texte, pl. V, no 12) qui représente le monarque sous les traits d’Hercule écrasant l’Hydre de Lerne illustre « les victoires remportées par Louis XIV52 ».
32Il figure le roi en âge adulte entouré de la légende « Erit Hercule maior » (« Il sera plus grand qu’Hercule53 »). Il s’agirait d’une allusion faite aux traités de Westphalie grâce auxquels la France acquiert Pignerol, Suze et les Trois-Évêchés. Cette force libératrice incarnée par le roi en Hercule est une anticipation de son règne personnel car elle ne peut correspondre à la réalité historique au moment où le souverain n’était âgé que de onze ans. Toutes ces victoires ne peuvent être directement attribuées au jeune monarque mais elles constituent déjà la matière d’une entreprise de propagande avant son règne personnel.
La fabrication d’un objet de propagande monarchique
Tentatives d’attribution des devises jetonnières
33La circulation des devises, que les jetons assurent à travers leur distribution et leur reproduction dans les livres imprimés, est fondée sur les multiples compétences des artistes chargés de leur invention. Depuis le xvie siècle, les savants et les lettrés étaient dotés d’une certaine polyvalence. Concentrés au sein de la cour, ils rassemblaient leurs idées et leur savoir autour de la gloire du roi avant même la création de la Petite Académie. Même s’ils n’étaient pas encore constitués en une entité à part entière, le poète Pierre de Montmaur et l’écrivain Pierre de Marcassus apparaissent comme étant à l’origine de nombreuses devises dans les traités notamment54. À l’image du poète et du décorateur Jean Dorat, les décorateurs du xviie siècle comme Jean Guisse pouvaient être à l’origine de projets de devises requièrant des compétences dans les domaines littéraires et artistiques55.
34Décorateur et interprète royal sous le règne de Louis XIII, Jean Guisse possédait les connaissances nécessaires à l’élaboration de ces images symboliques. Son talent est visible à travers les peintures de la galerie du Palais cardinal que Richelieu fit construire en 162856. Inventées pour donner à cette galerie et aux hommes illustres qui y sont représentés la grandeur qui sied à un tel lieu et à un tel sujet, ces devises ont été réemployées sur les jetons.
35Datée de 1635 (cf. cahier hors texte, pl. VI, no 13), l’une d’entre elles représente une grenade ouverte surmontée d’une couronne royale fermée fleurdelisée et accostée de deux branches de laurier57. Éclipsé par son prédécesseur le duc de Sully, qui fut à l’origine de l’invention de l’emblème de la grenade ouverte en 1604, Jean Guisse était pourtant bien l’auteur de cette devise légèrement différente de celle du trésorier de l’Épargne. Elle assurait la gloire du cardinal puis du monarque qui avaient la capacité de maintenir une cohésion parmi les membres d’une assemblée constituée du clergé ou des sujets de la Couronne. De l’autre côté de cette image apparaît une autre devise de Jean Guisse qui représente un ciel nuageux, parsemé d’étoiles, au-dessus d’un paysage de campagne. Roger de Gaignières, écuyer du duc de Guise et auteur d’un recueil de jetons, l’attribua à l’interprète royal à travers le commentaire suivant :
« Un ciel semé d’estoilles. Absentis luce refulgent (“D’un astre absent, l’esclat en fait briller”). Jean Guisse, autheur des devises de la gallerie du palais cardinal a faict la gallery pour une assemblée du clergé. Le premier revers veut dire que le roy est l’appuy et le soustien du clergé. Le second regarde et cardinal de Richelieu que son absence empescha de se trouver à cette assemblée où il avoit esté invité58. »
36Créée en l’honneur de Richelieu pour le décor de son palais, cette devise symbolise la présence du cardinal au sein de l’Assemblée du clergé, même lorsqu’il était absent. Les ecclésiastiques y sont représentés sous la forme d’étoiles brillant sous l’autorité de Richelieu. Visible sur un jeton dont le revers commémore le soutien que le roi apporte au clergé à travers une grenade surmontée de la couronne impériale, l’image symbolique de ce ciel étoilé devient une manifestation du pouvoir monarchique. Rattachées à l’œuvre de Jean Guisse par Claude-François Ménestrier et Roger de Gaignières, ces deux devises commémoratives ont longtemps été attribuées à tort à Pierre de Montmaur. Dans son ouvrage, le père Ménestrier rapporte que Jean Guisse :
« [se] plaignait de ce qu’ayant fait l’an 1635 une devise pour l’assemblée du clergé dont le corps étoit une grenade ouverte avec ces mots Tot sedes unica firmat, Pierre de Montmaur se l’étoit attribuée, et cet autheur faisant imprimer deux ans après un recueil de ses devises mit à côté de celle-cy ces mots latins qui témoignaient son chagrin, hoc symbolum falso sibi arrogat patrus de montmaur gracus59 ».
37Or, cette réappropriation peut être justifiée par la charge d’intendant des devises que Pierre de Montmaur allait acquérir en 163960. La création de cet office marque un bouleversement dans l’institutionnalisation des devises apparaissant bien avant la Petite Académie établie en 1663. Professeur à la chaire de langue grecque au collège royal depuis 1623, Pierre de Montmaur a élaboré au moins deux projets pour des jetons royaux61. Malgré les remontrances que Claude-François Ménestrier exprima à son encontre concernant le réemploi de certains projets de devises, l’esprit et l’érudition du professeur furent abondamment loués. Dans son Art des devises, Pierre Le Moyne ne tarit pas d’éloges sur celui qu’il considère comme « un artiste62 ». Le théoricien commenta avec emphase l’une des premières créations de Pierre de Montmaur datée de 1628. Elle représente deux globes (cf. cahier hors texte, pl. VI, no 14), l’un céleste et l’autre terrestre, sur deux piédouches.
38Apparaissant de l’autre côté du coin qui commémore la fin du siège de La Rochelle, cette devise était destinée à Richelieu et au monarque lui-même. Alors que cette image se trouve au revers du portrait du cardinal sur certains jetons, elle est associée à la digue de La Rochelle sur d’autres. Cette altération pourrait être considérée comme un défaut de fabrication, or il n’en est rien :
« De quelque cent devises doubles, toutes justes et toutes correctes, qu’il a faites sur divers sujets, je n’en ay choisi que trois, faites pour le roy, qui pourront servir de modèles, à ceux qui voudront travailler régulièrement et avec art63. »
39À travers ce commentaire, Pierre Le Moyne nous apprend que Pierre de Montmaur a élaboré pas moins de cent devises doubles dont une partie était réservée au roi. Cette capacité à concevoir des devises pour le roi que les hauts dignitaires pouvaient se réapproprier était un précepte évoqué par Henri Estienne dans son traité. L’auteur considérait qu’il n’était pas condamnable de vouloir réutiliser une devise pour un autre, dans la mesure où elle exprimait « la mesme inclination » que le premier64. Dans ce cas, l’ensemble de la cour devait se satisfaire de la circulation de cette image victorieuse qui commémorait l’esprit du monarque et de son premier ministre convoitant les biens célestes et terrestres.
40Ayant un seul objectif en tête, celui de glorifier la Couronne, Pierre de Montmaur consacra une deuxième devise au monarque en 164165. Le coin (cf. cahier hors texte, pl. VII, no 15) représente un taureau sacrifié sur un autel enflammé au-dessus duquel apparaît un soleil à visage humain rayonnant.
41Cette image est entourée de l’inscription latine « Phoe na et taurus accessit ad arras » qui signifie « Phébus naît et le taureau s’est approché de l’autel66 ». D’après le président honoraire du Grand Conseil au xviiie siècle, cette devise aurait symbolisé la fin des sièges d’Arras et de Turin ainsi que la naissance du frère du roi67. Cette hypothèse fut appuyée par Thierry Sarmant et François Ploton-Nicollet qui y voient un jeu de mot68. À l’instar de celles élaborées par Jean Guisse, cette image symbolique apparaît à la fois sur des jetons et au sein d’un décor, celui du château de Fontainebleau69. Visible au-dessus de la chambre du roi, elle fit l’objet d’un commentaire de la part de Pierre Le Moyne :
« Qui croyroit que les maisons royales, où les marbres, ou les pierres, ou le plastre mesme et le ciment ne devroient rien exprimer que de grand et de noble, fussent quelquefois souillées de pareilles représentations, qui ne seroient suportables que sur les murailles de quelque hostellerie de village. À Fontainebleau néantmoins, et dans une chambre où il ne se devroit rien voir, qui ne fust ciselé, qui ne fust peint, qui ne fust doré de la main des Muses ; il se voit je ne sçai quoy, qui tient moins de la devise, que du grimoire70. »
42Le plus intéressant n’est pas la critique formulée par l’auteur à l’encontre de l’intendant des devises mais les précisions matérielles apportées à cet élément décoratif. Il s’agit d’une sculpture en bas-relief qui apparaît sous la forme d’un médaillon à fond d’or où l’on pouvait lire autrefois « Phoe na et taurus accessit ad aras ». Le caractère précieux, immuable et immobile de cette œuvre modifie la réception de cette devise. Désormais visible par la cour et les ambassadeurs étrangers qui ne recevaient pas de jetons, elle donnait une image glorifiante du royaume auprès d’un plus large public. Cette diversité des supports artistiques assurait une circulation des devises au sein de la monarchie et à l’extérieur du royaume. En revanche, le langage aristocratique contenu par ce type d’images symboliques ne s’adressait qu’à une élite. Seuls les princes, les souverains et les autres hauts dirigeants européens étaient capables de pouvoir interpréter ces sortes d’emblèmes qui renforçaient les liens diplomatiques entre la France et les autres États.
43Récupérant l’office d’intendant des devises en 1650, le Sieur Dubuisson-Aubenay est cité dans les sources comme étant à l’origine de l’invention de nombreuses devises royales, même avant l’acquisition de cette charge71. Ce savant inventa pas moins de quatorze projets de jetons entre 1643 et 1650. Mettant en exergue la manière dont le Sieur Dubuisson-Aubenay a élaboré ses devises, Vladimir Juren a réalisé plusieurs études à propos de ses créations mais il a omis de faire le rapprochement avec le traité d’Henri Estienne dont le lettré s’est visiblement inspiré. En règle générale, les devises de l’intendant n’excédaient pas deux figures et trois mots comme le préconisait le théoricien dans son traité en 164572. L’objectif était de frapper les esprits grâce à l’efficacité du symbole qui devait être compris au premier regard.
44Inventé par le nouvel intendant en 1651, un carré témoigne de l’importance du traité d’Henri Estienne dans la conception des devises royales (cf. cahier hors texte, pl. VII, no 16). Il représente une balance suspendue à une enseigne à côté d’un coffre rempli de monnaies, entourée de la légende « Quam bene conveniunt » (« Comme elles vont bien ensemble73 »).
45Cette devise respecte les règles édictées par Estienne, n’étant constituée que de deux figures et de trois mots, ce qui rendait le discours plus clair et intelligible. Sur le jeton, un autre précepte énoncé par Henri Estienne dans son traité apparaît. Hérité de la théorie de Paolo Giovio datée du xvie siècle, il consiste à ne pas insérer de figure humaine dans une devise74. La représentation de l’homme rendait le contenu difficile à interpréter alors que les attributs de la Justice et des Finances suffisaient à comprendre que le jeton portait sur les activités du Conseil du roi75. Plus particulièrement, cette devise s’adressait au surintendant des finances René de Longueil, commémorant l’équilibre des dépenses de l’État. Elle était censée rappeler les vertus du roi économe.
46S’il apparaît très nettement que la création de l’office d’intendant des devises marque une nouvelle étape dans l’institutionnalisation des projets de jetons dans la première moitié du xviie siècle, cela n’est pas le cas de l’Académie française qui reçut ses lettres patentes en 1635. Cependant, il ne faut pas occulter le rôle que certains académiciens auraient pu jouer dans ce type d’élaborations comme Claude de l’Estoille. L’érudition de ce lettré est visible dans les multiples poésies et pièces de théâtre qu’il rédigea avec Richelieu. Il semble aussi s’être distingué à travers l’élaboration de devises élogieuses envers la Couronne. Gravée sur un coin de jeton daté de 1657 (cf. cahier hors texte, pl. VIII, no 17), l’une d’entre elles pourrait être attribuée à cet auteur.
47Fils du grand collectionneur Pierre de l’Estoille, Claude était intéressé par le domaine des emblèmes et des symboles qu’il aurait pu transposer au sein de ce coin de jeton. Il représente une couronne royale fermée fleurdelisée, cernée par quatre étoiles, située au-dessus des nuées et entourée de l’inscription « In eadem quatuor astra » (« Il y a sur elle quatre astres76 »). Auteur d’un inventaire de jetons royaux, Roger de Gaignières en donna l’interprétation suivante : « Ces quatre astres composent la maison royalle : Louis XIII, Anne d’Autriche, le roy, et monsieur. L’estoille qui est au-dessus de la couronne représente le Roy Louis XIII qui estoit mort alors77. »
48En même temps qu’elle dépeint le monarque défunt, l’« estoille » rappellerait aussi que l’académicien était l’auteur de cette devise. Claude de l’Estoille aurait réalisé ce projet avant sa mort en 1652 pour n’être finalement retenu qu’en 1657, à titre posthume. Enfin, l’ensemble des compétences détenues par les artistes polyvalents de cette période était nécessaire à la création d’une devise composée d’une image et d’une légende. Ces multiples talents devaient être mis au service du monarque qui avait déjà compris l’importance de les centraliser au sein d’un office, celui d’intendant des devises.
La matérialité des jetons royaux, critère d’une propagande monarchique
49Avant de s’intéresser au contenu des jetons, le monarque et les officiers de la couronne percevaient leur matérialité. Fabriqués en or ou en argent, ces objets revêtaient un caractère précieux et avaient une valeur pécuniaire intrinsèque au matériau dont ils étaient constitués. Cette valeur pouvait constituer un danger pour ces objets monétiformes, comme Robert Wellington l’avait déjà souligné pour les médailles de Louis le Grand parfois menacées d’être fondues78. Concernant les jetons distribués au peuple, seule la valeur du métal était perçue sauf lorsque l’iconographie du revers était facilement compréhensible. Ainsi, quelque que soit le degré d’intelligibilité de la devise, la puissance de la valeur encomiastique du jeton demeurait inchangée.
50Conscients que la plupart des jetons commémoratifs étaient davantage appréciés donc pour leur valeur matérielle que pour leur iconographie, les graveurs des jetons de sacre et de mariage se concentraient sur la qualité esthétique des jetons qu’ils réalisaient. Conçus à partir de poinçons qui étaient gravés successivement par des tailleurs généraux et réunis au sein d’une même matrice appelée carré, les jetons étaient de véritables petits objets d’arts. Les talents de Guillaume Dupré et de Nicolas Briot étaient réunis pour l’exécution d’un seul coin de jeton diffusé lors du sacre de Louis XIII en 1610. D’une part, la main de la Sainte Ampoule a été gravée à partir d’une cire de Guillaume Dupré, contrôleur général des poinçons et effigies, d’autre part, le paysage rémois peut être attribué à Nicolas Briot qui possédait l’office de tailleur général des Monnaies de France (figure 3)79. Doté d’une perspective axiale, cet arrière-plan permettait de plonger le spectateur au cœur de la cérémonie afin d’en conserver le souvenir perpétuel.
51Sous le règne de Louis XIV, le relief des coins de jetons commémoratifs est plus développé au point de ressembler aux médailles. Les compétences d’un sculpteur et d’un médailleur tel que Jean Warin étaient requises pour ce type d’objets. Nommé tailleur général des monnaies de France en 1646 et contrôleur général des poinçons et effigies en 1647, Jean Warin possédait le talent nécessaire pour assurer la propagation de l’image du nouveau monarque et la publicité de ses mérites80. Dans son inventaire des carrés et poinçons de la monnaie des médailles, le directeur du balancier du Louvre fit une description précise du buste royal qui compose les jetons du sacre de Louis XIV (cf. cahier hors texte, pl. VIII, no 18) :
« Un poinçon de deux lignes de haut sur quatre de large représentant le portrait du roy en buste avec sa couronne royale sur la teste, une fraise autour du colet, le reste du buste ébauché. Pour servir à des jettonz où sa majesté paroist avec les ornements de son sacre, ces mots sont autour : Lud XIII d g fr e nav rex christianissimus81. »
52Celui-ci a été réalisé en un seul poinçon. Grâce à cette homogénéité, les colliers des ordres du roi ainsi que ses habits de sacre pouvaient être ciselés dans les moindres détails permettant de renforcer la dignitas de la personne du roi, son autorité82. Même si elle offrait une image théâtralisée du roi, la splendeur de son costume royal était censée faire apparaître « les vertus qui luisent en son esprit83 ». Ainsi, ce portrait d’apparat devient le signe du « corps sacramentel et politique » du souverain et assure sa propagande.
⁂
53Les jetons royaux frappés sous le règne de Louis XIII et le début du règne de Louis XIV souffrent d’un certain manque de considération, étant occultés par l’Histoire métallique du règne de Louis le Grand par les médailles. Or, cette production constitue les prémices d’une propagande monarchique à travers les jetons grâce à leurs devises qui commémorent les événements principaux de la couronne et par leur matérialité même, inscrite dans une gestuelle de diffusion et de rayonnement. Alors que l’on attribue trop souvent l’élaboration de la gloire du roi à la Petite Académie fondée par Colbert en 1663, des décorateurs, poètes et autres savants de la première moitié du xviie siècle étaient déjà en charge de créer des devises, jetons et médailles en l’honneur du roi. Grâce à l’office d’intendant des devises établi en 1639, cette entreprise était déjà institutionnalisée pour assurer la propagande du futur roi de France, Louis XIV.
Notes de bas de page
1 Sarmant Thierry et Ploton-Nicollet François, Jetons des institutions centrales de l’Ancien Régime, 2 vol., Paris, Éditions de la Bibliothèque nationale de France, 2010 et 2012.
2 Ibid., t. I, p. 25-32.
3 Jacquiot Josèphe, Médailles et jetons de Louis XIV d’après le Ms. de Londres Add. 31.908, Paris, Librairie Klincksieck, 1968, p. 74.
4 Duccini Hélène, Faire voir, faire croire. L’opinion publique sous Louis XIII, Seyssel, Champ Vallon, 2003, p. 113.
5 Bardon Françoise, Le portrait mythologique à la cour de France sous Henri IV et sous Louis XIII. Mythologie et politique, Paris, Éditions A. et J. Picart, 1974.
6 Canova-Green Marie-Claude, « La médaille, la mort, l’immortalité : Louis XIV et le livre des Médailles sur les principaux événements de son règne », in Yvan Loskoutoff (dir.), Les médailles de Louis XIV et leur livre, Rouen, Publications des universités de Rouen et du Havre, 2016, p. 249.
7 Canova-Green Marie-Claude, « Du cabinet au livre d’histoire : les deux éditions de La France métallique de Jacques de Bie », xviie siècle, no 250, 2011/1, p. 159.
8 Ziegler Hendrik, Louis XIV et ses ennemis. Image, propagande et contestation, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2013, p. 24.
9 Furetiere Antoine, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes, La Haye, P. Husson, 1727, 3 vol., t. II, p. 213.
10 Jacquiot Josèphe, Médailles et jetons de Louis XIV, op. cit., p. 73.
11 Pastoureau Michel, « Jetons, méreaux et médailles », Typologie des sources du Moyen-Âge occidental, Turnhout, Brepols, 1984, p. 15.
12 Sarmant Thierry et Ploton-Nicollet François, Jetons des institutions centrales, op. cit., t. I, p. 14.
13 Blanchet Jules-Adrien, « Jetons de l’ordinaire des guerres de 1651 à 1653 », Revue numismatique, 5e série, t. XII, 1950, p. 199.
14 L’expression « renforcement mutuel » est empruntée à Pierre Bourdieu. Voir Bourdieu Pierre, La distinction : critique sociale du jugement, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979, p. 250-251.
15 Bibliothèque nationale de France (désormais BNF), Mss, Clairambault 281, fo 595.
16 Archives nationales (désormais AN), Z1b 407 : Le 27 décembre 1638 ; le 12 au 13 janvier 1639. Information faite au sujet des jetons commandés par le trésorier de l’Épargne, distribués au roi et au trésorier de l’Épargne en 1639, fabriqués par Jean Varin.
17 Vignal Souleyreau Marie-Catherine, Le trésor pillé du roi, correspondance du cardinal de Richelieu – année 1634, Paris, L’Harmattan, 2013, 2 vol., t. II, p. 378.
18 Bie Jacques de, La France métallique contenant les actions célèbres tant publiques que privées des rois et des reines remarquées en leurs médailles d’or et d’argent et de bronze, Paris, Jean Camusat, 1636. Le recueil de Gaignières figure dans BNF, Mss, CLairambault 281.
19 Sarmant Thierry et Ploton-Nicollet François, Jetons des institutions centrales, op. cit., t. I, p. 146, no 449 ; BNF, Mss, Clairambault 281, fo 519.
20 Ibid., p. 146, no 449.
21 Furetiere Antoine, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes, La Haye, P. Husson, 1727, 3 vol., t. II, p. 213.
22 Favyn André, Histoire de Navarre contenant l’origine, les vies et conquestes des rois depuis leur commencement jusqu’à présent, Paris, L. Sonnius, 1612, p. 1326.
23 Chartier Roger, « Le sens de la représentation », La Vie des idées, Paris, 22 mars 2013. ISSN : 2105-3030, [http://www.laviedesidees.fr/Le-sens-de-la-representation.html] ; Marin Louis, De la représentation, Paris, Gallimard/Seuil, 1994.
24 Canova-Green Marie-Claude, « La médaille, la mort, l’immortalité », art. cité, p. 249.
25 Rusclelli, Girolamo, Le imprese illustri, con espositioni e discorsi del sieur Ieronimo Ruscelli, Venise, Comin da Trino di Monteferrato, 1566, p. 723.
26 BNF, bibliothèque de l’Arsenal, Ms 3328 : Recueil. Discours sur l’Art des devises de Charles Perrault.
27 Le Mercure françois, ou, la Suitte de l’histoire de la paix, Paris, Jean Richer, 25 vol., t. IV : 1615-1617, p. 359.
28 Devienne Dom, Histoire de la ville de Bordeaux : première partie contenant les événements civils et la vie de plusieurs hommes célèbres, Bordeaux, Simon de La Court fils, 1771, p. 195.
29 Caron Émile, « À propos du jeton du mariage de Louis XIV », Revue numismatique, 4e série, t. VI, 1902, p. 11.
30 Sarmant Thierry et Ploton-Nicollet François, Jetons des institutions centrales, op. cit., t. II, p. 81, no 1448.
31 Ibid., fin d’hexamètre dactylique.
32 Canova-Green Marie-Claude, « Du cabinet au livre d’histoire », art. cité, p. 159.
33 Canova-Green Marie-Claude, « La médaille, la mort, l’immortalité », art. cité, p. 248.
34 Loskoutoff Yvan, « Préface », in Yvan Loskoutoff (dir.), Les médailles de Louis XIV et leur livre, op. cit., p. 19.
35 Canova-Green Marie-Claude, « Du cabinet au livre d’histoire », art. cité, p. 159.
36 Loc. cit.
37 Bie Jacques de, La France métallique, op. cit., « Épître ».
38 Babelon Jean-Pierre, « Architecture et emblématique dans les médailles de Henri IV », Revue de l’art, no 58-59, 1982-1983, p. 26.
39 Duccini Hélène, Faire voir, faire croire, op. cit., p. 113.
40 Babelon Jean-Pierre, « Architecture et emblématique », art. cité, p. 27.
41 Canova-Green Marie-Claude, « La médaille, la mort, l’immortalité », art. cité, p. 247.
42 Perrault Charles, Mémoires de ma vie, 1669, Paris, Éditions Macula, 1993, p. 134.
43 Le Moyne Pierre, De l’art des devises, Paris, Sébastien Cramoisy et Sébastien Marbre Cramoisy, 1666.
44 Ziegler Hendrik, Louis XIV et ses ennemis, op. cit., p. 24.
45 Estienne Henri, L’art de faire des devises, où il est traicté des hiéroglyphiques, symboles, emblèmes, aenygmes, sentences, paraboles, revers de médailles, armes, blasons, cimiers, chiffres et rébus, avec un traicté des rencontres ou mots plaisans, Paris, Jean Paslé, 1645.
46 Le Moyne Pierre, De l’art des devises, op. cit., p. 59-60.
47 Carlin Claire, « Poétique de l’histoire dans les Médailles sur les principaux événements du règne de Louis le Grand (1702) », in Yvan Loskoutoff (dir.), Les médailles de Louis XIV et leur livre, op. cit., p. 155.
48 Charpentier François, Médailles sur les principaux événements du règne de Louis Le Grand avec des explications historiques, Paris, Imprimerie royale, 1702.
49 Menestrier Claude-François, Histoire du roy Louis Le Grand par les médailles, emblèmes, devises, jettons, inscriptions, armoiries, et autres monuments publics, Paris, J.-B. Nolin, 1689.
50 Lignereux Yann, « Dieu et le roi dans l’illustration métallique de Louis XIV. Le médailler de 1702 et la célébration sans horizon de l’imaginaire monarchique », in Yvan Loskoutoff (dir.), Les médailles de Louis XIV et leur livre, op. cit., p. 178.
51 Menestrier Claude-François, Histoire du roy Louis Le Grand par les médailles, op. cit., p. 35.
52 Ibid.
53 Sarmant Thierry et Ploton-Nicollet François, Jetons des institutions centrales, op. cit., no 3202 (à paraître).
54 Jacquiot Josèphe, Médailles et jetons de Louis XIV, op. cit., p. 74.
55 Juren Vladimir, « Jean Dorat et les jetons des derniers Valois », Revue numismatique, 6e série, t. XXI, 1979, p. 194-210.
56 Menestrier Claude-François, La devise du roy justifiée, Paris, Estienne Michalet, 1679, p. 77.
57 BNF, Mss, Clairambault 281, fo 585.
58 Ibid.
59 Menestrier Claude-François, La devise du Roy justifée, op. cit., p. 78. La devise Tot sedes unica firmat doit être rapprochée de Tot vota meorum qui signifie « Aussi nombreux sont les vœux des miens [que les graines de la grenade] », in Thierry Sarmant et François Ploton-Nicollet, Jetons des institutions centrales, op. cit., t. II, p. 44, no 1078.
60 Juren Vladimir, « Le jeton français et la littérature emblématique », xviie siècle, no 158, 1988, p. 24.
61 Ibid.
62 Le Moyne Pierre, De l’art des devises, op. cit., p. 230.
63 Ibid., p. 75.
64 Estienne Henri, L’art de faire des devises, op. cit., p. 86.
65 Juren Vladimir, « Le jeton français et la littérature emblématique », art. cité, p. 24.
66 Sarmant Thierry et Ploton-Nicollet François, Jetons des institutions centrales, t. II, p. 63, no 1256-1259 : hexamètre dactylique fautif, à développer comme suit : Phoebus nascitur et taurus accessit ad aras. Voir Lucrèce, De natura rerum, 5, 1199 : atque omnis accedere ad aras (la vraie piété ne consiste pas à « s’approcher de tous les autels »).
67 BNF, Mss, Français 10441 : « Histoire métallique de la France par jettons » par le président Durey de Noinville », vers 1766, p. 42.
68 Sarmant Thierry et Ploton-Nicollet François, Jetons des institutions centrales, t. II, p. 63, no 1256-1259 : « Un nouveau soleil luit sur notre horizon et Turin se réunit à Arras » (abbé Pierre Guilbert, Description des châteaux, bourg et forêt de Fontainebleau, Paris, André Cailleau, 1731, t. I, p. 129-133).
69 Guilbert Pierre, Description historique des château, bourg et forest de Fontainebleau, op. cit., p. 131.
70 Le Moyne Pierre, De l’art des devises, op. cit., p. 174.
71 Juren Vladimir, « Les projets de Dubuisson-Aubenay pour les jetons du Conseil d’État », Revue numismatique, 6e série, t. XVIII, 1976, p. 156-170.
72 Estienne Henri, L’art de faire des devises, op. cit., p. 76.
73 Sarmant Thierry et Ploton-Nicollet François, Jetons des institutions centrales, t. II, p. 74, no 1376-1381. Voir Ovide, Héroïdes, 7, 187 : Quam bene conveniunt fato tua munera nostro ! (parole ironique de Didon à Énée qui la quitte : « Que ton cadeau convient bien à mon destin ! »).
74 Estienne Henri, L’art de faire des devises, op. cit., p. 85 ; Giovio Paulo, Dialogue des devises d’armes et d’amours du S. Paulo Jovio, Avec un Discours de M. Loys Dominique sur le mesme subjet. Traduit d’Italien par le S. Vasquin Philieul. Auquel avons adjousté les Devises Heroiques & Morales du Seigneur Gabriel Symeon, Lyon, Guillaume Roville, 1561, p. 10.
75 Juren Vladimir, « Les projets de Dubuisson-Aubenay pour les jetons du Conseil d’État », art. cité, p. 162.
76 BNF, Mss, Clairambault 281, fo 684 : « Quatre astres en font la clarté. »
77 Ibid.
78 Wellington Robert, « Médailles en mouvement : la réception des médailles de Louis XIV à la croisée des cultures », in Yvan Loskoutoff (dir.), Les médailles de Louis XIV et leur livre, op. cit., p. 289-290.
79 Dauban Charles-Aimé, « Nicolas Briot, médailleur et mécanicien », Revue numismatique, nouvelle série, t. II, 1857, p. 19-20 ; Rouyer Jules, « L’œuvre du médailleur Nicolas Briot en ce qui concerne les jetons », Revue Belge de Numismatique, no 50, 1894, p. 222.
80 Mazerolle Fernand, Jean Warin conducteur de la Monnaie du Moulin, tailleur général des poinçons et effigies de sa vie, sa famille, son œuvre, Paris, Étienne Bourgey, Jean Schemit, 1932, 2 vol., t. I, p. 35.
81 AN. KK 960, fo 532. Inventaire des poinçons et carrés de la Monnaie des médailles, dressé après l’érection de la charge de directeur du balancier des médailles, « establi sous la grande galerie du Louvre » en faveur de Nicolas de Launay par édit de juin 1696.
82 Canova-Green Marie-Claude, « L’Entrée dans la ville ou le corps éclaté du roi », in Sabine Chaouche (dir.), Le théâtral de la France d’Ancien Régime. De la présentation de soi à la représentation scénique, Paris, Honoré Champion, 2010, p. 173.
83 Ibid., p. 174.
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