Épilogue
p. 275-278
Texte intégral
1« La réalité est géographiquement diverse, socialement variable », écrit avec raison Bruno Poucet en conclusion de cet ouvrage consacré aux institutions catholiques d’enseignement secondaire. La force des cultures d’établissement, la diversité des acteurs et l’inégale implantation de l’enseignement catholique à l’échelle française sont en effet quelques-unes de ses caractéristiques, qui sont clairement apparues au cours des deux journées de communication et d’échange à Ploërmel ici rassemblées. La confrontation des différents terrains de recherche a aussi permis de mettre en relief la singularité bretonne et, au final, d’élargir les conclusions formulées à l’issue de la publication du Dictionnaire des lycées catholiques de Bretagne1.
2Le poids du nombre, dans les établissements catholiques de l’académie de Rennes, a depuis longtemps été souligné et n’est bien sûr aucunement une découverte. Le colloque s’est en revanche avéré utile pour aider à le penser et le comprendre. Ce succès repose bien sûr sur une base quantitative, que Michel Lagrée a mise en évidence dans les chapitres qu’il a consacrés à l’école primaire catholique dans son Religion et cultures2. Le dynamisme de l’enseignement catholique prolonge celui des fondateurs, des donateurs, des maîtres et des élèves, qui sont d’autant plus nombreux que les vocations sont abondantes et que la pratique religieuse est forte. Mais l’enseignement catholique breton se distingue aussi sur le plan qualitatif par une assise populaire, qui n’est sans doute pas étrangère à son succès relatif.
3Bien sûr, il ne s’agit pas de nier l’existence d’établissements catholiques où l’entre-soi est largement répandu. Ce sont pour l’essentiel les vieilles institutions de centre-ville (Saint-Vincent à Rennes, Saint-Charles à Saint-Brieuc ou Saint-François-Xavier à Vannes par exemple), qui ont historiquement construit leur réputation sur des résultats aux examens flatteurs et servi de tremplin aux enfants des familles nobles ou de la bourgeoisie des xixe et xxe siècles. Ils ont longtemps été la vitrine de l’enseignement catholique, le demeurent parfois, mais leur force gravitationnelle s’est atténuée en Bretagne. Plus exactement, entre le milieu du xixe siècle et le milieu du xxe, l’enseignement secondaire catholique breton est passé d’un système quasiment dual, qui se caractérisait par l’existence d’établissements de centre-ville destinés aux enfants des familles aisées et celle de petits séminaires accueillant les fils des familles modestes à une offre scolaire diversifiée, tant du point de vue pédagogique, géographique, que social. L’originalité de l’enseignement catholique breton réside sans doute dans la constitution de ce dense réseau d’établissements secondaires catholiques, qui a offert une solution de proximité aux familles qui voulaient et pouvaient encourager leurs enfants à prolonger leurs études au-delà de l’école primaire, en particulier dans les petites villes et les campagnes. Dans le territoire correspondant à l’actuelle académie de Rennes, qui englobe aujourd’hui les départements des Côtes-d’Armor, du Finistère, de l’Ille-et-Vilaine et du Morbihan, on est ainsi passé de 19 établissements catholiques d’enseignement secondaire (petits séminaires inclus) en 1857 à 31 en 1898 et 87 en 1958. Les denses campagnes bretonnes acquises à l’Église formèrent un terrain d’expansion propice. Cette forte augmentation résulte notamment de l’émergence et de l’affirmation d’un enseignement secondaire catholique féminin, puisque parmi les 87 établissements secondaires de 1958, 52 étaient réservés aux jeunes filles, alors que les 31 de 1898 étaient masculins.
4Cette vague de créations, largement portée par les congrégations, s’accompagne d’une mutation du profil des acteurs de l’enseignement catholique, d’autant plus spectaculaire que les congrégations les plus actives sont de jeunes congrégations à l’implantation rurale. La plupart des congrégations historiquement tournées vers l’éducation des élites sont relativement peu présentes en Bretagne. Ainsi les Dominicains, que plusieurs contributions du colloque ont mis à l’honneur, sont-ils pour ainsi dire absents. En 1958, les deux congrégations les plus implantées dans l’enseignement secondaire en Bretagne sont les Frères de l’Instruction chrétienne et les Filles du Saint-Esprit, deux congrégations bretonnes emblématiques qui recrutent massivement dans les campagnes. L’une et l’autre, comme d’autres congrégations au profil similaire, telles que les Filles de Jésus ou les Sœurs de l’Immaculée Conception, qui dirigent respectivement sept et quatre établissements secondaires en Bretagne à la fin des années 1950, ont pour mission d’élever religieusement mais aussi socialement les jeunes gens qui leur sont confiés. Cette orientation est d’autant plus forte qu’elle est également présente dans le clergé séculier. Jean-Marie de La Mennais, fondateur des Frères de Ploërmel, incarne cette conjonction de l’impératif pastoral et social. Dès la première moitié du xixe siècle, il cherche à rénover l’enseignement offert en proposant que l’éducation primaire offerte se prolonge d’une formation professionnelle adaptée aux besoins des élèves des milieux populaires. C’est l’émergence d’un enseignement primaire supérieur catholique, qui constitue l’embryon de l’enseignement secondaire professionnel.
5Ces nouveaux acteurs, pour se faire une place sur le marché scolaire tant masculin que féminin, ont exploré de nouveaux territoires, tant géographiques que scolaires. Leur ambition a souvent pris corps dans des initiatives pédagogiques qui se sont dans un premier temps intercalées entre le primaire et un enseignement secondaire classique, avant de muer au cours du xxe siècle en sections ménagères ou techniques, en établissements agricoles ou professionnels. L’abondance des vocations sacerdotales et religieuses en Bretagne est donc non seulement un facteur qui favorise l’éclosion de nouvelles institutions, mais un élément qui participe à leur diversification, les nouveaux venus cherchant à se distinguer qualitativement. Cette large palette éducative et la constitution d’un dense réseau d’établissements sont bien sûr à la racine du succès de l’enseignement catholique dans l’académie de Rennes, mais sont aussi un des ressorts du succès de l’Église en Bretagne jusque dans les années 1960. Les établissements scolaires formaient des réservoirs à vocation et l’abondance du recrutement permettait au clergé régulier et séculier de conforter sa présence sur le terrain scolaire. La plupart des familles catholiques lui confiaient ses enfants, en espérant en faire des bons chrétiens qui pourraient s’élever socialement et faire honneur aux leurs. Autrement dit, le succès de l’enseignement secondaire catholique en Bretagne se construit aussi sur une base sociale, dans la mesure où il a pu apparaître comme une passerelle vers une vie meilleure. Cette dimension relativement populaire se prolonge jusqu’à aujourd’hui, le coût de la scolarité dans un établissement secondaire catholique étant en moyenne inférieur dans l’académie de Rennes à la moyenne nationale. L’enseignement catholique n’est évidemment pas la seule passerelle pour s’élever socialement entre le milieu du xixe siècle et le milieu du xxe, mais il convient de ne pas opposer sur ce terrain l’enseignement public républicain et l’enseignement catholique.
6Le dossier mériterait d’être repris pour mesurer de quelle manière cette ambition sociale pénètre les discours catholiques en Bretagne et évaluer la mobilité qui en résulte. Elle affleure dans les archives et dans les discours des anciens élèves qui en ont bénéficié au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, mais elle demeure à étudier. Il y a là matière à renouveler l’histoire des congrégations enseignantes, qui a jusqu’à présent été surtout faite en interne, et à repenser le rôle du clergé séculier, en particulier dans les campagnes. Il faudra faire une place particulière à l’enseignement agricole catholique, qui attend son historien. C’est sans doute là, plus qu’ailleurs, que prend forme cette volonté de former des acteurs catholiques capables de s’élever socialement. Ce serait en outre l’occasion d’inscrire la réflexion sur la modernisation des campagnes bretonnes dans la durée et de voir comment l’enseignement catholique a de fait préparé l’émergence de la Jeunesse agricole catholique.
Notes de bas de page
Auteurs
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Samuel Gicquel
Maître de conférences en histoire contemporaine, université Rennes 2, Tempora.
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Frédéric Le Moigne
Maître de conférences en histoire contemporaine, université de Bretagne occidentale, CRBC.
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