1Il n’était pas aisé de célébrer d’une manière renouvelée les 60 ans de la loi Debré. De nombreux travaux en effet ont été publiés à différentes échelles aussi bien du point de vue national ou international que du point de vue local, notamment lors du cinquantenaire1. Celui-ci avait donné lieu également à de nombreux articles dans la presse2. Rien de tout cela en 2019 : place à la recherche, donc.

2L’originalité de la démarche adoptée dans cet ouvrage, issu du colloque tenu à Ploërmel les 13 et 14 juin 2019 sous l’égide des laboratoires Tempora et CRBC, est d’avoir tenté de penser par le bas, en partant des acteurs, la réalité des établissements privés, en se limitant au secondaire, mais en s’inscrivant dans la longue durée : deux siècles. Il a été aussi décidé de ne s’intéresser qu’aux établissements catholiques : choix justifié par le grand nombre d’institutions concernées et par le poids qu’elles ont joué dans l’histoire ; choix justifié également parce qu’il n’existe pas un enseignement catholique, mais des établissements catholiques aux profils les plus divers. Que Samuel Gicquel et Frédéric Le Moigne soient remerciés de cette initiative !

3Il est vrai que ces deux chercheurs en histoire religieuse étaient plus que d’autres qualifiés pour organiser ce chantier, eux qui avaient été, avec Yvon Tranvouez et Yann Celton, les directeurs du Dictionnaire des lycées catholiques de Bretagne. Par ailleurs, les Frères de Ploërmel en nous accueillant avec autant de discrétion que de disponibilité nous ont plongés dans cette histoire ô combien complexe des institutions catholiques d’enseignement secondaire en France. C’est une histoire faite de débats souvent difficiles avec l’État, mais également avec l’Église catholique, entre les évêques et les congrégations. Au xix^e siècle, les établissements secondaires sont une pièce maîtresse de la volonté de reconquête et de rétablissement de la chrétienté. Ils sont traversés par l’opposition entre ultramontains et gallicans, soucieux d’indépendance par rapport au Saint-Siège. Au xx^e siècle, ces mêmes établissements, dont beaucoup ont été fondés dans les années 1850, sont plongés dans la sécularisation croissante de la société. Ils ont dû s’adapter ou disparaître. Ils sont ainsi écartelés entre ouverture au monde et repli identitaire, entre volonté de rapprochement avec les établissements publics ou au contraire souhait de s’en écarter.

4Au moment du Concile Vatican II, la relecture et la réécriture des constitutions par les congréganistes leur font redécouvrir le charisme des premiers acteurs, fondateurs des congrégations3. La maison mère des Frères de l’institution chrétienne dits de Ploërmel en est l’illustration vivante. Elle jouxte l’établissement secondaire désormais dirigé par un laïc, elle accueille, en effet, outre une curieuse horloge astronomique construite par le frère Bernardin en 1850, les restes du cofondateur de la congrégation, Jean-Marie La Mennais4, mais également sa bibliothèque de 7 500 volumes : elle attend les chercheurs qui voudront poursuivre son exploration.

Trois remarques préalables en matière de recherche

5Une première remarque : on relève avec satisfaction une évolution des travaux sur les établissements catholiques. Il ne s’agit bien entendu plus, comme on le faisait jadis, de proposer une lecture hagiographique qui donne d’une institution l’image la plus acceptable possible, mais de comprendre ce que sont dans leur réalité concrète les institutions catholiques, en s’appuyant sur des sources variées, aussi bien publiques que privées. Remercions à cet égard toutes celles et tous ceux qui, souvent, avec passion et abnégation, ont sauvegardé les traces du passé dans les établissements : les congrégations, les archives diocésaines, les archives du Centre national des archives de l’Église de France, les archives publiques et, parfois, les particuliers. Lorsqu’ils mettent à disposition des chercheurs les documents dont ils disposent, ils permettent ainsi d’écrire de façon renouvelée l’histoire des établissements. En effet, il ne s’agit plus seulement d’explorer les rapports parfois conflictuels, parfois apaisés entre l’Église catholique et l’État (on sait en effet que les autres confessions ont été très peu concernées par la question des établissements scolaires), mais d’accéder de façon la plus proche possible aux réalités locales en prenant en compte les acteurs. Or, la réalité est géographiquement diverse, socialement variable, religieusement évolutive.

6Rien à voir entre un lycée de milieu populaire et un établissement de centre-ville au passé prestigieux. Rien à voir entre un établissement de proximité et un établissement qui recrute sur toute la France des élèves de classes préparatoires. Rien à voir entre un établissement où le coût de la scolarité est très élevé et un établissement où l’on se contente d’une contribution modeste. La diversité est donc au rendez-vous. Une conséquence en découle : la difficulté de définir ce qu’est un établissement catholique. C’est ce qu’ont souligné nombre d’interventions dans le colloque.

7Les fondateurs ont été bien entendu à l’honneur. Des hommes et des femmes d’exception qui ont osé, en leur temps, inventer des institutions secondaires : il y a bien sûr une visée religieuse explicite, mais ce sont aussi des bâtisseurs et des gestionnaires, des meneurs d’hommes ou de femmes, des facilitateurs de relations et des inventeurs de réseaux. L’essentiel des congrégations encore vivantes aujourd’hui est issu du xix^e siècle, y compris celles qui ont réussi à enjamber la Révolution : ainsi les jésuites (ou pères de la Foi) renaissent à Saint-Acheul en 1814 à Amiens en dirigeant un petit séminaire. On a ainsi revisité, grâce à Marie-Thérèse Duffau, l’apport de Lacordaire refondateur de l’Ordre des dominicains. Bien entendu Jean-Marie de La Mennais a été également évoqué, grâce à Estelle Berthereau, et l’on a découvert, par le truchement d’Yvon Tranvouez, l’apport du père Didon à Arcueil. Ce dernier aborde ainsi un aspect souvent oublié : un établissement secondaire doit maintenir un équilibre financier et économique, sinon c’est la fermeture. La faillite en 2012 du collège de Juilly en est l’illustration patente5. Un établissement secondaire pour être attractif, doit éviter les crises internes et proposer des choix pédagogiques clairs. C’est ce qu’a réussi le père Didon. Il a modernisé l’établissement par le confort, par l’ouverture de classes nouvelles, par une éducation libérale. Ce n’est pas la dimension religieuse qui est mise en exergue. Mais, c’est aussi un établissement qui prône le ralliement (selon les conseils de Léon XIII) et qui s’engage dans la défense de la démocratie. Et le résultat est là : l’établissement a réussi à s’adapter au nouveau contexte. Le rôle des acteurs, d’une figure charismatique, est donc essentiel6.

8Il nous est également signifié, de façon à peine subliminale, que les établissements jouent leur partition dans la vie de la cité, notamment en prenant des positions politiques et en agissant en tant que groupe de pression soit grâce aux notables ou plus largement aux parents d’élèves. C’est le cas en 1831 avec Lacordaire et Montalembert, fondateurs de la première école privée non autorisée, en opposition à la monarchie de Juillet, jusqu’à il y a peu, avec la Manif pour tous7 et bien entendu avec les grandes lois scolaires : Falloux, Laboulaye, Debré et Savary8. En revanche, ce qui est nouveau depuis 1960, c’est que les établissements, parfois concurrents, sont obligés de se coordonner, sous l’égide du Secrétariat général de l’enseignement catholique, de se partager les emplois mis à disposition par le ministère, de s’organiser financièrement pour la construction ou la rénovation de leur parc immobilier. Bref, de ne plus être des isolats portant haut et fier le drapeau d’une catholicité aux contours variés.

9Une seconde remarque corrélative de la précédente : de nouveaux chercheurs prennent le relais de la génération des années 19909, qui a dégagé en partie la recherche sur les établissements catholiques de la gangue idéologique qui les dissimulait au regard : on était en effet de l’un ou l’autre camp auparavant, chacun défendait son pré carré, mais on s’efforçait peu de comprendre l’autre. On était encore dans le cadre de la défense d’une institution, la loi Debré n’étant pas réellement acceptée – dans les faits – par tous avant 1984. C’est le cas à présent y compris chez les plus farouches adversaires10. Les opposants se retrouvent aujourd’hui à l’extrême-droite ou à l’extrême-gauche. Désormais, outre les historiens, des sociologues, des politistes, des sciences de l’éducation, des théologiens viennent participer à ces recherches. Et ils étaient présents à Ploërmel.

10On peut aussi souligner que des membres de l’institution se sont mis à écrire des ouvrages qui apportent leur pierre à la compréhension de ces établissements11. C’est le signe aussi que l’on est sorti des années d’interrogation sur la survie même de ces structures : c’était le cas au début des années 1960. En apportant une manne financière qui assurait la survie des établissements, la loi Debré les a forcés à devenir autres que ce qu’ils étaient auparavant : des établissements confessionnels, qui visaient à former des hommes ou des femmes d’influence dans la société et voire, si possible, des prêtres, des religieuses ou des religieux12. On était quasiment chrétien si l’on s’y inscrivait comme élève, mais il fallait le vérifier : actes de baptême et de confirmation étaient demandés, une recommandation d’un prêtre ou d’un laïc chrétien n’était pas superflue. Être le fils ou la fille d’un ancien élève était apprécié : un entre-soi se maintenait ainsi. Il fallait enfin être capable de payer la rétribution scolaire, parfois élevée. L’article 1 de la loi Debré interdit aux établissements désormais de sélectionner en fonction de l’appartenance religieuse, même si nombre d’entre eux, dans l’illégalité la plus complète, ont continué à le faire pendant des années, voire continuent à le faire discrètement. Aujourd’hui on est passé d’un enseignement pour catholiques à un enseignement missionnaire, comme l’a rappelé Joël Molinario. D’institutions de chrétienté à des institutions de post-chrétienté. Néanmoins, cette volonté d’affirmer plus ou moins sa catholicité est variable selon les établissements et selon les zones d’implantation de l’établissement. C’est ce que nous a montré Guillaume Dupuy. Plus on est en centre-ville et plus l’affirmation identitaire d’un catholicisme intégral s’impose. Il y a une chapelle en fonction (et non transformée en gymnase ou CDI), une statue ou une croix dans le hall d’entrée, des signes religieux dans les salles de classe, un espace pour la catéchèse, une messe de rentrée obligatoire. En périphérie populaire, cela risque de devenir contre-productif en matière de recrutement que d’afficher ses convictions : c’est la discrétion qui prévaut. L’on est dans l’enfouissement ou même dans l’indifférence religieuse totale. Au mieux les élèves qui le souhaitent sont invités à fréquenter la paroisse. Mais là aussi, comme dans le public, le rôle du chef d’établissement est important : tout peut changer avec une mutation.

11Troisième remarque : un colloque est intéressant aussi par ce qu’il ne dit pas ou ce qu’il n’aborde pas ou peu, ouvrant ainsi quelques perspectives pour l’avenir. Un des angles morts de la recherche est l’absence de la prise en compte du rôle économique des établissements, dans une ville, dans une région13. Ainsi à Ploërmel, pour se limiter à ce seul exemple, il serait intéressant de saisir l’impact du lycée privé La Mennais dans l’environnent socio-économqiue de la ville et au-delà. Autre angle encore peu exploré : la question des réseaux et des groupes de pression – l’UNAPEL, la FNOGEC, les associations propriétaires des établissements, les syndicats des directeurs et de salariés, les associations d’anciens élèves, sans compter les associations locales, régionales ou nationales, véritable galaxie qui pèse sur l’organisation même des établissements. On a abordé malgré tout la question des réseaux congréganistes, notamment par le biais du réseau mennaisien dont nous a parlé Estelle Berthereau. La question du financement des établissements, de la construction ou des aménagements d’anciens locaux est également fondamentale : cela conditionne la survie des établissements, soumis à des normes de plus en plus drastiques de la part des pouvoirs publics14. Quel établissement n’a pas craint un jour de fermer parce que la commission de sécurité avait estimé qu’il manquait des portes coupe-feu, etc. ? Y a-t-il une architecture spécifique de ces établissements, comme c’était le cas au xix^e siècle, ou se fondent-ils désormais dans l’architecture générale des établissements secondaires ? Le Dictionnaire des lycées catholiques de Bretagne, grâce à sa superbe iconographie, a répondu en partie à la question : les hauts murs ont souvent cédé la place au verre, comme dans le public, l’ouverture sur l’extérieur à l’entre-soi. Le rôle des tutelles, à un moment où certaines congrégations propriétaires s’interrogent sur leur avenir, faute de recrutement, mériterait également une analyse. Les relations entre chefs d’établissements et l’organisation interne de l’enseignement catholique (administration interne, directions diocésaines, structures régionales), mais également avec les administrations de l’État (rectorat, inspection d’académie) n’ont pas ici été l’objet d’investigation. Il serait également intéressant d’analyser ce qu’il en est de la vie scolaire et de son caractère propre vécu, en dehors de l’affichage sur les brochures et les sites15. Enfin, grâce à Joël Molinario, on a pu mieux comprendre les transformations de la catéchèse impulsées au niveau national, mais qu’en est-il à l’échelle des établissements ?

Le poids des congrégations

12Les établissements secondaires ont été, pour nombre d’entre eux, fondés sur la décision de telle ou telle congrégation religieuse. Ils ne sont pas les héritiers des collèges d’Ancien Régime qui avaient disparu. Et, avec justesse, les organisateurs du colloque n’ont pas cédé à la tentation d’une continuité illusoire et historiquement fort peu justifiée. Il n’y a ni continuité administrative ni continuité d’habitat. Les bâtiments d’Ancien Régime ont pu être affectés à un établissement public, soit en l’état comme ce fut le cas au collège jésuite d’Eu soit après avoir été profondément remaniés, à l’exemple du collège jésuite de Paris, devenu le lycée public Louis-Le-Grand. Les collèges d’Ancien Régime ont cessé d’abriter une activité scolaire ou ont été tout simplement détruits, pour raison de vétusté, à l’image du collège Saint-Nicolas d’Amiens. Même si quelques établissements particuliers de garçons ont été autorisés par l’Université impériale, il y a eu réellement rupture institutionnelle avec la plupart des collèges de garçons d’avant la Révolution. De là est née la volonté de refonder des établissements secondaires concurrents des lycées, qui a débouché, en 1850, sur l’adoption de la loi Falloux instaurant la liberté de l’enseignement secondaire. C’est la création de l’enseignement confessionnel, qui va perdurer jusqu’en 1960. Mais n’oublions pas que de nombreux établissements de filles mi-primaires mi-secondaires ont été fondés dès 1816, sous l’impulsion des congrégations religieuses, dont Claude Langlois a fait jadis une exploration magistrale16. Amélie Puche a pour sa part pu montrer, en s’appuyant sur l’exemple de Tours si cher à Balzac, que ces institutions très variées, adaptées à des publics divers, ont rencontré un grand succès, à un moment où les établissements publics étaient aux abonnés absents. Le cadre était strict, l’imprévu n’était pas au rendez-vous. Le silence était d’or, le non-respect des règles apparaissait comme une quasi-offense à Dieu. On ne préparait pas à une profession, ni a fortiori aux examens d’État, mais à gérer son intérieur, à converser de la façon la plus avertie et aimable. Bref, on apprenait à tenir son rang. Tous ces dispositifs entraînaient un fort sentiment d’appartenance, au détriment d’une certaine insuffisance de l’instruction. M^gr Dupanloup, grand défenseur de l’enseignement supérieur catholique, s’éleva contre cette situation.

13Les établissements catholiques – de garçons ou de filles – se sont situés d’abord dans un esprit de reconquête : nombre d’entre eux cultivaient un catholicisme intransigeant, mâtiné de défense de la royauté (Juilly, Sorrèze, etc.), quelques-uns d’entre eux ont pris le virage recommandé par Léon XIII sous la houlette d’abbés démocrates, pas toujours bien vus par leurs évêques. Ainsi à Amiens, fondé dans les années 1880, le collège Saint-Martin a fait office d’internat pour le lycée de garçons et se démarquait ainsi du collège jésuite fréquenté par une bonne partie de l’aristocratie locale et lilloise.

14En 1958, un tiers des établissements dépendaient d’une congrégation. C’est encore le cas aujourd’hui17, même si les religieux se sont effacés et sont remplacés par des laïcs, notamment dans le corps professoral, d’administration et de direction. Seuls subsistent ici ou là dans quelques établissements des accompagnateurs de pastorale, à des titres divers. Quelques chiffres : en 1968, encore 27 % des professeurs sont des clercs et ces derniers dirigent environ la moitié des établissements dans les années 1970. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui : les ecclésiastiques se sont effacés des établissements privés catholiques en France. Compte tenu de cette situation, l’Église catholique a voulu éviter que les établissements prennent une totale autonomie par rapport à ses orientations pastorales. Les établissements sont donc désormais structurés dans un réseau national, sous la direction du Secrétariat général de l’enseignement catholique. Le statut de 2013 met entre les mains du seul évêque la nomination du chef d’établissement en dernière analyse, y compris lorsqu’il s’agit d’établissement congréganiste : le supérieur majeur donne simplement un avis.

15Les congrégations ont joué un rôle essentiel dans la création de la « forme scolaire », notamment les jésuites comme le rappelait Émile Durkheim dans son cours à la Sorbonne ou Guy Vincent18. Ferdinand Buisson, organisateur de l’école primaire de Ferry, coordinateur du Dictionnaire de pédagogie, a également souligné le rôle capital de ces congrégations dans la constitution d’un enseignement moderne. Ainsi, dans l’article « École normale » plutôt que de chercher la naissance des écoles normales en Prusse, il le trouve à Reims, chez les Frères de la Salle. Les maristes, les Frères des écoles chrétiennes (notamment pour l’enseignement technique et agricole), les Frères de Ploërmel ont joué également un rôle non négligeable dans l’expansion du secondaire. Avant 1940, ils faisaient quasiment jeu égal avec les établissements publics. Toutefois, faute d’argent et de vocations, ils n’ont pu répondre aux besoins de scolarisation des années 1960 et ont ainsi perdu du terrain. La recherche a souligné bien entendu le rôle capital joué par les congrégations féminines (Dames du Sacré-Cœur, par exemple) et toute cette multitude de congrégations diocésaines qui souvent portent le nom de Sainte-Famille, avec de nombreuses variantes, plus ou moins influencées par le Ratio studiorum.

16Néanmoins, il ne suffit pas d’avoir un fondateur prestigieux, tel le père Lacordaire, refondateur des Dominicains, pour que ces derniers demeurent des acteurs incontournables dans l’enseignement secondaire. Durant les années 1950, l’Ordre prêcheur a rapidement mis sous le boisseau sa congrégation enseignante, comme l’ont montré Nathalie Viet-Depaule et Augustin Laffay. Quant à Lacordaire, on a appris que ses restes mortels ont été l’objet d’une querelle interne au sein de la province dominicaine et qu’ils sont restés, en définitive, au collège de Sorrèze, fermé depuis 1991. Cet ancien établissement scolaire est devenu ainsi un lieu de mémoire qui échappe désormais aux dominicains eux-mêmes19. Il ne faut pas oublier aussi qu’en 1904, les évêques n’ont guère fait d’excès de zèle pour défendre les congrégations qui échappaient en partie à leur pouvoir20. Les vicaires instituteurs ont, chez les hommes, vite fait l’affaire. Ce sont les établissements qui ont été défendus, par les acteurs.

Qu’est-ce qu’un établissement catholique secondaire ?

17Toutes ces remarques posent, en définitive, la question de savoir ce qu’est un établissement secondaire catholique. On s’est rendu compte que rien n’est moins simple. Si la loi Debré a organisé les choses en attribuant à ces établissements un numéro comme il le fait pour ces lycées, ce n’était pas du tout le cas jusqu’en 1960. D’où la très grande difficulté de disposer de statistiques fiables et qui permettent une comparaison fondée.

18On a pu en effet relever dans différentes communications que l’on ne sait pas exactement combien il y avait d’établissements secondaires : il y aurait un gros travail à faire, si cela est possible, de reconstitution des statistiques, comme l’a souligné Samuel Gicquel. Et cela est vrai dans l’espace et dans le temps : ainsi le lycée La Mennais de Ploërmel a d’abord été un cours complémentaire, avant de devenir en 1941 un collège moderne (un établissement secondaire sans latin) et enfin un lycée classique en 1954. En effet, certains établissements primaires disposent de classes secondaires, alors que des établissements secondaires s’appellent pensionnat, institut, école. Tous ne dispensent pas du cycle complet menant jusqu’au baccalauréat. Certains ressortent de l’enseignement technique (et du financement de la loi Astier), d’autres de l’enseignement agricole. Au xix^e siècle, certains établissements étaient des collèges municipaux, certains faisaient en partie office de petits séminaires. Contrairement à une idée reçue, ils ne sont pas tous implantés dans des grandes villes, mais peuvent être situés également dans des zones rurales, tel est précisément le cas de Ploërmel. De ce fait, leur taille est très variable : de 100 élèves à plus de 2 000 pour certains d’entre eux. Mais, en moyenne, ils sont plus petits que leurs homologues de l’enseignement public, ce qui favorise le maillage territorial, dans les zones de grande implantation des établissements catholiques.

19Claude Langlois, en évoquant ses souvenirs d’ancien élève, a donné un aperçu des évolutions presque invisibles, mais très rapides. L’objectif confessionnel du collège de garçons, dans les années 1950, était clairement affiché. Un collège, c’était d’abord un internat, où primait le collectif, où l’individualisation était rare. Mais ce que montre ce témoignage c’est que de microtransformations ont eu lieu, insensibles aux acteurs, mais qui font que, dix ans plus tard, l’établissement n’est plus confessionnel. Ce qui prime, c’est désormais, l’excellence scolaire, dans le cadre d’une méritocratie assumée. Cela peut aussi expliquer pourquoi la loi scolaire de 1960 a finalement été très vite acceptée par les établissements secondaires, à la différence du primaire : en 1968, ils étaient 80 % à être sous contrat d’association. Ces établissements catholiques composent un maillage territorial qui recouvre moins que par le passé la carte de la pratique religieuse qu’avait établie le chanoine Boulard dans les années 1960. Se pose ainsi la question de l’évolution des structures et des contrats : un déséquilibre entre l’offre et la demande se fait parfois sentir.

20La mixité a fait progressivement son entrée, comme l’a montré Yves Verneuil, modifiant un peu plus la structure des établissements de façon pragmatique : on a d’abord accueilli des garçons, puis à bas bruit, la mixité s’est introduite presque partout et nombre d’établissements ont fusionné, le collège d’un côté, le lycée de l’autre. La non-mixité est désormais une rare exception. Il s’agit désormais de préparer les élèves au monde où ils auront à vivre.

21Les comparaisons entre hier et aujourd’hui sont donc complexes, difficiles à suivre à la suite de ces évolutions. La disparition des petits séminaires transformés souvent en établissements ordinaires a eu des conséquences sur le recrutement sacerdotal déjà affaibli : il s’est effondré. Cette baisse a affecté également les établissements secondaires alors même que les évêques les ont, dans les années 1970, défendus pour cette raison. La sécularisation était en œuvre : la société française se déchristianisant à grands pas, les établissements ont dû s’adapter, sauf à disparaître, faute de recrutement.

22Un autre dernier point a été abordé de biais, c’est la pédagogie et les pratiques éducatives mises en œuvre : Philippe Rocher a ainsi montré que le Ratio studiorum s’était transformé au fil du temps. Il a fallu faire place progressivement aux humanités modernes. Et si, en 1880, le latin est encore prédominant dans les collèges jésuites, dans les années 1960, le tournant gaullien est pris : les classes scientifiques et économiques s’imposent, des classes techniques font leur apparition. Et le ratio disparaît en 1987, remplacé par Les Caractéristiques de l’éducation jésuite. Une approche plus sociale du christianisme, voulue par le supérieur général de la compagnie de Jésus, Pedro Arrupe, était désormais en œuvre.

23L’on a pu aussi entrer dans la « boîte noire » que constitue un établissement. Que s’y passe-t-il réellement au-delà de l’affichage ? Il y a les anciens qui maintiennent la tradition : Frédéric Le Moigne nous a fait découvrir ce qu’il en était, en revisitant la figure d’un prélat plus ou moins mondain, le cardinal Grente, d’un autre temps, incontestablement. On a également découvert, grâce à Anne Jusseaume, l’autre aspect de cette vie, du côté des religieuses : le changement d’habit religieux est loin d’être anodin pour une religieuse et signifie la mise en œuvre d’un nouveau rapport au monde… et d’une certaine manière la fin de l’engagement dans les institutions catholiques.

Des interrogations en guise de conclusion ?

24Aujourd’hui tous les établissements secondaires catholiques sont sous contrat d’association, le contrat simple n’étant plus possible depuis 1980 dans le second degré. En revanche, depuis une dizaine d’années, les établissements hors contrat reprennent vie, mais pour l’essentiel ce sont désormais des établissements primaires. Les établissements secondaires hors contrat sont en nette régression et ceux qui se réclament de la tradition catholique sont très souvent éloignés de l’approche conciliaire et sont repliés sur leur quant à soi. Bref, ces établissements sont très minoritaires et, pour le secondaire, en régression.

25Par ailleurs, on observe depuis quelques années, à mesure que la génération des chrétiens conciliaires disparaît, génération qui avait déconfessionnalisé les établissements catholiques en acceptant la loi Debré, une nouvelle génération qui n’est pas seulement celle des traditionalistes des années 1970, mais aussi celle des observants, comme nous l’a rappelé Yann Raison du Cleuziou. Ces observants qui mettent leurs enfants pour l’essentiel dans des établissements sous contrats souhaitent un retour à des valeurs religieuses davantage affirmées – le quatrième statut de l’enseignement catholique de 2013 en est l’un des signes juridiques affirmés. En quelque sorte la boucle est bouclée : on revient, chez certains, à une conception intégrale de l’enseignement, à une vie chrétienne qui sépare et qui n’unit pas. Là naît une défiance d’une petite minorité vis-à-vis de l’enseignement catholique, trop éloigné à leurs yeux des valeurs qui sont les leurs. Et l’on peut alors vite glisser vers la revendication d’établissements indépendants, qui ont coupé tout lien avec l’institution catholique, sauf pour quelques évêques21.

26En définitive, les établissements catholiques secondaires sont bien un kaléidoscope et peuvent ainsi proposer une offre scolaire qui répond aux attentes des parents, dont la place est la plupart du temps reconnue. Ils ont réussi à s’adapter aux évolutions de la société et maintiennent un lien avec l’Église catholique tout en étant des établissements secondaires, respectueux pour l’essentiel du contrat qui les lie à l’État, gage de leur survie.