1Je voudrais en préambule situer mon intervention entre deux dates comme il sied d’un propos à caractère historique, afin de proposer une périodisation. Je débuterai par une publication qui a beaucoup compté dans l’enseignement catholique en France, et fut une référence quasi incontestée pendant de nombreuses années, le Guide pastoral de l’enseignement catholique du père Paul Lamotte1 publié en 1988, mais qui fut le résultat de nombreuses années de présence dans l’enseignement catholique par son auteur. La date de fin peut être située en 2013, et ceci pour deux raisons. Il s’agit du terme des longs mandats de Pierre Robitaille avec ses différentes responsabilités comme coordinateur national de l’animation pastorale et responsable de cinq commissions nationales2. Les différents mandats nationaux de Pierre Robitaille s’inscrivent dans la continuité pastorale et missionnaire de Paul Lamotte. Nous avons donc affaire à une période cohérente dans la vision pastorale et la politique de formation. L’année 2013 correspond aussi et surtout au nouveau statut de l’enseignement catholique adopté par les évêques de France.

2Je veux souligner aussi la difficulté méthodologique qui fut la mienne pour trouver des archives historiques sur le travail du Secrétariat général de l’enseignement catholique (SGEC), notamment en matière pastorale. Il faut noter qu’il n’y a pas de continuité dans les sites du SGEC3 et les archives numériques disparaissent. Heureusement il y a la revue Enseignement catholique actualités (ECA), mais il n’est pas non plus facile de trouver des bibliothèques qui conservent les collections complètes. Outre les témoignages des acteurs de cette période, dont je fais partie, il faut souligner le travail d’archivage que continue d’entreprendre Pierre Robitaille avec un site dédié au travail éducatif et pastoral du SGEC, mais ceci sur sa propre initiative. Peut-être faut-il voir dans cette entreprise historique et numérique la forme d’un nouveau guide pastoral numérique ?

3Un dernier point doit être souligné : la pastorale et la catéchèse ne peuvent être observées isolément des orientations générales de l’enseignement catholique, non plus que des orientations générales de l’Église de France et de l’Église universelle. Encore faut-il tenir compte des orientations de l’Éducation nationale, des pratiques et des innovations pédagogiques qui voient le jour à tous niveaux. Ceci rend peu pertinent d’établir une chronologie de ce qui s’est passé dans l’enseignement catholique à propos de la pastorale, de la catéchèse et de la culture chrétienne de façon isolée. Enfin, et il s’agit d’une première hypothèse de travail, le souci depuis Paul Lamotte est bien pour le SGEC de penser une inclusivité pastorale et catéchétique dans le projet éducatif de l’enseignement catholique4. Je relirai donc cette période à partir de trois grandes questions et pour chaque question je montrerai quelques évolutions. Je débuterai par l’ensemble que constituent l’humanisation, le service du monde, l’éducation des valeurs et l’éducation à l’universel. Puis, j’aborderai le lien entre l’enseignement catholique et la proposition de la foi, enfin je relierai le rapport Debray et le Texte national pour l’orientation de la catéchèse en France avec la notion de culture religieuse.

4Je ne peux débuter sans avoir présenté les axes de réflexion du Guide pastoral de Paul Lamotte, ouvrage qui s’est imposé comme référence commune pendant presque vingt ans.

Le Guide pastoral de Paul Lamotte

5Ouvrage de référence, le Guide pastoral de l’enseignement catholique (1988) est le résultat d’une longue expérience de prêtre du père Paul Lamotte dans le diocèse de Cambrai tout d’abord, puis d’un mandat de six années entre 1979 et 1985 comme secrétaire général adjoint de l’enseignement catholique chargé des questions pastorales5. La réception positive par les acteurs de la pastorale, et dans la durée, de ce gros ouvrage, vient de ce double aspect, d’être à la fois le résultat d’une expérience de terrain et de s’être également révélé pertinent dans l’analyse et la prospective.

6Paul Lamotte inscrit la pastorale de l’enseignement catholique dans un triple mouvement de changement historique : le passage d’une situation de chrétienté à une situation missionnaire, la responsabilisation des laïcs, et le choix de l’ouverture culturelle, aux dépens du catéchisme ou de la catéchèse catholique.

7Ce premier point caractérise le passage d’une école de chrétienté à une école ouverte à tous. « En quelques décennies, écrit Paul Lamotte, on est passé d’une école faite par des chrétiens pour des chrétiens, à une école catholique fondée sur quelques chrétiens et ouverte à tous. Le souvenir n’est pas lointain de ces écoles créées dans des perspectives de recrutement sacerdotal6… » Ce passage est le résultat d’une sécularisation accélérée, « d’une privatisation des choses de la foi », et de l’entrée d’une part notable de nos contemporains dans l’indifférence religieuse.

8Ce deuxième changement correspond à la prise de responsabilité des laïcs qui entraîne une nouvelle conception de l’école. « La conception d’une école catholique au service de l’Église, et donc des chrétiens dont il s’agissait de conforter la foi, est celle de l’école de chrétienté. On est passé aujourd’hui à la conception d’une école catholique, comme service assuré et garanti par l’Église, en faveur de tous ceux qui, quels qu’ils soient, sollicitent son aide, son enseignement, son éducation, en faveur du monde et non pas d’abord de l’Église7 », explique Paul Lamotte.

9Le troisième passage prend acte de la situation de l’enseignement catholique presque trente ans après la loi Debré de 1959, et 25 après le Concile Vatican II. L’école catholique est ouverte à tous et elle ne peut avoir comme seul objectif ou principal objectif d’enseigner et de transmettre la foi catholique par un catéchisme à une majorité de jeunes et de familles qui ne sont plus chrétiens ou qui sont tellement éloignés de l’Église que les pratiques religieuses n’ont plus de sens pour eux. Ainsi notre auteur en déduit que « ce qui peut paraître normal, évident et donc obligatoire dans une situation où tout le monde est considéré comme chrétien ne l’est plus en situation missionnaire de diversité : cela peut même devenir insupportable8 ». Si l’édition de manuel de chrétienté paraît aujourd’hui largement compromise, pour autant il ne s’agit nullement pour Paul Lamotte d’écarter la dimension missionnaire de l’Église par l’enseignement catholique, mais de la comprendre différemment dans une perspective d’évangélisation de la culture9. En effet, cette évangélisation doit faire effort pour comprendre notre culture en pleine mutation, culture classique devenue technique, culture de l’instant et du projet. Pour Paul Lamotte, l’animation chrétienne, et non de chrétienté d’une école, doit respecter les différentes composantes d’une évangélisation. Il distingue trois axes structurant tout établissement. Premièrement, il faut faire mémoire activement et efficacement des attitudes du Christ à l’égard des hommes, ensuite inscrire cet Évangile dans le temps et la culture contemporaine, enfin, participer à la construction de l’homme et du monde selon l’esprit de l’Évangile10. Les chapitres iii et iv du Guide pastoral sont entièrement consacrés à l’évangélisation, donc pour Paul Lamotte, il ne s’agit pas que l’enseignement catholique renonce à sa vocation chrétienne, mais qu’il pense, pratique et adapte sa pastorale missionnaire dans une culture et une institution de post-chrétienté.

10Cet ensemble programmatique peut se résumer en un schéma, présenté ci-dessous.

Humanisation du monde, éducation des valeurs et éducation à l’universel.

11À partir des années 1980, nous pouvons observer un axe qui prend de l’ampleur tout en évoluant durant les années 1990 et 2000 pour aujourd’hui parvenir à une ré-interrogation en profondeur aux vues de la crise anthropologique contemporaine11.

12Le premier vocabulaire employé est celui de l’humanisation, le deuxième celui des valeurs et enfin, celui de l’éducation à l’universel avec la création et le développement d’une Commission nationale de l’éducation à l’universel (CNEU).

13« Témoigner d’un Dieu qui humanise » est un sous-titre du chapitre sur l’évangélisation dans le Guide pastoral. On y lit ceci : « Évangéliser consiste en ce que l’homme devienne toujours plus homme ; c’est assurer un service d’humanisation ; c’est en quelque sorte poursuivre l’œuvre de rédemption du Père et l’œuvre de rédemption de l’Esprit dans le Fils12. » Nous observons ici une double inspiration théologique et pastorale. On y voit bien sûr la filiation théologique qui vient d’Henri de Lubac en passant par la Constitution Gaudium et Spes13 qui proclame que christianiser c’est aussi humaniser et que la Révélation de Dieu est aussi et en même temps la révélation de l’homme à lui-même14. Mais on ne peut oublier l’influence du discours du pape Jean-Paul II à l’Unesco au mois de juin 1980 proclamant avec force la contribution du christianisme à l’universalité des droits de l’homme15. Durant cette décennie était donc, nettement exprimée, une confiance dans un humanisme universel auquel le christianisme contribua16, accessible et disponible à travers sa culture, pour tout homme de bonne volonté.

14La publication du document de la Congrégation pour l’éducation catholique intitulé L’école catholique au seuil du iii^e millénaire, confirme et renforce même cette perspective dans son numéro 9 :

« L’école catholique prend l’aspect d’une école pour la personne et d’une école des personnes. La personne de chacun, dans ses besoins matériels et spirituels, est au centre de l’enseignement de Jésus : c’est pour cela que la promotion de la personne humaine est le but de l’école catholique. Cette affirmation, en mettant en lumière le rapport vital de l’homme au Christ, rappelle qu’en la Personne même du Christ se trouve la plénitude de la vérité sur l’homme. C’est pour cela que l’école catholique, en s’engageant à promouvoir l’homme dans son intégrité, le fait, en obéissant à la sollicitude de l’Église, dans la conscience que toutes les valeurs humaines trouvent leur réalisation plénière et par conséquent leur unité dans le Christ. Cette conscience exprime la position centrale de la personne dans le projet éducatif de l’école catholique, renforce son engagement éducatif, la rend apte à éduquer de fortes personnalités17. »

15Nous remarquons ici un lien qu’effectue le texte entre la promotion de l’homme dans son intégrité et les valeurs humaines qui trouvent leurs réalisations dans le Christ. Ceci est caractéristique de cette période où la question des valeurs humaines surgit dans le langage éducatif et dans le langage de la pastorale avec cette idée sous-jacente que tous les hommes partagent les mêmes grandes valeurs et qu’à travers elles l’Église et l’enseignement catholique rejoignent les familles et les jeunes. L’ouvrage de Jean Houssaye publié en 1992, Les valeurs à l’école18, en fut une référence théorique laïque. Ce souci de l’humain s’est retrouvé dans un document important publié par la revue Enseignement catholique actualités en 2002 : « Un temps nouveau pour l’Évangile19 ». Mais ici, le mot valeur est moins utilisé, par contre on voit apparaître le passage plus net vers une anthropologie chrétienne comme une proposition éducative. Parmi les quatre propositions, il y a « une humanité nouvelle et un renouveau de l’humanité20 ». Plus loin, on peut aussi lire : « C’est dire que plus le christianisme sera humain (dans l’esprit du sermon sur la montagne), plus il sera chrétien ; et plus il sera chrétien, plus il apparaîtra aussi à l’extérieur comme la vraie religion. » Il y a également un chapitre consacré « à faire croitre en humanité » et intitulé « La personne – Foi en l’homme21 ». Ce développement des valeurs qui ont une prétention universelle à atteindre tout homme de bonne volonté va déboucher sur une initiative nouvelle du SGEC avec les 2^e Assises de l’enseignement catholique. Lancées en septembre 2000 par Paul Malartre, secrétaire général, elles ont pour thème : « Éduquer, passion d’espérance ». Dans le même sens, la Commission nationale d’éducation à l’universel (CNEU) va produire un document adopté par le SGEC en mai 2013 et intitulé L’éducation à l’universel, au développement, à l’engagement solidaire22, dans lequel se croisent des préoccupations éducatives chrétiennes, la pensée sociale de l’Église et quelques éléments indéniablement liés à l’universalité des droits de l’homme. Les fiches pédagogiques thématiques de travail en témoignent autour de quatre axes : éduquer à la paix et à la non-violence, éduquer à la solidarité, éduquer au développement et éduquer à la différence, culturelle et religieuse.

L’enseignement catholique et la proposition de la foi

16Aboutissement de trois années de réflexion, un texte de la Conférence épiscopale française eut une résonance particulière pour la pastorale et la catéchèse dans l’enseignement catholique ; c’est La lettre aux catholiques de France, publiée en 199723. Cette lettre, initiée par M^gr Dagens et issue de nombreux travaux dans les diocèses et à la Conférence des évêques de France, a permis de penser concrètement les enjeux missionnaires de l’enseignement catholique. À la fois elle valide une part du diagnostic et des intuitions pastorales de Paul Lamotte et en même temps elle permet de redynamiser la pastorale et de faire comprendre la nécessité de sortir d’une opposition entre une pastorale attestataire mise en avant par certains établissements cherchant une opposition frontale au monde séculier et une pastorale de l’accueil qui ne fonctionne plus dans un monde où « la grammaire élémentaire de la foi chrétienne » a disparu. Ce texte qui, plus de vingt ans plus tard, reste en bonne partie d’actualité, est structuré en trois chapitres : un diagnostic rigoureux sur la société française sécularisée qui vit plusieurs crises économiques, culturelles, de transmission, puis un chapitre intitulé « Aller au cœur de la foi », qui énonce en réalité la thèse du document. Celle-ci peut être résumée ainsi : ce n’est pas avec des questions annexes ou des préalables que la foi retrouvera place dans le cœur de nos contemporains mais en allant à l’essentiel, là où le Christ donne sa vie par amour pour tous les hommes à travers le Mystère pascal, vu comme un événement de Dieu et une expérience de foi de chacun. Le troisième chapitre réfléchit à ce que peut être une Église qui propose la foi et ceci dans un triptyque traditionnel : célébrer, annoncer et servir. L’Église existe quand elle réalise ces trois dimensions de sa mission.

17Le père Joseph Decoopman24 va largement s’appuyer sur La lettre aux catholiques de France, pour préparer l’édition d’« Un temps nouveau pour l’Évangile » publié en 2002 dans Enseignement catholique actualités, qui était aussi le thème de travail des évêques à Lourdes en novembre 200025. On peut relire ce document comme l’adaptation de La lettre aux catholiques de France au contexte propre de l’enseignement catholique. L’auteur, qui se situe dans la perspective de la Lettre aux catholiques de France dont la troisième partie s’intitule « former une Église qui propose la foi », ne s’en cache pas, bien au contraire. Nous pouvons lire dès le début du numéro d’ECA26 des pistes de travail qui sont des références explicites au chapitre iii de la Lettre aux catholiques de France : « risquer l’Évangile dans l’annonce, risquer l’Évangile dans la célébration, risquer l’Évangile dans le service27 ».

18Cette entrée dans la proposition de la foi, fidèle à l’esprit de la Lettre aux catholiques de France (LCF), se réalise par une inscription de la foi dans la société actuelle et dans la réalité de l’enseignement catholique. Le verbe évangéliser est l’autre nom de la proposition de la foi. Dans la LCF, évangéliser c’est tout à la fois croitre en humanité, annoncer et célébrer, s’ouvrir aux cultures et à la créativité, enfin, c’est appartenir à une communauté. Nous pouvons encore remarquer, dans le projet pastoral porté par le SGEC, non seulement une volonté d’inscrire la pastorale des établissements dans le projet global de l’Église en France, mais aussi celle de lier la pastorale aux 2^e Assises de l’enseignement catholique et à ses résolutions adoptées le 1^er décembre 2001. Depuis Paul Lamotte, il y a une politique constante de désenclavement de l’action pastorale par rapport à la vie de l’Église, à la vie des établissements et au projet éducatif global de l’enseignement catholique ; en termes théologiques, nous pouvons dire qu’il s’agit d’une volonté de faire que la foi chrétienne ne soit pas extrinsèque à l’acte éducatif28.

19Tout ce mouvement d’insertion du projet pastoral dans l’ensemble du projet éducatif de l’enseignement catholique fit l’objet d’une note politique et stratégique, intitulée « Animation pastorale, projet pour l’Enseignement catholique, 2002-2003 », restée interne au SGEC, écrite le 13 janvier 2003 par Pierre Robitaille29. Il y avait là un plan politique, où étaient énoncées la coordination des Commissions nationales (Pédagogie, AIS – Adaptation et intégration scolaire –, pastorale, catéchèse, et éducation à l’universel), la création de projets de formation systématique, la création de sites d’information et enfin la mise en place d’une politique systématique de liens avec différentes instances de l’Église en France. Cette note est précieuse parce qu’elle fournit l’axe politique pastoral du SGEC pendant au moins quinze ans.

Culture religieuse, rapport Debray et Texte national pour l’orientation de la catéchèse en France

20Deux textes importants, qui ont marqué le début des années 2000, confirment que le projet de l’enseignement catholique s’inscrit dans les évolutions de l’Église de France et de l’éducation nationale : le rapport de Régis Debray sur L’enseignement du fait religieux à l’école laïque30, de février 2002 et le Texte national pour l’orientation de la catéchèse en France (TNOC)31, et ses principes d’organisation, publié en 2006 par la Conférence des évêques de France. Nous pourrions aussi ajouter le document Aller au cœur de la foi, de 2003 qui, reprenant le titre du chapitre ii de la Lettre aux catholiques de France, provoqua un bel élan dans les communautés chrétiennes et dans l’enseignement catholique32, ce qui représenta une étape essentielle vers l’adoption du TNOC avec l’intention catéchétique de faire vivre une expérience de foi avant de théoriser la catéchèse.

21Cette période correspond aussi au développement de pratiques pédagogiques nouvelles et d’éditions d’ouvrages consacrés à l’enseignement de la culture religieuse ou chrétienne. Devant la prolifération des ouvrages, des pratiques différentes, après la lecture du rapport Debray, du TNOC et des principes d’organisation qui veulent ranger l’enseignement catholique dans la catégorie de « lieu de première annonce », mais pas de catéchèse, un grand flou a gagné les établissements, les adjoints en pastorale et les chefs d’établissements. Culture religieuse, catéchisme, catéchèse, éveil religieux, enseignement religieux, première annonce33, préparation aux sacrements, enseignement du fait religieux, enseignement des religions, la multiplicité des pratiques différentes s’est accompagnée d’un manque évident d’unité de vocabulaire, ce qui créa de nombreux malentendus entre les DDEC (Directions diocésaines de l’enseignement catholique) mais aussi d’un établissement à un autre. Une initiative de la Commission nationale de pastorale et de catéchèse, sous la direction de Pierre Robitaille, fut la bienvenue et le travail de groupe « Concept » sur l’enseignement de la religion à l’école rendit nécessaire une tentative d’articulation entre des pratiques souvent exclusives sur le terrain. Après avoir partagé et recensé un maximum de pratiques pastorales, culturelles et religieuses dans les établissements de l’enseignement catholique en France, une synthèse en est rédigée dans un document intitulé Approche culturelle et annonce de l’Évangile34, proposant un vocabulaire qui puisse faire consensus et en distinguant six types de pratiques que l’on rencontre dans l’enseignement catholique. Ont été exclus le mot pastoral – notion trop vague, car entre l’heure de pastorale et le « tout est pastoral » il était difficile de sortir un consensus – et l’expression culture religieuse, devenue trop large et donc source de malentendu.

22Les trois premières dimensions nommées par le document sont d’entrée de jeu culturelles : la dimension religieuse de la culture tout d’abord, liée à un enseignement scolaire, qui renvoie au rapport Debray, la dimension culturelle des religions qui est une présentation des différentes religions, et enfin la dimension culturelle du catholicisme, puisque le constat est fait que les familles d’origine catholique sont ignorantes de leurs propres traditions religieuses. Mais les établissements sentaient également le besoin de faire connaître la culture de l’institution catholique à l’ensemble des élèves accueillis. Dans ces trois activités, on ne présuppose pas la foi, ni pour l’enseignant, ni pour l’enfant ou l’adolescent. Les trois autres dimensions supposent une implication croyante, de l’animateur tout d’abord. La première annonce de la foi, qui est de l’ordre du témoignage et de l’invitation à croire, plutôt ponctuelle mais qui ne demande pas forcément un préalable de foi chez l’auditeur. Puis, nous avons la catéchèse ordonnée sacramentellement, ou catéchèse d’initiation chrétienne, enfin l’éducation permanente de la foi, c’est-à-dire ce qui peut être proposé aux adultes ou aux grands jeunes d’un établissement pour approfondir la foi et sa maturité aux cours des âges de la vie et des événements de la vie. Ce schéma fut en bonne partie repris dans un document publié en 2009 par le Conseil national de l’enseignement catholique (CNEC), rédigé par le SGEC en lien avec M^gr Aumonier et intitulé Annonce explicite de l’Évangile dans les établissements catholiques d’enseignement35. On voit évidemment, que ces textes contredisent en la dépassant l’idée avancée dans les principes d’organisation du TNOC36, où l’enseignement catholique est situé uniquement comme lieu de première annonce, ponctuelle, mais sans dimension catéchétique et culturelle37.

23Ces efforts de clarification sont le symptôme d’une grande diversité de pratiques et de réalités éducatives et pastorales. Ils sont aussi le reflet d’une certaine autonomie des établissements liée à la mission que l’évêque délègue aux chefs d’établissements. Ces derniers sont responsables de la pastorale, c’est-à-dire que, en toute rigueur de terme, il n’y a pas d’aumônier dans l’établissement catholique puisque l’évêque délègue cette mission38 au directeur. Il arrive parfois que l’on utilise l’expression : « L’évêque est le curé de l’enseignement catholique. » En toute rigueur de terme, la formule est aussi impropre, parce qu’elle fait fi du prêtre référent et de l’autorité de tutelle congréganiste ou diocésaine.

⁂

24Dans notre parcours ci-dessus, nous avons croisé deux figures de prêtres du diocèse de Cambrai qui mériteraient l’attention d’un travail historique, Paul Lamotte et Joseph Decoopman. À leurs manières, ils ont tous les deux contribué au passage d’un monde à un autre, celui de l’enseignement catholique pour des catholiques avec une organisation et une orientation sacerdotale, à un enseignement catholique ouvert au monde sécularisé et pluraliste et finalement missionnaire dans un contexte où le christianisme est de plus en plus exculturé. Dans un environnement où surgit avec plus de bruit un catholicisme identitaire, qui se caractérise par l’ouverture d’écoles hors contrat39, l’étude de ces figures de prêtres conciliaires aurait beaucoup à nous apprendre sur la mission d’un enseignement catholique aujourd’hui capable de construire des identités non exclusives.

25La chose la plus massive qui saute aux yeux des observateurs de l’évolution du rapport de l’Église catholique à la société est la disparition d’un certain consensus humaniste qui réunissait, bon an mal an, « ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas » autour de repères anthropologiques fondamentaux qui pouvaient traverser des idéologies ou des options politiques contraires. Pour le dire simplement avec les mots d’Olivier Roy, « les valeurs chrétiennes et les valeurs occidentales ne coïncident plus. D’où, poursuit Olivier Roy, la référence très vague à des traditions culturelles, comme si les valeurs chrétiennes ne se définissaient que comme des marqueurs culturels40 ».

26Cette double référence anthropologique et culturelle est le lieu d’un conflit des interprétations qui a pris une dimension politique dans le paysage français. Yann Raison du Cleuziou en a très bien montré la généalogie et en a décrit les supports associatifs et politiques41. Ceux qu’il nomme, à partir d’une grille sociologique, des observants et des identitaires, se préoccupent de moins en moins d’un possible consensus des valeurs sociétales. Ayant en quelque sorte acté la non-coïncidence des valeurs chrétiennes et des lois de l’État laïque français, ils revendiquent un christianisme identitaire de contre-culture. Pour les établissements d’enseignement catholique, cela se traduit par la revendication d’écoles hors-contrat, pour les catholiques avec des marqueurs culturels forts. La création de ces écoles hors-contrat est accompagnée d’un discours sur les racines chrétiennes de l’Europe et une sorte de catholicisme patrimonial, qui s’accommode d’un populisme patrimonial42 chrétien de plus en plus visible lors des élections en Pologne, en Hongrie, en Autriche et en France avec la présence forte du Rassemblement national. Par rapport aux années 1980, encore forte d’une idée de progrès des valeurs orientées vers un idéal universel, comme l’a exprimé et soutenu Jean-Paul II à l’Unesco, aujourd’hui « l’universalisme du message se trouve compromis par le particularisme de ceux qui le portent désormais », comme l’écrit Yann Raison du Cleuziou, qui poursuit ainsi : « les catholiques risquent bien, comme aime à le dire Jean-Pierre Denis, de “devenir des juifs comme les autres”43 ».

27Dans ce contexte, je vois deux thématiques qui reviennent de façon récurrente aujourd’hui dans l’enseignement catholique : la première tourne autour de penser et vivre la crise anthropologique dans l’éducation catholique aujourd’hui. Et je vois notamment la thématique de l’éducation intégrale resurgir et être retravaillée plus à fond. Puisqu’il n’y a plus de consensus humaniste, que veut dire alors éduquer selon l’Évangile ? Le défi est de pouvoir mener à bien ce projet intellectuel et éducatif sans pour autant emprunter les allées de la contre-culture catholique.

28L’autre thématique est celle de la pluralité religieuse et l’expérience d’accueillir des familles et des enfants de toutes religions sans cesser pour autant de vivre le projet pastoral de l’enseignement catholique. Ici aussi, le défi est grand et la voie étroite, pour penser la singularité chrétienne, sans pour autant emprunter les allées d’un catholicisme identitaire anti-islam.