1L’enseignement catholique féminin est demeuré pendant longtemps le parent pauvre de l’histoire de l’éducation à l’époque contemporaine. Dès la fin du xix^e siècle, l’historiographie républicaine l’a relégué, dans une perspective anticléricale, pour mieux souligner le rôle de l’État dans le développement de l’éducation féminine1. Cette orientation domine encore dans les décennies suivantes, jusqu’aux travaux de Françoise Mayeur2, dans le dernier quart du xx^e siècle, et de Rebecca Rogers, qui étudie dans les années 2000 la construction de l’identité féminine par l’éducation3. Ces recherches établissent qu’il existe en France de nombreuses institutions catholiques proposant des cours secondaires aux jeunes filles, avant que l’État ne se préoccupe de la question, par l’intermédiaire de Victor Duruy, en 1867, ou de Camille Sée, qui porte la loi instituant les lycées de jeunes filles en 1880.

2Tours offre un bel exemple du rôle joué par les établissements privés catholiques dans l’accès des filles à l’enseignement secondaire. À la fin du Second Empire, la Touraine est une région qui a profité du dynamisme économique du règne de Napoléon III. Sa prospérité, son climat et les nombreuses demeures aristocratiques construites à proximité des châteaux royaux ont contribué à l’enracinement de familles aisées. Grâce au développement du chemin de fer, la ville de Tours se présente comme un carrefour commercial attractif et ses foires sont célèbres. Cela permet le développement des commerces, des services bancaires et de l’assurance qui attirent la bourgeoisie de la finance4. Ainsi, la région possède un important vivier de familles aisées, souvent assez conservatrices, qui scolarisent leurs filles dans des pensionnats catholiques.

3Il existe à Tours, en 1875, dix-huit établissements scolaires féminins appartenant à l’enseignement libre, dont onze sont dirigés par des congrégations5. Officiellement, toutes ces structures dispensent un enseignement primaire. Mais plusieurs ont une offre qui relève de l’enseignement secondaire. La structure même des pensionnats religieux, qui accueillent des élèves âgées de 6 à 18 ans, laisse penser qu’il existe bien une séparation de fait entre le niveau primaire et le niveau secondaire. Au cours de la période étudiée, le pensionnat de la Grande Bretèche est par exemple composé du petit pensionnat, qui rassemble les classes de quatrième et de troisième et du pensionnat des grandes, qui réunit les élèves de seconde et de première.

4Depuis 1875, le conseil municipal de Tours a entrepris de concurrencer cet enseignement congréganiste. Jusqu’en 1880, cinq écoles primaires sont fondées ; en 1882, une école primaire supérieure est ouverte puis, en 1883, un lycée de jeunes filles6. Néanmoins, les institutions catholiques ont continué à se développer, jusqu’à ce que les lois anticongréganistes du début du xx^e siècle ne mettent fin à leur activité. Ce sont ces institutions féminines tenues par les congréganistes et dispensant un enseignement secondaire que cette étude se propose de mettre en lumière, entre 1875 et 1904, au cours d’une période où leur dynamisme leur permet de résister à la concurrence locale et à l’hostilité anticléricale. Elle s’appuie sur les archives des congrégations, très peu utilisées en histoire de l’éducation, et les archives publiques. Il s’agit simultanément de souligner le rôle précoce des congrégations dans le développement de l’enseignement secondaire féminin et de saisir au plus près la diversité de l’offre scolaire à la fin du xix^e siècle. Pour cela, il convient de connaître les établissements privés féminins et les congrégations qui les gèrent, avant de se pencher sur les conditions de vie à l’intérieur de ces institutions et sur l’enseignement qui y est dispensé.

Les établissements d’enseignement catholique privé pour filles à Tours

5En dépit du désir de la municipalité de développer un enseignement laïc, le nombre d’établissements congréganistes accueillant des filles augmente au cours de la période étudiée. De onze en 1875, il passe à treize en 1904, à la veille des interdictions et des expulsions. La plupart sont des établissements de taille modeste. En 1875, les huit établissements les plus petits ont une capacité d’accueil de 121 jeunes filles au total. Si la documentation existante ne permet pas toujours d’identifier avec certitude les congrégations qui les possèdent, il est avéré que les Sœurs de la Congrégation de Saint-Martin ainsi que les Sœurs de la Présentation et de Sainte-Ursule gèrent un établissement, tandis que les Sœurs du Saint-Esprit en administrent deux7. Certaines congrégations sont installées à Tours de longue date et jouissent d’une solide réputation. C’est le cas des Ursulines, qui reviennent à Tours en 1814 et reprennent un pensionnat préexistant8. Les autres sont de nouvelles venues dans le paysage religieux. Les Sœurs des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie, également connue à Tours sous le nom de Sœurs du Saint-Esprit, en référence au pensionnat qu’elles ont fondé, sont nées en 1821, en se séparant des Sœurs du Cœur de Marie, qui s’étaient installées à Tours en 1804 et avaient ouvert une école de charité dans une commune limitrophe9. Les Sœurs de la Présentation, quant à elles, arrivent en 1848.

6À ces petits établissements, s’ajoutent trois gros pensionnats. La fondation la plus ancienne est celle de l’institution Sainte-Ursule, située 36 rue de l’Archevêché, aujourd’hui rue Émile Zola. Elle est dirigée par les Ursulines d’Anne de Xainctonge, dont les racines remontent au début du xvii^e siècle. Sa création date de 1818, quand une ancienne ursuline, Rosalie Roland Debussy, sollicitée par l’archevêque de Tours, achète, rue de l’Archevêché, une maison d’éducation, qui se développe rapidement10. Ainsi, en 1880, date du dernier agrandissement, l’établissement peut accueillir 143 élèves de 6 à 18 ans11.

7C’est en 1847 que la congrégation du Sacré-Cœur rachète le monastère de Marmoutier et en commence la restauration. La compagnie en fait un pensionnat de jeunes filles dès l’année suivante, comme l’exige la vocation éducatrice de la mère supérieure, Sophie Barat. Celle-ci propose une éducation basée sur les capacités de l’élève avec un programme développé, adapté à une clientèle issue de la haute bourgeoisie ou de l’aristocratie12, le prix de la pension excluant la moyenne bourgeoisie. C’est effectivement le plus cher de la ville. Le pensionnat de Tours se développe et, en 1894, à la fin des travaux, il est en mesure d’accueillir environ 80 élèves13.

8Le troisième gros pensionnat est celui de la Grande Bretèche, fondé par les Sœurs de la Présentation. C’est en 1848 qu’elles s’installent dans la ville. En 1853, elles acquièrent un terrain et commencent la construction d’une chapelle et de divers bâtiments. La naissance du pensionnat date de 1868, avec l’édification d’un nouveau bâtiment, à la place d’un externat. Les quinze années suivantes, des agrandissements successifs donnent à l’édifice du 15 quai Portillon son allure actuelle. L’institution peut alors accueillir, au mieux, 100 jeunes filles14. Dans ces trois pensionnats, les anciennes élèves, devenues mères, mettent à leur tour fréquemment leurs filles dans ces établissements, comme le montrent par exemple les bulletins de l’association des anciennes élèves de la Grande Bretèche. Il existe bien un esprit de continuité entre générations. Ces pensions, payantes, s’adressent à une population scolaire issue de la bourgeoisie15. Plus le niveau scolaire augmente, plus le coût des études est élevé. Certains pensionnats éduquent certes les pauvres, mais dans des écoles à part. C’est le cas des Ursulines dont « l’institut […] a pour fins l’éducation des demoiselles et l’instruction gratuite des filles pauvres » et qui, à cet effet « tiennent un pensionnat et une école de charité16 ». L’établissement réservé aux classes aisées est distinct de la structure qui accueille les plus pauvres. Cet élément est essentiel car la bourgeoisie ne peut accepter que ses filles soient élevées au milieu d’enfants issus de classes différentes car elles pourraient, à leur contact, développer des attitudes pernicieuses.

9De fait, les différentes congrégations ne s’adressent pas toutes exactement au même public. Parmi les trois qui gèrent les grands pensionnats tourangeaux, les Ursulines ont sans doute le recrutement le plus ouvert, à la fois parce qu’il est le moins cher et qu’elles offrent un enseignement plus diversifié, susceptible de davantage convenir à une moyenne bourgeoisie en quête de diplômes et d’élévation sociale. Le Sacré-Cœur de Marmoutier ne s’adresse qu’à la haute bourgeoisie et à la noblesse, avec des tarifs allant de 450 à 900 francs selon les classes17, et un programme consacré presque entièrement à la littérature et aux arts d’agrément, qui prépare à la vie mondaine. Les Dominicaines de la Présentation se situent entre ces deux orientations.

10Ce panorama livre une clé d’explication de la résistance de l’enseignement congréganiste à Tours et, plus généralement, de son attractivité face à un système contrôlé par l’État, plus monolithique. Dans les villes, l’enseignement catholique, féminin comme masculin, se caractérise en effet par une grande diversité d’institutions, marquées par une culture éducative et scolaire spécifique. Chaque famille peut ainsi trouver une offre correspondant à ses souhaits, ses moyens et la façon dont elle perçoit l’avenir de ses enfants. Cette réputation se fonde sur la renommée des congrégations mais aussi, bien souvent, sur l’expérience des mères qui y inscrivent leurs filles. Leur propre expérience et les échanges avec d’autres anciennes, plus jeunes, les rassurent sur la manière dont elles vont être traitées et leur donne une connaissance à la fois de la discipline et du quotidien.

La vie au pensionnat

Une discipline très stricte

11Dans ces structures, le règlement est très strict et contraignant. Les journées suivent toujours le même schéma très cadré, de l’heure du lever à l’heure du coucher18. La semaine, le mois et l’année suivent également un déroulement précis et défini à l’avance. Il n’y a donc pas de marges laissées à l’imprévu. Cela doit éviter la dispersion morale puisque, selon les idées du xix^e siècle, les filles sont fragiles, physiquement et psychologiquement, et ont besoin d’un tuteur19. Cette éducation le leur apporte puisque, ainsi, elles ne peuvent s’écarter du chemin qui leur est tracé. La rectitude et la politesse doivent les protéger de la curiosité, de la dissimulation, de la frivolité, de la colère ou de la gourmandise20. À chaque début de cours, les demoiselles se lèvent pour accueillir leur maîtresse et lui font une révérence21. Cette hiérarchie interne très marquée, ainsi que l’accent mis sur les règles, créent une rigidité morale qui imprègne la vie quotidienne22.

12Les temps de parole sont étroitement encadrés23. Dans les classes, celle-ci est distribuée par la maîtresse. Pendant les repas, le silence règne, bien qu’il puisse être levé lors de certains jours de fête. Ainsi, pendant l’Épiphanie du 6 janvier 1886, à Marmoutier, les élèves sont autorisées à parler pendant la galette des rois24. De même, les dortoirs doivent être calmes et silencieux. Le bavardage est considéré comme un travers féminin à réfréner. Il faut se maîtriser. Cela passe par une attitude corporelle qui doit être empreinte de réserve. Par exemple, il faut marcher à petits pas ou ne pas parler la première25. Les travaux d’aiguilles entrent dans cet apprentissage en occupant toujours les mains. La couture est également « une leçon de maintien corporel et de docilité26 ».

13L’ordre est également primordial. Les lits doivent être faits avant de descendre en classe. Les corps aussi sont scrutés : les mains, comme les visages, doivent être propres, les cheveux, peignés et attachés. Les vêtements sont parfaitement ajustés, propres et sans trou. Le corps de la jeune fille est totalement effacé sous le tissu. À Tours, comme partout à l’époque, « la pédagogie de l’ignorance est appliquée pour réguler les désirs et les conduites amoureuses27 ». Ainsi, le temps attribué à la toilette le matin est essentiellement consacré à se vêtir, à se brosser les cheveux et à les natter. Toute coquetterie est superficielle. La jeune fille doit rester naturelle, avec des vêtements simples, sans maquillage ni parfum28. La classe doit également laisser apparaître l’ordre et les affaires doivent être soigneusement rangées dans le pupitre pendant les leçons. Seul ce qui est nécessaire au travail est posé sur la table. Cette dernière doit être propre et la salle rangée après les cours. Ceci est fait afin d’éviter toute déviation morale mais aussi pour inculquer de saines règles de gestion d’un intérieur.

14Le respect des règles est récompensé puisque, lors des remises de prix, une médaille peut être attribuée pour la bonne conduite29. De plus, à Marmoutier, le respect du règlement permet à une élève ayant reçu ce prix toute l’année d’obtenir un jour férié supplémentaire pour elle et ses camarades30. Il ne s’agit donc pas d’imposer uniquement un règlement par la punition mais aussi par des incitations et par la bonne volonté de l’enfant, qui doit se raisonner elle-même.

Un second foyer

15La vie en pension est certes stricte, mais elle n’exclut pas des moments de plus grande liberté. C’est le cas des récréations, qui constituent des moments de socialisation intense puisque toutes les élèves y sont présentes, et que les jeux collectifs sont encouragés31. De nombreuses fêtes rythment le temps et permettent à ces jeunes filles d’exprimer leur créativité. À Marmoutier, les fêtes religieuses sont marquées par des journées de relâche, des fêtes costumées en soirée et des spectacles montés par les élèves. Par exemple, le 19 janvier 1892, suite à l’Épiphanie, les élèves ont le droit d’organiser une journée de spectacle dirigée par le roi et la reine de la galette32. Les fêtes des maîtresses sont également marquées par des soirées plus libres. Cela reflète l’esprit familial qui existe dans les pensions. Les jeunes filles sont donc prises en charge à la fois sur le plan intellectuel, comportemental et affectif33. Cette exigence rassure les parents qui y voient un prolongement de la cellule familiale. De plus, les jeunes personnes ont besoin de cet imaginaire car elles ont un vide à combler et recherchent une figure maternelle de substitution, ce que doit être la mère supérieure. Ce système repose sur une connaissance parfaite des différentes élèves par la tenue de réunions très nombreuses entre les enseignantes. À Marmoutier et à Sainte-Ursule, chaque soir, l’intendante et la maîtresse évoquent les résultats de la journée et la directrice les passe en revue chaque semaine avec le corps enseignant34.

16Les liens transgénérationnels entre élèves sont renforcés par la mise en place de tutorats, comme à Sainte-Ursule, où des élèves du grand pensionnat ont une protégée dans les petites classes35. La volonté de bâtir une grande famille, qui se substitue à la famille biologique, est omniprésente, comme en témoigne le journal tenu par une élève de Marmoutier entre 1882 et 1893, qui révèle également la diffusion de stéréotypes lexicaux36. Les élèves sont « les enfants de Marmoutier », la mère supérieure est désignée comme « notre bonne mère » ou « notre digne mère ». De nombreuses lettres sont d’ailleurs envoyées à la mère supérieure une fois que les élèves ont quitté l’établissement. Souvent, celles-ci lui annoncent un événement, transmettent des vœux à l’occasion de la nouvelle année, mais aussi, tout simplement, demandent des conseils37. Tout est fait pour créer un esprit de groupe, voire de famille.

17Cet état de fait se reflète également à travers l’évocation des réussites des pensionnaires et des deuils. C’est ce qui transparaît dans les demandes formulées par la mère supérieure de Marmoutier en 1872, 1873 et 1882, afin d’obtenir le droit d’inhumer des élèves anglaises dans le cimetière de la communauté, ce qui lui fut accordé38. Et la date du décès de 1882, survenu en plein milieu des vacances d’été, laisse entrevoir que l’institution peut se substituer à la famille. Il existe de ce fait un sentiment d’appartenance très fort.

18Après la Première Guerre mondiale, cette cohésion créée dans le pensionnat se prolonge dans des associations d’anciennes élèves, à l’instar de celle qui réunit les anciennes de la Grande Bretèche, à partir de 192139. Si les jeunes filles qui n’acceptent pas la norme éducative peuvent trouver le cadre du pensionnat étouffant, l’expérience du pensionnat semble positive pour celles qui y ont trouvé une seconde famille et y ont noué des amitiés durables.

19Le pensionnat doit donc être un rempart contre les écueils qui, selon les discours naturalistes, menacent les femmes. La forte discipline dans une atmosphère familiale doit apporter toutes les garanties d’une bonne éducation. Celle-ci doit évidemment s’appuyer sur une instruction approfondie, adaptée au milieu bourgeois et aux tournures d’esprit des jeunes filles.

L’enseignement au pensionnat

Les programmes scolaires

20« Former des femmes […] capables d’accomplir dans toute leur étendue les devoirs que la Providence leur a imposés, développer en elles les qualités propres à rendre agréables leurs relations de famille et de société40 », tel est l’objectif affiché par le pensionnat de Sainte-Ursule à la fin des années 1860. Dans les années qui suivent, dans les pensionnats tourangeaux comme partout en France, l’éducation féminine demeure tournée vers la sphère privée afin de répondre aux attentes des familles bourgeoises41. Elles doivent savoir gérer un intérieur, tenir une conversation dans un langage correct et avec des connaissances relativement larges, conserver leurs relations familiales et amicales par une correspondance régulière, se tenir en société et savoir l’agrémenter. C’est ce que proposent les pensionnats.

21Les élèves apprennent donc à s’exprimer dans un langage adapté et les arts d’agréments préparent les jeunes filles à leur destinée de maîtresses de maison. Les sciences ne sont que peu développées car celles-ci dessèchent les esprits, selon la pensée en vigueur au xix^e siècle. Le programme scientifique se limite à des bribes de physique-chimie, et à quelques notions de mathématiques, qui servent à la tenue de la maison. Les enseignements sont donc surtout littéraires. À la Grande Bretèche, dans les années 1880, les enseignements sont le catéchisme, la lecture, l’écriture, l’histoire, la grammaire, l’orthographe, la conjugaison, le style épistolaire, la géographie, la physique-chimie, l’hygiène, l’histoire naturelle, les travaux d’aiguille et les arts d’agrément42. Les cahiers de Jeanne Baudichon43, élève de cette institution, permettent de se rendre compte du poids très important de ces disciplines dans la pratique. Ainsi, d’octobre 1887 à juillet 1889, cinquante-trois exercices littéraires ont été donnés pour seulement cinq exercices scientifiques. De manière marginale, d’autres enseignements, tournés vers la tenue du foyer, sont professés. Ainsi, des cours d’économie domestique sont proposés. Ceux-ci ne sont pas théoriques, mais pratiques. À Marmoutier, par exemple, les pensionnaires tiennent leur propre livret de compte afin de gérer leur argent de poche. Celui-ci est principalement utilisé pour leur correspondance44. Des cours d’hygiène et de pédagogie sont également donnés45, pour préparer les élèves aux tâches maternelles. De plus, une bonne partie de l’enseignement est consacrée aux arts d’agrément, comme le dessin, le chant, le piano ou les langues46, qui permettront aux jeunes filles de s’introduire dans le monde et de tenir leur rang dans les salons.

22La matière la plus développée reste l’enseignement religieux. À Marmoutier, sur six heures et demie de cours quotidiens, deux sont consacrées à cette classe. À Sainte-Ursule, c’est pratiquement identique puisque sur une journée de six heures, deux heures sont réservées à la religion. Dans ce dernier établissement, jusqu’en 1905, cet enseignement prend la forme d’un dialogue entre la maîtresse et les élèves. L’enseignante pose une question sur le thème du jour, à laquelle les élèves doivent répondre par la leçon correspondante. Le lundi, les questions portent sur les gestes à observer, le mardi matin, sur le vocabulaire religieux, tandis que le mardi après-midi, c’est une leçon sur les commandements de Dieu qui est proposée. Le jeudi matin, les élèves approfondissent certains préceptes religieux, et le jeudi après-midi, la leçon est consacrée à la prière. Le vendredi matin, l’enseignement s’intéresse à la confession, tandis que l’après-midi, le vocabulaire religieux est au programme. Enfin, le samedi matin est consacré à la communion. Le but de cette instruction est de former de bonnes chrétiennes.

La manière d’appliquer les programmes

23Une élève ne peut passer dans la classe supérieure si elle n’est « parfaitement instruite de ce qu’elle doit savoir dans celle où elle se trouve47 ». Les religieuses exercent un véritable contrôle sur les connaissances, par des interrogations régulières, orales et écrites. Ainsi un suivi rigoureux de l’évolution de chaque élève se met en place. Un contrôle des connaissances quotidien se fait par oral. Chaque matin, les maîtresses font répéter aux élèves la leçon de la veille pendant trois quarts d’heure à une heure. L’interrogation se fait individuellement et permet de définir le niveau de l’élève dans la classe et de surveiller ses progrès. La leçon doit être connue parfaitement et répétée mot à mot. Pendant les interrogations, les autres élèves cousent. Ce travail est également surveillé et, s’il n’est pas bien fait, il est défait et recommencé. L’oisiveté étant considérée comme un défaut, les futures maîtresses d’intérieur ne doivent pas rester les mains vides. La répétition n’exclut pas quelques innovations pédagogiques. À la Grande Bretèche, certains exercices permettent de réinvestir les savoirs antérieurs de manière amusante. C’est le cas des « voyages » qui proposent à l’élève de décrire un itinéraire d’un point à un autre, par exemple de « Marseille à Bagdad48 ». Ces exercices permettent de mettre en œuvre l’imagination de l’élève tout en vérifiant ses connaissances. La classe, d’une durée d’une heure, structure la journée. À Sainte-Ursule comme à la Grande Bretèche, les élèves des années 1880 ont trois leçons d’une heure chacune le matin puis trois leçons d’une heure l’après-midi, suivies de travaux manuels49. C’est à quelques nuances près le rythme que le règlement républicain de 1887 institua pour les primaires. De ce point de vue, les cours secondaires dispensés aux jeunes filles à Tours semblent davantage s’inscrire dans le prolongement des petites classes que calquer l’organisation des collèges et lycées d’État, qui demeurent attachés aux cours de 2 heures jusqu’au début du xx^e siècle50.

24Pour stimuler l’émulation, des systèmes de blâmes et de récompenses sont mis en place. Les élèves qui se trompent sont inscrites au cahier et baissent dans le classement. À l’inverse, les bonnes élèves, qui apparaissent dans les palmarès, se voient gratifiées de rubans et de médailles lors des remises de prix trimestrielles ou annuelles. Ceux-ci récompensent en premier lieu l’instruction religieuse, l’application et la bonne conduite51, ce qui est d’ailleurs mentionné en premier sur les bulletins avec le caractère, la politesse, l’ordre et le maintien52 ; l’évaluation de l’enseignement, elle, vient en second.

25Mais les exigences en matière de connaissances se sont accrues au cours du xix^e siècle. À l’intérieur même de l’Église, certaines voix, comme celle de Monseigneur Dupanloup, s’élèvent contre l’insuffisante instruction des filles. Dès la fin du Second Empire, il est recommandé, dans les manuels rédigés à l’intention des enseignantes de Marmoutier, comme de Sainte-Ursule, de toujours approfondir chacune des matières enseignées et de s’informer des progrès de la recherche scientifique pour dispenser l’enseignement le plus complet possible. Cette orientation s’accompagne d’une volonté de la part des congrégations de pourvoir les établissements en enseignantes diplômées, particulièrement à la fin du xix^e siècle, quand l’offensive républicaine et laïque pousse l’école catholique à s’adapter pour offrir les meilleures garanties. Jusqu’alors, les diplômées étaient rares, parce que la lettre d’obédience par laquelle la supérieure autorisait une sœur de la congrégation à enseigner, suffisait. Or, cet usage est de plus en plus contesté, de nombreuses personnes au sein de l’Église estimant qu’une professionnalisation des enseignantes est un meilleur moyen de contrer l’enseignement public qui met en poste des professeures bien formées, ainsi que la possibilité d’adapter les méthodes et le contenu d’enseignement au monde moderne53. En 1896, mère Marie du Sacré-Cœur propose d’ailleurs de fonder une école normale pour les religieuses. Bien que contestée dans un premier temps, cette idée aboutit en 1906 à la fondation de l’École normale catholique, qui forme les enseignantes du secondaire privé54.

26Le registre du personnel du pensionnat Sainte-Ursule, tenu entre 1895 et 1904, reflète l’élévation de la formation55. Alors que, dans les années 1860, seules 50 % des enseignantes ont un diplôme, en 1895, huit sur dix sont diplômées. Et en 1898, sept sur huit le sont. Les diplômes possédés sont tous des brevets de capacité, le premier des diplômes permettant l’enseignement. Le niveau de celui-ci semble alors s’élever, comme le laisse entendre la note faite par l’inspecteur lors de la visite du pensionnat de Marmoutier de 1896, qui souligne que l’école a fait beaucoup de progrès56.

27L’acquisition des diplômes est également la préoccupation des élèves. À Tours comme dans l’ensemble de la France, le nombre de jeunes filles présentées aux examens augmente dans la seconde moitié du xix^e siècle et les programmes des pensionnats sont aussi pensés en fonction de ces échéances. Dans les années 1880, le journal du pensionnat de Marmoutier précise par exemple qu’une année supplémentaire est proposée pour préparer le brevet élémentaire57, au cours de laquelle les matières scientifiques notamment peuvent être approfondies. Au tournant du siècle, des diplômes supérieurs commencent à être préparés dans ces établissements. C’est ce qu’illustre l’abonnement contracté par les sœurs de Sainte-Ursule à L’Éducation chrétienne58. Ce journal, a priori publié pour les pensionnats masculins, délivre des conseils et propose des exercices à exécuter. Dans le numéro de novembre 1901, des entraînements au brevet supérieur sont publiés. Il s’agit donc, et peut-être pour la première année, de proposer, dans la classe supplémentaire dédiée aux diplômes, la préparation à un examen assez important. Ce même numéro propose des exercices de littérature, langues et mathématiques en vue du baccalauréat de l’enseignement secondaire moderne. C’est peut-être ici la marque d’un premier intérêt du pensionnat pour la préparation au baccalauréat59.

28Tout en continuant à préparer les jeunes filles à leur vie de maîtresse de maison bourgeoise, l’enseignement secondaire féminin privé tourangeau parvient à répondre aux évolutions sociales en encourageant la formation des enseignantes et en créant des classes préparatoires aux diplômes. C’est ce mélange entre expérience et adaptabilité qui permet au privé catholique pour filles de la ville de Tours de résister à la concurrence de l’enseignement primaire supérieur et secondaire public.

⁂

29À Tours, dans la deuxième moitié du xix^e siècle, il existe une offre de pensions catholiques privées pouvant accueillir pratiquement 450 élèves entre 6 et 18 ans, les jeunes filles entrant au pensionnat fillettes et progressant des classes primaires aux classes secondaires durant leur scolarité. Dans ces établissements, règne une discipline très stricte qui impose silence, soin et politesse. Ils apparaissent comme des institutions totalisantes, dans le sens où ils prennent en charge toute la personne, à la fois sur le plan affectif, comportemental et scolaire, avec l’objectif d’en faire une bonne épouse et une bonne mère apte à tenir son rang dans la bourgeoisie. La religion, omniprésente, occupe une place prépondérante.

30Lorsqu’en 1904 il est interdit aux congrégations d’enseigner, les pensionnats catholiques de Tours ferment très rapidement. Sainte-Ursule et Marmoutier refusent les nouvelles élèves dès 1904-1905 et cessent toute activité l’année suivante. La Grande Bretèche, elle, obtient une dérogation de quelques années, la congrégation ayant une vocation hospitalière également. Ainsi, ce n’est qu’après l’année scolaire 1910-1911 que les institutions gérées par les sœurs de la Présentation ferment définitivement leurs portes. Cela permet aux établissements féminins laïcs de la ville, aussi bien privés que publics, de se développer. Cependant, cette absence d’établissement catholique féminin n’est que de courte durée. Il semble bien que l’enseignement congréganiste réapparaisse dans la ville grâce à l’Union sacrée apparue avec la Première Guerre mondiale. Les Dominicaines de la Présentation, qui ont toujours une activité hospitalière, rouvrent leur pensionnat très rapidement après-guerre. Puis, les sœurs du Sacré-Cœur réintègrent Marmoutier en 1920. Les Ursulines, elles, ne reprennent leur pensionnat qu’en 1923. Leur retour participe au redéploiement d’une Église, qui reprend ses positions.

31Malgré l’anticléricalisme des premières années de la Troisième République partagé par les hommes politiques de cette région des bords de Loire, malgré le développement des établissements publics afin de leur opposer une forte concurrence, les institutions privées catholiques pour filles de la ville traversent les décennies. Si le pensionnat de la Grande Bretèche arrête tout enseignement en 1963, les établissements de Sainte-Ursule et Marmoutier sont, aujourd’hui encore, des lycées catholiques, désormais mixtes. C’est l’illustration de la souplesse institutionnelle de ces établissements, qui perdurent tout en évoluant profondément, et de leur capacité à répondre à une attente sociale et scolaire.