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La recomposition des droites

 | 
Gilles Richard
, 
Jacqueline Sainclivier

Deuxième partie. Forces partisanes

Le MRP face au RPF, un traumatisme mal surmonté

Laurent Ducerf

Entrées d'index

Géographique :

France

Texte intégral

1Le mrp (Mouvement républicain populaire) est le carrefour des rendez-vous manqués qui l’ont conduit vingt ans après sa naissance à suspendre son existence. Au cœur de ces occasions perdues se situe la question des relations avec de Gaulle, et, en particulier avec le rpf (Rassemblement du peuple français). Très tôt, le mrp repousse le rpf. Il existe même des prolégomènes de condamnation avant sa naissance :

  • 1 Dr Poirier, « Notre fidélité au gaullisme », Forces Charentaises, 27 septembre 1946, n° 22, p. 1 (...)

« Si, pour le salut de la France et de la liberté, un rassemblement s’avérait nécessaire, sous l’égide du général de Gaulle, nous répondrions “présents”. Si, par impossible, les partis de la réaction sociale, sous couvert de croisade anti-totalitaire, tentaient de l’annexer pour une prise de pouvoir, nous nous y opposerions de toutes nos forces1 ».

2Ce texte date du 27 septembre 1946, à la veille du discours d’Épinal. Un tel état d’esprit explique la célérité avec laquelle les instances dirigeantes du Mouvement en appellent aux statuts pour empêcher toute entente entre mrp et rpf. Ce choix remet brutalement en cause le mrp, dans son rôle politique, dans son esprit, voire dans son existence même. Le bouleversement électoral introduit par la naissance du rpf est connu : le mrp perd la moitié de ses voix entre les élections législatives de 1946 et celles de 1951. Malgré tout, il survit à ce traumatisme alors que le rpf s’essouffle, puis périclite. À la veille de la chute de la IVe République, le mrp paraît avoir trouvé sa place dans le « système » honni par le général de Gaulle. Avec Pierre Pflimlin, il incarne une République moderne et centriste, tournée vers l’Europe : en surmontant le choc de la naissance du rpf, le mrp a su trouver une voie nouvelle, débarrassé des ambiguïtés de la Libération. Cela a été rude, puisqu’il a été vers 1947 et 1948 au bord du gouffre électoral. Trois étapes, qui se chevauchent, marquent ce redressement. Après avoir voulu mettre en place un cordon sanitaire pour marginaliser le rpf, le mrp doit faire face à un enfoncement de ses positions. Depuis une citadelle assiégée, il tente de reconquérir l’espace perdu en brandissant l’étendard démocrate-chrétien. Sur de lui, il esquisse même une timide ouverture vers le rpf.

Du cordon sanitaire à la citadelle assiégée

  • 2 Le troisième confer de l’article sept précise que, pour être membre du mrp, il faut n’« apparteni (...)
  • 3 Nous n’entrerons pas dans le détail de cette histoire déjà étudiée : Jean-Marie Mayeur, « La rupt (...)

3Le rejet du rpf a été immédiat. Dès le 27 avril 1947, le Comité national publie une motion interdisant aux fédérations et militants mrp d’appartenir au rpf au nom de l’article 7 des statuts du mrp2. Il refuse pour ses députés la double appartenance avec l’Intergroupe d’action pour une vraie démocratie. Les dirigeants du mrp n’ont pas attendu pour se prononcer. La machine interne du Mouvement traque ceux qui cherchent à construire un pont entre le mrp et le rpf et, avant la fin de l’année, Edmond Michelet et Louis Terrenoire ont quitté le mrp ou en ont été exclus3. Edmond Michelet est exclu le 18 novembre 1947, après Jacques Furaud et Jean-Paul Palewski. Par solidarité, Louis Terrenoire et Henri Lespès le suivent.

  • 4 Ce député de Moselle rejoint le rpf après s’être brouillé avec Robert Schuman. Il est réélu en 19 (...)
  • 5 Rapport d’activité du groupe parlementaire de l’Assemblée nationale, Congrès national de Nantes ( (...)

4Ces départs ont été très douloureux, mais le groupe mrp a globalement résisté et, s’il connaît plusieurs départs retentissants pendant la législature, ce ne sont pas vers les Républicains populaires indépendants – groupe gaulliste de l’Assemblée nationale –, à l’exception de Jules Thiriet4. Le crédit d’attraction du groupe a vite été épuisé et les députés en désaccord avec le Mouvement se tournent soit vers la droite classique, notamment le groupe paysan qui accueille Paul Caron, malgré ses sympathies gaullistes, soit vers les non-inscrits de gauche, comme Charles d’Aragon5.

  • 6 « Nouvelles des Fédérations », mrp à l’action, décembre 1947, n° 36, p. 368.
  • 7 an 350 AP 100.
  • 8 Questionnaire sur la vie de la fédération pour préparer la journée d’étude de Marly-le-Roi, 17 jui (...)

5Les fédérations sont bien tenues également, dans la mesure où elles résistent à la tentation de passer en tant que telle au rpf, y compris la fédération corrézienne qui désavoue Edmond Michelet, incapable de conserver son siège en 1951. La fédération de l’Indre rejette son député, Louis Chevalier, qui a rejoint le rpf. Cela se passe moins bien en Seine-et-Marne, en Gironde – département de Liquard – et surtout en Charente où Jacques Furaud reçoit le soutien d’une majorité de militants qui refusent de prononcer son exclusion. La commission exécutive argue le 20 novembre 1947 de lacunes dans la préparation de la réunion pour invalider ce vote, retire l’investiture à la fédération félonne et reconstruit à la hâte une nouvelle fédération charentaise fidèle aux consignes nationales6. Les turbulences ont donc été limitées. Il est vrai que très tôt le secrétariat fédéral du mrp a pris la mesure du danger. Dès le 15 avril 1947, André Colin, dans une note d’orientation politique, informe les responsables fédéraux de l’attitude à tenir, à savoir une réserve vigilante face au rpf7. Le mrp resserre le contrôle sur les fédérations, leur demandant d’enquêter sur l’attitude des adhérents vis-à-vis du rpf8.

  • 9 Albert Gortais, « Le Rassemblement, les partis, l’union », L’Aube, 9 octobre 1947.

6Les instances dirigeantes du Mouvement s’en tiennent à cette politique déterminée, affirmant à la veille des élections municipales qu’il repousse toute négociation, ainsi que toute alliance bipartite entre gaullistes et démocrates-chrétiens9. Le cordon sanitaire a tenu autour des institutions du Mouvement mais il a cédé face aux électeurs. À partir de 1947, le mrp subit une suite d’échecs électoraux, qui le met au bord de la marginalisation en cette fin de décennie.

  • 10 Année Politique 1947, Éditions du Grand Siècle, 1948, p. 364.
  • 11 Année Politique 1949, Éditions du Grand Siècle, 1950, p. 442

7La défaite la plus sévère a lieu au moment des élections municipales d’octobre 1947, le mrp ne semblant plus pouvoir résister à la vague du rpf. Celui-ci recueille 6230000 voix et le mrp seulement 1 510 00010, alors que, moins d’un an auparavant, plus de cinq millions d’électeurs lui avaient apporté leurs suffrages pour les législatives. Le chiffre de 1947 est peut-être surévalué, car la loi électorale et la constitution de listes de coalition rendent opaques le calcul des voix. Les chiffres du rpf concèdent au mrp 8,5 % des suffrages tandis qu’une étude postérieure menée par la revue Réalités en janvier 1949 n’attribue plus à ce dernier que 6,3 % des suffrages. Logiquement, les élections pour le renouvellement partiel du Conseil de la République, un an plus tard, tournent au désastre puisque le mrp n’a plus que 18 conseillers contre 70 dans la précédente assemblée. Les élections cantonales de mars 1949 constituent un troisième avertissement, plus équivoque du fait du caractère particulier de ces élections qui rendent difficiles toutes les projections nationales. Le mrp passe de 230 à 200 élus dans les cantons où a lieu le renouvellement et il n’obtient que 8,1 % des suffrages, loin des résultats obtenus aux élections législatives11.

  • 12 Le quotidien passe de 108 000 exemplaires en décembre 1946 à 61250 en septembre 1948 (Frédérique (...)

8Le choc de la naissance du rpf frappe également la presse mrp qui subit une hécatombe. Le Mouvement voit deux quotidiens régionaux, La Liberté à Lyon12 et surtout La Victoire à Toulouse suspendre leur parution en 1948, respectivement le 8 octobre et le 19 avril, alors qu’ils jouaient un rôle essentiel dans la diffusion du message mrp dans des terres marquées par le radicalisme. Malgré une aide financière conséquente, il ne parvient même pas à sauver le navire amiral de la presse démocrate-chrétienne, L’Aube, qui disparaît le 20 octobre 1951 après une longue agonie. La crise se prolonge l’année suivante avec l’absorption du Réveil de Grenoble par le Dauphiné Libéré le 1er mai 1952.

  • 13 Les éléments qui suivent sont tous tirés des rapports adressés au président Auriol ( an, 4 AG 84).
  • 14 « Dans l’Indre, c’est pour ainsi dire fini. Nous restons une dizaine. Le reste de l’équipe est par (...)
  • 15 an, 350 AP 17.
  • 16 René Guyomard souligne en effet au Congrès de Toulouse que l’année 1947 a été particulièrement dif (...)
  • 17 Les militants versent l’équivalent d’un jour de travail à leur fédération.
  • 18 Réunion des responsables de services, 17 juillet 1947, an, 350 AP 100.

9Enfin, un danger mortel se fait sentir à partir de 1948, celui du départ des militants, non parce qu’ils frappent en masse à la porte des permanences du rpf mais parce qu’ils se découragent et se démobilisent. Les rapports des Renseignements généraux13 multiplient les signes alarmants. À la fin de février 1948, la fédération du Lot-et-Garonne ne connaît aucune adhésion ; celle de Seine-et-Oise a perdu la moitié de ses militants entre 1946 et 1948. En Provence, ce sont les deux tiers des adhérents qui ont disparu entre la Libération et 1949. Le découragement se ressent également dans l’Aude où la fédération lance, début décembre 1949, 400 invitations pour la réunion des élus mrp – au nombre de 150 dans le département – et ne voit venir que quatorze personnes. En Indre, le Congrès fédéral disparaît en 1949, faute de moyens14. Plusieurs fédérations connaissent en 1948 ou 1949 d’inquiétants déficits, que ce soit celle du Tarn ou celle du Lot-et-Garonne. Enfin, des fédérations cessent d’exister dans les faits. Dans la Creuse, il ne subsiste en 1948 qu’une modeste section à Aubusson, avec cinquante membres. En Côte-d’Or, la fédération disparaît car elle n’a plus assez de membres pour se maintenir selon ses statuts. Cette ambiance lugubre se ressent dans le rapport sur la vie du Mouvement que dresse Jean Fonteneau au Congrès de Strasbourg le 8 juin 194915 : une dizaine de fédérations entre le Congrès de Toulouse et celui de Strasbourg ont dû fermer leur local et licencier leur permanent, poursuivant un mouvement entamé dès 194716. Il prend acte de l’échec de la campagne nationale de la journée de travail17 puisqu’une seule fédération, celle de l’Eure, a organisé cette collecte contre plus de la moitié l’an passé18.

  • 19 Conseil National, 25 septembre 1948, an, 350 AP 58.

10Que faire ? Georges Bidault déclare qu’il « préfère couler pavillon haut plutôt que l’amener19 ». Les dirigeants du Mouvement refusent d’écrire la chronique d’une mort annoncée et mènent une offensive tout azimut pour reconquérir le terrain perdu face au rpf en vue des élections législatives de 1951. La politique du cordon sanitaire ayant tourné à celle de la citadelle assiégée, le mrp doit entamer la reconstruction de son identité afin de trouver sa place dans l’électorat.

Un réduit démocrate-chrétien pour assurer la reconquête

  • 20 an, 350 AP 58. L’attribution de cette note à Colin est de notre fait.

11Les efforts portent d’abord sur les structures du Mouvement. Dans une note manuscrite du 28 février 1948, André Colin met l’accent sur une « action militante dans le pays20 », où il s’agirait moins de défendre les ministres mrp que de « dénoncer les impostures » tout en associant les fédérations à un travail de réflexion sur les problèmes essentiels. Une effervescence militante et organisationnelle s’empare du Mouvement dès la fin de l’année 1947.

  • 21 an, 350 AP 100.

12Le 23 et 24 novembre 1947 a eu lieu le congrès constitutif de l’Association populaire des élus départementaux et municipaux qui permet d’établir un lien direct entre les instances du Mouvement et les élus locaux, après que le Mouvement a organisé le 6 novembre une journée de formation des élus municipaux21.

  • 22 an, 350 AP 58.
  • 23 Albert Gortais, Rapport sur la formation politique, Congrès de Toulouse, 6 mais 1948, an, 350 AP (...)
  • 24 an, 350 AP 20.

13Dès le Comité national du 28 et 29 décembre 1947, Robert Lecourt ébauche un plan de reconquête progressivement appliqué22. Un député mrp doit être désigné comme tuteur pour chaque fédération ébranlée par la dissidence d’un député, pour susciter les futurs candidats. Les fédérations doivent recevoir la visite approfondie (trois à quatre jours) du secrétaire général accompagné de quelques parlementaires. Robert Lecourt insiste sur la relance du travail en section et le développement de la propagande, s’inspirant notamment du succès de certaines fédérations de l’Ouest. Enfin, Le Mouvement doit mettre l’accent sur la formation des militants, à l’ordre du jour du Congrès de Toulouse de 1948. Une motion élaborée par Albert Gortais propose la constitution d’une commission nationale de formation politique, qui organiserait des sessions annuelles pour les cadres départementaux et élaborerait des séries de documents. Son rapport montre bien qu’il s’agit de combattre l’influence du rpf, en donnant aux militants les armes de l’esprit pour affronter les slogans des extrêmes : « La mystique du chef et la croyance au miracle ne font que renforcer cette tendance dont le danger redoutable tient au fait qu’elle développe sourdement dans le peuple l’esprit de démission qui est la maladie des démocraties23 ». Les premières sessions de formation s’ouvrent en 1948 avec trois interventions d’un haut niveau intellectuel. Le mrp publie entre 1949 et 1951 huit copieux Cahiers de formation politique et, entre le congrès de Strasbourg (mai 1949) et celui de Nantes (mai 1950), quarante fédérations ont participé à 25 sessions de formation24.

  • 25 Circulaire du 14 septembre 1940, an, 350 AP 103.
  • 26 Commission exécutive, 30 novembre 1950, an, 350 AP 49.
  • 27 an, 4 AG 54.
  • 28 Note du 9 juin 1950, an, 4 AG 84.
  • 29 Dictionnaire des parlementaires français, 1940-1958, La Documentation Française, t. 4, p. 32.
  • 30 an, 350 AP 20.

14Les résultats tardent à se manifester immédiatement : en septembre 1950, le secrétaire général écrit aux présidents et secrétaires fédéraux que « les préoccupations d’organisation commencent à se faire sentir25 ». La vie fédérale connaît un renouveau après 1950 ; André Colin se félicite des voyages effectués dans les fédérations qui donnent une « impression assez réconfortante » de l’état du Mouvement26. Les rapports des Renseignements généraux le confirment. C’est le 20 décembre 1949 que la première note positive parvient au cabinet du Président Auriol, signalant une « légère reprise27 ». Six mois plus tard, les RG parlent de « net redressement28 ». Les efforts annoncés par Lecourt et Gortais en 1947 et 1948 portent leurs fruits. L’association des élus populaires se développe (note du 24 juin 1950) ainsi que les équipes spécialisées, comme celle des fonctionnaires animée par Yves Fagon, très actif député de la Seine – 42 propositions de loi ou rapports durant la première législature29 –. Grâce à son bulletin, Fonctionnaires, la section met en valeur l’action et la doctrine du mrp auprès de cette fraction de l’électorat. Jean Fonteneau, dans son rapport sur la vie du Mouvement présenté au congrès de Nantes en mai 1950, insiste sur le rôle des bulletins des équipes spécialisées qui valorisent le travail des militants et permettent au Mouvement de travailler l’électorat de manière ciblée. Le Mouvement publie alors onze bulletins, aussi bien pour les ouvriers, le monde agricole que les professions juridiques ou le petit patronat30.

  • 31 an, 4 AG 84.
  • 32 « Nouvelles des Fédérations », Le mrp à l’action, décembre 1947, p. 368.
  • 33 Fondé par le républicain populaire Paul-Émile Viard qui a rompu avec le mrp en juin 1947.
  • 34 an, 4 AG 84.
  • 35 Le mrp a 125 000 adhérents en 1946 ; ce chiffre tombe à 25 000 en 1950 et 1951 et il monte à part (...)
  • 36 an, 350 AP 60.

15Le retour de dirigeants ou de militants passés au rpf témoigne de cet attrait retrouvé. Les Renseignements généraux signalent que les républicains populaires passés au rpf reviennent dans leur formation d’origine, en Gironde et dans l’Eure31. Le parcours de Louis Chevalier illustre ce phénomène. Ce député mrp passe en octobre 1947 au rpf, désapprouvé par sa fédération32. Il rejoint le petit groupe parlementaire de l’Union démocratique des indépendants33 avant de demander en novembre 1949 à être réintégré au sein du mrp. Avec cohérence, la fédération mrp de l’Indre refuse34. Ces succès ne doivent pas conduire à surévaluer la reconquête du mrp ; la courbe s’est inversée et les démocrates populaires ont évité la catastrophe mais ils restent toutefois bien loin des hautes eaux de l’année 194635. Le mrp a plus cherché à sauver ses militants que ses électeurs, au nom d’un idéal défendu par des dirigeants marqués par l’Action catholique et la Résistance. Le conseiller de la République Georges Aguesse, au Comité national du 27 octobre 1947, n’hésite pas à annoncer un mrp réduit des deux tiers, et s’en réjouit car c’est la garantie de « rester fidèle à ceux qui nous sont fidèles36 ». On ressent une exaltation de la pureté, voire du martyre qui révélerait les vrais croyants en déchirant les apparences. Le 15 novembre 1947, Jacques Madaule développe un point de vue identique dans la conférence inaugurale du Centre de formation des militants du mrp :

  • 37 Jacques Madaule, « Notre conception de la culture » dans L’homme nouveau sera-t-il marxiste ou sp (...)

« L’apport d’un parti, d’un mouvement ne tient pas au nombre de ces électeurs, c’est surtout au nombre de ses militants. Vous savez fort bien que si nous voulons sauver la culture, sauver la République, et en un sens c’est la même chose, nous n’y parviendrons qu’en restant obstinément fidèles à nous-mêmes37 ».

16Le mrp se veut plus que jamais le parti de la fidélité, mais cette fidélité n’est plus vouée à de Gaulle. On assiste en 1947-1948 à un repli démocrate-chrétien très vigoureux, clarification douloureuse, électoralement parlant, des ambiguïtés de la Libération.

  • 38 Étienne Borne, « Le mrp et les courants permanents de la pensée française », Cahier de formation (...)
  • 39 Étienne Borne, « Fidélité à soi », L’Aube, 16-17 octobre 1948.
  • 40 Étienne Borne, « Grilles pour une énigme », L’Aube, 31 octobre 1948.
  • 41 Pierre-Henri Teitgen, Conseil national, 27 octobre 1947, an, 350 AP 58.
  • 42 « Nous retrouvons ici une vieille connaissance, le “Politique d’abord”, essentiellement fondé sur (...)

17L’élaboration doctrinale de ce retour aux sources démocrates-chrétiennes doit beaucoup au philosophe Étienne Borne38. En 1948, il répond sans détour non à la main tendue d’André Malraux : « Comment ces graves raisons [les contradictions du rpf] ne justifieraient-elles pas le non possumus d’un parti qui est, en effet, le parti de la fidélité, c’est-à-dire de la fidélité
à soi ?39 ». Deux semaines plus tard, il réitère son appel au maintien de la politique anti rpf du mrp : « Là est l’esprit de Péguy, là est l’esprit du Sillon40 ». En faisant le choix de cette fidélité, le mrp n’hésite pas à assumer crânement un recul fort : « Ce qu’on nous demande [rejoindre l’Intergroupe], c’est un espèce d’anéantissement et d’écrasement […]. Nous ne pouvons abandonner 50 ans, 100 ans d’efforts tragiques […]. Nous étions écrasés [dans l’entre-deux-guerres], anéantis, mais nous disions que c’était une belle campagne car nous avions porté notre témoignage41 ». Ces chrétiens marqués par les combats des années 1930 retrouvent un vieux réflexe : face au politique d’abord42 dont ils nimbent le rpf, ils répondent spirituels d’abord. C’est leur âme, celle des militants, celle de la France qui est en jeu. Ils sacrifient la masse des baptisés qui ne sont que des chrétiens sociologiques pour se concentrer sur les militants qui, en étant témoins de leur idéal spirituel et évangélique, entretiennent l’espoir de rayonner dans le corps social.

  • 43 Commission exécutive, 28 décembre 1948, an, 350 AP 46.
  • 44 Commission exécutive, 14 décembre 1948, an, 350 AP 46. Gortais quitte le mrp l’année suivante, à (...)
  • 45 an, 350 AP 46.
  • 46 Commission exécutive, 14 décembre 1948, an, 350 AP 46.
  • 47 Voir notamment le « Fichier du militant » de mai 1951 sur l’enseignement qui consacre quatre pages (...)
  • 48 an, 4 AG 84.
  • 49 Le mrp a notamment les faveurs des cardinaux Roques (Rennes) et Gerlier (Lyon), ce dernier ayant (...)

18En 1948, le mrp de la Libération est mort : les dirigeants ont fait leur deuil d’un vaste mouvement né de la Résistance qui intégrerait tous les défenseurs de la civilisation humaniste et du pluralisme politique. Maurice Schumann demande explicitement à ce que le mrp soit avant tout un parti démocrate-chrétien43. Comme le montrent les multiples motions présentées par les fédérations au Conseil national de 1948, beaucoup d’adhérents n’acceptent que très difficilement cette évolution, et même certains dirigeants, comme Albert Gortais, qui s’interroge sur la compatibilité entre les impératifs du Mouvement et ceux d’un parti44. En se rapprochant du PDP de l’entre-deux-guerres, le mrp doit nécessairement s’adosser sur les mouvements catholiques collatéraux : il accepte de ne pas regrouper au-delà de cet horizon et de n’être que l’élément politique d’un mouvement qui l’inclut. Le 28 décembre 1948, la Commission exécutive demande que l’on resserre et multiplie les contacts avec « les forces qui participent au grand courant traditionnel que le mrp exprime sur le plan politique45 ». André Colin lance l’offensive vers tous les horizons, aussi bien l’Action catholique, la cftc que le haut clergé46. Face à l’agitation menée par le rpf et les Indépendants en faveur de l’école libre, le mrp reprend l’initiative sur ce sujet, n’hésitant pas à souligner chaque fois qu’il le peut les contradictions du rpf47. Dans le Haut-Rhin, il diffuse un tract bilingue intitulé « Bas les masques ! » stigmatisant l’attitude du rpf qui, selon lui, remet en cause la législation d’Alsace et de Moselle48. Il n’hésite pas à user de ses contacts privilégiés avec la hiérarchie catholique pour peser sur l’électorat49. L’apogée de cette offensive a lieu, lorsque l’Osservatore romano invite implicitement mais sans ambiguïté les catholiques français à voter pour le mrp à la veille des élections législatives de 1951.

La tentation gaulliste

  • 50 Comme l’indique de manière péremptoire Pierre-Henri Teitgen lors de la houleuse commission exécuti (...)
  • 51 an, 350 AP 48
  • 52 Ibid.
  • 53 Commission exécutive, 18 mai 1951, ibid.

19Le mrp endosse donc une nouvelle identité à la veille des élections législatives. Le vaste mouvement humaniste et pluraliste qui devait faire la révolution par la loi a cédé la place à un parti démocrate-chrétien qui développe une culture de gouvernement50, voire de coalition. C’est lui qui est à l’origine de la loi sur les apparentements. Cette loi donne lieu à un débat virulent au sein du Conseil national pour savoir s’il faut proposer des apparentements au rpf. Le mrp, rassuré sur son identité et son destin, se permet d’envisager de telles alliances locales pour éliminer les communistes de l’hémicycle. Le débat s’ouvre à la Commission exécutive le 10 mai 1951 après que la fédération de l’Eure s’est émue de voir son homologue de Gironde proposer un apparentement anticommuniste au rpf51. Certains approuvent la politique du bâtonnier Henri Teitgen en Gironde car elle place le rpf devant ses responsabilités. Pierre Dominjon regrette, lui, que le congrès de Nantes ait refusé d’examiner une motion préconisant une guerre sur les deux fronts, motion repoussée par Georges Bidault. Pour ce dernier, seul l’apparentement avec le pcf est formellement impossible ; les fédérations sont libres de proposer des apparentements avec le rpf que les instances dirigeantes peuvent refuser, mais seulement in fine. Germaine Poinso-Chapuis et André Colin appuient l’ancien président du Conseil : la Commission exécutive ne peut interdire aux fédérations de proposer l’apparentement au rpf. Le 23 mai 1951, alors que Lionel de Tinguy soulève la question des éventuelles acceptations d’apparentements de dernière minute de la part du rpf, Georges Bidault souligne que la Commission exécutive n’a aucune autorisation à donner et que les fédérations doivent faire ce qu’elles jugent nécessaires52. La politique d’ouverture feutrée vers le rpf semble donc prendre l’ascendant à la veille de ces législatives. En même temps, le mrp fait face à l’agitation menée par le Comité d’action pour la liberté scolaire ( cals) qui a lancé, dans quinze départements de l’Ouest, un communiqué appelant à un apparentement de l’ensemble des défenseurs de l’école libre. Le mrp peut, sur ce point, compter sur l’appui du cardinal Roques mais plusieurs dirigeants, notamment Pierre-Henri Teitgen, s’insurgent contre cet appel aux apparentements forcés tandis que Charles Barangé, qui connaît bien le président du cals, juge cet appel favorable au mrp. En Ille-et-Vilaine, un apparentement est d’ores et déjà envisagé, Georges Coudray prenant alors la tête de la liste au détriment de Pierre-Henri Teitgen. André Colin, interprète de Bidault, demande une nouvelle fois qu’aucune exclusive ne soit prononcée car une interdiction formelle de souscrire à l’appel du cals entraînerait la « fin du mrp dans l’Ouest53 ».

  • 54 Le 29 avril 1948, il demandait à Georges Coudray de ne pas mettre en avant la question de l’école (...)
  • 55 En Vendée, l’apparentement permet au mrp de sauver ses deux sièges, tandis que le rpf en gagne t (...)
  • 56 Assemblée nationale, Recueil des textes authentiques des programmes et engagements électoraux des (...)
  • 57 Commission exécutive, 23 août 1951, an, 350 AP 49. Les élections cantonales ont lieu les 7 et 14 (...)

20André Colin, l’artisan de la politique du cordon sanitaire54, mène une politique d’ouverture modérée vers le rpf car il est persuadé que le mrp, après quatre années d’effort, a trouvé sa place. Il est vrai que le risque que le rpf accepte l’apparentement était faible, et il ne se produit que dans quatre départements, alors que le mrp présente 73 listes apparentées, avec des succès divers55. Une quinzaine de professions de foi des députés mrp évoquent explicitement le refus du rpf d’accepter l’apparentement proposé56. Deux mois après les élections, André Colin prend parti avec fermeté pour le désistement des candidats mrp en faveur du candidat rpf lors des élections cantonales, en cas de deuxième tour mettant face à face un candidat communiste et un gaulliste57.

  • 58 Sur ce sujet, voir Louis Terrenoire, De Gaulle, 1947-1954, pourquoi l’échec ?, Plon, 1981, p. 179 (...)
  • 59 Conseil national du 17 janvier 1953, an, 350 AP 60.

21La défaite des législatives de 1951 a paradoxalement rassuré le mrp, qui pensait être menacé dans son existence même après la naissance du rpf. Il a des bastions et une identité, et commence à voir dans le rpf une force avec laquelle il peut s’entendre. Tout au long de la période, des contacts informels entre mrp et rpf ont subsisté et les partisans d’un rapprochement avec le rpf comme André Coste-Floret, restent influents. L’éclatement du rpf face à l’investiture du gouvernement Pinay et la naissance du cnip bouleversent la donne en 1952. Une tentative secrète de fusion entre le rpf et le mrp a été menée durant l’été 195258, car le rpf ne représente alors plus le mal absolu. André Colin déplore en 1953 que tout député rpf quittant son parti rejoigne « le marais conservateur59 », mais il est trop tard. Le rpf a bel et bien été affaibli par le mrp sans que ce dernier profite de sa disparition aux élections législatives de 1956. Il reste cantonné à des bastions démocrates-chrétiens, certes solides, mais est incapable de reconquérir un électorat qui a glissé vers la droite, glissement rendu possible par la levée de la double hypothèque démocrate-chrétienne et gaulliste.

Notes

1 Dr Poirier, « Notre fidélité au gaullisme », Forces Charentaises, 27 septembre 1946, n° 22, p. 1 (hebdomadaire de la fédération mrp de Charente).

2 Le troisième confer de l’article sept précise que, pour être membre du mrp, il faut n’« appartenir à aucun autre parti politique nationalement organisé ».

3 Nous n’entrerons pas dans le détail de cette histoire déjà étudiée : Jean-Marie Mayeur, « La rupture entre le mrp et le rpf », in De Gaulle et le Rassemblement du Peuple Français, 1947-1955, Armand Colin, 1998, p. 604-611.

4 Ce député de Moselle rejoint le rpf après s’être brouillé avec Robert Schuman. Il est réélu en 1951 et se représente avec succès en 1956 sous l’étiquette du cnip. Il poursuit sa carrière parlementaire jusqu’en 1968.

5 Rapport d’activité du groupe parlementaire de l’Assemblée nationale, Congrès national de Nantes ( an, 350 AP 74).

6 « Nouvelles des Fédérations », mrp à l’action, décembre 1947, n° 36, p. 368.

7 an 350 AP 100.

8 Questionnaire sur la vie de la fédération pour préparer la journée d’étude de Marly-le-Roi, 17 juin 1947, an, 350 AP 100.

9 Albert Gortais, « Le Rassemblement, les partis, l’union », L’Aube, 9 octobre 1947.

10 Année Politique 1947, Éditions du Grand Siècle, 1948, p. 364.

11 Année Politique 1949, Éditions du Grand Siècle, 1950, p. 442

12 Le quotidien passe de 108 000 exemplaires en décembre 1946 à 61250 en septembre 1948 (Frédérique Lopez, Le Mouvement Républicain Populaire dans le département du Rhône, 1944-1958, mémoire de maîtrise sous la direction de Jean-Dominique Durand, Lyon 3, 1993, p. 177-178).

13 Les éléments qui suivent sont tous tirés des rapports adressés au président Auriol ( an, 4 AG 84).

14 « Dans l’Indre, c’est pour ainsi dire fini. Nous restons une dizaine. Le reste de l’équipe est parti au gré du vent » (extrait d’une lettre d’un militant de la fédération à son secrétaire fédéral, 19 juin 1948, an, 350 AP58).

15 an, 350 AP 17.

16 René Guyomard souligne en effet au Congrès de Toulouse que l’année 1947 a été particulièrement difficile sur ce point ( an, 350 AP 15).

17 Les militants versent l’équivalent d’un jour de travail à leur fédération.

18 Réunion des responsables de services, 17 juillet 1947, an, 350 AP 100.

19 Conseil National, 25 septembre 1948, an, 350 AP 58.

20 an, 350 AP 58. L’attribution de cette note à Colin est de notre fait.

21 an, 350 AP 100.

22 an, 350 AP 58.

23 Albert Gortais, Rapport sur la formation politique, Congrès de Toulouse, 6 mais 1948, an, 350 AP 15.

24 an, 350 AP 20.

25 Circulaire du 14 septembre 1940, an, 350 AP 103.

26 Commission exécutive, 30 novembre 1950, an, 350 AP 49.

27 an, 4 AG 54.

28 Note du 9 juin 1950, an, 4 AG 84.

29 Dictionnaire des parlementaires français, 1940-1958, La Documentation Française, t. 4, p. 32.

30 an, 350 AP 20.

31 an, 4 AG 84.

32 « Nouvelles des Fédérations », Le mrp à l’action, décembre 1947, p. 368.

33 Fondé par le républicain populaire Paul-Émile Viard qui a rompu avec le mrp en juin 1947.

34 an, 4 AG 84.

35 Le mrp a 125 000 adhérents en 1946 ; ce chiffre tombe à 25 000 en 1950 et 1951 et il monte à partir de 1952 pour atteindre 30 000 en 1955 (Pierre Letamendia, Le Mouvement Républicain Populaire, histoire d’un grand parti français, Beauchesne, 1995, p. 197).

36 an, 350 AP 60.

37 Jacques Madaule, « Notre conception de la culture » dans L’homme nouveau sera-t-il marxiste ou spiritualiste ?, Société d’éditions républicaines populaires, 1948, p. 46-47.

38 Étienne Borne, « Le mrp et les courants permanents de la pensée française », Cahier de formation politique, [1949], n° 2, 15 pages.

39 Étienne Borne, « Fidélité à soi », L’Aube, 16-17 octobre 1948.

40 Étienne Borne, « Grilles pour une énigme », L’Aube, 31 octobre 1948.

41 Pierre-Henri Teitgen, Conseil national, 27 octobre 1947, an, 350 AP 58.

42 « Nous retrouvons ici une vieille connaissance, le “Politique d’abord”, essentiellement fondé sur l’illusion qu’il peut y avoir des institutions parfaites » Albert Gortais, Rapport sur la formation politique, Congrès national de Toulouse, 6 mai 1948, an, 350 AP 15.

43 Commission exécutive, 28 décembre 1948, an, 350 AP 46.

44 Commission exécutive, 14 décembre 1948, an, 350 AP 46. Gortais quitte le mrp l’année suivante, à la fois par désaccord mais aussi pour des raisons matérielles car le Mouvement se trouve dans l’incapacité d’assurer un salaire décent à ce père de famille nombreuse.

45 an, 350 AP 46.

46 Commission exécutive, 14 décembre 1948, an, 350 AP 46.

47 Voir notamment le « Fichier du militant » de mai 1951 sur l’enseignement qui consacre quatre pages pour démontrer que le rpf est un adversaire de l’école libre ( an, 350 AP 93).

48 an, 4 AG 84.

49 Le mrp a notamment les faveurs des cardinaux Roques (Rennes) et Gerlier (Lyon), ce dernier ayant clairement signifié à Jacques Soustelle en mai 1950 qu’il refusait la division des catholiques et encourageait le vote mrp ( an, 4 AG 84).

50 Comme l’indique de manière péremptoire Pierre-Henri Teitgen lors de la houleuse commission exécutive du 14 décembre 1948, « il faut se résoudre à faire de la politique ou manier des chimères » ( an, 350 AP 46).

51 an, 350 AP 48

52 Ibid.

53 Commission exécutive, 18 mai 1951, ibid.

54 Le 29 avril 1948, il demandait à Georges Coudray de ne pas mettre en avant la question de l’école libre car elle pourrait « entraîner un rapprochement avec le rpf » ( an, 350 AP 46).

55 En Vendée, l’apparentement permet au mrp de sauver ses deux sièges, tandis que le rpf en gagne trois mais avec une liste de coalition modérés- rpf. En Lozère, ni le rpf, ni le mrp n’ont d’élu. En Haute-Loire, les voix du rpf ont permis de donner tous les sièges aux apparentés, c’est-à-dire trois indépendants et un mrp (Noël Barrot). En Haute-Saône, le rpf obtient deux sièges et le mrp, qui n’avait pas de député sortant, aucun.

56 Assemblée nationale, Recueil des textes authentiques des programmes et engagements électoraux des députés proclamés élus à la suite des élections générales du 17 juin 1951, Imprimerie de l’Assemblée nationale, 1952 1045 pages.

57 Commission exécutive, 23 août 1951, an, 350 AP 49. Les élections cantonales ont lieu les 7 et 14 octobre 1951.

58 Sur ce sujet, voir Louis Terrenoire, De Gaulle, 1947-1954, pourquoi l’échec ?, Plon, 1981, p. 179 sqq. et Laurent Ducerf, François de Menthon, un catholique au service de la République, 1900-1984, thèse sous la direction de Jean-Dominique Durand, Lyon 3, 2000, p. 826-832.

59 Conseil national du 17 janvier 1953, an, 350 AP 60.

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