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« La Cité en ébullition »
Jeunesse étudiante et action collective à la Cité internationale universitaire de Paris, de 1945 aux années 1968 : contestations, mobilisations et circulations
p. 71-120
Texte intégral
1Loin d’être le lieu apolitique et a-conflictuel qu’ambitionnaient ses fondateurs dans les années 1920, la Cité internationale universitaire de Paris de la seconde moitié du xxe siècle est un espace social au sein duquel les contestations et les mobilisations, déjà présentes avant-guerre1, sont de plus en plus nombreuses, de plus en plus visibles, et dont l’acmé est atteinte avec les « années 19682 ». Au cours de cette période, les formes de protestation évoluent et se radicalisent en effet sur le campus du boulevard Jourdan : les revendications des résidents, limitées à l’origine au cadre spécifique de la Cité et fondées sur les thèmes de la vie chère et de la participation aux instances de gestion, se démultiplient dans un contexte de politisation des campus et d’internationalisation des contestations étudiantes, où la Cité n’est plus qu’un enjeu, parmi d’autres, de luttes globales contre le paternalisme, l’autoritarisme, l’impérialisme ou encore le capitalisme.
2L’étude de cette histoire de trente ans, qui s’inscrit dans le sillage de travaux visant à replacer le « moment 683 » dans une temporalité affranchie des « coupures historiographiques routinières4 » et que l’on s’emploiera ici à étirer de la fin des années 1940 jusqu’au milieu des années 1970, n’est pas sans poser de nombreux problèmes de méthode inhérents à l’analyse des processus de mobilisation politique et des mouvements sociaux5.
3Le premier enjeu est naturellement celui de l’identification et de la sociologie des acteurs (organisations et individus) des contestations. Il ne saurait être question, en effet, de laisser penser que l’ensemble des résidents de la Cité (dont les effectifs passent de plus de 3 000 à la fin des années 1940 à plus de 5 000 dans les années 1960) sont partie prenante de ces contestations, ni que les contestataires constituent par ailleurs un seul et même bloc, y compris quand ils se rassemblent sous la bannière unificatrice de l’Association internationale des résidents de la Cité universitaire de Paris (AIRCUP). En dehors des grandes mobilisations qui peuvent effectivement réunir plusieurs milliers de résidents – on y reviendra –, l’action syndicale et politique courante est souvent le fait d’une minorité d’individus qui, comme sur beaucoup d’autres campus universitaires, sont eux-mêmes éclatés en plusieurs tendances (gaullistes, socialistes, communistes, extrême-gauche, etc.). Ces tendances se disputent le leadership de la contestation et des organes de mobilisation (comme l’AIRCUP) et peuvent, au sein d’une même affiliation partisane, se subdiviser encore en plusieurs petits groupes entre lesquels les liens ne sont toutefois pas toujours évidents à établir (ainsi des différentes cellules communistes à la Cité). Du reste, les identités politiques sont loin d’être figées, en raison du polyengagement (religieux, syndical, politique) de certains acteurs, et des reconversions possibles au cours des trajectoires militantes6. Du fait de l’interdiction formelle faite aux résidents d’exercer des activités politiques à la Cité, le caractère souvent anonyme des tracts et articles appelant aux mobilisations complexifie par ailleurs la sociographie des individus, de leurs capitaux individuels et de leurs trajectoires, sans compter qu’il y a aussi, dans les mobilisations à la Cité, des résidents non déclarés, appelés « clandestins », par nature plus difficiles à identifier en vue de les intégrer à l’analyse. Il va sans dire que le présent article n’a pas pour ambition de fournir des réponses définitives à chacune de ces interrogations.
4Le deuxième enjeu est l’étude des « répertoires d’action » (tractage, affichage, pétitions, manifestations, grèves des loyers, grèves de la faim, occupations de locaux, séquestration de personnels, etc.), en tant qu’ils permettent de reconstituer les « cycles de mobilisation7 » et les évolutions de la grammaire protestataire à la Cité, en prenant garde toutefois de ne pas tout envisager au prisme d’un « activisme8 » étudiant là où il n’y a parfois que des mobilisations occasionnelles ou d’une autre portée, ni à mettre sur le même plan des mobilisations dont la Cité est le théâtre (un sit-in contre la guerre du Vietnam par exemple) et celles dont la Cité est l’objet. Sont également à prendre en considération les contraintes inhérentes aux mobilisations au sein d’un « espace matériel » qui agit sur les acteurs9, où la coprésence est relative10 (on rentre souvent à la Cité pour y dormir, le plus clair du temps étant passé à l’extérieur pour suivre les cours des écoles et des facultés) et où le taux de rotation des résidents est important (on y reste en moyenne entre un et trois ans). Ces spécificités ne sont pas sans impact en termes de continuité et de rupture dans la transmission des cultures et des pratiques de protestation (rôle des anciens, des figures-modèles, etc.) : acteur central des mobilisations résidentes, l’AIRCUP traverse ainsi plusieurs crises de transmission au cours de la période, on le verra. Enfin, l’évolution des formes de la protestation ne saurait être réduite à des configurations intrinsèques à la Cité alors qu’elle peut être partie prenante, comme on le voit sur les campus américains des années 1960, d’une dynamique de « contestation culturelle plus large11 ».
5Un troisième enjeu mérite à cet égard l’attention : celui de la place de la Cité internationale dans les « flux de conflits12 » à l’échelle mondiale, et notamment dans « les processus de diffusion des révoltes juvéniles13 ». Espace social internationalisé, la Cité internationale est en effet passible des questionnements de l’histoire transnationale des mobilisations sociales et politiques sur « les lieux et les moments de “passage”, […] les “passeurs”, […] et bien sûr “ce qui passe”, textes idées, modèles, répertoires d’action14 ». Elle constitue assurément une échelle intéressante à laquelle observer cet internationalisme « hors frontières15 » qui participe de la diffusion et de la circulation transnationale des discours et des pratiques contestataires, encore que retrouver les acteurs et les traces concrètes de ces processus d’imports/exports soit un exercice complexe, et que l’existence de transferts culturels ou politiques à la Cité ne saurait se déduire de la seule coprésence boulevard Jourdan d’étudiants de plusieurs nationalités ou même de la concomitance de leurs luttes.
6Pour répondre à ces questions et poser quelques jalons à approfondir dans le cadre de recherches en cours16, on s’attachera ici à saisir ce qui se joue dans les actions collectives de la jeunesse étudiante à la Cité internationale universitaire de Paris à travers la reconstitution de grandes tendances et l’analyse de quelques moments-clés de conflictualité, comme les grèves de 1946-1948 et les événements de Mai 68.
7Quoique nombreuses, les sources sur l’histoire des mobilisations boulevard Jourdan (bulletins étudiants, photographies, affiches, tracts, correspondances, rapports de police, etc.) sont éparpillées au sein d’une multitude de fonds d’archives dont elles constituent rarement l’objet central et qu’il a fallu s’atteler à collecter patiemment, comme les pièces d’un gigantesque puzzle dont on ignorait qui plus est l’image finale à reconstituer. Ont ainsi été utilisées pour le présent article : aux Archives nationales, les archives du rectorat de Paris, celles de la Fondation nationale de la Cité universitaire et de certains pavillons de la Cité, les archives du ministère de l’Éducation nationale et les archives privées d’un chargé de mission à l’Élysée, ainsi que les archives des renseignements généraux ; au Centre d’histoire sociale des mondes contemporains, le fonds Mai 68, qui contient de nombreux tracts étudiants produits à la Cité17 ; à la Bibliothèque nationale de France et à la Bibliothèque de la Cité universitaire, d’autres tracts et bulletins étudiants de la Cité ; aux Archives de la Préfecture de police de Paris, des notes de synthèse et des rapports sur les activités politiques à la Cité ; la presse nationale et les archives des actualités Pathé-Gaumont ; les publications officielles des débats parlementaires d’une part, et municipaux parisiens d’autre part ; enfin quelques archives privées et témoignages d’anciens résidents de la Cité qui ont bien voulu ouvrir pour nous la malle aux souvenirs ; qu’ils en soient ici sincèrement remerciés18.
La politique du conflit à la Cité : entre identité résidente et appartenances partisanes
8De la fin des années 1940 à Mai 68, les mobilisations sociales à la Cité procèdent d’une politisation de la vie résidente, à la confluence de deux logiques qui se développent de façon concomitante : la fabrique contestataire d’une identité résidente d’une part ; l’implantation boulevard Jourdan de réseaux militants affiliés à des organisations partisanes, d’autre part.
« Se serrer les coudes » : les contestations résidentes des années 1946-1948
9À la rentrée 1945, quelques mois après la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’évacuation de la Cité universitaire par les corps de troupes de l’armée américaine19, plusieurs résidents de retour boulevard Jourdan prennent l’initiative de réunir un Comité international des étudiants, sur le modèle de celui qui s’était constitué avant-guerre lors des grèves de 1937-193820. Ce Comité, constitué à raison de trois représentants élus pour chacun des 18 pavillons de résidence de la Cité, se dote en février 1946 d’un bureau de sept élus, presque tous français. Ses premières revendications sont d’ordre social et culturel : modulation du prix des chambres selon les ressources des résidents et accès facilité aux salles de la Maison internationale21. À la rentrée suivante, le ton se fait plus contestataire : face à l’augmentation des tarifs des chambres décidée par la direction de la Cité en proie aux difficultés financières, des pétitions circulent et le Comité international appelle les résidents à boycotter les nouveaux tarifs en se basant sur les tarifs de l’année précédente pour s’acquitter de leurs loyers22. La réplique est rapide : en novembre 1946, le délégué général André Lirondelle fait savoir que la Fondation nationale ne reconnait plus le Comité international – « organe d’excitation et d’agitation23 » – pour représenter les étudiants. Le 22 novembre, deux des meneurs sont sanctionnés24.
10La nature a cependant horreur du vide. Au cours de l’hiver 1946-1947, des résidents aidés par d’anciens membres du Comité international se concertent pour mettre sur pied une nouvelle organisation résidente. De leur côté, conscients de ce que la gestion de la Cité ne peut s’effectuer dans un contexte « de guerre permanente entre les étudiants et la direction », que « pour pouvoir établir une coopération, il faut que nos étudiants soient organisés » mais qu’il ne faut « pas laisser des comités se former et agir en dehors de nous », quelques directeurs de pavillon emmenés par le directeur-adjoint de la Cité, Auguste Desclos, se rapprochent des étudiants pour tenter de garder le contrôle de la situation25. Tandis que la direction de la Cité crée un Comité d’action sociale et culturelle26, instance consultative de dialogue entre le délégué général, les directeurs de pavillon et des représentants étudiants, des échanges ont lieu pour tenter d’encadrer ces derniers dans la création de l’Association internationale des résidents de la Cité universitaire de Paris (AIRCUP).
11Créée en février 1947, l’AIRCUP a vocation à regrouper l’ensemble des résidents de la Cité dans le cadre d’un fonctionnement fédéral : ses dirigeants sont élus au suffrage indirect parmi un comité composé de représentants des pavillons dont le nombre est proportionnel à la taille de la population résidente de chaque pavillon. Ce mécanisme avantage les pavillons les plus peuplés (Deutsch de la Meurthe, Provinces de France, Fondation des États-Unis, etc.) ainsi que les résidents les plus rompus à la vie d’une organisation étudiante. Plusieurs des premiers responsables de l’AIRCUP sont d’ailleurs de jeunes militants politiques dont les organisations se disputent alors le leadership de la jeunesse étudiante – on y reviendra plus loin –, qu’ils soient membres des étudiants gaullistes (à l’instar de Maurice Bart, président de l’AIRCUP en 1947 et actif chez les jeunes du Rassemblement du peuple français), ou qu’ils appartiennent aux étudiants communistes (comme Henri Van Regemorter, vice-président de l’AIRCUP en 1948). Ces appartenances, et les réseaux qu’elles induisent, permettent à l’AIRCUP de disposer de relais politiques bien au-delà de la Cité, et de donner ainsi un écho public à ses revendications.
12La direction de la Cité en fait vite l’expérience. Si, au cours du premier semestre 1947, le délégué général Lirondelle refuse de répondre à la plupart des demandes étudiantes – « en raison de l’insolence du ton », note son secrétariat27 –, il s’y voit contraint à partir de la rentrée 1947. En novembre en effet, dans le sillage des grandes grèves qui sévissent en France, les personnels techniques de la Cité se mettent en grève (cuisiniers, serveuses, femmes de chambres, etc.) pour revendiquer une hausse des salaires28. Le Bureau de l’AIRCUP se pose en médiateur entre la direction et les grévistes29, tandis que certains étudiants se joignent au mouvement et participent de l’occupation des cuisines. La police intervient, non sans violences, et arrête dix étudiants que la direction de la Cité décide d’exclure, « en application du règlement qui interdit toute manifestation politique aux habitants de la Cité universitaire30 ». Des pétitions circulent contre ces renvois jugés arbitraires. Le 27 décembre 1947, l’affaire est portée jusque dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, où la députée communiste Maria Rabaté interpelle le ministre de l’Éducation nationale, lequel soutient la direction de la Cité31.
13Mais la situation se complique début 1948 : six étudiants exclus refusent de quitter les lieux et le directeur de la Fondation Deutsch de la Meurthe – où résident quatre d’entre eux – s’emporte, insulte et frappe des étudiants à plusieurs reprises. Des pétitions demandent son renvoi, libérant la parole autour de ses comportements sexistes à l’égard d’étudiantes32. Le procureur de la République est saisi, l’incident fait parler de lui dans la presse – « Scandale à la Cité universitaire33 », « Persécutées par leur directeur, les étudiantes ne dorment plus34 » –, et les élus gaullistes et communistes rivalisent d’éloquence au Conseil municipal de Paris en soutien aux revendications étudiantes à la Cité. « Les étudiants réclament leur participation à la direction de la Cité universitaire. Ils ont raison », souligne ainsi André Voguet, élu communiste35. Gisèle Bardet, élue RPF, se fait plus tranchante encore :
Les statuts de la Cité « sont inappliqués ; le recteur et les directeurs gèrent à leur guise la Cité, en ne tenant aucun compte des observations présentées par les étudiants sur les défectuosités que présente actuellement le fonctionnement de la Cité. […] Eh bien, non ! Nous le disons clairement, la Cité n’est pas un lieu de retraite confortable pour professeurs d’université arrivés à la fin d’une carrière qui, étant donné leur âge et la certitude d’une proche retraite, leur confère une certaine irresponsabilité dans l’accomplissement de leur dernière mission, leur assure un logement luxueux, parfaitement chauffé et une vie agréable pour eux et leur famille36 ».
14Partie de demandes ponctuelles, la question de la vie résidente à la Cité universitaire se politise, dans la continuité d’une dynamique favorable à la cogestion étudiante dans les œuvres universitaires amorcée depuis le Front Populaire. « Dans une Cité en proie à ses routines, à ses règlements périmés, à ses égoïsmes inavoués comme à ses générosités émouvantes, le mécontentement des étudiants était à peu près général : hausse inexpliquée des loyers, mauvaise qualité des repas, caractère unilatéral des décisions dont nous étions les principaux bénéficiaires comme les principales victimes, etc. », témoigne René Bocca, représentant de l’AIRCUP en 194837. Du haut de leur grand âge, les dirigeants de la Cité sont dépassés par la situation. André Honnorat et Jean Branet, 80 ans, David David-Weill, 77 ans, Auguste Desclos, 72 ans, André Lirondelle, 69 ans… Au cœur de ce tourbillon politique et médiatique, l’ancienne génération des dirigeants décident de passer la main. Le directeur de la Fondation Deutsch est mis à la retraite, suivi peu après par le délégué général Lirondelle, remplacé par le recteur Antoine Marchaud, tandis qu’Honnorat cède la présidence de la Cité universitaire au printemps 1948 à Raoul Dautry, ancien ministre de la Reconstruction et de l’urbanisme dans le gouvernement du général de Gaulle38.
15La contestation résidente n’en continue pas moins de se structurer. À la rentrée 1948, des liens sont noués avec l’Union nationale des étudiants de France (UNEF)39 et l’AIRCUP fait paraître un journal, L’Écho de la Cité, qui, au-delà de la question des loyers, annonce tout un programme – « Les étudiants réclament la participation à la gestion », « Nous ne voulons pas d’un système inquisitoire et paternaliste, source de tous les oublis, de toutes les discriminations, et de tous les arbitraires » –, projets revendiquant l’action contestataire et a-partisane comme mode d’appropriation d’une identité résidente encore à construire :
« Il faut “se serrer les coudes” ; il faut s’unir, et cela – nous le répéterons sans cesse – en dehors de toute idéologie partisane. Il faut ici, à la Cité universitaire, resserrer ces liens d’amitié et de camaraderie qui sont encore trop confus, trop platoniques et trop rares. Pour cela nous devons cesser de considérer la Cité uniquement comme un hôtel : une chambre où l’on dort, sans plus. Nous voulons que la Cité universitaire redevienne ce qu’elle n’aurait pas dû cesser d’être : une communauté vivante. Il faut que la chacun de nous puisse dire : “je vis à la Cité”, et non “j’habite à la Cité”. […] Créer une solidarité estudiantine, revaloriser la condition, la profession d’étudiant, arriver à faire admettre par les pouvoirs publics que cet étudiant n’est plus un individu isolé, ne doit plus être un “Robinson”, mais qu’il est une fonction, un rouage indispensable à la vie même du monde de demain. Voilà quel est notre but40. »
16Dans cet esprit, la « génération 1948 » des résidents de la Cité universitaire va obtenir quelques avancées de la part de la direction : négociation sur les expulsions, amplification de la politique d’aide pour les étudiants défavorisés, création en 1951 d’un Comité d’études et d’information pour faire entendre davantage les souhaits des résidents, notamment en matière de vie sociale et culturelle (ouverture de bars dans les pavillons, développement des bals, qui sont tout autant des espaces de sociabilité et de liberté que des moments pour la récolte de fonds auprès des résidents en vue de financer d’autres activités sportives ou musicales, etc.).
Vie chère, cogestion et expulsions : le triptyque mobilisateur (années 1950-1960)
17Les mobilisations des années 1946-1948 sont décisives, en tant qu’elles constituent un moment-clé de cristallisation des revendications résidentes à la Cité universitaire autour d’un triptyque mobilisateur qui mêle lutte contre la vie chère, protestation contre les expulsions et aspiration à la cogestion. En dehors de quelques conflits aux enjeux spécifiques (opposition à la construction du boulevard périphérique par exemple41), ce sont ces trois thèmes que l’on va retrouver au cœur des mobilisations des années 1950 et du début des années 1960, dans une forme de routinisation de l’action collective fondée par ailleurs sur des pratiques protestataires récurrentes (manifestation, grève des loyers, tractage) et la recherche d’un même type d’appuis extérieurs (médiatique, politique et syndicalisme étudiant).
18Les inquiétudes face à la vie chère se retrouvent ainsi dans la nouvelle grande grève des loyers qui secoue la Cité à l’hiver 1957-1958. Lancée en octobre 1957 par l’AIRCUP en réaction à une hausse décidée par la direction de la Cité, la grève mobilise plusieurs pavillons, qui organisent le 5 novembre 1957 une marche à travers la Cité et un meeting devant la Maison internationale, actions relayées avec bienveillance jusque par les actualités cinématographiques Pathé-Gaumont42. La mobilisation bénéficie aussi du soutien de l’UNEF et de relais politiques au Conseil municipal de Paris, à l’Assemblée nationale (comme Jacques Chaban-Delmas, à droite, et Robert Verdier, à gauche43), au sein du cabinet du ministre de l’Éducation nationale, quand ce n’est pas plus haut encore44. Si la Cité ne revient pas sur les hausses décidées, le mouvement se solde malgré tout en janvier 1958 par le doublement du fonds de dégrèvement accordé aux étudiants les plus défavorisés. Le président de l’AIRCUP est aussi autorisé à participer désormais à titre consultatif à certaines parties des séances du conseil d’administration de la Fondation nationale. Comme en 1947-1948, le mouvement a enfin pour conséquence un changement à la tête de la Cité, avec le départ du délégué général, le recteur André Marchaud, remplacé en janvier 1958 par Robert Garric.
19L’opposition aux exclusions, perçues comme les preuves de l’arbitraire de la direction et pour lesquelles les résidents réclament des conseils de discipline paritaires, constitue une autre récurrence des mobilisations boulevard Jourdan. Cette opposition fonde les « chahuts » de protestation et les heurts avec les forces de police jusque dans l’enceinte de la Cité, par exemple lors des manifestations de mars 1953 suite à l’expulsion de résidents du pavillon arménien, qui mobilisent près d’un millier de résidents aux cris de « Justice ! » et « À bas l’arbitraire45 ! », ou encore en février 1957 lors de la manifestation organisée après l’expulsion de deux résidents de la Maison des Provinces de France46, incidents retentissants qui font l’objet d’une importante couverture médiatique nationale dans la presse (L’Humanité, L’Aurore, L’Express, Combat, Le Monde, etc.) et à la radio (Radio-Europe no 1). En novembre 1957, plusieurs centaines de résidents procèdent même à « l’inauguration parodique d’un nouveau pavillon de la Cité universitaire de Paris, celui des “exclus47” ». Une décennie plus tard, un résident ironise encore sur l’idée de créer « une association des expulsés […], excellente occasion de se revoir entre expulsés d’avant-hier, d’hier, d’aujourd’hui et de demain48 ».
20La question de la cogestion, enfin, reste l’élément central des contestations, renforcées par les débats politiques et parlementaires qui ont lieu sur ce thème à l’occasion de la loi du 16 avril 1955 organisant le Centre national des œuvres universitaires et scolaires (CNOUS) et les Centre régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS). S’alignant sur les positions de l’UNEF, dont plusieurs de ses dirigeants sont membres, l’AIRCUP et son nouveau bulletin militant – le Journal de la Cité – va revendiquer pendant longtemps le rattachement de la Cité au régime des œuvres universitaires49. C’est d’ailleurs pour mettre un terme à ces velléités que, lors d’une réforme statutaire en février 1963, le conseil d’administration de la Fondation nationale décide de changer le nom de l’institution : la « Cité universitaire de Paris » devient « Cité internationale de l’Université de Paris », l’épithète « internationale » ayant précisément pour fonction de mieux distinguer le boulevard Jourdan des autres résidences universitaires rattachées au régime des œuvres50.
21Au cours des années 1960, quoique tenant compte désormais des spécificités de la Cité, les aspirations cogestionnaires continuent de s’amplifier et s’enrichissent de thèmes nouveaux, sur la mixité par exemple51. « On nous traite comme des moines ou des gamins », se plaignent ainsi quelques trois cent résidents réunis lors d’une manifestation organisée devant la Cité en mars 1963 pour réclamer « la liberté de recevoir des visites féminines52 ». À cet égard, la circulation des informations sur les révoltes ayant lieu dans d’autres résidences universitaires, comme celle d’Antony, peut renforcer les mobilisations : « On avait entendu parler de ça, c’est venu jusqu’à nous, on a voulu faire comme à Antony et on s’est mis à militer pour l’abrogation des règlements intérieurs », explique Gérard Mauger, résident à la Fondation Biermans-Lapôtre en 1964-196553. Si certains pavillons commencent à s’ouvrir à ces revendications (à l’image de la Maison des Provinces de France, où le directeur Henri Van Effenterre a ouvert la voie à la cogestion depuis les grèves de 1957-1958), d’autres sont le théâtre de conflits avec les directions : mobilisation au Collège franco-britannique en 1961 contre le paternalisme, actions à la Fondation Biermans-Lapôtre en 1965 (pétards, inscriptions sur les murs, jets de fumigènes) pour exiger une représentation résidente dans les instances et qui se soldent par une crise monstre avec expulsions par dizaines de résidents et intervention des pompiers, de la police, jusqu’à la brigade criminelle54.
22L’AIRCUP s’efforce de relayer ces aspirations à la cogestion pour tenter, comme dans les années 1950, de réactiver une mobilisation générale à l’échelle de la Cité. Sans grand succès toutefois jusqu’à la veille de Mai 68, l’association étant confrontée à une série de difficultés structurelles. D’abord en raison de problèmes dans la transmission de la mémoire et des pratiques de la lutte, comme l’explique Ezio Ornato, élu président de l’AIRCUP en 1964 :
« Il est presqu’impossible, aujourd’hui, de reconstituer l’activité des anciens bureaux de l’AIRCUP sur le plan revendicatif, la destruction de nos archives étant à peu près totale. […] Lorsque, il y a un an, le nouveau bureau de l’AIRCUP se fraya pour la première fois un chemin parmi les paperasses qui auraient dû constituer les archives, ses membres […] n’avaient reçu de leurs prédécesseurs qu’une certaine somme d’argent, le registre des procès-verbaux des AG, et du papier à lettres. Bien entendu, il ne s’agissait pas d’une forme de malveillance toute particulière, mais de la façon dont on procédait habituellement à la passation des pouvoirs. Ainsi, chaque bureau devait faire sans aide son apprentissage, face à une administration efficace et des plus rusées. Nous touchons là à la raison première pour laquelle tant de bureaux se sont effondrés ou ont limité leur activité à la gestion des affaires courantes55. »
23En outre, la plupart des résidents comprennent difficilement le fonctionnement de la Cité, avec son régime foncier complexe et sa gouvernance fédérale qui rendent son mode de gestion d’une « opacité complète56 », ce qui peut décourager les résidents les plus investis. Ezio Ornato, résident à la Maison de l’Italie (1962-1965), et qui assiste un temps au conseil d’administration de la Cité en tant que président de l’AIRCUP, en témoigne :
« On a essayé de fédérer les différents mécontentements, mais il y avait une énorme fragmentation. Chaque maison avait ses propres règles, édictées on ne savait trop par qui. Quand on croyait comprendre, on se heurtait chaque fois à un nouvel interlocuteur : le directeur de la maison, qui disait qu’il ne pouvait rien faire, que cela ne dépendait pas de lui ; à la Maison de l’Italie, on avait découvert que la Société Montecatini, une entreprise de chimie italienne, jouait un rôle dans la maison mais on ne savait pas trop lequel ; le délégué général, Robert Garric, nous expliquait que ses mains étaient liées par les pays étrangers voulant garder le contrôle de leur maison. Et puis on s’est aperçu qu’il y avait encore quelqu’un au-dessus de Garric, le président Bernard Chenot, mais dont personne ne savait vraiment qui il était, ni quelles étaient ses attributions. On sentait qu’on était mené par le bout du nez. On avait envie de se révolter, et en même temps, on était sûr que ça n’aboutirait à rien. Il y avait trop de contradictions à l’intérieur de la Cité qui faisaient que personne n’avait intérêt à bouger57. »
24Enfin, l’AIRCUP connaît également des conflits internes : les membres du Bureau, élus à proportion du poids des maisons qu’ils représentent, incarnent des sensibilités différentes et qui ne convergent pas toujours vers une ligne politique commune de revendications. Les liens à conserver ou non avec l’UNEF, par exemple, ne font pas l’unanimité58, et ce d’autant plus que l’UNEF est alors elle-même secouée par le vent du gauchisme59.
25L’ensemble de ces difficultés pèse sur la capacité de mobilisation de l’AIRCUP, où l’on déplore que « trop souvent les assemblées générales se [trouvent] dans l’impossibilité de délibérer, faute de quorum », et que l’AIRCUP soit considérée « comme un organisme extérieur […] menant solitaire une campagne revendicative qui n’intéresse personne60 ». En 1965, la nouvelle et très énergique formule de son journal – La Cité –, sous-titrée « Seuls dans la Cité » et lancée suite à un cas de suicide boulevard Jourdan, tente bien de positionner l’AIRCUP comme un antidote collectif à la solitude et à l’ennui du résident écrasé par une organisation paternaliste qui ignore les aspirations de la jeunesse. Une rubrique du journal – « Les étudiants dans le monde » –, coordonnée par la commission des affaires extérieures de l’AIRCUP, cherche aussi, et de façon nouvelle, à se faire le support de la circulation transnationale des informations sociales et politiques sur les mouvements étudiants afin de susciter des transferts d’idées et d’expériences (« Maroc : où en sont les étudiants ? », en janvier 1965 ; « Perspectives du syndicalisme étudiant en Belgique », en février ; « Les problèmes des étudiants espagnols », en mai, etc.). Cependant, les appels des nouveaux dirigeants de l’AIRCUP à la réforme des statuts et règlements de la Cité, à la mixité ou à la politisation des luttes, n’entraînent pas la mobilisation générale escomptée, donnant le sentiment aux plus engagés d’entre eux d’une « dépolitisation » de la Cité61. En 1967, l’AIRCUP connaît d’ailleurs une nouvelle « éclipse », après la démission de plusieurs membres de son bureau et l’échec d’une tentative de fusion de l’AIRCUP avec les deux autres associations sportive (ASCUP) et culturelle (CCI) de la Cité, en vue de peser davantage face à l’administration62. Cette désagrégation de l’AIRCUP, qui est en réalité moins le signe d’une « dépolitisation » que d’une situation, plus générale, de « crise des organisations d’encadrement traditionnel, secouées par des contestations internes » dans les années qui précèdent Mai 6863, ne laisse pas d’inquiéter la direction de la Cité, ainsi privée de relais de discussion et de négociation avec les résidents64.
26Car les revendications résidentes sont désormais une constante préoccupation au sommet de la Cité65, où le délégué général Robert Garric (1958-1967) marche sur une corde raide : c’est qu’il faut bien donner quelques satisfactions aux aspirations de la jeunesse sans renoncer au maintien de l’ordre dans la Cité ni prendre le risque de s’aliéner la majorité des directeurs de pavillon, profondément hostiles aux idées de cogestion, et qui ont déjà critiqué, en 1964, une « entente excessive avec l’AIRCUP », voire une « cogestion par-dessus les directeurs66 ». Une première réponse est néanmoins donnée par Garric sur les questions disciplinaires : en juin 1966, un règlement général de discipline prévoit désormais la participation des résidents aux conseils de discipline.
27Succédant en 1967 à Robert Garric dont il était l’adjoint, le nouveau délégué général Pierre Marthelot continue de faire avancer le chantier de la représentation des résidents dans les instances. En novembre 1967, une commission spéciale d’études pilotée par deux membres du Conseil, Guillaume Valette, doyen de la faculté de pharmacie de Paris, et Jean Rivero, professeur de droit à la Sorbonne, remet ses préconisations, que le conseil d’administration valide en février 1968. Le système envisagé est fédéral : souhait que tous les comités de maisons soient élus à bulletin secret ; souhait que chacun de ces comités désigne en son sein des délégués qui composeront une « Conférence des délégués principaux », laquelle choisira trois élus qui formeront, avec les trois présidents des associations des résidents (AIRCUP, ASCUP, CCI), un « conseil restreint » de 6 personnes, instance de dialogue et de négociation avec la Fondation nationale. Par ailleurs, la création d’un conseil de discipline pour chaque maison où il n’y en a pas encore est également prévue67. Il aura ainsi fallu vingt ans de mobilisations portées par différentes générations de résidents pour que la direction de la Cité parvienne à ce compromis, dont l’application doit encore être négociée avec les conseils d’administration de chacune des maisons. À la veille de Mai 68, la jeunesse de la Cité attend cependant bien davantage.
Les engagements partisans à la Cité universitaire, de la Libération à la veille de Mai 68
28Les dynamiques unitaires des résidents face à la direction de la Cité, notamment incarnées par l’AIRCUP, ne doivent cependant pas faire oublier que les mobilisations sur les questions étudiantes tout au long des années 1950 et 1960 sont en réalité des alliances de circonstance reposant sur la coalition de logiques partisanes différenciées – voire opposées – pour lesquelles la Cité représente un terrain d’expression et de développement, ainsi qu’on l’a déjà aperçu avec la mobilisation des réseaux gaullistes ou communistes en 1946-194868. Depuis la Libération jusqu’à la veille de Mai 68, la Cité universitaire est en effet un lieu de fermentation d’idées et de cultures politiques nationales et internationales mêlant différentes traditions.
29On sait peu de choses sur la représentation des mouvements de droite parmi les résidents de la Cité. Entre la fin des années 1940 et le début des années 1950, les étudiants français et coloniaux gaullistes disposent bien d’une implantation boulevard Jourdan, que Didier Fischer évoque dans ses travaux69. Parmi eux le jeune Raymond Barre, alors étudiant en droit, résident de la Fondation Deutsch, qui sans pour autant adhérer au Rassemblement du peuple français (RPF) n’en participe pas moins en 1947 à la campagne de Gaston Palewski aux municipales avec André Malraux70, lequel était déjà venu à la Cité en janvier 1947 pour une projection de son film, L’Espoir71. Difficile cependant d’en savoir plus en l’état actuel des recherches, ainsi que pour la période qui suit jusqu’en 1968, même s’il est douteux qu’il y ait eu à la Cité des mouvements de droite très structurés et internationalisés.
30À cheval entre droite et gauche, une nébuleuse internationale d’étudiants chrétiens a également pris ses quartiers à la Cité universitaire, principalement du milieu des années 1950 au milieu des années 1960, avec d’autant plus de bienveillance de la part de la direction de la Cité que Robert Garric, délégué général de 1958 à 1967, est lui-même un éminent représentant du mouvement des catholiques sociaux72. Le Foyer catholique de la Cité hérité de la période de l’entre-deux-guerres et le Cercle Saint-Jean-Baptiste avec lequel sont organisés des événements jumelés à partir du milieu des années 1950 contribuent à la fermentation des idées politiques chez plusieurs centaines d’étudiants français et internationaux de la Cité qui assistent notamment à des conférences sur « Conflits de nationalisme et charité chrétienne » (1957), sur « L’exil et les travailleurs émigrés » (1958) ou sur « La responsabilité de l’intellectuel » avec Henri-Irénée Marrou (1962), ainsi qu’à des grands débats au cours desquels « René Dumont, Jean Lacouture, Robert Guillain, Jacques Ellul, René Rémond, etc., affrontent vaillamment un auditoire contestataire sur la crise de civilisation, le développement ou la tolérance73 ». Ce mouvement, qui s’essouffle à partir du milieu des années 1960, participe de la politisation de la jeunesse chrétienne de la Cité et la prédispose à rejoindre des organisations syndicales ou politiques où convertir des dispositions acquises au militantisme74, à l’image d’une partie des anciens cadres de la Jeunesse étudiante chrétienne que l’on va retrouver à l’UNEF, au Parti socialiste unifié (PSU), ou chez les communistes75.
31À gauche justement, on compte bien quelques socialistes boulevard Jourdan, à l’instar du futur sénateur Pierre Giraud (1913-1988), alors professeur agrégé d’histoire et militant SFIO, président des Cercles Jean-Jaurès et animateur des réseaux socialistes de l’enseignement secondaire et supérieur, dont l’une des chambres de la Fondation Deutsch sert de secrétariat au journal L’Université socialiste à la fin des années 194076. Mais ce sont surtout les communistes qui sont majoritairement représentés à la Cité où ils ont implanté des cellules. Le résistant Armand Guillotin (1920-1995), étudiant en histoire à la Sorbonne, a animé l’une d’elles (1946-1947)77, ainsi qu’Henri Van Regemorter (1925-2002), résident à la Fondation belge et doctorant en astrophysique, qui a formé à la Cité universitaire de nombreux étudiants communistes et compagnons de route du Parti entre la fin des années 1940 et le début des années 1950, comme l’historien Pierre Brocheux (né en 1931), lequel évoque dans ses souvenirs « trois cellules communistes » à la Cité78. Ce sont ces étudiants qui, en lien avec la Fédération communiste de la Seine (où l’historienne Annie Kriegel est leur correspondante) et la section du 14e arrondissement, ont notamment animé à la Cité les campagnes du Mouvement de la paix, ralliant des étudiants chrétiens et socialistes contre l’arme nucléaire, la guerre d’Indochine ou le réarmement de l’Allemagne. La Cité est un lieu de diffusion de pétitions (à l’image de celle pour l’Appel de Stockholm contre les armes nucléaires – « À la Cité, environ un tiers des résidents l’avaient signée79 ») et de ventes de journaux, comme La Cité libre, journal commun à la cellule Paul Langevin de la Cité et à la section communiste de l’arrondissement80, ou encore Propositions : journal des étudiants de la Cité universitaire – avant de s’étendre au Quartier latin –, sous-titré Qui veut la paix, prépare la paix, lancé en 1950 par Henri Van Regemorter et plusieurs étudiants du pavillon belge et du pavillon Deutsch en appui aux mouvements étudiants pour la paix81. Michel Van Schendel (1929-2005), résident belge, a organisé certaines de ces actions :
« J’étais un organisateur, comme tous les communistes d’ailleurs […]. S’il n’y avait pas eu nous les organisateurs, il n’y aurait pas eu de Mouvement de la paix. Organisation du financement : souscriptions, organisations de petites fêtes pour relancer le financement. Et à travers le financement trouver de nouveaux sympathisants, élargir le réseau des sympathies, […] nécessité d’entretenir des contacts suivis et réguliers, très réguliers et très fréquents, avec l’ensemble des pavillons de la Cité universitaire, donc avec l’ensemble des étudiants étrangers qui s’y trouvent et des étudiants français […] J’étais amené à connaître à peu près tout le monde à la Cité universitaire et tous les milieux étrangers. Il y avait un pavillon que nous n’avions pas encore réussi à pénétrer : c’était le pavillon canadien. Un autre où nous avions très peu de contacts, c’était le pavillon américain : celui-là on le tenait plutôt à l’écart82. »
32Depuis le début des années 1950, il y a également une forte tradition anticolonialiste à la Cité, qui a partie liée avec ce militantisme communiste. « Dans ces années, témoigne en effet Pierre Brocheux, lutte anticolonialiste, lutte contre la guerre d’Indochine et guerre froide s’enchevêtraient. À cet égard, la Cité offrait un terrain très propice aux étudiants d’extrême gauche. En effet, la maison d’Outre-mer qui rassemblait les étudiants d’Afrique noire, la maison de Tunisie et bientôt celle du Maroc, avaient une population réceptive à l’agit-prop du PCF83 ». Dans le sillage de leurs aînés contre la guerre d’Indochine comme Henri Van Regemorter, plusieurs militants communistes empruntent cette voie de l’anticolonialisme, à l’image des deux présidents de l’Association des étudiants anticolonialistes de la Cité universitaire que sont Claude Quin (1934-2004), vice-président de l’AIRCUP en 1955 et résident à la Maison de l’Arménie84, militant de la Jeunesse étudiante chrétienne devenu membre du bureau national des étudiants communistes85, ou encore Pierre Gros (1932-2014), étudiant en licence d’histoire à la Sorbonne et sympathisant communiste attiré par le mendésisme86.
33Beaucoup d’étudiants coloniaux venus d’Asie, d’Afrique, des Antilles et de l’Amérique latine, ont également rejoint dans les années 1950 les réseaux communistes de la Cité autour du combat anticolonialiste, d’ailleurs sous la surveillance de la police française et des ambassades étrangères qui goûtent peu cet activisme : le poète haïtien René Depestre (né en 1926), résident de la Maison de Cuba87 ; le Guadeloupéen Henri Bangou (né en 1922), président du comité des résidents de la Maison de la France d’Outre-mer, vice-président de l’UNEF à l’Outre-mer (1949), président de l’Association générale des étudiants guadeloupéens et dirigeant du Comité de liaison des étudiants anticolonialistes avec Jacques Vergès88 ; des étudiants cambodgiens, membres du cercle khmer d’études marxistes et qui se retrouvent dans les cellules communistes de la Maison d’Indochine (tel que Saloth Sâr, futur Pol Pot) puis de la Maison du Cambodge à partir de l’ouverture de cette dernière en 195789 ; des étudiants sud-américains (colombiens, vénézuéliens, cubains, mexicains) « de tendance communiste ou pour le moins progressiste » qui, en janvier 1950, créent un « groupe politique » à la Cité en vue de « débattre de questions politiques intéressant l’Amérique latine90 » ; des étudiants africains enfin, actifs au sein de la cellule communiste de la Maison des Provinces de France, comme les Sénégalais Amady Aly Dieng (1923-2015) et Ousmane Camara (né en 1931), liés au Parti africain de l’indépendance d’orientation marxiste-léniniste et résidents de la Maison de la France d’Outre-mer en 195791, ou bien encore d’autres résidents issus des colonies portugaises d’Afrique qui, suivant les ordres du Parti communiste portugais (PCP), cherchent à établir à la Cité « des liaisons entre le communisme international et le PCP, et à diffuser plus facilement la propagande communiste destinée à soulever le continent africain92 ».
34Cette prégnance de l’internationalisme anti-impérial commence d’ailleurs à questionner les fondements même de la Cité universitaire, où l’on critique de plus en plus les « folklores » désuets93 et le paternalisme colonial de l’Union française94, et où se multiplient les tractages et les réunions liés au contexte de la décolonisation et des indépendances. En février 1955 par exemple, à la Maison internationale, une intervention sur le fédéralisme en Afrique noire de Léopold Sédar Senghor – lui-même ancien résident de la Cité dans les années 1930 – vire au meeting anticolonialiste, à l’initiative des étudiants de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF)95. Quelques semaines plus tard, le 16 avril 1955, alors que se tient la conférence des pays du « tiers-monde » à Bandung, en Indonésie, une autre réunion est organisée à la Maison internationale, « que dans les cercles estudiantins du Moyen-Orient on qualifie d’importante96 ». Regroupant « pour la première fois, une centaine d’étudiants de diverses nationalités : Syriens, Libanais, Égyptiens, Soudanais, Irakiens, Iraniens, Jordaniens et Arméniens », la réunion entend « protester «contre le colonialisme sous toutes ses formes» » et aboutit à un manifeste adressé aux congressistes de Bandung et rédigé en langue arabe. Dans la salle, souligne la Préfecture de police de Paris, « des officiers syriens auraient suivi les débats à titre d’observateurs97 ». Certaines initiatives virent parfois à l’affrontement : en décembre 1955, à l’occasion d’une foire aux livres organisée par l’AIRCUP dans le salon Honnorat, un groupe d’une vingtaine d’étudiants d’extrême-droite fait irruption, renverse des tables présentant des ouvrages en lien avec la guerre d’Indochine ou « la vie estudiantine en URSS », et déclenche une bagarre98. La guerre d’Algérie est aussi l’occasion de mobilisations et d’incidents à la Cité, où « les annonces de disparitions d’étudiants et d’étudiants algériens sont régulièrement placardées sur les grilles d’entrée99 » : en février 1956, des étudiants algériens sont ainsi pris à parti par d’autres étudiants pro-Algérie française lors d’une distribution de tracts. L’incident conduit à la création d’un « Comité antifasciste de la Cité universitaire », notamment à l’initiative d’étudiants communistes100 dans le cadre de divers collectifs officieux du boulevard Jourdan – « Comité antifasciste des États-Unis », « Comité antifasciste de la Deutsch », « Comité d’union des gauches du Parc Ouest » – et associés avec plusieurs autres groupes politiques étudiants (étudiants socialistes, radicaux et MRP)101. Quelques semaines plus tard, une autre bagarre avec des étudiants d’extrême-droite provoque l’expulsion de la Cité de Claude Quin, vice-président de l’AIRCUP et membre des étudiants communistes102.
35Au tournant des années 1950-1960, la prégnance de la gauche communiste à la Cité – ou, à tout le moins, l’influence qu’on lui prête – est telle qu’elle se voit dénoncée par la droite jusqu’à la tribune de l’Assemblée nationale, qu’il s’agisse de la droite gaulliste fustigeant la distribution de tracts et de journaux communistes dans l’enceinte de la Cité103, ou qu’il s’agisse de la droite poujadiste dénonçant la « colonisation » de la Cité par le PCF104. Il n’en est cependant plus de même au lendemain des décolonisations et à la veille de Mai 68. Comme partout ailleurs105, l’influence des étudiants communistes décroit à la Cité, concurrencée par des logiques nationales et anti-impérialistes propres aux pays d’origine des résidents postcoloniaux, mais aussi par l’émergence de nouveaux mouvements à gauche – comme le Parti socialiste unifié (PSU), qui dispose de relais chez les résidents de la Cité – et à l’extrême-gauche de groupes trotskistes et maoïstes actifs dans les comités Vietnam106. Parmi eux, l’étudiant grec Alexandre Giotopoulos, 21 ans, fils d’un ancien compagnon de route de Trotski, et qui s’active dans le groupe des gauchistes de la Fondation hellénique entre 1965 et 1967107, ou encore le philosophe italien Alessandro Fontana, 25 ans, qui réside à la Maison de l’Italie en 1964 :
« L’ambiance cosmopolite de la Cité […], les rencontres faciles, les nombreux contacts, ont fini par me guérir de ce vestige de “provincialisme” que je gardais de mes années en Italie. J’ai également fait l’apprentissage d’un militantisme actif dans les actions de soutien au Vietnam, avec les camarades de la rue d’Ulm qui s’étaient rassemblés autour d’Althusser […]. À ces nobles activités s’ajoutait une activité plus modeste mais de proximité pour la réforme des règlements dépassés qui régissaient encore les différentes maisons. Nous étions plongés dans une atmosphère fiévreuse d’échanges, de débats, de rencontres. Nous allions toute la journée d’une maison à une autre pour établir des alliances et, la nuit, pour diffuser des tracts contre les “ennemis” du moment108. »
36Au milieu des années 1960, cet engagement militant semble malgré tout assez marginal chez les résidents de la Cité. Certes, le « brassage » des nationalités dans les maisons et le contexte international – la Guerre du Vietnam, la Révolution Culturelle en Chine, les actions de Che Guevara en Amérique latine, etc. – sont propices à une « conscientisation politique109 ». En outre, la Cité constitue un lieu de rencontres et de débats propices à une forme de politisation intellectuelle : « On allait chez Maspero, et on découvrait Marx, Freud, Althusser, etc. Je me souviens qu’on avait constitué à la Cité un groupe de lecture du Capital », se rappelle Gérard Mauger, résident à la Fondation Biermans-Lapôtre en 1964-1965110. Mais ce qui prédomine à la Cité est davantage une « humeur anti-institutionnelle111 », notamment autour des conflits sur les règlements intérieurs, la mixité, la cogestion, et les clivages partisans constituent moins un élément de structuration de la vie sociale et culturelle des résidents qu’un arrière-plan, comme le souligne ce témoignage publié dans Socialisme et barbarie en 1963 :
« Il y a des élections dans ma Maison, pour le comité [des résidents]. Liste apolitique d’action syndicale contre Liste apolitique pour la défense des intérêts. En fait elles s’accusent réciproquement par voie de tracts de faire trop de politique ou elles se diffament : “Il parait que le président sortant a fait de la prison comme coco”. – “Oui mais l’autre est ami avec le directeur”. Mais la bataille se jouera sur le bar qui fonctionne dans notre pavillon : on dit que le comité sortant a détourné l’argent du bar ; le comité réplique en organisant un bal avec invitations gratuites. Toutefois les listes ne sont pas encore formées, c’est très dur, il faut équilibrer au “prorata” de notre population : un Hongrois, un Africain, un étudiant en Médecine, un de Supelec, etc., et un président Sciences-Po (c’est son métier). On me propose d’être sur une liste : “Tes amis voteront pour toi, et si on gagne tu es sûr de rester une année de plus à la maison”. La bataille sera âpre en tout cas, l’enjeu est de taille : notre pavillon est le plus grand et son président passe automatiquement président de l’AIRCUP (l’association des résidents) et, de là, l’UNEF et les honneurs. Voilà notre petite politique à nous. Quant à l’autre, la grande, la générale, elle ne nous apparaît que sous forme de discussions oiseuses au bar, de vendeurs de journaux bénévoles frigorifiés les dimanches d’hiver, de pétitions pour “la défense des libertés démocratiques” ou contre ces mêmes libertés. Peu de vie politique à la Cité, quoi, ceci pour une raison : direction et comités sont d’accord sur ce point. “Nous ne voulons pas de gens qui sèment la merde ici” ; c’est-à-dire que ceux qui ont des idées trop arrêtées sont rapidement exclus112. »
37La direction de la Cité, de son côté, continue de vouloir appliquer à la lettre son règlement intérieur interdisant toute activité à caractère politique, de quelque nature que ce soit (groupes, réunions, publications, distribution de tracts, conférences), expulsant les indésirables et trouvant de la subversion dans la moindre critique. En 1966, suite aux réunions et heurts ayant eu lieu autour de la Maison du Maroc dans le sillage de l’affaire Ben Barka l’année précédente, il est rappelé sans ciller à tous les directeurs de maison cette ligne que la réalité rend pourtant inapplicable et que l’on juge « trop rigide » jusque dans les colonnes du Monde :
« Une tendance à oublier cette règle s’est manifestée ces derniers temps ; des conférences portant sur des sujets “politiques”, traités par des hommes politiques, ont été organisées, et certaines ont été tenues d’une manière semi-clandestine, malgré les règlements de la Cité. Nous devons rappeler très fermement que toutes ces conférences doivent être interdites : cette règle de prudence s’impose particulièrement dans une cité internationale, où le fait d’évoquer des problèmes de politique intérieure français, ou des problèmes politiques propres aux pays représentés à la Cité, peut être à l’origine de désordres ou de troubles et alimenter des propagandes susceptibles de porter sur la politique intérieure d’un pays étranger113. »
38La direction de la Cité ne nourrit toutefois guère d’illusion. « Il n’est pas de conflit, il n’est pas de révolution intérieure ou de coup d’État au monde qui n’ait en cette Cité son retentissement. Il n’est pas toujours facile de faire comprendre aux étudiants, ni même toujours aux représentants des pays intéressés, que le débat doit se situer en dehors de l’enceinte de la Cité114 », écrit Pierre Marthelot, délégué général de la Cité, au détour de son rapport d’activité annuel. Il ne croit pas si bien dire. On est alors au début de l’année 1968, et le printemps de la révolte étudiante ne demande qu’à éclore.
« Place à la liberté ! » : la Cité universitaire en mai-juin 1968
39Le déroulé des événements de mai-juin 1968 à la Cité universitaire, encore méconnus115, représente moins une rupture qu’une convergence radicalisée des contestations antérieures. Cette nouvelle étape du cycle des mobilisations à la Cité doit naturellement beaucoup au contexte de révolte parisien, mais également à l’agrégation des contestations résidentes (cogestion, mixité, etc.) avec les critiques de l’ordre politique et international jusqu’ici localisées dans certains pavillons (anti-autoritarisme, anti-impérialisme, etc.), ainsi qu’à la coprésence à la Cité de résidents qui, grâce aux grèves des universités et des entreprises, se retrouvent à passer des journées ensemble et à partager un même espace/temps alors qu’ils n’avaient jusqu’ici l’occasion de se croiser boulevard Jourdan que le soir ou les week-ends.
L’« agitation générale »
40Dès le début de l’année 1968, la Cité connaît plusieurs mobilisations isolées qui, peu à peu, vont converger dans une dynamique unitaire à la fin du mois d’avril 1968.
41Il y a tout d’abord les résidents de la Maison du Portugal, qui se révoltent au cours de l’hiver contre le directeur, qui vient de modifier le règlement intérieur du pavillon pour interdire aux résidents d’utiliser – faute de frigidaire – les rebords des fenêtres de leurs chambres pour y déposer des produits alimentaires frais. La décision est mal reçue et les résidents organisent une manifestation contre les règlements autoritaires116. Nouvelle fronde quelques semaines plus tard contre un autre règlement intérieur, cette fois à la Fondation des États-Unis. Au soir du dimanche 31 mars 1968, une centaine de résidents du pavillon y manifestent pour obtenir l’abolition de l’interdiction de circulation entre les bâtiments des filles et des garçons. Le directeur et son économe, qui tentent d’abord de s’opposer aux manifestants, sont obligés de reculer devant le nombre et de laisser filles et garçons circuler à leur guise dans les bâtiments pour la soirée, les résidents affichant leur intention de récidiver au cas où la direction ne tiendrait pas compte de leur revendication117.
42Revenu à la Cité avec les vacances de Pâques, entre le 3 et le 19 avril 1968, le calme est cependant de courte durée : dès le samedi 20 avril, une nouvelle action a lieu à la Fondation des États-Unis, où les résidents sont rejoints par des « éléments extérieurs venus de Nanterre et de la résidence de la rue Dareau118 ». Faisant interdire l’assemblée générale prévue, le directeur, Ronald Frazee, demande aussi l’intervention préventive de la police, laquelle se déploie alors tout autour du bâtiment, prête à intervenir en cas d’incident et pour dissuader toute manifestation à l’intérieur119. Le directeur fait alors « fermer les locaux communs aux résidents et résidentes et bloquer par des barres de fer les portes qui font communiquer l’aile des garçons avec celle des filles120 ». Le soir même, choqués par ce déploiement de force, les résidents de la Fondation des États-Unis sont rejoints par des résidents d’autres pavillons où la mixité n’est pas de mise pour une « énorme manifestation121 » dans les allées de la Cité. Dans la nuit du 20 au 21 avril 1968, le CLIP (Comité de liaison inter-pavillons) est créé qui, autour d’un projet en trois axes – cogestion, liberté, inviolabilité de la Cité122 –, réclame « l’unification des règlements de la Cité sur le régime libéral de circulation, de réunion et d’association institué dans quelques pavillons123 ».
43La mobilisation s’amplifie. Au soir du mercredi 24 avril, le CLIP organise une réunion à la Maison du Portugal où le directeur, en signe d’apaisement, a mis une salle à disposition. Des étudiants de Nanterre sont présents et appellent « ceux de la Cité internationale à combattre l’Université et la société capitaliste124 ». Une foule de deux cents étudiants s’ébranle alors dans les allées du parc de la Cité en direction de la Fondation des États-Unis. Les portes demeurant closes, des vitres sont brisées et des portes forcées pour pénétrer dans le pavillon où les résidents, « quelque peu débordés par les événements125 », se joignent au mouvement en décidant une grève des loyers jusqu’à obtenir satisfaction. Alors en retrait, les forces de police n’interviennent pas. Déjà, dans d’autres pavillons, comme à la Maison du Brésil, les résidents parlementent avec la direction de la maison pour obtenir un assouplissement du règlement intérieur, non sans que l’ambassade de tutelle ne s’en alarme.
44Préoccupé par cette « agitation générale126 », et sentant la situation lui échapper, Pierre Marthelot tente de donner des gages aux contestataires. Le 30 avril 1968, il écrit au président de l’AIRCUP pour rappeler les conclusions du rapport Rivero et le processus engagé sur les élections des représentants de résidents et les conseils de discipline. Il va même plus loin et se dit prêt à un « assouplissement des règlements intérieurs des diverses maisons » ainsi qu’à la possibilité « que des questions politiques puissent être abordées dans le cadre de conférences et de débats organisés à la Cité internationale ». Il promet aussi « une participation accrue des résidents » à la définition des programmes culturels de la Maison internationale127. En vain. Car l’AIRCUP n’est plus à la manœuvre. Réunis deux jours plus tard, les membres du conseil d’administration de la Cité sont dépassés : les traditionnels relais étudiants ne maîtrisent pas la mobilisation impulsée par les membres du CLIP lesquels, pense alors la direction de la Cité, se font aider par des « éléments extérieurs » et « extrémistes » afin de « se substituer à l’AIRCUP ou de s’y introduire à l’occasion d’élections128 ». L’assise politique du CLIP est en réalité bien plus large : il s’agit en effet plutôt d’un « rassemblement de l’ensemble des forces militantes de la Cité universitaire, allant du centre-gauche à l’extrême-gauche (trotskistes, maoïstes, etc.) en passant par le PC. Le fait que ce soit des militants étrangers qui tiennent la direction effective du mouvement, le fait que son programme politique soit très adapté aux aspirations de la base (principalement liberté de visites, liberté d’expression, franchises universitaires) donnent au CLIP cohésion et continuité129 ». Parmi les leaders du CLIP figurent ainsi Elie Beida (dit Elico) et Solly Turquieh, deux résidents d’extrême-gauche d’origine syro-libanaise, ou encore Henri Regnault, vice-président du comité des résidents de la Maison de l’Inde et proche, quant à lui, de la gauche réformiste du PSU130. Pour ne pas être évincée du jeu, l’AIRCUP se met « à son tour dans le courant des revendications131 ».
45Le délégué général, Pierre Marthelot, hésite sur la marche à suivre. Les réformes engagées depuis peu pour une meilleure représentativité des résidents dans les instances de la Cité ne sont prévues que pour prendre effet au début de l’année 1969, soit un temps bien trop long pour donner satisfaction immédiate aux protestataires. Il en est de même pour l’assouplissement des règlements intérieurs en faveur de la liberté de visite réciproque entre filles et garçons, qui doit être étudié au cas par cas, par chaque conseil d’administration de maison. Enfin, le délégué général tergiverse face à la politisation du débat public à la Cité : il faut certes empêcher « des meetings ouverts qui introduisent à la Cité la lutte parfois à main armée », mais « il paraît difficile de convaincre aujourd’hui les étudiants que tous les sujets politiques ou religieux abordés dans des conférences ou des débats à la Cité restent tabous et doivent être interdits ». L’ancien ministre de l’Intérieur Jean Berthoin, membre du conseil d’administration, considère quant à lui qu’il faut se montrer plus ferme : « La Cité ne peut être le lieu […] de discussions sur la politique française, discussions qui trouveront hors de la Cité les lieux mêmes où elles doivent se tenir132 ». À l’issue du Conseil du 2 mai, aucune décision n’est finalement prise, tandis qu’au même moment, le rectorat de Paris décide de fermer le campus de Nanterre, provoquant un déplacement de l’épicentre de la contestation au Quartier Latin.
La vague des occupations
46Difficile de savoir précisément ce qui se passe à la Cité dans les quinze premiers jours de mai 1968. Bravant les refus notifiés du délégué général de la Cité, certains résidents organisent des réunions politiques, à l’exemple d’un débat sur « les problèmes du Vietnam » qui se tient début mai à la Maison du Maroc133. D’autres résidents, quoiqu’éloignés du centre de la capitale par la grève des transports – laquelle oblige à se déplacer à pied, en vélo ou en solex134 –, participent aux événements du Quartier Latin et aux meetings, manifestations et occupations de locaux qui se multiplient après celle de la Sorbonne à partir du 13 mai 1968, dans le contexte de grève générale qui saisit le pays. Le 16 mai, le comité des résidents de la Maison des États et pays d’Outre-mer entre en conflit avec la direction de la maison. Des propos racistes tenus par un membre de la direction à l’égard des étudiants africains provoquent la création d’un comité d’action contre le paternalisme, l’interdiction des débats politiques, la limitation du droit d’affichage et les « mesures vexatoires à l’encontre des résidents (contrôle d’identité des visiteuses, droit d’irruption inopinée dans les chambres)135 ». Le 17 mai, une assemblée générale des résidents proclame la suspension du règlement intérieur, la grève des loyers et l’occupation de la maison rebaptisée « Maison d’Afrique136 ». Un meeting est organisé le lundi 20 mai pour réfléchir aux suites à donner137.
47En quelques jours, la Cité est alors touchée par une vague d’occupations. Le mercredi 22 mai 1968, à sept heures du matin, des étudiants et des jeunes travailleurs grecs décident l’occupation de la Fondation hellénique. Le même jour, la Maison des étudiants portugais, le pavillon argentin et la Maison du Maroc sont occupés à leur tour, bientôt suivis par l’Espagne, les États-Unis, le Brésil et l’Italie138. Des « étudiants gauchistes » occupent également le Collège franco-britannique, en lien avec l’English Speaking Action Committee occupant l’Institut britannique, rue de la Sorbonne139. Afin d’éviter tout dérapage, Pierre Marthelot, « personnellement hostile à l’entrée des forces de l’ordre dans la Cité140 », reste en retrait. Le 31 mai, neuf à dix pavillons sont ainsi occupés à la Cité : dans trois cas, les résidents semblent majoritaires parmi les occupants (États-Unis, Outre-mer, Maroc), tandis que dans les autres comités d’occupation les extérieurs sont plus nombreux. En parallèle, un comité d’action lié au Comité de coordination de la Sorbonne, occupe une partie des locaux de la Maison internationale. Dans les pavillons non occupés, enfin, la mobilisation est assurée par les comités de résidents et leurs délégués, qui se coordonnent à l’échelle de la Cité dans le cadre du CLIP, ou qui entretiennent des relations avec des mouvements étudiants à l’étranger, comme à la Maison de l’Allemagne, où quelques résidents assurent le lien avec l’Union des étudiants socialistes allemands de Rudi Dutschke141.
48Il ne faudrait pas croire cependant à une mobilisation générale en faveur des occupations et des mobilisations. Plusieurs résidents de pavillons non occupés « paraissent ignorer cette effervescence et cette fièvre142 » qui parcourt la Cité et ses environs, soit par indifférence, soit parce que leur propre maison pratique déjà des formes de cogestion entre résidents et directeur. La Fondation Suisse, par exemple, fait figure d’« asile calme dans la tourmente », selon les mots de son directeur, tandis que la Maison des étudiants danois n’offre « aucune prise » au mouvement, et que le pavillon du Mexique ou le Collège néerlandais restent « en marge des événements143 ».
49En dépit de différences d’une maison à l’autre, une mobilisation sans précédent agite l’ensemble de la Cité, qui se voit ainsi intégrée au printemps de protestation. L’un des points d’orgue est atteint le 25 mai : ce soir-là, à l’appel de l’UNEF, du Mouvement du 22-Mars et des jeunesses communistes, un meeting rassemble environ 2 000 étudiants sur les pelouses de la Cité, devant la façade sud de la Maison internationale, sur le perron de laquelle se succèdent orateurs anonymes et figures du mouvement avant que les participants ne se dispersent. « Dans la nuit, sous les arbres, vers le boulevard Jourdan, on entend chanter, en italien, le Chant des partisans », note un journaliste du Monde présent à l’événement144.
50Cette mobilisation à la Cité n’est toutefois pas d’un bloc. Trois dynamiques se croisent alors, qui convergent à l’acmé du mouvement de Mai sans pour autant se confondre : la question étudiante, la question sociale et les luttes politiques.
51Le premier enjeu des occupations est la satisfaction de revendications étudiantes portées de longue date : cogestion, liberté de réunion et de circulation, une dynamique surtout portée par le CLIP, dans un climat où sont délégitimées les associations de résidents existantes, à l’image de l’AIRCUP, « organisations “bidon” qui sont contrôlés par la direction et qui objectivement ont toujours fait le jeu de l’administration145 ». Dans cette optique, les délégués de 32 pavillons de la Cité réunis les 26 et 27 mai 1968 décident la création de quatre commissions « chargées d’étudier les problèmes généraux et techniques relatives à l’élaboration d’un nouveau statut de la Cité internationale146 » en vue de soumettre le fruit de leur réflexion à la discussion et au vote d’une assemblée générale internationale des résidents. Réunissant une cinquantaine de résidents représentant les différents pavillons de la Cité, cette assemblée générale tient séance dans les locaux de la Maison internationale entre le vendredi 31 mai et le lundi 3 juin 1968, à raison de deux à quatre heures par jour en fin d’après-midi147, sous la présidence de Charlie Garrigues, 26 ans, secrétaire général de l’Alliance des anciens résidents et ancien président du Centre culturel international, poussé là par Jeanne Thomas, l’ancienne secrétaire d’André Honnorat, toujours en relations étroites avec les étudiants. Le déroulement des débats témoigne de la complexité à organiser une discussion internationale : si l’on y parle français, tout le monde ne se comprend pas tout à fait. Certains étudiants étrangers se rendent en effet parfois compte après coup qu’un texte voté énonce le contraire de ce qu’ils voulaient lui faire dire, faute pour eux de bien maîtriser toutes les nuances de la langue. Il faut dès lors voter pour annuler le texte, puis le réécrire et voter à nouveau148.
52Le 1er juin 1968, un texte énonçant les « libertés fondamentales » des résidents de la Cité est néanmoins voté, qui revendique la liberté d’expression et de réunion (conférences, débats, tractage, affichage, constitution d’association), la liberté de visite, la liberté d’appartenance à un mouvement politique, enfin l’inviolabilité de la Cité, dans l’esprit des franchises universitaires. Le 2 juin, l’assemblée vote un texte définissant les grands principes de la cogestion à la Cité, dans le sens d’une parité de gestion complète au niveau des pavillons, de quoi satisfaire le CLIP, qui se félicite ainsi de l’extension de son programme « à la quasi-totalité des pavillons » : « Partout les règlements intérieurs (Italie, Deutsch, Franco-B…) sont remis en question et les restrictions aux libertés dénoncées149. » Le 3 juin enfin, c’est la question de la représentativité des résidents dans les instances de la Cité qui est tranchée. Tous les résidents du boulevard Jourdan sont invités à participer à l’Assemblée générale internationale qui, le 3 juin, élit un Bureau exécutif de réforme (BER), composé de 12 représentants désignés pour présenter et défendre les revendications des étudiants auprès de l’administration.
53En parallèle de ce travail normatif sur les principes et les règlements, d’autres occupants entendent promouvoir une nouvelle organisation de la vie étudiante et universitaire par la pratique. Le Comité d’action de la Maison internationale a généré pour cela en son sein un Comité d’action culturelle – qui se substitue de facto au Centre culturel international – en vue d’organiser des conférences, des débats, des spectacles (Leny Escudero vient chanter au Théâtre de la Cité universitaire au soir du 28 mai150), des activités culturelles ouvertes au plus grand nombre (résidents de la Cité, habitants du 14e arrondissement, etc.151) et selon un programme établi sur les bases de l’autogestion. « Place à la liberté ! », proclame un tract du 1er juin 1968, en fustigeant « les manifestations culturelles dirigées d’en haut par une administration plus soucieuse d’ordre que d’innovations », « le gaspillage de locaux qui restaient la plupart du temps inoccupés », « des programmes destinés exclusivement à la soi-disant “élite” de la Cité universitaire152 ». Désormais, les propositions sont discutées chaque soir, dans la salle 27 de la Maison internationale, ainsi que l’explique un tract intitulé « Théâtre libre153 ». Au programme de la semaine du 4 au 7 juin 1968 par exemple : un débat avec Jean Vilar et une soirée « Vietnam Culture et Combat » le 4 juin ; des ballets du Cameroun le 5 juin ; des films sur les chants et danses du Laos le 6 juin ; une projection de films cubains le 7 juin154.
Étudiants et travailleurs contre « l’administration-flic »
54Au-delà des questions étudiantes, le second enjeu des occupations de locaux est la promotion de la solidarité au sein du mouvement social entre étudiants et travailleurs, en lien avec le Comité de liaison travailleurs-étudiants de la Sorbonne attaché à l’alliance des intellectuels et du prolétariat. Dans cet esprit, le comité d’occupation de la fondation hellénique est composé d’étudiants et de jeunes travailleurs, le Collège d’Espagne est renommé « Maison des étudiants et travailleurs espagnols155 », tout comme la Maison du Portugal devient « Maison des travailleurs et étudiants portugais156 » ou celle de l’Italie « Maison des étudiants et travailleurs italiens157 », tandis que le comité d’occupation de la Maison du Maroc diffuse des tracts appelant à « une plus grande solidarité entre ouvriers et étudiants marocains » et dénonce « la situation scandaleuse de leurs frères ouvriers qui vivent entassés dans de véritables “ghettos” appelés bidonvilles158 ». Les maisons occupées se veulent des lieux d’interconnexion avec les communautés de travailleurs étrangers, à destination desquelles on désigne des interprètes et on traduit des tracts, à l’image de ce que font les comités étudiants-travailleurs de la Maison du Maroc159 ou de la Maison du Portugal160, tandis qu’un tract traduit en espagnol, en portugais et en italien édité par un « Comité internationale [sic] des ouvriers étrangers » appelle en juin 1968 tous les « militants français et étrangers, ouvriers, intellectuels, étudiants » pour un grand meeting à la Maison internationale destiné à créer un « Comité permanent de la main-d’œuvre étrangère161 ».
55De leur côté, des salariés de la Cité se mobilisent dans le sillage de la grève générale. Un premier « Appel à tous les travailleurs de la Cité » est lancé le 22 mai 1968 et une réunion a lieu l’après-midi même dans une salle du Collège d’Espagne pour revendiquer « une réduction du temps de travail sans diminution de salaire ; une augmentation des salaires ; la liberté syndicale ; la garantie de l’emploi162 ». Leur faisant suite, le Comité d’action de la Maison internationale constitue une commission travailleurs-étudiants de la Cité, qui appelle à « confronter les objectifs et les modalités d’une action commune du personnel et des résidents163 », et propose des permanences, tous les jours à partir du 24 mai, dans une salle située au 3e étage de la Maison internationale164. Cette commission, s’indigne Pierre Marthelot, « s’est efforcée de recueillir les doléances du personnel, contestant d’ailleurs la validité des élections des représentants du personnel et manifestant, parfois de façon choquante, son mépris de la législation du travail en vigueur165 ». Dans le cadre de « la lutte contre le système répressif de l’État capitaliste », étudiants et travailleurs en grève affirment vouloir ainsi « éliminer l’ambiguïté des relations «de pseudo-maître à presque serviteur» entretenues malgré eux dans le contexte de la Cité » et avoir pour objectif commun « d’en finir » avec une « administration-flic » qui licencie les salariés et porte atteinte à leurs libertés syndicales comme elle expulse les étudiants et réprime leur liberté d’expression politique166.
56Ici comme ailleurs en France, la signature des Accords de Grenelle le 27 mai 1968 ne freine pas la mobilisation. Les femmes de ménage de la Cité éditent ainsi un tract appelant à une réunion le 29 mai pour exprimer « leur solidarité avec tous les travailleurs en lutte » et demander l’amélioration de leurs conditions de travail, en particulier « l’unification des conditions de travail dans les différents pavillons », dénonçant notamment des cadences parfois trop dures, la réalisation de travaux pénibles en dehors de tout cadre légal, ou du travail supplémentaire non rémunéré167. Quelques jours plus tard, c’est l’ensemble du personnel du service technique de la Cité qui propose de se réunir le 30 mai en appelant « à l’unité de tous les travailleurs de la Cité universitaire, condition essentielle de l’aboutissement des revendications168 ». Début juin 1968, un projet de convention collective est élaboré et, alors que la CGT reçoit des adhésions de salariés à la pelle169, la création d’une section syndicale pour l’ensemble du personnel de la Cité est mise sur les rails170.
« Le sanctuaire de la subversion »
57La troisième dynamique, enfin, qui permet de comprendre la logique de la mobilisation et des occupations à la Cité internationale en mai-juin 1968, procède des opposants aux régimes politiques dont dépendent les maisons occupées et qui ont trouvé là un moyen de se réapproprier un lieu-symbole de leur pays d’origine en vue d’en faire une tribune propre à relayer leurs revendications anti-impérialistes, antiautoritaires et révolutionnaires. Au point de donner de la Cité l’image d’un « sanctuaire de la subversion171 ».
58C’est le cas de la Maison d’Afrique, dont le changement de nom est clairement destiné à dénoncer le néocolonialisme français et à prendre la main sur une maison jugée aux ordres de Paris. C’est le cas à la Maison du Portugal, occupée aux cris de « Mort à Salazar ! À bas le colonialisme ! ». Proclamée « premier territoire libre et socialiste du Portugal », elle voit ses salles rebaptisées des noms de Che Guevara, Marx et Engels172. C’est encore le cas à la Maison du Maroc, où la direction s’est enfuie et où les résidents aidés par « des éléments venus de la Maison des étudiants nord-africains, 115 boulevard Saint-Michel173 » font de leurs locaux dits « libérés » un lieu d’opposition au régime d’Hassan II en rebaptisant les deux bâtiments qui composent la maison « Ben Barka » pour l’un, « Al Fath » pour l’autre174, tout en remotivant l’anti-impérialisme des années pré-68 dans le cadre de débats ouverts au plus grand nombre, à l’image de celui intitulé « Tiers-monde et Europe contre l’impérialisme sovieto-américain », annoncé le 19 mai 1968 et dont l’objectif est rien de moins que de réfléchir aux « moyens de faire éclater le système impérialiste planétaire175 ».
59Même schéma toujours à la Fondation hellénique176, dont la plupart des occupants, de tendance anarchiste ou d’extrême-gauche à en croire les rapports des renseignements généraux, luttent contre la dictature militaire en Grèce177. Parmi eux plusieurs résidents, âgés de 25 à 31 ans, étudiants à la Sorbonne, à l’EPHE et un chercheur au CNRS, membres de l’Association des étudiants hellènes de Paris et du Comité d’action des étudiants grecs de la Sorbonne, où se côtoient maoïstes, trotskistes et jeunes communistes révolutionnaires. Drapeau noir hissé au sommet de la Fondation hellénique, les occupants déclarent ce dernier « territoire grec libre » et appellent à « renverser la tyrannie fasciste de [leur] pays178 ».
60Au Collège d’Espagne, ce sont les drapeaux rouges qui flottent au milieu des portraits de Che Guevara, de slogans cubains (« Le devoir de tout révolutionnaire est de faire la révolution ») et de graffitis sarcastiques à l’égard du régime de Franco179. Un occupant s’explique :
« Notre objectif essentiel est de nous unir sans réserve au grand mouvement révolutionnaire français, […] [de] prendre des contacts de plus en plus nombreux avec les travailleurs espagnols en France car il est clair que notre geste est aussi une dénonciation du régime franquiste. Notre action est symbolique. Nous allons organiser des séminaires, des réunions, une bibliothèque pour les travailleurs. Le mouvement de contestation qui secoue les étudiants et la classe ouvrière, surtout au niveau des jeunes, est un phénomène qui n’est pas seulement français180. »
61L’occupation devient objet de curiosité. « Depuis une semaine, relève Le Monde le 29 mai 1968, des familles entières d’Espagnols de Paris, “muchachos” dans les bras, sont venues ici un peu étonnées de découvrir ce “morceau d’Espagne révolutionnaire” en plein cœur de Paris. Des écrivains français célèbres, un cinéaste, des intellectuels espagnols de renom ont en principe accepté de faire partie d’un “comité de patronage181”. »
62Même succès public du côté du pavillon argentin où les occupants, dénonçant la mainmise de la dictature militaire sur l’institution, le dévoiement de son caractère universitaire et les abus d’une direction partie aux premières heures de l’occupation sans demander son reste, rebaptisent le bâtiment « Pavillon Che Guevara » et reçoivent le soutien d’une cinquantaine d’intellectuels français, espagnols et latino-américains dont Fernando Arrabal, Carlos Barral, Marcel Bataillon, Michel Butor, Simone de Beauvoir, Julio Cortazar, Carlos Fuentes, Jean-Luc Godard, Gisèle Halimi, Michel Leiris, Gaétan Picon, Christiane Rochefort, Claude Roy, Nathalie Sarraute, Jean-Paul Sartre, Antonio Segui et Mario Vargas Llosa182.
63La nature politique de ces occupations se ressent par ailleurs dans la violence qui trouve parfois à s’exprimer à l’égard de certains opposants au mouvement, généralement proches du régime politique de leur pays d’origine. Au pavillon argentin par exemple, où l’occupation n’est pas approuvée par la majorité des résidents, une trentaine de résidents sont contraints de quitter le bâtiment183. À la Maison du Portugal, le directeur est séquestré pendant une semaine avant de parvenir à s’enfuir184. Même mode opératoire à l’égard du directeur de la Maison du Brésil, « séquestré pendant six heures dans son bureau, et interrogé, de façon très dure, sur ses activités politiques », tandis que « le secrétariat et l’appartement du directeur ont été fouillés » et « la correspondance personnelle du directeur a été saisie185 ». L’un des résidents, qui avait établi une liste des communistes du pavillon à remettre à la police, se voit lui aussi « sévèrement interrogé » dans sa chambre par les membres du comité d’occupation, en majorité extérieurs à la Maison186. Quant au Collège d’Espagne, « des armes de toutes sortes » y auraient été entreposées, « le transformant en véritable “foyer armé187” ».
64Tandis que les situations diffèrent d’une maison à une autre, et que chacun des comités d’occupation développe ainsi son action et son programme politique et culturel, quelques réunions communes aux maisons occupées s’organisent également. Début juin 1968, les comités d’occupations des pavillons d’Afrique, d’Argentine, d’Espagne, de Grèce, du Maroc et du Portugal organisent ainsi un débat sur « les causes nationales et causes internationales des occupations188 ». Le 11 juin, Pierre Marthelot, qui tient informé le Quai d’Orsay et les ambassades concernées de l’évolution de la situation au sein de la « Cité en ébullition189 », ne cache pas son inquiétude : « Au rythme où vont les événements, il n’est pas exclu qu’un ordre d’occupation de la Cité tout entière intervienne dans les jours proches190. » Le 17 juin 1968, un grand « Meeting des pavillons libérés de la Cité universitaire » est organisé à la Maison internationale en présence de plusieurs personnalités : Beauvoir, Duras, Sarraute, Sartre, Semprun, etc. Le meeting se clôt sur un manifeste signé par plusieurs d’entre eux en soutien aux « libérations » en cours, et dont les termes synthétisent bien les différentes composantes de Mai 68 à la Cité (étudiantes, sociales et politiques) :
« Cet acte, aussi bien revendicatif que politique et internationaliste a pour but le changement des structures sociales et en particulier celles de l’université, la rupture des liens avec les gouvernements fascistes ou militaristes et tous ceux qui sont directement ou indirectement au service de l’impérialisme. Les soussignés demandent que ceci se concrétise dans un nouveau statut de la Cité internationale, basé sur les principes de liberté d’expression, d’association et d’autogestion, aussi bien au niveau des pavillons libérés que de tous les autres pavillons de la Cité internationale. Statut s’intégrant au mouvement révolutionnaire étudiants-travailleurs qui se développe actuellement en France. D’autre part les soussignés s’engagent à soutenir activement les buts poursuivis par les pavillons libérés, et à défendre les occupants contre les mesures répressives ou discriminatoires que le gouvernement français pourrait prendre contre eux dans le futur191 ».
65Enfin, des meetings communs de soutien aux étudiants étrangers expulsés – dont des résidents de la Cité – sont également organisés, qui sont autant d’occasion de ressouder les acteurs mobilisés. Sur 765 étrangers arrêtés à Paris à l’issue des manifestations de mai et juin 1968, on compte 221 étudiants dont 40 ont fait l’objet d’un arrêté ministériel d’expulsion192. Parmi eux, trois résidents de la Cité universitaire, arrêtés sur le lieu d’une manifestation interdite, dont deux étudiants allemands de 22 et 23 ans, expulsés les 14 et 15 juin 1968 ; une étudiante argentine de 20 ans, expulsée le 26 juin 1968. Un étudiant danois arrêté le 11 juin et détenu au centre de Vincennes a eu plus de chance : le directeur de la Fondation danoise est venu le chercher, après intervention du Consul du Danemark auprès du Préfet193.
66Le 12 juin 1968, un meeting est organisé dans les jardins de la Cité universitaire en faveur des étudiants expulsés, à l’invitation des comités d’action, du Mouvement de soutien aux luttes du peuple et du Mouvement du 22-Mars194. Le 28 juin, un autre meeting s’y tient pour protester « contre les expulsions massives et arbitraires de nos camarades étudiants et travailleurs étrangers195 », en présence de Marguerite Duras, Christiane de Rochefort, Pierre Vidal-Naquet et Maitre Michèle Beauvillard. Réunissant près de 250 personnes, le meeting doit cependant se tenir dans une salle annexe au Théâtre où il était initialement prévu, les intervenants ayant été chahutés par une assistance venue pour la projection d’un film algérien, L’Aube des damnés, organisée au même moment par l’Association des étudiants nord-africains en France dans le cadre d’une semaine culturelle et du film196. L’épisode est à l’image des dynamiques de plus en plus divergentes du mouvement de Mai à la Cité, à l’heure de son reflux.
« Cité-contestation197 » : désillusions cogestionnaires et radicalisation des micro-luttes
67À la mi-juin 1968, comme ailleurs en France, le mouvement à la Cité amorce une décrue. Le meeting des pavillons libérés du 17 juin résonne déjà comme un chant du cygne : « Camarades, entend Sartre à ce meeting, il faut reconnaître que notre action du mois de mai est un échec198. » Les occupations de maisons cessent peu à peu boulevard Jourdan : le Brésil, le Portugal et l’Espagne sont les premiers pavillons abandonnés par leurs occupants entre le 12 et le 15 juin 1968. Ils sont « dans un état proche de la dévastation après un pillage systématique », note le délégué général199, qui n’est pas pour rien dans ce mouvement de déprise : des « contacts discrets » ont été pris avec les occupants pour leur faire comprendre « le risque que les forces de l’ordre pénètrent à la Cité et qu’elles procèdent à un “nettoyage” des maisons occupées200 ». Un chargé de mission à l’Élysée le confirme : « Le directeur de la Cité a favorisé en sous-main ce départ, qui est dû à la crainte qu’ont éveillée chez ces extrémistes leurs propres excès et à la fausse nouvelle d’une répression des CRS qui, dans l’esprit des Espagnols, des Portugais et des Brésiliens devait certainement se dérouler à l’instar de ce que l’on observe dans leur pays201. »
68Dans d’autres pavillons, une vie résidente commence également à reprendre progressivement, non sans tensions sur les modes de gestion. Seule la situation de la Maison internationale reste inchangée jusqu’à la fin juillet 1968 : « Quelques échappés de la Sorbonne [y] ont échoué. […] C’est aussi là que s’est installé pour des commodités électorales le Comité d’action du 14e arrondissement, ce qui peut provoquer de rudes réactions. Ceci constitue de toute manière une pratique aberrante », s’indigne Pierre Marthelot, observant que « l’action culturelle en cours est empreinte d’un esprit d’exclusive politique qui est difficilement conciliable avec les buts de la Cité202 ». Dans cet esprit, le 20 juin 1968, un débat est ainsi organisé par le Comité d’action culturelle dans le Théâtre de la Cité sur « Les voies de passage au socialisme », en présence de Jean-Pierre Chevènement, 29 ans, que son pamphlet sur L’Enarchie203 rend sympathique aux contestataires de la Cité, et qui est alors candidat de la gauche socialiste aux élections législatives dans le 14e arrondissement204.
69En parallèle, les dynamiques différenciées (étudiantes, sociales et politiques) qui ont jusqu’ici convergé pour donner prise au mouvement à la Cité vont peu à peu suivre chacune leur voie autonome. Cette différence s’était déjà faite sentir lors de l’occupation du pavillon brésilien où des résidents français et brésiliens avaient été molestés par les occupants alors que, « favorables au mouvement de contestation et ayant participé aux barricades du Quartier Latin », ils « avaient déjà préparé un programme en faveur de la cogestion et de la relance d’une activité culturelle singulièrement négligée par le directeur205 ». Le CLIP avait alors commencé à prendre ses distances avec les membres des comités d’occupation, plus radicaux :
« Considérant la situation actuelle où l’action politique, indépendante du CLIP […] se manifeste, le CLIP tient à éviter que toute confusion soit faite entre les deux formes d’action : l’une revendicative, assise sur les comités élus par les résidents et qui a pour but de réformer les structures de la Cité (CLIP) ; l’autre entreprise par des groupements politiques progressistes de différentes nationalités sur les pavillons de leur nationalité en vue soit de les libérer de leurs liens avec les régimes de leur pays (Grèce, Espagne…), soit d’y faire une occupation symbolique pour marquer l’opposition à ces régimes206. »
L’« échec » de la cogestion
70À la mi-juin 1968, « sentant le vent tourner207 » à mesure que la situation sociale et politique évolue dans le pays avec la dissolution de l’Assemblée nationale par De Gaulle le 30 mai, l’interdiction des manifestations à partir du 12 juin et la dissolution des organisations étudiantes révolutionnaires, le CLIP « estime qu’il est temps de fixer les acquis dans des textes écrits pendant que le rapport de force est encore relativement favorable208 ». D’autant qu’à la Cité une hostilité au mouvement, quoique marginale, émerge de façon visible, rassérénée par le retour dans le jeu du pouvoir gaulliste. Le 11 juin, des communiqués protestataires sont déchirés. Quelques jours plus tard, dans la nuit du 19 au 20 juin, dans les locaux occupés de la Maison internationale, une porte est fracturée, des films et des dossiers des militants mobilisés sont déchiquetés, des affiches arrachées, etc. Le forfait est signé : des croix de Lorraine sont dessinées çà et là. Les partisans du mouvement de Mai crient au « vandalisme » des « apprentis fascistes209 », tout en se rapprochant de la direction de la Cité pour négocier avant que la situation ne se retourne.
71Le 12 juin 1968, le Bureau exécutif de réforme (BER), élu une dizaine de jours plus tôt par l’Assemblée générale internationale des résidents mobilisés, fusionne avec le bureau de l’AIRCUP afin de pouvoir assister aux séances du conseil d’administration de la Cité et, le 14 juin 1968, « une réunion d’approche » a lieu à la Fondation nationale avec l’administration210. Une dizaine de réunions vont suivre entre fin juin et début juillet 1968, où il va être question des statuts de la Cité, de son règlement intérieur, de la composition de ses instances, de la gestion et de la vie de la Cité. La délégation du BER-AIRCUP est notamment emmenée par le Camerounais Jean-Jacques Ekindi, 23 ans, de la Maison d’Afrique, l’Italien Paolo Fulchignoni, 23 ans également, militant d’extrême-gauche qui fait partie des « plus virulents » occupants de la Maison d’Italie211, ou encore Henri Regnault, de la Maison de l’Inde. La direction est pour sa part représentée par Marthelot, Pierre Dhombres (le secrétaire général administratif de la Cité), Rivero, et deux directeurs de maison, Maurice Beutler (Fondation Suisse) et Henri Van Effenterre (Provinces de France), soit les représentants les plus ouverts de la Fondation nationale et des directeurs de maison.
72De ces longues discussions inédites résulte à l’été 1968 un projet de « Charte de la Cité internationale », document soumis au conseil d’administration de la Fondation nationale à la rentrée 1968, sous la pression du CLIP qui ne désarme pas212. Après de nouvelles discussions, la charte finalement adoptée par les instances de la Cité le 20 novembre 1968213 pose un cadre général définissant pour le boulevard Jourdan de grands principes communs de vie à partir desquels doivent être révisés tous les textes statutaires et réglementaires de la Cité. La plupart des revendications du mouvement de Mai sont prises en compte : affirmation de la liberté de réunion des résidents, de la liberté d’expression (notamment politique), de la liberté de visites (et donc, de la mixité), admission de cinq résidents à siéger au conseil d’administration de la Fondation nationale désormais avec voix délibérative, enfin création d’un comité de gestion de la Fondation nationale avec composition paritaire (3 membres de l’administration, 3 délégués des résidents élus par l’Assemblée générale internationale), ce comité de gestion étant prévu pour se réunir une fois par semaine afin de discuter des orientations générales de la vie de la Cité. Des comités de gestion sont aussi prévus sur le même modèle dans chaque pavillon, ainsi que cinq commissions consultatives paritaires au niveau central (sur les statuts, la discipline, la bibliothèque, le restaurant et les affaires sociales). Allant bien au-delà du processus de réforme engagé en 1967, la « Charte de la Cité internationale » est une indéniable victoire des mobilisations de l’année 1968. Reste à passer des principes à la pratique.
73Pour ne pas risquer un nouveau mouvement social, la direction de la Cité accepte de mettre en place la cogestion « de façon empirique214 » et de tenir des élections étudiantes dès décembre 1968, sans attendre la mise en conformité des textes statutaires et règlementaires de la Cité avec la Charte. Pour cette première sans filets, c’est le système fédéral du rapport Rivero de 1967 qui sert de boussole : élection des comités de résidents dans les maisons et, par ces comités, des délégués à l’Assemblée générale internationale, eux-mêmes électeurs des représentants étudiants au conseil d’administration et au comité de gestion. Cette précipitation est cependant source d’irrégularités multiples dans certaines maisons (pas de procès-verbaux d’élection, absence de contrôle sur le périmètre du corps électoral, etc.)215. Il en résulte que les élus sont souvent les résidents les plus politisés, figures de Mai 68 à la Cité, au grand dam de la direction, qui va faire face tout au long de l’année 1969 à une radicalisation des exigences : pour que l’admission des résidents à la Cité soit désormais prise en charge par une commission exclusivement composée de résidents ; pour que les étudiants au conseil d’administration de la Fondation nationale disposent d’un droit de véto ; pour que l’Assemblée générale internationale puisse coopter dans les instances des représentants non-élus216. Le 31 octobre 1969, un arrêté rectoral tente bien de cadrer les élections de l’automne, en attendant que la Cité ait réformé ses statuts. Cela ne suffit toutefois pas à empêcher de nouvelles irrégularités lors des scrutins, ni le contrôle « par un petit groupe gauchiste » des « structures théoriquement représentatives217 » de l’Assemblée générale internationale et de son Bureau international, ainsi que du Centre culturel international, « simple façade cachant des activités qui n’[ont] plus de culturelles que le nom218 » et qui sont tournées vers « l’édition de tracts politiques […] et l’organisation de meetings qui n’ont pas leur place ici219 ».
74La rupture est consommée début 1970. Déplorant de ne disposer toujours que d’une voix consultative au conseil d’administration – puisque la réforme statutaire de la Cité n’a pas encore reçu la sanction juridique du Conseil d’État –, arguant aussi de n’avoir pas été consultés sur les sujets importants (intervention policière à la Maison d’Afrique, fermeture de la Maison du Maroc, etc.), les représentants étudiants décident de pratiquer la politique de la chaise vide au conseil d’administration de la Fondation nationale et dans les commissions paritaires220, tandis qu’une grève des loyers est déclenchée dans sept pavillons. Elle va durer cinq mois de janvier à mai 1970, afin de réclamer une harmonisation des tarifs et de faire pression sur la direction. Si la cogestion dans les maisons progresse, avec ou sans conflits (comme à la Maison de l’Inde221), et parfois à la limite de l’autogestion (à la Maison du Maroc ou de l’Italie par exemple), au niveau central, c’est un « échec222 ». Les contestataires de la Cité sont ici en phase avec un mouvement plus global223 qui voit les groupes étudiants les plus radicaux se détourner d’une cogestion universitaire perçue comme un outil de « la bourgeoisie [pour] développ[er] le mythe de l’apolitisme et de la technicité des problèmes224 » et mettre « un frein au développement des luttes225 ». Dans cette critique, même le CLIP est désormais jugé trop conciliant. C’est d’ailleurs pourquoi en octobre 1970, dans une logique de recomposition des forces politiques de gauche à la Cité226, une nouvelle « organisation de mobilisation et de lutte227 » – l’Union des résidents progressistes – est créée par des militants gauchistes et du PSU, lors d’une réunion à la Maison du Maroc – dont le directeur, François della Sudda, est lui-même adhérent au PSU –, en présence de Marc Heurgon, dirigeant du PSU, et d’Henri Leclerc, l’« avocat PSU des militants gauchistes228 ».
75La direction de la Cité entre cette fois dans le rapport de force : « Il n’est pas question de passer de la cogestion à un quelconque pouvoir étudiant », martèle Pierre Marthelot229, qui n’a de cesse de dénoncer les blocages des instances paritaires par ce « groupe révolutionnaire » auquel est laissé libre champ du fait de « l’apathie parfois sarcastique et chargée de scepticisme de la plus grande partie des résidents230 ». La riposte intervient au cours de l’année 1970-1971 : la direction de la Cité supprime la subvention allouée au Centre culturel international tandis que la réforme statutaire de la Cité, finalement entérinée par décret en juin 1971, abaisse de cinq à deux le nombre de sièges des étudiants au conseil d’administration de la Fondation nationale et ne reconnaît plus l’Assemblée générale internationale : c’est par les présidents des comités de résidents que seront désormais élus les représentants étudiants au conseil d’administration.
76Si la décision est mal reçue231, les contestations qui vont se poursuivre sur ces modalités de gouvernance jusqu’au milieu des années 1970 ne parviendront pas à les remettre en cause. Mobilisant principalement des résidents du Parc Est (Maison du Maroc, Maison de l’Italie, Maison de l’Allemagne, etc.), elles se déploieront désormais dans le cadre d’une conflictualité d’intensité descendante et routinisée, alternant la création de nouveaux organes de coordination des résidents, les grèves de loyers, quelques concessions du délégué général et les déclarations de ce dernier à la presse pour dénoncer une « politisation abusive dans la Cité universitaire232 ».
La crise de « l’idéologie Honnorat »
77Ce sentiment est aussi celui de Jeanne Thomas, l’ancienne secrétaire d’André Honnorat, figure motrice de l’Alliance internationale des anciens résidents, qui a participé à l’aventure de la Cité depuis ses débuts dans les années 1920 et qui, en 1974, confie sa « nostalgie en songeant à notre Cité actuelle, trop politisée233 ». Au-delà des conflits internes sur la cogestion, la Cité internationale du tournant des années 1960-1970 est en effet devenue un lieu naturel de débats et de réunions pour les différentes cultures issues du mouvement de Mai ou remotivées par lui : socialistes234, militants du PSU, gauchistes, féministes235, hippies236, écologistes237 – qui organisent notamment depuis la Cité des départs en car vers le Larzac238 –, membres du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR)239, artistes contestataires240, etc. « Les gaullistes ou l’extrême-droite, ils ne pouvaient pas mettre les pieds à la Cité », résume Bernard Morel, ancien résident de la Maison du Maroc (1969-1970) et alors membre du PSU241. Un activisme tous azimuts qui a le don d’exaspérer le délégué général, Pierre Marthelot :
« De la part de certains groupes de résidents, généralement assistés de l’extérieur, que d’abus ! […] En flagrant désaccord avec la Charte de 1968, une fois de plus bafouée, les locaux communs de la Cité, ceux de la Maison internationale et surtout ceux des maisons, sont utilisés pour ces diverses propagandes et sans autorisation, par n’importe quel groupement extérieur. La Cité est ainsi réduite au rôle d’une “Mutualité”, gratuite pour tout demandeur242. »
78Les gauchistes sont sans doute parmi les plus actifs, qu’il s’agisse des trotskistes, comme ceux de l’UNEF tenant meeting à la Cité pour le 1er mai en mai 1969243 ou en mai 1971, où 1 500 militants alors réunis à la Cité appellent à « abattre le gouvernement Pompidou-Guichard-Marcellin244 », ou qu’il s’agisse des maoïstes de la Gauche prolétarienne – « omniprésents à la Cité245 » – dont l’une des figures de proue est Jean-Paul Sartre, ancien résident du boulevard Jourdan d’ailleurs, et qui y revient ponctuellement : à l’automne 1970, pour s’opposer au limogeage du directeur de la Maison du Maroc246 ; en juin 1971, pour un projet – finalement interdit – visant à tenir sur les pelouses de la Cité un « tribunal populaire de la police », suite à l’aveuglement d’un militant maoïste par une grenade policière et au tabassage dans un car de police d’un journaliste du Nouvel Observateur247 ; ou encore en décembre 1971, pour une conférence de presse organisée au Théâtre de la Maison internationale à l’occasion de la sortie de prison d’Alain Geismar, l’ancien leader de Mai 68 et dirigeant de la Gauche prolétarienne248. Le périmètre des mouvements gauchistes déborde naturellement du cadre français : « La Cité universitaire […] grouillait dans ces temps de gauchistes venus des quatre coins du monde, en particulier du monde arabe. C’était le lieu idéal pour tisser des liens avec les révolutionnaires arabes », se souvient par exemple Toufic Hindi249.
79Gauchisme, anti-autoritarisme et anti-impérialisme ayant partie liée, beaucoup de ces militants s’investissent – sans toujours forcément se croiser – dans les micro-luttes organisées au sein de quelques pavillons de la Cité sur le modèle des occupations de Mai 68. Foyers d’agitation, de contestation et de mobilisation, ils constituent soit une base arrière soit un terrain d’affrontement pour des conflits politiques et géopolitiques importés boulevard Jourdan avec une intensité décuplée depuis le mouvement de Mai. Manifestations, grèves de la faim, rixes, occupations de locaux, fermetures administratives sont monnaie courante au tournant des années 1960-1970 au sein de ces maisons où, parmi les groupes d’opposants au régime politique de leur pays d’origine, se mêlent résidents et clandestins, dont plusieurs réfugiés250.
80Ces micro-luttes se jouent autour du Collège d’Espagne en travaux après Mai-1968, et qui fait l’objet de plusieurs tentatives d’occupation, dont l’une en mai 1969, pour dénoncer « la répression brutale que subit l’université espagnole sous la dictature fasciste251 ». C’est aussi le cas à la Maison du Canada, occupée en octobre 1970 par le comité de mobilisation des Québécois à Paris, en soutien au Front de libération du Québec contre le gouvernement canadien252. À la Maison de la Tunisie, plusieurs manifestations et grèves de la faim ont lieu en février 1972 et en mai 1973 contre la politique du président de la République tunisienne Habib Bourguiba (qui fut d’ailleurs résident à la Cité au milieu des années 1920)253. À la Maison de l’Iran, les incidents et les grèves de la faim se multiplient entre 1970 et 1976, avec le soutien d’intellectuels comme Jean Genet254, afin de médiatiser la répression et l’emprisonnement des opposants politiques au régime du Shah, avant l’évacuation du bâtiment par la police en juillet 1972 et sa fermeture définitive en août par la direction de la Cité255. Depuis 1968, la Maison d’Afrique – dont la dénomination a été conservée et officialisée par le conseil d’administration de la Cité – vit elle aussi au rythme des occupations, des séquestrations de personnel et des interventions policières jusqu’à la décision de sa fermeture en 1972.
81Au sein de ce paysage contestataire, la Maison du Maroc occupe une place particulière. Comme les précédentes, elle est un lieu d’opposition au régime politique du pays auquel elle est liée, et ce d’autant plus que le directeur de la Maison, François della Sudda, fait partie de longue date des opposants au roi Hassan II, et qu’il héberge clandestinement boulevard Jourdan des militants de l’Union des étudiants marocains, à l’exemple d’Hamid Barrada, que della Sudda a déjà exfiltré du Maroc en 1963 en le cachant dans le coffre de sa voiture256. Mais la Maison du Maroc est aussi un lieu plus général de rencontre pour le militantisme arabe en reconfiguration : « Nous étions le point de jonction de tout ce qu’il pouvait y avoir comme luttes et comme militants des pays arabes (Liban, Egypte, Tunisie, Maroc, Palestine, etc.), autour desquels venaient s’agglomérer le PSU, la Gauche prolétarienne, les maoïstes de l’UJCML, les trotskistes aussi. Nous étions un lieu de débats où tout le monde passait au moins une fois par semaine », se souvient Jocelyne Berdu, résidente à la Maison du Maroc (1969-1973), membre du comité des résidents, et alors militante au sein de l’organisation d’extrême-gauche Ila Al Amame fondée par Abraham Serfaty257. La Maison du Maroc constitue notamment un lieu de structuration de la cause palestinienne en France. C’est là, en effet, avec le soutien du directeur François della Sudda, que logent clandestinement Mahmoud Hamchari et Ezzedine Kalak, premiers représentants officiels de l’Organisation de la libération de la Palestine (OLP) à Paris. En 1970, lors du « septembre noir » au cours duquel la Jordanie attaque l’OLP, la Maison du Maroc devient une plaque tournante de l’entraide à la Palestine : un Bureau français d’aide à la révolution palestinienne est créé en vue d’organiser boulevard Jourdan « des collectes d’argent, de médicaments et de matériel médical en collaboration avec le Croissant Rouge palestinien258 » – dont le siège est également situé à la Maison du Maroc –, et avec le soutien du directeur, du comité de résidents – Jocelyn Berdu en est l’une des chevilles ouvrières259 –, le soutien des réseaux maoïstes du Parti communiste marxiste-léniniste (PCML) du philosophe Gilbert Mury, et de la section PSU de la Cité universitaire260. Pendant quelques semaines, à l’initiative de résidents français, le drapeau palestinien flotte même sur la façade de la Maison du Maroc, avant qu’il ne soit retiré pour ne pas trop attirer l’attention des services secrets israéliens au moment où Hamchari et Kalak tentent de négocier la reconnaissance de l’OLP par le gouvernement français261. En parallèle, afin de populariser les luttes arabes dont la cause palestinienne, les deux hommes, en lien avec Bahgat Elnadi et Adel Rifaat, opposants de la gauche égyptienne à la politique de Nasser connus sous le pseudonyme commun de Mahmoud Hussein, éditent une revue, Al-Massira (la marche), à la rédaction et à la diffusion de laquelle participent plusieurs résidents arabes de la Cité liés aux maoïstes de la Gauche prolétarienne, à l’image de Toufic Hindi, alors résident à la Maison du Liban262.
82Mais c’est sans doute à la Maison du Cambodge que la situation est la plus violente, du fait de l’importation de la guerre civile entre les khmers rouges alliés au prince Sihanouk et les partisans du régime de Phnom-Penh au pouvoir depuis le coup d’État de mars 1970, et dont le directeur de la Maison, Sisowath Essaro, est un proche. Ainsi, « le 4 mai 1970, un étudiant partisan du prince Sihanouk est blessé à coups de bouteille, le lendemain, un étudiant libanais est blessé par un Cambodgien d’un coup de sabre, et, le 7 septembre de la même année quatre résidents de la Maison du Cambodge sont blessés, trois sont hospitalisés263 ». Le 18 mars 1971, lors d’un meeting célébrant l’anniversaire du régime de Phnom-Penh, des coups de fusils sont tirés, blessant plusieurs résidents, dont un Anglais. En 1972, « l’ambiance se détériore et les menaces de mort sont, dit-on, fréquentes dans les couloirs de la Maison du Cambodge264 ». Des résidents khmers rouges à qui l’on demande de quitter les lieux refusent de partir, font changer les serrures de leur chambre et refusent de reconnaître l’autorité du directeur. Le 7 janvier 1973, une bagarre éclate dans la soirée, qui dégénère en conflit armé dans la nuit : sept étudiants sont blessés à l’arme blanche et un étudiant de 24 ans, partisan du prince Sihanouk, est tué à bout portant par une balle de 22 long rifle tirée par un autre résident, lequel n’est autre que le neveu du directeur de la Maison. Au petit matin, plus de 200 personnes sont interpellées par la police qui évacue le pavillon, avant qu’il ne soit à son tour fermé par la direction de la Cité. Plus que jamais, « la Cité universitaire reflète les affrontements des nations divisées265 ».
83Ces multiples incidents et conflits, que l’on retrouve ponctuellement à la une de la presse, interrogent sur la santé de l’institution à l’heure de son cinquantenaire, sur ses « problèmes », son « malaise », voire même son « déclin ». La Cité n’aurait-elle pas atteint son « âge critique », se demande ainsi le journal Le Monde en juin 1975266 ?
84Loin d’être des cas isolés les uns des autres, les micro-luttes des années 1968 à la Cité internationale universitaire de Paris sont en effet le symptôme d’une crise plus générale de l’institution, profondément ébranlée dans ses fondements hérités des années 1920 et 1930. La société internationale issue de la guerre froide et des décolonisations a fait voler en éclat le subtil équilibre entre impérialisme culturel français et internationalisme libéral dont la Cité était originellement le produit. Lieu d’exaltation du fait national – par ses pavillons nationaux et sa promotion de la rencontre entre les nationalités –, la Cité est devenue, à son corps défendant, un lieu-tribune pour des revendications nationales et anti-impérialistes hostiles à la coopération internationale sous influence française que, dans le droit fil de la politique étrangère et coloniale de la France, le boulevard Jourdan a représenté jusque-là267. Ce sont ces contradictions internes que les contestations des années 1968 ont rendu intenables. « Coopération internationale ! Comme si c’était possible entre peuples oppresseurs et peuples dominés », dénoncent à l’automne 1970 les militants de l’Union des résidents progressistes en lutte contre cette « idéologie Honnorat » qui, « gommant les conflits de classes » et « rassemblant des «élites» » sélectionnées par leurs ambassades, viserait à faire de la Cité « un puissant moyen d’intégration sociale et d’unification idéologique de la bourgeoisie française et des bourgeoisies nationales à l’échelle mondiale ». Et de conclure sur ce mot d’ordre : « Non aux ambassades à la Cité268 ! »
85Sans souscrire à cette analyse marxiste, le délégué général, Pierre Marthelot, n’en pose pas moins aussi au même moment la question de « savoir si les structures mises en place voici bientôt un demi-siècle269 » ne doivent pas être repensées, en particulier ces « équivoques » des années 1920 ayant « permis la constitution à la Cité d’entités nationales presque homogènes », que les « grandes césures idéologiques de l’époque » mettent en confrontation270. Il en résulte que les maisons de la Cité sont « considérées par les ambassades intéressées comme une sorte d’annexe […] ou qu’elles deviennent un repaire d’activités antigouvernementales à l’encontre de certains gouvernements étrangers271 ». Au milieu des années 1970, l’antidote envisagé est alors d’augmenter le taux de brassage des nationalités dans chaque maison, en le hissant à 50 %, une maison au brassage insuffisant comme celle du Cambodge (5 %) ayant « tendance à se replier sur elle-même et à constituer une entité nationale272 ». De toute évidence, la direction de la Cité tâtonne. Sans renoncer aux ambitions de l’institution, quoique s’éloignant de son principe originel – celui d’une « Société des nations de la jeunesse » où les étudiants étrangers, admis dans leur pavillon national, devaient se sentir « un peu chez eux » tout en s’habituant, « en allant les uns chez les autres, à comprendre et à respecter les caractères distinctifs des différentes nationalités273 » –, la Cité internationale universitaire de Paris entre dans une phase d’incertitudes quant à son avenir et à son rôle. « Il faut l’avouer, c’est une rude épreuve pour les personnes responsables, qui doivent sans cesse rester en éveil, éviter le pire, dramatiser aussi peu que possible […] et surtout savoir où elles vont », confesse alors Marthelot274.
86En 1975, ultime symbole de cette remise en question, la Cité ne peut fêter comme il se doit son cinquantième anniversaire : au soir du 11 décembre 1975, peu avant vingt heures, alors que les invités attendent le début de la cérémonie prévue autour d’une exposition retraçant l’histoire de la Cité dans le grand salon de la Maison internationale, environ 200 étudiants et chargés de cours de l’université Paris VIII-Vincennes envahissent les lieux, inquiets pour leurs locaux, leurs salaires et la politique du gouvernement à l’égard des étudiants étrangers. Des étudiants de la Cité les rejoignent pour réclamer la réouverture des pavillons d’Espagne et du Cambodge. Le secrétaire d’État aux universités, Jean-Pierre Soisson, venu inaugurer la soirée, s’éclipse discrètement sans avoir pu prononcer son discours. Un télégramme sera envoyé aux représentants des ambassades étrangères à Paris pour s’excuser de cette perturbation et « condamner cette manifestation qui “ternit l’image de l’Université française à l’étranger275” », comme un hommage inversé à l’autre histoire de la Cité, celle – non officielle – des trois décennies de mobilisations et de contestations qui viennent de s’écouler.
⁂
87De 1945 aux années 1968, on l’aura compris, les mobilisations et les contestations à la Cité internationale universitaire de Paris ne sont pas à envisager comme des moments éruptifs exceptionnels. Au contraire, elles sont intégrées à la « dynamique ordinaire du jeu politique et social276 » de la Cité, où elles participent de l’évolution des modes de gouvernance et de gestion, allant même jusqu’à contribuer au premier changement de nom de l’institution, en 1963. Se confirme ici l’hypothèse que nous posions dans La Babel étudiante, à savoir que la Cité est tout autant le produit des conceptions de ses dirigeants que celui des pratiques de ses résidents277.
88L’intensité de l’action collective est toutefois variable, et il est possible de retrouver, en suivant Sydney Tarrow278, des « cycles de mobilisation » à la Cité avec des phases ascendantes de révolte (dont le mouvement de Mai 68), des phases de zénith marquées par la radicalisation des mouvements (comme les années 1957-1958 ou, de façon plus significative, le tournant des années 1960-1970), enfin des phases descendantes (comme celle qui s’amorce après 1973 à la Cité, où « la création de nouvelles organisations, la routinisation de l’action collective, la satisfaction au moins partielle des demandes » précèdent le désengagement279).
89L’existence de ces cycles dépend à la fois du contexte social et politique, des dynamiques de coalition voire de convergence des luttes, du degré de politisation des résidents et de leur inscription dans des réseaux politiques et syndicaux plus vastes, mais également des réactions des dirigeants de la Cité, dont la gamme peut être variée, de l’opposition frontale d’un Ronald Frazee à la Fondation des États-Unis à l’appui assumé d’un François della Sudda à la Maison du Maroc, en passant par l’attitude toute en retenue du délégué général Pierre Marthelot, dont toutes les sources s’accordent à souligner l’habileté, le sang-froid et la mesure280.
90La contrainte géographique compte aussi pour beaucoup. « Principauté bizarre à la lisière de Paris281 », comme la décrit Patrick Modiano, la Cité internationale est le lieu du lointain, un ailleurs qui réfracte les conflits du monde en périphérie de la capitale. La Cité est ainsi rarement intégrée aux mobilisations et contestations parisiennes, à l’exception des mouvements de Mai 68, dont elle est cependant une marge et il faut significativement attendre la mi-juin 1968 pour qu’à l’Élysée un chargé de mission se demande enfin : « Quid de la Cité universitaire282 ? » La géographie des pavillons de la Cité n’est pas non plus sans incidence. Au tournant des années 1960-1970 par exemple, le fait que les maisons du Maroc, de l’Italie ou du Brésil constituent des foyers importants de mobilisation et de contestation tient en partie à leur proximité physique en périphérie du Parc Est et aux liens que les résidents de ces pavillons peuvent nouer sans avoir à traverser tout le domaine de la Cité, au point d’entretenir d’ailleurs au sein de ce périmètre un climat d’inquiétude jusque dans des pavillons pourtant moins touchés par les mobilisations : « Que de fois ma femme avait préparé une valise au cas où nous serions obligés de partir rapidement si la maison avait été envahie », note l’historien Pierre Riché, directeur de la Maison de l’Inde entre 1968 et 1972283. Éloignées de cet épicentre, certaines maisons sont, à l’inverse, plus tranquilles (comme le Collège néerlandais, situé à l’extrémité du Parc Ouest) ou vivent leur contestation dans un certain isolement (ainsi de la Maison d’Afrique au sein du Parc Ouest, ou de la Maison du Cambodge, au sud). De ce point de vue, la Maison internationale de la Cité, pensée dans les années 1930 pour être le point de rencontre des résidents de tous les pavillons, remplie assurément sa mission, quoiqu’en subvertissant ce que ses fondateurs avaient à l’esprit, en étant un lieu d’affichage, de tractage, de manifestations culturelles et politiques, et, bien sûr, d’assemblées générales internationales.
91Ces zones et ces moments de contacts sont, avec les multiples supports d’information et de mobilisation qui sont distribués au sein de la Cité (tracts, journaux, brochures), des vecteurs de la diffusion transnationale des idées et des pratiques de la révolte. Le développement de la sociabilité internationale des élites sociales nationales, inscrit au cœur du projet de la Cité par ses fondateurs, se voit ainsi détourné de son but originel : l’enjeu n’est plus de servir une société mondiale libérale, dominée par les grandes puissances occidentales, mais de structurer une action collective destinée à ébranler cet ordre mondial, qu’il s’agisse des étudiants intégrés aux réseaux anti-impérialistes dont le boulevard Jourdan est un noyau depuis les années 1950, qu’il s’agisse des étudiants cherchant à jeter des ponts entre les mouvements étudiants nationaux dans les années 1960, qu’il s’agisse des révoltés de Mai 68 soucieux d’établir des liens avec les communautés ouvrières immigrées à Paris, ou qu’il s’agisse des jeunes intellectuels investis au début des années 1970 dans la transnationalisation de la cause palestinienne.
92Ce faisant, cette « atmosphère », ce « climat », cette « ambiance » de la Cité, que tous les témoignages décrivent, aura contribué pour beaucoup de résidents sans expérience antérieure à leur conscientisation politique, à l’apprentissage d’une culture pratique des mobilisations et de la contestation (prise de parole publique, fabrication de tracts, de bulletins ou de banderoles, organisation d’une assemblée générale ou d’une manifestation, intervention dans les médias, sollicitation d’intellectuels, expérience de la police, etc.), voire à la constitution de réseaux sociaux et politiques. Il serait à cet égard intéressant de mesurer à quel point ce « capital militant284 » a pu, par la suite, être remobilisé ou reconverti par les résidents du boulevard Jourdan lors de leur trajectoire ultérieure, afin de comprendre ce(ux) que fait la Cité285. Les travaux en cours sur la sociologie des résidents dans le cadre du programme de recherche GlobalYouth et sur les étudiants étrangers comme « passeurs de révolte286 » permettront de disposer bientôt de cette vue plus précise. On a hâte de pouvoir en rendre compte.
Notes de bas de page
1 Cf. Tronchet Guillaume, André Honnorat. Un visionnaire en politique, Paris, Maisonneuve & Larose-Hémisphères Éditions, 2020 ; Kévonian Dzovinar, « La Cité internationale universitaire de Paris dans la guerre : refuge, occupation et résistances (1938-1944) », in Kévonian Dzovinar et Tronchet Guillaume (dir.), La Babel étudiante. La Cité internationale universitaire de Paris (1920-1950), Rennes, PUR, 2013, p. 143-162.
2 Selon le terme – désormais consacré – de Lacroix Bernard, « Les jeunes et l’utopie : transformations sociales et représentations collectives dans la France des années 1968 », Mélanges offerts au professeur Jacques Ellul, Paris, PUF, 1983, p. 719-742.
3 Zacarini-Fournel Michelle, Le Moment 68. Une histoire contestée, Paris, Seuil, 2008.
4 Pagis Julie et Siméant Johanna, « Années 1960-1970, le temps des possibles », Genèses, no 107, 2017, p. 5 ; sur la question du temps long, voir aussi Sommier Isabelle, « La contestation juvénile des années 1960 âge de la rébellion ou temps de la révolution ? », in Muxel Anne (dir.), La politique au fil de l’âge, Paris, Presses de Sciences Po, 2011, p. 250-265.
5 Pour une synthèse, voir notamment : Sawicki Frédéric et Siméant Johanna, « Décloisonner la sociologie de l’engagement militant. Note critique sur quelques tendances récentes des travaux français », Sociologie du travail, vol. 51, no 1, janvier-mars 2009, p. 97-125.
6 Voir notamment Pagis Julie, « La politisation d’engagements religieux. Retour sur une matrice de l’engagement en mai 68 », Revue française de science politique, vol. 60, no 1, 2010, p. 61-89.
7 Tarrow Sidney, Power in Movement: Social Movements, Collective Action and Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1994.
8 Jordan Tim, Activism! Direct Action, Hacktivism and the Future of Society, London, Reaktion Books, 2002.
9 Cf. Combes Hélène, Hmed Choukri, Mathieu Lilian, Siméant Johanna et Sommier Isabelle, « Observer les mobilisations. Retour sur les ficelles du métier de sociologue des mouvements sociaux », Politix, no 93, 2011, p. 21-22 ; Pailloux Anne-Laure et Ripoll Fabrice, « Géographie(s) des mobilisations. Explorer la dimension spatiale de l’action collective », Carnets de géographes, no 12, 2019, [http://journals.openedition.org/cdg/5142], consulté le 4 mars 2020.
10 Cf. Hmed Choukri, « Des mouvements sociaux “sur une tête d’épingle” ? Le rôle de l’espace physique dans le processus contestataire à partir de l’exemple des mobilisations dans les foyers de travailleurs migrants », Politix, no 84, 2008, p. 145-165.
11 Passard Cédric, « Une sociologie politique des campus. S. M. Lipset et la contestation étudiante des années 1960 aux États-Unis », Revue internationale de politique comparée, vol. 15, no 3, 2008, p. 2.
12 Tilly Charles et Tarrow Sydney, Politique(s) du conflit : de la grève à la révolution, Paris, Presses de Sciences Po, 2008.
13 Sommier Isabelle, « Les processus de diffusion des révoltes juvéniles de 68 », Histoire@Politique. Politique, culture, société, no 6, septembre-décembre 2008.
14 Gobille Boris, « Introduction. Circulations révolutionnaires. Une histoire connectée et “à parts égales” des “années 1968” », Monde(s). Histoire, espaces, relations, no 11, 2017, p. 13-36.
15 Bantigny Ludivine, « Hors frontières. Quelques expériences d’internationalisme en France (1966-1968) », Monde(s). Histoire, espaces, relations, no 11, 2017, p. 139-160.
16 Je renvoie notamment ici au travail collectif que je pilote avec toute une équipe formidable de chercheurs et d’archivistes, dans le cadre du projet de recherche GlobalYouth, financé depuis 2017 par l’Agence nationale de la Recherche (ANR-17-CE28-0005-01) et rattaché à l’Institut d’histoire moderne et contemporaine (ENS-PSL, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, CNRS).
17 Je remercie ici Françoise Blum de m’avoir indiqué l’existence de ce fonds.
18 Jocelyne Berdu, résidente de la Maison du Maroc (1969-1973), entretien du 1er juin 2020 ; Charlie Garrigues, résident de la Maison des arts et métiers (1964-1965) et de la Maison de la Tunisie (1965-1966), entretien du 7 novembre 2018, Paris ; Toufic Hindi, résident de la Maison du Liban et du Collège néerlandais (1970-1973), entretien téléphonique du 31 mai 2020 ; Gérard Mauger, résident de la Fondation Biermans-Lapôtre (1964-1965), entretien téléphonique du 2 juin 2020 ; Bernard Morel, résident de la Maison du Maroc (1969-1970), entretien du 14 novembre 2018, Paris ; Ezio Ornato, résident de la Maison de l’Italie (1962-1965) et président de l’AIRCUP (1964-1965), entretien téléphonique du 29 mai 2020 ; Henri Regnault, résident de la Maison de l’Inde (1967-1970), entretien du 19 octobre 2018, Paris.
19 Cf. Capdevila Elisa, « Sortie de guerre et présence américaine à la Cité internationale universitaire de Paris (1944-1950) », in Kévonian Dzovinar et Tronchet Guillaume (dir.), La Babel étudiante, op. cit., p. 163-173.
20 Cf. Tronchet Guillaume, André Honnorat, op. cit., p. 370 et suivantes.
21 « Comité international des étudiants de la Cité universitaire. Compte-rendu des 3 premières séances », 1946 (AN 20090013/464).
22 « Maintien des tarifs 1945-1946 », tract du Comité international des étudiants, 1946 (AN 20090013/464).
23 « Décision du Conseil des directeurs du 8 novembre 1946 », 10 novembre 1946 (AN 20090013/464).
24 « Avis aux étudiants », 2 janvier 1947 (AN 20090013/464).
25 Auguste Desclos, « Note pour la réunion des directeurs », février 1947 (AN 20090013/464).
26 AN 20090013/464.
27 Note du 13 juin 1947 (AN 20090013/464).
28 Journal officiel, Débats parlementaires, Assemblée nationale, 1re séance du 27 décembre 1947, p. 6323.
29 « Avis du Bureau de l’AIRCUP », Paris, 22 novembre 1947 (AN 20090013/464).
30 Lettre d’André Lirondelle à la Préfecture de la Seine, citée dans Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, Débats, séance du 18 mars 1948, 25 mars 1948, p. 120.
31 Journal officiel, Débats parlementaires, Assemblée nationale, 1re séance du 27 décembre 1947, p. 6323.
32 « Des étudiants de la Cité universitaire se plaignent d’un de leurs directeurs », Le Monde, 7 février 1948 ; Dossier « Affaire Giraud » (AN 16AJ 7035).
33 L’Humanité, 4 février 1948.
34 Le Soir, 5 février 1948.
35 Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, Débats, séance du 18 mars 1948, 25 mars 1948, p. 119.
36 Ibid., p. 117.
37 L’Alliance internationale des anciens de la Cité universitaire de Paris, nouvelle série, no 7, novembre 1951, p. 1.
38 Cf. Tronchet Guillaume, André Honnorat, op. cit.
39 L’Écho de la Cité, no 2, 15 novembre 1948.
40 L’Écho de la Cité, no 1, 31 octobre 1948.
41 Voir dans ce volume la contribution de Loïc Vadelorge.
42 Archives Pathé-Gaumont, 13 novembre 1957, 5746EJ51840.
43 Journal de la Cité, nouvelle série, no 3, Pâques 1958, p. 2.
44 En 1951, le bureau de l’AIRCUP s’est ainsi déjà félicité d’avoir pu rencontrer le président de la République pour lui faire part de ses revendications (« La lettre des anciens », Journal de la Cité, no 1, février 1951, p. 3).
45 Le Monde, 20 mars 1953 ; « Manifestations à la Cité universitaire », Le Journal de la Cité, numéro spécial, 1953.
46 « Le film des événements », Journal de la Cité, mars 1957, p. 2.
47 Le Monde, 18 novembre 1957.
48 « Une association qui risque d’être fort nombreuse », La Cité, no 4, 1966, p. 19.
49 « L’Union nationale des étudiants de France demande que les résidents de la Cité universitaire soient associés à sa gestion », Le Monde, 26 mars 1953 ; voir aussi l’entretien avec Dominique Wallon, président de l’UNEF dans le bulletin Cité, mars-avril 1962, p. 2-3.
50 « Statuts », note du 1er décembre 1964, AN 20090013/505-506. Le nom de « Cité internationale universitaire de Paris » sera adopté en 1973 après l’éclatement de l’Université de Paris en plusieurs établissements différents.
51 En 1965, 7 pavillons permettent une liberté totale de visites filles/garçons, 12 autorisent des visites réglementées, 11 interdisent toute mixité (« La Cité d’un pavillon à l’autre », La Cité, no 2, février 1965).
52 Coupure de presse (titre non identifiable), 7 mars 1963 (AN 20090013/505-506).
53 Entretien téléphonique du 2 juin 2020.
54 « Les événements du pavillon belge », La Cité, no 4, janvier 1966, p. 17.
55 Ornato Ezio, « L’AIRCUP de 1957 à 1965 », La Cité, no 4, janvier 1966, p. 4.
56 Entretien téléphonique avec Ezio Ornato, 29 mai 2020.
57 Ibid.
58 « 18 mois après », Cité journal, no 1, février-mars 1961 ; Ornato Ezio, « L’AIRCUP de 1957 à 1965 », La Cité, no 4, janvier 1966, p. 4.
59 Entre 1964 et 1967, les dirigeants de l’AIRCUP affichent leur proximité avec la tendance dite « minoritaire » de l’UNEF, comme en témoignent les échanges publiés dans le no 4 de La Cité avec André Gorz ou Marc Kravetz en janvier 1966.
60 La Cité, no 1, janvier 1965.
61 Ibid.
62 Lettre de Pierre Marthelot au professeur Rivero, Paris, 27 décembre 1967 (AN 20090013/22).
63 Sommier Isabelle, « Les processus de diffusion », art. cité.
64 « Rapport moral sur l’année 1967 », Annexe au procès-verbal de la réunion du Conseil d’administration du 9 février 1968, Cité internationale universitaire de Paris, Fondation nationale (AN 20090013/88).
65 Riché Pierre, C’était un autre millénaire. Souvenirs d’un professeur de la communale à Nanterre, Paris, Tallandier, 2008, p. 156-157.
66 Note sans titre, décembre 1964 (AN 20090013/505-506).
67 Conseil d’administration de la Fondation nationale, procès-verbal du 9 février 1968 (AN 20090013/88).
68 Cette idée d’alliance des contraires autour des revendications syndicales est bien expliquée par Michel Van Schendel, résident belge en 1949-1950 et militant communiste : « [La partie revendicative de notre action] était important[e] pour assurer le contact vivant, dynamique avec les autres étudiants qui partageaient le même sort que nous, même s’ils n’avaient pas les mêmes orientations que nous. Par exemple le restaurant universitaire où la bouffe était infecte. Il fallait se battre pour avoir un contrôle sur la gestion de ce restaurant. Et nous sommes parvenus à assurer un certain contrôle […] par le biais de notre organisation syndicale qui était distincte évidemment du parti communiste et très souvent anti-communiste, mais où nous étions présents » (Allard Jacques et Grandpré Chantal (de), « Entrevue avec Michel Van Schendel », Voix et images, vol. 11, no 2, 1986, p. 178).
69 Fischer Didier, L’histoire des étudiants en France de 1945 à nos jours, Paris, Flammarion, 2000, p. 70.
70 Barre Raymond, L’expérience du pouvoir, Paris, Fayard, éd. 2007, p. 86.
71 Chanussot Jacques et Travi Claude (éd.), Dits et écrits d’André Malraux, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2003, p. 226.
72 Voir la communication de Pascal Bousseyroux dans ce volume.
73 Jacquin Françoise, Histoire du cercle Saint Jean-Baptiste. L’enseignement du père Daniélou, Paris, Beauchesne, 1987, p. 121-124.
74 Cf. Pagis Julie, « La politisation d’engagements religieux », art. cité.
75 Buhler Alain, Petit dictionnaire de la révolution étudiante, Paris, Éditions John Didier, 1968, p. 27.
76 La Revue socialiste, no 17-23, 1948, p. 319.
77 Girault Jacques, « Guillotin Armand, Albert, Joseph, Marie », Le Maitron. Dictionnaire Biographique. Mouvement ouvrier. Mouvement social, version en ligne du 3 mai 2010, modifiée le 14 juin 2014.
78 Brocheux Pierre, « Henri Van Regemorter à la Cité universitaire internationale de Paris (1952-1954). Souvenirs », in Viet Nam, une coopération exemplaire. Henri Van Regemorter (1925-2002). Parcours d’un militant, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 22-24.
79 Van Schendel Michel, Un temps éventuel. Les apprentissages, Montréal, L’Hexagone, 2002, p. 213.
80 Un numéro daté de décembre 1955 figure dans les archives de l’AIRCUP (AN 20090013/464).
81 Simon-Cortès Nicole, « Henri Van Regemorter et Propositions, journal du Conseil de la paix du Quartier Latin (1950-1954) », in Viet Nam, une coopération exemplaire, op. cit., p. 17-21.
82 Allard Jacques et Grandpré Chantal (de), « Entrevue avec Michel Van Schendel », Voix et images, vol. 11, no 2, 1986, p. 178 et 181.
83 Brocheux Pierre, op. cit., p. 22.
84 « Bureau élu le 26 novembre 1955 », AIRCUP (AN 20090013/464).
85 Fort José, « Claude Quin n’est plus », L’Humanité, 26 mars 2002.
86 Delançon Alain, « Gros Pierre, Alain, Gaston », Le Maitron. Dictionnaire Biographique. Mouvement ouvrier. Mouvement social, version en ligne du 26 juillet 2010, modifiée le 14 janvier 2018.
87 Cf. Couffon Claude, René Depestre, Paris, Seghers, 1986.
88 Bangou Henri, Ancien sénateur et maire de Pointe-à-Pitre. Soixante années d’engagement politique, de l’UNEF au Sénat en passant par les cinquante années de gestion municipale, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 21-23.
89 « À la Maison d’Indochine, la cellule dite du PCF se tenait dans une chambre d’étudiant sous la direction d’un Français. Elle comprenait quelques Français, neuf Cambodgiens, quatre Vietnamiens (ceux-ci, plus nombreux que les Cambodgiens à la Maison étaient plus divisés politiquement), mais aucun Laotien. L’entente entre ces camarades était parfaite, même si les Cambodgiens faisaient plus ou moins bande à part. Après la création de la Maison du Cambodge en 1957, dotée de sa propre «cellule» de Cambodgiens, Vietnamiens et Cambodgiens de gauche restaient néanmoins unis, et ce jusque dans les années soixante-dix. […] L’atmosphère cosmopolite de la Cité universitaire internationale attisait plus qu’ailleurs la curiosité intellectuelle des étudiants communistes. Ceux-ci lisaient “Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao et Thorez dans le texte, même si certains textes étaient rébarbatifs et ennuyeux” (témoignage de Pierre Brocheux, 1998, 2000) » (Sher Sacha, L’Essor de l’Angkar. Des rêves de grands soirs sorbonnards à la victoire des maquisards, 1945-1975, thèse de doctorat, université Paris X Nanterre, 2003, autoédition 2008, p. 89).
90 « Formation d’un groupe politique d’étudiants sud-américains à Paris », note de la Préfecture de police de Paris, 25 janvier 1950 (APP, 77W/74, 34181/2).
91 Camara Ousmane, Mémoires d’un juge africain. Itinéraire d’un homme libre, Paris, Karthala-CREPOS, p. 44 ; Blum Françoise, « Dieng Amady Aly », Le Maitron. Dictionnaire Biographique. Mouvement ouvrier. Mouvement social, version en ligne du 13 février 2015, modifiée le 11 mars 2016.
92 Note de la police politique de l’État portugais adressée à la direction française de la surveillance du territoire (DST), 12 octobre 1957 (citée par Pereira Victor, La dictature de Salazar face à l’émigration. L’État portugais et ses migrants en France (1957-1974), Paris, Presses universitaires de Sciences Po, 2012, p. 373).
93 Journal de la Cité, no 20, novembre 1955.
94 Voir notamment l’article de Françoise Blum dans ce volume.
95 Ageron Charles-Robert et Michel Marc (dir), L’Afrique noire française, l’heure des indépendances, Paris, CNRS Éditions, 1992, p. 50.
96 « Réunion estudiantine à la Cité universitaire », 20 avril 1955, note confidentielle (APP, 77W/74, 34181/2).
97 Ibid.
98 « Incident entre étudiants à la Cité universitaire », note du commissaire principal du 14e arrondissement au directeur général de la police municipale, Paris, 19 décembre 1955 (APP, 77W/74, 34181/2).
99 Le Gallou Claude, Une fille du siècle. Une autobiographie, Paris, L’Harmattan, 2019, p. 37.
100 Lors d’une intervention à la Cité contre une distribution de tracts du comité, la police arrête Simon Lévy (1934-2012), étudiant juif marocain antisioniste, communiste et anti-islamiste, alors hébergé à la Maison du Maroc, et qui sera – entre autres – l’un des cofondateurs de l’Union nationale des étudiants du Maroc (« Distribution de tracts à la Cité universitaire », note de la Préfecture de police de Paris, 11 février 1956, APP, 77W/74, 34181/2).
101 « Pas de manifestant fasciste à la Cité ! », tract s.d. (APP, 77W/74, 34181/2).
102 « Après l’expulsion de la Cité universitaire, pour activité politique, du résident Claude Quin », note de la Préfecture de police de Paris, 4 juillet 1956 (APP, 77W/74, 34181/2).
103 Question écrite du député Michel Habib-Deloncle au ministre de l’Éducation nationale, no 7728, 5 novembre 1960, Journal officiel, Assemblée nationale, Débats parlementaires, 8 décembre 1960.
104 « Vous n’ignorez pas le rôle joué par la communisation des étudiants noirs et des étudiants nord-africains par le parti communiste qui, depuis quinze ans, a littéralement colonisé la cité universitaire, le quartier latin, les cités universitaires nouvelles » (Intervention de Jean-Marie Le Pen, Séance du 30 avril 1959, Journal officiel, Assemblée nationale, Débats parlementaires, 1er mai 1959, p. 408).
105 Bantigny Ludivine, 1968. De grands soirs en petits matins, Paris, Seuil, 2018.
106 « La Cité universitaire. De l’intégration à la lutte », Politique hebdo, 25 janvier 1973, p. 17.
107 Chiclet Christophe, « Grèce : une démocratie apaisée », Politique internationale, no 98, 2003 (note 5).
108 Fontana Alessandro, « Una educazione intellettuale », aut aut, no 362, avril-juin 2014, p. 7-8.
109 Entretien téléphonique avec Ezio Ornato, 29 mai 2020.
110 Entretien téléphonique du 2 juin 2020.
111 Bourdieu Pierre, Homo academicus, Paris, Éditions de Minuit, 1984.
112 Dechamp Richard, « La vie de l’étudiant », Socialisme ou barbarie, no 34, mars-mai 1963, p. 58.
113 « La direction de la Cité internationale de Paris interdit toute conférence politique », Le Monde, 7 février 1966.
114 « Rapport moral sur l’année 1967 », Annexe au procès-verbal de la réunion du Conseil d’administration du 9 février 1968, p. 11 (AN 20090013/88).
115 Quelques éléments dans le no 127-128 de Matériaux pour l’histoire de notre temps, 2018 (dirigé par Ioanna Kaspi, Robi Morder et Caroline Rolland-Diamond).
116 Entretien avec Henri Regnault, ancien résident à la Maison de l’Inde (1967-1970), 19 octobre 2018.
117 « Paris : des résidentes du pavillon américain pénètrent dans le bâtiment des garçons », Le Monde, 2 avril 1968.
118 Conseil d’administration de la Fondation nationale, procès-verbal du 2 mai 1968 (AN 20090013/88).
119 Sud-Ouest, 22 avril 1968.
120 « Des étudiants forcent les portes du pavillon américain », Le Monde, 26 avril 1968.
121 Entretien avec Henri Regnault, ancien résident à la Maison de l’Inde (1967-1970), 19 octobre 2018.
122 Tract du CLIP, no 003854, avant le 3 juin 1968 (CHS, Fonds Mai 68).
123 « Des étudiants forcent les portes du pavillon américain », Le Monde, 26 avril 1968.
124 Ibid.
125 Ibid.
126 Lettre de Pierre Marthelot au directeur de la Maison du Brésil, Paris, 25 avril 1968 (AN 20090013/22).
127 Lettre de Pierre Marthelot au président de l’AIRCUP, Paris, 30 avril 1968 (AN 20090013/22).
128 Conseil d’administration de la Fondation nationale, procès-verbal du 2 mai 1968 (AN 20090013/88).
129 « La Cité universitaire. De l’intégration à la lutte », Politique hebdo, 25 janvier 1973, p. 17.
130 Entretien avec Henri Regnault, 19 octobre 2018.
131 Conseil d’administration de la Fondation nationale, procès-verbal du 2 mai 1968 (AN 20090013/88).
132 Ibid.
133 Lettre de Pierre Marthelot au Directeur de la maison du Maroc, Paris, 6 mai 1968 ; Lettre de Pierre Marthelot au président du Comité des résidents de la Maison de l’Indochine, Paris, 13 mai 1968 (AN 20090013/22).
134 Cette contrainte est mise en avant par l’un des occupants de la Maison de l’Argentine (cf. Entretien avec Mario Gurfein, Paris, le 16 février 2018, dans Lima Nino, La Maison de l’Argentine à la Cité internationale universitaire de Paris (1922-1988), Mémoire de Master 2 sous la dir. de Françoise Blum et Guillaume Tronchet, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Centre d’histoire sociale du xxe siècle, 2018, p. 178 et suivantes.
135 « Film des événements », tract no 003812 (CHS, Fonds Mai 68).
136 Ibid.
137 « Soutenons la juste lutte des résidents de la Maison d’Afrique », tract no 003813 (CHS, Fonds Mai 68).
138 « Deux nouveaux pavillons «occupés» à la Cité universitaire de Paris », Le Monde, 2 juin 1968.
139 « La Cité internationale de l’Université de Paris, boulevard Jourdan (14e) », no 15-70, rapport de la Direction des renseignements généraux et des jeunes, Préfecture de police de Paris, juin 1970 (APP, GD57).
140 Lettre de Pierre Marthelot à Jean Basdevant, Directeur général des Relations culturelles, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 17 juin 1968 (AN 20090013/22).
141 « La Cité internationale de l’université de Paris, boulevard Jourdan (14e) », no 15-70, rapport de la Direction des renseignements généraux et des jeunes, Préfecture de police de Paris, juin 1970 (APP, GD57).
142 Le Monde, 29 mai 1968.
143 « La Cité internationale de l’université de Paris, boulevard Jourdan (14e) », no 15-70, rapport de la Direction des renseignements généraux et des jeunes, Préfecture de police de Paris, juin 1970 (APP, GD57).
144 Le Monde, 28 mai 1968.
145 « Communiqué du Comité d’action travailleurs-étudiants de la Cité », tract no 2376, s. d. (BnF, 4-LB61-600).
146 Les intitulés des quatre commissions sont les suivants : 1) Définition et exercice des libertés fondamentales à l’intérieur de la Cité ; 2) Problèmes de la gestion tant au niveau de la Cité que des différents pavillons ; 3) Représentation des étudiants au niveau de la Cité ; 4) Information et mise au point des textes élaborés par les commissions (« Aux résidents de la Cité », tract no 003827, 27-28 mai 1968, CHS, Fonds Mai 68).
147 « Compte-rendu des séances délibératives de l’Assemblée générale internationale », Juin 1968 (AN 20090013/312).
148 Entretien avec Charlie Garrigues, 7 novembre 2018, Paris.
149 Tract du CLIP, no 003854, avant le 3 juin 1968 (CHS, Fonds Mai 68).
150 Tract no 003826, 28 mai 1968 (CHS, Fonds Mai 68).
151 « Comité d’action de la Cité universitaire », tract no 2373, 31 mai 1968 (BnF, 4-LB61-600).
152 Tract no 003846, 1er juin 1968 (CHS, Fonds Mai 68).
153 « Théâtre Libre », tract no 003848, 1er juin 1968 (CHS, Fonds Mai 68).
154 Ibid. ; « Vietnam Culture et Combat », tract no 003849, 3 juin 1968 (CHS, Fonds Mai 68).
155 Le Monde, 29 mai 1968.
156 « Camarades », tract no 003821, 22 mai 1968 (CHS, Fonds Mai 68).
157 « Maison des étudiants et travailleurs italiens », tract du 9 juin 1968 (AN 20090013/312-316).
158 Tract no 003823, 24 mai 1968 (CHS, Fonds Mai 68).
159 Gastaut Yvan, L’immigration et l’opinion en France sous la Ve République, Paris, Seuil, 2000, p. 43.
160 Voir ce qu’en dit Pereira Victor, « Les Portugais en France pendant mai-juin 1968 », Revista de História das Ideias, no 38, 2020, p. 290-297.
161 Tracts no 2383 et 2384, 16 juin 1968 (BnF, 4-LB61-600).
162 « Appels à tous les travailleurs de la Cité », tract no 003816, 22 mai 1968 (CHS, Fonds Mai 68).
163 « Communiqué du Comité d’action travailleurs-étudiants de la Cité », tract no 2376, s. d. (BnF, 4-LB61-600).
164 « Appels aux travailleurs de la Cité », tract no 003817, 23-24 mai 1968 (CHS, Fonds Mai 68).
165 Conseil d’administration de la Fondation nationale, procès-verbal du 19 juin 1968 (AN 20090013/88).
166 « Communiqué du Comité d’action travailleurs-étudiants de la Cité », tract no 2376, s. d. (BnF, 4-LB61-600).
167 « Les femmes de ménage », tract no 003831, avant le 29 mai 1968 (CHS, Fonds Mai 68).
168 « Le personnel du service technique de la Cité universitaire », tract no 003845, avant le 30 mai 1968 (CHS, Fonds Mai 68).
169 « Communiqué du Comité d’action travailleurs-étudiants de la Cité », tract no 2376, s. d. (BnF, 4-LB61-600).
170 « Un pas en avant pour faire aboutir nos revendications », tract no 003857, avant le 7 juin 1968 (CHS, Fonds Mai 68).
171 Michel Kajman à propos des événements de Mai 68 à la Cité dans Le Monde, 25 juin 1975.
172 Agnès Pellerin, Les Portugais à Paris : au fil des siècles et des arrondissements, Paris, Éditions Chandeigne, 2009, p. 154.
173 Lettre de Pierre Marthelot à Jean Basdevant, Directeur général des Relations culturelles, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 30 mai 1968 (AN 20090013/22).
174 « La Cité universitaire. De l’intégration à la lutte », Politique hebdo, 25 janvier 1973, p. 17.
175 Tract no 2405, 19 mai 1968 (BnF, 4-LB61-600).
176 Cf. Kornetis Konstantinos, « “Les premiers mètres carrés de territoire grec libéré” : la Fondation hellénique sous la dictature des colonels (1967-1974) », in Gravari-Barbas Maria (dir.), La Fondation hellénique de la Cité internationale de Paris : lieu de vie, lieu de mémoire, Paris, Éditions Kallimages/Fondation hellénique, 2015, p. 121-160.
177 « La participation des étudiants grecs lors de l’agitation estudiantine à Paris », note du 22 juin 1968 (Archives de la Préfecture de Police de Paris, FB57).
178 « Motion », tract no 003814, 22 mai 1968 (CHS, Fonds Mai 68).
179 Le Monde, 29 mai 1968.
180 Ibid.
181 Ibid.
182 Tract no 003828, 28 mai 1968 ; Tract no 003842, mai 1968 (CHS, Fonds Mai 68).
183 Le Monde, 29 mai 1968.
184 « La Cité internationale de l’université de Paris, boulevard Jourdan (14e) », no 15-70, rapport de la Direction des renseignements généraux et des jeunes, Préfecture de police de Paris, juin 1970 (APP, GD57).
185 Lettre de Pierre Marthelot à Jean Basdevant, Directeur général des Relations culturelles, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 30 mai 1968 (AN 20090013/22).
186 Le Monde, 2 juin 1968.
187 « La Cité internationale de l’université de Paris, boulevard Jourdan (14e) », no 15-70, rapport de la Direction des renseignements généraux et des jeunes, Préfecture de police de Paris, juin 1970 (APP, GD57).
188 Tract no 003855, avant le 3 juin 1968 (CHS, Fonds Mai 68).
189 Lettre de Pierre Marthelot à Raymond Poussard, Directeur adjoint des Relations culturelles, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 12 juin 1968 (AN 20090013/22).
190 Lettre de Pierre Marthelot à Jean Basdevant, Directeur général des Relations culturelles, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 11 juin 1968 (AN 20090013/22).
191 Tract no 003868, 17 juin 1968 (CHS, Fonds Mai 68).
192 « Étrangers frappés d’une mesure d’expulsion pour avoir pris part aux manifestations des mois de mai et juin 1968 », Note du 27 juin 1968 (Archives de la Préfecture de Police de Paris, FB57).
193 Ibid.
194 « Communiqué », 12 juin 1968, dans « La Sorbonne par elle-même. Mai-Juin 1968, Documents rassemblés et présentés par Jean-Claude et Michelle Perrot, Madeleine Rebérioux, Jean Maitron », Le Mouvement social, no 64, juillet-septembre 1968, p. 227.
195 Tract no 003874, 28 juin 1968 (CHS, Fonds Mai 68).
196 « Un meeting au théâtre universitaire », Le Monde, 1er juillet 1968.
197 « CLIP Information », octobre 1968 (Archives personnelles).
198 Sartre Jean-Paul, « L’idée neuve de Mai 1968 », Le Nouvel Observateur, 26 juin 1968.
199 Conseil d’administration de la Fondation nationale, procès-verbal du 19 juin 1968 (AN 20090013/88).
200 Lettre de Pierre Marthelot à Jean Basdevant, Directeur général des Relations culturelles, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 17 juin 1968 (AN 20090013/22).
201 « Note sur la situation de la Cité universitaire », note de Sébastien Loste, chargé de mission au Secrétariat général de la Présidence de la République, Paris, 17 juin 1968 (AN 640AP46).
202 Conseil d’administration de la Fondation nationale, procès-verbal du 19 juin 1968 (AN 20090013/88).
203 L’Enarchie ou les mandarins de la société bourgeoise, Paris, La Table Ronde, 1967 (publié sous le pseudonyme de Jacques Mandrin).
204 Tract no 2379, s. d. (BnF, 4-LB61-600).
205 Le Monde, 2 juin 1968.
206 Tract no 003854, 3 juin 1968 (CHS, Fonds Mai 68).
207 « La Cité universitaire. De l’intégration à la lutte », Politique hebdo, 25 janvier 1973, p. 17.
208 Ibid.
209 « Vandalisme nocturne à la Cité : c’était signé », tract no 003869, 20 juin 1968 (CHS, Fonds Mai 68).
210 Lettre de Pierre Marthelot à Raymond Poussard, Directeur adjoint des Relations culturelles, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 12 juin 1968 (AN 20090013/22).
211 « Le pavillon italien de la Cité universitaire et l’action de certains de ses résidents », 26 juin 1968 (Archives de la Préfecture de Police de Paris, FB57).
212 « CLIP Information », octobre 1968 (Archives personnelles).
213 Conseil d’administration de la Fondation nationale, procès-verbal du 20 novembre 1968 (AN 20090013/88).
214 Conseil d’administration de la Fondation nationale, procès-verbal du 19 février 1969 (AN 20090013/88).
215 Conseil d’administration de la Fondation nationale, procès-verbal du 10 décembre 1968 (AN 20090013/88).
216 Conseil d’administration de la Fondation nationale, procès-verbal du 21 janvier 1970 (AN 20090013/88).
217 Conseil d’administration de la Fondation nationale, procès-verbal du 21 octobre 1970 (AN 20090013/88).
218 « Rapport moral sur l’année 1970 » (AN 20090013/88).
219 Conseil d’administration de la Fondation nationale, procès-verbal du 21 octobre 1970 (AN 20090013/88).
220 Conseil d’administration de la Fondation nationale, procès-verbal du 18 février 1970 (AN 20090013/88).
221 Les rapports, plutôt apaisés, se tendent en juin 1971 entre le directeur, Pierre Riché, et plusieurs résidents demandant la révision des statuts de la Maison (Riché Pierre, C’était un autre millénaire, op. cit., p. 246-247).
222 « Rapport moral sur l’année 1970 » (AN 20090013/88).
223 Cf. Morder Robi, « Transformations des mondes et mouvements étudiants », Matériaux pour l’histoire de notre temps, no 127-128, 2018, p. 10-15.
224 Henri Regnault, « Rapport d’activité du Bureau international et des résidents membres du conseil d’administration et du comité de gestion de la Fondation nationale, décembre 1969-décembre 1970 », 29 novembre 1970 (document transmis par Bernard Morel).
225 « Plateforme présentée par le secrétariat provisoire de l’Union des résidents progressistes », automne 1970 (document transmis par Bernard Morel).
226 Une organisation affiliée au Parti communiste, l’Association des étudiants de la Cité universitaire (AECU), et rattachée à la Fédération des résidences universitaires de France (FRUF), voit notamment le jour, mais sur laquelle on ne sait rien (« La Cité universitaire. De l’intégration à la lutte », Politique hebdo, 25 janvier 1973, p. 17).
227 « Plateforme présentée par le secrétariat provisoire de l’Union des résidents progressistes », automne 1970 (document transmis par Bernard Morel).
228 « L’Union des résidents progressistes, nouvelle association à la Cité universitaire », Direction centrale des renseignements généraux, Paris, 6 novembre 1970 (AN 19820599/45-47).
229 Conseil d’administration de la Fondation nationale, procès-verbal du 18 mars 1970 (AN 20090013/88).
230 « Rapport moral sur l’année 1971 » (AN 20090013/88).
231 « Motion adoptée par les comités de résidents à la réunion du 17 janvier 1972 » (AN 20090013/505-506).
232 « L’administration décide de fermer la maison de l’Allemagne », Le Monde, 26 juillet 1973.
233 L’Alliance internationale, juillet 1974, p. 4.
234 « Des hippies en mal de logement », Le Monde, 2 décembre 1970.
235 À l’image du Mouvement de libération pour l’avortement et la contraception (MLAC), qui dispose d’un relai à la Cité – le « MLAC-Cité » –, lequel se mobilise notamment en mars 1974 pour l’organisation d’un débat public à la Maison du Canada suite au licenciement de trois personnels de l’hôpital de la Cité universitaire ayant effectué un avortement public en février 1974 (Tract du MLAC-Cité et du groupe de travailleurs hospitaliers, mars 1970, Archives La Contemporaine, F delta res 576/5/12/2 ; Politique hebdo, no 110 à 133, 1974, p. 18).
236 « L’Institut socialiste d’études et de recherche organise cinq journées de débats », Le Monde, 30 septembre 1974 ; « Aux Rencontres du Parti socialiste. M. Mitterrand : il faut dénoncer les idées reçues », Le Monde, 22 janvier 1975.
237 « Des états généraux pour la “survie de l’homme” », Le Monde, 27 mars 1973 ; « Des “états généraux” contre les centrales nucléaires », Le Monde, 26 mars 1974.
238 « Comment se rendre au Larzac ? », Politique hebdo, no 110-133, 1974, p. 10.
239 « Le FHAR […] tient ses assises tous les jeudis soirs à la Cité universitaire du boulevard Jourdan » (« Le c… des autres », Le monde libertaire, 1er juillet 1971). C’est là que se prépare notamment un livre sur la répression des homosexuels (Rapport contre la normalité, Paris, Champ Libre, 1971), publié notamment grâce à Guy Hocquenghem (cf. Huard Geoffroy, Histoire de l’homosexualité en France et en Espagne : discours, subcultures et pratiques, 1934-1975, thèse de doctorat en sociologie, sous la dir. de Didier Eribon et Francisco Vázquez, université de Picardie Jules Verne, 2012). C’est aussi au Théâtre de la Cité universitaire que Copi, dramaturge argentin et francophone, figure du mouvement gay et membre du FHAR, crée la pièce L’homosexuel ou la difficulté de s’exprimer en 1971 (Le Monde, 6 décembre 1971) ; voir également le tract « Y a-t-il une misère sexuelle à la Cité internationale ? », FHAR, printemps 1972 (BnF, 4-WZ-10838).
240 À l’image de la manifestation « Culture et Révolution », organisée à la Maison internationale du 10 au 15 décembre 1968 (tract no 2415, s.d., BnF, 4-WZ-10838), ou d’« Octobre 1969, Manifestation au service du peuple », organisée à la Cité universitaire du 6 au 13 octobre 1969 par un collectif d’artistes suite à la fermeture d’une salle de la VIe Biennale de Paris, jugée comme l’incarnation du « système oppressif de l’idéologie bourgeoise » (Glédel Marion, « La VIe Biennale de Paris, recherche d’un nouvel élan face aux critiques et aux contestations », 1968 : la critique d’art, la politique et le pouvoir, université Rennes 2/Archives de la critique d’art, septembre 2018, p. 133-141). On pourrait citer aussi les pièces d’Armand Gatti (L’Interdiction, 1969) ou de Kateb Yacine (Mohamed, prends ta valise, 1972) montées au Théâtre de la Cité internationale.
241 Entretien du 14 novembre 2018, Paris.
242 « Rapport moral sur l’année 1971 », Cité internationale universitaire de Paris (AN 20090013/88).
243 Le Monde, 3 mai 1969.
244 « Le cortège “révolutionnaire” a célébré la lutte syndicale et la solidarité internationale », Le Monde, 4 mai 1971.
245 Entretien avec Bernard Morel, résident de la Maison du Maroc (1969-1970), 14 novembre 2018, Paris.
246 Ibid.
247 « Un “tribunal populaire” fera le “le procès de la police française” », Le Monde, 26 juin 1971 ; « Interdiction du tribunal populaire du 27 juin », Le Monde, 28 juin 1971 ; La Nef, 1972, p. 96.
248 Le Monde, 25 décembre 1971.
249 Hindi Toufic, Une troisième guerre mondiale pas comme les autres. Stratégies pour confronter un djihadisme sans frontières, Paris, Éditions du Panthéon, 2018.
250 « Il y avait beaucoup de réfugiés politiques dans les pavillons : des militants engagés contre la répression au Maroc à la Maison du Maroc, des réfugiés politiques italiens à la Maison de l’Italie, des déserteurs de la Guerre du Vietnam à la Fondation des États-Unis, etc. » (Entretien avec Bernard Morel, 14 novembre 2018, Paris).
251 Le Monde, 26 mai 1969.
252 Le Monde, 20 octobre 1970.
253 Le Monde, 24 février 1972 ; 29 mai 1973.
254 Rezvani Serge, Le tourbillon de ma vie, Paris, Éditions Écriture, 2015 ; voir aussi Rebour Valentin, La politisation des étudiants et étudiantes iranien.nes en France. Expériences, sociabilités, mobilisations (1948-1980), Mémoire de Master 2 de Sciences sociales, ENS Lyon, 2019.
255 Le Monde, 5 mai 1970 ; 15 novembre 1971 ; 17 févier 1972 ; 1er août 1972.
256 Témoignage d’Hamid Barrada, cité par Buttin Maurice, Ben Barka, Hassan II, De Gaulle. Ce que je sais d’eux, Paris, Karthala, 2010, p. 191.
257 Entretien téléphonique du 1er juin 2020.
258 « Bureau français d’aide à la révolution palestinienne, 1 bld Jourdan, 75 Paris 14e », 1970 (document transmis par Bernard Morel).
259 Entretien téléphonique du 1er juin 2020.
260 Témoignage de François della Sudda (novembre 2003) cité par Bernard Ravenel, « François della Sudda » (document transmis par Bernard Morel) ; Entretien avec Bernard Morel, 14 novembre 2018, Paris.
261 Ibid. De façon plus générale, voir : Hajjat Abdellali, « Les comités Palestine (1970-1972). Aux origines du soutien de la cause palestinienne en France », Revue d’études palestiniennes, 2006, p. 74-92.
262 Hindi Toufic, Une troisième guerre mondiale, op. cit. ; entretien téléphonique du 31 mai 2020.
263 Le Monde, 13 janvier 1973.
264 Ibid.
265 Le Monde, 13 janvier 1973.
266 « Le déclin d’une œuvre universaliste », Le Monde, 25 juin 1975.
267 Cf. Tronchet Guillaume, « La Cité universitaire : une joint-venture transnationale dans le Paris des années 1920 et 1930. Note de recherche », in Jaumain Serge et Van den Dungen Pierre (dir.), Biermans-Lapôtre. Histoire d’un mécène et de sa fondation, Bruxelles, Lannoo/Racine Éditions, 2013, p. 85-100 ; « Diplomatie universitaire ou diplomatie culturelle ? La Cité internationale universitaire de Paris entre deux rives (1920-1940) », in Kévonian Dzovinar et Tronchet Guillaume (dir.), La Babel étudiante, op. cit., p. 59-88.
268 « Plateforme présentée par le secrétariat provisoire de l’Union des résidents progressistes », automne 1970 (document transmis par Bernard Morel).
269 « Rapport moral sur l’année 1970 » (AN 20090013/88).
270 Ibid.
271 Bureau du Conseil d’administration de la Fondation nationale, 28 mai 1970 (AN 20090013/88).
272 Conseil d’administration de la Fondation nationale, 2 juin 1971 (AN 20090013/88).
273 André Honnorat, Comité de direction de la Fondation nationale, 27 octobre 1926 (AN 16AJ 7031).
274 Conseil d’administration de la Fondation nationale, 2 juin 1971 (AN 20090013/88).
275 « La cérémonie du cinquantenaire de la Cité universitaire a été annulée », Le Monde, 13 décembre 1975.
276 Combes Hélène et al., « Observer les mobilisations », art. cité, p. 27.
277 Kévonian Dzovinar et Tronchet Guillaume, « La Cité internationale universitaire de Paris dans l’atelier de l’historien », in Kévonian Dzovinar et Tronchet Guillaume (dir.), La Babel étudiante, op. cit., p. 23.
278 Tarrow Sidney, Power in Movement, op. cit.
279 Sommier Isabelle, « Cycle de mobilisation », in Fillieule Olivier et al., Dictionnaire des mouvements sociaux, Paris, Presses de Sciences Po, éd. 2020, p. 176.
280 « Il a évité le drame » (Entretien avec Bernard Morel, 14 novembre 2018).
281 Entretien à l’AFP, La Presse, 4 octobre 2012.
282 Note au crayon sur la couverture d’un dossier de Sébastien Loste, chargé de mission au Secrétariat général de la Présidence de la République, 17 juin 1968 (AN 640AP46).
283 Riché Pierre, C’était un autre millénaire, op. cit., p. 248.
284 Matonti Frédérique et Poupeau Franck, « Le capital militant. Essai de définition », Actes de la recherche en sciences sociales, no 155, 2004, p. 4-11.
285 Nous paraphrasons ici Pagis Julie, « Ce(ux) que fait l’événement », Genèses, no 100-101, 2015, p. 197-204.
286 Nous reprenons ici les termes d’un projet de recherche que nous avons impulsé avec Françoise Blum (Centre d’histoire sociale des mondes contemporains) sur les étudiants étrangers en France en mai-juin 1968, lequel a déjà donner lieu à une exposition virtuelle en 2020 : « Mai-Juin 1968 : étudiants étrangers en France », [https://chs-maijuin68.huma-num.fr/] (Centre d’histoire sociale des mondes contemporains, ANR GlobalYouth, Campus Condorcet), consulté le 4 mars 2020.
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