1S’il est un thème qui paraît s’imposer à l’historien à propos des droites à la Libération, c’est bien celui de reconstitution. Dans la mémoire collective, l’année 1945 apparaît comme l’année zéro de la droite française. Quel que soit en effet l’angle d’observation que l’on retient, le paysage est bien celui d’un champ de ruines.

2D’abord, et c’est peut-être l’aspect le plus fondamental, la droite est frappée d’un discrédit moral qui paraît la condamner pour longtemps à la marginalité. Elle est en effet considérée comme ayant partie liée avec le régime de Vichy, celui-ci ayant repris pêle-mêle les thèmes nationalistes, autoritaires, corporatistes, antisémites, cléricaux, antirépublicains des diverses composantes de cette fraction de l’opinion. Si bien qu’il n’est guère de courant de la droite, depuis les modérés jusqu’aux éléments d’extrême-droite ligueurs ou fascisants qui n’apparaisse comme irrémédiablement compromis avec un régime dont les Français veulent oublier qu’ils l’ont majoritairement soutenu à sa naissance et qu’ils ont été fort peu nombreux jusqu’à la Libération à le combattre effectivement. Or cette assimilation de la droite à Vichy apparaît d’autant plus lourde de conséquences que le parti communiste dont l’audience est considérable en ces années assimile allégrement l’adhésion à Vichy à la politique de collaboration et englobe indistinctement dans l’accusation de fascisme les partis de la « réaction ». Qu’une telle vision des choses soit excessive et en partie fausse, que des hommes de droite aient figuré dans les rangs de la Résistance et même au sein du Front national inspiré par le parti communiste, alors que la gauche a fourni, elle aussi, quelques contingents à l’auberge espagnole vichyste, que la France libre se soit grossie des éléments giraudistes issus du vichysme et que ceux-ci aient été présents au sein des mouvements de résistance importe peu. L’instrumentalisation de la vision d’une Résistance de gauche, le mythe gaulliste du « peuple résistant » et la vision d’une droite réactionnaire, complaisante au fascisme et à la collaboration, se conjuguent pour faire de cette dernière le bouc émissaire du péché national de vichysme ou d’attentisme.

3Le désastre s’étend aux hommes qui ont longtemps incarné la droite. Ministres, hauts-fonctionnaires, chefs de partis issus de celle-ci connaissent les rigueurs de l’épuration, pour certains la prison ou la menace de l’indignité nationale et de l’inéligibilité. Chef du principal parti de gouvernement de centre-droit de l’entre-deux-guerres, l’Alliance républicaine démocratique, Pierre-Étienne Flandin qui a félicité Hitler d’avoir sauvé la paix à Munich et a été quelques semaines en 1940-1941 principal ministre du gouvernement de Vichy, est emprisonné, puis frappé d’inéligibilité. Président du Parti social français issu des Croix-de-Feu et considéré de ce fait comme « fasciste » par les communistes et l’opinion de gauche, le colonel de La Rocque qui a appuyé les débuts de Vichy sans réellement y jouer de rôle, est jeté en prison à son retour de déportation. Même ceux qui ont donné des gages à la Résistance, comme Louis Marin, animateur du parti le plus à droite de l’échiquier parlementaire de la III^e République, la Fédération républicaine, se trouvent privés d’audience, soit que l’âge et les circonstances les mettent hors jeu, soit que la suppression des organes de presse qui ont continué à paraître sous le contrôle de l’occupant les prive de tribune politique.

4Enfin, au moment où reprend la vie démocratique avec les consultations locales ou nationales de 1945, la droite ne dispose plus d’organisation politique digne de ce nom. Des deux grands partis qui, sous la IIIe République, rassemblaient l’essentiel des électeurs de droite, l’Alliance républicaine démocratique et la Fédération républicaine, qui, bon an, mal an regroupaient au moins 40 % des suffrages exprimés (42,5 % aux élections de 1936 pourtant défavorables à la droite), ne subsistent plus que des vestiges sans consistance. La Fédération républicaine a disparu de facto. L’Alliance démocratique se survit, mais elle n’est plus que l’ombre d’elle-même et sa fidélité à son président inéligible, Pierre-Étienne Flandin, la conduit à remâcher sa rancœur dans de vaines tentatives pour retrouver les pages glorieuses de son passé, sans prise réelle sur le présent.

5Pour autant, si la droite paraît balayée du champ politique, la guerre n’a pas fait disparaître d’un coup de baguette magique ce qui constituait sa substance même, à savoir ses électeurs, ses cultures politiques et ses idées. Est-il raisonnable de penser que les 42,5 % d’électeurs de 1936 se soient réduits aux 15,6 % de voix modérées des élections du 21 octobre 1945 ? Les 22 modérés élus à Paris (avec 23,6 % des suffrages) aux municipales d’avril 1945, les 28 qui siègent au Conseil général de la Seine, sont certes très minoritaires et en perte de vitesse par rapport à l’avant-guerre, mais faut-il s’étonner de leur recul ou, au contraire, de leur élection dans un contexte qui leur est globalement aussi défavorable ? La résistance de la droite classique dans ses zones d’élection des marges du grand Ouest, en particulier en Mayenne, Maine-et-Loire et Vendée montre bien qu’elle conserve en grande partie ses potentialités électorales, même si celles-ci peuvent s’exprimer autrement qu’en se portant sur les hommes ou les formations de la droite d’avant-guerre.

6Plus que des forces politiques moribondes subsistent les cultures politiques qui constituaient leurs noyaux durs. Mais le seul usage du pluriel pour les évoquer révèle qu’il est abusif de parler au singulier de la droite au lendemain de la Libération. En fait, on est en présence d’une pluralité, marquée par de multiples clivages qui ne se recoupent guère et qui aboutissent à la dispersion d’un peuple de droite aux références hétérogènes. Clivages des cultures politiques entre une droite modérée se réclamant du libéralisme, une droite nationaliste et autoritaire, une droite ligueuse, fascisante sur ses marges, et un centre-droit démocrate-chrétien. Clivages des prises de position durant la guerre entre une minorité pro-allemande et ardemment collaborationniste, une majorité maréchaliste et vichyssoise dont une fraction se retrouvera gaulliste à la Libération avec un passage par le purgatoire giraudiste, une composante nationaliste et patriote qui rejoindra Alger ou les mouvements de résistance et nombre d’attentistes, soucieux de ne pas se compromettre et de faire in fine le bon choix. Clivages enfin des programmes de l’après-guerre opposant les nostalgiques de la III^e République aux partisans d’une République nouvelle, ceux qui sont prêts à faire la part du feu en acceptant l’épuration, les nationalisations et les mesures sociales aux champions d’un libéralisme qui prêche la réconciliation nationale et rejette l’interventionnisme d’État dans la vie économique et sociale.

7Pour ajouter à cette confusion qui explique l’éclipse des droites, il est clair que la frontière entre droite et gauche, toujours relative à la nature des enjeux politiques à un moment donné de l’histoire, s’est déplacée par rapport à l’avant-guerre. Le contexte de la Libération prolonge, au-delà de la Seconde Guerre mondiale, le nouveau clivage qu’a fait naître le Front populaire en 1936. La frontière ne sépare plus désormais partisans et adversaires de la République et de la laïcité, mais, d’une part, militants de la transformation de la société selon les principes collectivistes du marxisme et, de l’autre, défenseurs de la propriété privée et de l’initiative individuelle, corrigée au besoin, mais à la marge, par une intervention limitée de l’État. Du même coup, se révèlent des solidarités occasionnelles inédites qui n’abolissent cependant pas les clivages nés de la culture politique ou de l’attitude adoptée durant l’occupation. Contre l’emprise socialo-communiste, se retrouvent dans le camp de la droite aux côtés des libéraux, des ex-ligueurs, des nationalistes, des républicains autoritaires, non seulement les démocrates-chrétiens qui, malgré la fibre sociale d’une partie de leurs militants sont prêts à faire cause commune avec eux contre le collectivisme, mais aussi une partie de l’ancien centre-gauche rassemblé dans le rgr où radicaux et membres de l’ udsr côtoient des socialistes épurés pour vichysme, des partisans du colonel de La Rocque ou les vestiges de l’Alliance démocratique. Mais il serait excessif de faire de cette alliance de circonstance, fruit de la nécessité, les fondements d’une nouvelle culture politique de droite abolissant les clivages antérieurs. En même temps qu’elle se reconnaît dans un rejet commun du communisme et de la vision marxiste de la société, cette droite élargie est traversée de conflits internes qui traduisent l’hétérogénéité de ses positions : entre l’ouverture sociale et l’héritage résistant des démocrates-chrétiens du Mouvement républicain populaire, membre de la majorité tripartite d’une part, et le libéralisme anti-étatique coloré de nostalgies vichystes d’une partie de la droite classique ou de certains éléments du rgr, il n’est guère de point d’entente possible, pas plus qu’entre la fidélité laïque de la plupart des radicaux ou des socialisants anticommunistes et l’attachement à l’école libre de la grande majorité des droites. Parce qu’il n’existe pas une culture politique commune des droites, la recomposition de ce secteur de l’opinion va se faire en termes de concurrence et de luttes internes qui se superposent à l’opposition aux forces politiques se réclamant du marxisme et qui ont le vent en poupe à la Libération.

8Or, dans cette reconquête du potentiel politique existant des droites françaises en termes d’électeurs, de cultures politiques et d’éléments programmatiques, la conjoncture nationale et internationale va peser très lourd, privilégiant les forces politiques qui sont en adéquation avec les nouveaux enjeux que révèle l’après-guerre.

9Dans un premier temps, la prépondérance des idées socialisantes du Conseil national de la Résistance combinée avec le discrédit de la droite classique réduit celle-ci à la portion congrue, d’autant que l’incertitude et le découragement règnent dans ses rangs. Les quelque 15 % de voix modérées décomptées lors du scrutin d’octobre 1945 se distribuent au sein d’une nébuleuse de groupes et d’hommes dont le vocabulaire sacrifie à l’esprit du temps, même si leurs positions réelles traduisent davantage l’héritage de la droite classique. Tel est le cas du Parti paysan de Paul Antier, héritier du Parti agraire de l’entre-deux-guerres et surtout implanté dans le centre de la France. Plus symptomatique encore est l’exemple du Parti républicain de la Liberté, le prl, rassemblant des libéraux issus de l’Alliance démocratique ou de la Fédération républicaine, des éléments de la droite ligueuse et des cadres issus de l’ancien psf du colonel de La Rocque. Il faudrait y ajouter une poignée d’Indépendants élus sur leur capital d’audience personnel et qui se contentent d’observer les efforts de recomposition de la droite traditionnelle en se gardant bien de s’engager dans des formations encore mal assurées ni d’appuyer les efforts du prl pour unifier autour de lui l’ensemble des droites. En fait, cette nébuleuse de la droite classique bénéficie de certains atouts, mais souffre, dans le contexte de la Libération, d’un grave handicap. Le principal atout consiste en l’appui de milieux d’affaires inquiets de l’étatisme dominant et qui redoutent les initiatives des partis marxistes et la volonté sociale du mrp, comptant sur la droite traditionnelle, voire sur le rgr, pour s’opposer au courant socialisant. Mais il faut aussi tenir compte de l’influence de l’Église, en particulier dans l’Ouest, où certains évêques reprennent contre le mrp la lutte menée dans l’entre-deux-guerres à l’encontre des idées démocrates-chrétiennes et jugent que les intérêts de l’Église et, en particulier la défense de l’école libre, imposent un soutien au prl. Mais le handicap de cette droite classique demeure la difficulté pour elle de répudier tout héritage du passé vichyste de sa clientèle. Très vite, le Parti paysan de Paul Antier affiche sa vocation à recycler les anciens dirigeants de la Corporation paysanne cependant que le prl devra exclure André Mutter et se séparer de l’équipe du périodique Paroles françaises dont les prises de position violemment anticommunistes repoussent le parti à l’extrême droite. Toutefois, la campagne pour l’amnistie des condamnations de la Libération, commune à toutes les tendances de la droite traditionnelle, suffit à classer celle-ci dans le sillage d’un vichysme qui la marginalise.

10Aussi, entre 1945 et 1947 existe-t-il un moment mrp de la droite. Cette constatation ne va pas sans paradoxe. On ne saurait sans abus faire du mrp de la Libération un parti de droite. Formé par des hommes qui ont joué un rôle de premier plan dans la Résistance, répudiant toute attache confessionnelle, il compte dans ses rangs d’ardents militants du syndicalisme chrétien ou de l’Action catholique spécialisée, défenseurs de la justice sociale, et qui ne sont nullement hostiles aux nationalisations, à la planification et à l’intervention de l’État dans la vie économique et sociale. Il serait probablement plus juste de parler à son propos d’un parti réformiste de centre-gauche. Le mrp ne figure à droite qu’en raison du déplacement des frontières entre gauche et droite évoqué précédemment. Il est en effet la seule formation d’envergure de la Libération qui ne se réclame pas du marxisme et entend faire barrage au communisme. De surcroît, outre sa fonction de barrage au communisme, il bénéficie de la proximité de ses conceptions avec celles du général de Gaulle et ces deux caractères expliquent sans doute plus qu’un héritage démocrate-chrétien à l’audience limitée dans la France du xx^e siècle, son succès électoral de 1945. Avec 23,9 % des suffrages, ce qui fait de lui le second parti de France derrière le parti communiste, le mrp apparaît comme le refuge de tous ceux qui acceptent la France nouvelle tout en entendant s’opposer au risque de sa transformation en démocratie populaire. L’analyse du scrutin et la comparaison des cartes électorales ne laisse aucun doute : le mrp a servi de refuge à un électorat de droite, privé de ses formations traditionnelles et qui a choisi le vote utile en fonction des enjeux du moment. Mais il est difficile à un parti réformiste et social de servir de creuset à une union des droites et le mrp va rapidement souffrir des tensions permanentes qui opposent ses électeurs d’une part, ses militants de l’autre.

11Au demeurant, la conjoncture et les évolutions politiques vont lui interdire de capitaliser à son profit les opportunités de 1945-1946 et de se constituer en fédérateur d’une droite rénovée et ouverte. Les années 1946-1947 voient en effet se dissiper le climat de la Libération. La tension croissante entre les États-Unis et l’Union soviétique, les débuts de la guerre froide en 1947, l’éviction des communistes du gouvernement, puis l’atmosphère de guerre civile larvée provoquée par les manifestations et l’agitation communistes en 1947-1948 changent considérablement la donne. Désormais, tandis que le parti communiste s’enferme pour longtemps dans un ghetto politique, l’anticommunisme gagne l’ensemble des forces politiques, de gauche comme de droite. Du même coup, ce qui n’était dans la droite classique que le fait de quelques extrémistes devient une donnée permanente qui paraît justifier a posteriori les positions d’une partie des vichystes et des épurés de la Libération : le thème de l’amnistie devient central et la révision de la période de Vichy figure désormais à l’ordre du jour de la droite. Pour autant, cette volonté de révision ou de nouvelle lecture paraît impuissante à ramener sur le devant de la scène la plupart de ceux qui en ont été écartés en 1945. Les efforts des dirigeants de l’Alliance démocratique, la campagne de l’Association des élus de la III^e République, le Banquet des mille rassemblant le 13 mars 1948 autour de Flandin, de l’ex-socialiste Paul Faure et du radical Lamoureux des revenants de la III^e République sous l’inspiration du chanoine Desgranges, ancien député du Morbihan, démontrent qu’il est vain de vouloir greffer les attitudes du passé sur des situations neuves. La conjoncture dédouane une partie de la droite classique, mais ne lui rend pas son audience passée.

12Mais la nouvelle conjoncture ne profite pas davantage au mrp. Empêtré dans ses contradictions, celui-ci s’identifie à une IV^e République qui s’avère rapidement impuissante à affronter les obstacles de tous ordres qui se dressent, au plan intérieur comme dans le domaine international, devant la France de l’après-guerre. La fondation en avril 1947 par le général de Gaulle du Rassemblement du peuple français met fin à la possibilité pour le mrp d’unir derrière lui la droite française. D’abord en ce que cette fondation provoque un traumatisme au sein même du Mouvement. Nombre de ceux qui y avaient adhéré par gaullisme trouvent désormais dans le rpf une formation mieux adaptée à leurs aspirations. En même temps qu’il perd devant l’opinion son image de parti gaulliste, le mrp se voit ravir par le rpf la fonction de barrage le plus efficace au communisme qui avait fait une grande part de son succès. Réduit à son identité démocrate-chrétienne, retranché dans ses bastions électoraux, il peut mesurer sa perte d’influence, qui est considérable, lors des municipales de 1947, du renouvellement partiel du Conseil de la République en 1948 ou des cantonales de 1949. Le moment mrp de la droite est passé et le mrp est la principale victime de l’évolution.

13En 1947 commence le temps du rpf. Les atouts du nouveau parti sont importants, même si son succès est marqué au coin de l’ambiguïté. La présence à sa tête du général de Gaulle lui assure, en dépit des attaques du parti communiste, une immunité contre toute accusation de vichysme. Le rétablissement de la légalité républicaine et le respect des décisions du suffrage universel en 1944-1945 rendent peu crédibles le procès en pouvoir personnel qui lui est fait. En même temps, le libérateur du territoire, le restaurateur de la République ne saurait être suspect de complaisance envers les desseins réels ou supposés du parti communiste. Ses vues constitutionnelles et l’organisation du rpf répondent aux aspirations des mouvements ligueurs de l’entre-deux-guerres à la recherche d’un chef charismatique capable de donner une tête à l’Exécutif et de remplacer la République parlementaire par une République consulaire. On conçoit que le rpf, rassemblement et non parti, ait pu apparaître durant quelques mois comme le fédérateur des droites françaises et ait semblé réussir là où avait échoué le mrp : droite autoritaire, droite nationaliste, droite démocrate-chrétienne, anciens du psf de La Rocque, hommes du centre-gauche issus du rgr, modérés restés en marge du prl, anciens résistants ou hommes de la France libre fidèles à leur chef de guerre, tous ont leur place au sein du Rassemblement qui n’inclut pas toute la droite (le général a sèchement récusé la tentative du colonel Rémy de lui rallier les ex-vichystes en le rendant solidaire de la campagne d’amnistie en faveur de Pétain), mais recrute bien au-delà de celle-ci.

14Dès lors, on peut s’interroger sur les raisons qui ont conduit à l’échec, après celle du mrp, la tentative gaulliste d’union des droites dont on constate l’enlisement dès 1948-1949. La cause paraît en résider essentiellement dans l’erreur tactique du général de Gaulle qui a sous-estimé le poids des procédures électorales dans un système de démocratie parlementaire. Pour avoir créé le rpf au printemps 1947, après les élections législatives tenues en novembre 1946, il ne dispose pas d’une représentation parlementaire digne de ce nom à l’Assemblée nationale, c’est-à-dire au centre même du pouvoir. L’intergroupe qui rassemble les députés appartenant au rpf ne réunit que quelques transfuges du mrp ou des adhérents du rgr ou des modérés qui pratiquent la double appartenance. Autrement dit, le rpf est sans action sur la décision politique dès lors que les grands partis organisés et structurés tiennent solidement leurs troupes en main. À partir de là, tout succès municipal ou cantonal est sans effet, les pouvoirs publics se refusant à reconnaître à ces consultations locales le caractère plébiscitaire que le général entend leur donner. De Gaulle ayant exclu tout recours à la force pour imposer ses vues, ses troupes doivent attendre l’arme au pied la prochaine consultation, celle de 1951.

15Dès 1948-1949, la retombée de la vague gaulliste révèle que ce n’est pas autour du général que s’opérera la recomposition du paysage des droites et qu’après les démocrates-chrétiens du mrp, le rpf a échoué à son tour à rassembler les éléments épars de ce secteur de l’opinion. La route est désormais ouverte vers la formation d’un nouveau parti rassemblant une droite qui ne se reconnaît ni dans la démocratie-chrétienne, ni dans les tendances plébiscitaires du rpf, réunissant les groupes naguère enrôlés par le prl, les libéraux, les membres du Parti paysan. Ce sera chose faite avec la création en 1948 par Roger Duchet du Centre national des Indépendants. Mais les diverses sensibilités de droite, désormais recomposées, ont ainsi donné naissance à trois formations politiques, voire à quatre, si on admet qu’une bonne partie du rgr est proche du cni. Comme avant la guerre, la droite recomposée est plurielle et la pluralité de ses traditions et de ses cultures politiques apparaît comme une donnée pérenne de l’histoire politique française. C’est l’histoire de cette recomposition et l’explication de son processus de mise en œuvre qui constitue l’intérêt du présent volume.