Préface
p. 11-14
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Index géographique : France
Texte intégral
1À relire, comme l’occasion m’en a été donnée, l’ensemble des communications présentées au colloque de Rennes sur la recomposition des droites dans les années 1945-1948, on se convainc de la pertinence du choix de la période. Les années qui ont suivi la Libération du territoire national et connu le retour à une vie politique régulière ont été pour toutes les formations et toutes les traditions de pensée un temps exceptionnel. Mais plus encore pour les droites dans l’histoire desquelles cette période a écrit un chapitre qui sort de l’ordinaire et appelait un réexamen des idées reçues et des représentations à leur sujet.
2Sur le moment tout donnait à penser que c’était la fin de leur histoire. La compromission de quelques personnalités représentatives avec le régime déchu, les accointances de quelques autres avec les séides de la Collaboration et surtout les convergences entre l’inspiration de la Révolution dite nationale et quelques-uns des thèmes les plus constants de la pensée de droite ou d’extrême droite avaient accrédité, non sans quelque injustice, la thèse de l’identification du régime de Vichy avec ce secteur du spectre politique et discrédité l’héritage idéologique de droite. Bien que leurs formations classiques, Fédération républicaine, Alliance démocratique, fussent représentées au Conseil national de la Résistance, leurs vestiges furent balayés aux premières élections organisées depuis huit ans, municipales au printemps et, le 21 octobre 1945, à l’Assemblée constituante. Cette déroute donnait à penser que le corps électoral ratifiait le désaveu de la droite et lui signifiait un congé définitif.
3L’aspiration incontestable et quasi générale à un renouvellement profond de la vie politique et de ses conditions, que la France avait déjà connue vingt-cinq ans plus tôt au lendemain de la victoire de 1918 et qui avait alors joué au bénéfice de la droite, resurgit, avivée par la défaite. Cette fois, elle s’exerce à ses dépens : la droite, c’est le passé ; raison de plus pour tourner la page. Les formations de la droite parlementaire, auxquelles on reprochait déjà dans les années trente d’être archaïques, paraissent en 1945 tout à fait surannées. Leurs dirigeants, quand ils ne sont pas frappés d’inéligibilité, ont pris de l’âge. Ces formations sont des partis de cadres, réunissant des notables jaloux de leur liberté et qui n’entendent pas parler de discipline de vote alors que la faveur des électeurs va à des partis de masse pouvant compter sur le dévouement inconditionnel de militants nombreux. Comble de malheur, le changement de mode de scrutin et le choix fait par le général de Gaulle de la représentation proportionnelle donnent le coup de grâce à des partis qui reposaient sur la fidélité de clientèles stables, à des personnalités individuelles : le scrutin de liste dans le cadre départemental rompt ces liens et emporte ces fragiles édifices d’influence fondés sur des échanges de services. Que la réalité véritable fût moins simple et que la droite gardât un avenir, la suite devait assez vite en administrer la preuve. Le colloque en apporte une analyse et une démonstration qui emportent la conviction. Surtout – c’est son apport le plus neuf – il met en évidence le singulier mélange de continuité et de novation qui caractérise ce moment de l’histoire des droites.
4Une première évidence s’impose : moins que jamais on ne peut parler de la droite au singulier comme si elle était une entité homogène. La pluralité a même fait des progrès, s’aggravant ou s’enrichissant selon qu’on la tient pour une calamité ou un bienfait. Les querelles de personnes ne sont pas éteintes : elles sont relayées et entretenues par les héritiers. À l’Alliance démocratique, la mésentente entre Pierre-Etienne Flandin et Paul Reynaud a été encore avivée par les itinéraires différents qu’ils ont suivis pendant la guerre. Au parti radical, la vieille rivalité des deux Édouard, Herriot et Daladier, qui avait rythmé dans l’entre-deux guerres tous les congrès de la rue de Valois, a trouvé dans leurs attitudes respectives pendant la guerre une raison de rebondir. Les anciens du Parti social français aussi se sont divisés. Les divergences engendrées par les événements des années 1940-1945 ont superposé aux clivages traditionnels de nouveaux antagonismes.
5Le colloque rappelle judicieusement qu’une évolution s’était amorcée avant 1939 : la droite, ou plus exactement certaines de ses composantes s’étaient déjà engagées dans des transformations qui, à la lumière des initiatives de l’après-guerre, annonçaient les mutations à venir : ainsi le Centre de propagande des républicains nationaux animé par Henri de Kerillis autour de L’Écho de Paris préfigurait d’une certaine façon les tentatives du Parti républicain de la liberté et du Centre national des indépendants. De même le succès du Parti social français entre 1936 et la déclaration de guerre a peut-être préparé le déferlement du rpf.
6Le retour en force de la droite s’est effectué en quelques étapes qui se sont succédé à un rythme rapide, chacune étant associée au nom d’une nouvelle formation : tour à tour, le prl, le rpf, le cnip. Au lendemain des élections législatives du 17 juin 1951, soit six années à peine après son désastre électoral, on peut estimer que la droite a refait ses forces et retrouvé son électorat. L’investiture, en mars 1952, d’Antoine Pinay auquel succédera, après un intermède, un autre notable de l’Alliance démocratique, Joseph Laniel, puis, en décembre 1953, l’élection de René Coty à la magistrature suprême manifestent que la droite est de retour. Dès 1951, les notables avaient reconquis localement, dans les mairies et les Conseils généraux, les positions dont ils avaient été délogés à la Libération.
7Les événements n’ont pas seulement modifié pour quelques années le rapport de force entre droite et gauche : ils ont aussi occasionné des bouleversements dans les positions respectives des principales composantes de la droite et déplacé les frontières, au moins momentanément. Ainsi l’affaiblissement du clivage qui trouvait son principe dans la question religieuse a ouvert la voie à un chassé-croisé entre cléricaux et laïques. Les radicaux se retrouvent à droite du fait de leur opposition aux réformes de structure et de leur nostalgie des institutions et des conditions de la vie politique sous la IIIe République, tandis que, en sens inverse une fraction de l’électorat catholique qui a établi dans la Résistance des contacts avec la gauche, garde des relations avec le Parti socialiste, sans que ce glissement doive rien aux considérations de haute stratégie qu’Annie Lacroix-Riz attribue généreusement à la hiérarchie épiscopale. C’est plutôt le fait d’une génération de catholiques qui entendent refermer la fracture ouverte depuis la Révolution entre l’Église et le peuple, le christianisme et la société moderne, et d’une nouvelle culture politique.
8De ce bouleversement des positions traditionnelles et de ce déplacement de la frontière entre droite et gauche, le témoin le plus significatif est l’émergence d’une formation nouvelle, – la seule issue directement de la Résistance –, même si elle a eu sous la IIIe République des antécédents parlementaires : le Mouvement républicain populaire. Sa localisation par rapport au couple droite-gauche est le pivot de toute analyse du rapport entre les deux dans l’immédiat après-guerre. L’assignation d’une formation politique, que ce soit à droite ou à gauche, doit se faire par référence aux critères du temps, et abstraction faite de ses évolutions ultérieures. Or si l’on applique ce précepte au mrp dans les années 1945-1948, tous les indices convergent pour le situer alors à gauche de la frontière : sa référence à la Résistance et sa fidélité à son inspiration, le mot d’ordre de la révolution par la loi, ses prises de positions en faveur des nationalisations, ses alliances avec les deux partis de gauche avec lesquels il partage les responsabilités du pouvoir, le sentiment de la majorité de ses militants. Mais position essentiellement transitoire et éminemment précaire : la rupture du tripartisme, la concurrence et la surenchère du rpf, l’abandon d’une partie de ses électeurs qui retournent à droite, dessineront une trajectoire au terme de laquelle le mrp se retrouvera de l’autre côté de la frontière. L’ampleur et la rapidité de cette évolution contribuent à souligner le caractère relativement exceptionnel de la période étudiée qui a connu à la faveur du bouleversement engendré par les événements de la guerre la remise en question de quelques traits fondamentaux de notre vie politique avant que la continuité reprenne ses droits et rétablisse les traditions interrompues.
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