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¡Solidarias!

 | 
Édouard Sill

Quatrième partie. Les intellectuelles étrangères et la défense de la république espagnole

Introduction

Allison Taillot

Texte intégral

  • 1 Sur ce point, nous renvoyons notamment aux nombreux travaux d’Anne Mathieu sur les intellectuels fr (...)
  • 2 Voir sur ce point Thébaud Françoise, « Penser les guerres du xxe siècle à partir des femmes et du g (...)
  • 3 Derrien Marie, Giraudier Fanny et Gobin Charlotte, « Introduction – Penser l’engagement en temps de (...)

1La réflexion proposée dans cet ouvrage sur la déclinaison des formes prises, pendant la guerre d’Espagne, par la solidarité féminine transnationale en faveur de l’Espagne républicaine et antifasciste ne saurait laisser de côté un dernier engagement alors exprimé et concrétisé de façon polymorphe : celui des intellectuelles étrangères. L’histoire des intellectuels dans la guerre de 1936-1939 est désormais considérée comme un pan à part entière de l’histoire culturelle de cette dernière et constitue aujourd’hui, en France et en Espagne notamment, un champ de recherche dynamique et interdisciplinaire1. Néanmoins, rares sont encore les travaux ayant pris pour angle d’analyse prioritaire la perspective de genre dans laquelle s’inscrivent les trois études réunies dans cette dernière partie. Cet état de fait historiographique reflète deux carcans conceptuels qui ont longtemps prévalu : d’une part, la supposée masculinité autour de laquelle se sont élaborées la figure de l’intellectuel et son histoire et, d’autre part, la conception du temps de guerre comme apanage du militaire et du masculin. Si la première s’explique par la traditionnelle division genrée de l’espace et les difficultés qui en découlaient encore pour les femmes des années 1930 en termes d’exposition, d’expression et de « médiatisation », la seconde s’est d’ores et déjà vue amplement remise en question2 et ce, notamment, par le truchement d’une réflexion sur « les définitions de l’engagement et le poids des représentations sociosexuées suscitées par ce dernier dans un contexte de guerre3 ». Dans le cas de la guerre d’Espagne, la mixité du phénomène de mobilisation, à l’échelle transnationale, des intellectuels antifascistes en constitue une preuve éloquente.

  • 4 Ory Pascal et Sirinelli Jean-François, Les Intellectuels en France, de l’Affaire Dreyfus à nos jour (...)
  • 5 Définition proposée par Françoise Collin dans Blum Françoise et Carduner-Loosfelt Muriel, « Du genr (...)

2Aux côtés des André Malraux, Ernest Hemingway, George Orwell ou autre Arthur Koestler, grandes figures de renom occupant le devant de la scène mémorielle, se tinrent alors des femmes de provenance et de profession diverses mais nourrissant une même volonté d’apporter leur soutien à la République espagnole attaquée et, plus globalement, de contribuer à freiner l’avancée des fascismes en Europe. Cette prise de position commune, qui pour nombre d’entre elles prit la forme d’une convergence vers la zone républicaine, renvoie immanquablement à la figure de l’intellectuel moderne dont l’identité et la dénomination s’imposèrent en France avec l’Affaire Dreyfus et qui, dans une Europe des années 1930 encore marquée par les suites de la Première Guerre mondiale et sujette à la montée des totalitarismes, ne tarda pas à faire de l’antifascisme son moteur et son étendard. Dans ce sens, chacune des trois femmes sur lesquelles se concentrent les travaux réunis dans cette partie, à savoir la photoreporter allemande Gerda Taro, la philosophe française Simone Weil et la journaliste nord-américaine Martha Gellhorn, peut et doit être envisagée comme une intellectuelle au sens d’un « statut […] transcendé par une volonté individuelle [et] tourné vers un usage collectif4 » (selon la définition de référence proposée par Pascal Ory et Jean-François Sirinelli) ou, pour reprendre les termes de Françoise Collin, d’une « personne qui n’est pas nécessairement créditée d’une grande œuvre philosophique ou littéraire, mais qui joue un rôle dans son temps [,] articule sa réflexion aux enjeux de son époque, et par là même devient une figure importante, une personnalité publique, bref une présence qui interpelle l’espace politique par ses idées ou par ses actes5 ».

3À l’instar de leurs homologues masculins, les intellectuelles antifascistes déployèrent entre 1936 et 1939 un répertoire d’action propre, protéiforme, inscrit à la croisée de l’individuel et du collectif et indissociable des objectifs majeurs qu’elles poursuivirent alors à l’échelle transnationale : informer des événements en cours, sensibiliser l’opinion publique, dénoncer la politique de non-intervention ou encore rendre compte de la solidarité internationale antifasciste à l’œuvre en Espagne comme dans leurs pays d’origine.

4Dans ce sens, elles doivent être pensées comme les membres d’un collectif singulier parmi les étrangères mobilisées en faveur de la République espagnole pendant la guerre d’Espagne du fait de leur condition privilégiée, des réseaux au sein desquels elles évoluèrent alors et de la pluralité des modalités que recouvrit leur contribution à la cause antifasciste, modalités parmi lesquelles nous distinguerons notamment leurs interventions dans des campagnes de sensibilisation et de mobilisation à grande échelle, leur participation à des actes publics tels que le deuxième Congrès international des écrivains pour la défense de la culture de juillet 1937 ou leur couverture du conflit pour des publications espagnoles et étrangères.

  • 6 Nous nous inspirons ici de la formule finale de Françoise Thébaud dans Thébaud Françoise, « Résista (...)
  • 7 Nous empruntons cette formule à l’article d’Alexandre Massipe publié dans le présent ouvrage.

5En mettant en lumière des trajectoires d’intellectuelles antifascistes engagées parfois méconnues et en combinant perspective biographique, analyse du discours et approche comparative, cette partie prétend à la fois faire le jour sur la diversité des pratiques d’engagement des étrangères impliquées dans la solidarité internationale pendant la guerre d’Espagne et complexifier, en lui inoculant du genre, notre vision de la participation des intellectuels au combat antifasciste alors en cours6. Exploitant un corpus documentaire hétérogène et fragmenté (correspondances, photographies, articles de presse, journal de notes, textes autobiographiques), les articles qui suivent mettent l’accent sur trois parcours d’engagement individuel pour interroger, à travers eux, la spécificité de l’action des intellectuelles pendant le conflit et cerner les effets de celui-ci sur leur trajectoire vitale et sur leur « posture de combattante7 ». Lorna Arroyo Jiménez, tout d’abord, sonde le regard de la photoreporter Gerda Taro (1910-1937) et revient sur son rôle dans la construction et la diffusion à l’échelle internationale de l’image de l’intellectuelle antifasciste. Alexandre Massipe invite ensuite à réfléchir à l’attitude toute en radicalité et en intransigeance de Simone Weil (1910-1943) dont il retrace l’expérience, aussi brève qu’intense, en Espagne. Enfin, Jean-François Berdah s’appuie sur la production encore peu connue des années de la guerre de Martha Gellhorn (1908-1998) pour montrer combien le combat antifasciste auquel elle s’associa alors fut déterminant dans sa naissance au journalisme.

Notes

1 Sur ce point, nous renvoyons notamment aux nombreux travaux d’Anne Mathieu sur les intellectuels français et étrangers antifascistes dans les périodiques français pendant la guerre d’Espagne [https://reporters-et-cie.guerredespagne.fr/] à la réflexion collective menée autour de Niall Binns concernant l’impact de la guerre d’Espagne sur la vie intellectuelle en Amérique du Sud (on pensera notamment à la publication chez Calambur à Madrid : Ecuador y la guerra civil española. La voz de los intelectuales – 2012, Argentina y la guerra civil española. La voz de los intelectuales – 2012, Cuba y la guerra civil española. La voz de los intelectuales – 2015 – et Uruguay y la guerra civil española. La voz de los intelectuales – 2016) ou encore, tout dernièrement, à l’ouvrage de Aznar Soler Manuel [dir.], El Segundo Congreso Internacional de Escritores para la Defensa de la Cultura, ochenta años después, Valence, Generalitat Valenciana, 2021).

2 Voir sur ce point Thébaud Françoise, « Penser les guerres du xxe siècle à partir des femmes et du genre. Quarante ans d’historiographie », Clio. Femmes, Genre, Histoire, no 39, 2014 ; Virgili Fabrice (dir.), « Les lois genrées de la guerre », Clio. Femmes, Genre, Histoire, no 39, 2014 ou encore Milquet Sophie et Frédéric Madeleine (coord.), Femmes en guerres, Bruxelles, Sextant, 2011.

3 Derrien Marie, Giraudier Fanny et Gobin Charlotte, « Introduction – Penser l’engagement en temps de guerre au prisme du genre (xvie-xxie siècles) », Genre & Histoire, en ligne, [http://journals.openedition.org/genrehistoire/2668], no 19, printemps 2017, mis en ligne le 1er juillet 2017, consulté le 4 mai 2020.

4 Ory Pascal et Sirinelli Jean-François, Les Intellectuels en France, de l’Affaire Dreyfus à nos jours, Paris, Armand Colin, 1986, p. 10.

5 Définition proposée par Françoise Collin dans Blum Françoise et Carduner-Loosfelt Muriel, « Du genre en histoire des intellectuels. Table ronde », Mil neuf cent, no 16 : « Figures d’intellectuelles », 1998, p. 138, [http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_1146-1225_1998_num_16_1_1187], consulté le 13 décembre 2019.

6 Nous nous inspirons ici de la formule finale de Françoise Thébaud dans Thébaud Françoise, « Résistances et Libérations », Clio. Femmes, Genre, Histoire, en ligne, [http://journals.openedition.org/clio/512] ; DOI : [https://doi.org/10.4000/clio.512], no 1, 1995, mis en ligne le 1er janvier 2005, consulté le 6 mai 2020.

7 Nous empruntons cette formule à l’article d’Alexandre Massipe publié dans le présent ouvrage.

Auteur

Allison Taillot est agrégée d’espagnol, maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre, responsable de l’Atelier sur l’histoire des femmes dans l’aire hispanique contemporaine (AHFAHC) lié à LIRE 19-21 (CRIIA, UR Études romanes) et coresponsable depuis 2020 du projet UPL « CAREXIL-FR ». Elle a publié en 2016 l’ouvrage issu de sa thèse Les intellectuelles européennes et la guerre d’Espagne. De l’engagement personnel à la défense de la République espagnole (Nanterre, Presses universitaires de Paris Ouest, 2016) et est l’auteure de nombreux travaux sur l’Espagne contemporaine.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

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